Christa Ludwig est morte, samedi 24 avril tout près de Vienne, en Autriche, elle avait 93 ans.
Et depuis le 24 avril j’ai passé beaucoup de temps avec cette artiste merveilleuse, en écoutant ses disques, en lisant des articles qui lui étaient consacrés et en regardant énormément de vidéos, pour l’essentiel en langue allemande, dans lesquelles elle révélait sa personnalité lumineuse et son esprit pétillant.
Je pourrais reprendre la description qu’en fait <Le Monde> :
« Une voix sensuelle et chaudement ambrée, d’une amplitude exceptionnelle, une artiste émouvante à la carrière en tout point exemplaire ».
C’est d’ailleurs dans cet article que j’ai trouvé la phrase que j’ai mise en exergue :
« Le chant, c’est une métaphore de la vie : on inspire, on expire, le son arrive sur le souffle, puis c’est fini. »
Dans les vidéos que j’ai regardées, elle parle parfois de la mort.
Pour elle la vie est esprit, souffle. Un corps mort ne présente pour elle plus aucun intérêt.
Elle dit par exemple à propos de sa mère qui a joué un si grand rôle pour elle, puisqu’elle fut sa seule professeure de chant tout au long de la vie en plus de la relation mère fille, elle est toujours avec moi, dans mon esprit, je la cite chaque jour. Elle est vivante en moi, le corps qui se trouve au cimetière ce n’est plus elle. C’est pourquoi Christa Ludwig n’allait jamais au cimetière.
Elle a épousé, en secondes noces, en 1972, Paul-Émile Deiber, sociétaire de la Comédie-Française et metteur en scène. C’est pour cette raison qu’elle a vécu longtemps en France.
Ils vieillirent ensemble et elle raconte qu’elle lui tenait la main au moment ultime et elle sentit quand la vie l’abandonna et elle ajouta :
« Et alors je compris que ce corps n’était plus mon mari. Il était avec moi, dans mes pensées, dans mon cœur, auprès de moi, non dans ce corps inerte. »
J’ai trouvé cette vision très apaisante et très inspirante.
Elle avait décidé de se faire incinérer.
Mais si je veux parler de Christa Ludwig, je dois dire avant tout qu’elle fait partie de mon univers musical depuis que je suis mélomane.
Quand j’ai appris son départ, je me suis posé et fait le compte des enregistrements que je possédais et dans lesquels elle chantait.
Quand on est mélomane comme moi, on collectionne patiemment des dizaines, puis des centaines et on arrive aux milliers de disque.
On achète parce qu’on a lu ou entendu une critique, découvert une interprétation dans des ouvrages qui donnent les enregistrements de référence, ou plus simplement qu’on a entendu l’enregistrement ou qu’un ami mélomane nous l’a fait découvrir.
Et alors faisant une petite liste, sans exagérer pour ne pas dépasser les limites d’un mot du jour.
Un opus magnum de la musique est constitué par « Le chant de la terre » de Gustav Mahler. Dans les dizaines d’enregistrements de cette œuvre, deux disques surplombent : la version de Bruno Walter avec Kathleen Ferrier et celle d’Otto Klemperer avec Christa Ludwig et Fritz Wunderlich.
La plus belle version du Requiem de Verdi est la première enregistrée par Carlo Maria Giulini, la partie d’alto est chantée par Christa Ludwig.
Le plus beau Cosi fan Tutte de l’histoire est celui que Karl Boehm a enregistré avec l’orchestre Philharmonia. Le rôle de Dorabella était tenu par Christa Ludwig.
La meilleure version de Fidelio de Beethoven est celle de Klemperer avec Jon Vickers. Le rôle de Fidelio est chanté par Christa Ludwig.
Un des plus belles interprétations du plus grand opéra de Wagner, Parsifal est celle de Solti, le rôle de Kundry est tenu par Christa Ludwig.
Et il serait possible de continuer à alimenter cette énumération.
Les meilleurs chefs d’orchestre voulaient Christa Ludwig, parce qu’elle était simplement extraordinaire.
Parmi ces chefs, invariablement elle en citait trois :
Karl Boehm qui fut comme un second père pour elle et l’accueillit à l’opéra de Vienne. Elle n’était pas autrichienne, elle était née à Berlin mais elle se sentait et se vivait comme viennoise.
Herbert von Karajan, en qui elle avait toute confiance. Il semble que c’est elle qui a dit un jour que Karajan était Dieu, ce que des détracteurs de ce dernier avait traduit qu’il se prenait pour Dieu. Christa Ludwig voulait simplement dire qu’elle était toujours rassuré quand Karajan dirigeait parce qu’il avait cette faculté de rassurer et de créer un écrin sonore dans lequel la voix de ses chanteurs pouvait s’épanouir sans crainte.
Mais celui pour lequel elle avait le plus d’affection était Léonard Bernstein. C’est encore elle qui a eu cette phrase :
« il était la musique »
Dans cette interview à Forum Opera elle est plus précise : .
« J’ai eu la chance de faire la connaissance de trois grands chefs d’orchestre à trois moments différents de ma carrière. Quand je suis arrivée à Vienne, j’ai vite travaillé avec Karl Böhm. C’était une grande chance, car Böhm, dont la femme était cantatrice, comprenait la voix. Bien sûr, tous les chefs aiment les voix, mais Böhm était le seul à vraiment les comprendre, à connaître précisément leur fonctionnement. Quand je l’ai rencontré, j’étais encore une très jeune chanteuse, il m’a enseigné la rigueur, la justesse, l’exactitude.
Quelques années plus tard, j’ai rencontré Karajan qui, lui, m’a appris la beauté de la phrase, l’esthétique du son. En répétition, avec le merveilleux Philharmonique de Vienne, il disait toujours aux musiciens d’écouter le son produit par les voix, et aux chanteurs de s’immerger dans le son de l’orchestre. Je n’ai jamais trouvé chez un autre chef un tel sens de la sonorité.
Et puis j’ai rencontré Bernstein quand j’avais déjà 40 ou 41 ans. J’étais un peu plus sage, plus aguerrie, et avec lui on pouvait découvrir le vrai sens de la musique, sa profondeur, ce qui se cache sous les notes. Avec lui, j’ai vraiment chanté toutes sortes de choses, y compris le tango de la Vieille Dame, dans Candide : le registre de la comédie n’est vraiment pas ma tasse de thé, mais j’ai fait ça pour lui. De tous mes collègues, Bernstein est le seul dont la mort m’a vraiment fait pleurer. C’était un authentique génie. »
La remarquable qualité de Christa Ludwig était sa capacité de pouvoir s’adapter à chacun de ses chefs. Elle dit :
« Mais si Böhm demandait un mezzo forte à tel moment, que Karajan, dans ce même passage, voulait qu’on chante piano et Bernstein, forte, ils avaient tous les trois raison, chacun à sa manière : c’était toujours justifié car ça s’inscrivait dans leur conception d’ensemble. Et moi, je me suis toujours bien entendue avec eux parce que je faisais le nécessaire pour m’intégrer dans cette conception. »
Énormément de journaux lui ont rendu hommage.
<France Musique> lui consacre plusieurs pages en republiant de nombreuses émissions qui lui avaient été consacrées.
<Le Figaro> qui rapporte ce propos :
« On fait carrière avec sa tête, pas avec sa voix »
Mais cette voix est exigeante, il faut la protéger, ne pas trop parler, ne jamais prendre froid, ne pas être en contact avec des virus, ne pas boire, ni trop manger.
Le journal suisse <Le temps> parle de « discipline de cosmonaute » :
« Pendant 50 ans, elle «ne pense qu’à ses cordes vocales, jour et nuit», et s’administre au quotidien une discipline «semblable à celle des cosmonautes» pour préserver son timbre: pas de tabac ni d’alcool… et même pas de cinéma, «parce que je devrais m’enfuir dès que mon voisin tousse». »
Le journal canadien « Le Devoir » titre « Christa Ludwig, titan au féminin » et écrit :
« l’une des plus grandes chanteuses du XXe siècle, nous laisse un legs immense.
A-t-on vraiment envie d’être triste ? Ou a-t-on simplement envie de dire, de crier, « Merci ! » ? Car Christa Ludwig était déjà immortelle de son vivant. »
Pour « TELERAMA », le titre est « Christa Ludwig, quand une diva s’en va. »
Je partage cet avis :
« Femme aussi disciplinée et rigoureuse dans son art que portée à la gaieté en privé, excellant dans les personnages dramatiques mais conservant toujours un grain de joie dans sa voix merveilleusement colorée, Christa Ludwig ne fut jamais plus elle-même que chez Mozart et Strauss, sans doute parce qu’elle trouvait dans leur grâce et leur finesse un reflet de ses propres qualités. »
Et je finirai par cet article du journal belge « Crescendo » : « Christa Ludwig, la voix de mezzo dans toute sa splendeur »
« Que sa personnalité était attachante, tant elle irradiait la scène par sa présence, sa musicalité et son art du dire qui justifiaient la versatilité de son répertoire à l’opéra, en récital, au concert ! »
Vous trouverez derrière ce lien <Le final du chant de la terre avec Bernstein>
Une grande Dame, une immense musicienne.
<1563>