Le chant du cygne, son troisième et dernier album est paru en 2009. Il avait simplement pour titre : « Lhasa »
Il aura donc fallu à nouveau 6 ans entre le précédent album et celui-ci.
La maturation était lente chez cette artiste, c’est probablement pour cette raison que le résultat est si abouti.
Cette fois elle ne quittera pas Montréal. Après deux ans passés sur les scènes du monde entier pour présenter son deuxième album, elle se mettra tranquillement à composer les paroles et les mélodies pour son nouvel ouvrage.
Et comme précédemment elle va changer de musiciens.
Lhasa était selon la description qu’en fait Fred Goodman une personne sympathique, chaleureuse et fidèle en amitié. Mais pour sa trajectoire musicale, elle était sans concession : savait ce qu’elle voulait et n’hésitait pas à trancher dans le vif.
Rien ne l’illustre mieux que son attitude avec Mélanie Auclair, une violoncelliste qui a intégré son groupe de musicien pour l’album « Living Road » et qui va devenir son amie.
Fred Goodman raconte :
« L’arrivée de Mélanie était un changement bienvenu pour Lhasa. Au cours des tournées précédentes, elle s’était sentie isolée : presque chaque soir, les gars [que des hommes] faisaient la fête pendant qu’elle dormait et reposait sa voix. Cette fois, elle voulait que ça se passe autrement. Lhasa et Mélanie allaient prendre l’habitude de s’éclipser une heure avant le test de son.
Du magasinage éclair, se souvient Mélanie. Elle était du genre à m’acheter de nouvelles chaussures un jour où je me sentais triste. Ou à débarquer avec une soupe miso. Elle était comme une grande sœur bienveillante. Elle prenait soin de moi. »
« Envoutante Lhasa » Page 124
Mais pour le troisième album, Lhasa veut explorer d’autres pistes et cela se passe ainsi :
« Mélanie savait que Lhasa explorait la scène de Mile End. « Elle voulait trouver sa place là-dedans » indique t’elle. Mais quand elle a reçu un coup de fil de la chanteuse qui l’invitait à passer à la maison, elle n’était pas prête à encaisser l’inévitable. C’est autour d’un souper dans un restaurant du coin que Lhasa lui a appris la nouvelle.
« Il faut que je te le dise : je travaille avec d’autres musiciens, lui a-t-elle annoncé et je vais peut-être prendre un autre violoncelliste. »
« Non ! Non, non, non s’il te plait ! » Je l’ai pris très durement, se souvient Mélanie. J’avais le cœur brisé. Je la respectais, je respectais sa vision, mais c’était très difficile à avaler sur le plan personnel. Le plus dur, c’est que je savais que j’allais perdre la place de choix que j’occupais dans son cœur. Notre relation s’est poursuivie par la suite, nous sommes restées amies, mais ce n’était plus comme avant. »
« Envoutante Lhasa » Page 143
L’amitié et l’exigence musicale, par rapport aux évolutions de Lhasa étaient bien distinctes dans son esprit.
Après le premier album entièrement en espagnol, le second en trois langues, le troisième sera entièrement en anglais, la langue maternelle.
<TELERAMA> la cite
« Chanter dans ma langue maternelle a été comme un atterrissage, un ré-enracinement, après plusieurs années passées à flotter dans les airs… Une espèce de grounding, dirait-on en anglais. Ça me fait du bien, j’en avais besoin. »
Elle changera aussi de voix. Elle a eu un problème aux cordes vocales parce que précédemment, elle forçait sa voix la rendant plus grave et plus rocailleuse. Les médecins voulaient l’opérer mais une vieille chanteuse, sachant ce que chanter veut dire lui a simplement dit de chanter avec sa voix naturelle qui était plus haute et plus légère et que tout irait bien. C’est ce qu’elle a fait et sa voix s’en ait porté mieux.
Ses œuvres sont pourtant toujours aussi profondes et porteuses d’émotions.
Dans un article de « L HUMANITE » publié le 29 mai 2009 pour la sortie de son album : <Lhasa : « Aller jusqu’au bout de ce que je ressens »> elle dit :
« Je ne me dis pas : je vais faire un album plus dense. C’est la beauté qui m’importe. Mais ce n’est pas mon affaire de dire si l’album est mélancolique, ou joyeux… Je cours après la beauté. Ce qui est très subjectif !
Ce troisième album compte 12 chansons. Son éditeur canadien, Audiogram, n’aime pas ce troisième album et trouve que les chansons se ressemblent trop, veut du tri. Lhasa répond alors :
« Je vous demande pardon, mais lequel de mes enfants voulez-vous que je tue ? »
L’album sera comme elle l’a décidé.
Les chansons ont été écrites avant qu’elle connaisse sa maladie, l’enregistrement et le début de la promotion ont eu lieu alors que la maladie était présente. La tournée qui s’annonçait a du rapidement s’interrompre.
Lhasa a cependant pu venir en France, en mai 2009 et faire deux concerts au Théâtre des Bouffes du Nord
La journaliste Valérie Lehoux était présente et raconte dans <TELERAMA>
« Ce jour-là, en mai dernier, il aura suffi d’une seconde pour qu’elle nous hypnotise. Elle est entrée d’un pas feutré, silhouette fine comme la lame d’un couteau, sourire léger et intrigant. Pas un soupçon d’artifice. Sa voix s’est élevée entre les murs décrépis du Théâtre des Bouffes du Nord, embrasant tout l’espace de sa gravité voilée et de sa rare intensité. Musique incantatoire et voyageuse, folk-blues gorgé de lumière et de douleur.
Lhasa n’a que trois disques à son actif […] Trois disques en onze ans, c’est très peu dans un univers musical où la course à la production est souvent la condition de l’existence artistique : « Je suis lente, j’attends la nécessité, je soigne mes disques jusque dans leurs moindres détails. J’ai envie d’en être fière, qu’ils durent longtemps. Les chansons, je les laisse venir à moi sans les brusquer. Quand j’en sens une se préciser, je la travaille bien sûr, mais je ne force jamais son écriture. Une chanson devient vraiment magique quand elle vous dépasse, qu’elle a une vie bien à elle. »
Article publié dans Télérama n°3110 le 22 août 2009
Un des concerts, celui du 11 mai 2009 a été organisé par la FNAC et on trouve les vidéos sur la chaine Youtube de la FNAC
Je vous propose d’écouter <Rising>
Pour la chanson Rising Lhasa a répondu dans l’article de L’humanité précité :
« Cette chanson est née d’une image que j’ai explorée. Pour moi, ce n’est pas très intéressant maintenant d’explorer cette chanson, c’est plus intéressant que les autres imaginent l’image. Les mots m’ont attirée parce que je sentais qu’ils véhiculaient une image puissante. Mon boulot est d’explorer cette image, d’aller jusqu’au bout de ce que je ressens. Ensuite, c’est aux autres de voir ce qu’elle veut dire. »
Voici les paroles avec une tentative de traduction
I got caught in a storm
And carried away
I got turned, turned around
I got caught in a storm
That’s what happened to me
J’ai été pris dans une tempête
Et emporté
Je me suis tourné, retourné
J’ai été pris dans une tempête
C’est ce qui m’est arrivé
So I didn’t call
And you didn’t see me for a while
I was rising up
Hitting the ground
And breaking and breaking
Alors je n’ai pas appelé
Et vous ne m’avez pas vu pendant un moment
Je m’élevais
Cognais le sol
Et me brisais et me brisais
I got caught in a storm
Things were flying around
And doors were slamming
And windows were breaking
And I couldn’t hear what you were saying
I couldn’t hear what you were saying
I couldn’t hear what you were saying
J’ai été pris dans une tempête
Des choses volaient alentour
Et les portes claquaient
Et les fenêtres se brisaient
Et je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez
Je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez
Je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez
I was rising up
Hitting the ground
And breaking and breaking
Rising up
Rising up
Je m’élevais
Cognais le sol
Et me brisais, et me brisais
M’élevais
M’élevais
Il y a d’autres chansons sur la chaîne de la FNAC comme <Fool’s gold – Bouffes du Nord>
Le 3 décembre 2017, beaucoup de ses amis se sont réunis pour un concert hommage à Lhasa. Ils l’ont appelé « La route chante » Comme le livre qu’elle avait écrit et qui est paru en 2008.
<Cet article> sur le site de RFI raconte cet hommage ému de la part des musiciens qui ont participé à son aventure musicale. Et l’article se termine ainsi :
À la fin du concert à la Philharmonie, une dame apparaît, épaulée par tous les artistes de l’hommage : c’est Alexandra, sa maman. Sur la scène, elle lit les paroles de sa fille, tirées de son ouvrage « La Route chante » :
« J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit (…) ».
Sous les tonnerres d’applaudissement d’une salle debout, sous l’esprit de Lhasa, elle conclut l’hommage par ces mots de la chanteuse :
« Tu as fait grandir le cœur de ce monde. Tu as repoussé les murs. Merci. »
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