Lundi 12 février 2018

« Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé »
Ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) qui n’a jamais été abrogée formellement et qui interdisait aux femmes de porter un pantalon

Cette ordonnance de 1800 prévoyait aussi que les femmes qui portent un pantalon sans autorisation devaient être « arrêtées et conduites à la préfecture ».

Par la suite, deux circulaires datant de 1892 et 1909 ont « assoupli » cette règle, en tolérant le port du pantalon : « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».

Cette « règle débile » a fait l’objet de maintes demandes d’abrogation au cours du XXème siècle

Contrairement à ce que vous trouverez sur Internet, cette règle n’a jamais été une loi mais une simple ordonnance du Préfet de Paris et c’est donc le Préfet de Paris qui aurait dû l’abroger.

La plus curieuse des réponses est sans doute celle de Maurice Grimaud, le célèbre préfet de Paris de mai 1968, encensé dans un autre mot du jour, mais qui en 1969, à la demande d’abrogation de l’ordonnance répond qu’il « croit sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité ».

Si vous voulez en savoir davantage sur cette histoire vous pouvez aller sur ce site : http://www.laviedesidees.fr/Le-droit-au-pantalon.html

La fin de cette histoire incroyable se trouve sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120700692.html

Le député de la Côte d’Or, Monsieur Alain Houpert, avait posé une question écrite le 12/07/2012 à la Ministre des droits des femmes.

Cette dernière qui était à l’époque Najat Vallaud-Belkacem lui répondit le 31/01/2013 par le texte suivant que je cite in extenso :

« La loi du 7 novembre 1800 évoquée dans la question est l’ordonnance du préfet de police Dubois n° 22 du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), intitulée « Ordonnance concernant le travestissement des femmes ». Pour mémoire, cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes. Cette ordonnance est incompatible avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France, notamment le Préambule de la Constitution de 1946, l’article 1er de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. De cette incompatibilité découle l’abrogation implicite de l’ordonnance du 7 novembre qui est donc dépourvue de tout effet juridique et ne constitue qu’une pièce d’archives conservée comme telle par la Préfecture de police de Paris. »

Il y a donc abrogation implicite, mais n’aurait-on pas pu réaliser une abrogation explicite ?

Ce sujet m’a été inspiré par les spectacle F(l)amme, dont j’avais fait le sujet du mot du jour du 4 décembre 2017 et que nous sommes allés voir, avec Annie, à l’Espace Camus de Bron le mardi 6 février 2018. Spectacle où 10 jeunes femmes qui vivent dans des quartiers périphériques et qui ont des parents qui sont venus d’ailleurs racontent une part de leur histoire et de leur vérité.

C’est fort, drôle, émouvant et d’une grande sincérité.

A un moment, une des jeunes femmes a dit :

« et je vous rappelle que jusqu’à tout récemment les femmes ne pouvaient pas porter le pantalon à Paris, sauf si elles étaient en bicyclette ou à cheval »

J’ai vérifié cette assertion, et c’est ainsi qu’est né ce mot du jour.

Mais ce ne fut pas le moment le plus fort du spectacle.

Ce moment eu lieu lorsque toutes les femmes se sont rassemblées au milieu de la scène, entourant l’une d’entre elle qui va raconter comment à l’âge de 4 ans on emmène une jeune enfant dans un village africain et tout en étant très gentille avec elle, on la met entre les mains d’une vieille femme qui va l’exciser. L’enfant n’a pas compris ce qui s’était passé, car personne ne parle de cela dans la famille. Elle l’a compris alors qu’elle était adolescente et qu’elle a vu une émission de télévision traitant de cette pratique. Elle a alors accédé à la compréhension ce qui s’était passé plus de 10 ans auparavant, entraînant chez elle colère et révolte.

La photo que j’insère dans cet article se situe à ce moment.

La salle était pleine, mais une chose a interpellé Annie et moi.

Par esprit rigoureux nous avons fait le compte de notre rangée et de celle qui la précédait, chacune comptant 20 places toutes occupées :

Les deux rangées avaient une répartition identique 18 femmes et 2 hommes.

Parmi les femmes, il y en avait beaucoup de jeunes, les 3 autres hommes étaient proches de mon âge.

Le reste de la salle confirmait cette constatation avec quelques traces d’hommes un peu plus jeunes.

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Vendredi 9 février 2018

« A quoi est utile le système hiérarchique ? »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Laurent Wauquiez, le chef que la droite s’est choisie, aime à rappeler cette injonction de Jacques Chirac : « Un chef c’est fait pour cheffer ! »

Mais un chef ne suffit pas à faire un système hiérarchique, il a fallu du temps aux humains et développer des sociétés sophistiquées pour que le système hiérarchique se mette en place.

Car dans un système hiérarchique, il n’y a pas qu’un chef, il faut une collection de chefs avec un numéro 1 et puis des grands chefs, des moyens chefs et des petits chefs.

L’organisation qui a développé les pyramides hiérarchiques les plus rigoureuses est bien sûr l’armée. L’Histoire comme on la raconte est souvent l’Histoire des grands chefs avec leurs collections de sous-chef, d’Alexandre le Grand jusqu’à Napoléon Ier. Et il faut bien reconnaître que cela a souvent plutôt bien fonctionné.

Et cela a pu aussi conduire à de terribles dévoiements des horreurs, comme seul homo sapiens, parmi les espèces, a pu provoquer.

Nous commémorons cette année, la dernière de la première guerre mondiale. Guerre qui a mis en œuvre une hiérarchie de fer du côté allemand, comme du côté français. Du général en chef, en passant par tous les niveaux hiérarchiques des ordres absurdes ont été donnés pour s’emparer de telle ou telle colline, au prix de milliers de morts. A l’époque déjà des soldats n’étaient pas convaincus de l’intérêt stratégique de beaucoup de ces lieux de combats qui passaient parfois d’un camp à l’autre dans la même journée. Aujourd’hui, les analyses le confirment, beaucoup de ces « boucheries » étaient parfaitement inutiles du point de vue stratégique, du point de vue humaniste la question ne se pose même pas. Il suffit de s’intéresser aux exploits du tristement célèbre Général Nivelle pour approcher cette réalité.

Mais Nivelle tout seul n’aurait rien pu faire. Il fallait une chaîne de commandement, où chacun à son niveau relayait l’ordre du supérieur et le mettait en œuvre sans jamais le remettre en cause.

Nous avons donc une première réponse à la question posée : Un système hiérarchique est utile pour mettre en œuvre des ordres terribles et pousser l’aveuglement jusqu’aux dernières extrémités.

N’oublions pas que les régimes nazis et communistes s’appuyaient aussi sur un système hiérarchique très dur, où le problème ne repose pas que sur le numéro un mais sur tous les sous chefs.

Le système hiérarchique, bien au-delà de l’armée s’est imposé dans toutes les organisations humaines qui comptaient un nombre important de membres

Loin de moi l’idée, de prétendre qu’un système hiérarchique n’a pas d’atout pour permettre à des organisations de bien fonctionner car il apporte, quand tout se passe correctement, de l’ordre, de la lisibilité et un cadre plutôt rassurant.

Dans un premier mot du jour <celui du 18 décembre 2014> il était question d’entreprises qui imaginaient que d’autres organisations étaient possible.

Mais c’est bien Frédéric Laloux avec son livre « Vers des communautés de travail inspirées », qui est le plus incisif.

Il parle de croyance :

« depuis la nuit des temps toute l’idéologie humaine tournait autour de cette croyance : pour qu’une organisation fonctionne il faut un « boss », un seul qui décide ! »

On pourrait peut-être émettre l’hypothèse que l’invention d’un Dieu monothéiste relève de cette même croyance, il faut un organisateur, un chef unique et omnipotent.

Il fait aussi son développement sur nos trois cerveaux pour en venir au fait principal qui a augmenté ma connaissance :

L’organisation hiérarchique gère très mal la complexité. Si notre corps humain fonctionnait selon un système hiérarchique, nous pourrions être très inquiets. Le corps humain fonctionne par la coopération entre tous les organes et à l’intérieur des organes par la présence d’autres corps vivants selon une symbiose. Nous savons aujourd’hui qu’il y a 100 fois plus de bactéries dans notre intestin que de cellules dans notre corps. Et il a été démontré dans de nombreuses études que ces bactéries, si elles ont bien un rôle dans notre bien-être digestif, seraient aussi responsables de la manière dont nous « digérons » nos émotions.

Peter Wolhlleben que j’ai cité dans le mot du jour du 22 décembre 2017 pour son merveilleux livre « La vie secrète des arbres » ne dit pas autre chose. En parlant de l’organisation de la forêt, il dit il n’y a pas hiérarchie :

« Cela fonctionnerait très mal dans la nature »

D’ailleurs quand les humains veulent vraiment organiser des réponses adéquates à la complexité ils agissent autrement. Car l’économie a démontré que l’organisation pyramidale, au niveau étatique, est bien trop rigide pour faire face aux défis de l’innovation et de l’efficacité. Ce fut le grand échec des systèmes soviétiques. Tout le monde a compris que la multiplication des acteurs et la décentralisation des centres d’initiatives que sont les entreprises et particulièrement aujourd’hui les start-up sont bien davantage en capacité de résoudre la complexité et de trouver des solutions qui fonctionnent. Or, des patrons qui vous expliquent cette capacité d’un marché libre à trouver des solutions innovantes et efficaces, dès qu’ils retournent dans leurs entreprises reviennent au dogme du cerveau unique et de l’organisation hiérarchique.

Frédéric Laloux évoque ainsi des entreprises qui ont fait le choix d’une organisation non hiérarchique, dans son développement.

Le système hiérarchique reste cependant toujours largement dominant et peut même dans certains cas, être efficace. C’est ce qu’affirme François Dupuy, sociologue des entreprises qui a publié plusieurs livres qui ont marqué, notamment « Lost in management ». Pourtant sur la 4ème page de couverture de cet essai, on lit :

« Dans de nombreuses entreprises, le problème est aujourd’hui de reconstruire une maîtrise minimale de la direction et de ses managers sur l’organisation et ses personnels en redécouvrant les vertus de la confiance et de la simplicité. »

Mais dans cet article, François Dupuy reconnait que l’organisation hiérarchique reste omniprésente dans le monde économique et le titre de l’article est assez péremptoire : « Pourquoi la hiérarchie reste la plus efficace des organisations du travail ». Il dit notamment :

« Les évolutions des modes d’organisation des entreprises sont très lentes. Ainsi, quoiqu’on en pense, le mode taylorien est encore dominant avec ses deux caractéristiques: le découpage en « territoires » et le fonctionnement hiérarchique. On a pu montrer que même les entreprises de la « nouvelle économie », dès lors qu’elles grandissent, ont tendance à se structurer comme toutes les autres.

On peut donc produire les technologies nécessaires à un fonctionnement plus « ouvert », ce n’est pas pour cela qu’on l’adopte.

Jeffrey Pfeffer, dans une étude relative à la place de la hiérarchie en entreprise, estime qu’il s’agit du modèle le plus efficace. […]

C’était aussi l’argument de Max Weber. Il y a donc longtemps que les vertus du système hiérarchique ont été mises en avant. L’idée est celle de la clarté et de la lisibilité des organisations ainsi que celle d’une définition connue des responsabilités. Mais la réalité est bien sûr plus complexe car il n’y a pas qu’un type de fonctionnement hiérarchique. Les organisations dites « plates » c’est à dire à niveaux hiérarchiques réduits sont en effet efficaces. Mais à l’inverse, plus on multiplie les niveaux et plus l’organisation se « brouille » et offre aux acteurs des multiples opportunités de jeu.

Pour autant, celui-ci peut poser problème dès lors qu’il doit faire face à de l’instantané. »

Vous constaterez que la dernière phrase de François Dupuy apporte une autre limite aux organisations hiérarchiques : elles ont du mal à faire face à de l’instantané. Autrement dit une organisation hiérarchique réagit lentement et a beaucoup de mal à faire face à l’imprévu.

Et lorsqu’on regarde le monde, qu’on en perçoit la complexité, et aussi un temps qui s’accélère avec des fractures disruptives qui entraînent de l’imprévu, on se dit que l’organisation hiérarchique n’est plus très adaptée.

Dans un monde stable et conservateur une organisation hiérarchique peut s’épanouir et fonctionner parfaitement.

Sommes-nous encore dans un tel monde ?

Mon expérience aussi de la hiérarchie montre que cette organisation a pour effet de déresponsabiliser les acteurs qui d’une part sont dans l’attente des décisions et des initiatives de la hiérarchie qui devient aussi le plus souvent le bouc émissaire commode pour expliquer toute difficulté ou désagrément.

Dans les solutions proposées par Frédéric Laloux, les acteurs sont bien davantage responsabilisés. Et pour tous ceux des acteurs qui ne joueraient pas le jeu, les pressions exercées contre eux seraient bien plus fortes que dans un système qui reposerait sur la hiérarchie.

Ainsi la deuxième réponse à la question, c’est qu’un système hiérarchique permet d’avoir des boucs émissaires commodes.

Alors bien sûr, cela remet en cause le concept et la notion de chef.

Souvent j’ai le soupçon que beaucoup pensent encore que « le responsable » est à la fois un manager et un expert qui connait mieux le métier que celui qu’il est censé commander.

Dans un monde de la complexité et de la technicité c’est une vaste blague.

A ce stade je crois utile, pour approcher la réalité du ressenti des personnes qui se trouvent dans un système hiérarchique de faire appel à une BD, et d’en tirer deux extraits :

D’abord le centurion explique tranquillement à son sous-chef, l’optione, qu’il comprend forcément moins bien que lui, son supérieur hiérarchique. L’optione accepte ce verdict.

Dans l’extrait suivant, l’optione va être confronté à un problème inverse, un légionnaire veut l’aider à comprendre parce qu’il a exprimé son incompréhension devant une question qu’il se pose.

L’optione est alors cohérent : si lui comprend moins que le centurion, le légionnaire ne peut pas comprendre ce que l’optione ne comprend pas

Quelquefois, j’ai le soupçon que des optiones contemporains sont encore dans cette croyance.

Il peut arriver que dans certains domaines l’optione en sache davantage, mais certainement pas dans tous les domaines du métier.

Mais même dans un système hiérarchique, il n’est pas interdit d’avoir de l’intelligence et de la lucidité.

Dans cette disposition d’esprit, on se rend compte qu’on n’a pas besoin de chef.

  • On a besoin de personnes capables de faire travailler des gens ensembles, que les compétences coopèrent et non s’affrontent, que la confiance augmente et que les tensions s’apaisent. Une personne qui joue le même rôle dans une équipe, qu’un catalyseur dans une réaction chimique.
  • On a aussi besoin de décideur, quand c’est difficile, quand la décision ne coule pas de source. A ce moment là pour faire avancer il faut que quelqu’un se dévoue comme serviteur de l’équipe pour faire un choix, pas comme un chef qui aurait la science infuse et toujours raison quelle que soit les circonstances.
  • On a enfin besoin de gens qui savent dégager ou comprendre les priorités et en tirer les conséquences dans l’attitude quotidienne.

Certains d’entre vous diront : mais c’est cela un bon chef. Peut-être, mais je ne crois pas très pertinent de conserver ce terme de « chef qui est là pour cheffer », je crois beaucoup plus intelligent de faire référence à ce que les américains appellent : « the servant leader » et que j’appellerai le responsable au service de l’équipe.

Et prenons comme une connaissance qu’un système hiérarchique n’est ni efficace pour gérer la complexité ni pour réagir rapidement devant l’imprévu.

Nous sommes au terme de cette semaine, où j’ai essayé de faire un point sur mon butinage de plus de 5 ans.

Ce fut difficile pour vous car les articles étaient très longs.

J’aurais encore eu le goût d’aborder le thème des sciences qui sont remises en question, la santé qui se trouve devant tant de choix exaltants et pourtant inquiétants, l’évolution de la société à l’égard des femmes, les réflexions sur le travail et l’emploi, la relation complexe entre les humains et la nature et tant d’autres sujets.

Mais si c’est difficile pour vous lecteurs, l’écriture aussi est astreignante, consommatrice d’énergie.

Lundi, je reprendrai un butinage plus ciblé et un peu moins ambitieux.

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Jeudi 8 février 2018

« La croissance et la vie »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

La croissance a atteint 1,9 % en France en 2017, soit son plus haut niveau depuis 6 ans. Et <certains annoncent 2,1% pour 2018>

Mais la banque mondiale estime entre 6,7 et 6,8% la croissance de la Chine en 2017 et l’Inde bénéficie encore de meilleures perspectives. Et l’OCDE a annoncé, fin novembre, une prévision de 3,7% de la croissance mondiale en 2018.

La performance de la France reste donc modeste par rapport à cette vision globale.

La croissance entraîne de l’euphorie, tout le monde va vivre mieux semble t’on dire.

  • Quand on est parent, on aime voir ses enfants croitre.
  • Quand on est jardinier on aime voir ses plantes croitre.
  • Quand on est commerçant, on aime voir ses affaires croitre.

Mais LA CROISSANCE ! C’est le chiffre de l’économie et aussi des hommes politiques : ils veulent, ils annoncent, ils se réjouissent de la croissance.

La croissance est bien sûr la croissance du Produit Intérieur Brut.

Et cela constitue déjà un problème.

Le Monde du 31 janvier 2018 a publié une chronique du président du conseil d’administration de Crédit Suisse, Urs Rohner : « Le PIB ne doit pas être l’unique obsession des décideurs »

Il fait une critique sérieuse et économique du PIB

« De nombreux économistes respectés ont depuis longtemps souligné que le produit intérieur brut (PIB) est une mesure inadéquate du développement économique et du bien-être social, et ne devrait donc pas être l’unique obsession des décideurs. Pourtant, nous n’avons fait aucun progrès vers une alternative réaliste à cet indicateur.

L’une des lacunes bien connues du PIB est qu’il ne tient pas compte de la valeur du travail domestique, y compris les soins aux enfants et aux membres âgés de la famille. Plus important encore, l’attribution d’une valeur monétaire à ces activités ne réglerait pas un défaut plus profond du PIB : son incapacité à refléter de manière adéquate l’expérience vécue par les membres de la société. Mesurer les travaux ménagers gonflerait le PIB sans pourtant modifier réellement les niveaux de vie. De plus, les femmes, représentant la plus grande part des personnes qui effectuent des travaux domestiques, continueraient à être considérées comme bénévoles plutôt que contribuant véritablement à l’activité économique.

Un autre défaut bien connu du PIB est qu’il ne tient pas compte de la destruction de valeur, par exemple lorsque les pays gèrent mal leur capital humain en négligeant l’éducation, ou en épuisant leur capital naturel pour obtenir des avantages économiques immédiats. Au final, le PIB tend à mesurer les actifs de façon imprécise, et pas du tout les passifs. ».

La question qu’il faudrait se poser est que détruit-on pendant que nous croissons ?

Et si on revient aux grands mythes d’homo sapiens, on lira les textes saints du Monothéisme, Genèse 1:28 :

« Et Dieu les bénit, et leur dit : Croissez, et multipliez, et remplissez la terre; et l’assujettissez, et dominez sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bête qui se meut sur la terre. »

L’homme prudent dira : c’était un bon plan marketing quand les hommes étaient quelques millions sur la terre. Mais il posera aussi la question : Est-ce toujours le cas depuis que nous sommes 7,5 milliards et que nous allons vers les 10 milliards voire au-delà ?

Les économistes orthodoxes sont des gens rigoureux, ils n’aiment pas qu’un pan de l’activité marchande leur échappe. L’activité bénévole ne les motive pas trop, mais dès qu’il y de l’échange de monnaie…

Et c’est ainsi que nous apprenons que l’INSEE va intégrer le trafic de drogue au PIB.

Un article du Monde, nous explique les problèmes techniques que cela pose à l’INSEE et sur lesquels je ne m’arrêterai pas. Il semblerait que l’INSEE réalise cette évolution à l’insu de son plein gré. Elle le fait sur une demande de l’Europe.

En France, assure l’Insee, cette prise en compte entraînera « une révision en très légère hausse du niveau du PIB ». Le chef du département des comptes nationaux de l’institut public, Ronan Mahieu, évoque le chiffre de « quelques milliards » d’euros, à rapporter aux 2 200 milliards d’euros du PIB français.

Dans cet article nous apprenons que l’Allemagne inclut la prostitution dans son PIB, ce que ne fait pas la France et lorsqu’en 2013 notre voisin germanique a intégré le trafic de drogue, il a noté une amélioration de 0,1 point de pourcentage.

Comment dire ?

A ce stade, je ne voudrais pas développer de nouvelles théories économiques, tâche dont je suis d’ailleurs incapable. Ni faire des leçons morales, mais simplement parler de la vie.

Le 700ème mot du jour donnait la parole à un économiste sortant un peu des sentiers battus : Yann Moulier Boutang

Il nous parlait des abeilles :

« Je vais vous parler des abeilles.

Qu’est-ce que fait l’abeille ?

L’économie politique qui s’intéresse aux produits, aux produits vendables, vous répond : l’abeille produit du miel. L’apiculteur va remplacer l’essaim sauvage où l’abeille produit du miel, pour elle-même et pour ses larves, par des ruches avec des rayons.

Puis il va subtiliser le miel des rayons, car l’abeille ne produit pas naturellement du miel pour les humains. Et en lui retirant le miel des rayons, l’abeille va produire, produire et encore produire du miel. […]

Cela c’est le PIB, la croissance. La production du miel, de la farine, des smartphones, du tourisme, les maillots au nom des millionnaires du football, des poudres de perlimpinpin comme dirait notre Président, des armes et donc aussi de la prostitution, de la cocaïne et tout ce qui peut se vendre…

Mais Moulier-Boutang nous montre le vrai rôle de l’abeille et pose un autre regard sur le rôle de l’abeille dans la nature et dans notre écosystème :

Mais maintenant que fait vraiment l’abeille maintenant que nous savons un peu plus de complexité.

Eh bien fondamentalement, je vais vous dire : le miel on s’en fiche !

L’abeille, elle pollinise ! […]

L’abeille pollinise, cela veut dire que 80 % de la production agro-alimentaire en termes de légumes et de fruits est produite grâce aux abeilles. Il faut aussi rajouter des choses comme le tournesol pour lequel la pollinisation de l’abeille prend la plus grande part.

L’abeille pollinise !

Nous pouvons mesurer, puisqu’un économiste doit pouvoir mesurer des quantités et des prix, l’impact des abeilles. Si l’on prend les États-Unis d’Amérique, si vous faites l’hypothèse qu’il n’y a plus de pollinisation, vous pouvez compter entre 30 et 35 milliards de dollars par an, qui disparaissent. Et je ne parle même pas de la flore, des parcs sauvages, je parle simplement de la production agricole.

Donc qu’est-ce que produit l’abeille, en termes de valeur économique ?

D’un côté elle produit aux États-Unis pour 100 millions de dollars de miel et de l’autre côté elle participe à la production d’une valeur entre 30 et 35 milliards de dollars.

En conséquence, ce que fait fondamentalement l’abeille du point de vue économique, au niveau de l’écosystème elle produit 350 fois plus que le miel, en valeur.

Voilà les proportions.

D’un côté il y a ce qui est calculé par un output marchand, simple, clair : l’abeille produit du miel.

Et de l’autre côté, elle pollinise et nous savons qu’on peut se passer de miel, mais on ne peut pas se passer de pollinisation.

Nous comprenons donc que l’abeille fait du miel pour vivre et se nourrir, mais qu’en vivant, elle circule, elle pollinise et que sa véritable contribution productive, c’est ça !

En tout cas, en terme de valeur, c’est ça l’étalon principal.

En économie traditionnelle, on voit l’abeille qui consomme et l’abeille qui produit. Un input et un output.

Mais, ce qui est fondamental, c’est son rôle dans la reproduction du vivant et ça elle le fait même sans s’en apercevoir, puisqu’elle fait cela en même temps qu’elle consomme, comme un produit  annexe de sa consommation : elle répand le pollen.

Le plus important c’est qu’elle circule en se nourrissant, ce n’est pas son travail industrieux dans la ruche ou elle transforme le nectar en miel ou en gelée royale.

Et ce raisonnement est en terme de valeur, de richesse économique !

Retour à l’être humain.

Qu’est-ce que fait l’humain principalement ? Un output marchand à partir de marchandise ?

Non ! il produit essentiellement du vivant à partir du vivant.

L’humain ne fait pas que se reproduire, il met au monde des enfants mais qu’il élève et en cela il crée quelque chose de nouveau !

Il produit son environnement, il produit des relations, il produit du lien etc.

Mais pour des humains, en dehors des sociologues qui faisait de grandes déclarations qui disaient « le lien social c’est important », les assistantes sociales qui disaient « il ne faut pas couper dans les dépenses publiques », « il ne faut pas couper dans l’éducation parce que c’est la base de la société, parce que c’est la richesse de la société ». Parce que c’est aussi la possibilité pour les entreprises de ne pas avoir des employés qui sont totalement malades ou totalement handicapés sur tous les plans.

En dehors de cela, ce n’était pas tellement connu et surtout pas des économistes, parce que je peux vous dire que mes confrères ont une propension à ne pas s’intéresser à la pollinisation et à se focaliser sur la production du surplus de miel qui est notoirement connu. »

Ce que nous raconte Moulier-Boutang, ce n’est pas la poésie, ni de l’utopie, mais la réalité du vivant. De quoi ébranler des certitudes bien ancrées.

Alors bien sûr, la croissance ce n’est pas rien dans l’Histoire humaine. C’est encore Yuval Noah Harari qui décrit cette révolution dans l’Histoire de Homo Sapiens

«Si l’on veut comprendre l’histoire économique moderne il n’y a en vérité qu’un seul mot à comprendre. Et ce mot, c’est « croissance ». Pour le meilleur ou pour le pire, malade ou en bonne santé, l’économie moderne a cru tel un adolescent gavé d’hormones. Elle avale tout ce qu’elle trouve et pousse sans même qu’on s’en rende compte.

Pendant la majeure partie de l’histoire, l’économie a gardé largement la même taille. Certes la production mondiale s’est accrue, mais cette croissance fut essentiellement l’effet de l’expansion démographique et de la colonisation de terres nouvelles. Tout cela changea cependant à l’époque moderne. En 1500, la production mondiale de biens et de services se situaient autour de 250 milliards de dollars ; aujourd’hui, elle tourne autour de 60 billions de dollars. Qui plus est, en 1500, la production annuelle moyenne par tête était de 550 $ alors qu’aujourd’hui chaque homme chaque femme et chaque enfant produit en moyenne 8 800 $ par an. Comment expliquer cette prodigieuse croissance ? »

La croissance a alors pu donner aux humains, surtout à certains humains dans certaines nations des bienfaits indiscutables, des travaux moins pénibles, une augmentation de la productivité qui a augmenté le temps de loisir, une explosion de l’espérance de vie et des progrès extraordinaires de la santé.

C’est la croissance qui a mis fin définitivement aux thèses malthusiennes qui pensaient que la production croissait toujours moins vite que la population humaine et que cela créait toujours des phénomènes très pénibles de famines et de mortalité massive avant que la population redevienne compatible avec la production.

Mais aujourd’hui, ne sommes-nous pas allés trop loin ?

La croissance actuelle ne donne même plus d’emplois, comme le précise un article des Echos  du 21 janvier 2018 :

C’est un paradoxe. La croissance mondiale n’a jamais été aussi élevée depuis 2010 si l’on en croit le Fonds monétaire international. Mais, le taux de chômage stagne. C’est le constat dressé par l’Organisation International du Travail (OIT) dans son rapport « Emploi et questions sociales dans le monde » publié lundi.

Je ne développe pas la captation des fruits de la croissance par un très petit nombre, comme le démontre des études successives.

Le plus préoccupant c’est que nous sommes en face de la raréfaction des ressources, dans le défi climatique, probablement dans la pénurie d’eau potable.

<La ville de Cap n’aura plus suffisamment d’eau dans 3 mois>

Nous comprenons bien que comme les arbres qui ne croissent pas jusqu’au ciel, la croissance ne pourra se poursuivre indéfiniment. Ou existe-il quelqu’un qui croit le contraire ? Ceci me fait remarquer que, par le hasard de notre langue, le verbe croitre et le verbe croire se conjuguent quasi de la même manière au singulier du présent : seul un accent circonflexe distingue croire et croitre.

Alors certains pour sauver le concept de croissance, qu’ils jugent indispensable à la civilisation humaine, ajoutent le mot « verte ».

La croissance, ce n’est pas bien, mais la croissance verte nous sauvera.

Encore une fois, pouvons-nous le croire ?

Pensons-nous vraiment que la croissance pourra continuer dans le monde fini de la terre ?

Ou croyons-nous, comme les « visionnaires » de la silicon Valley que nous saurons trouver les moyens d’abandonner la terre et trouver une autre planète accueillante que l’homme saura rejoindre ?

La certitude que le génie de l’homme trouvera les solutions à ces problèmes, même aidé par l’intelligence artificielle,  n’existe pas.

La connaissance de la finitude des ressources de la terre et de l’impossibilité de continuer avec notre modèle de développement actuel, sur la seule terre, est acquise.

Je finirai par une réflexion que j’ai lue dans un livre de Raymond Aron du temps de ma jeunesse et que je cite de mémoire : « Tout se passe comme si nous étions dans une machine qui va de plus en plus vite et que personne ne sait arrêter ».

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Mercredi 7 février 2018

« Réflexions sur la démocratie libérale »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Quand je suis né en 1958 : L’Espagne, le Portugal, la Grèce n’étaient pas des démocraties.

La Russie soviétique, bien qu’en pleine déstalinisation 2 ans après le rapport Khrouchtchev, restait un État totalitaire sans liberté, où les camps du goulag continuaient à être très actifs et ou des opposants pouvaient être enfermés dans des asiles psychiatriques dans lesquels ils étaient soumis à des tortures psychologiques. Car dans cet État, il n’y avait pas d’opposants mais uniquement des dissidents qui en contestant le régime pouvaient être considérés comme des fous.

Et que dire de la Chine ?

En 1958, Mao allait lancer ce qu’il a appelé le « grand bond en avant », un programme économique désastreux qui allait provoquer environ 45 millions de morts et ouvrir une crise de régime. Et c’est ainsi qu’allant toujours plus loin dans la terreur et la tyrannie Mao allait lancer la révolution culturelle en 1966.

Dire que la Chine n’est pas une démocratie constitue une litote.

Un des premiers mots du jour avait été consacré au premier article surréaliste de la constitution de la Chine.

« La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans. Le système socialiste est le système fondamental de la République populaire de Chine. Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste. »

Mais mis à part la Chine, aujourd’hui tous ces pays sont devenus des démocraties après plusieurs étapes jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991.

C’est alors que le politologue américain Francis Fukuyama publie, en 1992, « The End of History and the Last Man », donc « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme ». Dans cet essai, il affirme que la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques. Pour lui, si des troubles pouvaient surgir de la dislocation du bloc de l’Est, la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale était certaine. Il était donc certain que la démocratie libérale s’imposerait effectivement dans tous les pays du monde.

Et la Chine ?

La Chine s’étant lancé dans l’économie de marché, il était inéluctable qu’elle évolue par étape vers la démocratie libérale.

En 2018, 26 ans après l’essai de Francis Fukuyama où en sommes-nous ?:

1° La chine n’a pas fait le moindre pas vers la démocratie libérale. Son système économique florissant, de plus en plus innovant, c’est en Chine qu’a été réussi le premier clonage de primate, évoqué lors d’un mot du jour récent, semble mener de manière inéluctable l’Empire du milieu vers la place de premier du classement économique du PIB mais sans passer par la case démocratie libérale.

Bien au contraire, j’ai évoqué à deux reprises ce système que le gouvernement appelle « Le Crédit social » et qui constitue un système national de réputation des citoyens. Chaque citoyen se voit attribuer une note, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur statut économique et social.. Le système repose sur un outil de surveillance de masse et utilise les technologies d’analyse du big data. Il est également utilisé pour noter les entreprises opérant sur le marché chinois. Ce que cela dit c’est que la République Populaire de Chine, prend exactement le sens inverse de la démocratie libérale et réalise pleinement le cauchemar de Big brother imaginé par George Orwell.

Un certain nombre d’États dont on pouvait penser qu’ils allaient évoluer vers la démocratie libérale ont inventé un nouveau concept : « la démocrature »

La démocrature est un néologisme qui associé le mot « démocratie » et le mot « dictature ». Il semble être apparu à travers le nom d’un ouvrage de Max Liniger-Goumaz, économiste et sociologue suisse: La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée   publié en 1992. Notons que la Chine avait déjà associé ces deux mots dans sa constitution cité en début d’article : « État socialiste de dictature démocratique »

Viktor Orban, le chef de l’exécutif hongrois, dont le régime est un exemple de démocrature avait utilisé un autre terme : « La démocratie illibérale ». <Un mot du jour de mars 2015> avait été consacré à ce concept et à Viktor Orban.

Cet article débutait ainsi :

« La Hongrie est depuis 4 ans gouvernée par un Premier ministre, Viktor Orbán, et son parti le Fidesz. […] Le 26 juillet 2014 lors de l’université d’été de son parti il a inventé ce concept d’un Etat« illibéral » qu’on peut aussi traduire par « non libéral ». Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») », mais il a cité ses modèles :  la Russie, la Chine et la Turquie. »

Ce mot est plus juste que démocrature, il dit clairement que ce régime entend être démocrate, c’est-à-dire continuer à convoquer des élections pour que le Peuple désigne ou semble désigner ses gouvernants.

Mais pour le reste, il n’est pas libéral. Ce qui signifie que les contre pouvoirs sont neutralisés (Cour constitutionnelle, Justice, Journaux) et que l’opposition ne trouve pas de place pour s’exprimer et n’est tout simplement pas respectée.

La démocratie libérale constitue un régime agréable à vivre, parce la liberté de penser est assurée, que des contre pouvoirs empêchent le pouvoir exécutif et l’administration d’agir sans contrôle contemporain et que l’opposition, c’est-à-dire les représentants de la minorité qui a été battue aux élections sont respectés et trouvent leur place dans l’organisation du pouvoir.

Les conséquences :

En Turquie <Reporter sans Frontière> explique ce que cela signifie :

« Avec 72 professionnels des médias actuellement emprisonnés, dont au moins 42 journalistes et 4 collaborateurs le sont en lien avec leur activité professionnelle, la Turquie est la plus grande prison du monde pour les journalistes. »

La Turquie qui était une démocratie dont on avait salué la dynamique et la remarquable évolution, notamment en permettant à l’opposition représentée par Erdogan d’arriver au pouvoir en 2003 contre le parti des kémalistes.

En Russie, Le régime de Poutine interdit de manière fallacieuse aux principaux opposants de se présenter aux élections contre lui, ne laissant que des faire-valoir se présenter. C’est aussi en Russie que des journalistes faisant trop d’investigations sont assassinés. Ainsi de Anna Politkovskaïa auquel j’ai consacré un mot du jour : « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.»

Poutine, Erdogan, Orban sont rejoints maintenant par le gouvernement polonais qui prend le même chemin.

L’économie pour la Chine, l’ordre pour les autres constituent en interne un ferment d’adhésion fort et même dans certaines fractions de nos démocraties qui restent libérales quelque chose comme une envie de régime fort…

Et même nos gouvernements, notamment pour « lutter contre le terrorisme » commence à attaquer la liberté de penser et à mettre des « coins » dans la séparation des pouvoirs.

C’est ce qui a fait dire à François Sureau devant le Conseil Constitutionnel

« La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique »

C’est très inquiétant.

Les peuples de l’Union européenne semblent toujours en démocratie libérale, mais une démocratie dévitalisée

Quand j’évoque l’Union européenne, le paragraphe précédent limite tout de suite ce propos pour en écarter les régimes hongrois et polonais et même tchèques qui prennent aussi une voie problématique.

Nous sommes face à un dilemme dans l’économie de la mondialisation, chacun des États européens ne pèsent plus grand-chose, seule l’Union européenne peut jouer un rôle déterminant devant la puissance des Etats-Unis, de la Chine et des GAFA.

Mais l’Union européenne n’est pas une démocratie.

C’est Philippe Séguin dans son discours du 5 mai 1992 sur la ratification du traité de Maastricht qui l’a dit de la manière la plus tranchée :

« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »

Nous votons dans la circonscription nationale mais les décisions structurantes ont été prises auparavant non par « L’Europe » mais par les exécutifs nationaux dans le cadre de négociation européenne, et ont été figés dans des traités.

Dès lors, le vote national ne peut plus guère avoir de conséquences et la population semblent se résoudre qu’une même politique économique se poursuivent malgré les alternances.

Quelquefois, les technocrates européens se trahissent et dévoilent cette réalité :

  • «Ne vous inquiétez pas, en Europe nous avons le système qui permet de ne pas tenir compte des élections.» a dit un fonctionnaire européen à Raphael Glucksmann <mot du jour du 25 mars 2015>
  • « Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ? » avait questionné Manuel Barroso et dans son esprit la manière de poser la question manifestement conduisait vers une réponse négative. Notre politique économique ne doit pas tenir compte des élections <mot du jour du 5 mars 2013>
  • «Je voudrais également savoir comment la France prévoit de se conformer à ses obligations de politique budgétaire en 2015, conformément au pacte de stabilité et de croissance. » a exigé Jyrki Katainen, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires du gouvernement désigné suite à des élections en France <mot du jour du 27 octobre 2014 >

Croire que cette situation n’abime pas la démocratie libérale me semble particulièrement naïf.

Les conséquences sont simples : une augmentation de l’abstention et une montée des partis extrémistes.

Et nous arrivons à la quatrième menace contre la démocratie libérale qui devait triompher selon Fukuyama : les GAFA et les entreprises numériques.

Je vous renvoie vers tous ces mots du jour :

18 mai 2016 : « Une course à mort est engagée entre la technologie et la politique. » Peter Thiel un des fondateurs de Paypal, cité par Marc Dugain et Christophe Labbé dans leur livre « L’Homme nu »

10 mai 2016 « Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique, et l’affronter en tant que tel. » Evgeny Morozov

2 mars 2016 « Le pouvoir des GAFA c’est d’être la porte d’entrée du monde vers vous, « individu » et la porte d’entrée de l’individu sur le monde » Olivier Babeau

Et bien sur ce que Yuval Nopah Harari dit sur ce sujet : <Sapiens>

Et pour finir, cette analyse du sociologue Zygmunt Bauman :

3 mars 2016 : « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.».

Cette zone de confort qui nous interdit de plus en plus le débat, beaucoup n’écoutent plus que celles et ceux avec qui ils sont d’accord.

Les matins de France Culture sont allés à Chicago, un an après la victoire de Trump. Une femme politique américaine, adversaire de Trump, faisait ce constat :

« Nous n’avons plus rien de commun avec ce peuple qui vote Trump, nous ne nous parlons plus, nous ne nous écoutons plus, nous ne regardons pas les mêmes sources d’information, quand l’un parle l’autre croit qu’il s’agit de fake news »

Ma certitude que la démocratie libérale s’imposerait forcément sur la planète a beaucoup régressé.

Ma compréhension et ma connaissance des éléments qui mettent en danger la démocratie libérale ont progressé.

Mais mon souhait de continuer à vivre dans une démocratie libérale reste intact.

<1013>


Mardi 6 février 2018

« Réflexions sur l’Etat social »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Comme je l’avais annoncé hier, je vais examiner certains sujets par rapport à ces trois axes de la connaissance qu’il faut augmenter, des certitudes qu’il faut savoir abandonner et de la complexité qu’il faut savoir accepter.

Je préviens que je ne vais pas, au cours de cette semaine, tenter d’être consensuel mais écrire ce que je crois avoir compris, sans pour autant m’interdire d’évoluer et de douter.

Nous sommes nés, je suis né dans un État social, on parle aussi d’un État providence.

Je venais à peine d’entrer en classe préparatoire au Lycée Kléber en 1976 que mon père a été hospitalisé d’urgence, son pronostic vital était engagé. Il a passé une semaine en soins intensifs. Je le sais encore, un jour en soins intensifs coutait à l’époque 10 000 Francs, 1 500 euros. Mes parents étaient très modestes, il était absolument impossible pour nous de payer de telles sommes. Mais nous n’avons rien payé, tout était pris en charge par la Sécurité Sociale.

Non parce que nous étions pauvres, mais parce que la solidarité était en œuvre. Non pas la charité, la solidarité. Nous trouvions cela normal et cela ne pouvait que s’améliorer.

De grandes tensions se font jour et cette amélioration n’apparait plus comme évidente.

Je voudrais ajouter qu’à la suite de ces soins mon père a encore vécu et dans de très bonnes conditions 33 ans. C’est un exemple personnel et privé, mais il dit simplement ce que l’État social apporte.

C’est un des grands ennemis de la France, Otto von Bismarck qui semble avoir été un des premiers à avoir eu cette initiative d’une sécurité sociale.
Il l’a mis en œuvre dans l’Allemagne qu’il venait d’unifier autour de la Prusse et du Roi de Prusse qui est devenu L’Empereur Guillaume 1er. Il a d’abord maté l’Empire d’Autriche à Sadowa puis il a humilié la France de Napoléon III à Sedan puis à Paris. L’Allemagne était devenue une puissance militaire et économique considérable.

Le XVIIIème siècle avait consacré l’hégémonie française, le XIXème l’hégémonie Anglaise, le XXème était promis à l’Allemagne. L’Histoire s’est écrite un peu autrement.

Mais dans l’Allemagne puissante, unifiée, le chancelier Bismarck a créé un système de protection sociale contre les risques maladie (1883), d’accidents de travail (1884), de vieillesse et invalidité (1889) pour le peuple allemand, réunie autour de son empereur et son attachement à sa patrie, « Vaterland » en allemand.

C’est après deux terribles guerres, guerres civiles européennes dans lesquelles le peuple anglais a connu de terribles souffrances surtout lors de la seconde, où le peuple anglais s’est rassemblé pour se battre et gagner finalement contre les nazis qu’est apparu un système social très sophistiqué qu’on a appelé le système « beveridgien » du nom de William Beveridge, économiste à qui en 1942, le gouvernement britannique a demandé de rédiger un rapport sur le système d’assurance maladie qui va fonder le système social britannique.

Et en France, c’est à l’issue de cette même guerre, 39-45, où la France a d’abord été humiliée puis s’est redressée que le Conseil National de la résistance, où se trouvait ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas, des bourgeois riches et des prolétaires ou des représentants du prolétariat qu’a été élaboré le programme du Conseil National de la Résistance qui va conduire aux bases de l’Etat social.

Dans le mot du jour du mardi 29 novembre 2016, j’ai rappelé cette phrase d’Ambroise Croizat, ministre du travail de 1945 à 1947 :

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain ».

Concrètement la mise en place de la Sécurité Sociale au lendemain de la guerre a été réalisée juridiquement par les ordonnances du 4 octobre 1945.

Voilà comment cela s’est passé : des peuples unis au-delà des religions et des différences sociales qui ont mis en place un système de solidarité.

Car c’est autre chose que d’être ému, par exemple, par la situation terrible d’une population qui a subi un tremblement de terre à Haïti et de verser des dons quelquefois conséquents pour aider par compassion ou par charité, de manière ponctuelle, des hommes dans la détresse. Nous parlons ici d’un système de solidarité où toute sa vie on va payer des cotisations pour aider ses proches mais aussi des inconnus à surmonter les aléas de la vie et les difficultés de la vieillesse. Mais ces inconnus font partie d’une société particulière, la même que la nôtre, celle dont nous avons conscience de faire partie.

C’est Emile Durkheim qui donne la clé de compréhension de ce phénomène et que j’ai cité lors du mot du jour du Vendredi 12 septembre 2014 :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits,
ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres
et à une même société dont ils fassent partie. »

Cela peut heurter certaines et certains d’entre vous. Tous les humains du monde sont frères, il faudrait créer une sécurité sociale mondiale. Certainement ! peut-être qu’un jour on y arrivera…

Mais pour l’instant ce n’est pas ainsi que cela se passe.

Dans Wikipedia, on lit non la version sociologique d’ Emile Durkheim mais la version des économistes :

« Dans les sociétés occidentales, la période des Trente Glorieuses a permis le développement des systèmes de protection sociale.

Le vieillissement démographique et la crise économique ont ensuite entraîné un accroissement des dépenses et une diminution des recettes. Les systèmes de protection sociale ont alors essuyé des critiques de plus en plus vives, notamment de la part des économistes de l’école néoclassique. Selon eux, la protection sociale est une des causes de la crise car les cotisations sociales entraînent des surcoûts salariaux qui freinent l’embauche et incitent au travail au noir. De plus, ils affirment que la protection sociale déresponsabilise les individus et les incite à l’oisiveté.

Selon l’approche keynésienne au contraire, la protection sociale, outre son rôle de réduction des inégalités et de maintien de la cohésion sociale permet de soutenir la demande, considérée par cette théorie comme un moteur de la croissance. »

La complexité signifie que nous devons accepter qu’une situation ou une évolution ne soit pas la conséquence d’une seule cause.

Dès lors, l’explication économique représente certainement une dimension explicative.

Le système social mis en place a tellement bien fonctionné que les populations sont devenues de plus en plus vieilles, que la médecine est devenue de plus en plus performante et donc que le système social est devenu plus onéreux. En plus la crise économique qui est plutôt une rupture de l’organisation du travail et de l’emploi dans le monde a conduit la gestion des allocations chômage au bord de l’implosion. Ce qui entraine une augmentation de la redistribution et une crispation de la part de celles et de ceux qui sont les plus ponctionnées.

Mais prétendre que ce n’est qu’un problème de sécession des riches est un aveuglement devant la réalité du comportement des sociétés humaines.

Dans une étude américaine, dont j’ai entendu parler lors d’une émission de radio mais dont je n’ai, hélas, pas gardé la source que je ne peux donc fournir, il est apparu qu’il y avait de grandes différences de politiques de solidarité entre les états fédérés des Etats-Unis. Et que cette étude a révélé que la solidarité était d’autant plus grande que la population de l’état était homogène du point de vue ethnique et religieux.

A cela s’ajoute cette réflexion de Jean-Paul Delevoye, le dernier Médiateur de la République qui apportait cette évidence : « L’économie est mondiale mais le social est local !».

Or l’économie qui s’est développée depuis les années 1980 dans le cadre de la globalisation insiste davantage sur la compétition que sur la coopération, préfère l’individualisme à la solidarité.

Les frontières ouvertes, les migrations économiques sont absolument compatibles avec cet individualisme qui pousse chacun à être responsable et donc à s’assurer soi-même.

Les gagnants de la mondialisation n’ont aucune peine à assurer leur protection sociale dans la sphère privée. Et en outre plus leurs assurances leur coûtent chers et leur assurent une protection de grande qualité, moins ils seront enclins à accepter de financer les mécanismes de solidarité qui ne leur servent plus ou de manière dégradée.

Parce que dans cette organisation décrite ci-avant, dans une société qui acceptent d’organiser la solidarité entre ses membres, même ceux qui contribuent le plus doivent bénéficier et surtout avoir conscience de bénéficier de cette solidarité.

C’est pourquoi certaines réformes, qui a première vue peuvent être analysées comme raisonnables, apparaissent délétères pour l’Etat social. Il en est ainsi de cette idée de vouloir réserver les allocations familiales au plus modestes. Il faut comprendre ce que cela signifie : ce n’est plus une solidarité dans une société de l’empathie mais exactement les mêmes ressorts que lorsque les habitants des pays riches font un don pour aider les habitants de Haïti dans des circonstances compliquées. Nous ne sommes plus dans des mécanismes de solidarité, mais de charité qui obéissent à d’autres ressorts des sentiments de l’humain.

L’Etat social c’est vraiment ce que Durkheim décrit :

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits,
ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres
et à une même société dont ils fassent partie. »

Dit autrement, il faut un « Nous ».

Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas possible de créer une solidarité avec des humains venant d’autres continents, d’autres cultures, d’autres religions, mais ce n’est pas possible dans une société qui se divise en communautés et en groupes qui créent dans la société la dichotomie entre « Nous » et « Eux ». L’Etat social n’est possible qu’à l’intérieur d’une société dans laquelle il existe un « Nous » prédominant, même si à l’intérieur de ce « Nous » il peut exister des « nuances ».

Le problème est donc loin de n’être qu’économique !

Mais il y a bien un problème économique de fond, dans un monde de la globalisation, de l’ouverture des frontières et notamment de la libre circulation des capitaux. Et ce problème, Angela Merkel l’a décrit en quelques chiffres qui sont ce que nous appelons des chiffres durs :

C’était l’exergue du mot du jour du Mercredi 19 novembre 2014 :

« L’Europe, c’est 7% de la population mondiale
25% de la production mondiale,
et 50% des transferts sociaux mondiaux.»

Enoncé ainsi, on comprend l’ampleur du problème !

Voici ce que j’ai compris sur les conditions de l’Etat social et les défis qu’il affronte aujourd’hui.

Certes, comme le disent mes amis de gauche, il faut que les riches contribuent davantage.

Mais cela n’arrivera pas si on ne sait pas créer les conditions d’une société telle que la décrit Durkheim.

Ni d’ailleurs si le reste du monde ne se rapproche de nos standards de redistribution ou que nous soyons prêts à nous retirer de la mondialisation avec toutes les conséquences que cela entraineraient.

Et dans ce cas les perdants de la mondialisation deviendront de plus en plus les obligés des associations caritatives ou de la philanthropie des gagnants. Cette évolution est à l’œuvre aux États-Unis. Un mot du jour de février 2016 avait évoqué ce sujet en se fondant sur un livre de Nicolas Duvoux, «Les oubliés du rêve américain. Philanthropie, État et pauvreté urbaine aux États-Unis». Ce sociologue avait réalisé une enquête dans la ville de Boston sur l’action d’une fondation américaine philanthropique en faveur des habitants d’un quartier défavorisé et en avait tiré ce livre. J’avais donné ce commentaire sur les philanthropes  :

«Ce sont des gens immensément riches parce qu’ils ont eu une idée géniale qui correspondait à l’air du temps, ils ont beaucoup travaillé et entrepris et aussi … pour un petit peu… profiter d’une diminution considérable des impôts aux États-Unis et peut être aussi profiter des opportunités que leur offraient le système financier et quelques paradis fiscaux.

Bref, les impôts ou cotisations qu’ils n’ont pas payés et qui aurait permis d’alimenter un système redistributeur public, ont conduit leur fortune d’importante à devenir gigantesque. Et ils sont devenus philanthropes. Bref un système de redistribution privé.»

 

<1012>

Lundi 5 février 2018

« Augmenter nos connaissances, diminuer nos certitudes, accepter la complexité »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Mais finalement, au bout du bout, à quoi servent tous ces efforts pour trouver et écrire des mots du jour ?

Vous pourriez me poser cette question, mais Alain que retiens-tu de tout cela ? Qu’est-ce que tu as appris ? Compris ?

Quelle quête poursuis-tu ?

La quête est ambitieuse, je l’ai expliquée à plusieurs reprises : « Essayer de comprendre le monde ». Sur la page d’accueil de ce blog, une phrase est mise en exergue : «Comprendre le monde, c’est déjà le transformer !»

Cette phrase est celle de Guillaume Erner qui l’a prononcée pour le premier matin de France Culture qu’il a animé.

Je l’avais repris dans le mot du jour du 9 septembre 2015. Guillaume Erner avait ajouté :

«[Il faut lutter contre ceux] qui ont intérêt à la mésintelligence du monde.
C’est contre eux qu’il faut se réveiller pour interrompre le sommeil de l’intellect.
Tous les verbes qui nous arrachent à la nuit de la pensée : comprendre, expliquer, réfléchir sont des verbes militants.»

Comment faire concrètement ?

Quels sont les piliers de cette ambition ?

Rachid Benzine qui en même temps a été champion de France de kickboxing et qui est un intellectuel formé à l’école des sciences humaines, après avoir fait des études d’économie et de sciences politiques puis des études d’histoire et de philosophie peut donner des clefs.

Il est musulman il avait accédé à la notoriété en lançant avec le père Christian Delorme, le dialogue islamo-catholique aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, qui a donné lieu à un livre : Nous avons tant de choses à nous dire, paru en 1998.  »

En octobre 2016, il avait écrit un roman épistolaire <Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?>, dans lequel un père échange des lettres avec sa fille partie faire le djihad en Irak. Dans une des lettres, il écrit :

« Notre mission en tant qu’humains n’est pas de trouver des réponses, mais de chercher. Les musulmans sont appelés à être d’humbles chercheurs, et pas des ânes qui ânonneraient sans cesse des histoires abracadabrantes. Tu le sais bien, ma petite Nour :  Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. Ces certitudes qui vous mènent aujourd’hui tout droit en enfer. »

J’en avais tiré un mot du jour : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

C’est en partant de là que probablement il existe un chemin :

  • Augmenter nos connaissances ;
  • Diminuer nos certitudes ;
  • Et finalement, accepter la complexité.

Pendant tout ce butinage quelles sont les connaissances qui ont augmenté ?

Certainement la compréhension de l’extraordinaire intelligence de la nature et du vivant.

Quand on se plonge dans le livre de Peter Wohlleben sur la vie secrète des arbres, on ne peut plus regarder les forêts de la même manière, on ne peut plus apprécier l’intervention des humains dans la forêt avec les mêmes critères.

Quand on écoute ou lit Franz de Waal on ne peut plus voir les animaux avec les yeux de l’humain qui fait à l’image de Dieu est maître de la nature. Il faut alors se rendre compte que la frontière entre l’homme et l’animal devient de plus en plus ténue, que ce qui permet de différencier l’un de l’autre devient de plus en plus faible.

La connaissance de l’asservissement et de la violence que les hommes ont par le passé et continuent encore trop à exercer à l’égard des femmes dans toutes les civilisations, tous les milieux sociaux a aussi énormément progressé grâce à mes lectures, recherches et aussi réflexions personnelles dans l’expérience de la vie.

Ma connaissance s’est aussi développée sur l’abus et la perversité de l’utilisation incontrôlée, irrationnelle, déshumanisante de la gouvernance par les nombres.

Ma compréhension qu’une des choses fondamentales qui est en train de se dérouler devant nos yeux est une remise en cause des avantages des classes moyennes et populaires occidentales qui étaient le fruit de l’hégémonie et disons-le de la prédation qu’exerçaient les pays occidentaux sur le reste du monde.

Et les certitudes qui ont diminué ?

La certitude qu’il existe des valeurs universelles que l’ensemble des humains partage : la liberté de penser, la démocratie, la valeur de la vie humaine et la prise en compte de l’individu. J’ai compris que ces valeurs universelles étaient issues de notre monde occidental.

Le mot du 17 juin 2015 donnait la parole à Jean-Louis Beffa qui expliquait :

«On a cru que les valeurs de type occidental, celles qui viennent de la révolution française, des vertus chrétiennes et des lumières avaient une valeur mondiale. on disait les droits de l’homme c’est [universel]. Je ne le crois pas. Je crois que le monde asiatique, en particulier, a des valeurs confucéennes qui sont des valeurs complétement différentes.»

Dans ma vision d’homme de gauche, beaucoup de certitudes issues de cette pensée ont été balayées :

  • Les conditions sociales expliquent une partie du fonctionnement de la société et des individus, mais pas tout. Il y a aussi les mythes, les religions, les affects, les cultures familiales qui ont une importance considérable dans l’explication des phénomènes sociaux.
  • La Loi ne peut pas tout, ne peut pas régler tous les problèmes, interdire tout ce que l’on rejette et par sa seule promulgation faire évoluer les mentalités et la société. »

La certitude aussi que le progrès technique entraîne forcément une amélioration de l’égalité des humains et de leur bien-être est mise à mal.

Accepter la complexité ?

La complexité est le grand mot d’Edgar Morin.

L’acceptation de la complexité doit aussi conduire à accepter qu’on ne peut pas tout comprendre tout maîtriser. L’Univers est infini, sommes-nous pauvres humains capable d’appréhender l’infini ?

De façon plus prosaïque, la complexité peut simplement se détecter dans le gouvernement des humains et le cadre légal de la société.

La GPA, gestation pour autrui, elle est interdite en France, mais pas aux Etats-Unis, ni au Canada, ni en Grande Bretagne.

Dès lors des parents français utilisent cette méthode pour avoir des enfants à l’étranger et ils reviennent en France.

Ces enfants n’existent pas, ils sont hors la Loi.

Si on les légalise, en réalité on accepte le principe de la GPA. Principe de la GPA qui va dans notre monde cupide aboutir forcément à ce que des femmes pauvres louent leur ventre à des riches pour que ces derniers puissent assouvir leur désir d’enfant.

Mais peut-on laisser ces enfants qui ne sont pas responsables de cette situation, ne pas accéder pleinement à la citoyenneté et aux droits sociaux ?

Celui qui dit que la réponse est simple, n’a rien compris à la question.

J’essaierai dans les prochains mots du jour de continuer sur des sujets particuliers à développer selon ces trois axes ce que toutes ces réflexions et lectures ont pu m’apporter.

<1011>


Vendredi 2 février 2018

« Ce ne sont plus exactement des homo sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés »
Frédéric Beigbeder

Ce mot du jour renvoie vers certaines découvertes concernant la santé et notamment la capacité d’intervenir sur l’ADN. Vous retrouverez en fin d’article des liens et des explications montrant que le propos de Frédéric Beigbeder n’est pas vraiment humoristique mais plutôt questionnant le monde de demain.

Avant de commencer il faut quand même parler de <crispr> et plus précisément de « CRISPR-Cas9 » (prononcez « crispère »)

L’acronyme CRISPR vient de l’anglais : «  Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats  », en français (« Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ». Et Cas9 est une enzyme.

« CRISPR-Cas9 » constitue une innovation révolutionnaire qui permet de cibler une zone spécifique de l’ADN, la couper et y insérer la séquence que l’on souhaite remplacer. Dans le langage courant on parle de « ciseau génétique ».

Le journal du CNRS explique de manière un peu plus technique cette invention : https://lejournal.cnrs.fr/articles/crispr-cas9-des-ciseaux-genetiques-pour-le-cerveau

Après cette courte introduction, revenons à Frédéric Beigbeder qui est un écrivain ayant déjà eu deux prix littéraires. Il réalise une chronique sur France Inter à la fin du 7-9.

Le jeudi 18 janvier 2018, il a fait son intervention après Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, qui était l’invité de Nicolas Demorand pour le lancement des Etats généraux de bioéthique, qui se dérouleront jusqu’au 7 juillet. Le sujet de l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne, la reconnaissance des enfants nés grâce à la gestation pour autrui (GPA), l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la médecine ou les interventions sur le génome ont notamment été évoqués.

Frédéric Beigbeder a joué, dans sa chronique, le rôle d’un médecin qui s’adresserait à son confrère, c’est-à-dire à Jean-François Delfraissy.

Et il lui a tenu ce langage :

« Pourquoi tous les génomes français ne sont-ils pas séquencés, ce qui permettrait de détecter les cancers avec 30 ans d’avance ?
Pourquoi le sang artificiel créé par Luc Douai est-il interdit en France ?
Et quid de la congélation des cellules pluripotentes induites également réprimées chez nous ?
Comme le stockage des cordons ombilicaux ?
On a l’impression de vivre dans un monde à deux vitesses.
Une large majorité de mortels peu informés. Et puis nous l’élite mondiale qui sait comment repousser la mort, mais garde le remède secret. […]
En 2015, la grande déclaration du comité international de bioéthique réuni à Paris, à L’Unesco était la suivante :
La révolution génétique soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale…

Donc on ne comprend rien
Une superbe déclaration consultative puisque des thérapies génétiques n’ont cessé d’être testées depuis sur les humains en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Chine avec des modifications de l’ADN.

Parfois elles ont sauvé des vies, celle de Leila Richards, un bébé leucémique à Londres dont l’espérance de vie était d’une semaine et qui vit toujours. Cet enfant peut être considéré, comme le premier HGM, « humain génétiquement modifié », va-t-on par souci éthique lui interdire de faire des EGM « enfant génétiquement modifié »

Je traduis en français pour les non spécialistes : Vous avez entendu parler des OGM, organisme génétiquement modifié mais vous ignorez probablement qu’il existe désormais des Humains génétiquement modifiés des HGM, et il en existera de plus en plus. Ce ne sont plus exactement des homo-sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés, crispr étant le nom des ciseaux génétiques, permettant de faire les manipulations génétiques.

Sachant que pour guérir du cancer on va passer par cette crispérisation qui coute des millions de dollars.
Quelle tête feront les gens quand ils sauront qu’un pauvre atteint du cancer devra en mourir et qu’un RGM, riche génétiquement modifié pourra en guérir ?

Si j’ai gaffé, ne répétez à personne cette information confidentielle »

Jean-François Delfraissy, interpellé par Demorand pour répondre à Beigbeder a fait cette réponse :

« Beaucoup de choses intéressantes [ont été dites] et qui montre que ce confrère suit parfaitement les données de la science, les avancées scientifiques. Et qui soulève en effet toute une série de questions, en particulier je retiens la notion de médecine à deux vitesses. Je retiens la question qui pourra y avoir accès. Les problèmes éthiques soulèvent un certain nombre de questions économiques d’accès à la santé et aux nouvelles techniques.

Parlons-en. Sortons du débat d’expert et parlons aux citoyens. »

Vous trouverez la chronique de Beigbeder, derrière <ce lien> et l’émission avec Jean-François Delfraissy derrière <celui-ci>

C’est par la série sur Sapiens de Yuval Noah Harari que j’ai commencé à aborder ce sujet. Dans le mot dont l’exergue est « La singularité ». Je cite Harari qui écrit :

« Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi».

Mais il va probablement plus loin dans Homo Deus où il évoque une nouvelle religion le dataisme, autrement dit la confiance dans les big data et où il explique que nous allons laisser faire ces évolutions précisément parce qu’elles nous promettent une meilleure santé.

Bien évidemment les parents de Leila Richards ne peuvent qu’être immensément reconnaissants devant toutes ces techniques.

Mais la crainte que cette évolution avec celle de l’« homme augmenté » va créer deux types d’hommes : « l’homo sapiens canal historique » dont nous faisons partie et « homo 2.0 » comme l’appelle Beigbeder dont la chance, si c’en est une, d’en faire partie parait très mince.

Ces évolutions posent aussi des questions de société qui donnent le frisson comme dit Harari.

Au départ, la raison de ces recherches est bien sûr médicale pour guérir, reculer les limites de la mort et de la souffrance.

Mais une fois qu’un petit groupe d’humains aura cette technique faustienne de créer des Hommes Génétiquement Modifiés, qu’adviendra t’il ?

La cupidité de certains est si grande, notamment parmi les puissants et les hyper riches.

L’esprit d’entraide existe aussi saura t’il être le plus fort ?

Jean-François Delfraissy a raison : « Parlons-en. Sortons du débat d’expert. »

Post Scriptum :

Après la chronique de Frédéric Beigbeder, j’ai fait quelques recherches.

J’ai ainsi trouvé le <Rapport du 2 octobre 2015 du Comité international de Bioéthique>. Dont voici des extraits :

Page 8

De nouveaux outils expérimentaux permettent aux scientifiques d’insérer, de retirer et de corriger la séquence de gènes, ouvrant la possibilité de traiter, voire de guérir, certaines maladies monogéniques telles que la béta-thalassémie et la drépanocytose, ainsi que certaines formes de cancer. Si ces procédures s’améliorent et que leur innocuité pour les patients est démontrée, elles permettront le succès longtemps attendu de la thérapie génique somatique. Dans plusieurs pays, la thérapie génique somatique a reçu une approbation éthique et réglementaire parce que les modifications génétiques obtenues ne se transmettent pas à la génération suivante. Les préoccupations des éthiciens et des scientifiques ont précisément été soulevées par la possible application de ces technologies à la modification de la lignée germinale, à des fins thérapeutiques ou à des fins d’amélioration des particularités d’un individu. En conséquence, des appels à un moratoire sur ces technologies ont été lancés, au moins jusqu’à ce que leurs conséquences à long terme et leur sécurité soient mieux évaluées. Certains pays ont interdit toute modification de la lignée germinale chez l’homme alors que d’autres n’imposent pas d’interdictions légales, mais ont élaboré des réglementations administratives ou éthiques (« soft law ») interdisantces expériences sur les gamètes ou les embryons humains.

Page 29

En même temps, cette révolution nécessite des précautions particulières et soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale en introduisant des modifications héritables, qui seraient transmises aux générations futures.

Et si vous voulez en savoir davantage sur le traitement qui a été appliqué à Layla, dans Sciences et avenir j’ai trouvé l’article : « Leucémie : la guérison « miracle » de Layla Richards », pour la première fois, un enfant atteint d’une leucémie aiguë lymphoblastique est entré en rémission grâce à un traitement expérimental utilisant des cellules immunitaires génétiquement modifiées.

Un article sur les recherches du docteur Luc Douay : < On a fabriqué du sang artificiel>

Les cellules pluripotentes évoquées sont des cellules qui dans le processus embryonnaires sont des cellules avant différenciation, c’est-à-dire des cellules qui sont capable de se différencier par la suite en de nombreux types cellulaires différents. Ces cellules existent dans un embryon, on les appelle « les cellules souches embryonnaires »: ces cellules souches sont obtenues à partir d’un embryon de 5 à 7 jours ; pour des questions éthiques, leur utilisation est très réglementée. Mais les scientifiques ont pu fabriquer des « cellules souches pluripotentes induites », dont parle Frédéric Beigbeder. Ces cellules souches sont obtenues à partir de cellules adultes différenciée. Elles sont reprogrammées de manière génétique et peuvent alors se multiplier à l’infini et donner différents types cellulaires.

Sur le site Futura Science j’ai trouvé une vidéo de 2 minutes où un chercheur explique ce qu’il espère réaliser à partir de ces cellules pluripotentes.

Et puis, vous l’avez certainement entendu on vient de créer le premier primate cloné : Et c’est des chinois qui l’on fait.

Techniquement il n’y a plus rien qui empêche qu’on crée le premier humain cloné.

<1010>

Jeudi 1 février 2018

« Les bagarres du Nutella »
Synthèse des réactions et réflexions personnelles sur ces faits divers

Et voici donc que des gens a priori « normaux » viennent à créer une émeute et se bagarrent dans des intermarchés, parce que ces derniers ont décidé de faire une <promotion sur le Nutella>.

La promotion était importante, il s’agissait d’une réduction de 70 %, ce qui mettait le pot de 950 grammes à 1,41 euro au lieu de 4,70 euros.

Certains affirment que parmi eux il y avait des professionnels de la restauration qui voulaient acquérir cette pâte à peu de frais.

Immédiatement les réseaux sociaux se sont déchainés pour se moquer de « ces abrutis » ou « cassoc » qui se battaient pour du Nutella.

Assez vite Jean-Luc Mélenchon s’est insurgé contre ces réactions de moqueries contre « des personnes très modestes » qui voulaient profiter d’une bonne affaire. « Quand l’émeute montre la misère, l’idiot regarde le #Nutella », a-t-il dit, dénonçant ainsi la misère dans laquelle vivaient ces personnes.

Une employée d’un Intermarché de ma ville natale, Forbach, a décrit à l’AFP :

« Les gens se sont rués dessus, ils ont tout bousculé, ils en ont cassé. C’était l’orgie ! »

Ceci me fait aussi penser à <La fermeture du Virgin Megastore de Lyon> en 2013 qui avait conduit à des soldes énormes et des comportements indignes de la part de certains acheteurs. Des vendeurs qui allaient perdre leur travail étaient confrontés à des personnes ayant perdu tout savoir vivre dans leur recherche de produits à prix bas.

Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert rejoint l’explication de Jean-Luc Melenchon. Il a déclaré dimanche 28 janvier sur BFMTV :

« Ce sont des gens qui vivent de peu, ce sont des gens qui se ruent sur une pâte à tartiner qu’ils ne peuvent pas offrir à leurs enfants »

Le Parisien ne dit pas autre chose

«Samedi, à l’Intermarché Beauvais-nord (Oise), sous un ciel sans couleur, le calme est revenu. Mais les scènes de cohue, provoquées par une promotion à -70% sur le Nutella, font honte aux habitants. Chacun s’interroge : comment un pot de 950 grammes à 4,70€, soldé 1,41€ du 25 au 27 janvier, a pu créer une telle bousculade au sein des rayons ? « Bêtise », « cinglés », « sauvages ». Les insultes pleuvent. Mais, très vite, certains chuchotent un autre mot « précarité ». Comme si cette guerre pour 3€ n’était que la photographie d’une détresse sociale, que l’on préfère ignorer.»

Pierre Rondeau, Professeur d’économie développe une analyse plus nuancée : ce n’est pas la misère qui pousse à de tels comportements, mais la peur d’y entrer . Son article a été publié par Slate :

« Ce ne sont donc pas les inégalités ou la grande précarité qui expliquent les heurts violents, la destruction de la solidarité et la fragilisation de la cohésion sociale, puisque ces causes semblent disparaître depuis une trentaine d’années. Le problème est plus complexe: c’est le sentiment d’insécurité économique, la peur du déclassement et la croissance de la méfiance collective qui semblent expliquer ces comportements.

Nous en venons à nous jeter sur les promotions pas forcément parce que nous sommes pauvres mais parce que nous avons le sentiment que cela pourrait nous arriver. Le sociologue Eric Maurin expliquait déjà ce phénomène dans son livre « La peur du déclassement », en 2009:

[…] Et certains en viennent alors à se battre pour du Nutella … »

Un autre angle d’analyse rapporte le propos d’un employé d’un Intermarché à Revigny-sur-Ornain (Meuse) :

« A – 70%, c’est un pousse-au-crime et on casse l’échelle de valeur. Le client se dit que si le pot de Nutella peut être vendu à – 70%, c’est que le reste de l’année, on marge énormément, alors qu’il est vendu à marge zéro toute l’année… ».

D’ailleurs l’administration et <Le journal Libération posent la question si le rabais de 70% était légal> :

En droit français, la vente à perte (c’est-à-dire le fait de vendre un produit à un prix moins cher que celui auquel on l’a obtenu) est interdite Soit Intermarché achète son Nutella pour un prix inférieur ou égal à 1,41 euro… ce qui implique que le supermarché se fait une belle marge de 233% en vendant les pots de 950 g à 4,70 euros en temps normal. Soit Intermarché achète son Nutella à Ferrero pour un prix supérieur à 1,41 euro et il aurait alors pratiqué de la vente à perte avec sa promotion

L’article cependant nuance, il existe des exceptions qui autorisent la vente à perte. Dans le cas qui nous occupe, ce serait possible si cette vente correspond à des soldes, ce qui est permis pour des produits alimentaires

Un autre point de vue s’exprime par « des dentistes et des médecins » qui rappellent à juste titre que désormais les autorités publiques sont convaincus de la nocivité de la trop grande consommation de sucre et s’étonnent qu’on tolère de tels agissements :

« De quoi aurait l’air la campagne anti-tabac actuellement menée si demain des bureaux de tabac pouvaient faire une réduction de 70% sur un simple coup de tête? », s’interroge l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD) dans un communiqué.

Les futurs dentistes ou chirurgiens interpellent le groupe Intermarché, à l’origine de cette opération, ainsi que les autorités, pour « entamer une réflexion sur la taxation des produits sucrés », après l’instauration d’une taxe soda sous la présidence de Nicolas Sarkozy »

Les goûts et couleurs ne se discutent pas. Ma fille Natacha affirme que le Nutella a très bon goût.

Peut-être, mais ce n’est certainement pas bon pour la santé

Cet article nous apprend que la composition du Nutella diffère d’un pays à l’autre, Ferrero tenant compte des préférences exprimées en fonction des régions et des législations en vigueur concernant le chocolat. En France, le Nutella est d’abord composé de sucres (>50 %) puis d’huile végétale, c’est-à-dire d’huile de palme (17 %). Viennent ensuite les noisettes (13 %), le cacao maigre (7,4 %), le lait écrémé en poudre (6,6 %), puis le lactosérum en poudre.

Enfin, on retrouve dans le Nutella des émulsifiants : des lécithines de soja et de la vanilline.

Bref, surtout du sucre, beaucoup de gras, un peu de noisettes et encore moins de cacao.

J’ai trouvé cette illustration qui essaye de représenter la composition du Nutella de manière encore plus explicite.

Enfin plus récemment il est apparu qu’en outre le Nutella contenait du phtalate DEHP qui est une substance chimique qui permet d’augmenter la flexibilité des matières plastiques. Les phtalates sont des perturbateurs hormonaux qui provoquent des dérèglements induisant notamment la stérilité chez l’homme. Il est estimé que, dans les pays industrialisés, un homme produit deux fois moins de spermatozoïdes que n’en produisait son grand père au même âge. Les phtalates sont également soupçonnés d’être cancérigènes. En 2008, après avoir fait une étude sur le développement de testicules in vitro, l’INSERM a affirmé que les phtalates étaient « délétères pour la mise en place du potentiel reproducteur masculin dans l’espèce humaine ».

La Croix nous apprend qu’avec 26% de la consommation mondiale La France est championne du monde de la consommation de Nutella>. Je ne suis pas certain que nous devons nous enorgueillir de ce titre.

Pour ma part je crois, même si les arguments développés ci-avant peuvent présenter quelques intérêts, le problème que cela pose est avant tout notre enfermement dans le consumérisme.

Le consumérisme est très présent dans les mille premiers mots du jour.

Et le mot du jour du 4 avril 2017 s’efforçait d’en faire une synthèse. Mais le mot qui est allé le plus loin dans la dénonciation de cette pulsion incontrôlée est certainement la phrase du philosophe allemande Peter Sloterdijke :

«La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

Nul besoin de nous enchainer pour que nous perdions notre liberté. Il suffit que la publicité et le comportement des autres nous fassent croire que c’est par notre consommation que nous sommes reconnus par nos pairs. Il y a même des messages subliminaux qui veulent nous faire croire que la consommation rend heureux.

Le mot du jour du 14 avril 2014 citait Annie Arnaux : «Je suis de plus en plus sûr que la docilité des consommateurs est sans limite.». Car bien entendu, le Nutella n’est pas indispensable à notre alimentation. Il n’est même pas bon pour la santé. Ce n’est donc pas un besoin vital qui pousse les gens à vouloir l’acheter. Ce sont d’autres mécanismes qui sont à l’œuvre : l’image du plaisir, le prestige de la marque, une publicité alléchante, une once de luxe par rapport à d’autres pâtes à tartiner moins prestigieuses (et probablement pas meilleurs pour la santé) et notre formidable addiction au sucre que des décennies de pratiques des professionnels de l’alimentaire ont su développer.

 

Au fait, Intermarché vient de récidiver avec des promotions sur les couches culottes pampers qui semblent aussi avoir déclenché des désordres.

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