Jeudi 8 septembre 2022

« Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »
Aurélien Barrau, lors de l’Université d’Été du MEDEF de 2022

Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Aurélien Barrau est né en 1973 et il est astrophysicien et sa fiche Wikipedia ajoute philosophe français.

Il est spécialisé en relativité générale, physique des trous noirs et cosmologie. Il est directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes et travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Il est professeur à l’université Grenoble-Alpes.

C’est un militant écologiste favorable à la décroissance.

Je pense que les responsables du Patronat français le connaissent et savent les thèses qu’il défend.

Et pourtant, ils l’ont invité à la dernière Université du MEDEF.

Ils n’ont pas été déçus !

Son introduction à la table ronde à laquelle il a été invité sur le thème qui traitait de la manière dont l’Europe pouvait devenir « le continent le plus vert de la planète » a été tonitruante.

Elle a été très largement diffusée sur internet : <Aurélien Barrau a l’université d’été du MEDEF>

Il a commencé en attaquant de front la manière d’aborder le sujet écologique par ce prisme européen, révélateur selon lui d’une « arrogance » occidentale :

« Ce thème est très caractéristique de l’arrogance occidentale. Je crois que nous n’avons pas tous ici bien compris que nous ne sommes pas la solution, nous sommes le problème. Ce sont nos valeurs et nos manières d’être qui mènent, je cite, à ce que l’ONU nomme “une situation de menace existentielle directe”.
Et nous en sommes encore à pérorer sur notre exemplarité. Quelle suffisance ! »

Belle entrée en matière !

Il explique ensuite que, selon lui, les dirigeants politiques et économiques passent à côté de l’essentiel.

« Pour trois raisons fondamentales :

La première est que ce qui est fait concernant le réchauffement climatique, et on le sait très bien, est dérisoire !

La deuxième qui est plus grave encore et qui est moins bien comprise, c’est que le réchauffement climatique est, dans une certaine mesure, lui-même dérisoire par rapport à l’étendue de la crise systémique et pluri factoriel que nous traversons : Pollution, acidification des océans, interruption des cycles bio et géochimique, dévastation des espaces naturels, n’ont pour l’essentiel rien à voir avec le climat, mais tuent davantage que ce dernier. Ce qui signifie que chacun des piliers sur lesquels reposent l’habitabilité de cette planète est en train de céder.

Et mon troisième est peut-être plus grave encore. Et il consiste à remarquer que, quand bien même, nous prendrions à bras le corps chacun des items que je viens de mentionner, ce qui n’est pas du tout le cas en pratique, nous demeurerions vraisemblablement toujours dans le dérisoire. Parce que le véritable problème, c’est qu’aujourd’hui notre rapport au monde, notre être à l’espace, fait de l’éradication systématique du vivant une finalité.

Parce que nous sommes des gens sympathiques et éduqués, on se demande, en gros, comment faire des bombes issues du commerce équitable et utilisant des matériaux biologiques. C’est mignon, mais tant que le pilonnage en règle de la biosphère demeure le geste cardinal, croyez-moi, l’origine des projectiles n’a pas beaucoup d’importance. »

Et il a lancé cet anathème qui a été beaucoup repris sur les réseaux sociaux et que je reprends comme exergue à ce mot du jour :

« Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »

Et il a aussi repris une évolution qu’il a combattu depuis le début : la 5G

« Tant que le président du Medef nommera, à l’unisson d’ailleurs du chef de l’État, « progrès », la mise en place d’une nouvelle génération de téléphonie mobile qui ne répond strictement à aucun besoin mais dont les conséquences délétères, pour ne pas dire létales, sont avérées d’un point de vue de la pollution, de la consommation et de l’addiction, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement.”

Et il a fini par cette conclusion :

«  Je crois qu’il faut être un peu conséquent. Nous ne sommes déjà plus dans une crainte quant à l’avenir. Nous sommes dans un constat quant au passé. Nous avons d’ores et déjà éradiqué plus de la moitié des arbres, des insectes, des poissons d’eau douce, des mammifères sauvages. Nous laissons d’ores et déjà 700 000 êtres humains mourir chaque année de la pollution en Europe. Si, même face à cette évidence, nous ne voyons pas la nécessité d’une refonte axiologique et ontologique drastique, c’est que nous faisons preuve d’une cécité que nos descendants, s’ils survivent, auront, croyez-moi, du mal à pardonner. »

Bon, ça c’est dit !

On peut nuancer ou même critiquer sur certains détails :

Il parait excessif de dire que « l’éradication systématique du vivant constitue une finalité ». Dire que l’éradication du vivant n’est jamais considérée comme un obstacle pour poursuivre les finalités humaines de profits me parait plus juste

C’est particulièrement le cas de la déforestation de l’Amazonie.

<Reporterre> évoque un Rapport tout récent :

« L’Amazonie : 390 milliards d’arbres, plusieurs millions d’espèces d’insectes, un nombre incalculable d’oiseaux, de mammifères et de reptiles, pour certains encore inconnus de l’être humain. Un trésor de biodiversité qui, malheureusement, s’effondre. Selon un rapport publié le 6 septembre par un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica), la forêt pluviale a atteint son « point de bascule ». Certaines zones commencent déjà à se transformer en savane. »

Sa position sur la 5G qui ne répondrait strictement à aucun besoin est peut-être aussi exagérée, il est possible que certaines utilisations médicales puissent en profiter. En revanche, l’addiction et le phénomène qu’on appelle « le rebond » et qui conduit à ce que type d’évolution conduise massivement à une nouvelle surconsommation d’énergie est certainement exacte.

Donc, si on peut nuancer, je crois quand même qu’il faut reconnaître que globalement son constat est exact.

A ce stade de la réflexion, je pense au « moment Gorbatchev ».

Gorbatchev a aussi fait le constat que le système, qu’il essayait de diriger, était mauvais.

Alors, il a essayé de le réformer.

Ses réformes ont entrainé de grands malheurs et souffrances pour la société.

Ce mauvais système s’est effondré !

Et finalement le système qui a remplacé l’ancien, sur beaucoup de points, était pire que l’ancien.

Faire le constat que cela ne fonctionne pas est fondamental.

Réaliser localement des réponses qui permettent d’améliorer en pratique et dans le quotidien notre rapport au vivant, à la biodiversité, notre impact climatique et écologique est essentiel.

Mais ensuite, mettre à bas, faire exploser notre organisation actuelle n’est probablement pas très compliqué si on s’y attaque résolument.

Mais après ?

Ceux qui sont dans les villes, pourront-ils faire face à leurs besoins primaires d’alimentation, d’hygiène et de santé ?

Trouveront-ils des médicaments dans des pharmacies ou ailleurs ?

Y aura-t-il de l’eau au robinet et de l’électricité quand on actionne l’interrupteur ?

Pourront ils avoir de l’argent qui permet de tant simplifier et fluidifier les échanges ?

Et si la solution proposée est de quitter massivement les métropoles, où iront ces citadins ? vers quels endroits où ils pourront se loger, se nourrir, se soigner ?

Nous ne sommes pas 5 millions, nous sommes 8 milliards.

Dire qu’il faut revoir toute l’organisation est très juste.

Mais pour aller vers quoi ? Et comment faire pour y aller ?

Voilà des sujets très compliqués dont j’entends peu parler.

Si vous voulez écoutez plus que les 5 minutes d’introduction d’Aurélien Barreau, c’est à dire l’ensemble de l’échange, c’est <ICI>

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