Vendredi 13 décembre 2019

«La persécution de la communauté juive de Kaifeng»
Une minuscule communauté qui met en danger la nation chinoise ?

Après le mot du jour d’hier dans lequel je décrivais l’ambition de XI Jinping et des autorités du Parti Communiste Chinois de faire le récit d’une grande nation chinoise homogène dans laquelle les particularités de toute sorte doivent s’estomper, il serait cohérent de parler de l’action du gouvernement chinois au Tibet et au Xinjiang.

Mais il m’a paru plus pertinent encore d’évoquer non une ethnie minoritaire, mais une communauté religieuse qui existe à l’état de trace dans l’immense Chine.

Elle est de taille minuscule, j’ai trouvé peu d’informations à son sujet mais je crois comprendre qu’elle ne compte guère plus que de 1000 membres sur toute la Chine. Une poussière au regard de l’immensité du nombre de chinois et particulièrement de l’ethnie Han.

Pourtant elle est persécutée.

Il s’agit de la communauté juive.

J’ai été informé de ce sujet par un reportage de France 24 sur <La communauté juive de Kaifeng>

La Chine compte une minuscule communauté juive centrée autour de la ville de Kaifeng, dans l’Est. Une centaine de familles était jusqu’il y a peu une curiosité touristique mais elle est désormais sous pression des autorités, sommée d’effacer toute trace visible de son héritage historique. Des décisions qui font écho à la volonté de Xi Jinping, qui a récemment appelé à se prémunir « des infiltrations des puissances étrangères dans la société chinoise, par le biais de moyens religieux ».

C’est une communauté qui ne compte qu’une centaine de familles. Mais elles troublent probablement l’homogénéité ou doit-on parler de la pureté de la nation chinoise ?

Le gouvernement a exigé que les ruines de la synagogue soient détruites.

Les rassemblements pour les prières ont été interdits.

Les autorités chinoises ont fait table rase du passé.

Il a fallu enlever les étoiles de David et même la pancarte indiquant l’existence de l’ancienne synagogue.

Les juifs se seraient installés à Kaifeng il y a dix siècles

Leurs ancêtres seraient des marchands venus de Perse par la Route de la Soie au VIIIème siècle.

Ce <site> donne quelques précisions supplémentaires sur la communauté juive de Kaifeng et l’hostilité de l’administration de Xi Jinping :

« La Nouvelle ère de surveillance et de sécularisation chinoise touche à présent une petite communauté juive de la région rurale de Kaifeng, dans la province du Henan au centre de la Chine. Ses membres disent avoir peur de se rassembler dans les espaces publics ou de protester contre la surveillance du PCC dont ils font l’objet. Leur histoire est aussi fascinante qu’elle est menacée par des politiques qui empêchent la communauté d’avoir tout contact avec les étrangers et qui ont causé l’arrêt des travaux de reconstruction de leur synagogue détruite. […]

Pour beaucoup, apprendre que la Chine abrite depuis plus de mille ans une communauté juive relativement isolée est un choc. Mais les Juifs de Kaifeng étaient autrefois un groupe prospère, avec de bonnes relations, qui vivait au centre de la route de la soie de l’Asie orientale.

Au IXe siècle, un groupe de marchands juifs persans est arrivé en Chine par la route de la soie. Ils ont été chaleureusement accueillis par des émissaires de la dynastie Song du nord dans la ville de Kaifeng. Les marchands ont fini par décider de s’installer à Kaifeng et ont commencé à s’intégrer socialement dans la société chinoise des Hans. En dépit de la lenteur du processus qui a duré plusieurs siècles, des mariages entre leur communauté et des familles hans locales ont pu avoir lieu. Ces familles persano-hans combinaient les traditions du judaïsme avec des éléments sociaux et religieux de la culture chinoise han et, ce faisant, se sont unies pour former un groupe singulier et distinct en Chine : les Juifs de Kaifeng. Ils étaient plus de mille.

En 1163, les Juifs de Kaifeng ont alors décidé d’ériger le Temple respectant les Écritures de la voie, une synagogue autour de laquelle ils organiseraient leur vie religieuse et communautaire.

[…] en 1849, une autre énorme inondation du Fleuve Jaune a de nouveau détruit la synagogue. Les Juifs de Kaifeng, alors pauvres, n’ont pas pu la reconstruire et ses ruines ont été laissées à l’abandon pendant des siècles. Les vestiges étaient devenus un vénérable symbole du passé prospère de la communauté et de son futur cloisonné.

[…] Cependant, lorsque Deng Xiaoping a institué la réforme de la « porte ouverte » en Chine à la fin du XXe siècle, des chercheurs, des universitaires et des touristes occidentaux ont commencé à affluer pour rendre visite aux Juifs de Kaifeng dont ils avaient entendu parler mais qu’ils n’avaient jamais pu rencontrer auparavant. […] Le premier point à l’ordre du jour était la reconstruction de la synagogue.

[…] Parmi les activités proposées figuraient des cours d’hébreu, des cours de cuisine et l’apprentissage de traditions et de textes juifs anciens. Certaines ont attiré des dizaines de personnes et les fêtes juives se sont avérées particulièrement populaires. Autour du quartier historique où vivaient les Juifs de Kaifeng, des panneaux en hébreu ont commencé à apparaître et des expositions sur la vie de leurs ancêtres organisées dans des musées ont attiré des touristes arrivant des quatre coins de la Chine. […] Lorsque les bureaux centraux du PCC ont eu vent de ce plan [de reconstruire la synagogue], l’ordre a été donné d’arrêter les projets »

Le prétexte était que ces actions étaient encouragées par des associations juives internationales.

De toute manière une vague de répression touche aussi les activités communautaires des chrétiens et des musulmans.

C’est l’étroitesse de cette communauté et la volonté chinoise d’effacer l’histoire millénaire des Juifs de Kaifeng jusqu’à étouffer toute tentative d’en récupérer les vestiges qui montre l’étendue du fanatisme des idéologues actuellement au pouvoir en Chine.

Ceci me fait penser au mot du jour du 27 février 2019 qui évoquait cette grande figure du tiers-mondisme Frantz Fanon qui disait : «Quand vous entendez dire du mal du juif, tendez l’oreille, on parle de vous !».

<1326>

Jeudi 12 décembre 2019

« Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant »
Xi Jinping lors du discours qui célébrait le 70e anniversaire de la République Populaire de Chine

Après des mots du jour du début de cette semaine qui parlait d’émotion, de souvenir et d’humanisme, je vais revenir à ce sujet qui m’intéresse, m’interpelle et m’inquiète quelque peu dans la géopolitique du monde, la Chine de Xi Jinping.

La Chine est un empire qui veut être une nation.

La différence entre un empire et une nation avait déjà été abordée lors du <mot du jour du 30 octobre 2019> consacré à la dichotomie entre les Kurdes et la Turquie.

J’expliquais ainsi que les empires comme l’empire ottoman, l’empire austro-hongrois, l’empire russe et aussi l’empire chinois sont composés de plusieurs peuples, avec toujours un peuple dominant : les turcs pour le premier, les allemands pour le deuxième, les russes pour le troisième, les hans pour le quatrième. Dans un empire il est admis et nécessaire que l’empereur ou celui qui dirige l’empire soit en mesure, tout en préservant la domination de son clan, de faire en sorte que ces peuples puissent vivre ensemble.

La différence, la diversité sont non seulement acceptées mais aussi organisées.

Dans un État nation, c’est beaucoup plus compliqué d’exprimer ses différences. Le récit est celui de l’unicité de la nation.

Indiscutablement la Chine est formée de plusieurs nations, les tibétains, les ouïghours sont des peuples spécifiques.

<La constitution de la République Populaire> le reconnaît d’ailleurs, même si elle parle d’ethnie et non de peuple.

Cette constitution commence par un long préambule.

La première phrase du préambule est :

« La Chine est l’un des pays dont l’histoire est l’une des plus anciennes du monde. Les ethnies de Chine ont toutes ensemble créé une brillante culture et possèdent une glorieuse tradition révolutionnaire. »

Et plus loin dans le préambule nous lisons :

« La République populaire de Chine est un pays multi-ethnique unifié fondé en commun par toutes les ethnies du pays. Les relations socialistes déjà établies sont des rapports d’égalité, de solidarité et d’entraide, elles continueront à se renforcer. Dans le combat pour la sauvegarde de l’union des ethnies, il faut s’opposer au chauvinisme de grande ethnie, et en particulier au chauvinisme grand Han, il faut aussi s’opposer au nationalisme local. L’État doit consacrer tous ses efforts à la prospérité commune de toutes les ethnies. »

Et puis, il y a le fameux article 4 de la constitution :

« Article 4 : Toutes les ethnies de République populaire de Chine sont égales. L’État protège les droits et intérêts légitimes de toutes les ethnies, maintient et développe des relations inter-ethniques fondées sur l’égalité, la solidarité et l’entraide. Toute discrimination ou oppression d’une ethnie, quelle qu’elle soit, est interdite ; tout acte visant à briser l’unité nationale et à établir un séparatisme ethnique, est interdit.
Tenant compte des particularités de chaque ethnie minoritaire, l’Etat aide les régions d’ethnies minoritaires à accélérer leur développement économique et culturel.
Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l’autonomie régionale ; elles établissent des organes administratifs autonomes et exercent leur droit à l’autonomie. Aucune des régions d’autonomie ethnique ne peut être séparée de la République populaire de Chine.
Chaque ethnie a le droit d’utiliser et développer sa propre langue et sa propre écriture, a le droit de conserver ou réformer ses us et coutumes. »

Cet article débute très bien en affirmant l’égalité de toutes les ethnies et surtout cette règle que même les « droits de l’hommiste occidentaux » honnis de Xi Jinping ne sauraient qu’approuver : l’interdiction de toute discrimination et oppression d’une ethnie. Cette règle devrait être de nature à rassurer les tibétains et les ouïghours … Les rassurer en théorie…

On attribue à Pierre Desproges ce beau souhait utopique : «Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien.». <Marc Levy> affirme cependant qu’il n’y a nulle trace montrant que Desproges soit l’auteur de cette phrase.

Il y a toutefois une limite qui est dressée dans ce même article 4 : il est aussi interdit tout séparatisme ethnique. Dès lors, dans ce régime qui vante son efficacité et son pouvoir centralisé fort, il suffit pour sortir de la théorie d’accuser une ethnie de séparatisme pour pouvoir exercer une force unificatrice et violente sur ses membres. Nous verrons cela dans des mots du jour ultérieurs.

Sur une page du site de l’ambassade de Chine en France, visant à faire connaître ce grand et vieux pays, on peut lire :

« La population chinoise comprend 56 ethnies identifiées. La population des diverses ethnies connaît de grands écarts ; les Han sont beaucoup plus nombreux, et les 55 autres groupes sont appelés « ethnies minoritaires ».

Selon une enquête effectuée au moyen de sondages auprès de 1 % de la population du pays en 2005, la population totale des 55 ethnies minoritaires était de 123,33 millions, représentant 9,44 % de la population nationale. »

Ceci trace immédiatement une répartition extraordinairement inégalitaire de l’empire du milieu.

Le gouvernement chinois reconnaît donc 56 ethnies mais l’une représente 90,5% de la population et les 55 autres ensembles 9,5%.

Vous pourrez trouver sur cette page la liste des 56 ethnies, leur implantation géographique et leur importance numérique.

Les « Han » : presque 1,2 milliard, les «Tibétains » 5,416 millions, les « Ouïgours » 8,3984 millions et certaines ethnies sont vraiment peu nombreuses « Les Tatars » 4 900 personnes.

Remarquez la précision, au millier près, du nombre de personnes constituant une ethnie sauf pour les han où la précision s’arrête à la centaine de millions….

Dès lors, quand une ethnie est soupçonnée de séparatisme sur un territoire, il suffit de puiser dans les réserves inépuisables de l’ethnie majoritaire pour aller changer totalement l’équilibre ethnique du lieu. C’est ainsi que <Le Tibet> est de plus en plus une région habitée par l’ethnie Han.


Comme toujours, la situation est plus complexe que celle décrite ci-avant, l’ethnie Han ne constitue pas un bloc totalement homogène. Wikipedia nous apprend que l’anthropologue Dru C. Gladney indique qu’il existe au sein même de la population han une diversité notamment dans les populations du Sud comme les Cantonais, les Hakkas ou les Mins du Sud du Fujian. Ainsi la majorité han est composée de locuteurs de huit groupes de langues différentes (mandarin, cantonais, wu, xiang, hakka, gan, min du Nord et min du Sud). Le chinois mandarin est la langue officielle depuis le début du XXe siècle, standardisé sur le parler de la région de la capitale, Pékin. Il coexiste donc, même à l’intérieur de l’ethnie Han, diverses langues parlées.

En pratique, le nom de cette ethnie fut d’abord « Huaxia » mais elle changea de dénomination à l’époque de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.), et pris le nom de la dynastie.

Indiscutablement, ils constituent le peuple chinois « historique ». Devant une telle situation inégalitaire il est difficile de ne pas assimiler la « culture chinoise » à la « culture Han ».

Mais cela est l’introduction.

  • En 2019, il y a une révolte extraordinairement puissante à Hong Kong, c’est un défi pour Pékin.
  • En 2019, il y avait aussi les 30 ans de la répression de Tien an Men. Cela c’est un déni pour Pékin. J’en avais fait un mot du jour : « Le massacre de la place de la porte de la Paix céleste» publié le jour anniversaire le 4 juin.
  • Pékin a célébré, en revanche, les 70 ans de la création de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949.

Et la célébration a magnifié la grandeur de la Chine et sa puissance militaire.

Un nombre impressionnant de vidéos montre cette parade : <Démonstration de force en Chine pour les 70 ans du régime>, <La Chine communiste fête ses 70 ans>, <La République populaire de Chine fête ses 70 ans>

Toutes ces vidéos durent moins de 3 minutes.

Mais pour notre information pleine et entière sur l’empire du milieu il existe « CGTN » China Global Television Network, financé par le gouvernement chinois. Et nous disposons donc, grâce à ce canal, une vidéo de 4h59 minutes qui montre la cérémonie, avec des commentaires français, dans sa durée et sa splendeur : < En direct : Célébrations du 70e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine>

<Le Monde> nous explique :

« A Pékin, tout était sous contrôle. […]Il s’agit, selon les dirigeants, du plus grand défilé militaire organisé à Pékin depuis 1949. L’occasion pour la Chine d’exhiber quelques-uns de ses fleurons, notamment des drones high-tech et – pour la première fois – des Dongfeng-41, des missiles balistiques intercontinentaux possiblement dotés d’ogives nucléaires et qui peuvent atteindre les Etats-Unis en trente minutes.

[…] Ces nouvelles capacités militaires, qui sont, comme le martèle la propagande, « au service de la paix », illustrent les ambitions mondiales de la Chine de Xi Jinping. Lorsqu’il s’adresse aux 90 millions de membres du Parti communiste, celui-ci ne cesse de mettre en garde contre les « menaces » qui l’assaillent. En revanche, l’image qu’il entend donner au pays et au reste du monde est au contraire celle d’un parti qui a accompli un «miracle».

[…] Le mot figure en toutes lettres dans le Livre blanc publié le 29 septembre par le gouvernement chinois sur le rôle international du pays. « En soixante-dix ans, sous la direction du Parti communiste chinois, la République populaire de Chine a connu de profonds changements et réalisé un miracle de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité », est-il écrit, dès l’introduction. « La Chine a réussi à accomplir quelque chose que les pays développés ont mis plusieurs centaines d’années à réaliser », ajoute le document. Le PIB du pays est passé de « 67,9 milliards de yuans [8,7 milliards d’euros] en 1952 à 90 000 milliards de yuans [11 570 milliards d’euros] en 2018 », est-il précisé. Pourtant, le Livre blanc affirme que la Chine reste un « pays émergent ». Pas question en effet d’accepter de perdre les avantages qu’octroie ce statut au sein de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle la Chine a adhéré en 2001. »

Et le plus important, à 10 heures, au balcon de la Porte-de-la-Paix-Céleste, au sud de la Cité interdite, qui donne sur la place Tiananmen, là même où Mao Zedong avait proclamé le 1er octobre 1949 la création de la République populaire de Chine, Xi Jinping, secrétaire du Parti communiste depuis 2012 et président de la République depuis 2013, a prononcé un discours très bref de sept minutes.

Et c’est dans ce discours qu’il a eu cette phrase :

«Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant»

Là il est question de « la nation chinoise », unique, unifié dans laquelle les différences doivent être minimes.

Une nation prête pour la conquête économique, prête à se défendre contre n’importe quel ennemi, une nation où chacun doit souscrire aux messages de Xi Jinping et dans laquelle les particularismes doivent se dissoudre dans l’Unité et ….

le culte de la personnalité…

<1325>

Mercredi 11 décembre 2019

« Une île »
Michèle Bernard-Requin

Aujourd’hui, je ne ferais aucun commentaire, je n’ajouterai rien.

Ma seule action sera de relayer un article publié le 09/12/2019 sur « Le Point » : <La déclaration d’amour de Michèle Bernard-Requin>

Michèle Bernard-Requin, magistrate exemplaire, a rassemblé ses dernières forces pour écrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l’hôpital Sainte-Perrine.

Voici un texte poignant, bouleversant, qui tirera les larmes même aux plus insensibles d’entre nous. Des lignes que Michèle Bernard-Requin nous envoie depuis l’hôpital Sainte-Perrine à Paris, où elle se trouve, selon ses mots, « en fin de vie ». Michèle Bernard-Requin est une des grandes figures du monde judiciaire. Elle fut tour à tour avocate puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d’assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite.

Auteur de plusieurs livres, elle intervient de temps à autre dans les médias et tient depuis 2017 une chronique régulière sur le site du Point dans laquelle elle explique avec clarté, talent et conviction comment fonctionne la justice et pourquoi, parfois, cette institution dysfonctionne. Aujourd’hui, c’est un tout autre cri d’alarme qu’elle pousse dans un « petit et ultime texte pour aider les « unités de soins palliatifs » », a-t-elle tenu à préciser dans ce mail envoyé par sa fille dimanche 8 décembre au matin. Un texte que nous publions tel quel en respectant sa ponctuation, ses sauts de ligne, son titre évidemment. JB.

« UNE ÎLE

Vous voyez d’abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.
La justice, ici, n’a pas eu son mot à dire pour moi.
La loi Leonetti est plus claire en effet que l’on se l’imagine et ma volonté s’exprime aujourd’hui sans ambiguïté.
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.
Il ne s’agit pas d’euthanasie bien sûr mais d’acharnement, si le cœur, si les reins, si l’hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d’acharnement.
Ici, c’est la paix.
Ça s’appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.
« Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
C’est une île, un îlet, quelques arbres.
C’est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d’aller, là-bas, vivre ensemble ».
C’est « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » (« Spleen ») Baudelaire
Voilà, je touche, en effet, aujourd’hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c’est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.
Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu’ils n’en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d’avoir l’humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu’à l’aide-soignant et l’élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d’abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense.
À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m’arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».
Il faut comprendre que le rapport à l’humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c’était sa richesse, hospitalière, c’était extraordinaire, un regard croisé, à l’heure où tout se déshumanise, à l’heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu’à travers des procédures dématérialisées, à l’heure où le médecin n’examine parfois son patient qu’à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.
Le soignant qui échange le regard.
Eh oui, ici, c’est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n’aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l’escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l’épaule.
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l’ordinaire de tous.
C’est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.
Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s’enlise dramatiquement.
J’apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l’obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d’autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d’essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.
Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s’appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c’était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c’est extraordinaire.
J’ai oublié l’essentiel, c’est l’amour, l’amour des proches, l’amour des autres, l’amour de ceux que l’on croyait beaucoup plus loin de vous, l’amour des soignants, l’amour des visiteurs et des sourires.
Faites que cette humanité persiste ! C’est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.
La France et ses tumultes, nous en avons assez.
Nous savons tous parfaitement qu’il faut penser aux plus démunis.
Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l’essentiel du mouvement : l’amour. »


<1324>

Mardi 10 décembre 2019

« Un mercredi, il y a cent ans… »
Une histoire qui commence

C’était un mercredi, il y a cent ans, le 10 décembre 1919.

Dans une ville minière, d’environ 6000 habitants, au nord-est de la Lorraine, dans une maison familiale, un enfant venait de naître au monde.

C’était un garçon.

Son père était revenu dans cette maison, depuis un an à peine, soldat d’une armée vaincue.

Mais ce 10 décembre, il était citoyen d’une Nation triomphante et père d’un septième et dernier enfant, le seul à être né français.

Un an auparavant, quand il était enfin de retour, ce fut quelques jours trop tard pour accompagner son 5ème enfant, une fille du nom de Pauline, à sa dernière demeure à l’âge de 10 ans. Elle avait succombé à la grippe espagnole le 20 novembre 1918, 9 jours après l’armistice.

Félix, le père de l’enfant qui venait de naître, fut celui dans sa lignée qui fit sortir sa famille du néolithique. Aussi loin qu’on remontait le temps qu’il était possible de connaître, la famille était constituée de paysans qui vivaient dans des fermes. Lui a quitté la ferme pour se rendre vers une petite ville qui s’était construite sur un territoire industriel émergeant autour de l’activité des mines de charbon.

Il avait conservé quelques lopins de terre pour la nourriture domestique mais avait changé de métier et était devenu menuisier.

La mère s’appelait Katherine avec un « K » car elle était née dans une commune près de Mannheim qui se trouve actuellement dans le Bade-Wurtemberg mais qui historiquement faisait partie du Palatinat.

Elle n’était donc pas comme Félix, née sur ce territoire tant disputé entre les germains de l’est et les germains de l’ouest qui sont les Francs. Elle est née sur le territoire des germains de l’est.

D’ailleurs leur mariage fut célébré à Mannheim.

Le père était travailleur, rude, peu enclin au dialogue et pas très drôle.

Katherine était douce, pleine d’humour et aimait chanter.

Dans cette famille pauvre à la sortie de la terrible grande guerre, la vie n’était pas simple.

Mais quand il y avait quelques loisirs, la famille se réunissait faisait de la musique et chantait ensemble.

Dans cette ambiance et probablement sous l’influence de sa mère, le jeune garçon s’éveillait à la musique, à la poésie et à l’art.

Mais quand il exprima son souhait d’embrasser le métier de musicien et plus précisément de violoniste, la réponse du père fut catégorique et sans appel :

« Musicien est un métier de fainéant, tu seras menuisier comme ton père et tu feras de la musique comme tout le monde en amateur »

Le jeune Rodolphe bien qu’obéissant savait ce qu’il voulait et ne se soumit que provisoirement.

Il attendait patiemment l’âge de la majorité qui était de 21 ans, pour échapper à l’autorité parentale et réaliser son rêve devenir musicien professionnel.

Mais en ces temps troublés, il a eu 20 ans en 1939 et une nouvelle guerre allait embraser l’Europe, la France et l’Allemagne.

Il partit donc à la guerre, mais avant de finir ses classes la France était vaincue par l’étrange défaite de 1940 selon le livre du grand historien Marc Bloch.

Quand les autorités allemandes invitèrent les alsaciens les lorrains de revenir dans leur région natal en leur promettant qu’il ne serait pas incorporé dans la Wehrmacht il écouta le conseil d’un sage adjudant qui lui dit : « Les allemands vont perdre la guerre, et quand ils auront besoin de troupes pour leurs derniers combats, ils obligeront tous ceux qu’ils trouveront à incorporer leur armée ».

Il l’écouta et passa les années de guerre dans la petite ville de Renaison dans la Loire, près de Roanne à 100 km de Lyon.

Il ne revint dans sa région natale qu’à la fin de la guerre en 1945, il avait déjà 26 ans. C’était le temps de trouver épouse.

Il rencontra une jeune femme qui n’était pas française, mais polonaise, issue de l’immigration de travail que réclamaient les houillères de Lorraine. Elle devint française par le mariage.

Toute cette petite histoire, que je préfère appeler l’histoire à hauteur d’homme, rencontre la grande histoire et relativise beaucoup des idées et des concepts qu’on entend développer par des idéologues qui rêvent un passé qui n’a jamais existé.

La France est mélange, mélange entre peuples germains, francs, alamans, teutons, burgondes quelques latins bien sûr et aussi comme dans cet exemple des slaves et bien d’autres

Nous sommes loin de nos ancêtres les gaulois…

Il devint père une première fois en 1947 puis en 1949.

Pour nourrir sa famille, il accepta les métiers qu’il pouvait exercer. Malgré les difficultés, malgré un départ bien tardif il poursuivit son rêve de faire de la musique et d’approfondir la musique et la pratique du violon.

Il alla prendre des cours dans la ville allemande proche de Sarrebruck.

Il accéda enfin à son objectif de faire du violon son métier, lorsqu’il eut l’opportunité de participer à la création de l’école de musique de Forbach en 1951. Il avait 31 ans. Les conditions financières étaient exécrables pendant de nombreuses années, il lui fallut exercer d’autres missions pour parvenir à des revenus toujours modestes mais permettant de vivre. Mais il ne se plaignait jamais car il pratiquait le métier qu’il aimait.

Il devint un professeur remarquable qui apprit le violon à des générations d’élèves de 1951 à 1991. Les enfants et même à la fin les petits enfants de ses premiers élèves devinrent aussi ses élèves.

Il disait :

« Avant de leur apprendre le violon, j’essaye surtout de leur faire aimer la musique »

Et le miracle, c’est qu’il y parvint le plus souvent.

Vous savez compter, il a pris sa retraite en 1991, il avait 72 ans.

C’est aussi une leçon par rapport à nos débats sur les retraites. On peut travailler jusqu’à 70 ans, mais cela dépend du métier, cela dépend du sens qu’on peut lui donner. Notre problème de retraite n’est-il pas avant tout un problème de travail, de travail de seniors, de condition et de qualité de travail ? Et du sens de tout cela ?

En 1958, ce garçon né en 1919, à Stiring-Wendel, devint mon père.

Il était aussi compréhensif, bienveillant et tendre que son père était dur et rigide.

Avant de quitter la communauté des vivants en 2009, il chanta encore des chansons à ses infirmières jusqu’à ses derniers instants de lucidité.

Nous ne sommes pas des individus venus un jour au monde et qui nous construisons nous même. Nous nous inscrivons dans une lignée familiale et sommes le fruit des transmissions que nous avons su accueillir.

Mon père m’a appris à aimer la musique.

Il m’a aussi appris la bienveillance.

Il m’a aidé à avoir confiance en moi.

Il m’a conduit à aimer la vie.

<1323>

Lundi 9 décembre 2019

«Réaliste, indestructible et révolutionnaire dans un monde uniformément fade et mécanisé»
Philippe Sollers en évoquant Martha Argerich

Cette saison, c’est la fête des pianistes exceptionnels à l’Auditorium de Lyon.

Il ne manque que Grigory Sokolov.

Daniel Barenboïm est déjà venu en octobre.

Evgeni Kissin viendra en janvier et Murray Perahia en avril.

Et ce dimanche, 8 décembre, Martha Argerich était là.

Et c’est quelque chose qu’elle soit là, tant il est vrai qu’il lui arrive de renoncer à venir quand elle ne se sent pas prête.

C’est au moins sa réputation.

<Wikipedia> affirme :

« Elle n’a jamais été poursuivie en rupture de contrat simplement parce que, jalouse de son indépendance, elle n’en a jamais signé. »

Si cette affirmation est exacte, il faut être Martha Argerich pour être programmée dans un concert, sans que l’organisateur ne dispose d’un contrat solide avec l’artiste et accepte cette incertitude.

Mais quand elle est présente, la prestation tient de l’exception.

Elle arrive même à convaincre que le concerto de piano n°1 que Beethoven a composé à 25 ans, encore bien éloigné de sa maturité, constitue un chef d’œuvre.

En me replongeant dans sa biographie, j’ai appris que ce même 1er concerto de Beethoven qu’elle a interprété à Lyon était aussi au programme de son premier concert à Buenos Aires où elle est née en 1941.

Lors de ce premier concert elle avait 8 ans !

Elle a commencé le piano vers 4 ans et à le travailler vraiment à 5 ans.

Elle ne voulait pas devenir pianiste, elle voulait devenir médecin. Ses parents ont certainement insisté beaucoup.

L’Express dans un article de 2000 : « Le jour où Martha Argerich osa jouer » raconte :

« Il était une fois à Buenos Aires une petite fille de 2 ans et 8 mois qui se planta devant un piano et reproduisit instantanément l’air que fredonnait sa puéricultrice, parce qu’un petit camarade venait de lui dire: «T’es pas cap’ de jouer du piano.» Mais, cinquante-six ans plus tard, Martha Argerich n’en finit pas de regretter d’avoir relevé ce défi. «J’aime jouer du piano mais je déteste être pianiste», ne cesse-t-elle de répéter. Elle est sans doute la pianiste la plus inspirée et la plus torturée de notre époque. Si elle figure simplement en bonne place dans le hit-parade des concerts annulés, elle est la seule à refuser de se produire seule sur une scène, depuis dix-neuf ans. Plus exactement était, car, le 25 mars dernier, elle se résignait enfin à offrir un récital au public enthousiaste de Carnegie Hall. »

Cet article apporte une autre information, Martha Argerich ne veut plus jouer seul sur scène, elle a toujours besoin de partager la musique avec des amis.

Ce dimanche, elle a d’abord joué de la musique pour deux pianos avec un autre pianiste né à Buenos Aires : Eduardo Hubert.

Le concerto de Beethoven, elle l’a jouée avec un orchestre de chambre hongrois remarquable : L’orchestre de chambre Franz-Liszt de Budapest dirigé par Gabor Takacs-Nagy.

Ce concert new-yorkais dont parle l’Express et qui était donc une exception depuis 19 ans et qui l’est redevenue depuis, était tout à fait particulier.

En 1990, Martha Argerich a été atteint par le cancer : un mélanome. Elle avait été traitée avec succès. Malheureusement, elle a rechuté en 1995 avec des métastases pulmonaires et un envahissement des ganglions lymphatiques. Un nouveau traitement institué au John Wayne Cancer Institute lui a permis d’obtenir une nouvelle rémission. Et le concert de Carnegie Hall était organisé au profit du John Wayne Cancer Institute de Santa Monica (Californie), dirigé par le Dr Morton, qui a su traiter la grave affection cancéreuse dont elle souffre.

Martha Argerich est donc une survivante qui défie les statistiques morbides des récidives cancéreuses et de leurs complications métastasiques.

Quand elle joue sur scène, on voit son plaisir, son espièglerie à faire de la musique avec d’autres avec une technique sans faille et une émotion à fleur de peau.

J’ai aussi emprunté à l’article de l’express l’exergue de ce mot du jour. C’est un portrait littéraire de Martha Argerich écrit par Philippe Sollers «Réaliste, indestructible et révolutionnaire dans un monde uniformément fade et mécanisé», Et comme l’écrit le journaliste son jeu, toujours fidèle au texte de la partition, est d’une liberté et d’une spontanéité absolues, comme si la musique naissait sous ses doigts pour la première fois.

Martha Argerich fuit les journalistes et les interviews.

Et c’est donc quasi inespéré de la voir simple, attachante dans un documentaire tourné en 1972 par la <Télévision Suisse> à l’époque où elle était mariée avec le chef Charles Dutoit.

Un autre documentaire plus court sur <Euronews> la montre en Italie, en 2012, alors qu’elle prépare un concert avec Antonio Pappano.

Sur la page de présentation de ce documentaire, on lit :

« La pianiste virtuose a fait chavirer Rome dernièrement en interprétant le Concerto de Schumann aux côtés de musiciens qu’elle estime exceptionnels : […] Farouchement attachée à son indépendance, rejetant les règles imposées par la carrière et la célébrité, Martha Argerich n’interprète pas la musique, elle l’incarne. « Il est impossible de séparer la personne de la musicienne : elle est la musique, » affirme le chef Antonio Pappano […] Pour Martha, la musique n’a de sens que si elle est partagée. Insoumise et courageuse, la virtuose a lutté toute sa vie contre la solitude. « Friedrich Gulda m’avait dit : « il faut que tu apprennes tout avant 16 ans parce qu’après on devient un peu stupide, » raconte la musicienne, « je trouvais que je menais la vie d’une personne de quarante ans quand j’en avais 17 et je voulais vivre la vie des jeunes étudiants de mon âge qui étaient libres, qui s’amusaient un peu, qui n’avaient pas le trac et qui n’avaient pas ces problèmes. Je trouvais que ma vie était triste, » poursuit-elle, « je faisais des voyages, seule, j’étais très timide, je suis très timide parce que je crois que cela, on ne le perd pas ! » lance-t-elle avant de souligner : « à présent, il y a des amis partout, alors on prend soin de moi. » »

Et puis il faut voir Martha Argerich jouer :

Très jeune <La polonaise héroïque> de Chopin.

Et en 2010, à Varsovie avec un orchestre polonais <le concerto n°1 de Chopin>. Il est rare qu’un musicien classique affiche plus de 2 800 000 vues sur youtube.

A Leipzig, <le concerto de piano de Schumann> dans une interprétation lumineuse.

Et des plus petites pièces : <Une petite œuvre de Bach> dans laquelle, elle excelle.

Et un de ses bis fétiches <la sonate K141 de Scarlatti> dans laquelle s’exprime sa virtuosité.

Et pour finir France musique qui pose la question <Peut-on percer le mystère Martha Argerich ?>

<1322>

Vendredi 6 décembre 2019

« Pause »
Un jour sans mot du jour

Cette année la fête des lumières de Lyon commence le 5 décembre et se terminera le 8 décembre jour de la vraie fête des lumières.

J’avais le projet d’y aller le premier jour pour faire des photos, car comme tout habitant de Lyon je sais que c’est le moment où il est possible d’aller voir les différentes œuvres de lumière sans qu’il n’y ait une foule trop importante.

Visiblement, beaucoup de lyonnais ont eu cette idée et les lyonnais sont nombreux.

Je me suis donc retrouvé avec Annie dans une foule dense et compacte.

La foule, le froid et la fragilité de santé qui me poursuit désormais m’a empêché de persévérer dans mon projet, il m’a fallu rentrer.

Je n’ai donc pas de photos à vous proposer.

Mais la fête des lumières dispose d’un « site »

<Mot sans numéro>

Jeudi 5 décembre 2019

« C’est en France que la durée de vie après la vie professionnelle est la plus longue. »
Etude de l’OCDE

Aujourd’hui c’est la grève !

La grève pour nos retraites.

C’est un sujet très compliqué qui me laisse songeur.

La retraite par répartition que nous avons en France constitue une magnifique œuvre de solidarité et d’entraide, mais elle est très contraignante et nécessite le contraire d’une réaction individualiste. Elle nécessite une réaction sociale et solidaire.

Si tout le monde se précipite sur la place publique et dit : « Et moi et moi, et moi, j’ai des droits », sans jamais se poser la question des droits des autres, ni encore davantage qui paiera, nous ne nous en sortirons pas.

La première question à se poser, est de savoir si nous voulons continuer à rester dans un système essentiellement par répartition.

J’avais déjà abordé ce sujet de manière assez personnelle dans le mot du jour du 2 mai 2018 : « Grandeur et servitude du système de retraite par répartition »

Si la réponse à cette question est oui, il faut bien sûr s’interroger sur un niveau acceptable de pension pour les retraités, mais il faut tout autant s’interroger sur la capacité des actifs à payer la pension de ces retraités.

A partir des éléments factuels recueillis sur le site du Conseil d’Orientation des Retraites j’avais pu établir cette projection :

« Ceci signifie qu’en 1960 : 4 actifs cotisaient, en moyenne, chacun 25 euros pour qu’un retraité puisse toucher 100 euros. Selon cette projection en 2050, un actif devra cotiser 83,33 € pour arriver au même résultat que le retraité puisse toucher 100 euros. »

Aborder ce vaste sujet uniquement par l’angle des droits, sans aborder la question du coût pour les actifs me parait hautement déraisonnable.

Cela étant dit, la communication chaotique du gouvernement est anxiogène. Nicholas Baverez l’a dit sur France Inter :

« Sur les retraites, on a multiplié les incertitudes sans apporter de solutions »

En outre, les technocrates qui nous gouvernent ont trouvé pertinent d’inventer une novlangue qui par son côté obscur ajoute à l’anxiété.

Alternatives économiques a proposé un article : « Tout comprendre à la novlangue des retraites »

L’article est introduit ainsi :

« Comme si la réforme des retraites n’était pas déjà suffisamment compliquée, le vocabulaire qui l’accompagne ajoute à la confusion générale. Si les Français ont bien compris que l’orientation choisie par l’exécutif était de les faire travailler plus longtemps, beaucoup n’ont toujours pas saisi les subtiles modalités de cet allongement de la durée de vie au travail.

De nouveaux concepts émergent dans le débat, à l’instar de l’âge minimum de taux plein, certains sont sortis de la naphtaline comme la clause du grand-père. D’autres encore recouvrent des nuances techniques qu’il est utile de définir. Car tous ces termes sont lourds de conséquences pour les futurs pensionnés. »

Les journalistes apportent ainsi des précisions sur dix expressions :

1/ Age pivot ou âge d’équilibre

2/ Age minimum du taux plein

3/ Age d’annulation de la décote ou du taux plein automatique

4/ Age de départ moyen ou âge de départ effectif

5/ Age conjoncturel de départ en retraite

6/ Clause du grand-père

7/ Réforme paramétrique ou systémique

8/ Taux de remplacement

9/ Valeur d’acquisition et valeur de service du point

10/ Désindexation des pensions

Si vous vous dépêchez vous devriez pouvoir lire l’article, car Alternatives économiques a décidé d’ouvrir son site gratuitement pour 24h.

« Tout comprendre à la novlangue des retraites »

Thomas Picketty attaque sévèrement le gouvernement en parlant « d’arnaque  » et il dénonce le fait que gouvernement tente d’opposer les bas salaires entre eux.

Il émet cette idée qu’il faudrait faire davantage cotiser les hauts salaires.

Et en effet, le gouvernement a prévu de ne taxer les revenus au-delà de 10 000 euros uniquement à 2,8 %.

Mais Léa Salamé a répliqué que la part au-dessus de 10 000 euros ne permettrait plus de percevoir de pensions qui sont ainsi plafonnés. Cet argument a été repris le jour suivant par Dominique Seux :

« La complexité du sujet permet à chacun de projeter ses propres fantasmes. Avant-hier, au micro de Léa Salamé, Thomas Piketty a cru pouvoir lever un lièvre en expliquant qu’avec un taux de cotisation de 2,8% au-delà de 10 000 euros bruts par mois, les plus riches étaient les grands gagnants cachés. Léa Salamé a rappelé qu’il n’y aura aucun droit à retraite en face, et elle a bien fait. La vraie conséquence est que des cadres ne bénéficieront plus de la solidarité nationale à un seuil nettement inférieur à ce qu’il est aujourd’hui.

Le plus amusant est que Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une réforme qui obligera les classes moyennes (sic, à plus de 10 000 euros par mois) à souscrire à un fonds de pension, tandis que François Ruffin dénonçait lui aussi un cadeau aux riches. Il faudrait savoir, la politique a ses raisons qui font parfois déraisonner.  »

Et Alternatives Economiques explique davantage le mécanisme dans un article : « Qui paiera la retraite des super-cadres ? »

« La réforme prévoit de diminuer le plafond de la retraite : il n’y aura plus de cotisation au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale (10 000 euros brut par mois environ) et la part du salaire supérieure à ce niveau n’est pas inclue dans le calcul des droits à la retraite. Il restera une cotisation de solidarité de 2,8 % est versée sur la totalité du salaire. Malgré la forte communication du gouvernement sur ce sujet, cette cotisation de solidarité n’est pas vraiment une innovation, mais simplement un léger relèvement (de 0,4 point) du taux par rapport à celui pratiqué dans système actuel.

Ainsi, les cadres à très haut salaire obtiennent leur « bon de sortie » du système collectif de Sécurité sociale. Plus précisément, ils y sont toujours affiliés, mais uniquement pour le « bas » de leur salaire. Pour le haut de leur salaire, charge à ces personnes, et à leur employeur, de s’assurer elles-mêmes une retraite en se tournant vers différents fonds de pensions privés (fonds qui d’ailleurs sont en partie subventionnés par différentes formes d’avantages fiscaux ou sociaux).»

Alternatives Économiques soulève cependant le problème de la transition qui semble être le vrai lièvre sur ce sujet :

« La partie supérieure des hauts salaires ne cotise plus, ou presque, mais elle ne donne pas de droits à retraite. Il n’y a donc pas de problème ? Au niveau individuel, peut-être, mais au niveau collectif, ce n’est pas tout à fait exact. En effet, les cadres supérieurs qui sont déjà à la retraite, ou même encore en activité, ont acquis des droits à la retraite y compris au-dessus de trois plafonds de la Sécurité sociale. Autrement dit, jusqu’à leur mort ces cadres percevront leur retraite, calculée sur des salaires pouvant aller jusqu’à huit plafonds de la Sécu. Ces salaires ont par le passé été soumis à cotisation et leurs droits à retraite ne seront pas remis en cause – ce qui est relativement logique dans le cadre d’une assurance sociale.

Le problème c’est qu’à partir du basculement dans la réforme (par exemple en 2025), il n’y aurait plus de cotisations versées entre trois et huit plafonds de la Sécu par les cadres dirigeants actuellement en activité. Cela veut dire que pendant plusieurs décennies, le système de retraite devra en même temps verser des pensions calculées sur des très hauts salaires, tout en ayant renoncé à percevoir des cotisations sur les très hauts salaires. Cela créerait un déséquilibre entre recette et prestations dans le système, qui sera au final financé par la diminution globale des pensions. »

Mais au milieu de toutes ces difficultés, il y a quand même une heureuse nouvelle pour la France : Nous sommes premiers !

Les Français sont le peuple qui a la durée de vie après la vie professionnelle la plus longue de tous les pays développés, nous confirme l’OCDE.

C’est écrit dans le panorama annuel publié hier sur les retraites par l’OCDE, l’Organisme d’études économiques des pays développés.

L’information et le classement se trouve en ligne :

Pour les hommes voici le classement sur les données 2018

1    France    22,7

2    Luxembourg    22,3

3    Greece    21,8

4    Spain    21,7

5    Belgium    21,1

6    Italy    20,7

7    Australia    19,8

8    Austria    19,3

9    Finland    19,1

10    Germany    19,1

Les Etats-Unis sont 24ème avec 16,4.

Pour les femmes, c’est encore les françaises qui sont en tête

1    France    26,9

2    Spain    26,6

3    Greece    26,4

4    Italy    25,7

5    Slovenia    25,6

6    Belgium    25,5

7    Luxembourg    25,0

8    Austria    25,0

9    Poland    24,3

10    Finland    23,5

Les Etats-Unis sont cette fois 32ème avec 19,8 années et l’Allemagne 19ème avec 22,5.

Dominique Seux a tenté d’analyser ces chiffres

« Que montre ce tableau ?

Que la France est, reste, et d’assez loin, le pays où le temps passé à la retraite une fois que l’on quitte le marché du travail et jusqu’à hélas l’inévitable décès, ce temps est LE plus long de tous les pays industrialisés.

Notre pays se singularise ailleurs aussi : un taux de pauvreté des retraités plus faible, et un niveau de la pension par rapport au dernier salaire plus élevé.

Qu’inspire ce temps à la retraite record ?

Il s’explique par une sortie de l’emploi plus précoce qu’ailleurs (avec un âge de la retraite plus bas qu’ailleurs et très dispersé – régimes spéciaux), et par un chômage des seniors plus haut. Alors, disons-le clairement : il n’y aucune raison de principe de toujours s’aligner par le bas, et être différent par le haut n’est bien sûr pas un problème a priori.

A partir de là, la question posée est double : pourquoi ne nous rendons-nous pas compte de cet avantage français, qui est réel et pas une fake news inventée par les ultra-libéraux ? Pourquoi ? Je ne sais pas.

Et comment est financée cette durée hors-norme ? Si c’est un choix de société, il faut avoir conscience que ce sont les actifs qui en supportent le coût. »

Les allemands disaient « Heureux comme Dieu en France »

Avec ces tableaux, ils risquent de dire « Heureux comme un retraité en France ».

Cela ne règle, bien sûr, en rien le problème du financement.

<1321>

 

Mercredi 4 décembre 2019

« Le document 9 »
Document secret du pouvoir central chinois présidé par Xi Jinping

L’excellent documentaire, « Le monde selon Xi-Jinping » montre d’abord que le Président chinois est un prince rouge. C’est-à-dire un enfant du premier cercle de Mao lors de la proclamation en 1949 de la République populaire de Chine.

C’est une sorte de noblesse qui perpétue son pouvoir dans la Chine communiste et capitaliste non libéral.

Il raconte aussi la descente en enfer de son père et de lui-même lors de la purge réalisée pendant la révolution culturelle. Et dans laquelle ils comptèrent parmi les victimes. Il dit lui-même que les gardes rouges ont plusieurs fois menacé de le fusiller. Il fut victime de violences physiques, morales et aussi d’un travail dur à la campagne au milieu de rudes paysans. Sa sœur ainée s’est suicidée pendant cette période

Mais il garda toute sa confiance dans le Parti Communiste, il y adhéra après bien des péripéties. Puis, il fut suffisamment consensuel pour grimper tous les échelons.

Lors des dernières marches il sut écarter ceux qui pouvaient être des concurrents. Il affiche un motif noble : la lutte contre la corruption. Il semble que la corruption est importante en Chine communiste.

Dès lors, beaucoup peuvent être inquiétés pour cette raison.

Ainsi, il a pu écarter un autre prince rouge « Bo Xilai » qui apparaissait comme un rival très sérieux. Condamné à la prison à perpétuité et spolié de tous ces biens il ne constitue plus un obstacle pour Xi Jinping.

Mais la famille de XI Jinping est à la tête d’une fortune colossale de plus de 290 millions d’euros, selon une enquête de Bloomberg qui a valu au site de l’agence d’être suspendu quelques jours en Chine pendant l’été.

Cette fortune n’est elle que le fruit du travail ?

Xi Jinping est devenu le secrétaire général du Parti communiste en novembre 2012 et Président de la République le 14 mars 2013.

Normalement depuis Deng Xiao Ping, ce poste était occupé pendant dix ans puis tranquillement l’élite du Parti se mettait d’accord sur un successeur. Xi Jinping a rapidement su mettre en place les conditions de la prolongation indéfinie de son mandat. Il souhaite probablement « le refaire à la Mao » rester au pouvoir jusqu’à sa mort ?

Aujourd’hui, je souhaite m’arrêter sur un autre point développé dans le documentaire, le « document 9 ».

Xi Jinping, n’était pas depuis longtemps au pouvoir quand a été divulgué, en 2013, un document secret du Comité Central, « le document 9 ».

Le pouvoir chinois a accusé la journaliste Gao Yu née à Chongqing en 1944 et qui faisait partie de cercles d’intellectuels dissidents, d’être la responsable de cette fuite.

Elle avait été arrêtée en 1989 après les manifestations de la place Tian’anmen et libérée 14 mois plus tard pour raison de santé. De nouveau arrêtée en octobre 1993 et condamnée à 6 ans de prison, elle est arrêtée une troisième fois le 24 avril 2014, en raison du document 9.

Gao Yu est réapparu le 8 mai 2014 sur les écrans de la télévision chinoise, filmée assise sur une chaise en fer dans une salle capitonnée, une salle d’interrogatoire, d’un centre de détention, exprimant, d’un ton las et hésitant, une autocritique, pour son «crime», qui porterait «atteinte aux intérêts nationaux». Ses amis s’interrogent sur les moyens et les pressions exercées sur cette femme de conviction solide pour lui arracher une telle autocritique

En avril 2015, Gao Yu est condamnée, à une peine de sept ans de prison.

Ce document 9 dont un des principaux auteurs serait le président chinois lui-même, Xi Jinping, a vocation à servir de référence à la politique chinoise dans les dix ans à venir. Ce document identifie dix périls à combattre dans la société chinoise :

Le tout premier est la «démocratie constitutionnelle occidentale».

Les autres incluent la promotion des «valeurs universelles» des droits de l’homme, les idées d’indépendance des médias et de participation citoyenne inspirées par l’Occident, le «néolibéralisme» qui défend avec ardeur l’économie de marché et les critiques «nihilistes» du passé traumatisant du parti ».

Bref, il rejette toutes les valeurs auxquels nous autres occidentaux, malgré nos différences, sommes attachées.

François Bougon est journaliste au « Monde », il avait été correspondant de l’AFP en Chine pendant 5 ans. Il a écrit un livre : « Dans la tête de Xi Jinping » publié en 2017 et édité par Actes Sud.

François Bougon insiste d’abord sur une illusion que nous autres occidentaux pourrions avoir d’espérer qu’apparaisse au sein du PCC, un Gorbatchev chinois qui parle de réforme, de transparence, de refus de la violence et qui fasse évoluer la Chine vers un régime plus proche de nos valeurs.

C’est un espoir vain, selon ce journaliste. Gorbatchev est l’anti-modèle pour les responsables chinois.

Et particulièrement Xi Jinping est marqué par la chute de l’URSS en 1991, suite à la « mollesse » de Gorbatchev. Il est résolu à éviter cette faute et considère que le salut du Parti est dans la lutte pied à pied contre la démocratie, et la réactivation d’un marxisme aux couleurs de la Chine.

Bougon s’intéresse au document « n°9 » de 2013 et considère particulièrement important de constater que Xi Jinping y pourfend les « valeurs universelles », la « démocratie constitutionnelle», les ONG, les « forces hostiles » de l’étranger, et le « nihilisme historique » – le fait de tourner en dérision les héros révolutionnaires et leurs actes.

Bougon le constate mais il est sceptique sur les chances de survie d’un régime ayant tourné le dos à toute concession et toute réforme politique. L’auteur suggère que le pouvoir, entré dans la dernière phase de son existence, joue ses dernières cartes et ne pourrait survivre plus d’une à deux décennies. Sous l’angle économique, Xi veut rendre ses concitoyens réactifs et créatifs, pour obtenir des entreprises et des universités mondialement compétitives. Mais sous l’angle politique, Xi veut en même temps maintenir cette société muselée.

Un tel grand écart devrait devenir rapidement intenable : « aucun Parti ne peut régner ad vitam aeternam », conclut F. Bougon.

Vous pouvez voir François Bougon présenter longuement son ouvrage et ses idées dans une <vidéo> d’une conférence qu’il a fait à la fondation Jean Jaurés.

Il explique notamment que par rapport aux discours des droits de l’homme des occidentaux, aux leçons des valeurs universelles, Xi Jinping ne se situe pas dans une posture défensive, mais dans un discours revendicatif, un discours conquérant et même de sanctions économiques pour ceux qui ne voudraient pas comprendre. La Chine a sa propre civilisation, a des solutions pour le monde qui ne s’inscrivent absolument pas dans le corpus idéologique des occidentaux. Notamment dans cette vision, la Loi n’a pas pour vocation de garantir des droits individuels mais d’imposer des solutions pour que la Société fonctionne efficacement.

L’obsession de Xi Jinping est que la Chine «communiste» devienne la première puissance mondiale économique et militaire pour le centenaire de sa création, en 2049, et qu’elle surpasse enfin les Etats-Unis. Pour atteindre ce but, il choisit de faire prendre au pays un virage de plus en plus totalitaire.

<Le Figaro> parle aussi de ce document 9 et conclut très justement :

« En réalité, il ouvre une guerre idéologique frontale à un Occident qui, aveuglé par les chimères de l’eldorado chinois, réduit au commerce sa relation à la Chine. »

<Le Monde> explique

« Le Document n°9 apparaît aujourd’hui comme ayant tracé la feuille de route exacte de la répression qui n’a cessé de s’intensifier, dès l’automne 2013 et la fin du procès de Bo Xilai, contre la société civile chinoise, les intellectuels, les blogueurs, les avocats ou les militants d’ONG. […]

Cette « note de l’Office général du Comité central du parti », diffusée jusqu’aux plus bas échelons de l’organisation, a pris le nom de « Document n°9 », car il est alors le neuvième document de ce type diffusé depuis le début de l’année, selon le site China File, qui en offre une traduction intégrale en anglais, tirée de la version en chinois publiée par le magazine papier du site Mingjing News aux Etats-Unis en septembre 2013. […] le « Document n°9 » se lit comme le pense-bête d’un régime obnubilé par l’Occident, un »kit anti-subversion » qu’il faut suivre à la lettre. Il prévient que « les forces occidentales antichinoises et les « dissidents » de l’intérieur sont toujours en train d’essayer activement d’infiltrer la sphère idéologique chinoise et de mettre au défi notre principale idéologie ». Le combat est « complexe et intense », prévient le préambule. Pour ce faire, sept tendances ont été identifiées comme autant de moyens inventés par l’Occident pour saper l’autorité du parti et le renverser. Le document expose les principaux arguments en leur faveur, et les condamne d’autorité.

On y trouve la « démocratie constitutionnelle occidentale » : Certains « attaquent les dirigeants en disant qu’ils se placent au-dessus de la Constitution ». « D’autres prétendent que la Chine a une Constitution, mais qu’elle n’est pas gouvernée de manière constitutionnelle ». « Leur objectif est d’utiliser l’idée de la démocratie constitutionnelle occidentale pour saboter le rôle dirigeant du parti, abolir la démocratie populaire et nier la Constitution de notre pays ». Les « valeurs universelles » : « Ces gens croient que la liberté, la démocratie, les droits de l’homme sont universels et éternels. C’est évident dans la manière dont ils tordent la promotion par le parti de la démocratie, la liberté (etc.) ». « Le but est d’utiliser le système de valeurs de l’Occident » pour « supplanter les valeurs fondamentales du Socialisme ».

Suivent la « société civile », accusée d’être « une tentative de démantèlement de la fondation sociale du parti dirigeant » ; le « néolibéralisme économique » ; le « journalisme à l’Occidental » (qui « met en question le principe que les médias et l’édition doivent être soumis à la discipline du Parti »). Le « nihilisme historique » : certains « dénient la valeur scientifique et pédagogique de la pensée Mao Zedong », d’autres « tentent de détacher ou même d’opposer entre elles la période de l’ouverture et des réformes [à partir de 1978] et celle qui a précédé [le maoïsme]. […]

Le « Document n°9 » s’attache ensuite à démasquer tous ceux qui œuvrent et s’agitent contre le parti : « Certains ont diffusé des lettres ouvertes et des pétitions en appelant à la réforme politique, à l’amélioration des droits de l’homme, (…) à revenir sur le verdict du 4 juin [1989] ». D’autres ont « monté en épingle la transparence du patrimoine chez les dirigeants », l’idée de la « supervision du gouvernement par les médias », ou ont prétendu « combattre la corruption sur l’Internet ». D’autres encore « réalisent des documentaires sur des sujets sensibles », « manipulent et montent en épingle les immolations de Tibétains » ou les « problèmes ethniques ou religieux ». Attention « aux ambassades étrangères, aux médias et aux ONG » qui « opèrent en Chine sous diverses couvertures, répandent les valeurs occidentales et cultivent à dessein les forces antigouvernementales ».

J’ai aussi trouvé cet article de <Slate>

Cet homme ne nous considère pas comme des partenaires, mais comme des ennemis.

Pendant ce temps les entrepreneurs occidentaux voient dans la Chine un marché immense et dévoilant tant de potentiel…

<1320>

Mardi 3 décembre 2019

« Je jure de préserver les secrets du Parti Communiste »
Serment des dirigeants chinois

C’est un lecteur du mot du jour habitant le Viet-Nam qui, il y a déjà assez longtemps, c’était le 20 décembre 2018, m’a écrit

« J’ai vu un super documentaire d’ARTE il y a peu, sur YouTube : « Le monde selon Xi Jinping ». Je pense que ça te plaira ».

J’ai plusieurs fois voulu partager ce documentaire ou le rappeler à celles et ceux qui l’ont déjà vu et écrire une série de mots du jour sur la Chine, la Chine de Xi Jinping.

Mais j’ai toujours reporté le moment d’aborder ce sujet.

Il faut bien se lancer…

Cette série aura toutefois une publication discontinue, car certains éléments vont me conduire à l’interrompre pour écrire des articles spécifiques.

La Chine est un empire qui aspire à devenir une nation.

C’est un empire, l’empire du milieu.

Pendant longtemps, cet empire dominait économiquement le monde.

Et puis il y a eu la révolution industrielle en Angleterre et en Europe.

Au XIXème siècle, les chinois qui avaient, et je dirais à juste titre, une haute opinion de leur culture et de leur civilisation ont été brusquement confrontés à une puissance militaire bien supérieure qui les a vaincu et, plus grave encore, à une civilisation britannique tellement fière d’elle-même et méprisante par rapport aux autres et particulièrement aux extra-européennes, que ce fut un choc, un choc d’humiliation.

Il y eut alors une réaction contre le système impérial qui va conduire à la révolution en 1911. La république de Chine est proclamée en février 1912 et met à sa tête « Sun Yat-Sen» qui était une personnalité en exil et qui va créer le parti nationaliste « Kuomintang ».

Il aura le plus grand mal à unifier le pays et devra combattre contre des Seigneurs de la guerre, des chefs de clan. Il crée une académie militaire et met à sa tête un militaire « Tchang Kaï-chek » qui prendra la tête du Kuomintang à sa mort en 1925.

Mais parallèlement, en s’inspirant de l’empire voisin de Russie, un Parti communiste chinois se crée et organise un premier congrès en 1921.

Par la suite, tantôt allié contre les Seigneurs de la guerre, puis contre le Japon, tantôt ennemi, le Parti Communiste et le Kuomintang vont s’affronter jusqu’à la victoire finale des communistes qui ont mis à leur tête Mao Tse Toung. Les nationalistes du Kuomintang et Tchang Kaï-chek, vont se retirer sur l’île de Formose que les chinois appellent Taïwan.

Mao proclame la république populaire de Chine le 1er octobre 1949.

Mao et les communistes vont avoir comme premier objectif de rendre sa fierté à la Chine.

Il y eut quelques succès, mais surtout beaucoup de répressions, beaucoup de morts et un désastre économique.

Le désastre économique conduit à limiter les pouvoirs de Mao et à donner une grande importance à un de ses proches collaborateurs Deng Xiaoping qui met en œuvre, avec d’autres, une libéralisation économique. Parmi ceux qui ont accompagné Mao très tôt et qui désormais sont au côté de Deng Xiaoping il y a Xi Zhongxun le père de Xi Jinping.

Nous savons que pour reprendre l’intégralité du pouvoir, Mao lance avec les jeunesses communistes la révolution culturelle qui va chasser du pouvoir, violenter, humilier, obliger à des « travaux de rééducation » en usine ou à la campagne tous ceux qui ont participé à cette première libéralisation économique. Pour être exact, « bénéficierons » de ce traitement, ceux qui n’ont pas été tués. Par ailleurs, le cercle de celles et de ceux qui seront opprimés est beaucoup plus large que ceux qui ont participé à la libéralisation de l’économie.

Xi Jinping en tant que fils de Xi Zhongxun va aussi subir la disgrâce. Wikipedia nous apprend que :

« En 1969, lors de la révolution culturelle, il est envoyé […] dans le village de Liangjiahe, dans la province de Shaanxi. Il y vit près de sept ans, de 15 à 22 ans, dans une habitation troglodytique. À cette époque, les enfants des hauts fonctionnaires intègrent en général l’armée, mais son père Xi Zhongxun étant exclu du PCC a perdu tout appui. Toutefois, la région est l’ancienne base révolutionnaire de son père, et Xi Jinping y est bien accueilli. Après quelques mois, il s’enfuit et regagne Pékin, où il est découvert et envoyé dans un camp de travail pour avoir déserté la campagne. »

Avec une telle histoire, on pourrait penser qu’il exprime un certain ressentiment à l’égard du Parti Communiste.

Mais et c’est ce que nous apprend le documentaire « le monde de Xi Jinping », en réalité il va subir l’effet qu’on appelle « le syndrome de Stockholm », terme créé par le psychiatre Nils Bejerot en 1973. Le syndrome de Stockholm est un phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d’empathie, de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci, selon des mécanismes complexes d’identification et de survie.

Et il fera tout ce qu’il pourra pour être intégré et gravir les échelons du Parti Communiste. Et pourtant ce ne fut pas simple : Il essuya neuf refus avant de pouvoir adhérer à la Ligue de la jeunesse communiste chinoise en 1971. Puis, il réussit en 1974 à adhérer au Parti communiste chinois.

Après le retour au pouvoir de Deng Xiaoping qui fut suivi rapidement de la réhabilitation de son père Xi Zhongxun, les choses devinrent plus simples pour lui.

Toujours est-il que sans bruit, avec beaucoup de diplomatie il parvint à grimper jusqu’à la plus haute marche du pouvoir en Chine.

Il est vrai que ce documentaire <Le monde selon Xi-Jinping> est passionnant et inquiétant aussi. Plusieurs points sont à souligner.

Aujourd’hui je me concentrerai sur le début du documentaire, cela commence à 3 min13.

Xi Jinping est arrivé au pouvoir suprême.

Accompagné d’un très petit nombre de dirigeants, il pénètre dans un endroit étrange qui est ce que j’appellerai « le sanctuaire du Parti Communiste Chinois », le lieu historique du premier congrès.

Ils sont sept.

Ces 7 dirigeants constituent le : « Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois ». On les appelle parfois «les empereurs».

C’est en fait eux qui dirigent la Chine.

Et comme pour une cérémonie religieuse devant la stèle qui représente les premiers dirigeants du Parti, tous ces hommes lèvent le point et vont prêter serment. Le numéro 1, Xi Jinping parle en premier, puis les six autres répètent :

« Je jure de préserver les secrets du Parti Communiste

Je jure de lutter pour le communisme

Je jure de ne jamais trahir le parti »


C’est quand même un étrange serment.

Je peux comprendre qu’ils jurent de ne jamais trahir le parti.

Je pense que ne pas trahir le parti devrait conduire à ce qu’on ne dévoile pas ce qui n’a pas vocation à être dévoilé. Et donc, ne pas trahir le parti doit impliquer, doit englober le fait de ne pas trahir les secrets.

Et non seulement, il s’agit d’un verset spécifique de ce serment, il s’agit même du premier.

Ils ne doivent pas être très honorables ces secrets pour que ces 7 dirigeants trouvent si essentiel de le déclamer en premier.

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Lundi 2 décembre 2019

«Mariss Jansons avait atteint un classicisme supérieur, qui lui appartenait.»
Rémy Louis

Le 31 octobre 2019, Annie, Florence et moi étions à Paris, à la Philharmonie, pour vivre un concert avec l’orchestre de la radiodiffusion bavaroise sous la direction de Mariss Jansons. C’était il y a un mois.

Et hier dimanche, nous apprenions que Mariss Jansons, venait de décéder à l’âge de 76 ans à Saint Pétersbourg.

J’avais évoqué ce concert ,en introduction au mot du jour consacré au livre de Sylvain Tesson, « La panthère des neiges » :

« Ce fut un soir de grâce.
Je vous avais déjà présenté l’extraordinaire 10ème symphonie de Dimitri Chostakovich, écrite après la mort de Staline.
J’en avais parlé après une très belle interprétation à l’auditorium de Lyon avec l’Orchestre National de Lyon, dirigé par un jeune chef de 23 ans, plein de talent. Ce fut le mot du jour du <jeudi 16 mai 2019>

Mais cette fois, le jeudi 31 octobre 2019, cette œuvre fut interprétée par l’orchestre de la radio de Bavière avec un des meilleurs chefs d’orchestre actuels : Mariss Jansons, dans la Philharmonie de Paris.

Un orchestre qui agit comme un seul corps vivant, qui rugit, murmure, éclate, explose, chante, court à l’abime puis se régénère. On ne se trouve plus dans la même dimension, ce n’est plus une belle interprétation, c’est une offrande, un moment sublime.

Le chef de 76 ans fait peu de gestes, mais à la moindre de ses sollicitations l’orchestre répond immédiatement. Nul ne saurait, quand il assiste à un tel échange, douter de ce qu’un chef apporte à son orchestre. Il est vrai que Jansons est le directeur musical de l’orchestre de la radio de Bavière depuis 16 ans. »

Le critique musical, Michel Le Naour écrivit, précisément à propos de concert, sur le site <Concert Classic.com> :

« Mariss Jansons et l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise à la Philharmonie – Un accomplissement

Démarche hésitante et visage amaigri, Mariss Jansons donne l’impression d’être à bout de forces. Dès qu’il s’empare de la baguette à la tête de son orchestre bavarois, dont il est directeur musical depuis 2003, cette impression se dissipe tant l’investissement du chef letton et son osmose avec les instrumentistes transfigurent la musique qui paraît couler de source.

Dès l’Ouverture d’Euryanthe de Weber, la profondeur sonore qui se dégage fait entendre l’inouï avec des cordes lumineuses et denses, une petite harmonie d’une perfection rare et des cors d’une absolue justesse. L’équilibre d’ensemble ainsi obtenu résout la quadrature du cercle entre puissance et clarté. La même impression prévaut avec le Concerto pour piano n° 2 de Beethoven […] Accompagnement de rêve qui laisse le soliste aller droit son chemin, doigts ailés mais toujours contrôlés. […]

La Dixième Symphonie de Chostakovitch n’a pas non plus de secret pour Jansons, et il semble encore ici la réinventer. Un miracle de progression dans la conduite du Moderato initial d’un poids dramatique quasi insoutenable, culminant dans des accords déchirants avant de mourir dans la stridence du duo des flûtes piccolo (magnifiques de cohésion) et l’homogénéité du tapis de cordes. L’Allegro – un portrait de Staline ? – est tenu de bout en bout par une direction implacable où chaque pupitre paraît mettre sa vie en danger, à l’image de l’exceptionnel timbalier Raymond Curfs. L’intensité de l’Allegretto, mortifère […], précède un final aux infinies nuances jusqu’à la jubilation tellurique de la bacchanale. Une interprétation inoubliable saluée par un public debout, sous le coup de l’émotion, et qui peine à quitter la salle. »

En matière d’art, je ne crois pas au classement. Je n’écrirai donc pas que c’était le plus grand chef d’orchestre vivant. Mais c’était de toute évidence l’un des plus grands.

Herbert von Karajan qui était sûr de son talent immense et de son mérite disait qu’il n’y avait, à son époque, qu’un autre chef d’orchestre vivant de son niveau : Evgeny Mravinsky, directeur musical austère et rigoureux de l’orchestre Philharmonique de Léningrad. C’était le nom de Saint-Pétersbourg à l’époque soviétique et donc de ce chef égal de Karajan selon ce dernier.

Il n’en reste pas moins que Mariss Jansons a été le disciple de ces deux immenses musiciens et qu’il a probablement beaucoup appris de l’un et de l’autre.

Il a dû apprendre par un autre professeur l’art de sourire et de rayonner pendant qu’il dirigeait.

Des esprits pertinents diront, en choisissant une photo, on peut lui faire dire n’importe quoi. Ce n’est pas faux. Mais j’ai vu des vidéos des trois, celui qui souriait le plus était de loin Jansons, Mravinsky ne souriait jamais, Karajan rarement.

Sur cette page « classicisme supérieur » vous verrez plusieurs vidéos de cet immense chef.

Avant de devenir le directeur musical de l’Orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise et pendant plusieurs années parallèlement le directeur de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, il fut à partir de 1979 le directeur de l’orchestre Philharmonique d’Oslo pendant 23 ans.

C’est à ce moment-là que j’entendis parler de lui, car il réussit avec cet orchestre, peu connu, des enregistrements exceptionnels.

J’avais lu plusieurs critiques qui considéraient son enregistrement des symphonies de Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique d’Oslo comme le plus abouti, malgré la très grande concurrence d’orchestre et de chef de grand renom dans ce répertoire. J’ai acheté cette interprétation et je confirme qu’elle est splendide.

Par un hasard de l’histoire, le jeune chef de 23 ans, Klaus Mäkelä, que j’ai évoqué lors du mot du jour du 16 mai 2019 et rappelé au début de celui-ci vient d’être nommé directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo.

Je pense qu’on se trompe rarement quand on achète un disque dirigé par Mariss Jansons.

Il a également réalisé une intégrale des symphonies de Chostakovitch remarquable.

Tous ses derniers enregistrements avec l’orchestre bavarois ou le Concertgebouw d’Amsterdam sont très aboutis.

Vous trouverez aussi sur <cette page d’hommages> des vidéos et des enregistrements audio qui montrent l’étendue de son talent.

Le terme utilisé par Michel Le Naour « d’accomplissement » me semble très juste.

Il faut bien trouver un exergue pour ce mot du jour. Je le tire de la présentation du concert du 31 octobre 2019 par le musicologue Rémy Louis :

« Jansons a aujourd’hui atteint un classicisme supérieur, qui lui appartient. On peut trouver plusieurs raisons à cela: d’abord une présence physique, une autorité naturelle, une technique de direction claire et persuasive, épurée comme toujours par l’âge et l’expérience. Ce qui n’exclut ni le panache ni l’inspiration du moment. Il faut également souligner son sens superlatif de la forme, éclairé par la justesse fascinante de ses transitions. En outre, l’instinct musical de cet artiste de grand savoir embrasse un répertoire d’un éventail stylistique considérable, au concert comme au disque. ».

Il faut désormais parler au passé : « Jansons avait atteint un classicisme supérieur, qui lui appartenait ».

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