Jeudi 6 décembre 2018

« C’est une crise de la représentation démocratique dans toutes les démocraties occidentales »
Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine

L’invité des matins de France Culture du 4 décembre 2018 pour essayer expliquer la situation actuelle de la France était Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine. Et son propos le plus marquant fut celui-ci :

« C’est une crise de la représentation démocratique dans tous les pays occidentaux »

Dans <L’Esprit Public d’Emily Aubry de ce dimanche>, un des invités, François Xavier Bellamy a eu le même constat :

« Une crise très profonde de la représentation politique »

<L’émission Du grain à moudre du 4 décembre> avait invité Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien membre du Conseil Supérieur de la Magistrature de 2002 à 2006 et auteur du livre « Radicaliser la démocratie : proposition pour une refondation » paru aux Editions du Seuil en 2015

Et Dominique Rousseau a encore souligné cette crise-là : la crise de la représentation démocratique. Et pour illustrer son propos il a même fait appel au grand révolutionnaire Sieyès :

« La crise que l’on connaît c’est l’épuisement d’une forme représentative de la démocratie. Toutes les formes représentatives de la démocratie. Sieyès disait «  Le peuple ne peut vouloir, ne peut agir et ne peut parler que par ses représentants ». On vivait là-dessus depuis 1789. Ce n’est plus le cas. Le Peuple dit, nous voulons parler par nous-même, en dehors de la parole des représentants. »

Quand on cite un glorieux ancien, je m’efforce toujours d’aller vérifier. Sieyès a tenu ces propos lors d’un Discours tenu le 7 septembre 1789 devant l’Assemblée Nationale constituante. La question abordée était celle du véto du Roi. La citation de Dominique Rousseau est extraite du paragraphe suivant :

« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »

Toujours se méfier des citations. Bien sûr cette phrase est prononcée au tout début de la révolution. Le pouvoir est encore partagé entre l’Assemblée et le Roi. Le Roi qui était entré sans sa royauté par la croyance d’un Roi de droit divin !

Toujours est-il que dans ce paragraphe Sieyès oppose clairement le principe représentatif et la démocratie. Il ajoute aussi cette phrase énigmatique : « La France ne saurait être une démocratie. » Pourquoi ? Peut-être parce qu’elle est trop vaste pour pratiquer la démocratie directe qui semble donc, si l’on comprend bien l’idée de Sieyès, la seule vraie forme de la démocratie.

Mais Sieyès est surtout connu pour une autre phrase beaucoup plus célèbre

« Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout.
Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien.
Que demande-t-il ? À y devenir quelque chose. »

Cette phrase se situe dans l’introduction de « Qu’est-ce que le Tiers-État ? », un pamphlet publié par l’abbé Sieyès en janvier 1789 en prélude à la convocation des États généraux. Sieyes y présente et critique la situation du moment, et indique les réformes souhaitables, notamment que le vote de chaque ordre se fasse proportionnellement à sa représentativité réelle dans la nation (évidemment favorable au Tiers-État, qui représente près de 98 % des Français). Il donne les prémices de l’avènement d’une assemblée nationale constituante.

Cela me semble assez proche de l’esprit exprimé par celles et ceux que nous appelons « les gilets jaunes » qui ne sont certainement pas 98% des français mais sont une part très importante de la population et une part qui est devenu assez invisible dans les institutions et les médias selon l’expression de Pierre Rosanvallon.

D’ailleurs Dominique Rousseau cite aussi Rosanvallon et cette explication de la révolte :

« Les « gilets jaunes » sont les forces vives de la nation, pour reprendre les mots de De Gaulle. C’est eux qui font vivre le pays. Et ils sont, comme disait Rosanvallon, invisible. Ou du moins ils l’étaient jusqu’à présent parce qu’on parlait en leurs noms. Les « gilets jaunes » sont tout dans le pays car c’est eux qui font le boulot. Ils ne sont rien dans les institutions. »

Pierre Rosanvallon qui avait écrit en 1998 un livre « Le peuple introuvable : histoire de la représentation démocratique en France» dans lequel il a souligné que si la démocratie a proclamé la souveraineté du peuple, mais que ce qui est advenu c’est une société d’individus. Et ainsi s’il peut être envisageable de représenter un peuple, il est compliqué de vouloir représenter une collection d’individus.

Une collection d’individus…

Lorsque Emmanuel Macron a été élu, nous étions dans cette crise de la représentation. Les partis politiques de gouvernement étaient rejetés. A ce rejet s’est ajouté un concours de circonstance qui a permis à ce jeune homme brillant et intégré dans la mondialisation d’être élu.

Il n’aura donc pas fallu longtemps pour que le mouvement que le jeune homme a créé et qui devait incarner la nouveauté, le nouveau monde, se trouve, à son tour, dans la tourmente et le rejet.

Mais la représentation est aussi normalement incarné par les corps intermédiaires que sont les syndicats et les médias qui eux aussi font l’objet de la plus grande méfiance du grand nombre.

En outre, cette crise des syndicats qui étaient déjà fragiles en raison du nombre très restreint d’adhérents a encore été accentuée par le jeune Président qui n’a pas souhaité les intégrer dans le processus de décision, persuadé qu’il connaissait le chemin à suivre par sa seule intelligence et son savoir.

Le mouvement actuel ne tient aussi aucun compte de ces corps intermédiaires.

La crise de la représentation est révélée par les faiblesses même du mouvement des gilets jaunes incapable de désigner des représentants ou après les avoir désignés, les récuse. Certains porte-paroles ont même expliqué qu’ils étaient menacés physiquement s’ils acceptaient de se rendre à des réunions de négociation avec les autorités politiques.

Une collection d’individus…

Mais, je crois surtout qu’il ne faut pas se polariser sur la France et la personnalité de Macron qui joue certes un rôle dans ces évènements mais qui n’est pas central.

Car comme le dit Jean Garrigues : « C’est une crise de la représentation démocratique dans toutes les démocraties occidentales ».

Toutes…

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés

Comment a été élu Donald Trump ?

Il s’est emparé du Parti Républicain à la hussarde contre la volonté de tous les dirigeants du Parti. D’ailleurs, lors des primaires il en vaincu plus de 10 qui étaient des représentants éminents, anciens et expérimentés du Parti. Puis il a vaincu la représentante du Parti Démocrate.

Plus récemment, un autre énergumène a profité de la crise de la représentation et du discrédit des Partis Politiques et notamment du Parti des travailleurs de Lula pour s’emparer du pouvoir. Il s’agit de Jair Bolsonaro.

Et l’Italie ? Les élites économiques et politiques avaient cru trouver leur champion en Matteo Renzi. Aujourd’hui c’est un leader d’extrême droite qui est au pouvoir, du moins qui monopolise la parole du pouvoir : Matteo Salvini.

C’est très inquiétant parce que l’Italie est un laboratoire qui fait office de précurseur et réalise les choses avant les autres.

Ils ont été les premiers à se débarrasser des grands Partis : la Démocratie chrétienne, le Parti communiste italien, le Parti socialiste. Puis c’est un milliardaire, spécialiste des médias bien avant Trump qui s’est emparé du pouvoir exécutif. Puis le « cercle de la raison » a vu émerger et soutenu Matteo Renzi, comme elle l’a fait pour Macron. Et c’est l’extrême droite qui est venu et on ne voit pas bien ce qui va venir après.

Dans le monde, les partis qui continuent à pouvoir prétendre à un soutien relativement solide des électeurs qui votent (je suis prudent et ne parle pas de peuple) sont des partis qui se sont donnés à un homme fort et autoritaire : Erdogan en Turquie, Orban en Hongrie, Poutine en Russie.

Des leaders qui font la part belle au nationalisme et à la xénophobie ou au moins insiste sur le danger extérieur pour renforcer leur pouvoir à l’intérieur.

La Grande Bretagne, le pays qui a inventé la démocratie moderne est aussi dans la tourmente.

L’Allemagne qui n’a pas inventé la démocratie, malgré ses grands philosophes, est aussi en difficulté du point de vue des partis de la représentation politique.

Alors il en est certain qui rêve à une démocratie directe plus active, notamment grâce aux outils numériques et modernes.

Peut-on vraiment croire à cette évolution ?

Certainement pas si on continue à rester des collections d’individus, des collections de consommateurs.

Seuls des citoyens, attachés à la chose publique peuvent faire fonctionner des institutions et une démocratie.

Mais la démocratie porte en elle l’aspiration à l’égalité des citoyens. Égalité politique qui peut accepter une certaine dose d’inégalité économique mais pas l’inégalité qui aujourd’hui se développe et fait diverger toujours davantage le destin des hommes, dans nos civilisations occidentales. Or le jeune Président avait pour ambition de faire entrer davantage la France dans la mondialisation et donc d’augmenter encore les inégalités entre français alors que jusqu’à présent notre système social malade et fragile continuait à nous préserver des dérives anglo-saxonnes.

Alors bien sûr quand on veut taxer le carburant de gens qui n’ont pas de marges de manœuvres financières… Pour qui le carburant est nécessaire pour aller travailler et bien plus que cela nécessaire pour avoir encore des espaces de liberté

Aurélie Filipetti dans l’émission l’Esprit Public citée en début d’article a eu cette belle phrase : « Tous leurs désirs nécessitent du carburant », pour retrouver un ami, emmener les enfants au sport, pour aller consommer etc..

Alors c’est compliqué, indécent serait plus juste, de leur demander de porter la charge de la transition écologique quand ces gens entendent que l’ex PDG de Nissan, Carlos Ghosn, faisait le tour du monde en avion plusieurs fois par semaine. On parle de l’avion personnel de cet homme. A-t-il payé cet avion ? Et même le kérosène, le carburant non taxé des avions, cet homme riche le payait-il de ses deniers propres ?

Bien sûr que non.

Vous savez bien que personne n’a jamais serré la main d’une personne morale, je veux dire d’une entreprise, mais à la fin c’est toujours elle qui paie la note. Pour des gens comme Carlos Ghosn.

Je suis persuadé que le principal problème de la crise de la représentation démocratique provient de la trahison et de la sécession de la plus grande partie des élites qui ne sentent plus de destin commun avec les gens simples. Ils veulent vivre dans un monde aseptisé de luxe où ils ne rencontrent les gens modestes que lorsqu’ils sont à leur service.

<1162>


Mercredi 31 octobre 2018

« Bolsonaro : la fulgurante ascension du capitaine de la haine »
Titre d’un article de Libération consacré à l’élection brésilienne Chantal Rayes et François-Xavier Gomez

Jair Bolsonaro, a été élu Président du Brésil.

Il a des idées étonnantes, ainsi il veut
« Donner l’accès au port d’arme aux gens biens ».

Mais qui sont selon lui les gens biens, les gens bons ?

En 2003, il avait fait scandale en prenant violemment à partie une parlementaire de gauche Maria do Rosario, et lui a lancé cette insulte innommable :
« Jamais je n’irai vous violer, vous ne méritez même pas ça !».

Il n’aime pas le droit du travail, d’ailleurs il a promis de quasi l’abolir :
« C’est une disgrâce d’être patron dans notre pays, avec toutes ces lois du travail. »

Sa misogynie va jusqu’à ses propres enfants
« J’ai quatre garçons. Pour le cinquième, j’ai eu un coup de mou et ça a été une fille ».

Dans une interview accordée au magazine Playboy en 2011, Jair Bolsonaro assure qu’il serait incapable d’aimer un fils homosexuel :
« Je préférerais qu’il meure dans un accident de voiture plutôt que de le voir avec un moustachu »

Quand en 2011, une animatrice brésilienne lui demande lors d’une interview télévisée quelle serait sa réaction si l’un de ses fils tombait amoureux d’une femme noire.
« Je ne discuterais pas de la promiscuité avec qui que ce soit. Il n’y a aucune chance que ça arrive. Mes enfants sont bien éduqués. Ils n’habitent pas dans les mêmes endroits que vous ».

En 2017, il part à la rencontre d’une communauté quilombola, composée de descendants d’esclaves en fuite. A la fin de cette visite, il résume:
« Ils ne font rien ! Ils ne servent même pas à la reproduction ! ».

Il ne fait pas mystère de ses préférences sur les méthodes de gouvernement. Ainsi il vote en faveur de la destitution de la présidente Dilma Rousseff et il dédie, très officiellement son vote à
« la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra ».

Ce militaire est accusé de plusieurs assassinats, et il aurait torturé Dilma Rousseff elle-même pendant la dictature, alors qu’elle était une jeune résistante.

Et il précise :« L’erreur de la dictature a été de torturer sans tuer ».

Car une dictature militaire avait gouverné le Brésil entre 1964 et 1985.

En août dernier, alors qu’il est en pleine campagne pour la présidentielle, il explique comment il va remettre de l’ordre dans son pays : en donnant l’impunité aux policiers :
« S’ils tuent 10, 20 ou 30 personnes, avec 10, 20 ou 30 balles dans la tête chacun, ils doivent être décorés, pas poursuivis ».

Voici un florilège que j’ai trouvé sur plusieurs sites. C’est cet homme, misogyne, homophobe, raciste et partisan de la dictature militaire que le suffrage universel a mis, sans fraude, à la tête du Brésil, 5ème pays mondial par la taille, 6ème par la population et 7ème par le PIB.

Avant le second tour de l’élection présidentielle, l’émission « Affaires Etrangères » a été consacrée au Brésil et à l’Amérique du Sud.

Dans cette émission, il était surtout question des relations entre Etats d’Amérique du Sud, avec le Chili et la Colombie à droite et le Venezuela de Maduro qui sert de repoussoir aux électeurs de Bolsonaro qui a déclaré :

« Les gens bien au Brésil veulent se débarrasser du socialisme, ils ne veulent pas d’un régime comme celui du Venezuela. Nous ne voulons pas que le Brésil soit demain ce que le Venezuela est aujourd’hui. »

Des tensions avec le Venezuela sont à craindre.

Christobal Rovira Kaltwasser, un professeur de sciences politiques à Santiago du Chili  pense que:

« Ce phénomène Bolsonaro n’est pas représentatif du paysage politique d’Amérique latine, qui a effectivement viré à droite, mais reste modéré ».

Et un uruguayen, Andres Malamud, auquel l’émission donne la parole affirme :

« Je ne vois pas de schéma uniforme se dégager dans la région, explique-t-il : le Mexique vire à gauche la même année où le Brésil risque fort de virer à droite. En fait, s’il y a un schéma quelconque, c’est celui de l’hétérogénéité, avec certains pays (le Nicaragua et le Venezuela) où la démocratie s’est effondrée, et d’autres (la Colombie et l’Équateur) où elle s’est consolidée. » »

Au lendemain des élections, <les matins de France Culture> y ont été consacrés avec deux invités Olivier Dabène, professeur à sciences Po et président de l’OPALC (Observatoire Politique de l’Amérique latine et des Caraïbes) et une journaliste franco-brésilienne, Dani Legras.

Olivier Dabène explique qu’après le premier tour l’élection du candidat d’extrême droite n’était pas une surprise. Mais

« Si on remonte à quelques mois, c’est une immense surprise. Il y a un an tout le monde riait de cette candidature, personne ne l’a prenait au sérieux. Et finalement elle a enflé et rallié beaucoup de supporters à gauche et surtout à droite. Finalement à l’issue du premier tour cela devenait mission impossible de [l’empêcher de gagner]. […]

C’est un jour bien triste de voir revenir un nostalgique de la dictature au pouvoir, légalement, sans aucune fraude. Le suffrage universel a parlé.

Pendant 28 ans, il a été [un parlementaire] ignoré, méprisé. Il n’était pas corrompu parce qu’aucune entreprise ne s’intéressait à lui, parce qu’il était totalement insignifiant..

Pendant la campagne c’est moins évident, car lors de celle-ci des campagnes massives de « fausses nouvelles » émanant de son camp ont envahi les réseaux sociaux et au-delà. Ces campagnes très couteuses ont probablement fait l’objet de financement illégaux et de liens pervers avec certaines puissances économiques

<Ce site analyse la campagne brésilienne sous l’aspect des fake news> On apprend qu’un tweet a circulé accusant le Parti de Travailleurs (PT) d’avoir distribué un biberon avec une tétine en forme de pénis dans des écoles maternelles.

Rappelons d’où on vient : Lula, ouvrier métallurgiste de profession est élu président de la République en 2002, après avoir fondé le Parti des travailleurs (PT), mouvement d’inspiration socialiste, il sera président du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011. Dilma Rousseff son bras droit lui succéda en 2011et fut réélu. Le Parti des travailleurs permit à des millions de brésiliens à sortir de la misère grâce à une solide politique de redistribution et à un boom économique qui fit du Brésil un des grands acteurs économiques du monde.

Mais cela, c’était avant.

La crise économique a rudement touché le Brésil dont l’endettement a grimpé, les brésiliens ont vu leur pouvoir d’achat stagner et les difficultés économiques au quotidien se développer.

Parallèlement, l’insécurité, les violences font du Brésil un des pays les plus violents de la planète, créant chez les citoyens un besoin de sécurité, d’autorité et de protection auquel visiblement Bolsonaro a fait croire qu’il saurait répondre.  Olivier Dabène a indiqué qu’il y avait actuellement un homicide tous les 8 minutes et a précisé que cela représentait plus de morts par an (60 000) que tout le conflit israélo-palestinien. Et enfin, il y a la corruption endémique. Lula et le Parti des travailleurs n’ont pas su lutter contre elle et au contraire s’y sont enfoncés. Lula est d’ailleurs en prison pour de tels faits et Dilma Roussef a été destituée.

Beaucoup disent que le Parti des travailleurs étaient moins corrompus que les Partis de Droite. La moitié des députés brésiliens font l’objet de poursuites judiciaires pour corruption.

Il faut remarquer que dans les urnes si le Parti des Travailleurs a été battu il a au moins été au second tour, ce qui n’est pas le cas de la droite traditionnelle qui a disparu encore davantage que le PT.

Mais il y a eu un rejet du PT de la majorité des électeurs brésiliens qui se sont exprimés.

La journaliste Dani Legras a reconnu avec tristesse que même sa mère a voté Bolsonaro, bien que dans sa jeunesse et en tant qu’étudiante elle a eu à souffrir de la dictature militaire. Mais la mère de la journaliste minimise le danger d’une dictature militaire et affirme que ce dont le Brésil a besoin c’est d’un régime autoritaire sachant lutter contre la violence, l’autre raison étant de se débarrasser du Parti des travailleurs.

Olivier Dabène précise cependant :

« Il y a aussi 31 millions de Brésiliens qui n’ont pas voté. C’est un taux d’abstention record. Bolsonaro, ce n’est pas le raz-de-marée qu’on décrit. Il y a des Brésiliens qui ont choisi de ne pas trancher. Il y a énormément de votes blancs et nuls, et cela traduit un malaise. »

Toutefois s’ils n’ont pas voté c’est qu’ils acceptaient que cet homme peu recommandable arrive au pouvoir.

Homme qui a aussi été soutenu et porté par les mouvements évangélistes qui soutiennent son programme conservateur.

Ce politique qui avoue ne rien y comprendre à l’économie et prétend donner les clés à un économiste ultra libéral admirateur de l’école de de Chicago. Cette initiative et tendance lui ont permis d’obtenir l’appui des milieux économiques vers la fin de la campagne.

Evidemment l’écologie n’est pas sa préoccupation et la forêt amazonienne va encore davantage être exploitée et la déforestation va progresser.

J’ai choisi pour exergue pour ce mot du jour le titre d’un article de Libération consacré à cette élection « Bolsonaro : la fulgurante ascension du capitaine de la haine »

Ce qui me préoccupe c’est cette évolution étonnante des démocraties qui fait basculer les Etats-Unis d’Obama à Trump, le Brésil de Lula à Bolsonaro et à un degré moindre de Renzi (qui est une personne beaucoup moins lumineuse et intéressante que Lula ou Obama) à Salvani.

On pensait être dans une dynamique de progrès et on retombe plus bas qu’on n’était avant.

<1137>

Mercredi 24 octobre 2018

« Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera »
Edoardo Campanella

Brice Couturier a lors de sa chronique du 19 octobre 2018 évoqué un article d’un universitaire espagnol Edoardo Campanella qui explique une partie de la montée du populisme dans les pays occidentaux par l’attitude d’une majorité de seniors dont le poids démographique est de plus en plus prégnant dans le corps électoral de nos démocraties.

La réalité électorale est que les jeunes générations se désintéressent en grande partie du processus électoral qu’ils estiment sans grand intérêt.

Contrairement aux personnes âgées qui continuent à accomplir leur devoir d’électeur bien davantage que leurs enfants et petits-enfants.

A cette réalité comportementale, s’ajoute le fait que leur nombre devient intrinsèquement plus important du fait du vieillissement démographique des Européens.

Edoardo Campanelle explique dans son article « Le populisme des retraités va-t-il s’installer ? » sur le site de « project-syndicate » :

« Le populisme de droite qui a surgi ces dernières années dans de nombreuses démocraties occidentales pourrait durer bien plus qu’un feu de paille dans le paysage politique. Au-delà de la crise économique mondiale déclenchée en 2008 puis de la crise migratoire, qui créèrent toutes deux le terreau fertile des partis populistes, le vieillissement de la population occidentale va continuer d’infléchir les dynamiques politiques en faveur des populistes.

Il apparaît, en effet, que les électeurs âgés sont plutôt sympathisants des mouvements nationalistes.

Au Royaume-Uni, les personnes âgées ont voté massivement en faveur du départ de l’Union européenne, et ce sont elles qui, aux États-Unis, ont offert la présidence à Donald Trump. Ni le parti Droit et justice (PiS) en Pologne, ni le Fidesz en Hongrie ne seraient parvenus au pouvoir sans le soutien enthousiaste des plus vieux. Et en Italie, la Ligue doit son succès, en bonne part, à la façon dont elle a su exploiter le mécontentement du troisième âge dans le Nord. »

Il reconnait cependant qu’il existe des exceptions à cette règle, notamment en France et au Brésil :

« Seule Marine Le Pen, du Rassemblement national (ex Front national) en France – ainsi, peut-être, que Jair Bolsonaro au Brésil – peut compter, parmi les populistes de l’heure, sur le soutien des jeunes électeurs. »

En France au premier tour, Macron a réalisé un score de 23,7% mais les 60-69 ans ont voté à 26 % pour lui et ceux de 70 ans et plus à 27%. Il faut noter que ce dernier vote (celui des 70 ans et plus) s’était porté quasi majoritairement sur Fillon (45%). En France, les plus de 70 ans ont donc voté massivement (72% quand même) pour les deux candidats qui souhaitaient le plus réformer ou s’attaquer à l’Etat providence, vous choisirez le verbe qui vous va le mieux selon vos convictions politiques.

On pourrait aussi dire que c’était les deux candidats qui rassuraient le plus ou inquiétaient le moins, le monde économique.

Mais la France fait, pour l’instant encore, figure d’exception selon Edoardo Campanelle :

« Le plus probable est qu’un sentiment croissant d’insécurité pousse les plus âgés dans les bras des populistes. Si l’on met de côtés les particularismes de chaque pays, les partis nationalistes proposent tous de contenir les forces de la mondialisation, qui affectent plus que les autres les personnes âgées. »

Dans la plupart des autres pays, les personnes âgées ne sont pas vraiment en phase avec les aspirations des leaders économiques et plutôt que des réformes de l’état social, ils réclameraient selon l’universitaire espagnol plutôt davantage d’autorité et de fermeté pour lutter contre l’insécurité et l’immigration.

Campanelle pointe trois raisons

  • L’attachement aux valeurs traditionnelles et à un monde connu qui leur parait trop bousculé par l’apport d’immigrés venant d’autres civilisations ;
  • La peur des travailleurs vieux d’être exclus du marché du travail et ne plus trouver leur place dans le monde économique d’aujourd’hui ;

« De même, la mondialisation et le progrès technologique perturbent souvent les industries traditionnelles ou qui reposent sur un savoir-faire, où l’expérience est un facteur d’emploi. L’essor de l’économie numérique, où dominent les trentenaires, voire les moins de trente ans, relègue aussi vers les marges les travailleurs plus vieux. Mais à la différence d’autrefois, les systèmes de retraite, qui se décomposent, ne peuvent plus absorber ces chocs du marché du travail. En conséquence, les travailleurs les plus vieux qui perdent leur emploi sont condamnés au chômage de longue durée.  »

Enfin, la crainte, qui n’est pas infondée, sur la pérennité et le niveau des pensions de retraite :

« En outre, les retraités ont aujourd’hui des raisons de craindre la menace pour leurs pensions que représentent leurs propres enfants. Les jeunes, insatisfaits de systèmes économiques qui jouent clairement en faveur des retraités, commencent à revendiquer une redistribution plus équitable entre générations de ressources devenues plus rares. Ainsi le Mouvement 5 étoiles italien, qui gouverne en coalition avec la Ligue, a-t-il récemment appelé à la création d’un « revenu citoyen », qui serait octroyé à toute personne au chômage, sans critère d’âge. Alors que les populistes de droite attirent à eux les électeurs âgés, les populistes de gauche ont gagné des partisans dans les générations plus jeunes. »

L’ensemble de ces « préoccupations » qui sont réelles constitue pour les partis politiques nationalistes une ressource dont ils usent pour convaincre l’électorat âgé de voter pour eux :

« De ce fait, les politiciens nationalistes recourent souvent à une rhétorique de la nostalgie, grâce à laquelle ils mobilisent leurs partisans âgés. Pour sa part, Trump a promis de ramener des emplois dans la « ceinture de la rouille », qui fut autrefois le centre de l’industrie manufacturière américaine. De même, on ne saurait trouver de symbole plus clair de la résistance au changement que le mur qu’il propose de construire à la frontière des États-Unis et du Mexique. Et la répression qu’il a engagée contre l’immigration illégale ainsi que l’interdiction d’entrer aux États-Unis imposée aux ressortissants de pays à majorité musulmane montrent son adhésion à une nation américaine « pure ».

En Europe continentale, les populistes de droite veulent eux aussi revenir en arrière, au temps d’avant l’euro et de l’espace Schengen de libre circulation dans la plupart des pays de l’Union. Et ils tentent de séduire directement les électeurs âgés en promettant d’abaisser l’âge de la retraite et d’augmenter les pensions (ce sont deux mesures phares de la Ligue italienne). »

On ne peut que souscrire à l’expression du défi qui se pose aux sociétés modernes :

Quoi qu’il en soit, la vague populiste est à tel point gonflée par la démographie qu’elle n’est probablement pas prête d’atteindre son point culminant. Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment ; et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera. Les électeurs les plus vieux demanderont par conséquent de plus en plus de sécurité socio-économique, et des populistes irresponsables attendront en embuscade pour s’attirer leurs bonnes grâces.

Edoardo Campanelle se pose la question de ce qu’il convient de faire. Sa vision libérale plairait probablement à Emmanuel Macron puisqu’il donne l’injonction aux « personnes âgées » de se prendre en charge et d’être prêt de faire face aux perturbations actuelles, la politique devant simplement les aider à réaliser ces objectifs.

« Peut-on faire quelque chose ? Pour contenir la marée nationaliste, les partis traditionnels doivent instamment élaborer un nouveau pacte social qui puisse répondre au sentiment d’insécurité croissant des électeurs les plus vieux. Ils devront trouver un meilleur équilibre entre ouverture et protection, innovation et régulation ; et ils devront le faire sans tomber dans le piège régressif tendu par les populistes.

La réponse ne réside pas dans l’étouffement des forces de la mondialisation, mais dans la capacité à les rendre plus tolérables. Les citoyens de tous âges doivent être prêts à faire face aux perturbations actuelles et futures. En ce sens, il est préférable d’aider les personnes âgées à se prendre en charge plutôt que de se contenter de les protéger. Pour la plupart, les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. Qui plus est, les mesures qui rendent les gens dépendants de quelque forme que ce soit de soutien extérieur posent, pour le moins, un problème moral.

Au lieu de cela, les gouvernements devraient s’attacher à renforcer les qualifications de la main-d’œuvre âgée, en créant plus d’opportunités pour qu’anciennes et jeunes générations puissent travailler ensemble, et en responsabilisant les perturbateurs du marché du travail sur les conséquences socio-économiques de leur activité. Les aides aux plus vulnérables ne devraient être accordées qu’en dernier ressort. »

La solution n’est certes pas simple.

Et je crains que cette prédiction : « ,Les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. » se réalise.

Mais la capacité de s’adapter des personnes âgées dont parle Campanelle doit quand même être observée avec bienveillance.

La question qui se pose de plus en plus est de savoir quelle place la société laisse aux vieux.

Dans le monde du travail déjà cette question se pose, je ne crois pas raisonnable de croire qu’une personne de 30 ans et une personne de 60 ans soient interchangeables. Certes il faut s’adapter le mieux qu’on peut, mais je pense que si on suit simplement les conseils de cet universitaire espagnol et on laisse faire les règles de l’économie moderne on trouvera assez rapidement que l’employé de 60 ans n’est pas assez compétitif et que le mieux s’est de s’en débarrasser au plus vite. Le marché de l’emploi fonctionne d’ailleurs ainsi en grande partie.

Il faut réfléchir à la place des vieux dans une société qui vieillit. Et pas seulement dire qu’ils n’ont qu’à faire comme les jeunes.

Sinon je pense que les forces nationalistes et populistes verront s’ouvrir des boulevards à leurs ambitions politiques.

Et hélas, ils ne disposent d’aucune solution raisonnable et pérenne.

<1132>

Jeudi 4 octobre 2018

« La constitution de la 5ème république a 60 ans »
Charles de Gaulle

Je n’ai pas de problème pour connaître l’âge de la constitution de la 5ème République, puisque je suis né 9 jours après sa promulgation et que tant que je connaîtrai mon âge…

Notre texte fondamental a été adopté par référendum le 28 septembre 1958 et promulgué le 4 octobre 1958, on parle donc de la constitution du 4 octobre 1958.

Dans le domaine de la longévité, elle semble sur de bonnes voies, si on la compare aux autres républiques et aux deux empires qui ont jalonné la vie politique française depuis la révolution française. Seule la 3ème république (1870-1940) a été plus longue, encore 10 ans…

Dans un mot du jour très personnel, j’en disais tout le mal que j’en pensais : <Mot du jour du 08 février 2017>

Parallèlement, je disais beaucoup de bien du régime parlementaire allemand : <Mot du jour du 25 septembre 2017>

Depuis, beaucoup de politologues sont revenus à la charge pour vanter les mérites de la 5ème république et montrer son efficacité par rapport aux régimes parlementaires allemands, anglais, espagnols et italiens qui sont aujourd’hui tous à peu près paralysés parce que tous ces pays n’arrivent plus à constituer une majorité cohérente formée d’un seul parti ou d’une coalition de partis d’accord sur un programme de gouvernement parce des partis extrémistes se développent à l’extrême droite surtout et aussi dans une moindre mesure à l’extrême gauche des partis de gouvernement. Et puis les Etats-Unis ont accouché de ce monstre : Donald Trump, menteur patenté, impulsif, démagogue.

La 5ème république nous prémunit contre ces dérives disent des gens aussi sérieux qu’Alain Duhamel et Edouard Balladur dans leur livre commun : « Grandeur, déclin et destin de la Ve République ; un dialogue»

De Gaulle voulait une constitution qui permette d’éviter que des manœuvres de partis politiques créent tout le temps de l’instabilité gouvernementale.

La Quatrième République a connu 24 présidents du Conseil en 12 ans. 9 gouvernements ont duré moins de 41 jours (plus d’un sur trois), et pour la dernière année, après mai 1957, il y a eu 5 gouvernements qui ont duré en moyenne moins de 59 jours. De plus, seuls deux gouvernements ont duré plus d’un an (Henri Queuille (1) pendant 12,8 mois et Guy Mollet pendant 15,6 mois).

Il est clair que la 5ème république est plus stable.

Faut-il, pour reprendre une expression macronienne un pouvoir exécutif fort et omnipotent pour museler un pouvoir législatif que les gaulois querelleurs ne sauraient maîtriser ?

Mais elle a été abimée en 2 étapes :

  • La première fut l’œuvre de De Gaulle lui-même qui inventa l’élection présidentielle au suffrage universel, rendant les hommes politiques français littéralement fous et obnubilés par ce seul poste.
  • La seconde fut l’apport désastreux de Lionel Jospin. Il le fit en 2 temps d’abord en alignant la durée du mandat présidentiel sur celui des députés, 5 ans puis en inversant l’ordre des élections d’abord la présidentielle puis les élections législatives.

Ce qui fait que les députés doivent tout au président élu.

On l’a bien vu lors des dernières élections, l’expression « même une chèvre avec le logo LREM aurait été élue » n’est qu’exagérée mais non fausse.

C’est pourquoi un mouvement, mais plutôt un homme pesant au mieux 30% des électeurs peut gouverner tout seul.

Il gouverne tout seul puisqu’il décide qui sera président de l’Assemblée Nationale et même qui doit être Procureur de Paris.

Alors, je ne dis pas forcément non à la 5ème République, mais je dis résolument non à la 5ème république Gaullo-jospinienne.

Aujourd’hui il n’existe plus de savant comme Newton ou Einstein qui invente ou comprenne le monde tout seul dans leur tête et devant leur bureau. Alors si pour les plus grandes avancées de la science et de la connaissance humaine il est nécessaire de travailler en équipe, comment imaginer qu’un homme détienne tous les clés pour gouverner un pays ?

Il faut certes un chef d’équipe mais pour cela il faut une équipe.

Le Président actuel en est fort dépourvu et il se trouve de plus en plus seul.

On ne peut qu’être inquiet sur la manière dont tout cela finira, et il n’est au pouvoir que depuis 16 mois.

C’est pourquoi il faudrait vraiment réformer cette 5ème république : Hollande souhaite la suppression du premier ministre

Je pense qu’il faut aussi davantage encadrer la dissolution de l’assemblée nationale ne donnant plus ce pouvoir au seul Président de la République.

Il faudrait à minima organiser les élections législatives en même temps que les élections présidentielles et ne plus en faire l’accessoire.

Le régime est peut être stable, mais sommes-nous bien gouvernés ?

Je ne le crois pas.

<1123>

Jeudi 27 septembre 2018

« Je fus dupée par mon époque »
Marceline Loridan

J’avais évoqué, lors du mot du jour de mardi, Marceline Loridan appelée parfois aussi Marceline Loridan-Ivens, en raison du nom de son époux Joris Ivens.

Camarade de déportation de Simone Veil, cinéaste, ce fut une femme tout à fait remarquable comme le disent toutes les personnes qui interviennent sur la page vers laquelle je renvoie et de nombreuses autres personnes.

C’est indiscutable et je m’incline devant le destin et la force de cette grande Dame.

C’est une grande question que celle de dire ou de taire les parts d’ombre des personnes qui méritent notre admiration et notre respect.

Récemment, tout en disant toute mon affection et ma gratitude à l’égard de Leonard Bernstein j’ai glissé aussi un article parlant d’un aspect de sa personnalité moins défendable.

Mon ami Bertrand m’en a fait reproche :

« Cela dit, je préfère écouter ses disques et regarder ses vidéos que de gloser sur la face cachée de sa nature complexe. »

Il me semble cependant qu’on ne doit pas cacher ces choses, car elles expliquent d’où on vient : « d’un monde où parce qu’on était reconnu comme un génie, on avait droit à l’impunité ».

Roman Polanski et certains de ses soutiens, semblent parfois le croire encore.

Cela nous permet de relativiser, de ne pas croire aux surhommes et de rester prudent et mesuré.

Alors pour cette grande dame, quelle fut sa part d’ombre ?

C’est que, comme beaucoup d’autres elle a succombé au mirage du maoïsme.

C’est d’autant plus surprenant qu’elle a, elle-même, subi l’horreur d’un totalitarisme et qu’elle a ensuite combattu et dénoncé le fascisme.

Mais elle n’a pas su reconnaître et comprendre qu’elle soutenait un des plus grands criminels de l’Histoire des totalitarismes. Si on s’en tient à la seule comptabilité morbide des morts, c’est le plus horrible.

C’est cela ici la question qui me parait fondamentale, comment n’a-t-elle pas compris immédiatement qu’il s’agissait d’un totalitarisme criminel, aveugle et ennemi absolu de la liberté ?

Heureusement, elle s’en est cependant rendu compte, même si c’est un peu tard.

Pierre Haski a publié le 15 juin 2014 sur le site de l’Obs (Rue 89) une interview de Marceline Loridan où elle reconnait son erreur.

Pierre Haski introduit le sujet ainsi :

«  Il reste les images. Somptueuses. Une plongée exceptionnelle dans la vie de la Chine maoïste à une époque où elle était encore verrouillée et ne projetait au monde que les images de la folie collective de la Révolution culturelle.

Revoir, ou découvrir, en 2014 les treize heures de film de « Comment Yukong déplaça les montagnes », la saga chinoise de Joris Ivens et Marceline Loridan, éditée en coffret par Arte, c’est comme découvrir un trésor archéologique d’une époque révolue. »  […]

Joris Ivens, cinéaste engagé néerlandais, déchu de sa nationalité par son pays pour avoir pris fait et cause pour l’« ennemi » sur tous les fronts du monde, et Marceline Loridan, Française d’origine juive polonaise, rescapée des camps nazis d’Auschwitz-Birkenau où elle avait été déportée adolescente, devenue sa compagne et complice, ont filmé la Chine de la Révolution culturelle au ras des hommes. Ils ont filmé les Chinois plus que la Chine, et c’est ce qui fait la valeur de leur document quatre décennies plus tard.

Lorsque l’engouement aveugle pour le maoïsme s’est dissipé en Occident, Ivens et Loridan ont dû faire face au reproche de « propagande » pour avoir filmé avec « empathie » (le mot est de Marceline Loridan) une expérience politique jugée sévèrement par l’histoire.

Ensuite vient l’entretien

Rue89 : Quel regard portez-vous sur ces films qui ressortent quatre décennies plus tard ?

Marceline Loridan :

« C’est très difficile à exprimer. Il reste profondément l’essentiel de ce qui est dit dans ces films. Avant on pouvait dire « c’est de la propagande… », on ne le dit plus aujourd’hui.

Tout d’un coup, ce qui reste, c’est la force des gens qui s’expriment et ce qu’ils disent, même si ce sont les choses les plus expérimentales. […] Mais comment présenter ces films à une génération qui grandit dans un monde tellement différent, sans avoir connu les utopies et les engagements de ces années-là ?

Je leur dis que nous avons été à la fois les complices et les victimes du « scientisme » du XIXe siècle. Ce que les générations précédentes nous ont laissé nous ont marqués profondément, et nous ont fait croire à un monde qui n’était pas possible, qui était faux. Il disait ce qui n’était pas : c’est ce que je pense aujourd’hui. […]

Notre connaissance vient de notre expérience individuelle, et c’est ce qui est le plus difficile à transmettre. Les nouvelles générations prennent l’histoire où elle en est, pour en faire tout autre chose. Du coup, sont gommés, quand on revoit ces films, nos cauchemars et nos rêves… Et il en reste quelque chose d’un réel qui est à la fois vrai et faux, mais qui a été.»

Elle parle d’utopie et on sent comme une nostalgie. Pourtant elle raconte des comportements des autorités chinoises qui auraient dû l’interpeller, et elle, victime du nazisme, l’arrêter immédiatement :

«  Nous avons été durement attaqués par Jiang Qing [la femme de Mao, ndlr] après avoir montré nos films : nous avons quasiment dû nous enfuir de Pékin. Zhou Enlai [le Premier ministre, ndlr], qui était presque mourant, nous a fait passer un message pour nous dire de décamper au plus vite et de sortir nos films… Il n’a jamais pu les voir.

Nous étions tout à fait conscients. Ils nous demandaient 61 coupures, j’ai été traitée d’espionne parce que je faisais des photos de femmes voilées au Xinjiang, ou de femmes aux pieds bandés, ou que je montrais trop la pauvreté… Et Dieu sait si nous ne la montrions pas trop ! »

Heureusement qu’en 2014 elle pose le problème sous son véritable aspect :

« Mais cette empathie nous conduisait à croire les gens. Aujourd’hui, quand je revois certains films, je me dis « j’ai été une vraie conne, j’aurais dû poser aussi telle question, aller plus loin » […]

On s’est fait avoir pour deux raisons principales :

  • la rupture idéologique entre l’Union soviétique et la Chine ;
  • le fait qu’un chef d’Etat – Mao – appelle à la révolte de la jeunesse. Ce fut une réalité, mais une réalité sanglante.

On voulait cesser de caricaturer la Chine comme elle l’était dans la presse à l’époque. »

Et quand Haski pose la question qui ne peut que nous interpeller aujourd’hui :

« Vous avez connu le totalitarisme le plus total – le nazisme – et vous avez connu le maoïsme également considéré aujourd’hui comme un totalitarisme… »

Elle répond :

« Je crois que j’étais sous influence… des hommes. C’est une longue lutte que celle de la libération des femmes.

Après la guerre, j’avais beaucoup de mal à me construire. Et je me suis dit que puisque je ne pouvais rien faire pour moi, je pouvais peut-être le faire pour les autres. C’était une illusion.

Je ne savais plus qui j’étais. Je n’avais aucun bagage intellectuel. Quand j’ai été déportée, j’étais en classe de quatrième, interrompue parce qu’il fallait se cacher. Après, ça a été les camps, l’enfer, la violence qui pénètre en vous. Vous n’en sortez pas innocent.

Et quand vous revenez et que le monde ne vous entend pas, même dans votre propre famille, que la famille se détruit devant vous. Plus de père, la mère qui se remarie, deux frères qui se suicident… Comment faire ?

J’ai pensé que la seule solution était de m’occuper des autres, à travers la politique. J’ai passé six mois au Parti communiste français, mais j’étais incadrable. Je n’ai jamais pu rester dans une organisation, même de déportés !

Même aujourd’hui, je reste un électron libre, et donc pas aimée par ceux qui détiennent des pouvoirs, quel que soit le lieu.

Aujourd’hui, j’ai beaucoup plus de recul par rapport à cette gauche dont je vois les erreurs, les flottements, les compromissions, les corruptions, etc.  […] Joris m’a embarquée… Mais je pense que j’ai été dupée par mon époque. »

Cet exemple montre que l’on peut avoir les meilleurs sentiments du monde, avoir vécu l’impensable et rester pourtant aveugle et sourd aux délires du présent. Je pense qu’aujourd’hui aussi des intellectuels et des bien-pensants sont dupés par leur époque sur bien des sujets et des causes dont ils ne voient pas le côté obscur..

<1118>

Jeudi 13 septembre 2018

« Un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres ?»
Nicolas Hulot qui n’a pas posé cette affirmation sous forme de question

Nicolas Hulot a démissionné du gouvernement le 28 août sur les ondes de France Inter.

Lors de cette émission, il a donné son point de vue et ses convictions.

Il a d’abord justifié sa démission parce que le gouvernement actuel de la France ne prend pas suffisamment en compte, selon son échelle d’exigence, l’urgence écologique et climatique.

Il s’est lancé dans un réquisitoire assez cinglant :

« Est-ce que nous avons commencé à réduire l’utilisation des pesticides ? La réponse est non.

Est-ce que nous avons commencé à enrayer l’érosion de la biodiversité ? La réponse est non.

Est-ce que nous avons commencé à nous mette en situation d’arrêter l’artificialisation des sols ? La réponse est non »

Il a dit son amitié pour le président de la république et le Premier Ministre mais a ajouté :

« Sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture. »

Il a aussi exprimé sa solitude :

« Ai-je une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? Ai-je une formation politique ? Est-ce que les grandes formations politiques et l’opposition sont capables de se hisser au-dessus de la mêlée pour s’entendre sur l’essentiel. »

Il a surtout donné des exemples concrets dont s’est félicité le gouvernement et qui selon lui sont à l’opposé de ce qu’il faudrait faire :

« Je me suis moi-même largement prononcé sur des traités comme le CETA et on va en avoir une floppée d’autres[…]

Où est passée la taxe sur les transactions financières ? […]

Le nucléaire, cette folie inutile, économiquement, techniquement dans lequel on s’entête.

Les grandes tendances demeurent. La remise en cause d’un modèle agricole dominant n’est pas là. On recherche une croissance à tout crin. Sans regarder ce qui appartient à la solution et ce qui appartient au problème. […]

Quand on se réjouit – ça va vous paraître anecdotique – de voir sortir de Saint-Nazaire un porte-conteneurs qui va porter 50 000 conteneurs. Superbe performance technologique. Est-ce bon pour la planète ? La réponse est non. […]

On se fixe des objectifs mais on n’en a pas les moyens parce qu’avec les contraintes budgétaires, on sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe, on ne pourra pas les réaliser. Voilà ma vérité. »

Mais son avis le plus fort et le plus structurant est une dénonciation du système économique actuel :

« On s’évertue à entretenir voire à ranimer un modèle économique, marchand qui est la cause de tous ces désordres .

On n’a pas compris que c’est le modèle dominant [Le libéralisme ] qui est la cause. Est-ce qu’on le remet en cause ?»

Mais les libéraux ne sont pas d’accord.

Dominique Seux, Directeur délégué de la rédaction des Echos et chroniqueur économique sur France Inter a dit le lendemain, aussi pendant le 7-9 de France Inter :

« C’est clair : il faut refroidir l’économie, qui consomme et épuise trop d’énergies qui dégradent la nature et compromettent l’avenir de l’espèce humaine.

L’ami Thomas Legrand a été frappé par les porte-containers, on peut trouver plus absurde encore que l’on puisse traverser l’Europe en avion pour quelques dizaines d’euros parce que le kérosène est détaxé alors que le transport aérien émet du CO2.

Mais la question sous-jacente est de savoir si la transition énergétique, qui doit être plus rapide qu’on ne le pensait encore en 2015, peut se faire dans le cadre de l’économie de marché et -disons-le- du capitalisme.

La plupart des écologistes pensent que non, Nicolas Hulot aussi. On peut penser l’inverse. Avec de puissantes incitations et obligations, seul le capitalisme a les moyens d’investir, d’innover, de trouver les compromis entre la science et de nouveaux modes de vie. Ce sont des entreprises qui inventent et le solaire de demain et les véhicules électriques, dont on aura encore besoin pour se déplacer. »

Et c’est Daniel qui m’a signalé un article d’Eric Le Boucher avec lequel j’ai cru comprendre qu’il était d’accord : <Nicolas Hulot n’en serait pas là s’il avait développé une écologie applicable>.

C’est un article publié sur le site Slate.fr le 28 août 2018

Le journaliste pose la question d’une écologie non pas marquée par les quotas et les règlements imposés, mais alliée de la science, des technologies et de l’économie.

Il écrit :

«  Mais le problème est général. Les militants verts estiment que l’écologie doit être imposée «politiquement» à l’économie comme un objectif supérieur, celui de la préservation de la planète. De même que des militants de gauche considèrent que le capitalisme est intrinsèquement mauvais, les Verts idéologues croient l’économie intrinsèquement nocive. Certains vont jusqu’à penser que la solution ne sera trouvée que dans la décroissance, tous pensent que les entreprises doivent être légalement forcées dans la bonne voie.

Dès lors, le succès d’un ministre est mesuré au nombre de quotas, de règlements, d’interdictions, de lois qu’il sait faire passer dans son gouvernement contre «les lobbies» des agriculteurs (productivistes) et des industriels (pollueurs) et contre Bercy qui en est le porte-parole.

[…]

Plutôt que de crier contre l’échec du gouvernement et de se lamenter, les Verts feraient mieux de réfléchir sur le leur. Comment inventer une écologie alliée de la science, des technologies et de l’économie? Comment dépasser les slogans du type «l’écologie va engendrer à un nouveau modèle de croissance qui va créer des millions d’emplois»? Comment trouver des solutions concrètes, applicables »

Ce sont deux visions très différentes de la solution à construire.

En première analyse je suis plutôt en phase avec la position de Hulot, c’est le capitalisme libéral, son addiction à la croissance et son moteur de cupidité qui sont en contradiction avec l’objectif de sauver la vie des humains sur terre.

Mais si on prend un peu de recul, on peut légitimement s’interroger :

Le monde des humains a longtemps été régi par une litanie de règles et de contraintes imposées par les religions et ceux qui parlaient en leur nom.

Peu à peu le monde libéral a affranchi les hommes en leur donnant la liberté de créer, d’entreprendre, d’inventer.

Contre les excès du monde libéral s’est élevé le communisme qui a voulu contraindre, encadrer, planifier, normer.

Le résultat fut catastrophique.

Les communistes ont encore davantage négligé la nature que les libéraux (comme par exemple la mer d’Aral).

Et surtout ils ont anesthésié la liberté, en allant de plus en plus loin dans la brutalité, l’enfermement. Il n’y avait plus d’opposants mais des dissidents qui étaient considérés comme fous qu’on devait soigner dans des hôpitaux psychiatriques.

Alors imaginons un monde de contraintes, de normes, de règles avec pour objectif cette noble cause de sauver l’espèce humaine.

On trouvera certainement un Staline écologique, entourés de soldats fidèles. Tous ceux qui ne suivront pas les règles édictées seront forcément fous, comment ne pas se soumettre à la cause suprême de la survie des humains ?

Alors, je ne rejetterai pas si vite la voie libérale, même si je ne partage pas l’enthousiasme dans les vertus du marché libre et non faussé que défendent Dominique Seux et Eric Le Boucher.

<1108>

Mercredi 12 septembre 2018

« Le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire. »
Frank Courchamp

Lors de la COP23, la 23e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui avait été organisée conjointement par les iles Fidji et l’Allemagne du 6 novembre au 17 novembre, 15 000 scientifiques de 184 pays ont signé un appel contre la dégradation de l’environnement qui a été publié dans la revue Bio Science de l’Université d’Oxford, le lundi 13 novembre.

Je m’en étais fait l’écho, lors du mot du jour du 20 novembre 2017 où je citais le climatologue allemand et fondateur de l’institut de Potsdam de Recherche sur le climat, Hans Joachim Schellnhuber : «La théorie des 3D : Désastres, Découvertes, Décence.»

Dans le journal du CNRS, Frank Courchamp, directeur de recherche au CNRS, revenait sur cet appel d’une ampleur inédite.

Frank Courchamp a d’ailleurs participé à la diffusion de cet appel:

« C’est effectivement du jamais-vu. La première mise en garde de ce genre, formulée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre à Rio, n’avait rassemblé que 1 700 signataires dont, il est vrai, une centaine de prix Nobel. Le présent manifeste a été rédigé par huit spécialistes internationaux du fonctionnement des écosystèmes […]. Il a été initié par le biologiste de la conservation américain William Ripple, qui a mis en évidence le déclin dramatique de presque tous les grands carnivores et tous les grands herbivores, des animaux qui jouent pourtant un rôle crucial dans l’équilibre des milieux naturels. William Ripple m’a contacté le 20 juillet et m’a demandé de relayer ce cri d’alarme, notamment en France, ce que j’ai fait. Au total, pas loin d’un millier de chercheurs français (soit un quinzième des signataires) ont souscrit à cet appel. »

Frank Courchamp signale que si des progrès ont été malgré tout accomplis depuis 1992, mais que sur des points essentiels le compte n’y est pas:

«  L’interdiction des chlorofluorocarbures (CFC) et d’autres substances appauvrissant la couche d’ozone a eu des effets très positifs. De même, des points ont été marqués dans la lutte contre la famine et l’extrême pauvreté. Mais qu’il s’agisse des forêts, des océans, du climat, de la biodiversité…, les trajectoires que nous avons prises sont très préoccupantes et nous mènent dans le mur.

La plupart des indicateurs qui étaient dans le rouge il y a un quart de siècle ont viré à l’écarlate.

On continue de détruire les forêts à un rythme effréné. 120 millions d’hectares ont été rayés de la carte depuis 1992, essentiellement au profit de l’agriculture.

Les « zones mortes » (dépourvues d’oxygène), dans les océans, ont explosé de 75 %, tandis que l’eau potable disponible dans le monde par tête d’habitant a diminué de 26 %. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et les températures moyennes du globe se sont encore accrues.

Une proportion énorme des mammifères, des reptiles, des amphibiens, des oiseaux et des poissons a disparu.

Sans oublier qu’une étude, trop récente pour avoir été mentionnée dans l’appel, vient de montrer qu’en moins de trois décennies, les populations d’insectes volants (bourdons, libellules, papillons et autres diptères) ont chuté de près de 80 % en Europe et sans doute au-delà. »

Il y a d’une part la question de notre système économique basé sur une consommation toujours croissante et puis se pose la question démographique.

Evidemment cette question pose grand débat.

La Chine est revenue sur sa politique de l’enfant unique.

Et il est vrai que certains témoignages de famille chinoise révélaient la brutalité et l’inhumanité de cette règle rigide.

Mais le constat est implacable :

« Le nombre d’êtres humains a augmenté de 35 % en 25 ans, ce qui est incroyablement élevé. Nous sommes de plus en plus nombreux et nous consommons trop. Or, nous vivons sur une planète aux ressources finies qui ne peut pas répondre aux besoins alimentaires, entre autres, d’une population infinie. La Terre ne pourra jamais nourrir plus de 15 milliards de bouches, même à supposer que nous mettions fin à la surconsommation actuelle, que nous répartissions mieux les ressources et que d’hypothétiques progrès agricoles et des sauts technologiques se produisent.

À la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle, Malthus, qui a été beaucoup critiqué pour cela, affirmait que si les populations humaines ne se régulent pas d’elles-mêmes, la Nature s’en charge à coups de guerres, d’épidémies et de famines. L’équation est on ne peut plus simple : dans n’importe quelle population de n’importe quelle espèce, quand il y a trop d’individus, ceux-ci se retrouvent confrontés à des problèmes qui les forcent à réduire leurs effectifs.

Ce n’est pas une question de religion ou d’idéologie, mais un problème de ressources disponibles. Il est important que certains pays en développement prennent conscience de l’importance de réduire leur croissance démographique. Ceci devrait passer, comme le préconise notre appel, par une plus grande généralisation du planning familial et des programmes d’accès à l’éducation des filles. »

Ce week-end un certain nombre de manifestations ont eu lieu en France et même dans le monde. En France, elles ont été provoquées par la démission de Nicolas Hulot.

Les signataires du manifeste appelaient justement de leurs vœux « un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base ».

Et Frank Courchamp explique que :

« Le mouvement doit venir de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Une multitude d’initiatives individuelles et de micro-actions quotidiennes peut avoir un effet décisif, tout simplement parce que nous sommes des milliards.

Les politiques, dont l’agenda dépasse rarement l’horizon de la prochaine élection, mais qui sont sensibles aux pressions, suivront le mouvement, tout comme les acteurs économiques. J’ai l’habitude de dire que le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire.

Faire des choix de consommation judicieux comme acheter moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, conduira les industriels à produire moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, et améliorera l’état de la planète. »

Le scientifique n’a pas de doute sur la conclusion si la société des hommes ne parvient pas à faire évoluer son modèle de consommation, sa capacité à préserver et à réintroduire de la biodiversité enfin à diminuer l’utilisation moyenne des énergies fossiles par habitant.

«  La bonne nouvelle, c’est que la biodiversité repartira. Les modèles prédisent qu’il faudra à peu près un million d’années pour qu’elle retrouve son niveau d’avant cette sixième extinction de masse imputable à l’Homme. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y aura très probablement plus de sociétés humaines pour contempler le spectacle. Les toutes prochaines générations vont donc nécessairement rentrer dans l’Histoire puisque, soit elles parviendront à stopper la destruction de l’environnement, soit elles en subiront les conséquences de plein fouet et ne s’en relèveront pas. »

<1107>

Lundi 10 septembre 2018

« Cette climatisation qui surchauffe la planète »
Michel Revol

Il a fait chaud cet été.

Pour certains, cette chaleur est insupportable.

Dans notre société moderne, individualiste et privilégiant le court-terme, la tentation est grande d’acheter une climatisation.

Vous trouverez, de manière assez humoristique cette vidéo sur Internet : <Comment les climatiseurs ont changé le monde>

Vous apprendrez que chaque seconde, dix climatiseurs sont vendus dans le monde. En 2050, on en comptera près de six milliards. Inventé en 1902 par l’ingénieur américain Willis Carrier, le climatiseur a profondément modifié nos sociétés contemporaines. L’industrie culturelle, d’abord, en accompagnant l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Les entreprises se sont ensuite équipées en masse, la climatisation étant réputée augmenter la productivité des salariés.

S’il a fallu attendre les années 1950 pour que les climatiseurs entrent dans les ménages américains, ils représentent aujourd’hui, aux Etats-Unis, une dépense énergétique équivalente à celle du continent africain tout entier.

Arrêtons-nous un instant sur ce constat :

« La dépense énergétique des ménages américains sur l’unique consommation dû aux climatiseurs est équivalente à celle du continent africain tout entier ! »

Et nous savons que c’est une autre dimension de la mondialisation : les africains veulent vivre comme les américains.

Nous savons aussi qu’au milieu du monde des chiffres pervers, il en est qui sont davantage sérieux et fiables. C’est le cas de ceux la démographie.

Les États-Unis comptaient 325 millions d’habitants en 2016. Mais selon <Wikipedia>, l’accroissement naturel du pays est de 0,81 %. Donc même avec l’immigration la démographie des Etats-Unis devraient rester stable à moyen terme.

Or l’Afrique comptait déjà 1,2 milliard en 2016, soit plus de 4 fois la population états-uniennes. Et selon les projections démographiques, dans les années 2050 la population de l’Afrique se situera entre 2 et 3 milliards puis 4,4 milliards en 2100.

La terre qui permettrait aux africains de se climatiser comme les américains n’existe pas !

Le problème dépasse bien la seule question de la climatisation pour s’étendre à l’ensemble du spectre de la consommation, des transports, de l’alimentation etc.

Mais pour ce mot du jour restons sur le sujet de la climatisation.

A l’heure d’aujourd’hui, le remède de la climatisation pour lutter contre la canicule est dévastateur.

Michel Revol a publié dans le Point un article qui a pour titre : « Cette clim qui surchauffe la planète »

Il écrit :

« C’est ce qu’on appelle un cercle vicieux : non seulement, à raison de 0,5 à 2 degrés, la climatisation réchauffe les villes en rejetant dans les rues de l’air chaud, mais elle participe aussi à élever la température de la planète en consommant beaucoup d’électricité, produite surtout par du gaz et du charbon, deux énergies fossiles – donc actrices de l’effet de serre. Et, puisque la planète se réchauffe du fait de la clim, il faut bien la faire fonctionner encore plus fort pour refroidir les magasins et les habitations. Impitoyable.

L’Agence internationale de l’énergie vient de s’alarmer du danger dans un rapport publié en mai dernier. Selon l’organisation, le nombre de climatiseurs devrait tripler dans le monde jusqu’en 2050. Il pourrait se vendre en moyenne un climatiseur toutes les quatre secondes d’ici à cette échéance, pour atteindre un total de 5,6 milliards de machines, contre 1,6 milliard aujourd’hui ! Cette flambée pourrait provoquer ce que l’AIE appelle un « cold crunch », un choc du froid : si rien n’est fait, la consommation d’énergie pour faire fonctionner les climatiseurs pourrait tripler d’ici à 2050. À ce niveau d’équipement, et si rien n’est fait, l’électricité nécessaire pour faire tourner ces équipements pourrait atteindre l’équivalent de la consommation actuelle de la Chine. Quant aux émissions de dioxyde de carbone dues à la climatisation, elles pourraient quasiment doubler d’ici à 2050 avec un milliard de tonnes supplémentaires – soit le volume de ce gaz rejeté chaque année par l’Afrique… »

Alors, bien sûr actuellement les équipements utilisés dans le monde sont peu performants et probablement que la technique pourra améliorer le rendement énergétique de ces appareils.

Mais globalement nous sommes confrontés à un problème technique de la conservation de l’énergie qui fait que si vous voulez refroidir un endroit vous allez en réchauffer un autre.

Il apparait clairement que la climatisation n’est pas la solution.

Une des solutions serait de créer des villes végétalisées..

Et aussi de rénover ou de construire des bâtiments qui deviennent ou soient thermiquement isolés.

Ces solutions ne sont pas individualistes et ne sont pas à court terme.

<1105>

Mercredi 27 juin 2018

« Quand, dans cent ans, on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là. »
Roberto Saviano

Roberto Saviano est un journaliste et un écrivain qui s’est rendu célèbre pour avoir décrit précisément les milieux mafieux dans ses écrits et articles, en particulier dans son œuvre Gomorra (2006), dans laquelle il décrit celui de la Camorra. En raison de l’immense succès dans son pays et à l’étranger de son livre, il vit maintenant sous protection policière permanente.

Roberto Saviano s’insurge dans un texte exclusif transmis au « Monde », contre la politique migratoire du ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini. Cet article a été publié le 21 juin 2018. Matteo Salvani l’a menacé de retirer sa protection policière, ce qu’il ne peut pas faire a priori, car la décision de cette protection appartient à une commission indépendante.

Roberto Saviano a répliqué à Salvani en l’accusant en tant qu’élu en Calabre, d’avoir fermé les yeux sur les activités de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, d’avoir « oublié » les liens de la Ligue du Nord, son propre parti, avec cette mafia qui, selon lui, a recyclé de l’argent sale grâce au parti régionaliste. Et conclut, en rappelant les menaces de mort dont il est l’objet depuis des années :

« Tu crois que je vais avoir peur de toi ? Bouffon ! »

Je vous livre ci-après des extraits de cette tribune :

« On ne compte plus les journalistes et les faiseurs d’opinion qui, à l’aube du nouveau gouvernement, mais aussi au crépuscule du précédent, adoptent déjà des positions xénophobes à peine voilées. Matteo Salvini est en train de mettre en œuvre la « méthode Minniti », la doctrine de ce penseur politique [membre du Parti démocrate, ancien ministre de l’intérieur] qui entendait – je ne sais par quel miracle – éloigner le spectre d’un gouvernement jaune-vert (ainsi appelle-t-on en Italie, avec une pointe d’ironie, le ramassis formé par la Ligue et le M5S) en proposant une ligne politique proto-léguiste.

C’est Marco Minniti qui, l’année passée, fut le premier à déclarer : « Nous fermerons les ports aux ONG. » C’est lui qui obligea, au moyen d’une politique médiatique sans précédent, les ONG à signer un code de conduite parfaitement arbitraire, dont l’effet immédiat a été de diviser un front humanitaire qui doit rester uni pour pouvoir défendre ceux qui viennent en aide aux plus faibles. C’est encore Minniti qui expliqua aux Italiens à peu près ceci : même si les chiffres des cambriolages sont en baisse, nous, nous ne nous intéressons ni aux faits ni aux statistiques, mais à vos sentiments et, si vous vous sentez en insécurité, nous étudierons les moyens de vous laisser davantage de marge de manœuvre pour que vous puissiez vous défendre seuls. Tout cela a préparé le terrain à ce qui est en train de se produire aujourd’hui – pas de stupeur donc, rien qu’une infinie amertume.

[…]

Et la France dans tout cela ? Elle a criminalisé la solidarité, exactement comme l’a fait le gouvernement Gentiloni et exactement comme est en train de le faire le gouvernement Salvini-Di Maio. Prenez le cas de ce guide de montagne, Benoît Ducos, interpellé par la police française pour avoir porté secours à une migrante enceinte à la frontière franco-italienne. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais un exemple criant qui nous dit ce qui se fait couramment, et nous raconte comment les gouvernements ont décidé de contrer les extrémistes de droite en cherchant à les battre sur leur propre terrain.

[…]

A peine nommé, le ministre de l’intérieur déclare : « Pour les migrants, la fête est finie. » Quelle fête de naître en Afrique, de tout sacrifier et de s’endetter pour tenter de construire un avenir meilleur, dans l’espoir de pouvoir changer la donne et d’aider sa famille qui, en attendant, reste là-bas, parce qu’elle est trop nombreuse, parce qu’elle compte des femmes, des personnes âgées et des enfants qui ne supporteraient pas les souffrances d’un voyage long et éprouvant. Quelle fête de traverser le continent, de voyager entassé dans un véhicule conçu pour dix personnes qui en transporte cinquante. Quelle fête d’aller sans nourriture et presque sans eau, d’être dans la fleur de l’âge et pourtant si fatigué, épuisé, à bout et d’avoir, malgré tout, encore de l’espoir.

Quelle fête d’arriver en Libye, de faire l’impossible pour ne pas rester prisonnier dans un camp de réfugiés, de chercher à ne pas devenir une monnaie d’échange entre des ravisseurs assoiffés d’argent et la famille restée au pays qui, pour aider celui qui s’enfuit en Europe, contracte des dettes qu’elle remboursera avec des années de labeur – un emprunt pour la liberté, un crédit pour acheter l’espoir.

Quelle fête de payer sa place sur un Zodiac et d’être, peut-être, celui qui sera chargé de le diriger et qui se trouvera de fait considéré comme « passeur » au cas où les choses tourneraient mal. Quelle fête de passer des heures et des heures en mer. En mer calme, en mer agitée. En mer chaude et éblouissante le jour, froide et noire la nuit. Quelle fête d’être écrasé, entassé avec plus de cent personnes sur une embarcation qui prend l’eau de toutes parts, et de se trouver au centre, là où l’air manque, puis d’être assis au bord, les jambes ballantes, engourdies, glacées. Quelle fête d’être enfant et de vivre cet enfer, d’être mère, père, et de se sentir responsable d’avoir emmené ce que l’on a de plus précieux au monde dans une situation de danger extrême. Quelle fête quand le Zodiac ne tient plus le coup, qu’il prend l’eau et que la peur de couler vous tenaille.

Quelle fête quand Malte, l’Italie et le reste de l’Europe tentent de se débarrasser de la patate chaude et de l’envoyer le plus loin possible. Quelle fête quand les ONG – ces « taxis de la mer » (copyright Luigi Di Maio), ces « vice-trafiquants » (copyright Matteo Salvini) – sont empêchées de porter secours à des êtres humains, mais que l’on donne le feu vert à la garde côtière libyenne, à elle oui, elle qui est de mèche avec les trafiquants (source : ONU). Quelle fête lorsque l’on transmet à la télévision des vidéos des opérations de sauvetage de cette même garde libyenne et que l’on coupe les longues minutes pendant lesquelles les militaires frappent les migrants, tirent en direction des embarcations et menacent le personnel des ONG.

Impossible de me taire

Quelle fête quand personne ne vient à votre secours et quand votre embarcation est en train de sombrer, emportant avec elle les corps à présent sans force de ceux qui ont supporté la séparation d’avec leur famille, le voyage à travers le désert, la faim, les coups, les tortures dans les camps libyens, les viols et violences de tout type. Pensons-y, merde, quelle fête ! Quand, dans cent ans, on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là.

Rome persiste et signe : Matteo Salvini, le ministre de l’intérieur a réitéré, samedi 16 juin, l’interdiction aux ONG d’accéder aux ports de la péninsule, au risque d’envenimer encore les tensions européennes autour de la crise migratoire.

Il s’est exprimé sur son compte Facebook : « Alors que le navire Aquarius navigue vers l’Espagne [arrivée prévue dimanche] deux autres navires d’ONG battant pavillon des Pays-Bas [Lifeline et Seefuchs] sont arrivés au large des côtes libyennes, en attente de leur cargaison d’êtres humains abandonnés par les passeurs. Que ces messieurs sachent que l’Italie ne veut plus être complice du business de l’immigration clandestine, et ils devront donc chercher d’autres ports (non italiens) vers lesquels se diriger. En ministre et en père, je le fais pour le bien de tous », a-t-il ajouté.

Matteo Salvini qui entend maintenant faire le recensement des roms en Italie pour les expulser et qui a eu cette phrase terrible de mépris et de racisme :

«Les Roms italiens, malheureusement, tu dois te les garder à la maison ».

Dans l’article du Monde Roberto Saviano continue

« L’objectif du « zéro débarquement » en Méditerranée n’est que de la propagande criminelle. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain – cela n’arrivera de toute façon jamais. Matteo Salvini – c’est la ligne partagée par la Ligue et le M5S et c’est ce que nous souhaitons tous – dit vouloir empêcher d’autres tragédies en mer et soustraire les migrants à la voracité des trafiquants d’êtres humains de Libye et à celle des organisations criminelles d’Italie, mais la propagande est une chose, les faits en sont une autre. Le « zéro débarquement », tous les prédécesseurs de Salvini ont essayé d’y parvenir avant lui, avec les mêmes recettes et le même fiasco (construire des camps en Libye ne marche pas ; ce qui marche, c’est respecter les droits de tous les êtres humains). Salvini est juste plus ostensiblement mauvais et il a des alliés au gouvernement qui le soutiennent.

Au fil des ans, nous avons accordé des fonds à des pays instables, nous avons arrosé trafiquants et criminels avec l’argent des Italiens et des Européens sans rien résoudre, parce que tant qu’il y aura des personnes pour vouloir quitter l’Afrique et venir en Europe, en l’absence de moyens légaux de le faire, il y aura des personnes pour prendre leur argent et les y conduire.

Pour les Africains, les portes de l’Europe sont closes et l’unique voie est celle de la clandestinité – et il se trouve que ce sont les mafias libyennes qui les font passer (en moyenne 100 000 par an). Il existe une demande mais aucune offre légale pour la satisfaire. Qu’importent les méthodes brutales de Matteo Salvini et les discours mielleux de Luigi Di Maio, c’est la loi du marché la plus élémentaire : quand il y a une demande, il y a une offre, légale ou non.

Pouvons-nous accueillir tout le monde ? Non. Mais la part assumée par l’Italie n’est pas telle que l’on pourrait dire : « Là, c’est bon, ça suffit ! » Je me demande souvent quelle est la solution, comme s’il existait une solution qui pourrait résoudre le phénomène de la migration. Il n’existe pas une solution définitive, mais plusieurs pas à accomplir.  »

Dans cette opposition frontale entre le courageux et humaniste Saviano et le raciste et démagogue Salvini, on ne peut être que résolument du côté du premier.

La situation est cependant loin d’être simple.

Les passeurs qui sont une autre mafia envoient des bateaux surchargés sur la méditerranée et gagnent un argent fou en promettant aux migrants qu’une fois arrivé au milieu de la méditerranée des bateaux occidentaux les prendront en charge pour éviter qu’ils fassent naufrage. Secourir, et il faut le faire, c’est aussi aider les mafias libyennes et autres à continuer leur business criminels.

En outre nous avons fermé nos frontières européennes aux migrants, dès lors des migrants économiques tentent d’entrer en Europe en essayant de se prétendre réfugiés. Or si nous devons accueillir, en raison des conventions internationales que nous avons signées, les réfugiés qui fuient les persécutions nous n’avons pas d’obligation d’accueillir les migrants économiques. Cette confusion augmente le chaos, car les vrais réfugiés sont regardés avec suspicion car les autorités croient qu’ils ont affaire à des migrants économiques, beaucoup plus nombreux aujourd’hui.

Mais certains considèrent que c’est une abomination de sélectionner les réfugiés et les migrants économiques, de «trier» disent-ils. Ils veuelent que tout le monde soit accueilli, parce que ce sont des humains qui cherchent simplement à avoir une vie meilleure.

Mais pendant ce temps, un après les autres les peuples européens votent pour les partis qui promettent de lutter brutalement contre cette immigration qu’ils qualifient d’invasion. L’Italie vient de tomber aussi dans cette spirale.

L’immigration ne s’est jamais passé facilement, le racisme contre l’étranger qui vient d’ailleurs a toujours existé. A cela s’ajoute cette fois que nos systèmes sociaux qui sont encore remarquables par rapport au reste du monde, régressent, avant tout à cause du vieillissement de notre population et de la crise économique.

Et mis bout à bout, les peuples européens ont peur de perdre leur identité et leurs droits sociaux.

En face de ces inquiétudes, les politiques de rigueur et de marchandisation du monde ne leur ouvrent que peu de perspectives d’espérer vivre un avenir de progrès social.

Mais que répondre à cette prophétie terrible de Saviano :

« Quand, dans cent ans, on sondera les fonds de ce petit bout de Méditerranée et qu’on y trouvera des centaines de corps humains, on se demandera quelle guerre s’est jouée là. »

<1097>

Jeudi 31 mai 2018

« Les soixante-huitards ne sont pas tous devenus des nantis »
Serge Audier

Hier j’avais laissé Luc Ferry exprimer son analyse de la pensée 68 et des conséquences sociétales et économiques qui selon lui ont été portées par ce mouvement.

D’autres comme Guy Hocquenghem ont ciblé les parcours individuels. Dans sa «Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary » (1986) il retrace avec ironie la carrière, jusqu’en mai 1986, des gauchistes de Mai 68 qui selon lui ont trahi, par opportunisme, l’idéal de leur jeunesse. Il était un acteur de Mai 68, à l’époque il avait 21 ans et était élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Il est mort du sida en 1988.

Le journaliste Antoine Bourguilleau remet dans la perspective de 2018 cet essai assez violent contre les anciens camarades d’Hocquenghem que ce dernier désignait sous l’expression de «membres à vie du club ouaté des renégats».

<Si vous voulez en savoir davantage, vous pourrez lire l’article dans Slate>. Vous apprendrez qu’il désigne le journal Libération comme «La Pravda des néo-bourgeois» et Jack Lang comme l’«Amanda Lear de la culture».

Il me parait juste aussi de donner la parole à la défense. Ainsi Serge Audier qui est philosophe comme Luc Ferry, maître de conférences à Sorbonne-Université, a écrit une sorte de réponse à ce dernier « La Pensée anti-68 ».

Cet ouvrage paru aux éditions de La Découverte en 2008, suivait l’élection de Nicolas Sarkozy qui avait voulu liquider le legs de 68.

<L’Obs a accordé un entretien à cet auteur publié le 10 mai 2018>

Pour Serge Audier c’est une offensive idéologique qui prétend que l’esprit libertaire aurait favorisé la montée du néolibéralisme :

« Ce discours participe avant tout d’une offensive idéologique. Dans sa version radicale, il verse même dans l’erreur caractérisée quand il soutient, comme Luc Ferry récemment dans « le Figaro », que sous les pavés il n’y avait rien d’autre que « les exigences de l’économie libérale », les mœurs libertaires ayant selon lui été la condition expresse pour qu’émerge notre société de consommation.

Après tant d’autres, Ferry affirme à l’appui de cette thèse que la quasi-totalité des soixante-huitards se serait reconvertie dans la pub, le showbiz, l’entreprise ou au Medef. Bien des travaux historiques prouvent que c’est faux, mais l’idéologie a la vie dure.

Il faut dire que le livre « Génération » de Patrick Rotman et Hervé Hamon, publié à l’occasion du 20e anniversaire des événements, a bien malgré lui fourni des armes aux tenants de ce dénigrement. Les auteurs, qui défendaient Mai-68, ont donné la parole à des soixante-huitards qui avaient entre-temps connu réussite et notoriété. Au risque de gommer ceux qui étaient – ou voulaient être – plus discrets : ceux qui occupaient des emplois moins médiatiques, ceux qui étaient partis élever des chèvres, sans parler des chômeurs et des suicidés.

Le retentissement de « Génération » a contribué à imposer durablement cette vision déformée, occultant le fait que, comme tout événement historique, Mai-68 s’est diffusé dans toutes les sphères de la société. Il n’en fallait pas plus pour alimenter le réquisitoire de ceux qui, en cette fin des années 1980, avaient déjà commencé à dénoncer une alliance « libérale-libertaire ».

Plusieurs couches se sont superposées. La toute première occurrence de ce terme remonte à 1973, sous la plume d’un intellectuel du PC, le philosophe Michel Clouscard – les communistes français avaient, on le sait, mal digéré l’offensive des « anarchistes » soixante-huitards, très critiques vis-à-vis de l’URSS. Clouscard forge l’expression de « libéralisme libertaire » pour résumer sa conviction que la contestation gauchiste a été le cheval de Troie d’une mutation économique libérale : le Mai-68 libertaire a selon lui produit un « marché du désir » qui a sauvé le capitalisme tout en détruisant le barrage à la mondialisation libérale qu’était l’État-nation. L’idée était lancée que les mœurs libertaires et le libéralisme économique sont les deux faces de la même réalité. […] »

Il revient sur l’essai d’Hocquenghem. :

« Le pamphlet d’Hocquenghem, qui dépeint Serge July, André Glucksmann ou Bernard Kouchner en agents cyniques du capitalisme et de l’impérialisme, reflète son désarroi : comme d’autres, en ce milieu des années 1980, il est dépité face à l’expérience socialiste du pouvoir, après la conversion mitterrandienne à la « rigueur » en 1983. De nombreux déçus de la gauche reprendront sa critique des « libéraux-libertaires » soutiens de Mitterrand. Les plus carriéristes des soixante-huitards sont des coupables idéaux, accusés d’avoir fait de Mai-68 un tremplin pour liquider l’héritage de la gauche, laquelle aurait dépassé la droite dans la réhabilitation de « l’entreprise ».

Un troisième moment de ce discours intervient à partir des années 1990, sur fond de critique de l’Europe libérale et postnationale ou encore du « pédagogisme ». Des essayistes tels que Jean-Claude Michéa voient dans le « libéralisme culturel » de 68 le berceau de l’ultralibéralisme. Marcel Gauchet identifie dans son individualisme le foyer d’une société libérale et narcissique. La légende noire fleurit dans les milieux « nationaux-républicains » souverainistes, voire de gauche anticapitaliste, d’autant plus que Daniel Cohn-Bendit incarne alors une ligne fédéraliste européenne. Dans un registre néomaurrassien, Éric Zemmour déplore que la droite libérale ait fait des concessions aux soixante-huitards et prône un réarmement idéologique réactionnaire et identitaire. Une rhétorique qu’on retrouvera, soutenue par Henri Guaino et Patrick Buisson, dans les discours de Nicolas Sarkozy lors de sa campagne présidentielle de 2007. »

Luc Boltanski et Eve Chiapello avaient écrit un livre : « le Nouvel Esprit du capitalisme« , publié en 1999, et dans lequel ils montrent que le néolibéralisme s’est appuyé sur l’individualisme et le désir d’une plus grande liberté individuelle qui étaient l’apanage des mouvements issus de mai 68. Serge Audier répond :

«Je ne rejette absolument pas ces analyses, mais elles ne suffisent pas à conclure – aux yeux mêmes de leurs auteurs ! – à une ligne directe courant de 68 au néolibéralisme. N’oublions pas que Mai-68 a effrayé les milieux politiques et économiques. Lors des accords de Grenelle, le patronat, fragilisé, lâche du lest. Mais, à la fin des années 1970, sur fond de crise, le rapport de forces se tend au plan mondial, et les logiques de déconstruction du syndicalisme, de flexibilité et de sous-traitance développées dès lors par les dirigeants économiques battent en brèche les idéaux de participation démocratique dans l’entreprise.

Les artisans de la révolution néolibérale n’étaient tout de même pas des progressistes ! Thatcher était une conservatrice attachée à la restauration de l’autorité et adepte d’un État pénal, tandis que Reagan fédérait une coalition ultralibérale et réactionnaire qui, au nom de la « majorité silencieuse », défendait l’ordre et le patriotisme, et attaquait les syndicats. Quant aux théoriciens du néolibéralisme, si Milton Friedman pouvait avoir des accents libertariens sur la question des stupéfiants, Friedrich Hayek était allergique aux contestataires. Ajoutons que le Chili de Pinochet, terrain d’expérimentation du néolibéralisme soutenu par l’un et l’autre, n’était pas vraiment « libéral-libertaire …

[Mais] en recyclant habilement certains éléments de la contre-culture, la pensée néolibérale les instrumentalise à des fins qui n’étaient pas celles des soixante-huitards. Confrontées à des résistances dans les entreprises, puis à la crise, les élites économiques voient la machine capitaliste s’essouffler et comprennent que les vieilles recettes « disciplinaires » sont insuffisantes. Après la crise de 1929, Roosevelt avait sauvé le capitalisme en lui administrant une forte dose d’interventionnisme ; après le marasme des années 1970, la « récupération » de certaines aspirations – pas toutes ! – à la créativité et à l’autonomie individuelle a contribué à une reconfiguration du système productif – mais parallèlement, je le répète, à un court-circuitage des luttes ouvrières par une guerre menée au syndicalisme, l’essor de la sous-traitance, des délocalisations, etc.»

Je pense qu’on peut le rejoindre sur ce point, les théoriciens et les metteurs en scène (Thatcher et Reagan) du néo-libéralisme ne sont pas des soixante-huitards. Et puis pour que le néolibéralisme, puisse s’imposer il a fallu bien d’autres évènements et avancées technologiques que les aspirations à la liberté des jeunes de Mai 68 : l’ouverture des frontières, les avancées technologiques des outils de communication, la chute du camp soviétique et maintenant la révolution numérique. Et la conclusion de Serge Audier est la suivante :

«[Si] un certain nombre d’individus qui ont eu 20 ans en 1968, et qui ont alors pu jeter quelques pavés, ont pris ensuite une part active à l’essor de l’économie néolibérale. Mais il ne faudrait pas oublier tous leurs anciens compagnons qui ont continué à militer pour leurs idées, sous d’autres formes – politiques, mais aussi associatives, en faveur de causes comme l’environnement, les immigrés, l’économie sociale et solidaire. En se focalisant sur la « trahison » supposée de certains leaders de Mai, on néglige cet héritage, certes silencieux, de 68.»

Par cet article s’arrête la série de mots du jour sur mai 68. Le 31 mai semble le jour idéal pour cela. J’aurais encore pu évoquer beaucoup d’auteurs, de livre, d’articles et d’émissions.

Souvent les émissions qui souhaitaient parler de mai 68 ont invité le sociologue Jean-Pierre Le Goff. Il avait 19 ans en mai 68. Il porte aujourd’hui un regard critique. Il est, selon les normes universitaires, un spécialiste de cette période. Il avait écrit un premier livre en 1998 « Mai 68. L’héritage impossible », puis en 2011 « La Gauche à l’épreuve 1968-2011 » dans lequel il évoque beaucoup les soixante-huitards qui ont été tout comme lui engagés dans des groupuscules d’extrême-gauche et qui ont évolué souvent vers le Parti Socialiste. Et il pose ce constat que ces hommes, car il s’agit presque exclusivement d’hommes, entraînés par leurs passions anciennes et leur utopies trotskystes ou maoïstes reproduisent dans les postes qu’ils occupent actuellement (journalistes, hommes politiques etc.) « Les mêmes postures d’imprécation et de justiciers, les mêmes réflexes dogmatiques et sectaires, toujours persuadés d’être dans le bon camp.»

Et cette année il a publié aux éditions Stock « La France d’hier » et dont le sous-titre est « Récit d’un monde adolescent : des années 1950 à Mai 68 ».

Je l’ai écouté présenter son livre dans deux émission : « La Grande Table du 1er mars 2018 » et « Répliques du 3 mars 2018».

Ce que j’ai compris c’est qu’il essaye de réhabiliter le monde d’avant 68, en disant qu’il n’était pas si dur qu’on le raconte aujourd’hui, qu’il y avait des structures solides et rassurantes.

Et pour Mai 68 il résume son ouvrage précédent par cette phrase :

« Mai 68, c’est bien sûr la revendication de l’autonomie de la société, mais c’est en même temps une fuite dans l’imaginaire : le refus de toute hiérarchie. C’est cela l’héritage impossible. La révolution introuvable. »

Et pour symboliser tout cela, il parle du « peuple adolescent ». Pour lui ce qu’il appelle le Yéyé auquel il ajoute le rock est la musique du peuple adolescent qui émerge en mai 68.

Invité par la chaine suisse RTS il en arrive à cette conclusion :

« On ne va pas rester adolescent toute sa vie »

Edgar Morin qui exprime davantage l’espérance de mai 68, le besoin de dépassement des contraintes et de la seule réussite économique avait aussi évoqué la classe adolescente (mot du jour du 23 mai 2018)

Daniel Cohn-Bendit lors d’une émission de Bernard Pivot avait lui aussi parlé de cette musique émergente et de la culture jeune qui l’accompagnait en considérant qu’un des événements les plus marquants de cette époque fut <le festival de Woodstock>. Car le 15 août 1969, 450 000 personnes se réunissent, sur la côte Est des Etats-Unis pour ce festival qui symbolise la contre-culture hippie.

Le site du journal belge <Le soir> décrit cette « effervescence » ainsi :

« En août 1969, Les hippies de Woodstock ont dansé nus, fait l’amour dans la boue, chanté au milieu de nuages de marijuana… »

Pierre Delannoy auteur du livre « L’aventure hippie » décrit un monde jeune et politisé :

« Il faut bien comprendre que les hippies ne sont pas les « babas cool », les doux rêveurs, qui ne pensent qu’à fumer de l’herbe et à courir tout nus, qu’on voit au cinéma. Au contraire, le mouvement hippie est très politisé. Ils ont tous l’âge d’aller se battre au Vietnam. C’est une jeunesse éprise de liberté qui s’engage contre la guerre. Ce serait réducteur de ne parler que de révolution des mœurs et de révolution sexuelle. Le mouvement hippie porte en lui une véritable révolution politique. C’est toute la société qu’ils veulent changer : de l’organisation du travail à celle de la famille et des rapports humains. Ils militent pour une société plus juste, plus égalitaire et vont même jusqu’à poser les bases de l’écologie.

[…] Le mouvement hippie marque une rupture. Les années 1960, c’est l’avènement de la jeunesse. Ce n’est plus l’appartenance à une classe sociale qui compte, mais la classe d’âge et la volonté de changer la société. Le mouvement hippie naît au milieu des Trente Glorieuses. Les hippies sont les enfants du baby-boom, de l’explosion de la classe moyenne et des débuts la société de consommation. Ils grandissent dans un monde qui change, mais au sein d’une société qui reste complètement coincée, conservatrice. Le mouvement hippie naît de cette rupture entre une société figée et une partie de la jeunesse qui aspire à vivre autrement. Pendant les années 1960, les hippies fondent des communautés, vivent une nouvelle expérience sociale et bousculent leurs propres barrières. »

L’autre auteur souvent invité ces derniers jours est l’historien Benjamin Stora, 18 ans en 1968. Il a écrit et vient de publier « 68, et après ». Je l’ai entendu dans un entretien qu’il a accordé à l’émission <La Grande Table du 29 mai 2018>.

Lui insiste sur la tentation de violence des groupes gauchistes de 68 :

« On a beaucoup présenté la dimension festive et libertarienne de mai 68. Mais cet événement a aussi une face sombre, celle d’un engagement militant dogmatique, radical, très enclin à la violence, et qui a même failli passer au terrorisme. »

Il rappelle que dans d’autres pays comme l’Italie ou l’Allemagne le mouvement a sombré dans le terrorisme des Brigades rouges et de la bande à Baader.

Et il a ce soulagement :

«Heureusement que nous, à l’extrême gauche, n’avons pas pris le pouvoir après mai 1968»

Et puis il évoque tous ces trotskystes qui sont devenus des piliers ou ce qu’on a appelé des éléphants du PS : Jospin, Cambadélis, Dray, Mélenchon et tant d’autres

Mais pour mettre un point final à cet article et à cette série je vais vous donner un lien vers « <L’interview de Malek Boutih chez Laurent Ruquier le 19 mai 2018>.

Si je n’ai qu’un lien à vous recommander c’est celui-ci. J’ai été séduit et aussi ému de ce que cet homme de conviction a su dire ce soir-là.

Le sujet de cet entretien n’était pas mai 68, mais était beaucoup plus large sur la pauvreté, les banlieues, la politique, la France.

Et vers 30:40mn il dit la chose suivante :

« Il y a tellement de gens supers […]

Je ne suis pas un self made man, je ne me suis pas fait moi-même
J’ai rencontré tant de gens…
Ce professeur qui m’a opéré et qui me permet de bien marcher.
Cette institutrice qui m’a acheté une trousse et un cartable, parce qu’on n’avait pas d’argent.
Et la génération de mai 68, des instituteurs sur lesquels on crache maintenant.
Nous on était dans des écoles où il n’y avait que de la schlague, de la violence, des coups de règle…
Et les gens de cette génération étaient positifs, gentils, souriants, ils nous faisaient de la culture alors qu’on n’avait droit à rien ! »

<1079>