Mardi 10 septembre 2013

Mardi 10 septembre 2013
«L’Histoire nous appartient et ce sont les peuples qui la font»
Salvador Allende
Demain nous sommes le 11 septembre.
Nous nous nous souvenons tous du 11 septembre 2001.
Mais il y a 40 ans en 1973, un autre évènement a eu lieu le 11 septembre. Lors de cet évènement les Etats Unis n’étaient pas du côté des victimes…
Augusto Pinochet et l’armée chilienne aidée par la CIA ont renversé Salvador Allende élu démocratiquement par le peuple chilien.
J’ai eu le privilège de rencontrer, dans le cadre professionnel à Paris, un exilé chilien. Après un long échange sur ces évènements, il m’avait parlé avec beaucoup d’émotion du dernier discours de Salvador Allende avant de mourir. Il me l’avait décrit comme un des plus extraordinaires discours politique qu’il n’ait jamais entendu alliant une lucidité sans faille à un esprit visionnaire.
Je voudrais partager avec vous cet instant d’Histoire avec un homme remarquable.
Sergio Letellier, qui était le chilien que j’ai rencontré, m’a rapporté que Salvador Allende a prononcé ce discours d’un ton calme et presque détaché.
Quel courage, quelle intelligence !
Le dernier discours de Salvador Allende le 11 septembre 1973 :
« Mes amis,
C’est certainement la dernière fois que j’aurai à m’adresser à vous. La force aérienne a bombardé les tours de Radio Portales et de Radio Corporación. Mes paroles ne sont pas marquées d’amertume mais de déception, et seront le châtiment moral de ceux qui ont trahi leur serment : les soldats du Chili, les commandants en chef titulaires et l’amiral Merino, qui s’est promu lui-même, sans oublier Monsieur Mendoza, général perfide qui, hier encore, manifestait sa fidélité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd’hui vient de s’autoproclamer directeur général des carabiniers.
Devant ces faits, il n’y a qu’une seule chose que je puisse dire aux travailleurs : je ne démissionnerai pas ! Placé à un tournant historique, je paierai de ma vie la loyauté du peuple. Et je suis certain que la semence déposée dans la conscience digne de milliers et de milliers de Chiliens ne pourra être arrachée pour toujours. Ils ont la force, ils pourront asservir, mais les processus sociaux ne s’arrêtent ni avec le crime ni avec la force.
L’histoire nous appartient et ce sont les peuples qui la font.
Travailleurs de ma patrie, je tiens à vous remercier de votre loyauté de toujours, de la confiance que vous avez déposée en un homme qui ne fut que l’interprète des grands désirs de justice, qui donna sa parole de respecter la Constitution et la loi, et qui l’a tenue.
Dans cet instant ultime, le dernier où je puisse m’adresser à vous, je vous demande que vous mettiez à profit cette leçon : le capital étranger et l’impérialisme, unis à la réaction, ont créé le climat pour que les forces armées rompent leur tradition, celle que leur enseigna le général Schneider et que réaffirma le commandant Araya, qui tombèrent victimes de la même couche sociale qui, aujourd’hui, attend bien au chaud qu’une main étrangère lui rende le pouvoir pour continuer à défendre ses profits et ses privilèges.
Je m’adresse tout d’abord à la modeste femme de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé davantage, à la mère qui a compris notre préoccupation pour les enfants.
Je m’adresse aux travailleurs des professions libérales qui ont eu une conduite patriotique, à ceux qui ont agi contre la sédition encouragée par les organisations corporatives, ordres de classe qui ne cherchent qu’à défendre les avantages que la société capitaliste n’accorde qu’à une poignée.
Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui chantèrent et communiquèrent leur joie et leur esprit de lutte.
Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à tous ceux qui seront persécutés… car dans notre pays le fascisme s’est déjà fait connaître depuis longtemps dans les attentats terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et les gazoducs, bénéficiant du silence de ceux qui avaient l’obligation d’assurer la défense… L’histoire les jugera !
Radio Magallanes sera sûrement réduite au silence, et le son tranquille de ma voix n’arrivera plus jusqu’à vous.
Peu importe, vous continuerez à l’entendre, je resterai toujours à vos côtés ; mon souvenir sera au moins celui d’un homme digne qui fut fidèle à la loyauté des travailleurs.
Le peuple doit se défendre, mais ne pas se sacrifier. Le peuple ne doit pas se laisser cribler ni écraser, mais il ne doit pas non plus se laisser humilier.
Travailleurs de ma patrie.
Je crois au Chili et en son destin. D’autres hommes sauront dépasser ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer. Allez de l’avant et sachez que dans un avenir plus proche que lointain s’ouvriront à nouveau les larges avenues par où s’avancera l’homme libre pour construire une société meilleure.
Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs !
Celles-ci sont mes dernières paroles.
J’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas inutile ; j’ai la certitude qu’il sera tout au moins une leçon morale pour châtier la félonie, la couardise et la trahison.
Salvador Allende »