La semaine dernière, après le premier tour des législatives, mon ami Marc m’a écrit : « Je compte sur toi pour que tu inspires nos réflexions sur la représentativité d’un parlement quand plus d’un électeur (inscrit sur les listes électorales) sur deux a choisi de ne pas voter »
J’ai préféré me taire entre les deux tours. J’ai eu raison, il y a bien triomphe des Macronistes, mais un peu plus modeste que celui que prévoyait les sondeurs après le premier Tour.
Emmanuel Macron, avec beaucoup de talent, une vision d’entrepreneur de start up nous a joué cette pièce que les plus audacieux tentent : « sur un malentendu cela peut passer !».
Je ne rappelle pas toutes ces étapes qui ont conduit d’abord Macron à obtenir au 1er tour des présidentielles 24,01 % des suffrages exprimés ce qui représentait 18,19% des inscrits et ses candidats au premier tour des législatives 32,32% des suffrages exprimés (La République en marche (REM) 28,20 et MODEM 4,12). Mais si on rapporte ces suffrages par rapport aux inscrits, le taux n’est plus que de 15,39%.
Par la grâce du système électoral, du positionnement des candidats macronistes et des institutions de la 5ème République, à partir de 32,32% des voix, la majorité présidentielle (REM et MODEM) a eu au second tour 350 élus sur 577, ce qui représente 60,66 % des sièges. C’est ce que l’on peut appeler un coefficient multiplicateur de la 5ème république, il est ici de 1,88.
Nous aimons nous comparer.
En Grande Bretagne, viennent aussi de se dérouler des élections législatives. C’est comme chez nous, mais il n’y a qu’un tour, celui qui est arrivé en tête gagne. Le Parti Conservateur de Theresa May a eu 42,4% des exprimés et quand même 29,14% des inscrits. Toujours est-il qu’avec 42,4% des voix elle a obtenu 317 sièges des 650 ce qui représente 48,8% des sièges. Il y a un coefficient multiplicateur britannique mais modeste 1,15.
Celui qui est arrivé second était le Labour de Corbyn qui avec 40,0% des voix a obtenu 40,3% des sièges, on peut parler d’un coefficient de stabilisation.
Voilà comment cela se passe dans le pays qui a inventé la démocratie parlementaire moderne.
Chez nos amis allemands, le système électoral est plus compliqué mais en résumé il aboutit à une représentation proportionnelle pour tous les partis qui ont obtenu plus de 5% des voix. ¨Par construction ce système électoral conduit à une représentation proportionnée entre les voix exprimés et les sièges. Il y a un petit coefficient multiplicateur qui provient du fait que les partis ayant des sièges récupèrent la proportion abandonnée par les partis ayant obtenu moins de 5%
Bref, nous comprenons toute l’incongruité de notre système électoral en le comparant. Ce n’est pas un système démocratique, c’est une organisation qui vise à donner une majorité à un homme, même s’il a été élu sur un malentendu.
Ce phénomène était déjà à l’œuvre en 2012 avec François Hollande. La majorité socialiste avait obtenu 39,86% des voix exprimés et 57,37% des sièges avec un coefficient multiplicateur français de 1,44 toujours incongru par rapport à nos voisins mais largement inférieur au résultat de cette année. Je sais bien que techniquement cela s’explique très bien grâce au scrutin majoritaire à deux tours où il faut être en capacité d’attirer des électeurs qui n’ont pas voté pour vous au premier tour, ce qui est encore facilité si vous vous trouvez au centre de l’échiquier et qu’un électeur de gauche préférera un candidat « En marche » contre un candidat de droite et un électeur de droite un candidat en Marche à un candidat de gauche.
Nous pouvons être cependant rassuré puisqu’au lendemain du premier tour, les sondeurs avait prévu plus de 70 % des sièges pour la majorité présidentielle et que nous sommes en deçà. C’est sur cette base que l’historien Jean Garrigues avait répondu la phrase que j’ai mis en exergue, dans un entretien à Challenges. On constate, par la comparaison avec nos pays voisins, que cette opinion reste parfaitement exacte à 60%.
Le plus instructif est quand même qu’Emmanuel Macron a conceptualisé lui même l’incongruité de cette situation. Je cite le futur Président jupitérien : «Dans tous les sondages, aucun candidat ne fait résolument plus de 25%. Alors oui, y’en a qui ont des partis, des vieux partis, avec beaucoup d’intérêts. Mais est-ce que quelqu’un peut penser raisonnablement que, élu président, il aura une majorité présidentielle uniquement avec son parti?», s’interrogeait le futur chef de l’Etat. «Moi je n’y crois pas», ajoutait Emmanuel Macron. Avant de marteler: «Non seulement ça n’est pas possible, mais ça n’est pas souhaitable! Parce que ça serait un hold-up ! ».
Un hold-up ! rien que cela…S’il s’était arrêté simplement à «Moi je n’y crois pas», on aurait pu dire qu’il n’était pas assez optimiste. Mais avec le hold-up ! il condamne ce qui est arrivé à sa majorité présidentielle.
Il y a cependant des raisons pour se réjouir, comme le montre cet article du Monde, le nombre de sièges occupés par des femmes a progressé en grand nombre : elles seront 223 députées à siéger dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, ce qui représente 38,65 % des sièges, soit 68 femmes députées supplémentaires par rapport à l’Assemblée élue en juin 2012 (elles représentaient 27 % de la précédente Assemblée). En outre, ce que je trouve encourageant c’est que le différentiel entre le pourcentage de candidates et le pourcentage d’élues a fortement diminué. Ainsi il y avait 42,4% des candidats qui étaient des femmes pour obtenir 38,65% des sièges. Il y a 10 ans il y avait 41,6% de candidates mais que 18,5% de femmes ayant obtenu un siège. Bref on réservait les sièges gagnables aux hommes. C’est toujours le cas, mais en beaucoup plus faible proportion.
En outre, l’assemblée se rajeunit, avec une moyenne d’âge de 48 ans et 240 jours, la XVe législature est plus jeune de cinq ans que la précédente (53 ans et 195 jours).
Et puis, il y a vraiment des piliers du bar de l’assemblée nationale qui ont été enfin remerciés. Exemple emblématique : Gérard Bapt, 71 ans, membre du Parti socialiste a été sèchement battu après 35 ans de mandats cumulés, il aspirait à 40 ans de mandat jusqu’à 76 ans, considérant que l’expérience était la valeur suprême du représentant du peuple.
En même temps, l’inexpérience n’est pas forcément un atout surtout quand elle se cumule avec l’incompétence. Certains candidats, En marche, sont apparus lors d’émissions de télévision particulièrement ridicules. Je n’aurai pas l’indélicatesse de les nommer mais vous pouvez les trouver aisément sur internet.
En revanche, l’article du Monde montre que les élus ne sont pas représentatifs des profils sociaux et des professions des français. Ce sont, les professions aisées qui dominent la nouvelle Assemblée.
Ce sont les gagnants de la mondialisation. Sauront-ils penser aux perdants et améliorer leur situation ?
Car maintenant, il faudra gouverner et arbitrer. C’est une chose de savoir brillamment gagner des élections grâce à son talent, à une part importante de chance et un système électoral très favorable. Mais gouverner c’est autre chose.
Nous qui aimons la France, ne pouvant qu’espérer qu’Emmanuel Macron trouvera des solutions pour améliorer la situation des français, d’une grande majorité de français.
Il a certainement de bonnes idées comme la volonté d’unifier les systèmes de retraite à terme, d’autres me semblent plus problématiques, mais j’en ai déjà parlé.
Certains de mes amis de l’ex Parti socialiste continue à prétendre que François Hollande était un bon président. Ce n’est pas mon avis. Non qu’il soit un homme sans qualité, mais il fut un président médiocre. En revanche il est et restera probablement un très bon analyste politique.
La journaliste Françoise Degois vient de publier « Il faut imaginer Sisyphe heureux : les 100 derniers jours de François Hollande. » Pour cette raison, elle était l’invitée de Anne-Sophie Lapix dans l’émission C à vous du 09/06/2017. Vous trouverez cette émission derrière ce lien <Les 100 derniers jours de Hollande>.
Et dans cette émission (à 12:35) François Degois fait dire à François Hollande cette prophétie : « Le jeune roi sera nu, un jour »
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