Mardi 26 Janvier 2016

Mardi 26 Janvier 2016
« The fallacy of the superior virtue of the oppressed»
« L’erreur qui consiste à croire dans la supériorité morale des opprimés »
Bertrand Russell (mathématicien et philosophe britannique 1872-1970)
(Titre du chapitre 5 des « Unpopular Essays  »(Essais impopulaires ouvrage de 1950)
Récemment, j’ai lu « Une vie» de Simone Veil qui raconte la vie de cette grande dame qui a tant fait pour la cause des femmes et qui a été aussi survivante des camps nazis.
C’est un livre passionnant. Un extrait m’a particulièrement marqué, il se situe aux pages 82 et 83 du livre.
Il s’agit d’un épisode qui se situe à la fin de la guerre, l’armée rouge déborde partout l’armée allemande, les nazis s’affolent et évacuent les camps de la mort dans la panique et une horreur encore accentuée.
Ils mélangent les femmes et les hommes et :
« Le 18 janvier 1945, le commandant de Bobrek, reçut l’ordre de départ. Nous sommes donc partis à pied pour l’usine Buna, située dans l’enceinte d’Auschwitz–Birkenau. Nous y avons rejoint tous les autres détenus des camps d’Auschwitz, environ 40 000 personnes, et avons entamé cette mémorable longue marche de la mort, véritable cauchemar des survivants, par un froid de quelque 30 degrés en dessous de zéro. Ce fut un épisode particulièrement atroce. Ceux qui tombaient étaient aussitôt abattus. Les SS et  les vieux soldats de la Wehrmacht qu’ils encadraient jouaient leur peau et le savaient.
Il leur fallait à tout prix fuir l’avance des Russes, tenter d’échapper coûte que coûte à la mort qui les poursuivait. Enfin, nous sommes parvenus à Gleiwitz, à 70 km plus à l’ouest, je dis bien 70, où s’opérait le regroupement des déportés qui avaient réussi à survivre. La proximité croissante des troupes soviétiques affolait tellement les Allemands que nous nous sommes alors demandé si nous n’allions pas tous être exterminés. Nous attendions notre sort, hommes et femmes mélangées dans ce camp épouvantable où il n’y avait plus rien, aucune organisation, aucune nourriture, aucune lumière.
Certains hommes exerçaient sur les femmes un chantage épouvantable : « Comprenez nous, on n’a pas vu de femmes depuis des années. » C’était l’enfer de Dante. Je me souviens d’un petit Hongrois très gentil. Il avait dans les treize ans et son désarroi était tel que nous l’avions recueillie par pitié. Il disait : « les hommes, ils m’ont abandonné. Je suis tout seul. Je ne sais pas où aller. Je ne sais pas trop comment trouver à manger. N’empêche que les hommes ils seront bien contents tout de même de nous retrouver quand il n’y aura plus de femmes ». C’était à fendre le cœur. Je me demandais en mon fort intérieur : « que vont devenir ces jeunes s’ils parviennent à échapper à cet enfer ? ».
C’était l’enfer de Dante !
Simone Veil dit en quelques mots, de manière pudique la violence à l’endroit des femmes et aussi des enfants, dans un univers de violence généralisée. La violence contre les femmes s’ajoute à la violence générale : « Certains hommes exerçaient sur les femmes un chantage épouvantable.»
Ces « certains hommes » ont vécu l’horreur, ils sont des opprimés de l’extrême et l’épisode comme le décrit Simone Veil est terrifiant, ils marchent la faim au ventre, par -30°, la moindre faiblesse signifie la mort que les nazis distribuent sans état d’âme à tous les déportés qui les retardent dans cette course vers l’abîme.
Et ces misérables mâles trouvent plus faibles qu’eux et essayent de justifier leurs actes par cette supplique ignoble « comprenez-nous, on n’a pas vu de femmes depuis des années. »
Michelle Perrot dans les matins de France Culture du 20 janvier explique :
« Au XIXème siècle, les ouvriers battaient leurs femmes. Il y avait une violence contre les femmes que le mouvement ouvrier a niées pendant longtemps.
C’est toujours plus difficile à penser. Moi je crois qu’il ne faut surtout pas la nier. »
Et elle ajoute : « Que reste-t-il à dominer pour un homme particulièrement dominé sinon les femmes ? Et c’est pourquoi dans ces situations où on pourrait penser qu’il y a solidarité entre les hommes et les femmes. Eh bien non !  Il y a une dominée de plus c’est la femme ! »
Ainsi, ce n’est pas parce qu’on est migrant qu’on cesse de dominer les femmes.
Parmi les migrants opprimés, il y a plus opprimé encore : ce sont les femmes qui vivent la même oppression que les hommes et en sus l’oppression sexuelle de certains hommes.
Je crois que rien ne peut mieux décrire cette réalité que la formule de Bertrand Russell : L’«erreur qui consiste à croire dans la supériorité morale des opprimés »
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