Lundi 17/10/2016

Lundi 17/10/2016
« slasheurs »
Expression venue du marketing américain et désignant la pluriactivité, le fait de cumuler plusieurs emplois
Alors que je venais de finir l’écriture du mot du jour sur «la reproduction sociale» de Nancy Fraser, j’ai entendu l’émission <Le téléphone sonne du 10 octobre> de France Inter qui a parlé de ce phénomène social et de micro-économie qui prend de l’ampleur : le choix ou la nécessité pour certains de cumuler plusieurs emplois pour gagner leur existence.
Ce nom, «slasheurs», vient du signe typographique « slash » c’est à dire « / ». Par exemple : Opticien / conducteur de VTC. Musicien / livreur de repas à domicile.
La fureur quantophrène a encore frappé parce que si selon l’INSEE, le phénomène concerne deux millions de personnes en France [rapporté lors de l’émission de France Inter], une autre étude rapportée par Challenges, porte ce chiffre à 4 millions. Bref, on ne sait pas très bien, mais il y en a beaucoup.
Pourquoi, ce cumul d’activités ?
Il y a l’hypothèse optimiste : pour faire quelque chose d’intéressant, pour donner du sens à sa vie professionnelle.
Et il y a l’hypothèse pessimiste, c’est le CDD, la précarité, les salaires bas qui obligent à cumuler les emplois pour survivre.
Si on va chercher ses informations sur le réseau social professionnel, LinkedIn, créé en 2003 à Mountain View (Californie) et qui est en train de se faire racheter par Microsoft, cette évolution est présentée sous le regard optimiste :
« Car la multi-activité est, pour le slasheur, un choix et non la résultante de difficultés économiques. C’est une manière de travailler permettant de répondre à sa volonté de concilier des impératifs autrefois contradictoires : la nécessité de gagner sa vie, l’envie de kiffer sa vie professionnelle et de s‘épanouir en général. […]
Le premier point commun entre tous les slashers, c’est leur curiosité insatiable. Pour un slasher, la vie professionnelle (et la vie en général) c’est la possibilité d’explorer le champ des possibles.
Ce qui les porte dans la vie, c’est d’acquérir des connaissances, surtout dans un monde où le savoir est à « portée de clic »*, être slasheur lui permet d’assouvir sa soif de connaissances. »
Dans certains domaines comme le monde artistique cette pratique est ancienne. Un article d’un site belge donne des exemples très positifs d’artistes cumulant ainsi plusieurs activités.
Cette pratique est aussi bien connue dans le monde agricole où les ouvriers agricoles avaient plusieurs employeurs et aussi des activités diverses selon les saisons.
Un article de l’express montre que la pluriactivité est aussi un moyen à côté d’un « boulot stable » de pouvoir mener des activités plus précaires mais correspondant à  des jobs plus passionnant :
«J’ai commencé par travailler dans l’audit immobilier, par atavisme familial. Au sein de l’entreprise, j’ai mis sur pied un service de communication institutionnelle qui m’a permis de faire de la vidéo, ma vraie passion. Et, aujourd’hui, parallèlement à mon job, j’ai monté mon auto-entreprise, où je vends mes services à des maisons de production et des chaînes de télé en tant que réalisateur.»
Le journal l’Opinion affirme que «le travail salarié ne concerne désormais que la moitié des travailleurs dans le monde. Dans le même temps, l’activité professionnelle indépendante gagne du terrain. Aux Etats-Unis, un tiers de la population active est à son compte.»
Dès lors, dans l’activité indépendante, shlasher deviendrait la norme ?
Le journal Challenge, déjà cité, publie un autre chiffre très rassurant : «Contrairement à une idée reçue, 70% d’entre eux le sont devenus non pas par obligation financière mais par choix.»
Mais depuis les réflexions de Sorokin sur la quantophrénie, nous savons que nous devons nous méfier des chiffres. Ce même journal reconnait d’ailleurs que concernant les conséquences sur la vie personnelle, l’étude ne dit rien. Car après avoir été sensibilisé par Nancy Fraser à la reproduction sociale, il parait quand même légitime de se poser la question que devient la vie familiale et sociale dans cette multi activité qui peut devenir un planning ingérable et bientôt une suractivité ?
En tout cas, pendant l’émission de France Inter, si certains intervenants ont présenté cette manière de pratiquer comme positive d’autres ont bien montré qu’il s’agissait d’un besoin de revenus qui les poussait dans cette voie. Ainsi, même une professeur certifié, a raconté qu’elle ne pouvait se contenter de son traitement pour vivre à Paris, elle cumulait avec des cours privés mais aussi un travail de serveuse.
Je laisserai le mot de la fin, à une autre intervenante qui a simplement écrit, via les réseaux sociaux, que slasher était la manière normale de faire des femmes depuis des siècles dans nos sociétés.