Mardi 14 Juin 2016

Mardi 14 Juin 2016
«En haut on parle technique et en bas on ressent le changement du monde et on ressent l’absence de perspective à l’égard de ce changement.»
Marcel Gauchet dans les matins de France Culture du 30/05/2016
Pour continuer à entendre des gens raisonnables parler de la loi travail, Marcel Gauchet était l’invité de l’émission <les matins de France Culture>
Dans cette émission, on a fait écouter à  Marcel Gauchet un extrait de l’émission où Alain Touraine exprimait sa colère et dont nous avons parlé hier.
Marcel Gauchet disait sa convergence de vue avec cette analyse et expliquait combien en France la valeur travail qui s’était reconstituée dans le monde industriel était importante en France et combien la désindustrialisation est vécue comme un cauchemar par beaucoup.
Et il dit :
« La technocratie est totalement décalée par rapport à ces enjeux, pour la technocratie, il s’agit de problèmes techniques, mais l’enjeu n’est jamais mesuré.
Et c’est ce qui fait la récurrence de ces conflits. On ne parle pas de la même chose en haut et en bas !
En haut on parle technique et en bas on ressent le changement du monde, et on ressent l’absence de perspective à l’égard de ce changement, on ne nous promet rien, il n’y a aucune perspective d’ensemble qui se dégage des mesures qui sont prises.
Ce sont des ajustements qui ne paraissent avoir aucune prise sur la réalité du mouvement social en cours.
La France a en effet une attitude singulière par rapport aux autres pays, qui tient à des racines particulièrement fortes et qui tient aussi à un divorce entre l’élite gouvernante et la population [..] qui a la perception d’une mondialisation aux effets particulièrement destructeurs»
Et surtout il montre l’aspect simplement défensif : on dit Non et on ne sait plus à quoi dire Oui !
«Ce qui est très frappant dans ces mouvements c’est leur caractère défensif. Et je dirais défaitiste. On ne part pas sur la base d’un projet contre-projet qu’il s’agirait de débattre
Mais sur la base d’un empêchement d’agir de la part des gouvernants.
C’est un mot d’ordre de résistance, d’une résistance à un changement où on se résigne finalement puisqu’on n’a pas de contre-projet à mettre en face.
On est dans une société qui est arc bouté dans une identité qu’elle ne veut pas perdre car elle a la conviction que ça ne peut être que pire.
Et c’est cela qui est le plus désespérant dans ces mouvements, car le sentiment est que le mouvement va dans l’aggravation de ce qui existe déjà.
On n’est plus dans la lutte sociale qui était la lutte pour un avenir meilleur, on est dans la résistance dans un avenir qui ne peut être que pire que le présent que nous vivons.
Pendant longtemps on avait face à face un parti de l’ordre qui s’efforçait de céder le moins possible aux revendications sociales en maintenant l’ordre social et un parti de la révolution qui voulait remettre en cause l’ordre établi. C’était des conflits collectifs.
Nous sommes entrés dans un marché individuel des intérêts où tout le monde est fondé à défendre « son bout de gras » comme on dit populairement et où à l’arrivée il s’agit d’opérer une sorte de compromis entre les intérêts des uns et des autres. C’est un scénario totalement différent.»
Il parle ensuite du vide intersidéral des partis politiques français et des immenses carences de l’Europe qui n’a plus aucune vision stratégique de la place et du rôle que l’Europe doit jouer dans le monde d’aujourd’hui et de demain :
«Il serait temps de se réveiller, de voir le monde tel qu’il est et de se mettre d’accord sur ce que nous devons y entreprendre.
Toutes les discussions qui se basent sur les acquis sont dépassées par la situation et nécessitent que les choses soient reprises à la racine.
Un pouvoir politique doit avoir un projet pour la société.
La grande question est de choisir si on laisse la société se débrouiller toute seule ou s’il faut encore faire de la politique pour faire avancer la société.
L’autre question est d’essayer de comprendre pourquoi la France est si réticente à se réformer, c’est que probablement la réforme manque de sens.
Au centre de la réflexion politique doit être débattue la question de savoir quelles sont les conditions qu’il faut réaliser pour que des réformes nécessaires et utiles peuvent être acceptées par le corps social.»
Quand on a l’ambition d’être un réformateur, il faut avoir un projet, savoir l’expliquer, convaincre qu’il est réaliste puis faire les réformes qui sont en cohérence avec ce projet.
<En Juin 2011, François Hollande n’était pas encore président et il a écrit dans une tribune :> «S’il n’y a pas au départ des engagements qui permettent de comprendre quel va être le sens de l’action, le rythme des réalisations et la façon dont les urgences vont être hiérarchisées, elle (la gauche) sera emportée par l’ampleur des problèmes. À l’inverse, la clarté, la vérité et la responsabilité seront les gages de notre réussite».
Cela rappelle la définition d’un projet.
Mais a t’il su suivre ses bons conseils ?