Lundi 4 septembre 2017

« « Gracias a la vida           Merci à la vie
Que me ha dado tanto    Qui m’a tant donné
Me ha dado el sonido      Elle m’a donné le son
Y el abecedario                Et l’alphabet
Con él las palabras           Avec lui les mots» »
Violeta Parra

C’est la rentrée !

« Gracias à la vida » est une chanson d’amour souvent chanté par Mercedes Sosa la célèbre chanteuse argentine ou par Joan Baez la chanteuse américaine à la voix de velours. Et même une fois <par les deux>.

Mais cette chanson a été écrite et mise en musique par Violeta Parra, une immense chanteuse chilienne. Une de ses dernières chansons. Elle l’a enregistrée sur son dernier album en 1966. Le 5 février 1967, à quarante-neuf ans, et après plusieurs tentatives ratées, Violeta Parra met fin à ses jours. <Un billet sur un autre blog parle de cette magnifique chanson et de son auteure>

Quel lien entre l’école et cette chanson ?

Dans la 3ème strophe, l’auteur remercie la vie d’avoir donné le « son » pour parler, « l’alphabet » pour écrire et « les mots » pour s’exprimer. Et c’est la première mission de l’école apprendre à s’exprimer, à réfléchir, à s’interroger grâce aux mots.

Oui ; merci à la vie de nous avoir donné cela et de nous avoir donné l’école.

Quelquefois quand mes enfants trouvaient qu’aller à l’école était bien embêtant et contraignant, je leur répétais que le contraire de l’école n’était pas le jeu, mais le travail. Le travail des enfants qui existe encore dans trop de pays dans le monde. L’école permet d’émanciper les enfants, de les libérer, de leur permettre de se construire.

Ce n’est pas moi mais Véronique Decker, directrice de l’école Marie Curie de Bobigny qui a fait ce lien, à la fin de l’émission de France Culture de ce samedi dans laquelle elle était invitée pour parler de la rentrée scolaire.

Dans cette émission elle a notamment exprimé la chose suivante :

« J’ai un regard très critique sur tous ces zigzags.
Je suis directrice de cette école depuis 2000, cela fait 17 ans que je suis là.
En 17 ans j’ai tout vu, tout vécu, et chaque fois il a fallu s’adapter à des procédures qui n’ont jamais de durée :
On a eu des emplois jeunes, on a eu des auxiliaires de vie scolaire, on a eu des emplois de vie scolaire, on a eu des assistantes d’éducation.
Un 31 août on m’a dit d’annoncer aux assistantes d’éducation que leurs contrats n’étaient pas renouvelés, il y a quelques années. On avait 4 personnes qui nous aidaient dans l’école et du jour au lendemain plus personne.
A un moment j’ai eu une secrétaire, à un moment je n’ai plus eu de secrétaire, à un moment j’ai eu une secrétaire, à un autre moment je n’ai plus eu de secrétaire, et là j’en ai une. Tout va bien !
Ce qui est usant c’est qu’on a le sentiment que beaucoup d’argent parfois est dépensé pour faire des annonces qui ne sont pas celles de nos demandes. »

Elle insiste, par exemple, sur le fait qu’il n’y a presque plus de médecins scolaires en Seine Saint Denis qui est pourtant le département où probablement il serait le plus nécessaire d’en avoir.

Je vous conseille d’écouter <cette émission> où elle exprime très simplement et très pédagogiquement les problèmes auxquels l’école doit faire face et la manière « hors sol » avec laquelle les technocrates lancent des idées et des réformes qui ne répondent pas aux questions qui se posent.

Véronique Decker est une militante de l’école Freinet. Elle a écrit deux livres : « Trop classe ! Enseigner dans le 9-3 » en 2016 et « L’école du peuple » en 2017.

Vous trouverez derrière <Ce lien> un article sur le premier de ces livres et un entretien avec Véronique Decker qui dit notamment :

« Chaque école Freinet a sa particularité et son histoire. Ce qui nous caractérise c’est qu’on a monté cette école Freinet sans aucune aide. Par exemple, sans aide au mouvement particulière. On a fait une école ordinaire qui fonctionne selon les règles du mouvement ordinaire. Du coup il n’y a pas que des militants Freinet dans l’école. Les gens disent qu’on est une école Freinet . Mais nous on préfère parler d’une école avec des militants Freinet. Ce sont des enseignants militants qui ont choisi de venir enseigner là. Ce qu’on partage ce n’est pas tant des techniques Freinet que des valeurs morales. »

Plus loin dans cet article elle explique :

« Je vois le plancher social s’effondrer à la hauteur des enfants.  Nous voyons des choses qu’on n’imaginait pas possible il y quelques années. Par exemple, des enfants qui ont faim. Des familles en errance. On a des enfants qui démarrent un CP dans le Tarn et Garonne, puis partent chez une tante à Lille. Puis vont dans le 93 pour 3 mois. A la fin de l’année, l’enfant a fait des bouts de CP mais il ne sait rien. Il y a 10 ans des parents à la rue avec 5 enfants auraient obtenu un logement passerelle en raison des 5 enfants. Maintenant ces enfants déscolarisés de fait ne déclenchent plus des services sociaux qui d’ailleurs sont submergés.

Il ya 10 ans on rencontrait les assistantes sociales tous les trimestres et on leur adressait des enfants. Maintenant il faut des semaines pour avoir un rendez vous et elles n’ont plus rien dans les mains. Les gens sont en train de se replier physiquement et psychiquement. Et dans nos écoles on voit émerger des pathologies et des souffrances dont les enfants sont les premières victimes.

On a essayé de médiatiser cela en vain. Mais on se heurte à l’indifférence et au repli. Chacun pense qu’il peut s’en sortir seul. J’ai l’impression que la guerre arrive. Qu’on va vers le désastre. Rien n’est fait pour nous sauver. Ce n’est pas l’ascenseur social qui est en panne mais le plancher social qui est troué. »

Elle explique cependant qu’il reste encore de belles journées

« On les  appelle des « moments champagne ». Ce sont ces moments où les enfants progressent. Par exemple, le dernier moment que j’ai vécu c’était à un moment où je devais faire face à deux absences d’enseignants non remplacées. J’ai installé les enfants dans le préau devant mon bureau et je leur ai donné un test départemental à faire. Sans professeurs ils se sont entraidés. Je les regardais et je voyais une ruche bruissante, avec des enfants appliqués. L’ambiance était très sympathique Freinet c’est ça pour moi : que les enfants apprennent sans avoir besoin d’un policier pour les contraindre. Qu’ils soient conscients des enjeux. Ils ont fait la tache. C’était une vraie victoire. Champagne ! »

<Slate a consacré un article au second ouvrage « L’école du Peuple »>. Le titre de cet article : « Une enseignante extraordinaire raconte ce que les enfants et les familles vivent aujourd’hui »

<Médiapart a aussi consacré un article à cet ouvrage> (mais il faut être abonné)

Et Le Monde lui a consacré dans sa série « Ceux qui font » un article qu’il a intitulé « Véronique Decker, enseignante de combat »

Cet article débute ainsi :

« Mais où puise-t-elle toute cette énergie ? Véronique Decker, 63 ans, peut virevolter sur une paire de rollers pour la répétition de la fête de fin d’année en répondant au téléphone à une mère d’élève au sujet d’une absence puis, sans transition, raccrocher et reprendre sa leçon de géométrie improvisée afin d’expliquer au gamin de CM2 (cours moyen supérieur) qui l’écoute comment bien positionner ses pieds. Elle avance une réponse : « Directrice d’école, c’est être multitâches. » Et après un court instant : « Et avoir la capacité en permanence de passer d’une chose à l’autre. » Elle complétera plus tard : « C’est aussi monter des procédures sans cesse, qui s’effondrent sans arrêt. » Avant d’ajouter, avec un geste de la main : « C’est super varié comme métier. Elle rit, désigne un nuage, puis un autre. Chaque matin, tu ne sais jamais par quel côté les ennuis vont arriver ! » Le ton est donné. Véronique Decker est ainsi, elle donne le tournis. »

Cette femme, au terme de sa carrière qui voit et décrit la misère sociale de ses élèves, les problèmes de l’école reste une femme pleine d’énergie et de courage pour affronter la réalité, faire bouger les choses.

Et elle s’émeut devant cette chanson de gratitude : « Gracias à la vida »

<Derrière ce lien vous entendrez Violetta Parra chanter Gracias à la visa>

Il me semble que malgré Mercedes Sosa, malgré Joan Baez, c’est l’interprétation la plus bouleversante.

Voici le texte intégral de la chanson et sa traduction trouvée sur le site suivant ;

<http://www.paroles-musique.com>

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me dio dos luceros
Que cuando los abro
Perfecto distingo
Lo negro del blanco
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Y en las multitudes
El hombre que yo amo.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado el oído
Que en todo su ancho
Graba noche y día
Grillos y canarios
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos
Y la voz tan tierna de mi bien amado.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado el sonido
Y el abecedario
Con él las palabras
Que pienso y declaro
« madre, amigo, hermano »
Y luz alumbrando la ruta del alma del que estoy amando

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado la marcha
De mis pies cansados
Con ellos anduve
Ciudades y charcos
Playas y desiertos, montañas y llanos

Y la casa tuya, tu calle y tu patio.

Gracias a la vida
Que ma ha dado tanto
Me dio el corazón
Que agita su marco
Cuando miro el fruto
Del cerebro humano
Cuando miro el bueno tan lejos del malo
Cuando miro el fondo de tus ojos claros.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado las risas
Y me ha dado el llanto
Así yo distingo
Dicha de quebranto
Los dos materiales que forman mi canto
El canto de todos que es el mismo canto
El canto de todos que es mi propio canto

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné deux étoiles
Et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement
Le noir du blanc
Et en haut du ciel son fond étoilé
Et parmi la multitude
L’homme que j’aime

Merci à la vie
Qui m’a tant donné

Elle m’a donné l’ouïe
Qui dans toute son amplitude
Enregistre nuit et jour
grillons et canaris
Marteaux, turbines, aboiements, averses
Et la voix si tendre de mon bien-aimé

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné le son
Et l’alphabet
Avec lui les mots
Que je pense et déclare
 »mère, ami, frère »
et lumière qui éclaire le chemin de l’âme de celui que j’aime

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné la marche
De mes pieds fatigués
Avec eux j’ai parcouru
des villes et des flaques d’eau
des plages et des déserts, des montagnes et des plaines
Et ta maison, ta rue et ta cour

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné un cœur
Qui vibre
Quand je regarde le fruit
Du cerveau humain
Quand je regarde le bien si éloigné du mal
Quand je regarde le fond de tes yeux clairs

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné le rire
Et elle m’a donné les pleurs
Ainsi je le distingue
bonheur et déchirement
les deux matériaux qui composent mon chant
et votre chant à vous qui est le même chant
et le chant de tous qui est mon propre chant.

<920>

Une réflexion au sujet de « Lundi 4 septembre 2017 »

  • 4 septembre 2017 à 5 h 49 min
    Permalink

    Merci Alain de m’avoir permis de connaître cette professeure incroyable.
    Bonne journée et à bientôt.
    Patrick

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