Mardi 29/09/2015

Mardi 29/09/2015
« Le neurologue romantique »
Oliver Sachs (1933-2015)
Le neurologue et écrivain britannique Oliver Sacks est mort le dimanche 30 août 2015. Je l’ai découvert, à la fin des années 1980, par son livre célèbre « L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau. »
Ce livre m’a profondément marqué. Dans ce livre, ce neurologue décrivait un certain nombre d’affections les plus étonnantes qu’il avait rencontrées. Le titre correspondait à un homme qui savait reconnaître des objets et des formes géométriques (comme par exemple un chapeau) mais qui n’était plus capable de reconnaître un visage.
Ce livre m’avait impressionné parce qu’en creux, il montrait combien le fonctionnement de l’être humain relevait quasi du miracle, en tout cas d’une multitude de mécanismes extraordinairement subtils qui nous permettaient d’être un être humain maîtrisant ses 5 sens et capable de se repérer dans son environnement et dans ses relations avec les autres humains et le monde. Quand une de ses fonctions était déréglée on aboutissait, à des situations souvent totalement dramatiques.
Ce livre m’a fait approcher le miracle de la vie. Il était en outre remarquablement bien écrit.
Un article de l’OBS donne les explications suivantes : «Le succès de ses livres a fait de lui l’un des médecins les plus célèbres du monde. Dans «l’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau», «l’Eveil» ou «Un anthropologue sur Mars», il a réveillé le genre du «récit clinique» cher à Freud et aux médecins du XIXème siècle, et avait mis son expérience à la portée du grand public. Dans une langue élégante et décontractée, avec un art consommé de la mise en scène et de la narration, il racontait ses patients: un peintre qui a perdu la perception des couleurs, un homme atteint d’agnosie visuelle qui ne peut identifier que des formes géométriques simples et ne peut donc pas reconnaître un visage, un chirurgien parcouru de tics qui disparaissent quand il opère.
Ces tableaux et ces portraits partent d’un dysfonctionnement du cerveau, d’un dérèglement de la machine perceptive ou cognitive. Sacks était visiblement touché par l’étrange humanité de ses patients. Avec tendresse et humour, il montrait comment ceux-ci se débrouillaient pour vivre avec leur syndrome. Et il nous apprenait beaucoup sur nous-mêmes. Marcher, sentir, voir, entendre : Sacks explique en quoi ça consiste, grâce à ceux qui n’y parviennent pas. Il appelait cela de la «neurologie romantique».
Dans d’autres livres, comme «l’Ile en noir et blanc» ou «Des yeux pour entendre», il se faisait l’ethnologue du peuple des déréglés, étudiant la culture et les pratiques collectives produites par la surdité ou les troubles visuels. Oliver Sacks s’est aussi plusieurs fois auto-étudié. Dans «Sur une jambe», il racontait les séquelles d’un accident après lequel il avait été persuadé que sa jambe blessée n’existait plus. Dans «l’Oeil de l’esprit», il parlait de ce mélanome oculaire qui lui a fait perdre la vision de l’œil droit.
Il a vendu des millions de livres à travers le monde. Il disait recevoir environ dix mille lettres par an. Il répondait systématiquement aux enfants, aux vieillards et aux prisonniers. Il restera comme l’un des hommes les plus sympathiques de nos bibliothèques. Chez lui, la science et l’art se regardaient mutuellement. Il était un de ces humanistes complets qui refusent de séparer les sciences dures et les sciences humaines. »
Wikipedia nous apprend cependant : qu’«Une partie de la communauté médicale critique Oliver Sacks, notamment dans les années 1970 et 1980, sur le fait que son travail à propos de l’Éveil ne suit pas un modèle [suffisamment scientifique]. [Et] Son positionnement éthique et politique a régulièrement été la cible d’attaques. Si Sacks est décrit par beaucoup comme un écrivain et médecin doué d’une « grande compassion », d’autres n’hésitent pas à le suspecter de tirer parti de ses patients : Tom Shakespeare, un chercheur britannique et défenseur des droits des handicapés, l’a surnommé « l’homme qui prenait ses patients pour une carrière littéraire. »
[…] Sacks lui-même a déclaré : « Je souhaite que ceux qui me lisent voient le respect et la considération (que je porte à mes patients, NdT), et non pas un quelconque désir de faire de l’exhibitionnisme ou du sensationnalisme, (soupir) mais c’est une affaire délicate. »
Pour ma part je trouve heureux qu’au delà des techniciens qui parlent aux techniciens et quelquefois même techniquement à leurs patients, il existe des personnes que j’appellerais des humanistes qui transmettent leur savoir et le rende accessible à un plus grand nombre. Oliver Sachs fut l’un d’entre eux.
OLIVER SACHS
Michael Nyman a écrit un opéra sur le texte de “L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau”. Cet opéra sera produit cette année par l’Opéra de Lyon au Théâtre de la Croix Rousse et nous avons pris des places le 14 novembre.