Lundi 10 octobre 2016

Lundi 10 octobre 2016
« Faussaires de génie »
Wolfgang et Hélène Beltracchi
Plusieurs articles évoquent ce sujet d’actualité dans le monde de l’Art : des musées, Sotheby’s, des experts auraient été abusés et des dizaines de tableaux présentés comme des tableaux de maître : de Frans Hals ou de Lucas Cranach seraient des faux : http://www.latribunedelart.com/adoubes-par-de-grands-musees-plusieurs-tableaux-soupconnes-d-etre-faux ou https://fr.sputniknews.com/societe/201610031028029289-tableau-faux/
Ces scandales montrent la place qu’a prise l’argent dans le monde de l’art, apportant avec lui toujours son lot de perversité et de tromperie.
Cette actualité m’a fait penser au destin d’un couple de faussaires qui ont agi plusieurs années sur ce marché.
<Faussaires de génie> est un livre paru en 2015 où un artiste et son épouse, mot que je préfère à celui de faussaire, racontent de manière autobiographique leurs années de flamboyance où ils ont trompé le monde de l’art. Plutôt que monde de l’art, il serait plus juste de parler du business de l’art. En effet, des années durant, Wolfgang et Hélène Beltracchi leurrent le monde de l’art (experts, galeristes, collectionneurs) en créant des tableaux qu’il signe Max Ernst, Georges Braque, André Derain, Fernand Léger pour n’en citer que quelques-uns. Son stratagème ? S’imprégner du style du maître et peindre des tableaux n’ayant jamais existé ! Sa femme Helene l’aide avec culot et raffinement. Le marché a besoin de marchandise. 
Né en 1951, Beltracchi est initié, très jeune déjà, à la peinture par son père. Après quelques études artistiques, le jeune homme parcourt le monde, mène une vie de bohème, où alcool et drogues font partie de son quotidien. En même temps, il multiplie les visites de musées, les rencontres et les lectures. Son activité de faussaire démarre d’abord par quelques petits trafics, puis c’est avec Helene dont il tombe fou amoureux dès le premier regard que l’entreprise prend tout son ampleur. Il peint, elle se charge de vendre les tableaux par les circuits professionnels. Ils gagnent beaucoup d’argent, voyagent de longs mois, achètent des propriétés. Jusqu’au jour où tout s’écroule. Parce que Beltracchi a commis une négligence.
La négligence commise est l’utilisation par Beltracchi d’un pigment « le blanc de titane » qui ne serait apparu qu’aux environs des années 1950 alors que la toile était datée de 1914. C’est un laboratoire scientifique, non les experts qui a découvert la supercherie. En 2010, un procès révèle au monde entier l’incroyable supercherie
Ont-ils des regrets ? Helene répond :
«On est en démocratie, il y a des règles. Si on commet une faute, il est normal d’être puni.»
Wolfgang acquiesce :
«Oui, c’est OK. Mais je tiens à dire quand même que je n’ai pas fait de copies. J’ai créé des œuvres en m’inspirant du style des artistes. J’ai beaucoup travaillé, j’ai fait des tas de recherches dans les livres d’art et les catalogues.»
C’était là toute l’astuce du faussaire : repérant des œuvres réputées disparues, il les faisait revivre à sa façon. Son principal gisement fut les catalogues de la galerie d’un juif allemand, Alfred Flechtheim. Ayant fui Berlin dès 1933, ce grand amateur d’art mourut à Londres en 1937. Les Beltracchi imaginent alors un scénario, assurant aux marchands et galeristes que les tableaux qu’ils leur vendaient avaient été acquis par le grand-père d’Helene.
[…]  Leur procès les a rendus stars. Dans la presse allemande, Wolfgang le facétieux a été surnommé « Till l’Espiègle », quotidiens et magazines publiant à la une les photos du couple qui s’enlaçait tendrement avant de prendre place sur le banc des accusés.  
La sortie de leur autobiographie, « Faussaires de génie », les a placés à nouveau sous les projecteurs. […] sur le conseil de leur avocat, il a fallu faire des coupes. Pourquoi ? Helene affirme :
«Des collectionneurs possèdent encore des tableaux de Wolfgang, ils ne veulent pas les déclarer comme des faux. Il y en a même qui en ont revendu à d’autres amateurs et, chaque fois, les prix montent.»
La remarque amuse Wolfgang. Quand on lui demande si sa principale motivation n’a pas été de faire du fric, il rétorque, dans un franglais imparfait :
«Au premier rang, le marché de l’art, c’est du business, au dernier rang, c’est encore du business. Alors, l’argent, oui, j’en ai gagné mais ce qui m’intéressait surtout, c’était de me glisser dans la peau des peintres. J’ai fait les tableaux qu’ils rêvaient peut-être de faire. Je les ai peints avec le plus grand soin.»
Aujourd’hui il cherche à peindre sous son propre nom et trouve des galeries qui l’exposent mais l’article ajoute : «Avouons cependant qu’il semble avoir du mal à trouver un style réel.»