Vendredi 6 avril 2018

« Hedy Lamarr »
Actrice, productrice de cinéma et inventrice autrichienne et américaine

Je ne sais pas si vous connaissez Hedy Lamarr ou si vous en avez déjà entendu parler.

Hedy Lamarr était une femme extraordinaire dont le destin fut romanesque, flamboyant et finalement tragique.

Elle a fait l’objet de plusieurs articles de journaux récents parce qu’un documentaire retraçant sa vie vient de paraître.

Mais commençant par une photo d’Hedy Lamarr au temps de sa splendeur rayonnante.

Pour ma part, j’ai entendu parler la première fois d’Hedy Lamarr lors d’une chronique de Xavier de la Porte, le 20 janvier 2017, consacrée au numérique.

Dans cette chronique, Xavier de la Porte a lui-même avoué qu’il avait découvert l’existence de cette femme étonnante que depuis peu.

Xavier de la Porte a commencé son propos en constatant et regrettant le peu de femmes connues dans les technologies et dans l’informatique pour introduire son sujet sur cette figure féminine époustouflante.

Pour présenter son apport à la technologie, Xavier de la Porte a dit :

« Hedy Lamarr est restée dans l’Histoire des technologies pour avoir inventé un système dont je vous livre la meilleure description que j’ai trouvée : « Elle proposa en 1941 un système secret de communication applicable aux torpilles radioguidées qui permettait au système émetteur-récepteur de la torpille de changer de fréquence, rendant pratiquement impossible la détection de l’attaque sous-marine par l’ennemi. Il s’agit d’un principe de transmission (étalement de spectre par saut de fréquence) toujours utilisé pour le positionnement par satellites (GPS…), les liaisons cryptées militaires, les communications des navettes spatiales avec le sol, la téléphonie mobile ou dans la technique Wifi ».

Le GPS et le Wifi se servent de l’invention d’Heddy Lamarr.

Notre ami Google, l’a bien compris et lui avait consacré un de ses fameux <doodle> pour son 101ème anniversaire le 9 novembre 2015.

Hedy Lamarr avait pour nom de naissance Hedwig Eva Maria Kiesler. Elle est née le 9 novembre 1914 à Vienne dans ce qui était encore l’Empire d’Autriche-Hongrie, puisqu’elle est née 2 jours avant la fin de la première guerre mondiale.

Elle est née dans une famille de religion juive, d’une mère roumaine et d’un père ukrainien. C’est une famille bourgeoise : son père est banquier et sa mère est pianiste. Elle attire vite l’attention par sa fascinante beauté.

Un documentaire de France Culture de février 2017 <la dame sans passeport d’Hollywood> nous apprend que « .Dès son enfance, elle a une révélation en voyant Metropolis de Fritz Lang et veut devenir actrice. Elle abandonne l’école pour travailler en Allemagne avec un metteur en scène de théâtre Max Reinhardt. »

Puis elle gagne Berlin en 1931 où elle commence à tourner un certain nombre de films, jusqu’à un film où une scène l’a rendue célèbre. C’est un film tchèque « Extase », elle a 18 ans et elle simule un orgasme à l’écran. C’est la première fois que le cinéma montre une telle scène qui bien sûr fait scandale, provoque la condamnation du Pape Pie XII, mais lui confine une immense notoriété.

On trouve tout sur internet, il est donc possible de visionner ce premier orgasme au cinéma : <Hedy Lamarr in Ekstase>

Elle fait un premier mariage avec un autrichien fasciste et important fabricant d’armes. Elle se forme alors technologiquement pour comprendre comment fonctionne les torpilles. Par la suite dégoutée des nombreuses visites de nazis qu’accueille son mari, elle s’enfuit et rencontre alors Louis B. Mayer, producteur de cinéma et fondateur de la célèbre Metro-Goldwyn-Mayer.

Voici comment Wikipedia raconte cette rencontre :

« Apparemment peu intéressé par Hedy, gêné par sa prestation dans Extase (selon l’intéressée), le magnat d’Hollywood lui propose un contrat peu avantageux (six mois d’essai et 150 dollars par semaine) qu’elle refuse. D’après ses propres dires, la future Hedy Lamarr travaille comme gouvernante du jeune violoniste prodige Grisha Goluboff avec qui elle s’embarque sur le Normandie. Durant la croisière (Cole Porter, qui écrira une chanson sur elle, figure entre autres parmi les passagers) Hedy Lamarr convainc Mayer de l’engager aux conditions qu’elle souhaite. »

C’est Louis B. Mayer qui lui demande de changer de nom pour celui d’Hedy Lamarr en hommage à une actrice du cinéma muet, Barbara La Marr.

Au cours de sa carrière cinématographique, elle a joué sous la direction des plus grands réalisateurs : King Vidor, Jack Conway, Victor Fleming, Jacques Tourneur, Marc Allégret, Cecil B. DeMille ou Clarence Brown.

Et c’est un journal Suisse, « Le Temps » qui en dit davantage sur son invention : <Hedy Lamarr, l’étoile d’Hollywood qui inventa les bases du Wi-Fi et du GPS> :

« Lors d’une soirée à Hollywood, le chemin d’Hedy Lamarr croise celui du compositeur et écrivain George Antheil. De leur rencontre naîtront des échanges non pas sur le cinéma mais à propos d’armement. Une industrie que l’actrice a côtoyée lors de son premier mariage et que le musicien maîtrise, ayant travaillé comme inspecteur des munitions aux États-Unis. Tous deux discutent des techniques de transmission radio avec les torpilles qui, à l’époque, n’étaient pas encore téléguidées. Le signal était sur une seule fréquence et pouvait donc être facilement brouillé ou intercepté.

Hedy Lamarr, âgée de 26 ans, et George Antheil réfléchissent pendant leur temps libre à une nouvelle technique qui permettrait un téléguidage plus sécurisé. En s’informant auprès d’un professeur en électronique de l’institut technologique Caltech à Los Angeles, l’idée leur vient d’envoyer le signal sur plusieurs bandes de fréquences entre l’émetteur et le receveur. Ils mettent au point une technique dite d’étalement de spectre qui émet l’information non pas sur une, mais quatre-vingt-huit fréquences, le nombre de touches du clavier d’un piano. La séquence d’émission est pseudo-aléatoire et reconnue par le récepteur qui la reconstitue. Le système est déposé au Bureau des brevets des USA le 10 juin 1941 et enregistré le 11 août 1942.

Sensibles à l’effort de guerre, les deux co-inventeurs cèdent immédiatement le brevet à l’armée américaine. Mais c’est seulement au début des années 1960, lors de la crise de Cuba et de la guerre du Vietman, que l’armée américaine a développé des applications pratiques de cette technologie dans la transmission radio. Le brevet est depuis tombé dans le domaine public et il a été utilisé pour mettre au point les techniques de base des signaux Wi-Fi ou de la géolocalisation par satellite, le fameux GPS! »

Le journal présente une reproduction de la première page du brevet US 2292387 déposé par Hedy Lamarr et George Antheil.

Le documentaire France Culture précise qu’Hedy Lamarr a rétroactivement reçu le prix de l’Electronic Frontier Foundation américaine en 1997 et a été admise avec George Antheil au National Inventors Hall of Fame en 2014.

Xavier de la Porte précise :

« Par ailleurs, elle était très belle, et grande séductrice. La liste des hommes avec lesquelles elle a eu des aventures est impressionnante. En sus de ses 6 mariages, je vous en donne une idée : Howard Hugues, John Kennedy, Franck Capa, Marlon Brandon, Errol Flynn, Orson Welles, Charlie Chaplin, Billy Wilder, Otto Preminger, James Stewart, Spencer Tracy, peut-être Clark Gable (mais il nie) et…. Jean-Pierre Aumont… Elle avait d’ailleurs quelques théories sur la question amoureuse et on lui attribue cette phrase : « En dessous de 35 ans, un homme a trop à apprendre, et je n’ai pas le temps de lui faire la leçon. »

Et sa carrière cinématographique ?

En 1946, la star se lance même dans la production indépendante. Elle connue alors des hauts et des bas. En 1949 elle joua son rôle le plus célèbre Dalila dans le péplum Samson et Dalila de Cecil B. DeMille inspiré du récit biblique. Elle tourna encore des films mais sa carrière s’acheva en 1957, l’année de la mort de Mayer qui la soutint beaucoup.

Et la fin ?

Un naufrage : ruinée par une succession d’échecs dans la production cinématographique et par sa vie dispendieuse, elle est condamnée pour vol à l’étalage à répétition et meurt dans le quasi anonymat en 2000, à l’âge de 85 ans.

Entretemps elle se soumit à des opérations de chirurgie esthétique qui l’enlaidirent beaucoup.

Un diaporama de photos montrent la beauté de cette femme jusqu’à une dernière où la chirurgie esthétique l’a abimé.

Elle fut élue « femme la plus belle du monde » mais elle dit : « N’importe quelle femme peut avoir du glamour. Il suffit de se tenir tranquille et d’avoir l’air idiot ».

J’ai trouvé aussi cette bd qui raconte une partie de sa vie sur un blog du Monde : http://lesculottees.blog.lemonde.fr/2016/09/19/hedy-lamarr-actrice-inventrice/

<Sciences et Avenir évoque le documentaire récent> qui justifie les nombreux articles consacrées à cette femme intelligente, belle et tragique.

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Lundi 12 février 2018

« Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé »
Ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) qui n’a jamais été abrogée formellement et qui interdisait aux femmes de porter un pantalon

Cette ordonnance de 1800 prévoyait aussi que les femmes qui portent un pantalon sans autorisation devaient être « arrêtées et conduites à la préfecture ».

Par la suite, deux circulaires datant de 1892 et 1909 ont « assoupli » cette règle, en tolérant le port du pantalon : « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».

Cette « règle débile » a fait l’objet de maintes demandes d’abrogation au cours du XXème siècle

Contrairement à ce que vous trouverez sur Internet, cette règle n’a jamais été une loi mais une simple ordonnance du Préfet de Paris et c’est donc le Préfet de Paris qui aurait dû l’abroger.

La plus curieuse des réponses est sans doute celle de Maurice Grimaud, le célèbre préfet de Paris de mai 1968, encensé dans un autre mot du jour, mais qui en 1969, à la demande d’abrogation de l’ordonnance répond qu’il « croit sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité ».

Si vous voulez en savoir davantage sur cette histoire vous pouvez aller sur ce site : http://www.laviedesidees.fr/Le-droit-au-pantalon.html

La fin de cette histoire incroyable se trouve sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120700692.html

Le député de la Côte d’Or, Monsieur Alain Houpert, avait posé une question écrite le 12/07/2012 à la Ministre des droits des femmes.

Cette dernière qui était à l’époque Najat Vallaud-Belkacem lui répondit le 31/01/2013 par le texte suivant que je cite in extenso :

« La loi du 7 novembre 1800 évoquée dans la question est l’ordonnance du préfet de police Dubois n° 22 du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), intitulée « Ordonnance concernant le travestissement des femmes ». Pour mémoire, cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes. Cette ordonnance est incompatible avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France, notamment le Préambule de la Constitution de 1946, l’article 1er de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. De cette incompatibilité découle l’abrogation implicite de l’ordonnance du 7 novembre qui est donc dépourvue de tout effet juridique et ne constitue qu’une pièce d’archives conservée comme telle par la Préfecture de police de Paris. »

Il y a donc abrogation implicite, mais n’aurait-on pas pu réaliser une abrogation explicite ?

Ce sujet m’a été inspiré par les spectacle F(l)amme, dont j’avais fait le sujet du mot du jour du 4 décembre 2017 et que nous sommes allés voir, avec Annie, à l’Espace Camus de Bron le mardi 6 février 2018. Spectacle où 10 jeunes femmes qui vivent dans des quartiers périphériques et qui ont des parents qui sont venus d’ailleurs racontent une part de leur histoire et de leur vérité.

C’est fort, drôle, émouvant et d’une grande sincérité.

A un moment, une des jeunes femmes a dit :

« et je vous rappelle que jusqu’à tout récemment les femmes ne pouvaient pas porter le pantalon à Paris, sauf si elles étaient en bicyclette ou à cheval »

J’ai vérifié cette assertion, et c’est ainsi qu’est né ce mot du jour.

Mais ce ne fut pas le moment le plus fort du spectacle.

Ce moment eu lieu lorsque toutes les femmes se sont rassemblées au milieu de la scène, entourant l’une d’entre elle qui va raconter comment à l’âge de 4 ans on emmène une jeune enfant dans un village africain et tout en étant très gentille avec elle, on la met entre les mains d’une vieille femme qui va l’exciser. L’enfant n’a pas compris ce qui s’était passé, car personne ne parle de cela dans la famille. Elle l’a compris alors qu’elle était adolescente et qu’elle a vu une émission de télévision traitant de cette pratique. Elle a alors accédé à la compréhension ce qui s’était passé plus de 10 ans auparavant, entraînant chez elle colère et révolte.

La photo que j’insère dans cet article se situe à ce moment.

La salle était pleine, mais une chose a interpellé Annie et moi.

Par esprit rigoureux nous avons fait le compte de notre rangée et de celle qui la précédait, chacune comptant 20 places toutes occupées :

Les deux rangées avaient une répartition identique 18 femmes et 2 hommes.

Parmi les femmes, il y en avait beaucoup de jeunes, les 3 autres hommes étaient proches de mon âge.

Le reste de la salle confirmait cette constatation avec quelques traces d’hommes un peu plus jeunes.

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Mardi 30 janvier 2018

« Un environnement de terrorisme sexuel »
Natalie Portman

Si en France, le ralliement des femmes contre le comportement des hommes s’est fait autour du hashtag  « balance ton porc », les américains utilisent « #Metoo » c’est-à-dire « moi aussi ».

Ce mouvement s’est étendu en Chine. C’est la revue de presse assurée par Claude Askolovitch sur France Inter qui renvoie vers un article du Monde :

C’est à lire dans LE MONDE, « Les universités chinoises gagnées par le hashtag metoo ». En chinois, ça donne « wo ye shi » et si, dans un tout premier temps, les témoignages se sont faits rares, ils se multiplient désormais sur les réseaux sociaux chinois. Il s’agit donc d’étudiantes, des jeunes filles qui ont le courage de parler, et qui racontent les agressions sexuelles et les viols qu’elles ont subis au sein de leurs établissements. Ce sont, pour l’essentiel, des professeurs qu’elles accusent.
Une soixantaine d’universités serait concernée. Et certains estiment qu’on assiste ici à l’émergence d’un important mouvement féministe, le plus grand que la Chine n’ait jamais connu…

Mais c’est à un évènement des Etats-Unis que je voudrais revenir.

Le 21 Janvier 2017, quelques heures après l’investiture de Donald Trump, des centaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues du monde entier. A New York, Washington, Los Angeles, Portland, Chicago, etc ces manifestants voulaient protester contre les propos et l’attitude sexiste de Trump. On a appelé cela <la Marche des femmes>.

Il semblerait que cette manifestation devienne un évènement annuel. En effet, il y eut une nouvelle « women march » le samedi 20 janvier 2018, portée par le mouvement #Metoo. La plus importante manifestation a eu lieu à Los Angeles, deuxième ville du pays, avec quelque 600 000 manifestants, a tweeté le maire démocrate Eric Garcetti.

Plusieurs personnes ont pris la parole et le discours qui a suscité le plus d’intérêt fut celui de Natalie Portman.

Peut-être qu’il faut rappeler que Natalie Portman, née en 1981 à Jérusalem, est une actrice israélo-américaine. Wikipedia nous apprend qu’elle est née Natalie Hershlag. Elle est devenue très célèbre en interprétant, dans la saga de Star Wars, le rôle de la reine Padmé Amidala. Mais elle fait ses débuts au cinéma en 1993, à douze ans, en interprétant le rôle de Mathilda dans le film Léon de Luc Besson, aux côtés de Jean Reno.

L’introduction de son discours est consacrée aux conséquences pour elle de ce film.

La vidéo du discours de Natalie Portman se trouve derrière ce lien : <Discours de Natalie Portman Woman march>

Et voici le début de ce discours :

« J’ai eu 12 ans sur le plateau de mon premier film Léon […] Je découvrais moi aussi ma propre féminité, mes propres désirs et ma propre voix.
J’étais tellement enthousiaste à 13 ans quand le film est sorti, que mon travail et ma performance artistique touche le public.

J’ai ouvert avec enthousiasme ma première lettre de fan : un homme m’écrivait qu’il rêvait de me violer.
Une radio locale a organisé un décompte des jours jusqu’à mon 18e anniversaire, date à laquelle ça deviendrait légal de coucher avec moi.
Les critiques de cinéma faisaient référence à ma poitrine naissante. J’ai rapidement compris, même à l’âge de 13 ans, que si je m’exprimais sexuellement, je ne me sentirais pas en sécurité et que les hommes se sentiraient autorisés à discuter et considérer mon corps comme un objet, quitte à me rendre mal à l’aise […]

J’ai rejeté tous les rôles où il y avait ne serait-ce qu’une scène de baiser. Je faisais exprès de parler de ces choix dans les interviews, je mettais surtout en valeur mon côté sérieux. Je faisais attention à être élégante, je me construisais la réputation d’être quelqu’un de prude, conservatrice, cultivée, geek, sérieuse […]

Face à ces petits commentaires sur mon corps, face à des déclarations délibérées et menaçantes, je me suis imposée de contrôler mon comportement dans un environnement de terrorisme sexuel »,

Elle conceptualise le message que lui a envoyé le monde du réel à l’enfant de 13 ans qu’elle était :

« A seulement 13 ans, la société m’envoyait un message clair. J’ai ressenti le besoin de cacher mon corps et d’inhiber mes propos et mon travail. Tout ceci dans le but d’envoyer mon propre message au monde : que j’étais quelqu’un qui méritait la sécurité et le respect ».

Je trouve le terme de « terrorisme » particulièrement bien choisie. Le terrorisme a pour objet de créer un climat de terreur, de peur qui paralyse.

Dans beaucoup de témoignages, on ne comprend pas certaines réactions de femmes qui justement sont tétanisées par leur prédateur sexuel, non seulement en raison de ce monstre mais aussi d’un environnement qui tolère cela et qui quelque part ne dit pas : « Ceci est anormal ».

Brigitte Bardot qui fut un temps l’égérie de la liberté sexuelle des femmes critique la dénonciation du harcèlement sexuel dans le monde du cinéma français :

« Concernant les actrices, et pas les femmes en général, c’est, dans la grande majorité des cas, hypocrite, ridicule, sans intérêt. […] Il y a beaucoup d’actrices qui font les allumeuses avec les producteurs pour décrocher un rôle. Ensuite, pour qu’on parle d’elles, elles viennent raconter qu’elles ont été harcelées…  »

Peut-être que certains d’entre vous approuvent ces propos
Peut-être même est-ce vrai dans certains cas.

Mais alors je vous pose la question : « Qui assume la responsabilité la plus importante ? la jeune fille qui aspire à devenir actrice ou l’homme de pouvoir installé qui profite de sa position dominante, de faire ou défaire des carrières et qui s’inscrit dans un environnement où seul le désir masculin compte et que la femme n’est qu’objet qui participe à cette recherche du plaisir égoïste.

Vous comprendrez que mon opinion n’est pas de condamner les jeunes actrices qui ne disposent pas du réseau ou des intermédiaires d’influence pour accéder à l’accomplissement de leur objectif artistique mais de m’élever contre les mâles dominants qui profitent, abusent, salissent.

Ce que j’aime chez Chimamanda Ngozi Adichie, cité vendredi et Natalie Portman c’est leur discours sur le désir et le plaisir partagé.

Natalie Portman, dans le discours du 20 janvier 2018, s’insurge contre les critiques qui voudraient enfermer la parole des femmes dans le puritanisme, la pruderie, alors que la demande est simplement celui d’un désir partagé, d’un plaisir réciproque, d’une écoute de l’un envers l’autre.

Elle rêve d’un monde

« dans lequel je pourrais m’habiller comme je le veux, dire ce que je veux et exprimer mes désirs de la façon dont je le souhaite, sans craindre pour ma sécurité physique ou ma réputation : voilà ce que serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourraient s’exprimer pleinement »,

C’est donc à « une révolution du désir » qu’appelle Natalie Portman comme le fait aussi Chimamanda Ngozi Adichie.

Car tous ceux qui veulent couvrir que ce soit les extrémistes islamiques dans la démesure, que ce soit les bourgeois occidentaux dans ce qu’ils appellent la décence et qui disent « elle l’a bien cherchée » sont prisonniers d’un schéma où le désir masculin est premier et souvent excusable.

Alors qu’« un homme ça s’empêche ou alors ce n’est pas un homme ».

Mais un monde où le désir est réciproque, partagé et consenti est un monde où la civilisation a beaucoup progressé.

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Vendredi 26 janvier 2018

« We should all be feminists Nous devrions tous être féministes ! »
Chimamanda Ngozi Adichie

Hier nous parlions de lynchage. Pour lutter contre les violences faites aux femmes, des personnes égarées ont agi de manière désordonnée et violente engendrant d’autres injustices.

Mais ces excès, ces dévoiements ne changent rien au fond : une terrible violence s’exerce à l’égard du féminin, depuis des siècles, dans toutes les régions et cultures du monde, dans tous les milieux sociaux et professionnels.

Ce sujet de l’injustice et de violence à l’égard des femmes est omniprésent dans mes mots du jour.

J’ai consacré d’abord, début 2016 une série de cinq mots du jour à <La violence faite aux femmes dans l’espace public> à la suite de la vague d’agressions délinquantes pour voler mais aussi à caractère sexuel contre des femmes qui avait été perpétrée dans la ville de Cologne le 31 décembre 2015.

Bien des fois, par la suite je suis revenu sur cette fracture fondamentale de nos sociétés que beaucoup peinent à admettre, à voir et à comprendre.

C’est d’abord dans les mots.

<Dans une vidéo d’une minute Catherine Arditi le montre de manière évidente>

Il suffit de comparer les substantifs dans leur version masculine et dans leur version féminine :

  • Un courtisan, c’est un homme que l’on voit auprès du roi. Une courtisane ? C’est une prostituée.
  • Un entraîneur est valorisé, une entraineuse ? C’est une prostituée.
  • Un professionnel, c’est un homme qui connaît son métier. Une professionnelle ? C’est une prostituée.
  • Un homme facile, c’est un homme agréable à vivre, une femme facile ? C’est une prostituée.
  • Un homme public, c’est un homme connu, une femme publique ? C’est une prostituée.

Nul ne peut penser que ces différences soient le fruit d’un hasard malencontreux.

Mais si les mots traduisent une oppression, un état de fait, ils peuvent aussi être le remède. Les outils qui dévoilent, qui racontent, qui expliquent et qui font progresser.

C’est l’espoir de Chimamanda Ngozi Adichie qui est une écrivaine nigériane, née en 1977.

<Elle est intervenue dans l’émission La grande Table d’hier>

Dans cette émission elle a donné cette définition du féminisme que je partage :

« C’est permettre à chacun de vivre comme un individu à part entière. C’est élever les petits garçons pour qu’ils deviennent des êtres humains, pas des « vrais hommes » »

<Elle était invitée le même jour dans une émission de France Inter>

Elle était de passage à Paris parce qu’elle a été désignée comme marraine de « La nuit des idées » qui est ce rendez-vous dédié à la pensée contemporaine et au partage international des idées initiée par l’Institut français et qui réunit intellectuels et chercheurs. Cette année, le 25 janvier, la troisième édition était consacrée à « L’imagination au pouvoir ».

<L’express l’a également interviewé>

Parce que cette femme africaine est devenue une icône mondiale du féminisme depuis qu’en décembre 2012 elle a prononcé une conférence TEDx, d’une remarquable consistance qui ressemble un peu pour les femmes au discours que Martin Luther King a prononcé pour les noirs « I have a dream ».

La parole qu’on a retenue de cette conférence est celle que j’ai mise en exergue.

Sur Internet, on apprend qu’elle intervient dans l’album de Beyoncé en 2013 sur le titre Flawless dans lequel une partie de son discours We should all be feminists est utilisé.

Vous trouverez une traduction française de cette conférence derrière ce <Lien>

Et si vous préférez l’écouter en version originale en anglais : We shouls all be feminists. Cette version est sous-titrée en français.

Je n’en tire que quelques extraits, mais je pense qu’il est sage de lire l’intégralité de ce discours :

« Les hommes et les femmes sont différents. Nous avons différentes hormones, différents organes sexuels, différentes capacités biologiques. Les femmes peuvent enfanter, pas les hommes. En tout cas pas encore.

Les hommes ont de la testostérone et sont en général plus forts que les femmes. Il y a un peu plus de femmes que d’hommes dans le monde, environ 52% de la population mondiale sont des femmes. Mais la plupart des positions de pouvoir et prestige sont occupées par des hommes. La défunte lauréate kenyane du prix Nobel de la paix, Wangara Maathai, l’a bien dit de façon simple : « Plus vous allez haut, moins il y a de femmes. » […]

De façon littérale, les hommes dirigent le monde et cela avait du sens il y a 1 000 ans car les êtres humains vivaient alors dans un monde où la force physique était l’attribut le plus important à la survie. Une personne plus forte physiquement avait plus de chances de diriger et les hommes, en général, sont plus forts physiquement. Bien sûr, il y a beaucoup d’exceptions.

Mais nous vivons aujourd’hui dans un monde très différent. La personne ayant le plus de chances de diriger n’est pas la plus forte physiquement ; c’est la plus créative, la plus intelligente, la plus innovante et il n’y a pas d’hormones pour ces attributs. Un homme a autant de chances qu’une femme d’être intelligent, d’être créatif, d’être innovant. Nous avons évolué, mais il semble que nos idées du sexe n’ont pas évolué.

[…]

Je suis en colère. Le sexe tel qu’il fonctionne aujourd’hui est une grave injustice. Nous devrions tous êtes en colère. Ma colère a une longue tradition d’entraîner le changement positif, mais en plus d’être en colère, j’ai aussi espoir. Car je crois profondément en la capacité des êtres humains à s’inventer et se réinventer pour le meilleur.

Le sexe compte partout dans le monde, mais je veux me concentrer sur le Nigeria et sur l’Afrique en général car c’est ce que je connais et c’est là que mon cœur est. Aujourd’hui, j’aimerais demander à ce que nous commencions à rêver et prévoir un monde différent, un monde plus juste, un monde d’hommes et de femmes plus heureux et plus eux-mêmes. Voici comment démarrer : nous devons élever nos filles différemment. Nous devons aussi élever nos fils différemment. Nous faisons beaucoup de tort aux garçons en les élevant ; nous étouffons l’humanité des garçons. Nous définissons la masculinité de façon très étroite, elle devient cette petite cage rigide et nous mettons les garçons dans cette cage. Nous apprenons aux garçons à craindre la peur. Nous apprenons aux garçons à craindre la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à cacher qui ils sont vraiment car ils doivent être, comme on le dit au Nigeria, « des hommes durs ! » Au collège, un garçon et une fille, tous deux adolescents, ayant tous deux autant d’argent de poche, sortiraient et on s’attendrait à ce que le garçon paye toujours pour prouver sa masculinité. Et on se demande pourquoi les garçons risquent plus de voler leurs parents.

Et si les garçons et les filles étaient élevés pour ne pas lier l’argent à la masculinité ? Et si l’attitude n’était pas « le garçon doit payer » mais plutôt « celui qui a le plus d’argent doit payer » ? Bien sûr, du fait de cet avantage historique, ce sont surtout des hommes qui auront plus d’argent, mais si nous commençons à élever nos enfants différemment, dans 50 ou 100 ans, les garçons n’auront plus la pression de devoir prouver leur masculinité. De loin la pire chose que nous faisons aux hommes, en leur donnant l’impression de devoir être durs, est de les laisser avec des egos très fragiles. Plus un homme croit devoir être « dur », plus son ego est faible.

Nous faisons encore plus de tort aux filles car nous les élevons pour restaurer l’ego fragile des hommes. Nous apprenons aux filles à se rétrécir, à se diminuer, nous disons aux filles : « Tu peux avoir de l’ambition, mais pas trop. »

« Tu devrais avoir pour objectif de réussir, mais pas trop sinon tu menacerais l’homme. » Si tu es le gagne-pain dans ta relation avec un homme, tu dois prétendre ne pas l’être, surtout en public, sinon tu vas l’émasculer. Et si nous remettions en question le postulat ? Pourquoi le succès d’une femme devrait-il menacer un homme ? Et si nous décidions de nous débarrasser de ce mot ? Je ne crois pas qu’il y ait un mot que j’apprécie moins qu’« émasculation ».

[…]

Au Nigeria, les hommes et les femmes diront — c’est une expression qui m’amuse beaucoup — « Je l’ai fait pour avoir la paix dans mon mariage. » Quand les hommes le disent, il s’agit en général de quelque chose qu’ils ne sont pas censés faire.

Ils le disent parfois à leurs amis, ils le disent à leurs amis d’une façon profondément exaspérée, qui, ultimement, prouve leur masculinité, qu’ils sont nécessaires, aimés. « Ma femme m’a dit de ne pas sortir tous les soirs. Pour la paix dans mon mariage, je ne sors que le week-end. »

Quand une femme dit « Je l’ai fait pour avoir la paix dans mon mariage », elle parle souvent de laisser tomber un emploi, un rêve, une carrière. Nous apprenons aux femmes que dans les relations, les femmes font des compromis. Nous apprenons aux filles à se considérer comme rivales — pas pour un emploi, des accomplissements, ce qui peut être positif, mais pour l’attention des hommes. Nous leur apprenons qu’elles ne peuvent pas être sexuées comme les garçons. Avoir connaissance des copines de nos garçons n’est pas gênant. Mais les copains de nos filles ? Dieu nous en préserve.

[…]

Je veux être respectée dans toute ma féminité parce que je le mérite. Le sexe n’est pas une conversation facile. Pour les hommes et les femmes, aborder le sexe est parfois reçu avec une résistance immédiate.

[…]

Je suis une féministe. Quand j’ai cherché le mot dans le dictionnaire ce jour-là, voici ce que cela disait : « Féministe : une personne qui croit en l’égalité sociale, politique et économique des sexes. » Mon arrière-grand-mère, de ce que j’en ai entendu, était une féministe. Elle a fui la maison de l’homme qu’elle ne voulait pas épouser et a fini par épouser l’homme de son choix. Elle a refusé, protesté, s’est exprimée quand elle se sentait privée d’un accès, d’un terrain, ce genre de choses.

Mon arrière-grand-mère ne connaissait pas le mot « féministe » mais cela ne veut pas dire qu’elle n’en était pas une. Nous devrions être plus nombreux à reconquérir ce mot. Ma propre définition de féministe est : « Un féministe est un homme ou une femme qui dit : « Oui, il y a actuellement un problème avec le sexe et nous devons y remédier. Nous devons faire mieux. » Le meilleur féministe que je connais est mon frère Kene. C’est aussi un homme gentil, beau et adorable et il est très masculin. »

Chimamanda Ngozi Adichie est une femme d’une intelligence rare, d’une humanité irradiante.

Dans l’émission de France Inter elle a dit :

« Aux garçons […] Il faut donner les mots de l’émotion, il faut les autoriser à être vulnérable. »

On a appris aux jeunes garçons : « Sois un homme », ce qui signifie : « Ne pleure pas, ne montre pas ton émotion ».

Alors qu’il faudrait leur apprendre les mots du Père de Camus : « Un homme ça s’empêche ».

Et dans cette expression, l’homme signifie « l’humain », pas seulement les mâles de l’espèce

Chimamanda Ngozi Adichie dispose d’un site internet : https://www.chimamanda.com/

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Lundi 4 décembre 2017

« Une parole purement humaine qui fait du bien dans ce temps que nous traversons »
Ahmed Madani,auteur du spectacle « F(l)ammes » lors de l’émission de France Culture du 2 décembre 2017

La vie est jalonnée de rencontres.
Mais pour que la rencontre soit féconde, il faut bien sûr être mis en présence et surtout être disponible et ouvert à la consistance de l’échange.
Cela est vrai pour les rencontres entre humains pour lesquelles il faut avoir la sagesse de comprendre qu’elles ne peuvent pas avoir toujours la même intensité.
Cela est vrai pour les rencontres avec les œuvres d’art ou de l’esprit.

Plusieurs fois, mon butinage a croisé le chemin d’un spectacle : « F(l)ammes », mais je ne m’étais jamais arrêté pour ouvrir mon esprit à ce que ce spectacle avait à nous dire.
Et ce samedi matin, sur France Culture la rencontre d’éveil a eu lieu pour moi : Ahmed Madani était l’invité de Caroline Broué.

Ahmed Madani est metteur en scène et aussi auteur. C’est lui qui a conçu la pièce, F(l)ammes, qui met en scène des récits de vie de jeunes femmes issues de l’immigration. Sur scène elles sont dix jeunes femmes qui viennent raconter un bout de leur vie, faire part d’une petite brimade, d’une inégalité qui leur a été faite en raison de leur origine, de leur nature de cheveu, de leur couleur de peau ou de leur sexe.

Au début de l’émission Ahmed Madani se présente et décrit le spectacle de la manière suivante :

« Je suis un auteur de mon temps.
J’ai commencé en 2012 avec « Illuminations », avec rien que des garçons. J’ai posé la question des classes populaires du point de vue des hommes. Et puis j’ai engagé la réflexion pour savoir ce qui se passe du côté des femmes. Qui pour la plupart du temps sont silencieuses, ne prennent pas la parole.

Elles ne sont pas souvent dans les espaces publics, mais qui en même temps ont beaucoup de choses à dire, pour qu’on prenne le temps de les écouter et de faire apparaître au grand jour cette parole. […] »

Ahmed Madani est né en 1952 en Algérie, il est psychothérapeute de formation. Wikipedia le présente ainsi :

Il réalise un théâtre dont la pierre angulaire est le rapport au sociétal et écrit aussi bien en direction de la jeunesse que des adultes. Il engage une recherche sur de nouvelles formes de création en milieu urbain en prenant en compte les diversités des composantes de la société française. Il s’adresse à tous les publics et prend en compte de façon significative la jeunesse. Dans cette démarche d’ouverture à tous les publics il inscrit ses réalisations dans les théâtres aussi bien que dans des lieux improbables : entrepôts, magasins inoccupés, immeubles abandonnés, haras. Son écriture se nourrit souvent de faits de société : le rapport à la terre, à la transmission, à la mémoire.

On apprend aussi que s’il travaille avec des acteurs professionnels, il réalise également des œuvres avec des non professionnels et même avec des enfants et des adolescents. Ce qui est le cas pour cette pièce : F(l)ammes. Dans un article de Telerama il fait remarquer que le titre met « l » ou « Elle » entre parenthèses. Il dit avoir choisi de « mettre le « l » entre parenthèses pour les désigner « elles » et leurs « ailes ». Car F(l)ammes, dit-il, c’est le feu de la vie ».

Dans l’émission de France Culture, il explique comment les actrices ont été choisies et le spectacle a débuté :

« J’ai passé deux années à organiser des petits ateliers de rencontre dans plusieurs villes et où je laissais entendre qu’il y avait une proposition de spectacle qui pourrait avoir lieu deux ou trois ans plus tard. Et le principe était de venir à ma rencontre en toute simplicité, sans avoir d’expérience théâtrale. Sans avoir de désir particulier d’être une artiste, mais simplement d’avoir envie de prendre la parole. J’ai envie de partager mon histoire avec d’autres. »

Cependant, pour choisir ces femmes il a dit lui-même qu’il a fait volontairement une discrimination. Il n’a choisi que des femmes qui vivent dans des quartiers périphériques et qui ont des parents qui sont venus d’ailleurs.

« On se rencontrait en petits groupes. Et souvent je me mettais presque en retrait. Je lançais des sujets et puis j’écoutais. Nous avons eu des moments d’échange d’une grande puissance qui aurait pu faire des spectacles à eux seuls.

Donc on parle, on parle on parle et puis de temps en temps on va sur le plateau et on va raconter une histoire à quelqu’un d’autre, on va imiter son père, imiter sa mère.

Je passe comme ça de groupe en groupe, ça dure deux ans. Et à un moment donné, il est temps de s’avancer pour lancer l’aventure proprement dite sur la scène. Et là je reviens vers un » trentaine d’entre elles (il avait auditionné plus d’une centaine) à qui j’écris, j’ai d’ailleurs écrit à toutes, une correspondance et nous avons échangé. Puis il en est resté d’abord quinze puis les dix qui font le spectacle. »

Le spectacle a été créé, en novembre 2016, à Sevran, ville sans théâtre et où le spectacle a été produit à la salle des fêtes avec des moyens précaires. Ville sans théâtre mais avec une vie associative magnifique dit Ahmed Madani. Elles ont créé ce spectacle dans cette ville pauvre avec le soutien du maire et du conseil municipal qui se déclaraient certains que la culture était une arme pour s’élever et s’en sortir.

Par la suite ce spectacle a été joué dans des salles parisiennes (Maison des Métallos) et dans toute la France, et en juillet 2017 au Festival d’Avignon. Et cela continue.

Dans l’émission de France Culture, Caroline Broué lui demande quels ont été les moments les plus marquants de cette expérience pendant l’année de tournée :

« Dans de nombreuses salles, il y a eu une volonté de prise de paroles et d’échange après la représentation. Par exemple, parfois, on se retrouve dans un théâtre où on a l’impression que le spectacle ne passe pas. Il n’y a aucune réaction dans la salle. Les filles donnent leur représentation et elles sont un peu inquiètes. Et à la fin du spectacle il y a une rencontre et là, les ¾ de la salle restent, et le débat s’engage et c’est très puissant ce qui se passe. Parce que dans cette représentation-là, il y avait plutôt une écoute, une attention où les paroles de chacune d’entre elles étaient bues par le public.

Et puis dans d’autres endroits, c’est une sorte de puissance à la fin de la représentation, la salle se dresse pour un standing ovation.

On a joué une série de représentations au « Grand T » à Nantes où on a répété le spectacle. C’était incroyable. C’est une ville extrêmement ouverte et au fur et à mesure qu’on donnait le spectacle, le bouche à oreille a fonctionné. De sorte que lors des dernières représentations, la salle savait ce qui se disait à la fin du spectacle et [réagissait par anticipation].

Ce qu’il y a d’extraordinaire avec les spectateurs, qu’ils soient jeunes, qu’ils soient vieux, qu’ils soient hommes, qu’ils soient femmes, qu’ils vivent dans les quartiers populaires ou au contraire qu’ils soient « bobos », on a l’impression qu’il y a une parole qui s’échange au-delà de la condition sociale, de la condition historique de ces jeunes femmes et qui est une parole purement humaine qui fait du bien dans ce temps que nous traversons. Ce temps qui est un temps trouble, difficile, qui est brumeux qui laisse penser qu’il n’y a pas beaucoup d’espérance. Or le spectacle est une ode à l’espérance, c’est une ode à la joie de vivre, c’est une ode à la capacité des femmes de pouvoir entreprendre, de pouvoir participer à la construction d’un nouveau monde.

Je pense que cela est vraiment perçu, par ceux qui viennent voir le spectacle. Et donc, le bouche à oreille est très fort.

Il nous est arrivé de jouer dans un théâtre où on fait un premier spectacle et où on nous dit que pour le lendemain peu de places ont été vendues, cela n’a pas marché. On joue la première représentation et le lendemain, la salle est archi-comble, parce que très vite l’information se transmet et qu’on a envie de participer à ce moment-là qui est au-delà d’un moment de théâtre. C’est vraiment, un moment de vie, un moment de partage et un moment où en tant que spectateur on a envie d’être là, de dire qu’on existe aussi à travers les récits qui sont dits sur le plateau. »

Caroline Broué exprime l’avis suivant :

«  Ces dix femmes ne sont pas des actrices, elles ne sont pas des professionnelles, vous en avez fait des actrices. […] Elles ont une puissance volcanique et solaire absolument impressionnant. Le spectacle repose sur les textes, sur les récits, sur la mise en scène que vous faites et beaucoup sur ces dix femmes. »

Depuis qu’il existe, ce spectacle a fait l’objet des critiques les plus élogieuses : <Le Parisien> :

« F(l)ammes est un spectacle poignant et subtil, émouvant et drôle, devant lequel on ne cesse d’osciller entre allégresse et bouleversement. »

Le spectacle a aussi été donné à Genève :

« En ces temps particulièrement houleux, où les discours populistes se développent et où les replis identitaires, les peurs archaïques refont surface, la parole de ces « f(l)ammes », trop souvent confisquée, nous éclaire, nous embrase. »

Actuellement, le spectacle joue à la Cartoucherie de Vincennes, au théâtre de la Tempête jusqu’au 17 décembre puis repartira en tournée.

Annie et moi avons pris deux places à l’Espace Camus de Bron où le spectacle viendra en février 2018.

<Vous trouverez ici une page de France Culture plus ancienne avec des extraits du spectacle>

Un livre regroupant les textes est paru également à <Actes Sud>

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Vendredi 17 novembre 2017

« C’est l’époque qui veut ça. »
Réflexion d’une journaliste à Nicolas Bedos qui après lui avoir demandé à tous prix le nom d’un homme ayant dérapé avec une femme, a réagi à l’étonnement de ce dernier devant cette insistance.

Depuis l’affaire Weinstein la parole des femmes s’est libérée.

J’en suis, pour ma part, très satisfait.

La violence faite aux femmes reste immense, de petites violences comme des grandes. Et beaucoup d’hommes ne comprennent même pas certaines de ces violences, dans leur esprit il s’agit souvent d’humour ou de légèreté.

Mais je crois que comme dans toute chose, il peut exister des dérapages.

Souvent je ne suis pas très convaincu par le fils Bedos.

Mais pour une fois, j’ai trouvé un article qu’il a publié sur le <Huffington Post> plein d’intelligence et de mesure.

Je vous en donne les principaux éléments :

« Il se trouve qu’avant-hier, je reçois sur Facebook le message d’une journaliste que je connais un peu et qui, par ailleurs, a toute ma sympathie. Elle travaille pour le site d’un célèbre magazine et me demande, sans sourciller, si je n’aurais pas « en magasin quelques infos croustillantes concernant des agressions sexuelles commises dans le milieu du showbiz ». C’est la troisième journaliste à me poser cette question. Je lui réponds que « non, des types lourds, il y en a, oui, des producteurs un peu foireux obligés –croient-ils- de faire miroiter des rôles pour draguer les nanas, oui, à la pelle, sans doute, mais des agressions, des tentatives de viols, que je sache, non, pardon, je suis vraiment navré de ne pouvoir vous rendre service! ». Elle insiste, « Même pas un dérapage? Oh vous avez bien quelques noms… ». Par curiosité, je lui demande ce qu’elle range dans la case « dérapage ». « Je ne sais pas, m’explique-t-elle, vous avez plein de copines actrices, y en a bien une qu’un type connu aurait chauffée de façon insistante, ça va du pelotage de nichons à la grosse main au cul, des gestes déplacés, en boîte, quand vous sortez, des types qui proposent des partouzes… ». Et elle de conclure, comme s’il s’agissait d’un échange d’autocollants dans une cour de récré: « Votre nom ne sera pas cité et je vous revaudrai ça… Réfléchissez, je vous en supplie, un seul nom me suffira ».

Je dois avouer qu’à ce moment-là, j’ai été pris d’un petit vertige, mêlant colère et inquiétude face au monde qu’elle dessinait.

Après cette sollicitation qui le choque, il écrit à la personne qui lui demande un nom

« Chère X, à quoi jouez-vous exactement? S’agit-il pour vous d’un jeu? D’une chasse? Quel est le but? Libérer la parole des victimes d’agressions ou trafiquer du clic pour vos médias malades? Est-ce chipoter sur les vertus d’une parole libérée que de déplorer cette façon de tout mélanger avec une gourmandise obscène, prenant le risque de discréditer un combat salutaire et d’offenser les vraies victimes? Dans le même sac d’indignité: les agressions, les tentatives de viol et les dragues de lourdingues? Confondus: les traquenards de pervers et les soirées libertines, les prédateurs et les machistes? Sommes-nous prêts à salir l’honneur de gens dont le seul tort serait d’être pathétique? Va-t-on judiciariser la nullité et la connerie? Dans votre boîte à « porcs » célèbres, sautant à pieds joints sur le traumatisme des victimes, pourquoi n’iriez-vous pas jusqu’à dénoncer les infidèles notoires (l’infidélité n’est-elle pas ressentie par la personne trompée comme un profond traumatisme)? Et, partant de là, non contents de nourrir une guerre des sexes apparemment fort lucrative, que fait-on des drogués, des acteurs tyranniques et des metteurs en scènes obsessionnels, ceux-là qui vexent leurs équipes, leurs assistants, leurs proches (et –qui sait- leur conjoint)? Et les radins, chère X? C’est minable d’être radin, non? Voulez-vous que je vous dresse la liste de celles et ceux qui se font gifler pour lâcher trois euros alors qu’ils gagnent un max?

Pardonnez ma colère mais je ne supporte plus cette curée moyenâgeuse qui, sous prétexte d’un monde plus sain -plus juste, plus respectueux, plus égalitaire, bref, meilleur- nous monte les uns contre les autres et nous transforme, sinon en gibier, du moins en braconnier de son voisin ».

La journaliste lui répond :

« Après deux heures de silence, elle a fini par me répondre: « En gros, je suis d’accord avec vous. Mais c’est un cycle. C’est l’époque qui veut ça. »

Et Nicolas Bedos de livrer une analyse que je partage :

« Pour les milliers de pisse-froid qui m’intenteraient ce procès, je m’empresse de rappeler que j’applaudis à quatorze mains toutes celles dont la parole libérée a permis de libérer celles de nombreuses victimes anonymes, décourageant peut-être l’assaillant qui sommeille dans la caboche pervertie de petits et grand patrons tapis dans leur bureau. Ces femmes, je les soutiens avec d’autant plus de vigueur que certaines sont des amies et que je sais les supplices qu’elles ont pu endurer. Ni l’argent ni le pouvoir ne permet d’abuser du corps de quiconque sur cette terre. Un monde libre, c’est un monde où les femmes sauront que les hommes sauront qu’en tentant d’abuser d’elles ils seront punis. Un monde libre, c’est ce monde où les femmes devraient pouvoir refuser n’importe quelle proposition graveleuse sans que leur carrière professionnelle puisse en être affectée. C’est un monde où ma petite sœur, mes amies, ma fiancée et toutes les autres pourront se balader dans la tenue de leur choix sans qu’un connard s’arroge le droit de leur parler, de les regarder ou de les toucher comme si elles méritaient d’être traitées comme des jouets.

Un monde libre, c’est AUSSI un monde où on aurait le droit d’exprimer publiquement ses craintes quant aux dérives liberticides que semblent autoriser les combats de société. Il n’y a pas qu’un seul discours, jamais. Ceux qui le prétendent sont des tyrans[…]

Un monde libre, c’est d’abord un monde où un adulte ne cherche pas à se taper un adolescent, certes (quel taré dirait le contraire?), mais c’est aussi un monde où on ne condamne pas les gens sans enquête, sans procès, sur des déclarations balancées par un type vingt ans plus tard sur internet. […] »

Il existe des excès dans tous les domaines, il existe même des excès quand les causes sont justes.

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Mercredi 18 octobre 2017

«Notre rôle est encore plus important quand le système légal ne remplit pas sa mission auprès des vulnérables confrontés aux puissants. Souvent les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte. » Ronan Farrow
Ronan Farrow

Ronan Farrow est l’auteur de l’enquête de dix mois, publiée dans le New Yorker, qui a provoqué la chute du producteur de Hollywood : Harvey Weinstein.

Ronan Farrow est le fils de Woody Allen et Mia Farrow, ce qui explique sans doute pour partie, selon la correspondante du Monde à San Francisco, Corine Lesnes, la facilité avec laquelle les victimes se sont confiées à lui.

Dans l’Express on peut lire :

« [Ronan Farrow] n’est pas le premier à raconter l’envers fétide du rêve hollywoodien. Mais pour lui, c’est une affaire de famille. Celle d’un père prestigieux, Woody Allen, dont il ne cesse de dénoncer, de tweets en tribunes ou en plateaux télé, les dérapages sexuels, notamment commis selon lui aux dépens de sa soeur, Dylan Farrow. Et s’il voue une rancune particulière au milieu du cinéma, s’il l’observe avec une telle défiance et y a plongé ses antennes, c’est parce que le tout Hollywood a pris fait et cause pour son père au moment de son divorce d’avec sa mère, la non moins prestigieuse Mia Farrow.

[Rappel des faits] : en 1997, après 12 ans de mariage, Mia Farrow et Woody Allen se séparent, dans une ambiance électrique. Le réalisateur a quitté la mère pour épouser sa fille, Soon-Yi Previn, que Mia Farrow a adopté avec son mari précédent, le chef d’orchestre André Previn.

L’affaire déchire les Etats-Unis, les proches du couple et la famille elle-même. Les uns prennent parti pour Woody Allen, les autres pour l’épouse trahie et abandonnée. Parmi les premiers, une grande majorité des comédiens, metteurs en scènes et producteurs américains. Parmi les seconds, Ronan Farrow, qui ne leur pardonnera jamais, pas plus qu’il ne pardonnera à son père.

[…] Depuis le divorce, Ronan Farrow est le plus acharné détracteur de son père officiel. En 2012, pour la fête des pères, il poste sur twitter ce commentaire corrosif: « Bonne fête des pères. Ou, comme on dit dans ma famille, bonne fête des beaux-frères » – ce qu’est devenu Woody Allen pour lui en se mariant à sa demi-soeur.

Comme lorsque, avocat fraîchement émoulu de la Yale Law School, il défendait à l’Unicef les droits des femmes et des enfants au Darfour, puis auprès du couple Obama au Pakistan et en Afghanistan, c’est donc sans doute à son histoire familiale que Ronan Farrow doit son irrépressible besoin de dénoncer les abus de pouvoir des obsédés sexuels d’Hollywood.

Bizarrement, sa dernière croisade, comme journaliste de luxe pour la chaîne de télévision MSNBC ou le très chic magazine New Yorker, lui a causé plus de désagréments que tous ses engagements précédents réunis. En s’attaquant au « mogul » Weinstein, il a dû résister à la pression de la très efficace machine à dissimuler les scandales lancée contre lui par l’industrie cinématographique américaine. Celle-là même qui, jusqu’à très récemment, en les achetant ou en les menaçant, avait privé de parole les nombreuse victimes du baron pervers d’Hollywood. »

Une autre affaire de famille que ce mariage entre Woody Allen et sa fille adoptive qui constitue selon la morale commune un inceste, oppose Rian Farrow et son père.

Une autre fille adoptive de Woody Allen et Mia Farrow, Dylan Farrow accuse son père d’avoir pratiqué des attouchements sexuels à son encontre, à l’âge de 7 ans et de l’avoir violé.

Nous lisons dans le Figaro :

« Ces mêmes agissements qui dénoncent Dylan Farrow, sa sœur et l’autre fille adoptive du réalisateur. Celle-ci avait décrit dans Vanity Fair des scènes d’attouchements causées par son père lorsqu’elle avait sept ans.

En 2014, Ron joue d’ailleurs les trouble-fête lors de la cérémonie des Golden Globes, qui récompense alors son père pour l’ensemble de carrière. Il publie ce tweet cinglant: «J’ai raté l’hommage à Woody Allen. Ont-ils évoqué la fois où une femme a publiquement confirmé qu’il l’avait agressée à 7 ans avant ou après avoir cité Annie Hall?». L’affaire atteint son paroxysme avec la publication, un mois plus tard, d’une lettre ouverte de Dylan Farrow qui affirme publiquement avoir bel et bien été violée par son père.

Dans une tribune publiée dans le Hollywood Reporter en mai 2015, juste avant l’ouverture du festival de Cannes assurée par le cinéaste avec L’Homme irrationnel, Ronan Farrow dénonce la «culture du silence et de l’impunité qui entoure son père». Il s’attaque aussi aux médias, incapables selon lui de révéler la vérité au grand jour.

«Ce soir, écrit-il alors, le Festival de Cannes s’ouvre avec un nouveau film de Woody Allen. Il sera entouré de stars, mais ils peuvent tous être tranquilles et faire confiance à la presse pour ne pas leur poser de questions dérangeantes. Ce n’est pas le moment, ce n’est pas l’endroit, ça ne se fait pas.»

Il faut rester prudent, Woody Allen a toujours nié les faits de viol contre Dylan Farrow et il n’a pas été prouvé qu’il a réellement pratiqué ces actes. Il ne peut être définitivement écarté que ces accusations aient été « fabriquées » par le clan Mia Farrow après la première transgression de Woody Allen qui a épousé la fille adoptive de sa compagne.

Dans le monde cependant, Ronan Farrow estime que la presse ne saurait s’exonérer de l’écoute des victimes au motif qu’il n’y a pas de plainte.

« Notre rôle est encore plus important quand le système légal ne remplit pas sa mission auprès des vulnérables confrontés aux puissants, écrit-il. Souvent les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas porter plainte. Le rôle d’un reporter est celui de porteur d’eau pour elles. »

Selon lui, une nouvelle génération de médias, « libérés des années de journalisme d’accès », commence à enquêter sur les agressions sexuelles commises par les « moguls » d’Hollywood ou d’ailleurs. « Les choses changent », assure-t-il.

Il y a peu, un échange avec mon ami Albert rappelait aussi les actes de viol de Roman Polanski à l’égard de femmes mineures. Ils continuent à jouir de la plus grande estime des milieux culturels français.

Il est essentiel de sortir de cette culture de l’impunité et de la culture du viol qui est resté longtemps une réalité tue et niée.

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Mardi 17 octobre 2017

« Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue »
Pablo Neruda

Pablo Neruda est un des plus grands écrivains de l’histoire d’Amérique du sud. Il obtient le Prix Nobel de littérature le 21 octobre 1971. Homme de gauche, il soutint Salvador Allende et mourut le 23 septembre 1973, 12 jours après le coup d’état qui renversa le gouvernement légitime du Chili. Certains soutiennent la thèse qu’il a été assassiné par une injection létale pendant un séjour à l’hôpital pour soigner son cancer de la prostate.

C’est une référence dans le camp de celles et ceux qui se réclament de gauche ou du camp du progrès pour prendre une terminologie actuelle.

Il a écrit un livre autobiographique « J’avoue que j’ai vécu » qui est paru en 1974, à titre posthume.

Dans ce livre, « l’homme moyen », Pablo Neruda raconte un fait :

« Mon bungalow était situé à l’écart de toute vie urbaine. Le jour où je le louai j’essayai de savoir où se trouvaient les lieux d’aisances, que je ne voyais nulle part. En effet, ils se cachaient loin de la douche, vers le fond de la maison.

Je les examinai avec curiosité. Une caisse de bois percée d’un trou en son milieu les constituait, et je revis l’édicule de mon enfance paysanne, au Chili. Mais là-bas les planches surmontaient un puits profond ou un ruisseau. Ici la fosse se réduisait à un simple seau de métal sous le trou rond.

Chaque jour, par je ne savais quel mystère, je retrouvais le seau miraculeusement propre. Or un matin où je m’étais levé plus tôt qu’à l’accoutumée, le spectacle qui s’offrit à moi me confondit.

Par le fond de la maison et pareille à une noire statue en mouvement, je vis entrer la femme la plus belle que j’eusse aperçue jusqu’alors à Ceylan, une Tamoul de la caste des parias. Un sari rouge et or de toile grossière l’enveloppait. De lourds anneaux entouraient ses pieds nus. Sur chacune de ses narines brillaient de petits points rouges, verroteries ordinaires sans doute mais qui prenait sur elle des allures de rubis.

D’un pas solennel elle se dirigea vers les cabinets, sans me regarder ni même avoir l’air de remarquer mon existence, conservant sa démarche de déesse, s’éloigna et disparut avec sur la tête le sordide réceptacle.

Elle était si belle qu’oubliant son humble fonction, je me mis à penser à elle. Comme s’il se fût agi d’une bête sauvage, d’un animal venu de la jungle, elle appartenait à un autre monde, à un monde à part. Je l’appelais sans résultat. Plus tard, il arriva de lui laisser sur son chemin un petit cadeau, une soierie ou un fruit. Elle passait indifférente. Sa sombre beauté avait transformé ce trajet misérable en cérémonie obligatoire pour reine insensible.

Un matin, décidé à tout, je l’attrapais avec force par le poignet et la regardait droit dans les yeux. Je ne disposais d’aucune langue pour lui parler. Elle se laissa entraîner sans un sourire et fut bientôt nue sur mon lit. Sa taille mince, ces hanches pleines, les coupes débordantes de ses seins l’assimilaient aux sculptures millénaires du sud de l’Inde. Notre rencontre fut celle d’un homme et d’une statue. Elle resta tout le temps les yeux ouverts, impassible. Elle avait raison de me mépriser. L’expérience ne se répéta pas. »
Pages 151 et 152 dans la collection Folio

Que raconte cet épisode ?

C’est un viol, c’est un crime !

Les deux dernières phrases semblent indiquer que Pablo Neruda n’est pas très fier de ce qu’il a fait.
Mais ce qu’il exprime, dans cette modeste contrition, pourrait se comprendre si voyant un gâteau particulièrement appétissant, il l’avait volé et mangé sans le payer.

Nous ne sommes pas ici, à ce niveau de « chapardage ».
Il raconte tranquillement son crime, il a violé cette pauvre femme qui n’a pas réagi devant cet homme blanc comme une esclave devant son maître.

Et Pablo Neruda ne se rend absolument pas compte de l’immensité de sa faute.

C’est cela la « culture du viol », il n’y a pas de juste appréciation de l’acte, un vague remord d’être allé un peu trop loin.

La rencontre d’un homme et d’une statue… d’un objet.

C’est cela aussi le viol, réduire dans son comportement la femme à un objet de plaisir.

Après avoir subi ce crime, qu’est devenue cette femme ?

Comment vit-on dans sa culture quand on est une femme et qu’on a été violée ?

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Lundi 16 octobre 2017

« La zone grise du consentement et la culture du viol»
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII

Tous nos journaux sont pleins du scandale du producteur Harvey Weinstein qui était tout puissant à Hollywood et qui en profitait pour contraindre des actrices à des relations sexuelles dont elles ne voulaient pas.

Ce scandale éclabousse beaucoup de monde, Barack Obama qui a accepté le soutien financier du prédateur, la France qui lui a décerné la légion d’honneur.

Ces contraintes, ces actes non consentis sont des viols, le viol est un crime.

Mais certains introduisent la notion de « zone grise du consentement ». Je vous rappelle que concernant le viol de la jeune enfant de 11 ans que j’ai évoqué le mercredi 27 septembre, les policiers et le procureur n’ont pas voulu utiliser ce terme approprié parce que le refus de l’enfant n’était pas explicite, c’est au cœur de cette « zone grise ». Le producteur prédateur peut aussi tenter cette défense devant des femmes qui attendaient de lui d’obtenir le rôle qui les rendrait célèbre et n’osaient pas repousser cet homme si puissant.

Des journaux libèrent la parole pour mettre des mots derrière cette réalité que le male de l’espèce homo sapiens a un problème de comportement à l’égard de son alter ego féminin.

Le site Rue 89 publie un article très instructif : « J’ai fini par céder » > :

L’article décrit d’abord un évènement qui ne peut avoir d’autre qualification que « viol »

Mais, étant donné des siècles de culture et de culpabilisation de la femme, souvent les femmes ont du mal à définir le fait par les termes appropriés :

«  Pour elle, ce ne sont pas des viols, « plutôt des énormes malentendus » avec « des gens qui n’étaient pas violents, plutôt très axés sur eux et qui ne se posaient pas la question de mon consentement ».

Un problème de consentement ! Oui c’est tout à fait cela, mais en agissant ainsi l’agresseur renvoie la victime à un statut d’objet et cela est un crime !

Et la femme qui a été victime du viol cité ci-avant, racontait cette histoire en rigolant et avec une bonne dose de culpabilité :

« Ils devaient se dire ‘tant qu’elle est là dans mon lit c’est open bar’, et je n’ai pas bataillé beaucoup pour le convaincre de l’inverse. Parce que je me disais ‘ça va être chiant, il va gueuler’, etc. »

Les journalistes ont alors lancé un appel à témoignage et exploré le concept de « la zone grise du consentement ». Les journalistes expliquent très justement :

« Disons-le tout de suite. Ce terme nous pose un problème, car il sous-entend que le consentement est quelque chose de compliqué, alors que quand ce n’est pas oui, c’est non.  On a utilisé ce terme parce que si on avait sollicité des témoignages de viols, tous ces cas considérés comme limites, flous, auraient été passés sous silence. Plus de 200 histoires nous sont parvenues, écrites dans une écrasante majorité par des femmes, dans des relations hétéros. »

Et beaucoup des témoignages recueillis ont du mal à mettre le mot « viol » sur les faits racontés, elles inventent même un concept paradoxal : « viol consenti ».

L’article explique très justement :

« On ne le dit peut-être pas assez : un viol n’est pas qu’un acte sexuel imposé face auquel la victime a crié « non ». Il peut y avoir viol sans manifestation explicite d’un refus, parce que la victime est paralysée par ce qui lui arrive, inconsciente ou pas en état de donner un consentement éclairé (droguée, alcoolisée…). Ce qui compte pour la justice est le consentement au moment des faits (et pas deux heures avant).

Un viol n’est pas non plus ce qu’en dit l’imaginaire collectif (une ruelle sombre ou un parking souterrain, par un inconnu menaçant d’un couteau). 83% des femmes victimes de viol ou de tentative de viol connaissent leur agresseur. »

La zone grise du consentement est avant tout un leurre, une supercherie utilisée pour obtenir une sorte de « circonstance atténuante ».

La zone grise, en creux, nous amène à la méconnaissance qui entoure la définition du viol et de sa représentation.
Jean-Raphaël Bourge, chercheur à Paris-VIII qui travaille sur le consentement sexuel, parle d’une « zone de refuge pour les violeurs, qui s’abritent derrière une ambiguïté ».

Pour [lui], la véritable « zone grise », ce flou du consentement concerne des « cas très rares », « mais elle est considérablement étendue par ceux qui veulent empêcher les femmes de disposer de leur corps, et on la laisse exister en rendant par exemple très difficile le fait de porter plainte pour viol ». Car la « zone grise » profite à la « culture du viol », et la nourrit.

« J’en ai tellement marre des zones grises », lâche la réalisatrice féministe Lena Dunham, dans un génial épisode de la saison 6 de « Girls », illustrant la culture du viol.

Nous sommes dans une mystification qui s’inscrit dans ce que ce chercheur appelle : « la culture du viol »

Pour illustrer la culture du viol, Jean-Raphaël Bourge parle des manuels d’éducation à la sexualité du XIXe siècle, où on conseillait aux femmes « de résister pour mieux céder ». Citons aussi le porno ou les scènes de film et de série où « la fille finit par céder sous les baisers de son agresseur… hum… séducteur ».

L’article est intéressant, détaillé et s’appuie sur de nombreux témoignages pour vider de sa substance cette zone grise du consentement pour en arriver à une conclusion qui me semble simple et pertinente :

« Qui ne dit mot ne consent pas !
Au moindre doute sur les envies de l’autre, ce n’est pas compliqué : il faut poser la question. »

Les journalistes qui ont écrit <cet article> sont Emilie Brouze et Alice Maruani

Et puis, il faut toujours revenir à la définition d’un homme donné par le père d’Albert Camus : «Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »

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Vendredi 15 septembre 2017

« Un homme imaginaire montre le sexisme »
Penelope Gazin et Kate Dwyer

Depuis le début de la semaine j’ai parlé de la manière dont les mâles de l’espèce homo sapiens considéraient et traitaient les femelles de l’espèce.

Hier, j’ai évoqué le futur d’homo sapiens tel que l’imagine ou le prédit Harari en essayant de comprendre où vont nous mener les projets et le « progrès » annoncés par les sociétés qui ont les plus grands moyens financiers et les plus remarquables intelligences humaines pour réaliser (ou essayer de réaliser) leurs rêves.

Aujourd’hui je vais simplement vous relater une histoire qui concerne des femmes entrepreneuses dans la silicon valley confrontées à la bêtise masculine. Car la silicon valley accueille peut être beaucoup d’intelligence, mais l’intelligence ne semble pas suffisante pour éviter le sexisme.

Cette histoire est racontée dans le journal « Le Parisien » du 2 septembre.

L’année dernière, Penelope Gazin et Kate Dwyer lancent Witchsy, un site internet permettant d’acheter des objets d’arts produits par de petits créateurs, à mi-chemin entre objets mignons et créations gores. Un an après, l’entreprise fonctionne bien, a vendu pour 200 000 dollars de marchandise et les deux jeunes femmes annoncent même des profits

Malgré cette réussite, elles sont toujours confrontées aux mêmes comportements sexistes : manque de considération, réponses irrespectueuses et tardives, remarques condescendantes… Le plus souvent de la part de collaborateurs masculins. Une situation profondément désagréable entravant l’évolution de leur entreprise.

Alors elles ont une idée : s’inventer de toutes pièces un troisième co-fondateur masculin. Un homme virtuel en quelque sorte.

Baptisé Keith Mann, ce membre imaginaire de l’entreprise est utilisé par Kate Dwyer et Penelope Gazin pour communiquer par e-mail. Il leur suffit de se faire passer pour lui. Une technique aux résultats flagrants : «C’était le jour et la nuit. Il pouvait s’écouler des jours avant que j’ai une réponse. Keith, lui, n’avait pas seulement une réponse rapidement mais on lui demandait s’il avait besoin de quelque chose d’autre ou d’aide à propos de quoi que ce soit» a expliqué Kate Dwyer, déplorant le sexisme de leurs collaborateurs : «On a compris que personne ne nous prenait au sérieux et qu’ils pensaient tous que nous étions idiotes».

Au fil du temps, les réponses toujours aussi sympathiques et efficaces poussent les deux jeunes femmes à poursuivre leur stratagème. Pour rendre le personnage plus crédible, elles inventent une vie et une histoire à Keith Mann : «Le genre à jouer au football à l’université, marié à sa femme depuis cinq ans et impatient de devenir père»

Vous pouvez lire cette histoire avec plus de détails dans l’article du Parisien <Lassées du sexisme, elles inventent un co-fondateur masculin à leur entreprise>

Finalement, malgré toute la modernité, nous n’avons finalement pas tellement évolué depuis l’époque victorienne anglaise où Charlotte Brontë pour que son chef d’œuvre « Jane Eyre» puisse être publié en 1847 et surtout reconnu, était obligée de cacher sa féminité sous le pseudonyme masculin de Currer Bell.

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