Jeudi 14 février 2019

« La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassée
Où je t’ai embrassée »
Jacques Prévert

Pour la Saint Valentin, ces vers de Jacques Prévert (1900-1977) extrait du poème « Le Jardin »

Le jardin

Des milliers et des milliers d’années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassée
Où je t’ai embrassée
Un matin dans la lumière de l’hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.

Ce poème est extrait du recueil « Paroles » qui a été publié pour la première fois en 1946.

C’est Jean-Louis Trintignant qui m’a fait découvrir ce poème, alors qu’il était l’invité de de Léa Salamé sur France Inter le <jeudi 13 décembre 2018>

J’avais déjà cité cette émission, lors du mot du jour du 14 décembre 2018, parce que Jean-Louis Trintignant s’était exprimé sur la crise des « gilets jaunes » :

« Entre les gens qui nous gouvernent et les gens qui souffrent, il y a un fossé. […] Macron je pense que c’est un homme honnête mais il n’a jamais eu faim. Il n’est pas assez proche du peuple »

Il avait aussi ajouté cette profession de foi :

« Je reste de gauche bien sûr. Les progrès sont des progrès de gauche. Les progrès de droite sont stupides. »

Mais il était invité à cette émission pour parler du spectacle qu’il donnait du 11 au 22 décembre 2018 à la Porte Saint Martin, spectacle de poésie sur de la musique argentine.

Pendant l’émission il a déclamé ces vers de Prévert.

« La petite seconde d’éternité où tu m’as embrassée… »:

Il a ajouté :

« Mais Prévert, c’était sans doute un type merveilleux. Je l’ai connu un petit peu. »

Il a cité aussi d’autres poètes comme par exemple Pierre Reverdy qui a écrit :

« On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »
(tiré de «plupart de temps» )

Il a aussi été invité par Claire Chazal sur la 5, <émission> dans laquelle on voit de courts extraits du spectacle.

Mais, finissons par un autre poème de Prévert tiré du recueil « Paroles »

Paris at Night

Trois allumettes, une à une allumées dans la nuit

La première pour voir ton visage tout entier

La seconde pour voir tes yeux

La dernière pour voir ta bouche

Et l’obscurité toute entière pour me rappeler tout cela

En te serrant dans mes bras.

<1191>

Lundi 21 janvier 2019

« Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. »
Christian Bobin

Dans un premier temps, j’avais eu l’intention d’utiliser simplement : « L’attente » comme exergue de ce mot du jour.

Mais je suis tombé sur un poème de Christian Bobin qui m’a paru donné plus de profondeur et de force à ce que je souhaitais partager aujourd’hui, après une pause d’un mois.

C’est Christophe André qui m’avait fait découvrir cet écrivain né en 1951. Et c’est une citation de Christian Bobin que j’avais utilisée lors du mot du jour du « Jeudi 18 mai 2017» pour terminer la série de mots du jour consacré à l’émission « 3 minutes à méditer » qu’avait réalisée Christophe André :

« Pour qu’une chose se termine, il faut qu’une autre chose commence –
et les commencements, c’est impossible à voir»

L’attente est l’état de celui qui attend ou le temps pendant lequel on attend.

C’est un état qui pour beaucoup devient rapidement insupportable tant la société nous presse vers l’immédiateté : tout, n’importe quoi, tout de suite, donc sans l’attente.

Dès qu’une esquisse d’envie nous touche, surtout dans le domaine de la consommation, il suffit d’aller vers nos outils numériques et de commander sur les sites marchands en ligne.

J’ai appris récemment que pour l’instant Amazon réalise une marge infime dans son métier de commerce en ligne et cela notamment en raison de sa stratégie de vouloir livrer tous ses clients dans des délais extrêmement contraints.

Pourtant la vie est constituée de beaucoup d’attentes.

Quand on est enfant, on attend de devenir grand.

Avant l’enfant, il faut la naissance c’est encore une attente, qui est calibrée, il faut neuf mois à quelques jours près.

On attend une rencontre, un rendez-vous, sa première expérience sexuelle, son premier job et tant d’autres choses.

Ce site attribue à Jules Renard la citation suivante :

« Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d’attente. »

Car le mot « attente » peut aussi avoir le sens de l’espérance ou de l’espoir. C’est le cas dans les expressions suivantes :

  • Cet enfant a répondu à l’attente qu’on avait de lui.
  • Il a rempli notre attente.

Pendant ses années d’études on attend, aussi notamment les résultats des examens. Dans ce cas l’attente est en effet espérance.

Et puis, il en est d’autres examens dont on attend les résultats.

Je me souviens avoir vu ce très beau film : « Cléo de 5 à 7 » d’Agnès Varda avec dans le rôle principal Corinne Marchand.

L’action se déroule à Paris, près de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Cléo, une jeune et belle chanteuse plutôt frivole, craint d’être atteinte d’un cancer. Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de ses examens médicaux dans 2 heures. Pour tromper sa peur, elle cherche un soutien dans son entourage. Elle va se heurter à l’incrédulité voire à l’indifférence et mesurer la vacuité de son existence. Elle va finalement trouver le réconfort auprès d’un inconnu à l’issue de son errance angoissée dans Paris. Le film est constitué par ce temps de deux heures d’attentes

Télérama écrit :

«  La jolie chanteuse (métier de Cléo) égocentrée et narcissique des premières scènes cède peu à peu la place à une autre femme, non plus objet mais sujet, qui regarde, qui écoute, qui se laisse enfin atteindre par les autres. C’est l’histoire inoubliable d’une transfiguration. »

Un film à voir et à revoir.

Je me trouvais dans la salle d’attente de la médecine nucléaire de Villeurbanne qui dispose d’un équipement très performant pour ausculter le corps humain.

Une femme très agitée est entrée. Elle avait mon âge.

Nous avons échangé des paroles, j’ai compris qu’elle était là non pour elle, mais parce qu’elle attendait sa fille de 25 ans.

Son attente n’était pas espérance, mais inquiétude

Nous avons échangé peu de paroles, mais l’échange se fait aussi par le regard, par l’attitude corporelle, par le silence.

Car le silence peut être habité, la solitude peut percevoir l’empathie.

Et l’empathie fait du bien à celui qui accepte de la recevoir.

Mais l’empathie fait aussi du bien à celui qui donne.

Et le don de l’empathie est probablement plus fort encore quand celui qui le donne se trouve lui-même dans la solitude et le silence.

L’exergue est extrait de ce poème qui se trouve dans «L’autre visage» publié aux Éditions Lettres Vives en 1991, aux pages 52 et 53 :

Celui qui attend

Celui qui attend est comme un arbre
avec ses deux oiseaux, Solitude et Silence.
Il ne commande pas à son attente.
Il bouge au gré du vent,
docile à ce qui s’approche,
souriant à ce qui s’éloigne.
Celui qui attend,
nous l’appelons le « tout comblé »
car dans l’attente,
le commencement est comme la fin,
la fleur est comme le fruit,
le temps comme l’éternel.

Christian Bobin

Un site que j’aime beaucoup, https://www.espritsnomades.net, parce qu’on y trouve de belles pages sur la musique classique et la littérature, a consacré une page à Christian Bobin : <Christian Bobin, notre part manquante>

<1174>

Vendredi 30 novembre 2018

«Le Musicien de la Guerre»
René Beziau

Je vais arrêter aujourd’hui mon itinérance intellectuelle et épistolaire autour de la guerre 14-18 et de ses conséquences.

Lorsque j’ai fait référence, lors du mot du jour du 14 novembre, à la dernière lettre d’un fusillé pour l’exemple à son épouse, Gérald m’a exprimé ses doutes.

Doute que j’avais aussi. Il était étonnant qu’un soldat du rang écrive aussi bien en 1914. Par ailleurs, il n’y avait aucune référence à son régiment, à son vrai nom.

Il est vrai que ce qu’il exprimait était si fort et si juste, qu’il est possible que ce fut une lettre écrite par une personne qui s’est mise dans la peau d’un tel destin et avec sa connaissance d’alors ait rédigé ce texte.

Je ne le sais pas.

Mais aujourd’hui je vais finir avec une lettre dont on ne peut douter de l’authenticité.

Notre amie à Annie et à moi, Marianne a découvert un poème écrit par son grand-père René et  transmis par son oncle (le dernier de la fratrie paternelle) tout récemment.

Ce poème l’a beaucoup touchée et comme elle le dit c’est un témoignage d’une grande valeur. Elle m’a donné l’autorisation de le publier dans le mot du jour.

J’aurais pu encore évoquer bien des sujets et notamment j’aurais souhaité parler de l’émancipation inachevée des femmes, notamment en France. Car pendant que les hommes allaient au front pendant la guerre 14-18, il a fallu continuer à faire fonctionner la France de l’arrière, le travail des champs, le travail des usines et tout ce qui était nécessaire pour assurer la vie économique et sociale. Et pour ce faire, les femmes ont assuré ces travaux, des initiatives et une responsabilité qui ne leur était pas accordé d’habitude. Il paraissait logique qu’elles continuent avec ces mêmes responsabilités après la guerre, qu’enfin les hommes leur accordent leur vraie place dans la société économique et politique.

Ce ne fut pas le cas, il faudra attendre une ordonnance du 21 avril 1944, ratifiée par le général de Gaulle pour que ce droit de vote et l’éligibilité leur soit accordé.

L’Allemagne et l’Autriche furent les vaincus de la guerre, et… ils accordèrent le droit de vote aux femmes en novembre 1918, juste après la défaite.

La victoire rendrait-elle stupide ?

Et en France, il fallut attendre une Loi de 1965 pour qu’une femme puisse travailler sans l’accord de son mari ou ouvrir de compte en banque à son nom propre.

Quelle honte ! On voit là toute la distance entre l’image que la France a d’elle même et la réalité des faits.

Sur ce sujet, j’ai trouvé un dossier intéressant, issu d’un colloque de 2014 : <Les femmes pendant la guerre de 1914-1918 ou l’émancipation en marche ?>

Mais, nous finirons par le poème du grand-père de Marianne qu’Annie a saisi sur l’ordinateur pour qu’il puisse être inclus dans ce mot du jour. Mais vous trouverez aussi en pièce jointe la copie du manuscrit de René Beziau : <Lettre d’un musicien>. Car au delà des réflexions, de l’Histoire, de la politique, des relations entre les nations et les États, je crois qu’à la fin, il faut toujours revenir à la réalité de l’homme confronté à l’innommable qui fut la réalité de cette guerre.

Marianne précise : « Mon grand-père était musicien, alors pendant la guerre, quand on était musicien, on était…brancardier, comme son frère aîné Marcel, sauf que Marcel a eu moins de chance que René, il est mort 3 mois avant l’armistice. »

Le manuscrit précise que ce poème est de 1916, qu’il a été écrit à Verdun, côte 304.

On associe souvent les combats de la Cote 304 à ceux du Mort-Homme qui ont eu lieu en même temps et dans une grande proximité comme le montre <ce site>.

Si vous cherchez « côte 304 » sur Internet vous trouverez beaucoup de photos et des sites qui parlent de ces combats.

Par exemple <celui-ci> :

« Cote 304 Avocourt, du 5 Mai 1916 au 21 Mai 1916, le 125eme RI […] aura pour mission de reprendre ,les positions perdues et s’y maintenir. […], la cote 304 mouvement de terrain jumeau du Mort Homme sera perdue le 5 mai .Reconquise le 6 reperdue puis reprise le 7…Des aviateurs en observation au-dessus de ces positions avaient indiqués à l époque que le ciel était obscurci jusqu’à 800 mètres au-dessus du sol. »

Et pour comprendre le contexte de ce poème, je joins une photo :


Le Musicien de la Guerre

L’assaut est terminé. Vite au travail. J’approche.

Voici mes instruments : une pelle ! Une pioche !
Un brancard ! Musicien, brancardier, fossoyeur !
Du funèbre charnier, c’est moi le nettoyeur
J’accours par les boyaux, me voici sur la plaine.
Je rampe dans la nuit, retenant mon haleine,
à l’appel d’un soupir vers les blessés râlant
J’emporte sur mon dos les pauvres corps sanglant,
Sans soucis des obus, je ramasse la vie.
Du moins ce qu’il en reste, et mon épaule plie
Sous le poids répété des convois douloureux.

Quelle grandeur superbe en ces blessés glorieux !
Je leur rends à la hâte un éclatant hommage.
Confiants, sans un cri plein d’espoir et de rage
Héroïques patients par le trépas guettés.
Ils raccrochent leurs âmes à leur corps mutilés…
S
i je heurte un talus leurs souffrances s’avivent.
Pas un mot… dans leur désir de survivre ils vivent.

Mais vers l’arrière enfin. J’ai porté la douleur.
Plus rien ne vit ici …je deviens fossoyeur.
Je quitte le brancard pour la pelle et la pioche!
Allons va musicien !…
                   Un cadavre est tout proche.

Un mort! J’hésite. Quel débris ! Je suis ému
Ceci fût vivant !!…
                      Quel est ce pauvre inconnu?

O toi qui fus meurtri sur la glèbe entrouverte
Où la fureur humaine a consommé ta perte,
Mort, quel est ton passé ? Quel était ton pays ?

Es-tu le montagnard qui paissait ses brebis ?
Le coron de la mine abritait il ta tête ?
Es-tu le doux pêcheur qui bravait la tempête,
Ou l’humble laboureur suivant dans le sillon
Le pas lent de bœufs lourds qu’éveille l’aiguillon?
Es-tu le grand savant pâli sur son grimoire
Et rêvant d’imposer au monde sa mémoire,
Ou l’artiste charmant, l’aimable Cyrano
Que chacun à l’envie fêtait d’un long bravo?
Es-tu l’heureux époux, l’incomparable père,
L’artisan, l’ouvrier combattant la misère?
Ou bien l’amant timide au regard langoureux.
Le Don Juan vainqueur ou l’obscur amoureux ?
Qu’importe!…
               Maintenant, appuyé sur ma pelle,

Je songe à te remettre au néant qui t’appelle.
Et j’admire comment une étrange splendeur
Vint mêler sur ton front le sublime à l’horreur…

Jadis, tu fis peut-être, et doux était ce rêve,
Le vœu de reposer sous le tertre ? qu’élève
Non loin du vieux clocher près des pins révérés,
L’ardente dévotion de parents éplorés
Après qu’une main chère eut fermé ta paupière
Ou songeais à dormir sous une lourde pierre,
Ou ceux qu’aima ton cœur viendraient agenouillés
En t’offrant leur douleur, pencher leurs yeux mouillés

L’inexorable sort au but impénétrable,
En décide autrement ; seul, triste, et misérable,
Sur cette boue immonde où la mort a sévie
Ton âme est anonyme et ton corps est pourri !…

Accomplissant ici ma besogne macabre
Je te pousse du pied, je tire sur ton sabre
Je traîne sur le sol ces amas répugnants
D’os brisés, de cervelles et de membres saignants!
Une fusée éclate : une lumière boche
Fait passer des lueurs sur le fer de ma pioche
L’ironique destin donne à ton meurtrier
La tâche d’éclairer ton funèbre ouvrier?
Et si l’orgue est absent à la cérémonie
Dans l’air troublé surgit la sauvage harmonie
Des monstres vomissant la mitraille et le feu
Qui crachent leur fureur jusqu’au ciel jusqu’à Dieu !
Tu meurs seul sans amis, pour toi nul deuil, nul cortège
La nuit seule. Étant mort tu n’as rien !… mais j’abrège.

Je vais mettre en leur trou les putrides restants.
Et c’est moins pour toi que pour la santé des vivants.
Je groupe tes lambeaux de chairs inanimées.
Ils serviront d’engrais à quelques graminées
Ainsi tu nourriras par de subtils détours
Ceux que tu crois avoir délaissés pour toujours
À moins que quelque obus en se trompant de route
Au lieu chez les vivants de porter la déroute
Vienne s’échouer là pour troubler ton repos
Et lancer dans les airs ce qu’il te rester d’os

Avant que d’un bras las je recouvre ta tête
Ô mort un dernier mot. Que ma pelle s’arrête
Découvert, à genoux, d’un adieu fraternel
Je tiens à saluer ton repos éternel
Adieu mort inconnu, toi qui bâtis l’histoire.

Adieu ! Le fossoyeur d’une si pure gloire
Salue en toi, la Mort et le brutal Destin
Héros ! Je te salue et j’honore ta fin !!!!

Maintenant, sur ton front je jette un peu de terre
D’une croix de bois je marque ton cimetière
J’ai fini, tu n’es plus !…
Un autre mort m’attend.
Je refoule une larme et je pars en chantant

René Beziau
Verdun côte 304
1916

<1158>

Mercredi 9 mai 2018

« La musique est dans tout. Un hymne sort du monde »
Victor Hugo, « Les contemplations »

Mon ami Gérald est en Vendée et il est allé dans une crêperie.

Je n’ai pas l’habitude d’écrire des faits surtout depuis le mot du jour du 9 octobre 2017 :

«L’homme médiocre parle des personnes,
L’homme moyen parle des faits,
L’homme de culture parle des idées »
Citation attribuée quelquefois à Jules Romain d’autre fois à Eleanor Roosevelt

Mais dans le cas particulier du mot d’aujourd’hui, il me faut une introduction.

Donc Gérald est dans une crêperie et prend une photo qu’il m’envoie.

Cette photo reproduit la phrase suivante « La musique c’est du bruit qui pense » Victor Hugo

Et il pose la question : « As-tu déjà fait un mot du jour sur cette réflexion affichée dans une crêperie de Noirmoutier ? ». La réponse est négative, mais je trouvais l’idée intéressante après « Mass » de Bernstein :  pourquoi ne pas écrire un mot du jour sur la musique issue du grand Victor Hugo ?

Bien sûr, il faut vérifier.

Sur Internet on trouve beaucoup de sites qui publient cette citation mais jamais en donnant une source sérieuse et vérifiable.

<Même le site du Figaro> cite cette phrase en donnant pour source « / Fragments »

Sur d’autres il y a mention « Les contemplations. »

Il y a en France des personnes passionnées de poésie, jusqu’à créer des sites entièrement dévoués à cet art.

J’ai trouvé celui-ci : http://www.poesie-francaise.fr/

Et ce site permet même de faire une recherche de poèmes à partir d’un mot. Alors j’ai cherché : « La musique »

Le moteur de recherche renvoie 67 poésies dont 9 de Victor Hugo.

1 « Sagesse  » – Recueil : Les rayons et les ombres (1840).

2 « Que la musique date du seizième siècle  » – Recueil : Les rayons et les ombres (1840).

3 « Littérature  » – Recueil : Les quatre vents de l’esprit (1881).

4 « Psyché  » – Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865).

5 « À un riche  » – Recueil : Les voix intérieures (1837).

6 « Georges et Jeanne  » – Recueil : L’art d’être grand-père (1877).

7 « Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique  » – Recueil : Les contemplations (1856).

8 « Melancholia « . – Recueil : Les contemplations (1856).

9 « Bièvre « – Recueil : Les feuilles d’automne (1831).

J’ai vérifié, l’expression dite ne se trouvait dans aucun de ces poèmes.

J’ai continué mes recherches pour finalement trouver un blog qui avait déjà fait des recherches sur cette citation. Et l’auteur écrit :

« « La musique, c’est du bruit qui pense ». Cette célèbre formule, très galvaudée, et sans doute un peu facile, est généreusement attribuée à Victor Hugo. On ne prête qu’aux riches !

La plupart de ceux qui reprennent (en chœur !) cette formule se contentent de nommer l’auteur, dont la réputation suffit à apporter la garantie d’une profondeur géniale. Aucune source n’est généralement précisée. Un ou deux sites prétendent qu’il s’agit d’une citation extraite des Contemplations, ce qui est faux.

D’autres avancent que l’aphorisme est tiré des fragments réunis dans Tas de pierres, un ouvrage posthume. C’est un ouvrage curieux que ce Tas de pierres, consultable sur le site Gallica : ce sont de simples notes manuscrites jetées sur des bouts de papier. Personnellement, je n’y ai pas retrouvé notre citation. La belle formule reste introuvable. Selon Sébastien Mounié (L’école aujourd’hui – élémentaire de janvier 2012), on peut s’interroger sur l’existence même de cette phrase sous la plume de Victor Hugo, en l’absence de toute référence vérifiable. Il pourrait s’agir d’une formule inventée, ou seulement transmise oralement. La citation pseudo hugolienne rendrait « clairement hommage à la musique symphonique de l’époque, à la force évocatrice des idées et des émotions se dégageant d’une mélodie. » Pourquoi pas… »

Mais il me fallait un mot du jour pour le lendemain du 8 mai et il n’était pas question de mettre une citation non labellisée. Je suis donc revenu vers les poèmes trouvés et j’ai préféré le 7 qui est extrait des contemplations :

Titre : Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique

Poète : Victor Hugo (1802-1885)

Recueil : Les contemplations (1856).

À MADEMOISELLE LOUISE B.

La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.

Rumeur de la galère aux flancs lavés par l’onde,

Bruits des villes, pitié de la sœur pour la sœur,

Passion des amants jeunes et beaux, douceur,

Des vieux époux usés ensemble par la vie,

Fanfare de la plaine émaillée et ravie,

Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,

Sombre tressaillements des chênes éternels,

Vous êtes l’harmonie et la musique même !

Vous êtes les soupirs qui font le chant suprême !

Pour notre âme, les jours, la vie et les saisons,

Les songes de nos cœurs, les plis des horizons,

L’aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,

Flottent dans un réseau de vagues mélodies ;

Une voix dans les champs nous parle, une autre voix

Dit à l’homme autre chose et chante dans les bois.

Par moment, un troupeau bêle, une cloche tinte.

Quand par l’ombre, la nuit, la colline est atteinte,

De toutes parts on voit danser et resplendir,

Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,

Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,

Le groupe éblouissant des notes inégales.

Toujours avec notre âme un doux bruit s’accoupla ;

La nature nous dit : « Chante ! » et c’est pour cela

Qu’un statuaire ancien sculpta sur cette pierre

Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.
Juin 1833.

Oui la musique est dans tout, mais il faut savoir ouvrir ses oreilles et encore plus son cœur pour l’entendre.

<1066>

Mercredi 14 février 2018

« Je préfère aux biens
dont s’enivre L’orgueil du soldat ou du roi,
L’ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi. »
Victor Hugo «Les contemplations»

Pour la saint Valentin, ce poème de Victor Hugo :

Aimons toujours ! Aimons encore !
Quand l’amour s’en va, l’espoir fuit.
L’amour, c’est le cri de l’aurore,
L’amour c’est l’hymne de la nuit.

Ce que le flot dit aux rivages,
Ce que le vent dit aux vieux monts,
Ce que l’astre dit aux nuages,
C’est le mot ineffable : Aimons !

L’amour fait songer, vivre et croire.
Il a pour réchauffer le cœur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c’est le bonheur !

Aime ! qu’on les loue ou les blâme,
Toujours les grands cœurs aimeront :
Joins cette jeunesse de l’âme
A la jeunesse de ton front !

Aime, afin de charmer tes heures !
Afin qu’on voie en tes beaux yeux
Des voluptés intérieures
Le sourire mystérieux !

Aimons-nous toujours davantage !
Unissons-nous mieux chaque jour.
Les arbres croissent en feuillage ;
Que notre âme croisse en amour !

Soyons le miroir et l’image !
Soyons la fleur et le parfum !
Les amants, qui, seuls sous l’ombrage,
Se sentent deux et ne sont qu’un !

[..].

Moi qui ne cherche dans ce monde
Que la seule réalité,
Moi qui laisse fuir comme l’onde
Tout ce qui n’est que vanité,

Je préfère aux biens dont s’enivre
L’orgueil du soldat ou du roi,
L’ombre que tu fais sur mon livre
Quand ton front se penche sur moi.

<Si vous voulez lire le poème en intégralité>

Pour Annie et moi, la Saint Valentin ne se fête pas le 14 février, mais le 15.
Le 15 février, il y a 30 ans, nous nous sommes rencontrés à Paris et quelques mois plus tard, nous ne nous quittions plus.

Il n’y aura pas de mot du jour le 15 et le 16 février.

<1018>

Jeudi 4 mai 2017

«Et un sourire»
Paul Eluard
Pour mot du jour d’aujourd’hui, un poème d’Eluard.

«La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.»

Et un sourire
Paul ÉLUARD
Recueil : « Le Phénix »

Ce fut le poème que Jean-Luc Melenchon déclama à la fin de son dernier meeting avant le premier tour des présidentielles 2017.
C’est ce poème qui me vient à l’esprit après le chaos (1) du débat d’hier soir​.

(1) Il s’agit du débat d’entre deux tours entre Emmanuel Macron et la représentante de l’extrême droite qui a donné à ce moment une teneur très médiocre.
<886>

Mardi 30 août 2016

«La tortue rouge»
Michael Dudok de Wit

Quand avant les vacances, j’ai déjeuné avec mon ami Fabien il m’a donné deux injonctions :

  • En me prêtant le livre de Varoufakis « Et les faibles subissent ce qu’ils doivent » de le lire
  • et d’aller voir le film la tortue rouge.

J’ai presque fini le premier travail et j’ai réalisé le second.

« La tortue rouge » est un dessin animé où les personnages n’échangent aucun mot, seule la musique et les bruits de la nature remplissent le silence.

C’est en effet un film très beau où un nouveau Robinson Crusoé à la suite d’un naufrage se retrouve seul humain sur une île.

Il veut quitter l’île, mais une tortue rouge l’en empêche.

Le reste est poésie, solitude, vie, nature avec sa bienveillance mais aussi sa violence, amour, séparation et par-delà tout beauté.

Le site de Challenges essaie d’expliquer <Pourquoi il faut absolument aller voir « La Tortue rouge »>

«La Tortue rouge est le parfait exemple d’une simplicité trompeuse. L’image est minutieuse et les animateurs que cela soit des personnages ou des décors sont des orfèvres. Les plusieurs années de travail que nécessite un tel film accomplissent le miracle. Les paroles sont inutiles, le film est quasiment muet car il emprunte un langage universel qui embarque le spectateur à travers cette délicate odyssée.

C’est un formidable cadeau poétique que nous offrent les studios Prima Linea. Basés entre Angoulême et Paris, ils ont collaboré pour l’occasion avec le studio Ghibli à qui l’on doit les pépites de Hayao Miyazaki de Mon Voisin Totoro à Princesse Mononoké en passant par Le Voyage de Chihiro. Face aux dessins de Michael Dudok de Wit comme à son scénario tout en finesse, on peine à croire qu’il s’agit d’un premier film tant il est maîtrisé. La Tortue rouge explore les grandes étapes de la vie d’un être humain dans sa simplicité et sa douceur. C’est un film délicat, une pièce rare et précieuse qui a enchanté notre 69e Festival de Cannes. »

L’Express lui affirme <A ce jour, La Tortue rouge est le meilleur film de l’année.>

«Visuellement parfait et d’une irrésistible poésie. Son premier long-métrage, La Tortue rouge, étant tout bonnement génial, on peut considérer Michael Dudok de Wit, 62 ans, un Néerlandais londonien parlant couramment le français, comme un génie. »

Et Les Inrocks <un conte touchant de simplicité et de beauté sur la vie humaine>

«La Tortue rouge marque une étape importante dans l’histoire du cinéma d’animation : la rencontre entre l’animation européenne (et des producteurs comme Arte, Why Not et Wild Bunch, entre autres) et les célèbres studios japonais Ghibli (qui n’avaient jamais travaillé avec un autre studio, pas même japonais). […]

La Tortue rouge, film sans aucun dialogue, […] raconte une histoire extrêmement simple, presque biblique, toute métaphorique : celle de la vie. Un naufragé (aux traits neutres, pas du tout dans la veine des studios Ghibli, avec ses grands yeux bien connus) se retrouve sur une île déserte. Il sympathise avec des crabes. Il tente d’abord de s’échapper de l’île en construisant des radeaux de fortune.

Mais ils se font tous détruire par une créature étrange, qui va s’avérer être une grande tortue rouge. Elle le ramène sans cesse vers l’île. Cette créature, l’altérité, se fait femme pour lui, et ils vont avoir un enfant. […]

Tout est simplicité et beauté, humanité et universalité dans ce récit d’une vie humaine à travers ses multiples étapes, obstacles et découvertes : la solitude, l’étrangeté du monde et de l’autre, l’amour, la vieillesse et mort, en passant par l’enfant qui grandit et qui lui aussi découvre le monde.

On notera, dans un geste d’une belle épure et comme on aurait pu s’y attendre, que jamais le duo puis trio ne s’installe, ne construit des infrastructures (même une simple cabane) ou ne colonise ce territoire sauvage, comme auraient pu le faire des Robinson Crusoé modernes. Non, ici tout reste inviolé, l’homme n’est que de passage. »

Et TELERAMA n’est pas en reste : http://www.telerama.fr/cinema/films/la-tortue-rouge,502197.php

Peut-être aurait-il suffit de dire qu’Annie et moi avons beaucoup aimé ce film.

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Vendredi 29 mai 2015

Vendredi 29 mai 2015
« – Les enfants, savez-vous ce qu’est un champ lexical ? »
– Maîtresse, c’est un champ de fleurs !
Et toi,  maîtresse, tu es très belle ! »
Échange entre une maîtresse et un garçon rapporté par Bernard Maris dans son livre posthume

Longtemps, j’ai lu beaucoup de livres. Aujourd’hui, j’en lis peu.

Je pourrais ajouter : et maintenant je me couche de bonne heure.

Ceux qui ont de la culture comprendront…

Toutefois, j’ai acheté «et si on aimait la France » de Bernard Maris et j’ai commencé à le lire.

En voici un extrait :

« Nous sommes dans une école de banlieue, dans cette si joliment nommée Ile-de-France, qui fut autrefois le paradis des rois.

La maîtresse est douce, avec son museau pointu sous ses lunettes.

« Les enfants, savez-vous ce qu’est un champ lexical ? » Elle attend, souriante « Alors ? »

Elle n’espère pas de réponse, bien sûr….
La classe de CE1 est sage.
Mais une main de petit garçon se lève :
« Maîtresse, c’est un champ de fleurs ! »

Un champ de fleurs…Elle rit. Comme c’est mignon, un champ de fleurs, quel charmant petit garçon !
Elle secoue la tête, va pour expliquer, mais le petit crépu ajoute :
« Et toi,  maîtresse, tu es très belle »

Cette histoire m’a été racontée par mon ami Michel Bernard, écrivain, et de belle langue.

J’ignorais ce qu’était un « champ lexical »

Renseignement pris, on parle de champ lexical pour désigner « un ensemble théorique de noms, de substantifs, d’adjectifs et de verbes appartenant à une même catégorie syntaxique et liés de branches par leur domaine de sens »

[et il donne un exemple] « Le médecin guérit le malade » est  un champ lexical de trois substantifs. [D’après mon expérience récente, cette phrase est fausse, mais c’est un champ lexical].

Doit-on assener une telle horreur à des enfants ?

Des enfants qui ne demandent qu’à être ce qu’ils sont, des poètes, comme ce petit garçon qui voit d’abord un champ de fleurs, et dans ces fleurs une jolie maîtresse…»

« Doit-on assener de telle horreur à des enfants. »

Moi aussi je ne connaissais pas le champ lexical jusqu’à ce mes enfants entrent au collège et subissent des cours de français.

J’ai aimé lire la somptuosité des textes de Victor Hugo, j’ai été saisi par les poèmes de Baudelaire et tant de fois subjugué par la langue française, par Flaubert, Balzac, Zola et tant d’autres.

Mais je ne savais pas ce qu’était un champ lexical.

Et cela ne me manquait pas, comme tant d’autres concepts certainement intéressants, utiles, allons jusqu’à indispensables au niveau universitaire quand on veut étudier techniquement la langue.

Mais totalement inapproprié avant.

Et Bernard Maris de continuer :

« Dans notre classe de CM1, notre maître M. Vergniaud – c’était un maître très sévère- nous faisait la lecture chaque vendredi soir, en récompense d’une semaine studieuse. C’était la Guerre du feu de Rosny aîné, ou Un marin de Surcouf de Louis Garneray. Bras croisés, muets de terreur et d’émotion, nous écoutions les courses et les ruses du Malouin qui échappait toujours aux Anglais. Il n’usait pas de  « champs lexicaux » ou autres inconvenances. Il nous donnait simplement envie de lire.»

« Il nous donnait simplement envie de lire. »

Vous savez ce que disait Montaigne ?

« Je n’enseigne pas,  je raconte. »

Laissons la conclusion à l’inoubliable Bernard Maris qui écrit un peu plus loin, page 31,

« La réponse du petit garçon était très encourageante et… très française. Il charmait sa maitresse par une phrase poétique. Il tournait un compliment. Bref, il parlait à une femme.»

A propos, à Lyon ce weekend end il y a des champs de fleurs sur toute les places. <Des champs de roses>

Et si vous voulez appeler cela des champs lexicaux, comme le jeune garçon, personne ne vous en voudra.

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Vendredi 13 février 2015

Vendredi 13 février 2015
« Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues »
Aragon
Pour la Saint Valentin qui sera fêtée demain, Un extrait du long poème de Louis Aragon qui achève «Le roman inachevé».
Ce récit en poèmes publié en 1956 où il parle de sa jeunesse, de ses engagements politiques et de son amour pour sa compagne : Elsa Triolet.
Le long poème final a pour titre : «Prose du bonheur et d’Elsa» dont voici un extrait :
Aragon – Prose du bonheur et d’Elsa
«  […]
Comme un battoir laissé dans le bleu des lessives
Un chant dans la poitrine à jamais enfoui
L’ombre oblique d’un arbre abattu sur la rive
Que serais-je sans toi qu’un homme à la dérive
Au fil de l’étang mort une étoupe rouie
Ou l’épave à vau-l’eau d’un temps évanoui
J’étais celui qui sait seulement être contre
Celui qui sur le noir parie à tout moment
Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre
Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant
Que serais-je sans toi que ce balbutiement
Un bonhomme hagard qui ferme sa fenêtre
Le vieux cabot parlant des anciennes tournées
L’escamoteur qu’on fait à son tour disparaître
Je vois parfois celui que je n’eus manqué d’être
Si tu n’étais venue changer ma destinée
Et n’avais relevé le cheval couronné
Je te dois tout je ne suis rien que ta poussière
Chaque mot de mon chant c’est de toi qu’il venait
Quand ton pied s’y posa je n’étais qu’une pierre
Ma gloire et ma grandeur seront d’être ton lierre
Le fidèle miroir où tu te reconnais
Je ne suis que ton ombre et ta menue monnaie
J’ai tout appris de toi sur les choses humaines
Et j’ai vu désormais le monde à ta façon
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines
Comme au passant qui chante on reprend sa chanson
J’ai tout appris de toi jusqu’au sens du frisson
J’ai tout appris de toi pour ce qui me concerne
Qu’il fait jour à midi qu’un ciel peut être bleu
Que le bonheur n’est pas un quinquet de taverne
Tu m’as pris par la main dans cet enfer moderne
Où l’homme ne sait plus ce que c’est qu’être deux
Tu m’as pris par la main comme un amant heureux
Il vient de m’échapper un aveu redoutable
Quel verset appelait ce répons imprudent
Comme un nageur la mer Comme un pied nu le sable
Comme un front de dormeur la nappe sur la table
L’alouette un miroir La porte l’ouragan
La forme de ta main la caresse du gant
Le ciel va-t-il vraiment me le tenir à crime
Je l’ai dit j’ai vendu mon ombre et mon secret
Ce que ressent mon cœur sur la sagesse prime
Je l’ai dit sans savoir emporté par la rime
Je l’ai dit sans calcul je l’ai dit d’un seul trait
De s’être dit heureux qui donc ne blêmirait
Le bonheur c’est un mot terriblement amer
Quel monstre emprunte ici le masque d’une idée
Sa coiffure de sphinx et ses bras de chimère
Debout dans les tombeaux des couples qui s’aimèrent
Le bonheur comme l’or est un mot clabaudé
Il roule sur la dalle avec un bruit de dés
Qui parle du bonheur a souvent les yeux tristes
N’est-ce pas un sanglot de la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe
Ailleurs que dans le rêve ailleurs que dans les nues
Terre terre voici ses rades inconnues
Croyez-moi ne me croyez pas quand j’en témoigne
Ce que je sais du malheur m’en donne le droit
Si quand on marche vers le soleil il s’éloigne
Si la nuque de l’homme est faite pour la poigne
Du bourreau si ses bras sont promis à la croix
Le bonheur existe et j’y crois  […]»
Louis Aragon
Jean Ferrat a « picoré » quelques strophes de ce poème et a créé une de ses plus belles chansons : « Que serais-je sans toi »

Jeudi 27 novembre 2014

« L’Épigramme contre Staline »
Ossip Mandelstam

Ceci est le 400ème mot du jour.

Pour cet instant particulier je vous offre un moment d’Histoire, un poème politique écrit il y a 80 ans (81 pour ceux qui aiment la précision – novembre 1933) par un des grands poètes russes :  Ossip Mandelstam

L’épigramme d’Ossip Mandelstam demeure, en seulement seize vers, l’un des textes les plus engageants jamais écrits. L’intransigeance du poète, face à Staline et à la Tchéka, font de lui un homme exceptionnel, un exemple de désobéissance civile et de courage contre la barbarie.

Voici ces seize vers :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

D’abord, ce poème a été composé à la voix, de tête, puis Mandelstam livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances.

En 1934, le poète confie à sa femme Nadejda Mandelstam : « Je suis prêt à mourir. »

Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème.

Effrayé, Pasternak ajoute :

« Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu. »

Mandelstam, reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934. Ils lui présentent un mandat d’arrêt et perquisitionnent jusqu’au matin et l’arrêtent.

Mandelstam quitte sa femme Nadejda et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka.

Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites. Mais pas d’épigramme…

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier. Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu’au bout. »

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète.

Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation.

<Un article de Wikipedia sur l’épigramme contre Staline>

<Ici la page Wikipedia sur Ossip Mandelstam>

<Un magnifique texte sur Mandelstam>
Et puis il me semble indispensable aussi de dire quelques mots sur son extraordinaire épouse Nadejda Iakovlevna Khazina née à Saratov le 31 octobre dans une famille juive de la classe moyenne, Elle épouse en 1921 Ossip Mandelstam. Quand Ossip est arrêté en 1934 pour son Épigramme contre Staline elle est exilée avec lui à Tcherdyne, dans la région de Perm, puis à Voronej.

Après la deuxième arrestation et la mort de son mari dans le camp de transit de Vtoraïa Rechka (près de Vladivostok) en 1938, Nadejda Mandelstam mène un mode de vie quasi-nomade, fuyant parfois à une journée près le NKVD, changeant de résidence à tous vents et vivant d’emplois temporaires.

Elle s’est fixé comme mission la conservation de l’héritage poétique de son mari. Elle a appris par cœur la majeure partie de son œuvre clandestine, parce qu’elle ne faisait pas confiance au papier.

Après la mort de Staline, elle achève son doctorat en 1956 et est autorisée à revenir à Moscou en 1958.

En 1979, elle fait don de toutes ses archives à l’Université de Princeton.

Nadejda Mandelstam meurt à Moscou le 29 décembre 1980 à l’âge de 81 ans.

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