La mission des policiers est compliquée et indispensable dans un État de Droit.
Lors des manifestations des gilets jaunes, j’avais rédigé un mot du jour le <10 décembre 2018> dans lequel je citais un article qui rapportait les violences auxquels les policières et policiers avaient à faire face.
J’avais écrit alors : « Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon. »
Et c’est exactement ce qui est arrivé à quatre fonctionnaires de police, le 8 octobre 2016, quand ils ont été agressés par plusieurs personnes à Viry-Châtillon en Essonne.
<France Info> donne un résumé de l’affaire.
« La tension était vive dans la ville après l’installation d’une caméra pour surveiller un endroit où de nombreux vols avaient lieu. De passage, deux véhicules de police ont alors été attaqués à coups de pierres et de cocktails molotov par une vingtaine de personnes masquées. Les voitures ont pris feu mais, aidés par des habitants, les quatre policiers sont parvenus à s’en sortir. Ils ont été blessés, l’un d’entre eux a été grièvement brûlé. »
Son <pronostic vital> avait été engagé
L’enquête avait été difficile pour retrouver la trace des responsables. Près d’un millier de personnes ont été interrogées mais la loi du silence s’est installée. Au final, 13 jeunes âgés de 19 à 24 ans avaient été envoyés devant la Cour d’assises.
Huit des treize accusés étaient condamnés, en 2019, à des peines allant de 10 à 20 ans de prison, les 5 autres étaient acquittés faute de preuves. Mais, le Parquet, qui avait requis de 20 à 30 ans de prison, avait fait appel. <Wikipedia> donne davantage de détails.
Le procès en appel a eu lieu. Et en avril 2021, à l’issue de 14 heures de délibération et six semaines d’audience à huis clos, cinq condamnés ont été reconnus coupables de tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique.
Trois ont été condamnés à 18 ans de prison, un autre à 8 ans de prison, et le dernier à 6 ans. Ils encouraient la réclusion criminelle à perpétuité. Le nombre d’acquittés est passé de cinq à huit.
Un avocat des victimes <a déclaré>, à l’issue du procès,
« Nous venons d’assister à un naufrage judiciaire (…) alors que l’on sait qu’il y avait 16 assaillants, on se retrouve avec cinq condamnations »
Il est nécessaire de protéger nos policiers et de sanctionner sans trembler ceux qui les attaquent et plus encore ceux qui mettent leur vie en danger.
Mais il faut que ceux qui sont condamnés soient avec certitude les coupables.
Or « Mediapart » vient de dévoiler qu’au moins pour un des condamnés du premier procès et acquitté du second, les preuves n’existaient pas et qu’il y a eu parmi les enquêteurs des personnes qui n’ont pas eu un comportement éthique.
<L’article> de Mediapart est en accès libre.
Je partage ci-après, le résumé qu’en a fait Claude Askolovitch lors d’une ses <revue de presse>
« Un jeune homme innocent qui pourtant a passé quatre années et trois mois en prison, condamné en première instance pour un crime scandaleux, un piège tendu à des policiers qui auraient pu bruler vifs en octobre 2016 à Viry-Châtillon – mais il a été acquitté en appel dimanche par la Cour d’Assises de Paris, le dossier d’accusation finalement ne tenait pas…
Et ce matin, Mediapart affirme que ce dossier avait été initialement manipulé contre le jeune homme par des policiers enquêteurs, qui aurait transmis à la justice une version tronquée de son interrogatoire en garde à vue, que Mediapart a pu visionner… Ce serait là le vrai scandale du procès en appel de l’agression de Viry-Châtillon, dont le verdict, cinq condamnations et huit acquittement, jugé trop clément par des organisations de policiers et des politiques, provoque des débats et hier des manifestations -mais cette clémence en fait serait une réparation.
Nous sommes en janvier 2017, devant des policiers qui le traitent de con, qui lui disent qu’il n’assume pas, Foued -ainsi Mediapart rebaptise le jeune homme pour garantir son anonymat- Foued, donc jure son innocence, cent fois, dit le journal, mais il finit par craquer, un instant, sous la pression conjuguées des policiers et -étonnamment- de son avocat de l’époque, commis d’office, qui contribue à faire perdre sa lucidité au jeune homme, il lui suggère qu’il est victime d’un black-out, qu’il a participé au guet-apens mais qu’il l’a occulté, ces choses-là arrivent, tiens, c’est arrivé à un de ses clients…
Alors Foued se prend la tête, “Mon Dieu, comment vient ce phénomène…”… et quelques minutes plus tard, interrogé par les policiers, il répond : « Je ne m’en souviens pas une seconde si je l’ai faite ou pas. » Et cette phrase se retrouvera dans le dossier transmis à la justice… mais pas celles-ci, qui montrent un jeune homme sur le point de perdre la raison. « Je vais être fou. Il reste une boule en moi. Je ne sais pas c’est quoi. Dans ma tête, je ne l’ai pas fait. Si je dis que je l’ai fait, si je vous le dis, la boule va rester parce que dans ma tête je ne l’ai pas fait. »
Foued avait été condamné à 18 ans de prison dans le premier procès aux assises, la cour disait que Foued avait « implicitement admis de façon très ambiguë avoir pu participer aux faits”, le procès en appel a balayé ceci pour innocenter le jeune homme, il dit à Mediapart que les enquêteurs ne cherchaient pas les coupables mais des coupables. »
La Justice n’est pas la vengeance, surtout pas la vengeance aveugle.
Dans un État de droit, nos valeurs nous poussent à préférer qu’il puisse exister un coupable en liberté qu’un innocent condamné.
Mais je laisserai le mot de fin à Voltaire :
« Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. […] C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent »
Zadig ou La destinée – Histoire orientale, Chapitre VI, Le Ministre.
Le mot de jour sera en congé les deux prochaines semaines. Il reviendra le 7 juin.
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