Mardi 6 octobre 2020

« Et je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais !»
Gisèle Halimi

Le Président de la République a célébré, au Panthéon, les 150 ans de la proclamation de la république, le 4 septembre 1870. Depuis, nous sommes en République.

En Histoire, les choses sont toujours vraies à peu près, disait le grand Historien Fernand Braudel.

Entre le 10 juillet 1940 et le 20 août 1944, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, un autre régime politique a assuré le gouvernement de la France. Son siège était à Vichy et le chef de l’État était le Maréchal Pétain. En effet, après le vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain, le 10 juillet 1940, par l’Assemblée nationale (réunion de la Chambre des députés et du Sénat), la mention « République française » disparaît des actes officiels ; le régime est dès lors désigné sous le nom d’«État français ».

Sous la présidence du Général de Gaulle, le Gouvernement provisoire de la République française proclama, par son ordonnance du 9 août 1944, toujours en vigueur, relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, la permanence en droit de la République française et nia toute légitimité au gouvernement de Vichy et de ses actes.

C’est ainsi que grâce au récit national, nous sommes en République depuis le 4 septembre 1870, sans interruption. C’est à cela que sert un récit national, raconter les faits de manière à ce que l’histoire soit conforme à ce que l’on souhaite.

Pour fêter ces 150 ans, le Président de la République a prononcé un discours que vous trouverez derrière <ce lien>.

Il est possible que j’y revienne plus longuement, mais aujourd’hui je vais m’arrêter à une phrase du discours qui m’a touché :

« Comment ne pas évoquer Gisèle HALIMI, disparue cet été. De sa chère Tunisie, à notre Assemblée nationale, des prétoires, des hémicycles, de plaidoyers en manifestes, celle qui était née Zeiza TAÏEB, plaida pour l’émancipation des peuples et fit faire des bonds de géant à la cause des femmes. »

Gisèle Halimi nous a quitté pendant cet été, le 28 juillet 2020 à 93 ans.

Cette avocate, cette grande Dame, cette combattante a été tout au long de sa vie du bon côté, c’est au moins ce que je crois.

C’était le combat du féminisme et c’était le combat de la liberté.

Elle a raconté que ce combat venait de loin.

Elle est née en 1927 près de Tunis dans une famille modeste d’une mère séfarade et d’un père d’origine berbère. Ses parents voulaient un fils. Sa mère marqua toujours sa préférence pour ses fils.

Et sa première révolte fut au sein de sa famille contre l’obligation faite aux filles de servir les hommes à table, y compris ses frères, et contre l’obligation de se consacrer à des tâches ménagères dont ses frères sont dispensés. C’est pourquoi à l’âge de treize ans, elle entame une grève de la faim afin de ne plus avoir à faire le lit de son frère. Au bout de trois jours, ses parents cèdent et elle écrit dans son journal intime de l’époque :

« Aujourd’hui j’ai gagné mon premier petit bout de liberté »

Dans ses derniers mois, elle a eu la force d’écrire avec la journaliste Annick Cojean, ses mémoires qui ont parues le 19 août : « Une farouche liberté »

Annick Cojean qui avait publié dans le Monde, le 22 septembre 2019, une longue interview de Gisèle Halimi : « J’avais en moi une rage, une force sauvage, je voulais me sauver »

Elle a embrassé la carrière d’avocate :

« Avocate pour se défendre et pour défendre. Avocate parce que l’injustice lui est « physiquement intolérable ». Avocate parce que, femme, elle est depuis le début dans le camp des faibles et des opprimés. Avocate « irrespectueuse », comme elle aime à se définir, parce que l’ordre établi est à bousculer et que la loi doit parfois être changée. Enfin parce que « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », comme l’écrit René Char, qu’elle cite volontiers. »

Dalloz qui est la référence pour toutes celles et ceux qui ont étudié le Droit en France lui a rendu un long hommage dans son journal <Dalloz actualité> par la plume de Dominique de la Garanderie, avocate, ancien bâtonnier de Paris.

Et cet hommage commence ainsi :

« La défense, jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte. La défense, d’abord pour des hommes et des femmes, la défense qui est leur droit. La défense, pour gagner, mais aussi la défense qui fait douter des aptitudes à défendre. La défense pour la justice, la défense contre la loi.

Sa vocation peut être née d’un profond sentiment d’injustice qui l’a conduite à faire la grève de la faim à 10 ans pour protester et lutter contre un asservissement à l’égard de ses frères.

Sa vocation peut être née de l’assimilation des principes républicains de liberté, égalité et fraternité.

Sa vocation peut être née du refus de l’organisation de la société de la première moitié du XXe siècle et d’une mère ancrée dans les principes les plus traditionnels.

Gisèle Halimi était avocate.

La nécessité de l’indépendance, l’évidence de la recherche de justice, la volonté d’agir, la rage de convaincre ont été des moteurs au service d’une intelligence hors du commun et d’une détermination à toute épreuve. Elle devait être avocate. »

Et quelle avocate !

Mais dans l’interview d’Annick Cojean, elle revient sur les racines de sa colère, de sa soif de justice dans ce qu’elle a vécu et compris dans sa jeunesse :

«  Ma grand-mère, ma mère et moi avons vécu comme ça ; alors toi aussi ! », me disait ma mère, Fritna, faisant du mariage et de la sujétion à un homme mon horizon ultime. Cela impliquait de me mettre au service des hommes de la famille, de servir mes frères à table et de faire leur lit, le ménage et la vaisselle. Je trouvais cela stupéfiant. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Avant même la révolte, je ressentais une immense perplexité. Pourquoi cette différence ? Elle n’avait selon moi aucun fondement ni aucun sens. […] Tout était déjà là. Et ce récit, entendu dès mon plus jeune âge, m’a tout de suite fait comprendre la malédiction d’être née femme. C’est l’histoire de mon père Edouard, si consterné en apprenant que sa femme avait mis au monde une petite fille, qu’il a nié ma naissance pendant près de trois semaines ! Aux amis qui venaient aux nouvelles, il affirmait : « Non, Fritna n’a pas encore accouché. Bientôt, bientôt… » Il a fini par s’habituer à l’idée de la catastrophe – après tout, l’honneur était sauf, il avait déjà un fils aîné –, et nous nous sommes beaucoup aimés. Mais tout, dans mon enfance, était fait pour me rappeler que je n’étais qu’une femme, un être éminemment inférieur. […] « C’est pas juste !, disais-je constamment. C’est pas juste ! » Mon père s’énervait : « Tu n’as que ce mot-là à la bouche ! » C’est vrai. Je l’ai eu toute ma vie. Et il est indéniable que mon féminisme et mon besoin de corriger les injustices sont ancrés dans cette révolte initiale. »

Dans la jeunesse de Gisèle, le combat féministe premier était contre les mères. D’ailleurs elle aimait profondément son père, avec sa mère c’était beaucoup plus compliqué :

«  Elle me pensait anormale. Quelque chose ne tournait pas rond chez sa fille pour qu’elle refuse ainsi sa condition de fille. Elle-même avait été mariée à 16 ans, selon la norme en Tunisie, avait ensuite enfanté tous les deux ans, et entendait bien que je poursuive la tradition. Le jour où j’ai eu mes règles, elle m’a d’ailleurs prévenue : « Maintenant, c’est fini !
– Qu’est-ce qui est fini ?
– Tu ne joues plus du tout avec les garçons. »

J’étais sidérée. Moi qui jouais au foot avec eux, courais pieds nus dans les rues, nageais à perte de souffle avec une bande de copains, j’aurais dû tout arrêter ? « Mais pourquoi ?
– C’est comme ça ! »

Là encore, quelle injustice ! De quoi étais-je coupable ? Quand j’avais 16 ans, elle a tenté de me marier à un riche marchand d’huile de 35 ans. « Il a trois voitures ! », répétait-elle, tel l’Harpagon de L’Avare répétant « sans dot ! ». »

Son premier combat fut pourtant celui de la décolonisation et de la résistance. Elle deviendra l’amie d’Habib Bourguiba dont elle dit :

« Voilà un visionnaire qui avait compris que l’inclusion des femmes était gage de progrès. »

Puis sa mission d’avocat auprès des militants de la cause algérienne l’a conduit aussi à demander la grâce de ses clients auprès du Président de la République, d’abord René Coty, puis le Général de Gaulle. Et c’est lors d’une telle démarche qu’a eu lieu cet échange célèbre :

« Le 12 mai 1959, à la suite du grand procès d’El Halia en Algérie [en août 1955, des insurgés algériens tuèrent une trentaine d’Européens dans le village d’El Halia]. Et croyez-moi, c’était autre chose ! Quand il m’est apparu, il m’a semblé gigantesque. Il m’a tendu la main en me toisant. Et, de sa voix rocailleuse, il a lancé : « Bonjour madame » Il a marqué un temps. « Madame… ou mademoiselle ? » Je n’ai pas aimé. Mais alors pas du tout ! Ma vie personnelle ne le regardait pas. J’ai répondu en le regardant bien droit : « Appelez-moi maître, monsieur le Président ! » Il a senti que j’étais froissée et il a accentué sa courtoisie : « Veuillez entrer, je vous prie, maître. Asseyez-vous je vous prie, maître. Je vous écoute, maître. »

Elle raconte que De Gaulle connaissait parfaitement le dossier. Il accorda la grâce.

Son combat pour l’indépendance de l’Algérie fut encore une magnifique manifestation de courage :

« Oui, et j’étais assurément considérée comme une « traîtresse à la France » par les militaires et tenants de l’Algérie française. Il y avait des crachats, des huées, des insultes et des coups à l’arrivée au tribunal. Des coups de fil nocturnes – « tu ferais mieux de t’occuper de tes gosses, salope ! », des menaces de plastiquage de mon appartement et des petits cercueils envoyés par la poste. Je n’y ai longtemps vu que gesticulations et tentatives d’intimidation, jusqu’à l’assassinat, à Alger, de deux confrères très proches, puis la réception, en 1961, d’un papier à en-tête de l’OAS [Organisation de l’armée secrète, pour le maintien de la France en Algérie] qui annonçait ma condamnation à mort en donnant ordre à chaque militant de m’abattre « immédiatement » et « en tous lieux ». Je n’ai jamais eu peur. Sauf une nuit, au centre de torture du Casino de la Corniche, à Alger, où l’on m’avait jetée et où j’ai pensé avec culpabilité à mes fils de 3 et 6 ans, m’attendant à être exécutée. »

Et puis il y eut les combats féministes pour défendre «Djamila Boupacha » jeune militante du FLN qui avait avorté après avoir été violée et torturée par les militaires français.

Et puis le célèbre procès de Bobigny dans lequel .Marie-Claire Chevalier, 17 ans, était aussi poursuivie pour avoir avorté après un viol.

Richard Berry avait fait un spectacle qu’il a appelé « Plaidoiries » et dans lequel il mettait en scène 5 plaidoiries d’avocat dont celui de Maître Halimi dans ce procès de Bobigny.

Richard Berry dit : « Grâce à sa plaidoirie, Gisèle Halimi a changé la vie des femmes » et ajoute :

« Cette plaidoirie a une dimension particulière, d’abord parce qu’elle a eu une effet absolument extraordinaire sur la loi et sur la société », […] Je suis porté par ce texte, peut-être parce que j’ai trois filles et que je me sens donc concerné par cette forme d’oppression que les femmes ont subi, et que sans Gisèle Halimi elles continueraient peut-être de subir », prophétise Richard Berry. « Sans Gisèle Halimi, Simone Veil n’aurait peut-être pas fait passer sa loi, et ne serait peut-être pas enterrée au Panthéon. »

Et en 1971, elle est la seule avocate qui signe le manifeste des 343 femmes proclamant avoir avorté a lancé un sacré pavé dans la mare. Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Catherine Deneuve, Delphine Seyrig…

Elle explique :

« Et moi ! J’avais tenu à le signer malgré ma profession d’avocate et le blâme probable qui en résulterait. Car j’avais moi aussi, à 19 ans, connu la plus profonde détresse après un avortement réalisé par un jeune médecin sadique, un monstre, qui avait fait un curetage à vif en disant : « Comme ça, tu ne recommenceras pas. » J’ai beaucoup pleuré cette nuit-là, avec le sentiment qu’on m’avait torturée pour sanctionner ma liberté de femme et me rappeler que je dépendais des hommes. Mais je ne regrettais pas. La biologie m’avait tendu un piège. Je l’avais déjoué. Je voulais vivre en harmonie avec mon corps, pas sous son diktat. »

Elle revient aussi sur sa relation avec Simone Veil :

« On s’aimait beaucoup. J’ai longuement travaillé avec elle et j’ai vu grandir son féminisme. Elle m’invitait à déjeuner chez elle et n’hésitait pas à chasser son mari pour qu’on puisse papoter tranquillement : « Antoine, tu nous gênes ! » Ou bien elle m’emmenait en virée dans sa voiture avec chauffeur à la recherche d’un bistrot, moche et bien planqué, où elle pourrait fumer sans être reconnue… car elle était alors ministre de la santé. On buvait un verre de vin et on s’amusait en passant en revue le gouvernement ou en évoquant nos maris et nos fils. »

Et elle finit cet entretien par cet appel :

« Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale. […]

[Il faut] La sororité ! Depuis toujours ! La solidarité ! Quand les femmes comprendront-elles que leur union leur donnerait une force fabuleuse ? Désunies, elles sont vulnérables. Mais, ensemble, elles représentent une force de création extraordinaire. Une force capable de chambouler le monde, sa culture, son organisation, en le rendant plus harmonieux. Les femmes sont folles de ne pas se faire confiance, et les hommes sont fous de se priver de leur apport. J’attends toujours la grande révolution des mentalités. Et je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais ! »

Elle gagnera aussi le combat pour criminaliser le viol, il faut la regarder défendre calmement et avec autorité ses arguments : < en 1977, le combat de Gisèle Halimi pour criminaliser le viol>

Ce fut une très grande Dame, un bel être humain.

Je pense, comme d’autres, que sa place est au Panthéon.

Car quand on fait le récit national, il est important de savoir ce que l’on met en avant, quels sont celles et ceux qui ont mené les combats qui honorent toute l’humanité.

Gisèle Halimi a mené ces combats-là et c’est pourquoi notre Récit national serait plus humaniste s’il lui faisait toute la place qu’elle mérite.

<1468>

Mercredi 24 juin 2020

«L’antiracisme est un combat juste. Il ne doit pas devenir un acte de vandalisme intellectuel ou de désordre dans ce monde si fragile.»
Kamel Daoud

Lors des derniers mots du jour, j’ai évoqué à plusieurs fois le racisme de blancs à l’égard des noirs, des crimes contre les noirs et des questions de mémoire aussi.

La mémoire que l’on met en avant dans un récit et qui se reflète dans des statues que l’on érige dans les villes ou les noms qu’on donne à des boulevards ou des avenues et aussi ceux qu’on donne à des ruelles ou des impasses.

Lundi, j’évoquais la proposition de donner le nom de Franz Fanon à une ruelle d’un nouveau quartier de Bordeaux. Ce n’était pas grand-chose, ce n’était qu’une ruelle. Mais c’était encore trop pour ceux qui continuent à raconter le récit de l’Algérie française. Dans ce récit un opposant au colonisateur ne peut pas être honoré, même d’une ruelle.

En revanche, il n’y a pas de problème en France d’avoir des rues et des statues au nom du Maréchal Bugeaud qui fut un responsable de la colonisation de l’Algérie. C’est la réflexion que je me faisais, hier soir, en passant par la rue Bugeaud dans le cossu 6ème arrondissement de Lyon.

Une avenue parisienne porte son nom dans le 16e arrondissement de Paris qui est un peu l’équivalent du 6ème de Lyon. La place centrale de la ville de Périgueux porte une monumentale statue de ce maréchal de France. J’ai lu qu’une rue porte aussi son nom dans le 3ème arrondissement de Marseille.

Le Maréchal Bugeaud qui a dit

« Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile ; il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, […] de jouir de leurs champs […]. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes […], ou bien exterminez-les jusqu’au dernier. »

Ou encore

« Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas ! Fumez-les à outrance comme des renards. »

Cet article <des Inrocks> donne la parole à Benjamin Stora pour essayer de décrire le personnage et ses actes.

Article qui avait été écrit après qu’Eric Zemmour ait dévoilé son récit de la France, qu’hélas un trop grand nombre partage :

« Quand le général Bugeaud arrive en Algérie, il commence à massacrer les musulmans, et même certains juifs. Eh bien moi, je suis aujourd’hui du côté du général Bugeaud. C’est ça être Français ! »

Voilà qui est dit !

Mais s’il est possible de s’interroger, de se poser des questions sur ce sujet des récits, sur des hommes qu’on a mis en avant jusqu’à présent et aussi sur les femmes et les hommes qu’on pourrait aujourd’hui mettre en avant, il est tout aussi possible de ne pas partager tous les combats de celles et ceux qui aujourd’hui se prétendent de la lutte antiraciste.

On peut désapprouver une femme noire qui insulte un policier de peau noire et le traite de <vendu> parce que selon ses préjugés antiracistes, on ne peut être noir et policier de la République. Pour elle un policier est blanc et c’est la police des blancs. Avec ce type de réaction, nous n’allons pas avancer beaucoup dans notre société.

C’est ce que dénonce Caroline Fourest dans son livre « génération offensée » dans lequel elle dénonce l’antiracisme identitaire et des procès en appropriation culturelle qui peuvent menacer la liberté d’expression et de création artistique. Puisque pour ces antiracistes, un blanc ne peut pas avoir un discours ou créer un ouvrage artistique qui défend les noirs ou simplement dénonce l’injustice qui leur est faite. Il n’a pas le droit de le faire parce qu’il n’est pas noir et ne peut donc pas comprendre les souffrances et les sentiments des noirs.

J’aime beaucoup Caroline Fourest.

J’aime aussi Kamel Daoud qui est un esprit libre et qui comme Caroline Fourest aspire à une pensée universaliste et non sectaire.

Car, avant, le contraire du raciste était l’universaliste celui qui considérait que tous les humains étaient égaux et que chaque humain avait le droit de défendre un autre humain même s’il n’appartenait pas à sa tribu. Et chaque humain avait le droit de critiquer sa tribu et des humains de sa tribu.

Rien de tel chez beaucoup d’antiracistes d’aujourd’hui, pour qui la défense de sa tribu ne permet aucune nuance.

Kamel Daoud est universaliste et il est ainsi critiqué parce qu’on le soupçonne de trahir sa tribu. Le journal algérien « El Watan » rapporte, en janvier 2020, les propos de Rachid Boudjedra, l’auteur de « la Répudiation », sur Kamel Daoud :

« Kamel Daoud dont les œuvres récentes, sont idéologiquement plus référencées à la mentalité de l’ancien colonisateur qu’au patrimoine historique et culturel de son pays. Il lui adressa en ce sens une critique sans concession qui a eu du mal à passer dans les milieux intellectuels algériens, une diatribe frontale pour lui signifier que sa « soumission » psychologique à l’intelligentsia outre-Méditerranée est une véritable dérive. Le rapport à l’écriture est ainsi vu comme une grave altération à la liberté de penser et de s’exprimer à partir de l’instant où il devient dépendant et s’exécute en fonction d’un imaginaire trompeur et souvent perfide, qui va trop loin aussi dans la déformation de la vérité. »

Et le journal d’ajouter :

« Tout est sciemment articulé autour de ce « lien » avec l’ancien colonisateur qui doit être visible et pas seulement suggéré »

Kamel Daoud a publié une tribune dans le journal le Monde publié le 22/06/2020, tribune que je veux partager aujourd’hui : « L’Occident est imparfait et à parfaire, il n’est pas à détruire »

Il interroge d’abord sur cette obsession de vouloir détruire, piétiner l’occident :

« Faut-il détruire l’Occident ? Le mettre à feu et à sang pour mieux le reconstruire ou mieux le piétiner dans ses ruines ? […] On aura beau le nier et le relativiser, il y a déjà un instinct de mort dans les airs de la révolution totale imaginée par chacun. L’Occident étant coupable par définition selon certains, on se retrouve non dans la revendication du changement mais, peu à peu, dans celle de la destruction, la restauration d’une barbarie de revanche. »

Il ne faudrait en effet pas oublier que les arabes ont aussi été des colonisateurs et ont aussi été des très grands esclavagistes.

Quand aujourd’hui on ne critique que l’occident démocratique et qu’on est complaisant, voire admiratif pour la Chine qui est un pays totalitaire avec un régime oppressif qui ne connait aucun contre-pouvoir, ne fait-on pas fausse route ?

Kamel Daoud signale cette faiblesse de critiquer ceux qui acceptent la critique et de ne pas critiquer ceux qui font pire mais qui ne tolèrent pas la contradiction.

« Ces procès anti-Occident à la soviétique, si faciles et si confortables, à peine coûteux quand on ne vit pas dans la dictature qu’on a fuie, menés par les intellectuels du sud en exil confortable en Occident ou par des fourvoyés locaux sont une impasse, une parade ou une lâcheté. Ils n’ont ni courage, ni sincérité, ni utilité. […]

La règle de ce confort est qu’il est plus facile de déboulonner la statue d’un tyran, au nord, sous les smartphones, que de déboulonner un vrai tyran vivant au « sud ». Et il n’est pas même utile de répondre à ceux qui, lorsque vous tenez ces propos pourtant réalistes, vous accusent de servilité intellectuelle. »

Et il fait ce que lui reproche le journal « El Watan » il ne trouve pas tous les torts du côté de l’occident et tous les vertus du côté de ceux qui le critique :

« Le fait même de défendre l’Occident comme espace de liberté, certes incomplète et imparfaite, est jugé blasphématoire dans cette nouvelle lutte des classes et des races. Il est interdit de dire que l’Occident est aussi le lieu vers où l’on fuit quand on veut échapper à l’injustice de son pays d’origine, à la dictature, à la guerre, à la faim, ou simplement à l’ennui. Il est de bon ton de dire que l’Occident est coupable de tout pour mieux définir sa propre innocence absolue. […]

Erreurs et illusions coûteuses. L’Occident est à la fois coupable et innocent. Or, tuer un coupable ne brise pas la chaîne de la douleur. Elle fait échanger les robes des victimes et des bourreaux. On le sait tous, et c’est une banalité utile à remémorer.

Il est urgent de rappeler que sur les colères d’aujourd’hui se greffent trop de radicalités pour qu’on puisse éviter la violence si on continue dans le même aveuglement. Brûler l’Occident, ce rêve si facile qu’Internet et ces militants agitateurs des réseaux commercialisent en guise de « néopureté » et de légitimité, est une erreur qui aura de lourdes conséquences. »

On se retrouvera, dans quelques décennies, à vivre dans ces champs nus, à construire la barbarie qu’on a cru dénoncer. »

Voilà des paroles fortes et j’aime particulièrement sa conclusion :

« Monstrueux quand il a faim, selon l’expression d’un internaute, injuste et au passé vandale, beau, fascinant dans la nuit du monde, nimbé dans le rêve et le fantasme pour le migrant, vertueux par une démocratie inachevée, hypocrite à cause de sa prédation des ressources, son passé colonial tueur, inconscient et heureux, l’Occident est ce qu’il est : imparfait et à parfaire. Il n’est pas à détruire. Ceux qui en rêvent sont ceux qui n’ont pas su avoir de rêve meilleur que la barbarie de revanche, pas su dépasser des rancunes intimes. […] L’antiracisme est un combat juste. Il ne doit pas devenir un acte de vandalisme intellectuel ou de désordre dans ce monde si fragile. Son but est un avenir meilleur, pas un passé aveuglant […] »

Paroles de la nuance, de la complexité.

Non pas un monde binaire dans lequel d’un côté il y a tout le bien et de l’autre tout le mal.

<1444>

Vendredi 19 juin 2020

«Le Tata sénégalais de Chasselay»
Cimetière militaire de la Seconde Guerre mondiale

C’était il y a 80 ans.

Des hommes venant majoritairement du Sénégal, mais aussi du Mali, de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Gabon se sont battus pour la France en 1940. Ils appartenaient à toutes les ethnies de la région, peuls, bambaras ou malinké. On les appelait les « tirailleurs sénégalais » mais on leur avait aussi donné le nom d’« armée noire ». Wikipedia nous apprend que jusqu’en, 1905, ce corps intégrait des esclaves rachetés à leurs maîtres locaux.

En 1940, ils faisaient encore partie de l’empire colonial français.

L’armée française les avait convaincus de venir se battre au côté de leur colonisateur pour défendre la France qui était attaqué par l’Allemagne nazi.

Et en juin 1940, le 25e régiment de tirailleurs sénégalais fait partie des troupes déployées au nord de Lyon, sur une ligne de défense censée retarder l’entrée des Allemands dans Lyon.

Ces affrontements des 19 et 20 juin sont parmi les derniers combats de la campagne de France.

Ce sont des combats de l’inutile car la bataille de France est déjà perdue, le 17 juin, le maréchal Pétain a annoncé un cessez-le-feu et demandé l’armistice, signé le 22 juin à Rethondes, le 18 juin qui reste la date la plus célèbre de juin 40, le général de Gaulle appelle, depuis Londres les Français à poursuivre le combat.

A Chasselay, ni les tirailleurs ni leurs officiers n’ont évidemment entendu le message lancé sur les ondes de la BBC. Malgré tout, ils vont contribuer, dès le lendemain, à entretenir cette « flamme de la résistance française » que l’exilé appelle de ses vœux.

Moins de 5 000 hommes dont 2 200 tirailleurs sénégalais vont s’opposer aux 20 000 soldats du régiment d’infanterie Grossdeutschland et de la division SS Totenkopf. Les Allemands se pensent déjà en terrain conquis ; ils ont traversé la Bourgogne sans rencontrer d’opposition et savent que Lyon a été déclarée « ville ouverte » le 18 au matin.

Tandis qu’ailleurs les soldats français préfèrent rompre et s’enfuir, à Chasselay et dans les communes environnantes, comme Lentilly, Fleurieu ou L’Arbresle, les tirailleurs sénégalais et quelques artilleurs aux moyens dérisoires font face à la Wehrmacht. Ils ouvrent le feu, le 19 vers 10 heures, sur les émissaires allemands venus leur intimer de se rendre. S’ensuivent plusieurs heures de combats meurtriers, notamment autour du couvent de Montluzin. Le lendemain, à la tête d’une poignée de braves regroupés dans le parc du château du Plantin, le capitaine Gouzy décide même d’un « baroud d’honneur ».

Les troupes françaises devront au bout du combat se rendre.

Et, le 20 juin 1940, en fin d’après-midi, quarante-huit tirailleurs sénégalais faits prisonniers sont conduits à l’écart des maisons de Chasselay, dans un champ, au lieu-dit Vide-Sac.

Désarmés, les bras en l’air, ils vont bientôt être fauchés par les mitrailleuses de deux chars, achevés au fusil et avec des tirs d’obus, certains écrasés par les chenilles des blindés lancés à la poursuite des fuyards.

Le Monde est revenu, le 16 juin, sur cette horrible histoire : <Ces tirailleurs africains massacrés par les nazis>

Le journal y revient parce qu’on a retrouvé des photos inédites de ce massacre.

Le Monde raconte :

« Huit photos terrifiantes, prises par un homme de la Wehrmacht, illustrent la rage raciste à l’œuvre lors des fameuses journées. Les photos en question, totalement inédites, dormaient dans un vieil album, mis sur un site d’enchères par un brocanteur outre-Rhin et acheté par un jeune collectionneur privé de Troyes, Baptiste Garin. Sur une double page était épinglé un massacre de tirailleurs. « J’ai été saisi d’une émotion étrange, d’un malaise et puis du sentiment d’un cauchemar en croisant le regard de ces pauvres types », raconte l’acquéreur. Il prend contact avec un historien, Julien Fargettas. Voilà un quart de siècle que cet ancien militaire de 46 ans travaille sur cet épisode. Il vient même d’y consacrer un livre : « Juin 1940. Combats et massacres en Lyonnais (Poutan, 250 pages, 21 euros) ». Julien Fargettas identifie la scène. […] Ces preuves photographiques d’un crime de guerre corroborent les descriptions des gradés français témoins de la scène. Avant le carnage, ces Blancs avaient été mis à l’écart et forcés à se coucher au sol sous la menace de mitraillettes. »

Selon Julien Fargettas, les photos permettent d’identifier l’unité et les soldats responsables de la tuerie :

« Il ne s’agissait pas de SS, comme on l’a longtemps cru, mais d’hommes de la Wehrmacht ».

Certains voulaient épargner l’armée officielle allemande qui était une armée respectable pas comme les SS. Ce n’est pas exact.

C’est un historien allemand Raffael Scheck qui a écrit un livre « UNE SAISON NOIRE. Les massacres de tirailleurs sénégalais (Mai-Juin 1940)» qui l’avait déjà révélé : la Wehrmacht aussi avait les mains sales.

Le Monde cite un témoignage, daté de 1975, du caporal Gaspard Scandariato :

« Tout à coup, un crépitement d’armes automatiques retentit, se renouvelant à trois ou quatre reprises, auquel se succédèrent des hurlements et des grands cris de douleur. Quelques tirailleurs qui n’avaient pas été touchés par les premières rafales s’étaient enfuis dans le champ bordant le chemin, mais alors les grenadiers panzers qui accompagnaient les blindés les ajustèrent sans hâte et au bout de quelques minutes les détonations cessèrent. L’ordre nous fut donné de nous remettre debout et, colonne par trois, nous passâmes horrifiés devant ceux qui quelques heures auparavant avaient combattu côte à côte avec nous et qui maintenant gisaient morts pour notre patrie. Quelques tirailleurs gémissaient encore et nous entendîmes des coups de feu épars alors que nous étions déjà éloignés des lieux du massacre. »

Ces homo-sapiens de peau noire étaient des hommes et des soldats. Mais les militaires allemands leur déniaient ce double statut et les appelaient « Affen » (« singes »).

Le Monde précise :

« Les nazis développeront par la suite une intense propagande contre ce qu’ils appelèrent « Die Schwarze Schande », « la honte noire ». « Envers ces soldats indigènes, toute bienveillance serait une erreur, ils sont à traiter avec la plus grande rigueur », pouvait-on lire dans un ordre venu de l’état-major du général Heinz Guderian, un des artisans de la victoire éclair contre la France. Après la capitulation, les exécutions de prisonniers noirs qui, selon l’historien Raffael Scheck, ont fait plusieurs milliers de victimes seront réduites à des péripéties de la guerre et jamais jugées. »

L’épisode de Chasselay fut le dernier d’une série d’exactions commises contre les tirailleurs africains pendant la campagne de France. Il faut ajouter qu’à Chasselay, les officiers blancs des tirailleurs sénégalais furent aussi fusillés, parce qu’ils commandaient des noirs.

Vous trouverez sur cette page Wikipedia : <Liste de massacres perpétrés par les forces allemandes en France durant la Seconde Guerre mondiale> une liste exhaustive des massacres allemands.

Sur cette liste il y a une erreur car le massacre de Chasselay est attribué au SS, alors que c’était la Wehrmacht qui était à l’œuvre.

Au lieu précis du massacre, le lieudit Vide sac, un cimetière a été érigé : « Le Tata sénégalais de Chasselay »

« Tata » signifie enceinte fortifiée en Afrique. L’édifice, entièrement ocre rouge, est constitué de pierres tombales entourées d’une enceinte rectangulaire de 2,8 mètres de hauteur. Son porche et ses quatre angles sont surmontés de pyramides bardées de pieux. Le portail en claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.

On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française

Il sert aussi de sépulture à d’autres victimes de massacres de la région lyonnaise.

188 tirailleurs « sénégalais » ainsi que six tirailleurs nord-africains et deux légionnaires (un Albanais et un Russe) y sont inhumés.

C’était exactement, il y a 80 ans.

Ces hommes ont parcouru 5000 km du Sénégal jusque dans le Beaujolais pour défendre le territoire de la France.

Ils étaient noirs.

Et c’est pour cette unique raison qu’ils ont été abattus, assassinés par des soldats dont la peau était blanche.

Et dans notre langue on utilise le mot « noir » pour signifier le mauvais, le méchant « une âme noire », « des noirs desseins ».

Et on utilise le mot « blanc » pour désigner la pureté, l’innocence.

Mais il y a 80 ans, comme avant, comme après et comme encore aujourd’hui ce sont des blancs qui tuent des noirs, parce qu’ils sont noirs.

Le Tata de Chasselay

Vous pouvez regarder ce documentaire de 50 minutes consacré à ce lieu : <Le Tata Sénégalais de Chasselay – Mémoire des tirailleurs sénégalais>

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Jeudi 18 juin 2020

«Le choix des statues dans une ville est un choix politique […] l’inscription des mémoires qui sont mis en avant !»
Françoise Vergés

Sortir de sa zone de confort…

Lundi, j’avais évoqué ce mouvement qui veut déboulonner la statue de Colbert, parce qu’il avait été l’instigateur du « code noir ».

Emmanuel Macron avait affirmé solennellement « La République ne déboulonnera pas de statue. » et avait ajouté :

« Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »

J’étais plutôt d’accord avec lui.

Plusieurs ont exprimé cette idée d’accompagner les statues de Colbert d’une plaque expliquant ce que fut Colbert, son rôle positif dans la construction de l’Etat mais en rappelant aussi la tâche que fut sa participation à l’élaboration du code noir.

Et Françoise Vergés a répondu à Guillaume Erner qui avançait cette thèse :

« Mais si vous pensez cela, pourquoi vous n’acceptez pas qu’on érige des statues au Maréchal Pétain, c’est quand même le vainqueur de Verdun. ?»

Et elle ajoute qu’il suffirait aussi, dans ce cas, d’ajouter une petite plaque expliquant que sur ces vieux jours, il a fait d’autres choses qui ; elles ; étaient abominables. »

Et c’est là que l’on sort de sa zone de confort.

J’ai écrit une série de mot du jour sur l’antisémitisme, en montrant sa spécificité dans l’Histoire. La Shoah qui fut l’aboutissement d’un processus de haine extrême des juifs qui s’est développé tout au long de l’histoire chrétienne par des pogroms et des persécutions, jusqu’à cette volonté d’extermination, constitue une faute et une plaie insupportable de l’histoire d’homo sapiens.

Mais il n’est pas acceptable, surtout pour celles et ceux dont les ancêtres en furent les victimes, de ne pas donner toute sa place à l’horreur et à la faute tout aussi insupportable d’avoir toléré et développé l’esclavage des noirs. D’avoir considéré l’homme de peau noire comme un bien meuble, qui n’avait aucun droit et pouvait être mis à mort sans procès, fouetter autant que son maître le souhaitait et aussi mutiler s’il s’enfuyait ce qui est quand même la chose la plus naturelle quand on est réduit au statut d’esclave.

Il ne s’agit pas de dire que ces deux abominations sont identiques. Mais vouloir les comparer pour essayer, au bout d’une argumentation de l’horreur, de prétendre que l’une serait plus grave que l’autre me semble une autre abomination.

Or, il en est beaucoup de « nos héros » qui ont joué un rôle abominable, je persiste dans ce mot, à l’égard des humains de peau noire.

Et nous ne le savons pas ! ou si peu.

Le Général Gallieni par exemple, il y a une rue importante de Montreuil sous-bois qui porte son nom, à Lyon c’est un pont sur le Rhône, à Paris c’est une Avenue entre le quai d’Orsay et les Invalides, et puis il y a bien sûr de nombreuses statues.

Joseph Gallieni, c’est bien sur celui qui en réquisitionnant les taxis de la Marne a pu réaliser une manœuvre stratégique qui a permis de surprendre l’armée allemande et de stopper sa progression vers Paris en 1914 et éviter de perdre prématurément la guerre qui fut gagnée par la suite.

Dans les livres d’Histoire que je lisais toujours avec passion, il n’y avait que cet épisode qui était relaté.

A 65 ans, tout à la fin de sa carrière, Joseph Gallieni fut nommé gouverneur militaire de la place de Paris et c’est en tant que tel qu’il participa à cette manœuvre disruptive pour l’époque, comme on dirait maintenant.

En 1916, il mourut.

Mais avant 65 ans que faisait-il ?

Vous pouvez aller lire sa page Wikipedia qui raconte ses différentes missions en Afrique noire (1876-1882), puis son poste de Commandant supérieur du Soudan français (1886-1888), et la Mission en Indochine (1892-1896) pour finir Gouverneur général de Madagascar (1896-1905). On parle de massacres, de répressions dures et de politiques coloniales sans états d’âme. Mais cette page n’entre pas trop dans le détail.

Je vous renvoie donc plutôt vers un blog de Mediapart, qui pose cette question <Qui était Joseph Gallieni ?>

Vous pouvez lire. Il parle par exemple du massacre d’Ambiki et renvoie vers une page plus complète sur cet épisode : <Le Massacre d’Ambiky en 1897, par Paul Vigné d’Octon.> :

« Le roi Touère, les personnages de marque, tous les habitants tombèrent sous les coups des mitrailleurs dans cette matinée ; les tirailleurs n’avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas: enivrés de l’odeur du sang, ils n’épargnèrent pas une femme, pas un enfant. […] Quand il fit grand jour, la ville n’était plus qu’un affreux charnier dans le dédale duquel s’égaraient les Français, fatigués d’avoir tant frappé.

Les clairons sonnèrent le ralliement, les sous-officiers firent l’appel : nul des nôtres ne manquait. On se reposa, on mangea, des chants joyeux ne célébrèrent pas la victoire. Une boue rouge couvrait le sol. À la fin de l’après-midi, sous l’action de la chaleur, un petit brouillard s’éleva: c’était le sang des 5000 victimes, l’ombre de la ville qui s’évaporait au soleil couchant. »

Et ce blog cite Aimé Césaire qui disait en 1950 :

« On s’étonne, on s’indigne. On dit : «Comme c’est curieux ! Mais, Bah ! C’est le nazisme, ça passera !» Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il est sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. »

Alors il ne faut pas accepter des statues de Pétain, mais des statues de Gallieni, pour lui il n’y pas de problème ?

Pétain eut un rôle plus important lors de la guerre 14-18 que Gallieni.

Et pour le reste ?

Les crimes de Gallieni ont été perpétrés contre des populations « non européennes » pour reprendre le mot d’Aimé Césaire.

Françoise Vergés est née en 1952 à Paris, mais a passé la plus grande partie de son enfance à l’île de la Réunion où son père Paul Vergès poursuivait une carrière politique proche du Parti communiste.

Le célèbre avocat Jacques Vergés était son oncle.

Paul et Jacques Vergés étaient les enfants de Pham Thi Khang, institutrice vietnamienne, et du docteur Raymond Vergès, consul de France au Siam, c’est-à-dire la Thailande.

La mère de Françoise Vergés était aussi une militante communiste et féministe : Laurence Deroin.

Françoise Vergés est une universitaire et militante féministe « décoloniale » française.

En effet, elle a publié en 2019 son livre « Un féminisme décolonial »

Elle explique dans l’émission <à Voix nue>

« Ce que j’appelle féminisme décolonial, c’est un féminisme qui, tout en reconnaissant qu’il y a une domination masculine, ne se focalise pas sur la question de l’égalité de genre. […] En faisant sienne la fiction selon laquelle le colonialisme a pris fin en 1962, le féminisme s’est leurré sur l’existence d’un vaste territoire ‘ultramarin’ issu de la période esclavagiste et post-esclavagiste comme la présence en France de femmes racisées. Complice alors des nouvelles formes du capitalisme et de l’impérialisme, il demeure silencieux sur les nouvelles formes de colonialité et de racisme d’État dans les Outre-mer et en France. […] La plupart des groupes qui constituent le mouvement féministe en France va rester aveugle et sourd à la question de sa propre généalogie, de sa propre histoire. Son récit se construit en rapport avec la domination masculine blanche (c’est la longue marche vers les droits) et l’histoire coloniale et raciale disparaît complètement de la construction de la société dans le récit féministe

Dans son livre précédent, « Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme » elle rapporte que dans les années 70, on pratiquait des avortements et stérilisations, à leur insu, sur des centaines de femmes réunionnaises.

C’est cette femme que Guillaume Erner avait invité le 16 juin 2020 pour parler « des Mouvements antiracistes : un tournant dans l’histoire ? ».

Elle parle de sa voix calme et répond à l’attitude de Macron qui ne veut déboulonner aucune statue en rappelant que tout au long de l’Histoire on a évolué dans le statuaire, on en a enlevé certains, on en a ajouté d’autres.

Lors de la monarchie, c’était des statues de roi qu’on a remplacé sous l’Empire c’était différent et puis encore sous la République d’autres personnalités furent choisis, cela change constamment :

« Quand le Président dit qu’il sera intraitable sur le racisme et les questions d’égalité […] les demandes de retrait les statues est une question d’égalité. Il n’y a pas de justice dont la façon la France présente les monuments. (…) En réalité, il n’y a pas de récit figé. La République pourrait se demander les récits qu’elle voudrait mettre en avant (…). Quelles sont les statues que je vois quand je me promène à Paris ? Essentiellement des hommes blancs, dans des postures guerrières (..). Il n’y a pas d’égalité mémorielle. »

Et elle approfondit cette question des statues qui sont choisies pour remplir l’espace public, comme d’ailleurs les noms donnés aux Boulevards, places, rues, ruelles, impasse :

« Plus profondément, c’est la question d’une plus grande égalité, de l’anti-racisme. Quels sont les récits valorisés ? Qu’est-ce qui est enseigné à l’école ? Qu’est-ce que les enfants de France apprennent ? La question des statues est prise dans un contexte. […]

Les statues ce sont des choix politiques […] Ce sont constamment des choix. [Ne pas discuter de ce qu’il faut déboulonner et ce qu’il faut ajouter signifie] Rien ne changera et votre demande d’égalité ne sera pas entendu. C’est-à-dire ce que vous demandez, vous n’existez pas, vous n’appartenez pas à l’Histoire de France. Il n’y aura jamais de statue d’Aimé Césaire, il n’y aura jamais de statue de Léopold Sédar Senghor. […]

Il y a une sélection qui est faite, […] il y a une hiérarchie qui est donnée, à qui aura un boulevard, à qui aura une ruelle, une impasse. Il s’agit de l’inscription des mémoires qui sont mis en avant dans une ville. Ce que nous demandons c’est plus de justice, plus d’égalité »

[…] C’est une question d’égalité et de dignité pour l’histoire de plein de femmes et d’hommes qui sont dans la République française, qui sont des citoyens français. »

C’est une parole qui m’a fait évoluer dans ma perception de l’Histoire et des choix qui sont faits pour sélectionner, raconter et aussi de valoriser certains aspects, en cacher d’autres.

Je ne suis plus si sûr qu’il ne faille pas réfléchir à déboulonner certaines statues, ou du moins diminuer le nombre de certains personnages statufiés et ériger d’autres statues non encore présente dans la représentation publique.

Je vous invite vraiment à écouter cette émission pleine d’intelligence : « des Mouvements antiracistes : un tournant dans l’histoire ? ».

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Mardi 16 juin 2020

«Dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires.»
Sébastian Roché

J’ai déjà écrit deux mots du jour sur le sujet du comportement des policiers français dans le cadre de leurs missions.

Le premier était pour prendre leur défense de manière résolue, lors des manifestations des gilets jaunes : « C’était de l’ultraviolence. Ils avaient des envies de meurtre. Nous, notre but c’est juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles. »
Dans cet article, je prenais presque une posture émotionnelle : « Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon. »

Mais dans ce genre de questions il ne me semble pas pertinent de ne rester que dans l’émotion. Il faut aussi de l’analyse, des faits et de la rigueur dans le propos.

Plus d’un an plus tard, je me suis résolu à évoquer certains dysfonctionnements en utilisant explicitement le terme de « violences policières. »

Ce second article ne contredisait pas le premier, il exprimait simplement un autre aspect de la même réalité.

Pour ce faire j’ai d’abord entendu et lu des amis qui m’informaient de cette face sombre de la police en France.

Il y avait aussi le travail rigoureux et documenté du journaliste David Dufresne :

Il a effectué sur twitter, le recensement de violences policières : <Allo place Beauvau>.

Il a aussi écrit un roman traitant de ce sujet : « Dernière sommation ».

Il dispose aussi d’un site qui traite de l’ensemble de ses travaux : http://www.davduf.net/

Plus récemment, il s’est intéressé aux rapports de l’IGPN, cette structure interne à la Police qui a vocation à exercer un contrôle sur les activités de police. Mediapart l’a interrogé, il y a quelques jours sur les conclusions de son enquête : « Allo l’IGPN ». Selon lui, ce travail de contrôle n’est pas assez rigoureux et manifeste trop de laxisme sur les comportements déviants de la police.

Dans ce second article je citais aussi Sébastien Roché qui a écrit un livre : <De la police en démocratie>

« Sébastien Roché » est un chercheur spécialisé en criminologie, docteur en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS et éditeur (Europe) de Policing and Society, un des journaux internationaux sur la science de la police les plus importants.

Ses travaux portent essentiellement sur les questions de délinquance et d’insécurité, puis sur les politiques judiciaires et policières comparées ainsi que sur la gouvernance de la police et les réformes du secteur de la sécurité.

C’est un chercheur respecté dans son domaine. Il avait été nommé en 2016 par Bernard Cazeneuve au Conseil de la stratégie et de la prospective du ministère de l’Intérieur. Et il a enseigné pendant 16 ans à l’École nationale supérieure de la Police (ENSP).

Mais le 27 août 2019, il est informé qu’il n’enseignera plus dans cette école.

Difficile de ne pas y voir un lien avec ses analyses critiques sur des violences policières pendant le mouvement des Gilets Jaunes.

Ce point m’alerte !

Il ne me semble pas pertinent de ne pas accepter la critique et de refuser de discuter des faiblesses et des problèmes. Le déni ne permet pas de progresser.

En ce moment, la question des violences policières est revenue sur le devant de la scène.

Sur France Culture Guillaume Erner a donc invité Sébastien Roché, vendredi le 12 juin, pour reparler de ce sujet : <La Police doit-elle se réformer ?>.

Dans cet entretien, il n’a pas été question de violences, mais de discrimination et de racisme. Sébastien Roché ne laisse pas de doutes sur le caractère extrêmement répandu de comportements discriminatoires :

« On a maintenant depuis plus de dix ans un grand nombre d’enquêtes sur la manière dont la police travaille, sur les contrôles d’identité et sur le traitement des personnes pendant les contrôles et les sanctions à l’issue des contrôles. Ces enquêtes je me rends compte qu’elles ne sont pas connues. Pourtant dès 2007, on a observé les comportements policiers dans les gares parisiennes avec une méthodologie très précise. Un peu plus tard « l’agence européenne pour les droits fondamentaux » a fait des enquêtes dans toute l’Europe, dans les grandes villes de France avec des échantillons qui permettent de bien comparer les gens, qu’ils soient blancs ou non, d’origine étrangère ou nationale. Et puis, il y a une énorme enquête, l’enquête « TeO » Trajectoire Et Origine, faite par l’INED (publié en 2016. Et puis il y a encore d’autres enquêtes, j’en ai dirigé une avec Dietrich Oberwittler pour comparer la manière avec laquelle la police travaille en France et en Allemagne et le contact avec les jeunes. Bref on a aujourd’hui un énorme corpus de données qu’on n’avait pas il y a dix ans. Et je me rends compte que le gouvernement fait comme s’ils n’existaient pas et le public ne les connait pas forcément.

Et toutes ces études montrent une chose simple : dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires. Que ce soit Grenoble, que ce soit Lyon, que ce soit les transports de la région parisienne, que ce soit Marseille, que ce soit Aix en Provence. […]
On a désormais la preuve d’une discrimination systémique. Cela ne fait plus de doute. »

Concernant l’accusation de racisme systémique dans la police, Sébastien Roché n’est pas aussi catégorique :

« Nous ne l’avons pas beaucoup observé ».

Toutefois récemment, le 4 juin, <Street Press> a révélé qu’un groupe facebook composé de milliers (8000) de policiers écrit des propos ouvertement racistes et vulgaires.

<Un deuxième groupe facebook> a été également révélé le 8 juin.

A la question de savoir, si la police Française se distingue par rapport aux autres polices européennes, Sébastien Roché répond :

« Toutes les polices sont différentes. La discrimination ethnique est un problème sérieux dans certains pays, particulièrement en France. Les écarts de traitement suivant votre couleur de peau, sont particulièrement nets. C’est pour cela qu’il y a cette émotion. Évidemment, ce n’est pas le seul pays en Europe à observer ce phénomène. Vous allez retrouver également en Espagne. Mais si vous prenez les pays qui sont les plus grandes puissances économiques européennes, c’est-à-dire celles qui ont le plus de moyens pour former les policiers et les encadrer, la France et l’Allemagne, vous voyez qu’en France, ces pratiques discriminatoires sont bien établies, alors qu’en Allemagne, elles sont très faibles, voire nulles pour la police des Länder. On voit simplement qu’on peut faire la police sans discrimination ou avec des niveaux de discrimination qui sont beaucoup plus réduits qu’en France. Donc on peut faire une meilleure police. Faire la police ne justifie pas la discrimination. »

Pour Sébastien Roché, avant toute chose il faut une vraie prise de conscience.

« La première étape, c’est vraiment la prise de conscience. C’est ce qu’il y a de plus inquiétant. On a le sentiment que le gouvernement n’a pas pris conscience du choc moral, malgré la vague de protestation au niveau mondial. Les syndicats de police majoritaire n’ont pas non plus pris conscience de ce choc. Il faut voir que la discrimination policière c’est une violation, tous les jours de la constitution et de la déclaration des droits de l’homme. […] C’est curieux que le gouvernement ne se mobilise pas pour défendre les droits constitutionnels des français.

On a pu penser que M. Castaner avait pris conscience d’un certain nombre de choses lors de ses premières annonces. Il a eu des propos qui laissaient entrevoir une ouverture du ministère de l’Intérieur, qui n’est pas courante. Mais il n’a pas annoncé de choses pratiques. Il n’a pas annoncé la création d’outils de connaissance de la discrimination. Comment lutter contre quelque chose que l’on ne connaît pas. Comment faire si on ne dispose pas d’outils de connaissance. Il n’a pas fait d’annonces au sujet des moyens. On sait très bien que si on veut faire une politique de lutte contre la discrimination efficace dans la police à tous les niveaux, il faut des moyens. Et il n’a pas non plus annoncé d’objectifs quantifiés clairs. De combien il veut réduire le phénomène, dans combien de temps. »

En mars, avant le confinement Sébastien Roché avait été interviewé par Mediapart : «Le modèle français, c’est la police qui fait peur».

La « Loi et l’ordre » disait récemment un dirigeant peu recommandable.On peut être d’accord sur cette devise, mais il est question d’abord de Loi. Il faut que la Loi soit respectée. La discrimination, l’usage disproportionné de la force ne sont pas conformes à la Loi.

Il ne s’agit pas de sous-estimer la difficulté de l’exercice du métier de la police et de la violence à laquelle elle-même doit faire face. Mais on ne peut pas rester dans le déni.

Il faut d’abord que la Police soit capable d’aider à maintenir la paix dans la société. Certains comportements ne vont pas dans ce sens.

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Lundi 15 juin 2020

«Le code noir»
Promulgué en 1685 et préparé par Jean-Baptiste Colbert

Notre jeune Président a donc, hier soir, dit solennellement : :

« Je vous le dis très clairement ce soir mes chers compatriotes, la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. »

Il répond à un mouvement très général qui des Etats-Unis à la France, en passant par l’Angleterre, la Belgique a pour ambition de déboulonner des statues de personnages historiques qui au regard des valeurs contemporaines ne devraient plus être honorées selon certains.

J’avais déjà évoqué ce phénomène à propos de Christophe Collomb, le 1er octobre 2019 : « Une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises ». Il est reproché à celui qui nous a été présenté comme le découvreur du nouveau monde, sa cruauté extrême à l’égard des indigènes des iles qu’il a conquises.

Le mouvement de révolte suite au meurtre de Georges Floyd a accentué ce phénomène.

Nous lisons sur cette page de France Culture :

« Les manifestations contre le racisme ont trouvé un écho en dehors des États-Unis : en Europe et aux Antilles notamment, où la mémoire de l’esclavage et de la colonisation résonne encore avec les discriminations d’aujourd’hui. Parmi les images qui circulent, un moyen d’action frappe les esprits : le déboulonnage de statues qui incarnent ce passé… Aux États-Unis avec les monuments confédérés, en Angleterre avec cette statue d’un marchand négrier jetée à l’eau à Bristol, en Belgique avec le retrait du buste de Léopold II ou en France avec la figure de Colbert et même de Victor Schœlcher. Les contextes et les moyens d’action sont différents (les dégradations sur les statues de Schœlcher en Martinique ont eu lieu avant la mort de George Floyd et concernent une figure abolitionniste) mais des parallèles existent : cette histoire est toujours à vif et son récit fait l’objet de conflits. »

Et je m’arrêterai aujourd’hui sur le personnage de Colbert.

Jean-Baptiste Colbert est né le 29 août 1619 à Reims et il est mort le 6 septembre 1683 à Paris. Il est un des principaux ministres de Louis XIV, certainement le plus connu. Il a été le Contrôleur général des finances de 1665 à 1683 et a joué un rôle fondamental dans l’économie française de cette époque.

Dans mes cours d’Histoire, j’ai appris qu’il était un grand homme politique de la monarchie et qu’il a été le concepteur et le réalisateur d’une politique économique interventionniste et mercantiliste.

L’étymologie du mot « mercantiliste » provient de l’italien « mercante », marchand. Dans le sens courant et banal ; le mercantilisme désigne l’attitude consistant à faire du commerce avec un esprit d’âpreté au gain.

Mais au sens économique et par rapport à la politique de Colbert le mercantilisme part du postulat que la puissance d’un Etat est fonction de ses réserves en métaux précieux (or et argent). Il prône le développement économique par l’enrichissement de l’Etat au moyen du commerce extérieur. Dans un système mercantiliste, l’Etat joue un rôle primordial en adoptant des politiques protectionnistes qui établissent notamment des barrières tarifaires et encouragent les exportations.

Parallèlement, il favorise le développement du commerce et de l’industrie en France par la création de fabriques et monopoles royaux, étatiques.

Cette politique économique qui donne un grand rôle à l’État est couramment utilisé désormais sous le nom de « colbertisme ».

Les élites françaises ont tellement intégré cette prééminence de Colbert que le principal bâtiment du ministère de l’économie et des Finances, à Bercy, porte pour nom « Le bâtiment Colbert »

C’est le bâtiment des ministres et des services les plus prestigieux du Ministère comme l’Inspection Générale des Finances.

Dans mes souvenirs de cours d’Histoire, les livres et les professeurs racontaient aussi un épisode moins glorieux et plus cynique de la vie de Colbert : sa conspiration contre le surintendant Fouquet, celui qui a fait construire le château de Vaux le Vicomte et qui a fini sa vie en prison  après une superbe fête organisée, en l’honneur du Roi, dans ce château.

Sur cette <page> du Ministère de l’Économie et des Finances en l’honneur de Colbert, classé parmi les grands noms du ministère, on parle aussi de cette épisode, en précisant que ce fut D’Artagnan qui arrêta Fouquet. On parle aussi du rôle économique et du colbertisme.

Mais on ne parle pas, comme on ne parlait pas dans mes cours et livres d’Histoire du « Code noir »

Depuis j’ai pu constater que des cours d’Histoire en ligne ont ajouté cette référence à la vie Colbert.

C’est le rôle joué dans la conception et la rédaction du Code Noir qui vaut à Colbert la menace de déboulonner ses statues et renommer les places, rues et bâtiments qui portent son nom.

Il se trouve ainsi dans le collimateur du Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault qui appelle notamment à débaptiser la salle Colbert de l’Assemblée nationale. Sa réflexion va plus loin et concerne des statues ou noms de rue, qui font référence à des personnalités impliquées dans la politique colonialiste de la France et qui pourraient avoir vocation à changer de nom.

Il existe trois édits différents connus sous l’appellation de Code noir. C’est le premier qui a été préparé par Colbert. Il a été cependant promulgué par Louis XIV en 1685, 2 ans après la mort de Colbert. Il fut ainsi terminé par le fils de Colbert, le marquis de Seignelay (1651-1690).

Ce code précise le statut civil et pénal des esclaves, ainsi que les relations entre les esclaves et leurs maîtres.

Sa lecture, ne peut que révolter notre regard contemporain. Certains voudront trouver dans ce texte quelques limites mis à la cruauté et à la toute-puissance des maîtres des esclaves. Force est de constater que ces limites sont très molles.

Je citerai trois articles ou extraits d’articles :

« Art. 44
Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, […] »

Les esclaves dont on parle dans ce code sont évidemment de peau noire. Ils appartiennent à la même race d’homo sapiens que leurs maîtres blancs. Mais dans le code noir, cette humanité est niée puisqu’ils deviennent des biens meubles afin de pouvoir juridiquement justifier qu’ils soient propriétés d’autres humains et qu’ils puissent être vendus.

Ils sont des meubles, mais pourtant on les oblige a se soumettre à la même religion que leurs propriétaires. C’est même un des premiers articles du Code noir :

« Art. 2
Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendant desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable. »

On prévoit bien sur des châtiments corporels et la mort dans un grand nombre de cas. Mais l’article 38 est horrible dans sa précision pour punir les fugitifs :

« Art. 38
L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. »

Cela c’est le code noir.

Le mouvement de protestation qui a débuté aux États Unis après le meurtre de George Floyd et qui s’est répandu sur le monde entier, pose la question de l’Histoire et des hommes que l’on célèbre. La France est particulièrement touchée.

Le Nouvel Esprit Public de ce dimanche a consacré son émission à cette question : « Racisme : ils n’en souffraient pas tous, mais tous étaient frappés »

J’ai été saisi par l’intervention de Lionel Zinsou.

Lionel Zinsou est un homme particulièrement brillant. Il est de peau noire.

Né d’un père originaire du Bénin, médecin de Léopold Sédar Senghor, et d’une mère française, il a fait ses études secondaires en France au lycée Buffon, en CPGE au lycée Louis-le-Grand, puis aux Écoles Normales Supérieures de Saint-Cloud et de la rue d’Ulm. Il passe l’agrégation de sciences économiques et sociales, puis étudie pendant deux ans l’histoire économique à la London School of Economics.

Il a aussi été premier ministre du Bénin de 2015 à 2016.

Il a répondu à des interventions précédentes :

« Permettez-moi de faire entrer un peu de l’émotion populaire dans notre émission. On ne peut pas considérer qu’une liste de discrimination positive, ou affirmative action sur les retraites avantagées et les subventions au voyage a la moindre efficacité sur les peuples.

La discrimination existe partout, qu’on travaille à la banque Rothschild ou à Noisy-le-Grand. Si l’on est Noir ou Maghrébin, elle est permanente. Dès la scolarité avec l’orientation professionnelle, pour l’accès à des stages, pour l’embauche, pour le logement … Tout cela est mesuré et parfaitement documenté. Alors certes, l’Etat et même les entreprises prennent des mesures et signent des chartes, mais les problèmes subsistent, et les nier reviendrait à dire qu’il n’y a par exemple pas de différence de traitement entre hommes et femmes.
Ensuite, on peut faire de la sémantique, mais l’émotion n’est pas à bannir totalement. Même si Adama Traoré a fait plusieurs fois de l’obstruction, ou de l’outrage à agent de la force publique, ce n’est pas passible de la peine de mort en France. Vous avez beaucoup plus de chances d’être condamné à mort dans la rue si vous vous appelez Adama Traoré que « Lionel Bourlanges ». La peine de mort s’applique en France de manière très différentielle, alors même qu’elle a été abolie.
Quand des jeunes gens renversent la statue de Colbert, on s’offusque, on évoque le bilan de Colbert : restauration des finances publiques, manufacture de Saint-Gobain … C’est vrai. Il y a aussi le Code Noir. Et je vous assure qu’il est dans la mémoire et dans la vie des gens d’aujourd’hui, et que toute l’Afrique, les Caraïbes et une partie de l’Amérique Latine en est encore révoltée.

Dans ce code, il est écrit que les Noirs ne sont pas des êtres humains, mais des meubles, ceci pour justifier juridiquement le fait de les vendre.
Oui, la France est la terre des droits de l’Homme et de l’abolition. Oui, il y a eu 1848. Mais après, il y a eu aussi le travail forcé, qui a fait des centaines de milliers de morts, jusqu’en 1946 et la loi Houphouët-Boigny. Ce n’était rien d’autre que l’esclavage perpétué, sans la déportation. 1946, ce n’est qu’à une génération, autrement dit, des abus inqualifiables sont encore tout proches de nous. Aucun catalogue de mesures favorables ne lavera jamais cela.
C’est pour tout cela qu’il y a de « l’émotion » (dans les deux sens du mot). Rien ne justifie les pillages, mais tout justifie la violence des sentiments. La seule façon de sortir de tout cela n’est pas de dire « la République fait beaucoup de choses ». Ce n’est pas le ressenti, et ce n’est de toute façon pas vrai. La discrimination est réelle, il faut cesser le déni. On ne s’en sortira qu’en disant l’Histoire, qu’en faisant mémoire.
Le président Hollande avait eu l’idée, que le président Macron a mise en œuvre, d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage et des abolitions. Ce n’est qu’en étant factuel et objectif, et en disant les choses telles qu’elles se sont passées qu’on apaisera peu à peu ces situations. Il ne s’agit pas d’obtenir des réparations en numéraire, il s’agit de réparation historique. Cette fondation sert à cela, elle a des moyens éducatifs et scientifiques, et des programmes pour accomplir cette mission. Il ne s’agit pas de débaptiser toutes les rues Jules Ferry ou Colbert, il s’agit que nos enfants, Noirs, Blancs, juifs, musulmans ou que sais-je encore, soient dans la vérité de l’Histoire. Sans quoi nous n’aurons plus qu’une vérité de la violence. Ces choses n’étaient pas dans le récit national, c’est ce que François Hollande a reconnu en créant cette fondation. »

Il faut écouter toute l’émission, mais cette intervention me semble très forte.

Jean-Louis Bourlanges a réagi un peu plus tard et pose une autre immense question : qu’avons-nous à partager comme destin commun ?

« Il me semble qu’il y a deux problèmes différents.
Le premier est l’anachronisme, il concerne la dénonciation de Colbert […] Deux énormes asservissements entachent l’Histoire de l’humanité : l’inégalité homme/femme et l’esclavage. Vu d’aujourd’hui, l’esclavage est quasiment incompréhensible métaphysiquement, mais cela doit-il nous conduire à considérer que tous les gens de ces époques sont à mettre dans le même sac ? Devons-nous systématiquement considérer comme immoraux un certain nombre de personnages ? […]

Le second problème est de savoir ce qu’est une histoire mémorielle.

Pourquoi y a-t-il des statues par exemple ? Parce qu’elles faisaient consensus. Dès lors que le consensus n’existe plus, on se met à détruire les statues.

Pour des Français par exemple, Jules Ferry représentait avant tout l’école laïque et obligatoire. Pour des Malgaches ou des Indochinois, c’est une autre affaire. Lionel a raison d’exhorter à ce qu’on se ressaisisse de l’Histoire, avec objectivité et honnêteté intellectuelle. Mais c’est déjà fait ! L’historiographie moderne ne dit plus les énormités d’antan.

Il est vrai que les statues sont ce qui reste de cette période simpliste. Que faut-il enseigner en matière historique ? Car tous ces déboulonnages désacralisent ce récit national qui a façonné une grande partie de nos concitoyens.

Quelle société obtiendrons-nous avec une Histoire fragmentée, dont chaque groupe révère des éléments différents ? Ce n’est pas en en sachant davantage sur le passé que l’on résoudra ce problème, qui est central pour l’avenir du pays.
Nous avons aujourd’hui une impossibilité à vivre ensemble un destin commun, nous nous noyons dans ce qui nous oppose. C’est vraiment « une certaine idée de la France » (pour reprendre le général de Gaulle) qui se dissout dans la violence. »

Il faut être juste et s’efforcer à la rigueur. J’ai commencé ce mot du jour par une citation du discours d’Emmanuel Macron. Mais ce n’était que le début de ce qu’il a dit sur ce sujet. Il a aussi ajouté :

« Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas de revisiter ou de nier ce que nous sommes. »

Ce qui me parait essentiel, c’est déjà de ne pas être dans le déni et d’être capable de regarder l’Histoire en face ainsi que la réalité d’aujourd’hui telle que la décrit Lionel Zinsou.

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Mercredi 20 mai 2020

«En fait ce que je veux, c’est assez simple, c’est que personne n’oppresse personne, qu’aucun homme n’oppresse un autre homme et  qu’aucun état n’oppresse un autre état.»
Anne Beaumanoir

Le mot du jour est butinage et partage. J’avais prévu de continuer cette semaine de m’inspirer du livre « Comprendre le Monde » de la Revue XXI. Mais, samedi j’ai entendu Claude Alphandery à France Culture. Son expression, son optimiste, sa volonté, sa sagesse m’ont conduit à lui consacrer l’article d’hier. Mais j’ai lu qu’il n’était pas le seul président du « Conseil National de la Nouvelle Résistance », il partage cet honneur avec Anne Beaumanoir.

Si j’avais déjà entendu parler de Claude Alphandery, sans en connaître les détails que j’ai pu approcher hier, je n’avais jamais entendu parler d’Anne Beaumanoir.

Alors j’ai cherché. Et une nouvelle fois me vient cette citation d’Albert Camus :

« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. » (Le premier homme)

Anne Beaumanoir mérite autant que Claude Alphandery cette appellation : « des êtres qui justifient le monde »

Je voudrais commencer par cette page du Collège Christiane Bernardin de Francheville qui l’avait invitée pour témoigner auprès des collégiens.

Sur cette page on peut lire :

« Mardi, au collège Christiane Bernardin, Anne Beaumanoir a raconté son histoire aux élèves de Troisième. Les collégiens étaient émus et très respectueux face à cette grande dame, car ils sont conscients de leur chance. A 96 ans, forte du feu qui l’anime toujours, elle exerce son Devoir de Mémoire auprès des élèves. Une nouvelle fois, elle est revenue jusqu’à Francheville pour raconter son incroyable vie, héroïque pour nous, simplement citoyenne et engagée  pour elle. »

Dans les différents articles et vidéo que j’ai vu d’elle, c’est probablement outre son côté chaleureux et pétillant, l’humilité qui parait son trait de caractère dominant.

Elle a fait de brillantes études de médecine, elle a fait de la recherche en neurosciences, fait de la résistance à Paris, sauver avec ses parents de jeunes juifs des griffes des nazis, elle s’est engagée totalement dans la guerre d’indépendance de l’Algérie. Et pour tout cela elle dit, et on la sent sincère, ce n’était pas grand-chose.

Anne Beaumanoir est née le 30 octobre 1923 en Bretagne, près de Dinan, dans les Côtes-du-Nord. Elle est issue d’un milieu modeste. Ses parents sont restaurateurs.

Ce site <Le Maitron> consacré au mouvement ouvrier et social donne davantage de précisions.

« Le père d’Anne Beaumanoir avait été privé de sa part des biens de famille pour avoir déchu en se mariant avec une vachère, Marthe Brunet, fille de valets de ferme ; leur fille Anne est née avant leur mariage. […] Elève de l’école laïque, ce qui est déjà un signe de républicanisme qui vaut en pays catholique traditionnaliste, l’appellation de « rouges », Anne Beaumanoir grandit auprès de parents vivement antifascistes, partisans du Front populaire et vibrant au soutien des Brigades internationales dans la guerre d’Espagne. La mère suivait les réunions et activités communistes, [sans] être formellement membre du parti ; le père tout en soutenant les communistes résistants avait une réserve vis à vis du caractère sectaire et policier du parti (« l’esprit de parti ») ; quand en 1942, sa fille lui fit part de son adhésion au PCF, il eut cette réflexion sur les partisans communistes : « dans ce parti, la moitié d’entre eux est occupée à espionner l’autre ».

Anne Beaumanoir fut d’abord interne au collège de Dinan avant que ses parents au début de la guerre, viennent s’installer en ville tenant un café restaurant. Ayant commencé ses études de médecine à la faculté de Rennes, suspecte de sympathie pour la Résistance et le communisme, elle gagne Paris en 1942 et poursuit ses études médicales en suivant les stages à l’hôpital Cochin »

Elle poursuit donc, pendant la Seconde Guerre mondiale, des études de médecine à Paris. Clandestinement, elle est militante communiste et membre des réseaux de résistance.Des amis de ses parents l’avertissent un jour qu’une rafle va avoir lieu la nuit suivante dans le 13e arrondissement de Paris, et lui demandent de prévenir une dame, Victoria, qui cache une famille juive. Anne Beaumanoir se rend chez Victoria, puis auprès de la famille juive, les Lisopravski ; mais elle ne parvient pas à les convaincre tous de la suivre d’urgence, seuls les deux enfants, Daniel et Simone, partiront avec elle.

Elle emmène, d’abord les enfants dans une cachette où logent de nombreux membres de la Résistance. Mais la Gestapo investit peu après le repaire, vraisemblablement sur dénonciation, et arrête tous les résistants sauf le chef qui parvient à s’enfuir par les toits, avec les deux enfants. Par la suite Anne Beaumanoir qui n’était pas à Paris à ce moment-là ; revient et emmène les deux enfants chez ses parents en Bretagne, dans leur maison de Dinan.

Anne Beaumanoir en 1940

À Dinan, son père Jean Beaumanoir est interrogé par la police qui soupçonne sa participation à la Résistance, mais le relâche faute de preuve. Sa mère Marthe Beaumanoir cache les enfants à deux endroits différents pendant deux semaines, puis avec son mari les accueille chez eux pendant presque un an. Après la Libération, les deux enfants sauvés gardent contact avec Anne Beaumanoir et ses parents.

Pour cet acte, Anne Beaumanoir et ses parents seront reconnus « Juste parmi les nations » le 27 août 1996 par l’institut Yad Vashem.

Elle raconte un peu de cette histoire dans ce court extrait d’une émission de <C à vous> de 2015.

Le Comité français pour Yad Vashem écrit au sujet d’Anne Beaumanoir :

« Lorsqu’on lui demanda, après la guerre, pourquoi elle avait sauvé deux Juifs, risquant ainsi sa vie et celle de ses parents, Anne Beaumanoir répondit simplement : « Je hais le racisme ; c’est physique ». »

« La Croix » lui a consacré un article en « Anne Beaumanoir, une vie d’actions » et elle raconte comment est venu cette vocation d’aller témoigner dans les établissements scolaires :

« Depuis neuf ans, Anne Beaumanoir transmet dans les écoles ces expériences et ce passé. Cela a commencé à Lyon. « Un couple d’amis m’a demandé d’en parler à leurs deux garçons. Ils ont suggéré ensuite que je le fasse pour leurs copains. » Une nièce, inspectrice d’académie, lui propose de continuer en Bretagne. Un jour, elle croise la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. « Nous nous faisions coiffer avant de passer sur un plateau de télévision. Nous avons causé comme chez le coiffeur. »

La ministre l’engage dans la « réserve citoyenne » créée après les attentats de Charlie Hebdo, pour aller témoigner dans les classes. « Je tire une certaine fierté d’être Juste. Et de l’être avec mes parents. J’ai fait ce que j’ai pu, confie Anne Beaumanoir. C’est une reconnaissance qui engage. Mon travail dans les écoles est utile pour faire comprendre la vertu d’être tolérant. Si l’on vous nomme Juste, c’est pour vous dire : « Continuez » ! » »

Après la guerre, elle reprend ses études de médecine à Marseille, devient neurologue et se marie avec un médecin. Elle quitte le Parti communiste en 1955.

« Ce n’était pas l’idéologie qui me dérangeait. Simplement, je n’étais pas d’accord depuis un bout de temps avec les méthodes. »

Elle rencontre des prêtres ouvriers qui font un travail social auprès d’Algériens vivant à Marseille. Devenue chercheuse à Paris, elle aide le FLN qui combat pour l’indépendance de l’Algérie. Elle est arrêtée, jugée et condamnée à dix années de prison en 1959.

« J’ai trouvé cela normal. Quand on s’engage, on sait que c’est une possibilité. »

Libérée provisoirement pour accoucher, elle en profite pour s’évader en Tunisie. Elle devient la neuropsychiatre de l’armée algérienne, un poste où elle remplace l’illustre tiers-mondiste Frantz Fanon.

À la fin de la guerre d’Algérie, elle entre au cabinet du ministre de la santé du gouvernement de Ben Bella, le premier président du pays. « Le combat des Juifs, des résistants ou des Algériens est le même. C’est celui contre l’exploitation », résume-t-elle.

En 1965, elle est exfiltrée d’Algérie après le coup d’État militaire qui renverse Ben Bella, et va diriger un service de neurophysiologie à l’hôpital universitaire de Genève.

Elle a écrit un livre, publié en 2009 <Le feu de la mémoire – La Résistance, le communisme et l’Algérie, 1940-1965>

Elle est bien sûr retraitée et vit tantôt à Saint-Cast-le-Guildo en Bretagne, son village natal, tantôt à Dieulefit dans la Drôme.

Là encore elle agit dans l’humanité et la solidarité.

Elle est à l’origine d’une lettre ouverte à la communauté de communes de Dieulefit pour l’accueil de réfugiés Syriens. Une quarantaine de personnes l’ont signée, et la commune « s’est occupée de trouver un logement à une famille syrienne. »

La Croix rapporte :

« Sur l’ensemble de cette épopée, Anne Beaumanoir a un constat clinique : « Non, ma vie n’est pas exemplaire. J’ai vécu dans une période extrêmement importante de notre vie nationale. Je fais partie de ces gens qui ont fait des choix que l’on trouve bien aujourd’hui. »

Denis Robert, journaliste d’investigation et documentariste, réalise en 2016 un documentaire sur la vie d’Anne Beaumanoir : « Une vie d’Annette ».

Je n’ai trouvé que <cette bande annonce> le documentaire dans son intégralité ne semble plus accessible.

C’est dans ce petit extrait qu’elle dit :

« En fait ce que je veux, c’est assez simple, c’est que personne n’oppresse personne, qu’aucun homme n’oppresse un autre homme et  qu’aucun état n’oppresse un autre état. »

Et aussi en s’adressant à une jeune fille de 17 ans elle dit :

« C’est facile à 17 ans de s’engager, d’ailleurs il faut s’engager, c’est sûr, il faut faire des choix difficiles pour ton âge, c’est nécessaire parce-que ça te construit. »

Le même Denis Robert l’a interviewé pour « Le Media » : <Vivre c’est résister>. Dans cet entretien, elle parle de l’actualité, c’était le 1er juillet 2019, elle avait 96 ans. Elle montre son dynamisme, son humour, son alacrité.

J’ai encore trouvé ce témoignage de sa part :

« Pendant mon enfance bretonne, la rencontre avec ma grand-mère a été déterminante. Elle était illettrée. Enfant, elle gardait les vaches et on la payait d’une paire de sabots une année, d’une cape l’année suivante. Ensuite, veuve avec trois enfants, elle a vécu de la pêche à pied, c’est-à-dire qu’elle pêchait des coques, qu’elle mettait sur son dos et qu’elle vendait au porte à porte. Sa vie me montre combien nous avons fait des progrès depuis. »

Que dire de plus qu’Albert Camus :

« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. »

Je vais profiter de ce week-end de l’ascension pour profiter de faire une pause salvatrice. Prochain mot du jour, si tout va bien, lundi 25 mai 2020.

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Mardi 19 mai 2020

«Provoquer de nouvelles façons de produire, de consommer de se comporter, de vivre ensemble, de savoir vivre les uns avec les autres»
Claude Alphandery en présentant le Conseil National de la Nouvelle Résistance qui vient d’être créé le 13 mai et dont il est co-président

Le monde d’après le COVID-19 ?

Beaucoup l’imagine, en adéquation avec les souhaits, les utopies, les rêves qu’ils avaient avant.

Certains développent des tribunes, des initiatives ou même lance des mouvements. L’une de ses initiatives a retenu mon attention : la création du « Conseil National de la Nouvelle Résistance »

Non pas en raison du titre, mais parce que pour le présider les personnalités qui ont fondées ce mouvement ont eu l’idée de choisir deux figures de la résistance historique : Claude Alphandéry et Anne Beaumanoir.

Le premier est né en 1922 et la seconde en 1923.

Ce sont des grands seniors, mais qui à leur âge restent absolument épatants, au bout d’une vie …bien remplie. Camus a dit :

« Il y a des êtres qui justifient le monde, qui aident à vivre par leur seule présence. » (Le premier homme)

C’est Claude Alphandery qui a été invité aux matins de France Culture de ce samedi pour présenter ce Conseil national de La Nouvelle Résistance.

C’est donc de lui que je vais parler aujourd’hui.

Grâce à Wikipedia nous pouvons connaître son parcours à grands traits :

Claude Alphandéry est né le 27 novembre 1922 à Paris. Il s’engage dans des actions de résistance alors qu’il étudie au lycée du Parc à Lyon en automne 1941. Il assure notamment du transport de documents et des distributions de tracts.

Après dénonciation de ses relations avec une réfugiée juive allemande, il entre dans la clandestinité pendant l’hiver 1942-1943. Il devient lieutenant-colonel dans les Forces françaises de l’intérieur (FFI), chef des Mouvements unis de la Résistance Drôme-Ardèche (MUR) puis président du comité départemental de Libération de la Drôme.

Après avoir été attaché d’ambassade à Moscou, Claude Alphandéry est élève de la 2e promotion de la nouvelle École nationale d’administration (ENA) en 1946. Il devient expert économique auprès de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York. Cette expérience nourrira sa réflexion sur la société de consommation dont l’opulence cache de profondes inégalités dans la répartition des richesses tant du point de vue des individus que des États-nations.

Il devient membre du Parti communiste français en 1945 mais il quitte le PCF en 1956 à la suite du 20e Congrès du Parti communiste soviétique et de la parution du rapport Khrouchtchev.

En 1960, Claude Alphandéry participe à la fondation de la Banque de construction et des travaux publics dont il devient le président de 1964 à 1980.

Il continue de participer au débat public, en tant qu’animateur d’un cercle de réflexion, le Club Jean Moulin (1959-1965), ou dans les années 1970 au sein du club Échanges et projets, fondé par Jacques Delors et animé par Jean-Baptiste de Foucauld.

En 1976, il adhère au Parti socialiste, où il est proche de Michel Rocard.

Par la suite il va prendre un rôle de premier plan dans l’organisation de l’économie sociale et solidaire.

Au début des années 1980, Claude Alphandéry va conduire une mission sur le développement local et la lutte contre les exclusions. C’est ainsi qu’en 1988 il est amené à créer, présider et développer l’association France active, qui soutient et finance les initiatives économiques créatrices d’emplois et génératrices de solidarité et dont il est aujourd’hui le Président d’honneur.

En 1991, Claude Alphandéry devient président du Conseil national de l’insertion par l’activité économique.

En 2006, Claude Alphandéry et Edmond Maire, ancien secrétaire général de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), sont les initiateurs d’un « manifeste pour une économie solidaire ».

Considéré comme le porte-flambeau de l’économie sociale et solidaire, à 89 ans, Claude Alphandéry continue d’initier de nombreuses actions pour promouvoir cette économie qui place l’être humain avant le profit. Il est Président du Labo de l’Economie Sociale et Solidaire et a animé l’organisation des États généraux de l’économie sociale et solidaire, marqués par un grand rassemblement au Palais Brongniart les 17, 18 et 19 juin 2011.

Il a aussi participé, en mars 2012, à la constitution du Collectif Roosevelt que j’ai évoqué lors du mot du jour récent évoquant Franklin D. Roosevelt et son petit-fils Curtis..

Il me semblait important de savoir tout cela avant de dire qu’il participe avec une vingtaine de personnalités à la création du Conseil National de la Nouvelle Résistance (CNNR), le 13 mai 2020.

Sa conclusion dans l’émission fut la suivante :

« Nous avons vu comment, par la solidarité, la pandémie a pu être contenue. C’est un exemple de ce que nous pouvons faire, dans un monde qui risque d’être invivable. Avec ce nouveau Conseil, nous voulons susciter la renaissance de cet esprit de solidarité. Il existe, en France, des milliers d’associations, d’entreprises sociales et solidaires, qui doivent être un noyau de ce système nouveau que nous voulons mettre en place. […]

Il y a des adversaires, il y en a qui voudrait revenir au système actuel parce qu’il leur est hautement profitable.

Il faut savoir résister à ceux qui ne veulent pas du bien.

Mais il faut surtout savoir s’appuyer sur les choses existantes

Je pense que l’important pour la réussite c’est de s’appuyer complètement et développer sur tout ce qui existe déjà en France d’entraide, de coopération, de solidarité.

Il y a des milliers d’associations de l’économie sociale et solidaire qui se sont développées, ce sont elles qui doivent constituer le noyau de ce système nouveau que nous essayons de mettre en place.

On ne pourra pas avancer, s’il n’y a pas d’abord un sauvetage des faillites et du chaos. On a besoin d’un Etat qui fasse ce qu’il faut.

Mais pour investir dans ce nouveau système, il faut une bonne fiscalité, un bon code du travail, des crédits qui vont aux bonnes activités et pas aux mauvaises.

Il y a bien sûr ce qui vient de l’Etat ou de l’Europe, mais il y aussi ce qui se fait sur le terrain. C’est un changement de comportement qui au lieu de se fonder sur la seule concurrence, la seule compétition, se fonde sur la solidarité et la coopération.

Ce n’est pas irréaliste, cela existe un peu partout. Il faut simplement les aider, les soutenir.

Il faut simplement que tout ce qui existe, converge, coopère ensemble. Parce que pour l’instant c’est encore trop dispersé, disséminé, fragmenté. Et dans la mesure où c’est fragmenté, cela n’a pas l’impact suffisant.

Cela ne fait pas système, ça ne change pas la façon de produire de consommer, d’échanger, de faire des affaires.

Changer le système, il le faut au niveau de la France, au niveau de l’Europe, au niveau du monde et partout sur le terrain.

La nouvelle résistance, c’est cela : faciliter, encourager, soutenir, provoquer de nouvelles façons de produire, de consommer de se comporter, de vivre ensemble, de savoir vivre les uns avec les autres.

Et cela bien entendu nécessite l’Etat, mais à côté de l’Etat un Conseil National de la résistance qui vérifie la capacité de la société de se transformer profondément.

C’est cette fameuse métamorphose dont parle souvent Edgar Morin. »

Cela apparaît un peu utopique et le chemin est si compliqué dans un monde interdépendant où la France pèse si peu de chose.

Mais l’enthousiasme de cet homme de 98 ans est tellement communicatif.

Il n’est pas seul dans cette aventure outre Anne Beaumanoir, il y a aussi neuf femmes (Dominique Méda, Danièle Linhart, Sabrina Ali Benali, Anne Eydoux, Pauline Londeix, Véronique Decker, Fatima Ouassak, Anne-Claire Rafflegeau, Clotilde Bato) et neuf hommes (Dominique Bourg, Samuel Churin, Pablo Servigne, Olivier Favereau, Yannick Kergoat, Jean-Marie Harribey, Dominique Rousseau, Antoine Comte, Benoît Piédallu). Plusieurs de ces personnalités ont été citées dans des mots du jour.

Ils ont un Logo et l’Obs leur a consacré un article : « Des personnalités créent un… « Conseil national de la Nouvelle Résistance » » il y a aussi une vidéo accessible dans cet article dans laquelle divers intervenants explique la démarche.

Ils vont produire un document dans lequel :

« Il s’agit d’énoncer les principes selon lesquels notre société devra être gouvernée et de sommer les responsables politiques de s’engager vis-à-vis d’eux. »

Le résultat de ces travaux sera publié le 27 mai, journée nationale de la Résistance.

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Lundi 11 mai 2020

«Ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir»
Socrate rapporté par Platon dans l’Apologie de Socrate

DECONFINEMENT !
Déconfinement est le maître mot de ce 11 mai 2020 en France.

La moitié de l’humanité a été confinée en ce premier quart du XXIème siècle pour freiner la propagation d’un virus.

Le confinement est une méthode archaïque, venu du fond des âges de l’humanité, pour lutter contre les épidémies.

Du fond des âges ?

Non plutôt depuis l’invention de l’agriculture et la création des villes dans lesquels homo sapiens a occupé plus densément l’espace. Cette problématique a été esquissée dans le mot du jour dont l’exergue est « Avons-nous eu tort d’inventer l’agriculture ?  »

Que signifie concrètement ce confinement ?

C’est une extraordinaire, au sens premier de ce terme, limitation et même négation de nos libertés fondamentales. Je les cite, sans développer :

  • Liberté de circuler
  • Liberté de réunion
  • Et même sous une certaine forme, la liberté de culte
  • La justice elle-même est entravée dans son fonctionnement etc.

On entend même remettre en cause le secret médical en créant un fichier des malades du COVID-19. Lorsqu’on avait envisagé cela lors de l’épidémie du VIH, seule l’extrême-droite avait émis une telle proposition, tout le reste de l’échiquier politique s’était récusé. On voit bien aujourd’hui que nous sommes beaucoup plus perméables à ce type d’évolution.

Yuval Noah Harari nous avait prévenus : vous allez accepter des restrictions de plus en plus importantes à vos libertés pour préserver votre santé.

Jean-Pierre Bourlanges rappelle que Montesquieu a conceptualisé cette restriction temporaire des libertés :

« il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux »

Et Jean-Pierre Bourlanges continue en se centrant sur le cas de la France

«  Ici tout repose sur le « pour un moment ». Quand s’arrêtera ce moment, et que restera-t-il une fois celui-ci passé ? Les restrictions à nos libertés sont tolérables si elles sont temporaires, le problème est que des habitudes se seront installées, des consentements seront donnés, des individus seront « attendris », bref la résistance sera moindre à l’emprise, bienveillante mais abusive, des pouvoirs publics.

Enfin, comme d’habitude en France, la façon de procéder de l’État est excessive. La façon dont le confinement a été mis en place le prouve, les exemples sont légion où l’on a confondu distanciation et surveillance de la distanciation. Certaines zones pourtant désertes étaient interdites. On a de même développé des phénomènes d’autorités qui allaient au contraire des exigences de responsabilisation. Quand vous dites à quelqu’un qu’il n’a pas le droit d’être dans la rue alors qu’il y est seul, vous incitez à un comportement irresponsable.

C’est une habitude ancrée profondément en France : on en fait toujours trop. »

Cela étant, si on en revient au déconfinement, l’atteinte à nos libertés fondamentales est toujours présente. La liberté de circuler a évolué d’1 km à 100 km, mais ce n’est pas une liberté : l’espace de restriction des libertés s’est élargi. La liberté de réunion est toujours remise en cause.

Alors est ce que ce confinement était nécessaire ?

Certains l’affirment : Les épidémiologistes de l’Ecole des hautes Etudes en Santé publique affirment que le confinement a permis de sauver 60 000 vies en France.

Sont-ils certains de leurs estimations ? Est-ce du savoir ? Ils basent leur raisonnement sur des modèles qu’ils appliquent sur un virus nouveau qu’ils ne connaissent pas.

D’autres affirment le contraire. Des chercheurs remettent en cause l’intérêt scientifique des mesures de confinement prises par le gouvernement. Il s’agit d’un article publié le 3 mai par Up’ Magazine : « Aurons-nous été confinés pour rien ? »

Mais ces chercheurs sont-ils davantage certains de leur thèse ? S’agit-il de savoir ? savent-ils ce qu’ils ne savent pas ?

J’avais rédigé mon plus long mot du jour jusqu’à présent pour analyser la controverse liée à l’utilisation du protocole du Professeur Raoult pour lequel ce dernier affirmait que c’était la meilleure solution à défaut d’une autre : «Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou.». Sans remettre en cause l’autorité, ni les grandes qualités du Professeur Raoult, je concluais que ce qu’il présentait comme scientifique n’était pas du savoir.

C’est finalement ce qui ressort le plus de cette période de pandémie et de confinement : l’étendue de ce que nous ne savons pas.

Or il existe tant d’hommes politiques et même de scientifiques qui ont du mal à dire cette chose simple : « Je ne sais pas ».

Certains y arrivent cependant mais ce ne sont pas les plus nombreux, ni les plus écoutés.

Tant l’homme moderne exprime le besoin de savoir, de sortir de l’incertitude.

Mais dans ce cadre du COVID-19, il y a énormément de choses que nous ne savons pas.

Nous savons que nous n’avons pas de vaccin et nous savons que nous ne disposons pas d’un médicament ou de plusieurs médicaments ayant fait la preuve d’un effet positif et indiscutable dans un nombre de cas significatifs

Certains diraient ce n’est pas du savoir, c’est du non savoir.

Pas du tout. Je dirais même que c’est l’essence du savoir, de savoir ce que nous ne savons pas.

Et pour ce faire je voudrais revenir à un texte exceptionnel, à l’origine de la philosophie occidentale. Ce texte est « L’apologie de Socrate » écrit par Platon. Mais Platon fait parler Socrate. Sommes-nous certain, savons-nous si ces paroles sont vraiment de Socrate ?

Bien sûr que non. Mais ce qui est écrit va chercher dans les profondeurs de l’intelligence humaine.

Socrate se trouve devant les juges de son procès, il entend démontrer son innocence. Or dans un moment de sa plaidoirie il parle de la sagesse et du savoir. Il est possible sans doute de le dire autrement, mais certainement pas mieux :

« Or, un jour [que Khairéphon] était allé à Delphes, il osa poser à l’oracle la question que voici – je vous en prie encore une fois, juges, n’allez pas vous récrier –, il demanda, dis-je, s’il y avait au monde un homme plus sage que moi. Or la pythie lui répondit qu’il n’y en avait aucun. […]

VI. – Considérez maintenant pourquoi je vous en parle. C’est que j’ai à vous expliquer l’origine de la calomnie dont je suis victime. Lorsque j’eus appris cette réponse de l’oracle, je me mis à réfléchir en moi-même : « Que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car moi, j’ai conscience de n’être sage ni peu ni prou.

Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment certainement pas ; cela ne lui est pas permis. »

Pendant longtemps je me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grand-peine, à m’en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensant que je ne pouvais, mieux que là, contrôler l’oracle et lui déclarer : « Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu m’as proclamé le plus sage. » J’examinai donc cet homme à fond ; je n’ai pas besoin de dire son nom, mais c’était un de nos hommes d’État, qui, à l’épreuve, me fit l’impression dont je vais vous parler. Il me parut en effet, en causant avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était point.

J’essayai alors de lui montrer qu’il n’avait pas la sagesse qu’il croyait avoir. Par-là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des assistants.

Tout en m’en allant, je me disais en moi-même : « Je suis plus sage que cet homme-là. Il se peut qu’aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir. »

Notez cette phrase quand il parle de l’homme d’état : « Cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même.», surtout à lui-même, peut être que certains de nos contemporains devraient méditer cette phrase.

Mais c’est la conclusion que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour et dont l’esprit est que la sagesse est lié au fait de savoir ce que je ne sais pas.

Nous savons scientifiquement indiscutablement plus qu’à l’époque de Socrate, mais l’étendue de notre non savoir est toujours considérable.

Rachid Benzine, dans une phrase que j’aime à répéter et à me répéter, a remarquablement modernisé le propos de Socrate : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Donc si nous savons que nous ne disposons ni d’un vaccin, ni d’un médicament efficace, il n’y avait que deux solutions pour les gouvernements :

  • Prendre une stratégie d’immunisation de groupe qui permettait de rendre les populations résistantes au virus au bout de quelques mois et le virus inoffensif. Cette stratégie avait pour grand avantage de pouvoir continuer à faire fonctionner l’économie mais avait un grand désavantage d’augmenter le nombre de morts et surtout de saturer les unités de soins intensifs des hôpitaux.
  • Prendre une stratégie de confinement qui permettait de freiner la propagation du virus, de maîtriser autant que possible la saturation des hôpitaux et de gagner du temps pour permettre à la recherche d’essayer d’avancer sur la confection d’un vaccin ou d’un médicament. Cette stratégie avait pour grand désavantage de ne pas régler le problème du virus car sans immunité de groupe, il va probablement continuer à se transmettre et puis il y a le désastre économique qui est devant nous et peut être les conséquences psychologiques du confinement.

Quelle était la meilleure stratégie ? Nous ne le savons pas. Le plus grand nombre d’États a choisi la seconde stratégie.

J’entends ceux qui disent, la seconde stratégie a privilégié la vie et la santé.

Je suis désolé, nous ne le savons pas. Nous pourrons approcher ce savoir après la crise économique qui s’ouvre devant nous.

Quelle sera l’ampleur de cette crise économique, nous ne le savons pas.

Cette crise va-t-elle permettre de faire mieux après ?

Nous ne le savons pas.

Certains sont très pessimistes comme Michel Houellebecq « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. », d’autres plus optimistes ou plus volontaristes comme Nicolas Hulot : « Le monde d’après sera radicalement différent de celui d’aujourd’hui, et il le sera de gré ou de force »

Mais cette incroyable expérience a quand même enrichi notre savoir :

Nous savons que nous avons construit un monde plein de fragilités, dans lequel un virus se transmet dans le monde entier en un temps record en raison des flux humains professionnels et touristiques.

Nous savons que nous sommes extraordinairement dépendants, dans le domaine de la santé, des chinois et des pays asiatiques aujourd’hui.

Nous avons compris que les soignants et les aides-soignants, les salariés des magasins d’alimentation, les éboueurs sont des métiers de l’essentiel, indispensables à notre survie et ces salariés sont situés en bas de l’échelle des salaires.

Nous avons compris que la stratégie des flux tendus, la volonté d’éviter au maximum des stocks immobilisés dans un hangar est inefficace quand on est en présence d’une pandémie comme celle que nous vivons.

Et nous avons chacun appris certainement tant d’autres choses utiles et qui doivent nous permettre de devenir plus sages.

Mais nous devons accepter de vivre dans un monde d’incertitudes et ne pas nous raccrocher à des femmes et surtout des hommes qui parlent haut et fort en prétendant savoir, alors qu’ils ne savent pas qu’ils ne savent pas ce qui est très dangereux.

Concernant les émissions récentes sur le confinement, j’ai trouvé très intéressantes celles de ce dimanche de :

  • <L’esprit public officiel> : « Demain, quel retour au travail ? »
  • Mais aussi l’émission, les papys font de la résistance : <Le nouvel esprit public> : « Liberté, que d’abus on commet en ton nom & Couple franco-allemand : chambre à part»

Demain je reprendrai à nouveau du recul par rapport à la pandémie et me replongerai dans le livre : « comprendre le monde ».

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Mercredi 29 avril 2020

«Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu.»
Robert Herbin après la défaite de Saint Etienne à Liverpool en 1977

Dans ma famille, la grande passion était la musique qui était devenu le métier de mon père et qui a toujours été le métier de mon frère ainé Gérard.

Mais nous nourrissions tous une passion, disons secondaire, pour le football. Mon frère Roger a d’ailleurs abandonné le piano pour se consacrer davantage au football qu’il a pratiqué fort longtemps dans des clubs amateurs de très bon niveau. Mon père et moi avons ainsi visité de très nombreux stades de football de l’Est de la France pour le suivre.

Et Parallèlement nous avons suivi l’épopée des verts de l’AS Saint-Etienne sous la direction de Robert Herbin.

Depuis je me suis éloigné du football, j’ai expliqué ce malaise lors de plusieurs mots du jour consacrés au football et notamment la série réalisée avant la coupe du monde de 2018 en Russie et que j’avais mis sous la philosophie de cette phrase de Camus : «Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois »
Il est vrai que depuis cette époque la financiarisation du monde s’est aussi abattue sur le monde du football, dans lequel le fric peut tout, envahit tout, salit tout.
Déjà à la fin de l’épopée des verts, Robert Herbin fut aussi touché par le scandale de la caisse noire mise en place par le président du club Roger Rocher noyé dans ses rêves de grandeur et de besoin d’argent pour faire face au début de l’inflation sur le marché du football.

C’était le début de la fin pour mon grand intérêt pour le football.

Mais avant, il y eut les 3 magnifiques épopées des verts en coupe d’Europe des champions.

Bien sûr, tout le monde parle des poteaux carrés du stade des Glasgow Rangers qui selon la légende avait empêché Saint Etienne de marquer un but à Sepp Maier, le mythique gardien du Bayern Munich.

Robert Herbin affirme ne jamais avoir revu ce match. Mais un autre joueur l’avait revu. Je ne me souviens plus du nom de ce joueur mais je me souviens de son analyse :

« Je croyais qu’on avait dominé le Bayern Munich, mais après avoir revu, le match j’ai compris que c’était eux qui le maîtrisait.»

Quelquefois les premières impressions sont trompeuses. Mais c’est avec cette légende et ces premières impressions d’une équipe de Saint Etienne quasi vainqueur qu’il avait été décidé de faire défiler l’équipe sur les Champs Elysées comme après chaque victoire sur les allemands …

Lors de la première épopée lors de la saison 1974-1975, Saint Etienne avait été stoppée en demi-finale déjà par le Bayern de Munich. Mais avant cela en Huitième de finale, Saint Etienne avait fait vibrer toute la France. Après un médiocre match aller en Yougoslavie perdu 4-1, Saint Etienne a réalisé un exploit au retour en battant Hajduk Split par 5-1. Cette remontée est restée dans ma mémoire, comme un moment d’émotion. Je pense que je ne suis pas le seul.

Puis la saison suivante, l’année de la finale, il y eut un autre retournement en quart de finale contre le Dynamo Kiev. Après un 2-0 à l’aller, Saint Etienne a vaincu le club du ballon d’or, Oleg Blokhine, 3-0.

Et puis vint la demi-finale avec une défense héroïque au PSV Eindhoven 0-0 après une victoire sur le plus petit score à l’aller à Geoffroy Guichard.

Mais c’est sur un autre match que je voudrai revenir, c’était la saison suivante, en quart de finale contre Liverpool.

Saint Etienne avait gagné le match aller 1-0 et le retour avait lieu dans le stade de l’Anfield Road dans lequel les supporters de Liverpool chante des hymnes qui subjuguent les adversaires de leur club et notamment le fameux « You’ll never walk alone ».
Ce fut un match magnifique. Saint Etienne était qualifié jusqu’à 6 minutes de la fin du match.

<Les cahiers du football> racontent alors ce qui s’est passé :

« La fatigue se fait sentir de part et d’autres et les entraîneurs commencent à procéder à quelques remplacements. Alain Merchadier a le visage en sang et se fait remplacer par un attaquant, Hervé Révelli. Robert Herbin est convaincu que le meilleur moyen de défendre face aux Reds est de les prendre à la gorge. De son coté, Bob Paisley remplace John Toshack par un jeune rouquin, quasiment inconnu chez nous, David Fairclough.

Le gamin de vingt ans est bien en jambes. À Liverpool, on le surnomme déjà Super-Sub pour avoir en quelques occasions inscrit un but important peu après son entrée en jeu. Lorsqu’il est lancé par Ray Kennedy, à la 84e minute de ce quart de finale contre Saint-Étienne, il se montre plus rapide que Christian Lopez. Il entre dans la surface de réparation, contrôle et frappe du pied droit. Le ballon passe sous Ivan Curkovic et va mourir au fond des filets.

« Supersub strikes again !« , s’égosille le commentateur de la BBC. Les images sont gravées dans l’inconscient collectif: Fairclough court ses longs bras levés devant le Kop qui, comme embrasé, est devenu entièrement rouge. 3-1, les Verts ne s’en relèveront plus. Certains esprits reprocheront à Christian Lopez de ne pas avoir su stopper la course du rouquin, de ne pas avoir commis la faute qui aurait empêché le but »

Lopez n’a pas fait le croc en jambe avant la surface de réparation qui aurait annihilé la course de l’anglais contre un coup franc beaucoup moins dangereux.

Après le match, on a demandé à Robert Herbin s’il ne regrettait pas que Lopez n’ait pas taclé Fairclough. et par un acte d’anti-jeu permis à Saint-Etienne de se qualifier. La réponse de Herbin fut la suivante :

« Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu »

Je n’ai pas retrouvé cette phrase sur internet, je la cite de mémoire et je suis certain de l’esprit de la réponse sans être sur des mots.

Cette saison-là Liverpool allait gagner sa première ligue des champions avant beaucoup d’autres et mettre fin au règne du Bayern de Munich vainqueur des trois dernières éditions.

Saint-Etienne si elle s’était qualifiée aurait peut être gagné la coupe, le Bayern était éliminé. Robert Herbin ne gagna jamais cette compétition.

On apprend beaucoup par le football, aussi qu’on peut mettre les valeurs et l’éthique avant la victoire. Tel était Robert Herbin.

On trouve sur le site de l’AS Saint-Etienne, le récit suivant :

« La suite est connue avec ce maudit 3e but de la part de Fairclough, à 6 minutes de la fin du match, remplaçant de luxe qui a l’habitude d’être décisif à chaque fois qu’il rentre. Christian Lopez a essayé de l’arrêter mais il n’a pas commis l’irréparable pour l’empêcher d’aller au bout de son action qui s’est terminé par un tir à ras de terre imparable. Il aurait pu pourtant et aujourd’hui, un défenseur ne se serait même pas posé la question mais à pas à l’époque. Il est trop tard pour revenir et Saint-Etienne est éliminée alors que tous les observateurs sont unanimes une fois de plus pour souligner que les Français ont réalisé certainement leur meilleur match européen. Cela n’a pas suffi et bien peu peuvent s’imaginer en fait qu’ils ont assisté à Anfield Road à la fin d’une épopée.

Obsédé par cette coupe dEurope, Roger Rocher va alors abandonner la politique de formation qui avait fait la force de l’ASSE pour recruter des stars avec le résultat que l’on connaît.

Pour sa part, Liverpool va continuer sa route qui le mènera jusqu’à la victoire finale. Quand on sait que les Anglais ont affronté le FC Zurich en demi-finale qu’ils ont surclassés ainsi que les Allemands du Borussia Moenchengladbach qu’ils ont facilement battu en finale (3-1), les regrets peuvent être éternels pour la troupe de Robert Herbin. »

Il y a une autre raison qui me plait chez Robert Herbin qui a quitté ce monde le 27 avril 2020, c’était un mélomane averti. Il rejoint ainsi ma première passion

Claude Askolovitch rapporte dans sa revue de presse de ce mardi:

« On parle d’une symphonie…Qui porte le beau nom de « Résurrection » et qu’un père musicien fit découvrir à son fils footballeur et blessé, c’était en 1966: Robert Herbin pendant la Coupe du monde était passé à la moulinette d’un anglais destructeur, Nobby Stiles, on ne savait pas s’il marcherait à nouveau, mais le papa de Robert jouait du trombone à l’opéra de Nice et savait ce qui guérit, la deuxième symphonie de Gustav Mahler, Résurrection. Robert qui marcha et joua à nouveau et puis fut entraineur et pendant le football et après le football continua à chérir Mahler et ce matin l’on me parle de Gustav Mahler dans l’Equipe, sur le site France Info dans le Parisien dans le Progrès où je vois des photos en noir et blanc d’un enfant footballeur puis d’un homme au même regard habité… C’est au Progrès qu’Herbin avait raconté en 2009 la naissance de sa passion musicale….

On me parle de Gustav Mahler parce que vous le savez Robert Herbin est mort et l’on égrène alors ce qui compta dans une vie qui changea la nôtre… »

Donc la symphonie N° 2 « Résurrection » de Mahler dont j’avais fait l’objet du mot du jour du <Dimanche 5 avril 2020>.

Claude Askolovitch qui nous donne aussi l’explication pourquoi on appelait Robert Herbin, le sphinx. Ce nom lui avait été donné par le journaliste Jaques Vendroux

«  Vendroux, il le raconte à l’Equipe, était supporter et ami de Herbin, dont il avait trouvé le surnom qui fait la Une de l’Equipe ce matin, « la légende d’un sphinx », un jour où il s’était mis en colère contre Robert qui répondait par des oui monosyllabiques à ses question s: « T’es un sphinx, tu ne réagis pas, tu ne dis rien! » »

Robert Herbin vivait comme un ermite près de Saint Etienne. Il avait sombré dans l’addiction à l’alcool.

Pourquoi cette solitude, ce retrait ?

Jean-François Larios, ancien joueur de Saint Etienne alors que Robert Herbin était l’entraîneur donne son explication de ce retrait :

« Parce qu’à un moment donné, parler aux cons, ça les enrichit. Et il n’en avait plus envie. Il a préféré terminer ses jours dans son monde, entouré de ses chiens et bercé par sa musique. Sans déranger personne. »

Cette solitude au temps du confinement a conduit à une finitude triste :

« Éloigné volontairement de ses anciens coéquipiers et amis, il n’avait pour seule compagnie son chien. Il bénéficiait de l’aide d’une femme de ménage et d’un proche qui faisait ses courses, mais avec le confinement, il s’est retrouvé démuni. C’est sa sœur, inquiète de ne pas avoir de nouvelles depuis plusieurs jours, qui a lancé l’alerte. La gendarmerie a alors découvert Robert Herbin incapable du moindre mouvement, désorienté et en déshydratation. Le CHU de Saint-Etienne, malgré la crise du coronavirus, a pu lui trouver un lit. »

Sic transit gloria mundi
« Ainsi passe la gloire du monde ».

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