Vendredi, le 30/10/2015
« C’était sans précédent dans l’histoire du Conseil d’Etat.»
Jean-Marc Sauvé, premier Vice Président du Conseil d’Etat
Renaud Dély et Henri Vernet ont écrit un livre sur le monde politique « Frères ennemis, l’hyper violence en politique », chez Calmann-Levy.
Pour comprendre ce qui suit, il faut se rappeler que l’élection de Serge Dassault à la mairie de Corbeil Essonne avait été annulée par le Conseil d’Etat en 2009.
Et c’est ainsi que suite à cette décision, le premier Vice-Président du Conseil d’Etat avait reçu un coup de fil de l’Elysée lui ordonnant de venir voir le Président de la République, le lendemain, dimanche.
Et vous lirez page 61 à 63 du livré évoqué le témoignage suivant :
« Les soupçons de tricherie et d’achat de voix pesant sur le maire UMP Serge Dassault ne pouvaient qu’avoir altéré la sincérité du scrutin.
Discipliné, Jean-Marc Sauvé obtempère à l’ordre présidentiel et reprend la route de Paris. Avant de se rendre à l’Elysée, il potasse le contenu de la décision, histoire de pouvoir faire face au courroux de Nicolas Sarkozy.
Le dossier est lourd, les preuves irréfutables. Qu’importe, la précaution sera de peu d’effet. Lorsque Jean-Marc Sauvé pénètre le lendemain après-midi, dimanche, dans le bureau du président, celui-ci de fort méchante humeur, tourne en rond dans la pièce.
Claude Guéant, impassible, est assis sur un fauteuil. Jean-Marc Sauvé a à peine le temps d’articuler quelques mots que le chef de l’Etat explose. Il l’accuse d’être « un militant socialiste comme tous les juges du Conseil d’Etat » et s’indigne d’une décision politique qui n’a pour but que de servir ses adversaires politiques.
Nicolas Sarkozy vantes les mérites de Serge Dassault et se porte garant de « l’honnêteté » [ça il fallait l’oser] de cet « homme qui a rendu tant de services au pays » et à Nicolas Sarkozy, serait tenté d’ajouter, puisque Dassault possède le Figaro qui n’a de cessé de tresser des louanges à l’action du chef de l’Etat…
Le savon présidentiel dure une bonne demi-heure. « Et quand Nicolas Sarkozy reprenait son souffle, c’est Claude Guéant qui prenait la parole la parole pour m’enfoncer un peu plus, raconte Jean-Marc Sauvé. L’expérience fut vraiment très désagréable… Plus surprenant encore, emporté par la colère, le chef de l’Etat annonce au premier vice-président du Conseil d’Etat le contenu d’un recours en révision qui n’est nullement de son ressort… et qui ne sera déposé par les conseils de Serge Dassault que trois semaines plus tard.»
Jean-Marc Sauvé conclut cette affaire par : « C’était sans précédent dans l’histoire du Conseil d’Etat.»
Que dire sur cet épisode ?
D’abord revenir aux fondamentaux, c’est à dire au fondement de la démocratie libérale et de l’Etat de Droit. On rappellera ainsi l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’à point de Constitution. »
Séparation des pouvoirs : c’est à dire que le pouvoir exécutif est différent du pouvoir judiciaire et ne peut donc l’influencer dans ses décisions.
La France est déjà un pays bizarre parce qu’elle a deux ordres juridiques : la justice de l’ordre judiciaire et la justice de l’ordre administratif.
Ainsi le Premier Vice-Président qui préside le Conseil d’Etat porte ce nom bizarre parce que dans certains cas le Conseil d’Etat peut être présidé par le Premier Ministre.
Car le Conseil d’Etat est à la fois juge administratif et conseiller du gouvernement. Il donne ainsi son avis sur certain nombre de texte notamment les décrets en Conseil d’Etat.
Mais en toute hypothèse, quand il rend justice, la règle de séparation des pouvoirs doit jouer et l’Exécutif ne doit pas s’en mêler.
Dans les faits, la scène relatée dans le livre n’a rien changé au cours des choses : l’élection a bien été annulée. D’ailleurs l’élection suivante sera aussi annulée. Et Jean-Claude Sauvé est toujours vice-président du Conseil d’Etat.
Vous me direz : « Donc tout va bien, la séparation des pouvoirs a été respectée sur le fond ».
Oui.
Mais comment dire ?
Le fait que le chef de l’exécutif puisse avoir la tentation de convoquer un juge pour l’engueuler parce qu’un de ses arrêts lui a déplu est totalement incongru dans une démocratie « normale ».
Cela ne viendrait même pas à l’idée d’un Président des Etats Unis ou d’un premier ministre anglais ou encore d’un chancelier allemand d’oser ce type d’intimidation.
Et si une telle intimidation avait quand même eut lieu, elle aurait fait dans les jours qui suivent la « Une » de tous les journaux sérieux et je pense que le responsable de l’exécutif se rendant coupable d’un tel fait aurait eu beaucoup de mal à se maintenir au pouvoir.
Sur le fond, je joins un article de Mediapart qui présente un livre qui rend encore plus pathétique cette phrase où Nicolas Sarkozy se portait garant de l’honnêteté de Serge Dassault.