Mercredi 15 Juin 2016
«la réforme du droit du travail voulue et imposée par le gouvernement Valls est le minimum de ce qu’il faut faire»
Jean-Claude Juncker
Pour ce troisième éclairage sur la Loi travail je suis allé chercher mes sources dans le FIGARO, derrière ces liens :
Et qu’apprenons-nous grâce à la journaliste Coralie Delaume ?
Juncker […] a trouvé judicieux, dans un récent entretien au journal Le Monde de formuler ces quelques regrets: «à voir les réactions que suscite la «loi travail», je n’ose pas m’imaginer quelle aurait été la réaction de la rue, à Paris ou à Marseille, si votre pays avait dû appliquer des réformes comme celles qui ont été imposées aux Grecs». Ah, ces Français rétifs! Comme il est dommage de ne pouvoir vitrifier leur économie avec cette même brutalité joyeuse dont on a usé contre l’économie grecque!
Ceci dit, rien n’est jamais perdu pour qui sait s’armer de patience. Durant l’été 2015, au cœur de la «crise grecque», le ministre hellène Yanis Varoufakis avait donné quelques clés pour comprendre la dureté des créanciers vis-à-vis de son pays. Selon lui, la véritable cible des «Européens» (et de l’Allemagne, plus encore que de l’Europe institutionnelle) était en fait l’Hexagone. «La Grèce est un laboratoire de l’austérité, où le mémorandum est expérimenté avant d’être exporté. La crainte du Grexit vise à faire tomber les résistances françaises, ni plus ni moins», avait-il osé. Pour lui, les cibles terminales étaient l’État-providence et le droit du travail français.
Or pour Jean-Claude Juncker, il se trouve que «la réforme du droit du travail voulue et imposée par le gouvernement Valls est le minimum de ce qu’il faut faire». Le minimum seulement. Et, avec un peu de chance, de constance et d’audace, une simple étape vers ce rêve éveillé que constitue l’idéal grec! […]
«La loi El Khomri c’est la faute à l’Europe», affirme sur son blog Jean-Luc Mélenchon.
Pour autant, Mélenchon n’exagérait-il pas en écrivant cela? De son côté, l’économiste Frédéric Farah ne caricaturait-il pas en expliquant à son tour: «comprenons-bien que la loi El Khomri a l’euro pour père, et pour mère la stratégie de Lisbonne de mars 2000»? Ne cédait-il pas à la facilité de «faire de l’Europe un bouc émissaire», selon l’expression consacrée?
Hélas, ni l’un ni l’autre n’affabulait ni ne ‘’bouc-émissairisait ». Cette «Loi travail», nous la devons effectivement, pour une bonne part, à notre appartenance communautaire. Pour s’en apercevoir, encore faut-il quitter un instant le terrain des grands principes sur lesquels s’affrontent généralement «européistes» et «eurosceptiques». Il faut ajuster son masque, chausser ses palmes et consentir à plonger dans les eaux froides de la technique. On découvre alors le pot-aux-roses: l’Europe, c’est l’apnée.
Il ne faut pas craindre de l’affirmer (d’autant moins qu’on ne risque guère d’être compris): la «Loi travail» nous vient des GOPE. Oui, des GOPE.
Les GOPE, ce sont les «Grandes Orientations de Politique Économique». Plus précisément, ce sont des documents préparés par la direction générale des affaires économiques de la Commission européenne. Conformément à l’article 121 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), ces documents sont ensuite transmis au conseil Ecofin (c’est à dire à la réunion des ministres européens de l’économie et des finances), puis au Conseil européen (les chefs d’État et de gouvernement). Après validation, les GOPE deviennent des recommandations du Conseil aux pays de l’Union et font l’objet d’un suivi. Toujours selon l’article 121, «le Conseil, sur la base de rapports présentés par la Commission, surveille l’évolution économique dans chacun des États membres». Cette «surveillance multilatérale» est rendue possible grâce aux informations généreusement fournies par les États à la Commission. Bref, un joli petit traité de servitude volontaire que le Traité sur le Fonctionnement de l’UE.
Au départ toutefois, les GOPE n’étaient que des textes vagues et peu engageants. Pour les rendre plus contraignants et dans l’espoir de donner enfin son plein potentiel à l’idée délicieuse de «surveillance multilatérale», la Commission de Bruxelles s’est chargée d’en accroître la portée au sein d’un document important publié en 1998, à la veille de la mise en place de l’euro.
Ce document intitulé Croissance et emploi dans le cadre de stabilité de l’Union économique et monétaire s’intéresse au tout premier chef – comme son nom l’indique – à la question du marché du travail et à l’emploi. Il confère un rôle central aux GOPE et indique de manière claire ce qu’elles doivent contenir, en égrenant l’une derrière l’autre ces formules bien connues au doux parfum de schlague: «stabilité des prix», «assainissement des finances publiques», «modération des salaires nominaux», «renforcement des incitations à la discipline salariale». Bref, toute la panoplie.
Depuis qu’elles existent, les GOPE ont toujours contenu des injonctions à réformer le marché du travail. Si l’on examine celles pour 2012 par exemple – parfaitement au hasard: il s’agit juste de l’année de l’élection de François Hollande – on voit que le Conseil recommande à la France de «revoir la législation, notamment la procédure administrative de licenciement». Ou de «veiller à ce que l’évolution du salaire minimum favorise l’emploi, notamment des jeunes, et la compétitivité», ce qui signifie, traduit du Volapük de Bruxelles en Français des Deux-Sèvres ou de Haute-Garonne, qu’il ne faut pas augmenter le SMIC. On notera au passage et juste pour rire qu’il est demandé la même année de «supprimer les restrictions injustifiées sur les professions (vétérinaires, taxis, notaires…) et secteurs réglementés»: bienvenue à toi, ô «loi Macron».
Tout cela n’étant pas encore suffisamment abstrus, il a fallu qu’on en rajoute. En mars 2000, on a donc mis en place la «stratégie de Lisbonne», dont l’objet était de faire advenir en Europe [roulements de tambours]: «l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale» [Fermez le ban].
La stratégie de Lisbonne – devenue depuis «stratégie Europe 2020» – se veut globale. Elle est surtout labyrinthique. Elle prétend faire superviser par les instances européennes tous les domaines de la vie de tous les pays. Et embrasser dans un même geste les questions liées aux marchés financiers, celles liées à l’éducation, les affaires de finances publiques, celles de protection sociale, de création de PME, d’emploi bien sûr, de veau-vache-cochon-couvée. On en passe, et pas des meilleures.
Plus on simule la scientificité, plus ça fait chic et plus on est crédible. Avec la stratégie de Lisbonne, on s’est donc doté d’outils nouveaux et hautement techniques. Pour suivre la question de l’emploi, on a ainsi adjoint aux GOPE les Lignes directrices pour l’emploi (LDE). Les deux ensemble, GOPE et LDE, sont regroupées dans les LDI (lignes directrices intégrées), dont le site de la Commission européenne nous dit ceci: «les lignes directrices intégrées déterminent le champ d’action des politiques des États membres et la direction à suivre dans la coordination de celles-ci. Elles servent de base aux recommandations par pays».
Aux recommandations par pays? Tiens donc. Et que recommande-t-on à la France, pour l’année 2016? […] Pour résumer, il est d’abord déploré que «la décélération récente des salaires réels reste insuffisante», que «la France affiche toujours des coûts salariaux parmi les plus élevés de la zone euro, principalement en raison «du niveau élevé des cotisations sociales patronales», ou que «les augmentations du SMIC induisent une compression des salaires vers le haut».
A titre de solution, il a ensuite proposé de «maintenir les réductions du coût du travail découlant du CICE», d’œuvrer à limiter davantage «les rigidités du marché du travail» (ce qui signifie qu’il faut faciliter le licenciement), de «faciliter, au niveau des entreprises, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail». Dans cette dernière formule, on reconnaît immédiatement l’inspiration des nombreuses dispositions prévues dans la loi El Khomri pour accroître le temps de travail des salariés, tout en rémunérant moins bien, dans certaines conditions, les heures supplémentaires. ( http://lentreprise.lexpress.fr/rh-management/droit-travail/13-mesures-cles-de-la-loi-travail_1791715.html ).
[…] La loi El Khomri est le résultat de tout cela, exactement comme le Jobs Act italien de 2015, et comme toutes les réformes du même acabit adoptées ces dernières années en Europe du Sud.
En tout état de cause, le gouvernement français a bien travaillé. Le commissaire Valdis Dombrovskis l’en a chaudement félicité lors d’une visite à Paris fin mars. Comme rapporté par le site spécialisé sur les questions européennes EurActiv, le vice-président de la Commission «à l’euro et au dialogue social» (sic) a salué la loi El Khomri comme une heureuse initiative «destinée à répondre aux rigidités du marché du travail, et qui devrait relancer l’emploi».
Je rappelle que ce texte se trouve sur le site du FIGARO que je pensais être un journal libéral.
Le ton et l’esprit sont très polémiques, mais nous apprenons quand même un certain nombre d’informations étonnantes.
Rappelons-nous que la France ne respecte toujours pas les critères qu’elle a promis, plusieurs fois, de respecter dans un délai sur lequel elle s’était engagée et n’a pas tenu.
En toute normalité, elle devrait être sanctionnée, c’est à dire soumis à des amendes d’un montant de plusieurs milliards.
Mettre en œuvre la Loi qui respecte les injonctions européennes est probablement une condition sine qua non pour pouvoir espérer continuer à bénéficier de la mansuétude de la Commission.
Je crois qu’il est intéressant de lire ce point de vue.
Cela étant, toutes ces règles qui nous sont imposées ont bien été acceptées par nos représentants légitimes auprès de l’Union européenne.
L’Europe n’est pas une Autre, nous en sommes responsables.
La mondialisation que nous avons accepté et dont nous profitons présente des effets collatéraux : notamment de remettre en cause des droits sociaux et l’Etat providence.
Olivier Ferrand, le fondateur de Terra Nova avait eu cette analyse pertinente que je cite de mémoire : Quand on observe l’Union européenne et qu’on se demande quelle est sa spécificité dans le Monde ? On ne trouve pas le Libéralisme ou le Capitalisme qui se trouve dans bien d’autres pays du Monde. Non, ce qui distingue l’Union Européenne, c’est L’Etat social que personne n’a amené aussi loin. Mais cette spécificité n’a pas été confiée à l’Union !
François Mitterrand avait promis : «L’Europe sera sociale ou ne sera pas !».
Ces différents éclairages sur la Loi Travail, n’ont pas pour vocation de prétendre qu’il ne faut pas réformer le droit du travail en France, qu’il ne faut pas le simplifier, le rendre plus souple et permettre qu’il existe plus de marges de manœuvre au niveau de l’entreprise.
Mais simplement de montrer qu’il faut sortir de la technique des technocrates pour entrer dans le sens et la vision de vrais réformateurs. Le réformateur explique où on va.
Mais ce problème n’est pas limité à la France, la social-démocratie est partout en crise en Europe, en Grèce le PASOK a disparu, en Autriche il a été éliminé du second tour de la présidentielle comme la droite conservatrice d’ailleurs, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre les forces sociaux-démocrates sont dans un déclin continuel. Les droites de gouvernement, mis à part en Allemagne, ne vont guère mieux. Les forces politiques qui sont en expansion sont les mouvements nationalistes et le plus souvent xénophobes. Tant il est vrai que si les élites ne sont plus capables de donner un contenu à l’imaginaire collectif, c’est la théorie du bouc émissaire qui reprend le dessus.