Lundi 9 décembre 2019

«Réaliste, indestructible et révolutionnaire dans un monde uniformément fade et mécanisé»
Philippe Sollers en évoquant Martha Argerich

Cette saison, c’est la fête des pianistes exceptionnels à l’Auditorium de Lyon.

Il ne manque que Grigory Sokolov.

Daniel Barenboïm est déjà venu en octobre.

Evgeni Kissin viendra en janvier et Murray Perahia en avril.

Et ce dimanche, 8 décembre, Martha Argerich était là.

Et c’est quelque chose qu’elle soit là, tant il est vrai qu’il lui arrive de renoncer à venir quand elle ne se sent pas prête.

C’est au moins sa réputation.

<Wikipedia> affirme :

« Elle n’a jamais été poursuivie en rupture de contrat simplement parce que, jalouse de son indépendance, elle n’en a jamais signé. »

Si cette affirmation est exacte, il faut être Martha Argerich pour être programmée dans un concert, sans que l’organisateur ne dispose d’un contrat solide avec l’artiste et accepte cette incertitude.

Mais quand elle est présente, la prestation tient de l’exception.

Elle arrive même à convaincre que le concerto de piano n°1 que Beethoven a composé à 25 ans, encore bien éloigné de sa maturité, constitue un chef d’œuvre.

En me replongeant dans sa biographie, j’ai appris que ce même 1er concerto de Beethoven qu’elle a interprété à Lyon était aussi au programme de son premier concert à Buenos Aires où elle est née en 1941.

Lors de ce premier concert elle avait 8 ans !

Elle a commencé le piano vers 4 ans et à le travailler vraiment à 5 ans.

Elle ne voulait pas devenir pianiste, elle voulait devenir médecin. Ses parents ont certainement insisté beaucoup.

L’Express dans un article de 2000 : « Le jour où Martha Argerich osa jouer » raconte :

« Il était une fois à Buenos Aires une petite fille de 2 ans et 8 mois qui se planta devant un piano et reproduisit instantanément l’air que fredonnait sa puéricultrice, parce qu’un petit camarade venait de lui dire: «T’es pas cap’ de jouer du piano.» Mais, cinquante-six ans plus tard, Martha Argerich n’en finit pas de regretter d’avoir relevé ce défi. «J’aime jouer du piano mais je déteste être pianiste», ne cesse-t-elle de répéter. Elle est sans doute la pianiste la plus inspirée et la plus torturée de notre époque. Si elle figure simplement en bonne place dans le hit-parade des concerts annulés, elle est la seule à refuser de se produire seule sur une scène, depuis dix-neuf ans. Plus exactement était, car, le 25 mars dernier, elle se résignait enfin à offrir un récital au public enthousiaste de Carnegie Hall. »

Cet article apporte une autre information, Martha Argerich ne veut plus jouer seul sur scène, elle a toujours besoin de partager la musique avec des amis.

Ce dimanche, elle a d’abord joué de la musique pour deux pianos avec un autre pianiste né à Buenos Aires : Eduardo Hubert.

Le concerto de Beethoven, elle l’a jouée avec un orchestre de chambre hongrois remarquable : L’orchestre de chambre Franz-Liszt de Budapest dirigé par Gabor Takacs-Nagy.

Ce concert new-yorkais dont parle l’Express et qui était donc une exception depuis 19 ans et qui l’est redevenue depuis, était tout à fait particulier.

En 1990, Martha Argerich a été atteint par le cancer : un mélanome. Elle avait été traitée avec succès. Malheureusement, elle a rechuté en 1995 avec des métastases pulmonaires et un envahissement des ganglions lymphatiques. Un nouveau traitement institué au John Wayne Cancer Institute lui a permis d’obtenir une nouvelle rémission. Et le concert de Carnegie Hall était organisé au profit du John Wayne Cancer Institute de Santa Monica (Californie), dirigé par le Dr Morton, qui a su traiter la grave affection cancéreuse dont elle souffre.

Martha Argerich est donc une survivante qui défie les statistiques morbides des récidives cancéreuses et de leurs complications métastasiques.

Quand elle joue sur scène, on voit son plaisir, son espièglerie à faire de la musique avec d’autres avec une technique sans faille et une émotion à fleur de peau.

J’ai aussi emprunté à l’article de l’express l’exergue de ce mot du jour. C’est un portrait littéraire de Martha Argerich écrit par Philippe Sollers «Réaliste, indestructible et révolutionnaire dans un monde uniformément fade et mécanisé», Et comme l’écrit le journaliste son jeu, toujours fidèle au texte de la partition, est d’une liberté et d’une spontanéité absolues, comme si la musique naissait sous ses doigts pour la première fois.

Martha Argerich fuit les journalistes et les interviews.

Et c’est donc quasi inespéré de la voir simple, attachante dans un documentaire tourné en 1972 par la <Télévision Suisse> à l’époque où elle était mariée avec le chef Charles Dutoit.

Un autre documentaire plus court sur <Euronews> la montre en Italie, en 2012, alors qu’elle prépare un concert avec Antonio Pappano.

Sur la page de présentation de ce documentaire, on lit :

« La pianiste virtuose a fait chavirer Rome dernièrement en interprétant le Concerto de Schumann aux côtés de musiciens qu’elle estime exceptionnels : […] Farouchement attachée à son indépendance, rejetant les règles imposées par la carrière et la célébrité, Martha Argerich n’interprète pas la musique, elle l’incarne. “Il est impossible de séparer la personne de la musicienne : elle est la musique,” affirme le chef Antonio Pappano […] Pour Martha, la musique n’a de sens que si elle est partagée. Insoumise et courageuse, la virtuose a lutté toute sa vie contre la solitude. “Friedrich Gulda m’avait dit : “il faut que tu apprennes tout avant 16 ans parce qu’après on devient un peu stupide,” raconte la musicienne, “je trouvais que je menais la vie d’une personne de quarante ans quand j’en avais 17 et je voulais vivre la vie des jeunes étudiants de mon âge qui étaient libres, qui s’amusaient un peu, qui n’avaient pas le trac et qui n’avaient pas ces problèmes. Je trouvais que ma vie était triste,” poursuit-elle, “je faisais des voyages, seule, j’étais très timide, je suis très timide parce que je crois que cela, on ne le perd pas !” lance-t-elle avant de souligner : “à présent, il y a des amis partout, alors on prend soin de moi.” »

Et puis il faut voir Martha Argerich jouer :

Très jeune <La polonaise héroïque> de Chopin.

Et en 2010, à Varsovie avec un orchestre polonais <le concerto n°1 de Chopin>. Il est rare qu’un musicien classique affiche plus de 2 800 000 vues sur youtube.

A Leipzig, <le concerto de piano de Schumann> dans une interprétation lumineuse.

Et des plus petites pièces : <Une petite œuvre de Bach> dans laquelle, elle excelle.

Et un de ses bis fétiches <la sonate K141 de Scarlatti> dans laquelle s’exprime sa virtuosité.

Et pour finir France musique qui pose la question <Peut-on percer le mystère Martha Argerich ?>

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