Il s’agit du dernier article consacré à Lyon et inspiré par les émissions que la Fabrique de l’Histoire a consacré à la capitale des Gaules.
Normalement ce mot devrait être consacré à la dernière émission : <1562, Lyon capitale protestante>
Quelques mots sur ce point d’histoire toutefois. Lyon est une ville catholique. Jamais la ville, ni la province qui l’entourait : le Lyonnais n’ont été dirigé par un Prince, un Duc, un Comte. Lyon était dirigé par l’Église et l’autorité était celui de l’Archevêque de Lyon. Mais en pleine guerre de religion, dans la nuit du 29 au 30 avril 1562, les protestants s’emparent militairement de Lyon. C’est notamment un chef de guerre protestant : le baron des Adrets qui imposa un pouvoir brutal jusqu’au 15 juin 1563. Tout ceci peut être approfondi en écoutant l’émission précitée.
Mais pour ce dernier article j’ai préféré, sur un mode plus léger, évoquer des maires de Lyon.
L’idée initiale est venue de la lecture d’un article de Slate consacré à la dernière campagne municipale où l’actuel Ministre de l’intérieur a conservé son mandat de maire de Lyon. C’était un article politique très sérieux qui essayait de démontrer que Lyon voulait être dirigé au centre pas forcément par un centriste.
Mais c’est un paragraphe qui a attiré mon attention et m’a révélé l’existence de Doudou et Zizi ! Slate donnait la parole à un historien Bruno Benoît qui disait à propos de Gérard Collomb :
« recueillant les fruits d’une popularité qui, remarque Bruno Benoît, lui vaut le rare privilège de se voir attribuer un surnom tout en finesse par les Lyonnais: après «Doudou» pour Edouard Herriot, puis «Zizi» pour Louis Pradel, c’est «Gégé» qui devrait être réélu fin mars pour un troisième mandat
Ma fréquentation des socialistes à partir de 2003, m’avait appris que certains d’entre eux disait « Gégé » en parlant du maire de Lyon, une impression de connivence était immédiatement perceptible avec l’édile, une sorte d’affection presque… quoique dans le monde politique les intérêts personnels ne laissent guère de place à l’affection toujours précaire et susceptible d’être révoquée.
Mais cet article m’apprenait que c’était un privilège des maires de Lyon au long cours d’avoir un « surnom ». Et je vais donc m’intéresser à « Doudou » et « Zizi ».
Pour ma part je trouve ces surnoms plutôt ridicules que « tout en finesse ».
Edouard Herriot a été maire de Lyon de 1905 jusqu’à sa mort en 1957. Pour être précis, il fut révoqué par le gouvernement de Vichy le 20 septembre 1940 et ne redevint maire qu’à la fin de la guerre le 18 mai 1945.
Louis Pradel lui succéda. Il fallait désigner un intérimaire à la mort de Doudou, il était l’adjoint aux sports et aux beaux-arts. On raconte que les principaux ténors politiques du conseil municipal n’arrivant pas à se mettre d’accord, il fut choisit car il ne faisait d’ombre à personne et qu’il pourrait être facilement manipulé. Tel ne fut pas le cas, il s’imposa et resta lui aussi maire jusqu’à sa mort.
A sa mort, Francisque Collomb.un de ses adjoints lui succède. Mais à partir de là ce fut plus compliqué : Francisque Collomb nomma Michel Noir comme 1er adjoint. Et Michel Noir se présenta contre lui et le battit aux élections de 1989. Michel Noir fut lui-même écarté pour des raisons d’affaires judiciaires. A contre cœur Raymond Barre vint lui succéder. Raymond Barre qui en affirmant que « Gérard Collomb serait un excellent maire de Lyon » saborda son camp politique. Et depuis grâce à « Gégé » la vie politique lyonnaise est redevenue stable et prévisible.
Mais mon sujet est Doudou et Zizi. L’amplitude de leur règne est donc de 1905 à 1976, soit 72 ans quasi ¾ du XXème siècle. C’est quelque chose 72 ans !
Les dernières années d’Edouard Herriot ont été des années de stagnation, le vieux maire n’entreprenant plus grand-chose.
Louis Pradel lui succédant engagea toute une série de travaux, pour les partisans il fut un bâtisseur, pour ses opposants il fut un « massacreur urbain » pour tous il était « Zizi le béton »
Il s’en moquait lui-même. : Aux municipales de 1965, les gaullistes présentèrent contre lui Maurice Herzog. Maurice Herzog était né à Lyon en 1919, il était le ministre de la Jeunesse et des Sports mais sa célébrité venait surtout de son exploit d’avoir été le premier européen à avoir vaincu l’Annapurna le 3 juin 1950. Cet exploit fut largement médiatisé, depuis plusieurs proches dont sa fille ont remis en cause sa légende. Mais en 1965, il était auréolé de la lumière de son exploit et du soutien de Gaulle. Mais il n’impressionna pas Pradel qui déclara : « On m’appelle « Zizi », c’est sympathique mais lui, c’est un « Zozo » qui n’a pas sa place ici ».
En 1965, Zizi créa son propre parti, le P.R.A.D.E.L. : « pour la réalisation active des espérances lyonnaises », et investit, sous cette étiquette, une liste dans chacun des arrondissements. Il gagna, dès le premier tour, la totalité des arrondissements. Zozo, dépité, s’en alla et devint maire de Chamonix en 1968 et le resta jusqu’en 1977. Il y avait donc de la place en Rhône Alpes pour Zizi et pour Zozo.
Donc Zizi est parti à New York, il fut émerveillé et revint à Lyon avec de belles idées : « il faut pouvoir traverser Lyon sans aucun feu rouge ». Il ordonna donc la traversée du centre de Lyon par l’autoroute Paris-Marseille, grâce au tunnel de Fourvière et au centre d’échange multimodal de Perrache, surnommé le plat de nouilles, en raison des nombreux tunnels (autoroute, métro, bus) qui s’y croisent. C’est aujourd’hui sa réalisation la plus contestée, qualifiée de connerie du siècle par Michel Noir, maire de Lyon de 1989 à 1995.
Je ne montre pas ce que lPerrache est devenu, mais une image de la Gare de Perrache telle qu’elle a été conçue. Lors du mot du jour précédent j’avais écrit qu’elle était inspirée de l’architecture du Palais impérial prévu pour Napoléon et jamais construit.
Par ailleurs et sans être exhaustif, Lyon doit à Zizi le béton :
- Le développement du tout-à-l’égout et assainissement des vieux quartiers ;
- En tant que Président des Hospices Civils de Lyon, les Hôpitaux de Neurologie et de Cardiologie ;
- Installation à Lyon du Centre international de recherche sur le cancer
- Un Palais des Congrès jouxtant la roseraie du Parc de la Tête d’Or, inaugurée avec la Princesse Grace de Monaco (Annie me fait justement remarquer que ce palais a été détruit lors de la construction de la Cité internationale par Renzo Piano. Elle le sait d’autant plus qu’à l’époque de sa démolition elle travaillait dans le cabinet Piano) ;
- Le quartier de la Duchère ;
- Le quartier de La Part-Dieu, sur les 35 ha d’une ancienne caserne de cavalerie, quartier destiné à attirer des centres de décision, incluant un centre commercial et la nouvelle Bibliothèque municipale de Lyon ;
- Le développement du métro de Lyon et après les travaux de la ligne A, la rue de la République et la rue Victor Hugo ne furent pas rendues à la circulation automobile, pour devenir les premières rues piétonnes de Lyon, ce qui peut relativiser sa passion de la voiture.
Atteint d’un cancer, il meurt quelques mois avant la mise en service du métro.
Zizi est resté concentré sur son mandat local, affirmant et respectant sa parole de ne jamais prétendre à un poste de ministre ou des responsabilités nationales.
Tel ne fut pas le cas de Doudou, l’inoubliable inventeur de cette formule :
« La politique, c’est comme l’andouillette. Ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. »
Après avoir été élu Maire de Lyon en 1905, il devient sénateur en 1912 et embrasse ainsi une carrière politique nationale qui fait de lui l’un des principaux représentants du parti Radical.
<Ce site parle de tous les maires de Lyon> (D’ailleurs vous trouverez une photo de Gérard Collomb jeune assez étonnante)
Et concernant Doudou, il dit les choses suivantes :
« Il s’engage dans l’affaire Dreyfus aux côtés d’Émile Zola et Anatole France, et fonde la section lyonnaise de la Ligue des droits de l’homme. Il s’affirme comme un orateur exceptionnel.
Le 12 décembre 1916, il obtient son premier poste ministériel comme Ministre des Travaux publics, des Transports et du Ravitaillement, […]
En 1924, Il est appelé [une première fois] à la présidence du Conseil […],.
Fervent défenseur de la laïcité, il veut alors introduire les lois laïques en Alsace-Lorraine et rompre les relations diplomatiques avec le Vatican mais il est désavoué par le Conseil d’État et la résistance populaire sur le premier point et se heurte à l’opposition du Sénat et au risque de velléités indépendantistes locales sur le second. »
Sous la IIIème République il est Président du Conseil des ministres à trois reprises, c’est une figure du Cartel des gauches, coalition gouvernementale et parlementaire des années 1920, il présida aussi la Chambre des députés, sous la IIIe République, et même l’Assemblée nationale, sous la IVe République.
Bref, il est une des personnalités principales de la IIIème république.
Georges Clemenceau aura sur lui ce trait ironique :
« Le Vésuve se borne souvent à fumer sa pipe comme Herriot, tout en ayant sur celui-ci l’avantage de se faire parfois oublier ».
Le site précité raconte aussi un épisode où Doudou manquera manifestement de jugement :
« À l’invitation de Staline, Édouard Herriot se rend en 1933 à Moscou. Ce voyage s’inscrit dans la tentative de rapprochement franco-soviétique qui débouchera sur le pacte franco-soviétique de 1935. À cette occasion, Herriot visite l’Ukraine où sévit alors une famine dramatique. Abusé par la propagande soviétique et les figurants se dressant sur son passage, Édouard Herriot ne se rend pas compte de la famine qui sévit dans le pays et déclare n’avoir vu que « des jardins potagers de kolkhozes admirablement irrigués et cultivés […]. Lorsque l’on soutient que l’Ukraine est dévastée par la famine, permettez-moi de hausser les épaules. », dans son récit de voyage publié l’année suivante, « Orient »
Après la guerre, il est même élu membre de l’Académie française le 5 décembre 1946.
En tant que maire de Lyon, il a marqué durablement la ville de Lyon. Beaucoup de son empreinte de bâtisseur est lié à sa relation avec l’architecte lyonnais : Tony Garnier. A eux deux, ils vont marquer le territoire de la ville par la réalisation de grands équipements : les abattoirs et le marché aux bestiaux de Gerland (1913-1928), l’hôpital de Grange-Blanche (1914-1933), le stade municipal de Gerland (1913-1926), la salle des fêtes de la Croix-Rousse (1934) et surtout la construction d’un nouveau quartier : les Etats-Unis (1920-1935).
Mais en 1935, il décide de la démolition de l’hôpital de la Charité pour y faire construire un grand Hôtel des postes, dans le plus pure style stalinien. Montrant une absence totale de souci de sauvegarde du patrimoine.
<L’hôpital de la Charité> est un hôpital historique construit à partir de 1617.
Ce fut un personnage considérable mais qui probablement resta trop longtemps sur le devant de la scène et ne sut pas se retirer à temps
Il avait aussi la magie de la formule . J’en citerai deux :
« C’est à Nice que j’ai lu à la devanture d’un restaurant du Vieux-Nice : Restaurant Ouvrier – Cuisine bourgeoise. C’est bien le programme de certains de mes amis socialistes ».
« Le Sénat est une assemblée d’hommes à idées fixes, heureusement corrigée par une abondante mortalité. »
Le lecteur curieux et attentif posera cependant la question mais pourquoi les a-t-on appelé Doudou et Zizi ?
Pour Doudou c’est simple, c’est la syllabe d’Edouard, répété deux fois.
Mais pour Zizi ?
Je compte sur vous pour trouver des hypothèses…
<1033>
Merci Alain pour cette belle série lyonnaise…
Pour Zizi , « on » m’a dit à l’époque, que Pradel ne se souvenait pas toujours du nom de ses collaborateurs, et les appelait alors zizi, c’est en tout cas une des légendes que j’ai entendue.
Ah c’est intéressant.
Moi quand je ne me souviens pas j’appelle les hommes Maurice et les femmes Mauricette !
Autre légende ou réalité ? Il se dit que suite à l’occupation de l’église St Nizier par les prostituées de Lyon, Louis Pradel déclara » que l’on ne peut pas couper le zizi à tous les lyonnais ». Mais c’était en 1975 soit juste un an avant son décès si j’ai bien lu Alain. Alors l’appelait-on ainsi avant 1975 ? La réponse est aux vrais Lyonnais. Son urbaniste, Charles Delfante, aurait de son côté indiqué que le diminutif de Louis en lyonnais serait « Ziz ». Là encore la parole est aux lyonnais.
Merci Gérald pour ces précisions et ces recherches.
Si je comprends bien, la question reste ouverte…
Moi aussi, j’ai beaucoup aimé et appris dans cette belle série de mots du jour sur Lyon, quant au zizi, peut-être faut-il demander à Pierre Perret
« tout, tout, vous saurez tout sur le zizi… »