Mardi 31/01/2017

Mardi 31/01/2017
«Inverser la courbe du chômage»
François Hollande
Revenons à la France et à un objectif dont nous avons régulièrement entendu parlé au cours de ces 4 dernières années.
Dès le 9 septembre 2012 dans le journal de TF1, François Hollande déclare solennellement: «Nous devons inverser la courbe du chômage d’ici un an.» Une volonté qu’il réitère quelques mois plus tard déclarant lors de ses voeux du Nouvel an: «Toutes nos forces seront tendues vers un seul but : inverser la courbe du chômage d’ici un an, […] coûte que coûte.»
«Inverser la courbe du chômage»
Pour l’ancien élève de mathématiques supérieures que je suis, cette phrase est d’abord d’une grande stupidité. Cela n’a pas de sens d’inverser une courbe.  Personne ne saurait dessiner une courbe puis dessiner une courbe inverse. Cela n’existe pas.
Ce qui est possible c’est de changer le sens de variation d’une courbe. La courbe du chômage avait un sens de variation positif, (pour un matheux cela signifie que la fonction dérivée est positive) l’objectif pouvait donc être de changer ce sens en un sens de variation négatif. En terme plus prosaïque la courbe montait, il faudrait qu’elle descende.
Mais arrêtons là ce délire ! Ce technocrate que nous avons élu ne sait plus parler des choses de la vie, il parle de chiffres, de courbes, de mesures. Il ne parle pas d’êtres humains qui cherchent un emploi et qui en sont éloignés de plus en plus.
Un humain ou un politique dit : «on va développer l’emploi, on va donner du travail à ceux qui n’en ont pas, on va orienter …».
Un technocrate parle du sens de variation d’une courbe et en plus en parle mal avec une novlangue qui tente de manier des indicateurs, des abstractions plutôt que de parler de la vie .
Et puis le technocrate s’étonne que l’humain, celui qui est en face de cette difficulté, de trouver sa place dans la société économique, de savoir de quoi demain sera fait le rejette violemment car il n’en a que  faire des courbes inversées ou non. Il veut un job, un job qui lui donne une rémunération lui permettant de vivre. Il veut savoir si ses enfants pourront avoir un job ou s’il n’y a que du travail pour un tout petit nombre et que tout le reste sera fait par des automates ou des programmes informatiques : ces millions de boulots qui permettaient aux gens de vivre : chauffeur de taxi, conducteur de camion, comptables mais aussi cuisinier, assistant dans un cabinet d’avocats mais aussi caissiers dans un magasin ou vendeur ou manutentionnaire et peut être même médecin etc…
Ces questions abyssales sont laissées sous silence pour parler de chiffres, de courbes et de réalités froides susceptibles de remplir un tableur certainement pas de motiver, d’engager et de convaincre. Faire de la politique autrement dit !
Mais revenons un instant sur cette fameuse courbe.
Grâce à l’INSEE nous avons tous les éléments pour voir de nos propres yeux. C’est sur ce site :
Et pour que ce soit encore plus simple pour vous je vous envoie en pièce jointe le fichier qui retrace la froide réalité des chiffres depuis 1996.
Alors cette courbe l’avez vous déjà vu ?
Voici une courbe qui retrace l’évolution du nombre de chômeurs depuis le début du quinquennat de Hollande (entre mai 2012 et novembre 2016)
Cette courbe comment la qualifier ? de « tourmentée » peut être ?
Elle subit, bien sûr, des variations saisonnières qui correspondent par exemple à l’arrivée sur le marché du travail des jeunes qui ont fini leurs études.
Encore faut-il savoir qu’elle ne représente qu’un type de chômeurs : la catégorie A, parce qu’il existe plusieurs types de chômeurs :

Catégorie A    Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi

Catégorie B    Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte   (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois)

Catégorie C    Demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite longue (i.e. de plus de 78 heures au cours du mois)

Catégorie D    Demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie…), sans emploi

Catégorie E    Demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés).

Prenons la courbe de type A depuis janvier 1996 jusqu’à novembre 2016
Il semblerait que l’on peut voir une baisse entre 1996 et 2008, mais après 2008 il y a inversion du sens de variation de cette courbe dans le sens non souhaité.
Mais regardons donc la courbe en agrégeant l’ensemble des types de chômeurs (ABCDE) sur la même période :
Quand nous analysons cette courbe (qui va au-delà de 6 000 000 désormais) il n’y a qu’une baisse légère entre 1996 et 2008 en revanche une progression inexorable entre 2008 et 2016.
Cela signifie donc que si des chômeurs sortent de la catégorie A c’est plutôt pour aller vers les autres catégories que pour sortir du chômage.
Mais les chiffres sont complexes au contraire de ce que voudrait nous laisser croire les communicants quantophrènes. Car la population sur laquelle s’applique ces courbes n’est pas immuable, mais fluctue car il y a tout au long de ces années une arrivée de nouveaux venus sur le marché de l’emploi, alors que d’autres en sortent par la retraite ou quelquefois le découragement. Pendant ce temps les règles concernant la retraite ont été modifiées entrainant d’autres phénomènes et comportements.
Résumons le propos : un chiffre ne veut rien dire (ce qui ne signifie pas qu’il est inutile mais qu’il n’a pas de sens isolé, non contextualisé et expliqué) et « Inverser la courbe du chômage » est une formule stupide.
Enfin ce qu’il est raisonnable de dire c’est que l’offre d’emploi sait de moins en moins répondre à la demande d’emploi.
Vous pouvez lire aussi ce décryptage de Jacques Sapir <Le chômage et la honte de nos gouvernants>