Vendredi 25 mai 2018

« Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »
Albert Cohen « Le livre de ma mère » chapitre 27

Ce dimanche est consacré à la fêtes des mères. Pour ce jour je voudrais partager ce mot d’Albert Cohen.

L’immense écrivain, Albert Cohen a écrit un livre : « Le livre de ma mère », livre d’un fils qu’il a consacré à sa mère alors qu’elle ne faisait plus partie de la communauté des vivants.

C’est un livre bouleversant qui est certainement résumé par ces quelques mots que j’ai mis en exergue.

C’est un livre aussi très drôle où il raconte des anecdotes sur sa mère qui est une mère juive.

Mais toutes les mères sont un peu « des mères juives ».

Alors elle est bien sûr inquiète que son fils ne suive pas les règles communautaires :

« Dis mon enfant, à Genève, tu ne manges pas de l’Innommable ? [traduction : du porc].
Enfin, si tu en manges, ne me le dis pas, je ne veux pas savoir. » (page 25)

Ou encore :

« Écoute, mon fils, même si tu ne crois pas en notre Dieu, à cause de tous ces savants, maudits soient-ils, eux et leurs chiffres, va tout de même un peu à la synagogue, supplia t’elle gentiment, fais-le pour moi. (page 24

Elle était simple, pieuse et suivait scrupuleusement les règles religieuses qu’on lui avait enseigné. Elle était pourtant très lucide sur les fondements de sa religion :

« Mon fils, vois-tu, les hommes sont des animaux. Regarde-les, ils ont des pattes, des dents pointues. Mais un jour des anciens temps, notre maître Moïse est arrivé et il a décidé, dans sa tête, de changer ces bêtes en hommes, en enfants de Dieu, par les Saints Commandements, Tu comprends. Il leur a dit : tu ne feras pas ceci, tu ne feras pas cela, c’est mal […]. Moi, je crois que c’est lui qui a inventé les Dix commandements en se promenant sur le Mont Sinaï pour mieux réfléchir. Mais il leur a dit que c’était Dieu pour les impressionner, tu comprends. Tu sais comment ils sont, les juifs. Il leur faut toujours le plus cher. […] Alors, Moïse qui les connaissait bien, s’est dit : si je leur dis que les commandements viennent de l’Eternel, ils feront plus attention, ils respecteront davantage. » (Page 69)

La sagesse des simples…

Mais il n’est finalement que peu question de sujets proprement juifs dans ce livre. Il est bien davantage question de l’histoire universelle des fils avec leur mère.

Et Albert Cohen de raconter ce qu’il a vécu avec sa mère qui était toujours prête à l’impossible pour lui, à toutes les attentions et lui de raconter toutes ces fois où il a manqué de temps, d’attention, de douceur ou même les cas où il a été injuste à son égard. Et nous arrivons au chapitre 27 :

« Et pourtant je l’aimais.
Mais j’étais un fils.
Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles.
Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles.
Je n’aurai pas écrit en vain, si l’un de vous, après avoir lu mon chant de mort, est plus doux avec sa mère, à cause de moi et de ma mère.
Soyez doux chaque jour avec votre mère.
Aimez-la mieux que je n’ai su aimer ma mère.
Que chaque jour vous lui apportiez une joie, c’est ce que je vous dis du droit de mon regret, gravement du haut de mon deuil.
Ces paroles que je vous adresse, fils des mères encore vivantes, sont les seules condoléances qu’à moi-même je puisse m’offrir. […]

Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis.» (page 168-170)

On dit que les hommes de la guerre 14-18, endurcis et prêt à tous les sacrifices, au moment ultime et dans leur plus grande détresse n’avez qu’un mot qui venait spontanément : « Maman »

Fils des mères encore vivantes, n’oubliez pas que vos mères sont mortelles.

Car il y a une vie avant la mort, pendant laquelle vous pouvez agir avec attention, en bienveillance et en douceur.


<1075>

Lundi 9 avril 2018

« Nous allons vers une humanité à deux vitesses »
Jacques Testart

Jacques Testart, né en 1939, est un biologiste français célèbre puisqu’il fût celui que Le MONDE appelle le père scientifique du premier bébé-éprouvette français né en 1982 et auquel on a donné le nom d’Amandine.

Il vient de publier un livre avec Agnès Rousseaux aux Editions du Seuil : « Au Péril de l’humain : les promesses suicidaires des transhumanistes »

Ce livre est présenté ainsi sur le site des Editions du Seuil :

« Fabriquer un être humain supérieur, artificiel, voire immortel, dont les imperfections seraient réparées et les capacités améliorées. Telle est l’ambition du mouvement transhumaniste, qui prévoit le dépassement de l’humanité grâce à la technique et l’avènement prochain d’un « homme augmenté » façonné par les biotechnologies, les nanosciences, la génétique. Avec le risque de voir se développer une sous-humanité de plus en plus dépendante de technologies qui modèleront son corps et son cerveau, ses perceptions et ses relations aux autres. Non pas l’« homme nouveau » des révolutionnaires, mais l’homme-machine du capitalisme. »

Le MONDE a publié le 8 avril un entretien avec cet homme de science qui avoue sa méfiance à l’égard du libéralisme, on peut lire par exemple cet article de 2007 qu’il a rédigé : L’eugénisme au service du libéralisme, par Jacques Testart

Dans son nouvel ouvrage il s’attaque au transhumanisme et à ce qu’il appelle : « Les promesses suicidaires ».

Dans l’entretien avec du MONDE, il parle de sa première expérience dans laquelle il a été confronté aux dérives de la technoscience :

« . A la fac de biologie cellulaire où je suivais des cours, un prof qui s’appelait Charles Thibault m’avait à la bonne. Il m’a proposé de venir travailler sous contrat dans son labo de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), à Jouy-en-Josas (Yvelines). J’y suis entré en 1964, j’étais ravi ! […]

L’idée était de trouver un moyen de multiplier rapidement les vaches de haute qualité laitière. J’ai mis au point une méthode pour extraire des embryons de l’utérus de vaches « donneuses », puis pour les transplanter dans celui de « receveuses » – autrement dit de mères porteuses. Et en 1972, au moment où sont nés les premiers veaux issus de ces techniques, je me suis aperçu que c’était complètement idiot : la surproduction de lait européen provoquait la ruine des éleveurs, et on me payait pour augmenter la production laitière ! Je suis allé voir le directeur de l’INRA pour lui dire que j’étais scandalisé par ce qu’on m’avait fait faire. […].Plus encore qu’être en colère, j’avais honte. Pour les paysans. Et pour la science, qui s’écrivait pour moi avec un grand S. La science, cela se rapprochait de la philosophie, c’était une compréhension du monde. En fait, ce que j’aurais voulu faire, c’est le travail de Jane Goodall, observer les grands singes… C’est magnifique, ça ! Mais faire faire des petits à des vaches pour avoir plus de lait ? C’était de la technique, pas de la science. »

Il revient aussi sur la naissance d’Amandine ainsi que son conflit avec le Professeur gynécologue René Frydman avec lequel il a réussi cette avancée scientifique majeure. Cet évènement s’est déroulé à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP), à Clamart (Hauts-de-Seine). L’équipe était dirigée par le chef de service Émile Papiernik, le professeur René Frydman en est le responsable clinique et le biologiste Jacques Testart le responsable scientifique. Jacques Testart raconte cette expérience et les leçons qu’il en a tiré ainsi :

« [J’ai eu] la chance de rencontrer Emile Papiernik, le patron du service de gynécologie de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart, qui montait un laboratoire de recherche sur la stérilité. Il m’a proposé de venir travailler avec lui. Cela me permettait de fuir la recherche productiviste ! On était en 1977, et personne ne parlait alors de fécondation in vitro.

Et l’année suivante, en Grande-Bretagne, on annonce la naissance de Louise Brown, le premier « bébé-éprouvette »…

Et les gynécologues de Béclère, René Frydman au premier chef, me demandent de mettre au point la fécondation in vitro (FIV) chez l’humain, en m’appuyant sur mes connaissances en reproduction animale. J’ai dit oui tout de suite ! Utiliser la FIV pour pallier certaines stérilités, cela me semblait une belle mission. Dans ces années-là, j’ai publié comme jamais dans ma vie, jusqu’à deux articles par mois !

Mais déjà, il commençait à y avoir des tensions entre Frydman et moi. Il essayait de s’approprier le laboratoire comme si j’étais son technicien, ce que je ne supportais pas du tout. Et puis, il y a eu la grossesse d’Amandine. Et l’accouchement, je ne l’ai pas vécu. Je l’ai appris à 3 heures du matin par un coup de fil de Frydman, qui m’annonce que le bébé est sorti, que ça s’est très bien passé et qu’on a une conférence de presse à midi ! C’est comme ça que j’ai appris la naissance d’Amandine.

[…] Le battage médiatique qui a suivi la naissance d’Amandine nous a transformés – abusivement – en héros. On en rigolait ensemble, on allait dans des congrès à l’autre bout du monde… C’était assez confortable, bien sûr – sortir de la masse, c’est quelque chose qui fait plaisir à tout le monde. Mais en même temps, je trouvais que ce n’était pas mérité. Entre Frydman et moi, les choses ont continué de se dégrader au fil des ans. Nous avions monté un vrai laboratoire hospitalier, avec du bon matériel, mais nous étions de moins en moins souvent d’accord. Frydman voulait qu’on congèle les ovules, moi j’étais contre car, à l’époque, cela créait des anomalies chromosomiques… Nous avions beaucoup d’autres sources de conflits. Jusqu’à ce que j’apprenne, en 1990, que j’étais viré de l’hôpital Béclère. »

Malgré leurs divergences ils se sont retrouvés récemment dans les colonnes du Monde en cosignant une tribune avec une quarantaine de personnalités contre la gestation pour autrui (GPA).

Dans l’article du MONDE il raconte que très rapidement après la naissance d’Amandine il a commencé à s’inquiéter des retombées de la procréation médicalement assistée (PMA).

«  J’ai été effaré du bruit qu’a fait cette naissance, je trouvais ça très exagéré. A la même époque, il y avait des recherches sur des souris ou des mouches beaucoup plus importantes ! Nous avions fait du beau boulot, cela nous avait demandé beaucoup de dévouement et un peu de jugeote, d’accord. Mais au niveau de la science, cet événement ne valait rien, d’autant que Robert Edwards l’avait fait quatre ans avant nous avec Louise Brown. Je me suis donc mis à cogiter. Et j’ai compris que l’événement, c’était de pouvoir voir ce futur bébé neuf mois avant sa naissance. De pouvoir voir à l’intérieur de l’œuf et d’intervenir au stade le plus précoce, avec la possibilité de modifier ou de trier les enfants à naître. J’ai écrit L’Œuf transparent (Flammarion, « Champs », 1986) pour raconter cela. Pour dire que ce que nous venions de réussir ouvrait la voie à un nouvel eugénisme, consensuel et démocratique.

[Après] les vaches laitières à l’INRA […] je me suis fait avoir deux fois de suite. J’avais travaillé pour des femmes dont les trompes étaient bouchées de manière irréversible, j’avais fait de la plomberie, et je n’avais pas réfléchi aux perspectives que cela ouvrait : faire naître des enfants qui non seulement n’ont pas certaines maladies graves, mais qui sont éventuellement choisis parmi plusieurs embryons pour certaines qualités.

Je me suis alors mis à lire des ouvrages sur l’eugénisme. Pas l’eugénisme bête et méchant du nazisme, mais un eugénisme « intelligent » à la Francis Galton, tel qu’il fut promu durant le premier tiers du XXe siècle en Scandinavie et aux Etats-Unis, avec la stérilisation massive d’individus considérés comme déviants… Cela faisait un peu froid dans le dos. Mes craintes n’étaient pas très partagées, beaucoup considéraient comme impossible de réaliser un diagnostic génétique sur un embryon de quelques cellules, mais l’avenir se chargea vite de leur donner tort : le diagnostic préimplantatoire fut mis au point par les Britanniques en 1990, et fut accepté par la première loi française de bioéthique dès 1994 ! »

Tout en dénonçant les dérives qu’il constatait, il a continué à aider des couples à avoir l’enfant qu’ils ne parvenaient pas à faire tout seuls, mais pas contribuer à faire autre chose que des bébés du hasard.

Et pour lui Le transhumanisme, c’est le nouveau nom de l’eugénisme :

« C’est l’amélioration de l’espèce par d’autres moyens que la génétique. C’est la perspective de fabriquer de nouveaux humains plus intelligents qui vont vivre trois siècles, quand les autres deviendront des sous-hommes. Et cette perspective, qui créera une humanité à deux vitesses, est en passe d’être acceptée par la société. »

Jacques Testart est devenu un lanceur d’alerte qui nous interpelle.

Je n’ai cité que des extraits de l’article du Monde qui devrait être lu entièrement : <LIEN>

Il a rédigé aussi une tribune dans <Le Parisien du 8 avril 2018>

<1052>

Jeudi 29 mars 2018

« Carême »
Période de jeûne et d’abstinence de quarante jours

Pour tous ceux qui ont une culture religieuse chrétienne « le temps de carême » est bien connu. Mais pour les autres ?

Le plus simple serait, semble t’il, de comparer : Le carême est le ramadan des chrétiens.

Mais comment dire ou écrire cela, aujourd’hui en France …

  • Certains réagiront de manière sereine :il faut bien expliquer les choses avec des notions actuelles, des références connues !
  • D’autres seront effarés, scandalisés : Comment peut-on, en terre chrétienne, définir un des moments forts du calendrier chrétien par une référence islamique !

Alors parlons de Carême, sans faire référence à l’Islam.

Nous sommes Jeudi 29 mars 2018, dimanche ce sera Pâques et donc demain nous serons vendredi saint, jour férié en Allemagne, dans les pays protestants et en Alsace Moselle.

Le jour précédent Vendredi Saint est aussi saint. Nous sommes donc Jeudi Saint, dernier jour de Carême comme le dit le site des Évêques de France.

Ce qui contredit ce site et même le journal « La Croix » et beaucoup d’autres sites qui prétendent que Carême s’arrête le dimanche de Pâques.

Nous savons donc que le carême finit Jeudi Saint, mais quand commence t’il ?

Cette année, selon le site des évêques de France, Carême a commencé le 14 février. A quoi correspondait ce 14 février ?

Dans l’année liturgique chrétienne, c’est le Mercredi des Cendres. Le Mercredi des cendres, premier jour du Carême, est marqué par l’imposition des cendres : le prêtre dépose un peu de cendres sur le front de chaque fidèle.

C’est encore le site des Évêques de France qui donne des explications sur la symbolique des cendres:

« On trouve déjà le symbolisme des cendres dans l’Ancien Testament. Il évoque globalement la représentation du péché et la fragilité de l’être. On peut y lire que quand l’homme se recouvre de cendres, c’est qu’il veut montrer à Dieu qu’il reconnaît ses fautes. Par voie de conséquence, il demande à Dieu le pardon de ses péchés : il fait pénitence.

[…] La cendre est appliquée sur le front pour nous appeler plus clairement encore à la conversion, précisément par le chemin de l’humilité. La cendre, c’est ce qui reste quand le feu a détruit la matière dont il s’est emparé. Quand on constate qu’il y a des cendres, c’est qu’apparemment il ne reste plus rien de ce que le feu a détruit. C’est l’image de notre pauvreté. Mais les cendres peuvent aussi fertiliser la terre et la vie peut renaître sous les cendres. »

Avant mercredi des cendres, il y a mardi gras. Mardi gras est une période festive, qui marque la fin de la « semaine des sept jours gras ». La semaine des sept jours gras qui, elle, termine la période Carnaval. Carnaval qui est un emprunt à l’italien carnevale ou carnevalo. Il a pour origine carnelevare, un mot latin formé de carne « viande » et levare « enlever ». Mais je ferais probablement un mot du jour sur carnaval.

Ici ce qui est important c’est de faire le lien entre la nourriture grasse et la viande jusqu’à mardi gras qui est le summum de cette période et auquel succède le Mercredi des cendres et le carême, où les chrétiens sont invités à « manger maigre » en s’abstenant de viande.


Carême a commencé le 14 février et se termine donc aujourd’hui le Jeudi 29 mars 2018. Si vous comptez le nombre de jours vous aboutirez à 44 jours. Pourtant, il est écrit partout que le Carême dure 40 jours.

Mais, si on en revient au site de référence des Évêques nous pouvons lire :

La durée du Carême – quarante jours sans compter les dimanches – fait en particulier référence aux quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise ; elle renvoie aussi aux quarante jours passés par le Christ au désert entre son baptême et le début de sa vie publique. Ce chiffre de quarante symbolise les temps de préparation à de nouveaux commencements.

Nous comprenons donc qu’il faut enlever les dimanches. Seulement vous constaterez que pendant cette période il y a 6 dimanches. 44 – 6 donne 38, nous ne sommes toujours pas à 40.

Fernand Braudel disait : «en Histoire les choses sont toujours vraies à peu près», probablement qu’en religion il en va de même.

Pourquoi Quarante ? Comme l’explique le site des évêques cette durée fait référence aux quarante jours où Jésus serait resté dans le désert pour résister aux tentations de Satan. C’est ainsi que l’histoire chrétienne le raconte. Et ce chiffre quarante fait lui-même référence à un autre épisode mythique de l’histoire biblique : les quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise.

Rappelons que la Pâque juive, «  Pessa’h », célèbre justement l’Exode des juifs hors d’Égypte. Or le Christ serait venu à Jérusalem pour fêter la Pâque Juive et c’est ainsi qu’il aurait institué la « Sainte Cène » où il a partagé le pain et le vin avec ses disciples. Cet épisode se serait passé Jeudi Saint. Léonard de Vinci a immortalisé ce « moment culte » comme on dirait aujourd’hui. Il me semble que cette expression est particulièrement appropriée pour ce que De Vinci a peint.

Cette peinture murale a été réalisée de 1495 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan et était une commande de Ludovic Sforza, Duc de Milan.

Les chrétiens reprendront le terme de Pâque pour célébrer la « résurrection du Christ » qui constitue le centre de leur croyance et de leur Foi.

Mais le sujet principal de ce mot du jour est « Carême ».

Le site savant Lexilogos précise :

Le carême vient du latin quadragesima (dies) : quarantième (jour). En ancien français, on écrivait quaresme. On devrait même plutôt dire : la carême, comme l’italien quaresima et l’espagnol cuaresma. Autrefois, on employait aussi le terme de (sainte) quarantaine pour désigner le carême.

C’est un calque du grec ecclésiastique : τεσσαρακοστή (tessarakostè). Si le carême évoque à l’origine le 40e jour avant Pâques , il s’oppose à la Pentecôte qui évoque le 50e jour après Pâques. La Pentecôte vient du grec ancien πεντηκοστή (pentèkostè) : cinquantième (jour).

Nous apprenons qu’il faut dire : « la Carême » et que carême a une racine latine qui signifie quarante. Constatons aussi que le polygone à quatre côtés s’appelle un carré. Alors que celui à cinq côtés est un pentagone, et que donc Pentecôte vient de la même racine et signifie cinquante.

Selon Wikipedia le catholicisme a institué la carême au IVème siècle.

Et si nous revenons à la première comparaison problématique entre le ramadan et la carême, le journal « La Croix » pose explicitement la question : Le (la) carême est-il le ramadan des chrétiens ?

Et y répond négativement de la manière suivante :

« Disons-le tout de suite, carême et ramadan sont des réalités différentes qui, pour l’essentiel, ne peuvent être comparées. Le ramadan n’est pas le carême des musulmans et le carême n’est pas le ramadan des chrétiens. Dans la tradition chrétienne, le carême désigne les quarante jours de préparation à la fête de Pâques. Il s’inspire du temps que Jésus a passé au désert pour se préparer à sa mission. (Matthieu 4, 2). Pour vivre ce temps, l’Église propose aux chrétiens trois moyens pour se garder disponibles envers Dieu et les autres : la prière, le jeûne et l’aumône.

Si le carême chrétien est jeûne et privations, aumône et prière, il n’est pas simple obéissance à une loi « promulguée par Dieu dans sa sagesse ». Il est un temps de marche vers un objectif précis : la Résurrection de Jésus. Dans le carême, il y a une démarche personnelle de conversion individuelle (se tourner vers) et un mouvement collectif de l’ensemble des chrétiens en vue de l’édification du Corps du Christ qui est l’Église.

Le ramadan est le 9e mois de l’année musulmane, année lunaire comportant 11 ou 12 jours de moins que l’année solaire. Le jeûne rituel du mois de ramadan, quatrième pilier de l’Islam, fut décrété deux ans après l’Hégire. C’est au cours de ce mois que la tradition musulmane fixe la transmission du Coran à Muhammad par l’ange Gabriel. Globalement, le jeûne du mois de ramadan consiste à s’abstenir de toute nourriture et boisson, de relations sexuelles et à ne pas fumer du lever au coucher du soleil. La validité du jeûne exige un état de pureté légale. Parmi les anniversaires de la vie du Prophète célébrés au cours du mois de ramadan, la 27e nuit est le plus important.

On y commémore la Nuit du Destin, nuit solennelle au cours de laquelle le Coran est descendu parmi les hommes. « Elle est meilleure que mille mois » et « elle est un Salut jusqu’au lever de l’aurore » (Q. 97, 3.5.). Temps de partage, le mois de ramadan l’est à double titre. Pendant la journée, celui qui possède partage le sort du pauvre en se privant. Pendant la nuit et lors de la fête de la rupture du jeûne, il doit veiller à ce que son voisin pauvre ait le nécessaire pour rompre le jeûne. Si le jeûne du ramadan est obéissance à la Loi que Dieu a donnée à l’humanité dans sa sagesse et un temps de partage, il est aussi un moyen de purification et de lutte contre les convoitises. »

Ce n’est donc pas la même chose, il en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas d’un exercice spirituel pendant lequel le croyant doit s’abstenir de faire des choses que son corps et sa chair désirent.

Résumons : nous sommes jeudi saint, jour de la Sainte Cène, j’ai donc opportunément ajouté une photo du chef d’œuvre de Léonard de Vinci.

Jeudi Saint étant aussi la fin de la Carême, il paraissait donc pertinent de consacrer un mot du jour à ce terme.

Enfin, étant donné mes racines mosellanes, j’ai été habitué à ce que vendredi saint soit férié, je m’octroie donc une trêve pascale.

Le prochain mot du jour sera publié mardi 3 avril, après lundi de Pâques.

<1047>

Mardi 27 mars 2018

« Nier la mort »
Tentative de certains humains à l’aide d’outils numériques et d’intelligence artificielle

C’est le journal <Les Echos> dans son édition du 5 mars 2018 qui l’écrit : « L’intelligence artificielle commence à faire parler les morts »

C’est ainsi qu’un américain et qu’une russe ont programmé des « chatbots » à partir d’anciennes conversations avec leurs proches décédés :

John James Vlahos est mort d’un cancer en février 2017. Son fils, James, continue pourtant de discuter avec lui via Facebook Messenger. Il a intégré sur le réseau social une intelligence artificielle (IA) de sa confection, le « dadbot ». Pour le programmer, ce journaliste américain a profité des derniers mois de vie de son père pour enregistrer leurs conversations. Sa passion pour le football américain, les origines grecques de sa famille, l’histoire de son premier chien… Les souvenirs de John James Vlahos, comme son sens de l’humour et sa façon de lui demander « How the hell are you ? », lui survivent désormais artificiellement dans le « dadbot », sollicitable à chaque instant, comme n’importe quel contact Facebook.

Et une femme russe a eu une idée analogue, elle habite San Fransisco. Cela reste donc une histoire américaine :

« Alors qu’elle pleurait son meilleur ami, décédé brutalement dans un accident de voiture,  Eugenia Kuyda a tenté de l’immortaliser dans une IA baptisée « Replika ». Ce robot conversationnel, qu’elle a mis en route en 2016, s’est nourri des milliers de messages que les deux amis s’échangeaient en ligne. »

C’est un sociologue Patrick Baudry auteur de « La Place des morts, enjeux et rites » (L’Harmattan, 2006) qui dit :

« Avec ces technologies, on fait comme si la personne pouvait encore être là. C’est une tendance assez logique de notre culture contemporaine dans ses relations à la mort et aux morts ».

Perdre un être cher, c’est se retrouver face à une absence radicale, irréversible. James Vlahos et Eugenia Kuyda ont tous deux bricolé des « chatbots » pour se soustraire à cette réalité insupportable. Patrick Baudry explique :

« On a tous un penchant naturel à nier qu’une personne est partie […].

Mais là où, jadis, des rites funéraires accompagnaient la mort d’une personne, où les conventions sociales nous imposaient d’entrer en deuil et d’en sortir, notre société contemporaine laisse chacun se débrouiller à sa manière, et même rapproche de plus en plus le vivant et le mort. Bientôt, dans les entreprises de pompes funèbres, on proposera des hologrammes ! »

Les Echos donnent aussi la parole à une psychologue spécialiste du deuil : Véra Fakhry :

«  Après une période de choc liée au décès, la phase suivante est de rechercher la personne décédée. On va croire qu’on la croise dans la rue, on va relire ses messages… Cette phase est normale la première année, mais si elle continue, elle devient pathologique »

Le réseau social Facebook avait déjà semé les germes de cette immortalité artificielle. En effet des profils de personnes défuntes, changées en mémorial sur Facebook, sont quotidiennement inondés de messages.

James Vlahos  se fixe pourtant une limite à ce jeu bizarre :

« Pour moi, il y a une limite morbide à ne pas dépasser. Il ne faut pas essayer de créer quelque chose de trop réaliste »

Mais il avoue cependant :

« Essayer d’améliorer ‘dadbot’ tous les jours ».

Il comprend que son invention virtuelle ne remplacera jamais son père mais il voit dans cette technologie un bon moyen de « se souvenir de lui » et de transmettre ce souvenir à ses enfants.

Il est toujours compliqué de faire son deuil, mais être à la limite de nier la mort et se créer une illusion virtuelle simulant la présence de l’absent, me parait une réponse inappropriée et peu sage.

Il est à craindre cependant que dans l’avenir, des entreprises avides de business nouveaux proposent de telles béquilles virtuelles pour simuler la continuation de la présence d’un être cher en profitant de la détresse de celles et ceux qui sont dans le deuil.

Parfois, je viens à me demander si la religion n’est tout compte fait pas une solution plus sage que ces délires numériques.

<1045>

Jeudi 22 février 2018

« Modifier son rapport au temps, pour beaucoup d’entre nous, c’est d’abord réinvestir le présent. »
Christophe André

Je poursuis et termine mon butinage du numéro 185 du mercredi 17 janvier du « le un » qui posait cette belle question : « Est-il urgent de ralentir ? »

Ce numéro m’a appris aussi que la réflexion féconde qu’avait jadis popularisée François Mitterrand : « Il faut laisser du temps au temps » est de Miguel de Cervantés.

<Cette recherche érudite confirme que cette expression se trouve bien dans le Don Quichotte de Cervantés>

Mais c’est sur un article de Christophe André que je m’arrêterai aujourd’hui : « Renoncer et savourer »

Christophe André, commence d’abord par une histoire vécue :

« La scène se passe en il y a quelques années. Nous avons fait halte dans un hôtel, au petit déjeuner, je fais la queue avec d’autres clients pour obtenir une omelette double. Un cuistot les prépare sous nos yeux, et elles ont l’air délicieux. Mais que l’attente est longue ! Je m’impatiente et je me penche pour comprendre. C’est clair : le cuisinier est très minutieux, ajoute de nombreux ingrédients, épices, les uns après les autres, bavarde avec les clients…

Mais un détail me frappe : alors qu’il dispose de deux feux : devant lui, il n’en utilise qu’une. « Il pourrait aller deux fois plus vite, s’il se servait des deux feux », me chuchote mon cerveau d’occidental pressé.

Aussitôt, je réalise à quel point je suis intoxiqué : je suis en vacances, je n’ai pas d’horaires à respecter ce matin-là, et me voilà agacé d’attendre une délicieuse omelette, souhaitant que ce brave cuisinier accélère, ne parle plus aux clients, bâcle son travail, pour servir mon appétit absurde de vitesse et d’accélération !

Cet auto-allumage spontané de mon logiciel cérébral d’accélérite me montre à quel point le mal est profond, en moi, comme en beaucoup de mes contemporains…

Il fait alors une analyse et utilise ce nouveau concept « d’accélérite »

Nous souffrons d’accélérite, ce besoin que tout aille vite, ce sentiment constant que nous n’avons pas de temps à perdre. […]

Il y a ce constat simple et terrifiant : le monde est d’une richesse inépuisable, et une vie humaine entière ne suffira jamais à en explorer et à en savourer toutes les merveilles. Nous ne pouvons jamais lire tous les livres, visiter tous les lieux, rencontrer toutes les personnes, satisfaire toutes nos curiosités. Ce jamais nous fait trembler, et induit en nous ce sentiment absurde qu’en accélérant le pas, nous en ferons au moins un petit peu plus qu’en prenant notre temps. Notre monde est infini, nous sommes mortels, alors nous accélérons…

Puis, il nous incite à prendre garde et à interroger la notion d’« opportunité » ou de « potentialité » que le monde moderne nous conditionne à ne jamais laisser passer :

« [Dans notre] société de consommation : une société de pléthores et d’incitation, qui nous pousse à avaler le plus grand nombre possible de nourritures, de loisirs, d’informations, de distractions, de rencontres, de voyages…

Toutes ces potentialités comme les nomme le jargon moderne (plutôt que possibilités, plus paisible, moins excitant) sont des incitations à ne rien laisser passer : aucun achat, aucun plaisir, aucune opportunité (ah ! L’angoisse du consommateur de rater une opportunité !) »

Et il remet en cause de la même manière le terme de « réactivité » qui semble unilatéralement positif dans notre univers contemporain :

« Si la réactivité est devenue une valeur, au lieu de rester un simple comportement, parfois adapté et utile, mais parfois aussi stupide : réagir vite conduit souvent à faire ou dire des bêtises. »

Et c’est donc vers cette sagesse qui est de renoncer parfois que nous incite Christophe André : renoncer et savourer

« La pression du temps est désormais l’un des grands facteurs de stress moderne. […] Nous avons alors à le dégager de son emprise, en apprenant notamment à renoncer. Renoncer ? Cela semble tout bête : se dire qu’on n’aura jamais le temps de tout faire et de tout voir. Et pas seulement celui de se le dire, mais s’y entraîner.

[…] Savourer ? Trop souvent, nous regardons ailleurs : vers d’autres choses que celles que nous possédons, vers d’autres temps (passés ou futurs) que ceux que nous vivons. Modifier son rapport au temps, pour beaucoup d’entre nous, c’est d’abord réinvestir le présent. Non que le présent soit supérieur au passé ou au futur, mais il est tout aussi précieux et important. Or, c’est lui qui est en général bousculé et rongé par le consumérisme, qui souffle sur les braises de nos désirs et de nos regrets. »

Et puis il conclut par une réflexion sur notre finitude :

« La conscience que nous avons de notre mortalité est à l’origine de beaucoup de nos angoisses et de nos comportements aberrants. Pourtant en psychologie expérimentale, quand on écarte l’idée de mort de l’esprit des gens, en induisant chez eux l’idée qu’ils ont encore beaucoup de temps à vivre, il se montre désireux de faire le plus grand nombre possible de nouvelles expériences. Mais si on leur rappelle que leur vie aura un terme, il se montre alors beaucoup plus désireux de savourer ce qui existe déjà (relations, source de satisfaction), d’approfondir plus que de courir. Ainsi, la solution à nos angoisses humaines de mort n’est pas dans la fuite de l’accélération ou de la dispersion, mais dans la lucidité du ralentissement et de l’approfondissement. […]

En terme de règles de vie, c’est remplacer le : « Pourquoi courir ? Parce que je vais mourir ! » Par : « Pourquoi courir, puisque je vais mourir ? »

La lucidité du ralentissement et de l’approfondissement.

Réinvestir notre présent, quelle savoureuse leçon de vie !

<1022>

Mercredi 21 février 2018

« Mais la réalité, c’est qu’on n’a jamais eu autant de temps et de très loin ! »
Jean Viard

L’hebdomadaire « Le Un » du 17 janvier qui pose la question de la nécessité de ralentir a donné la parole au sociologue Jean Viard qui a consacré beaucoup d’études et d’ouvrages au temps libre, notamment en 2015 <Le triomphe d’une utopie, la révolution des temps libres>

Trois mots du jour lui ont été consacrés jusqu’ici (13 avril 2015, 10 avril 2015, 4 septembre 2014).

Il a l’habitude de mesurer le temps de vie, le temps libre, le temps de travail en heures. C’est parfois déstabilisant, mais c’est très explicite.

A la question pourquoi parler en heures ? il répond :

« Si je [parle] en termes d’âge, vous allez imaginer de vieilles personnes chenues. 700 000 heures, c’est une quantité homogène à « consommer » ».

700 000 heures ? C’est l’espérance de vie moyenne en Europe aujourd’hui.

Contre 500 000 heures avant 1914. Aujourd’hui, une petite fille qui vient de naître devrait vivre 800 000 heures. On a gagné plus de dix ans d’espérance de vie depuis 1945, on en avait déjà gagné dix depuis le début du XXeme siècle.

Mais la question qui nous occupe est le manque de temps que nous ressentons parfois si intensément, de sorte que nous courrons tout le temps, que nous voulons tout faire très vite.

Alors quand on se penche réellement sur ce sujet avec l’aide de Jean Viard, nous nous heurtons à un paradoxe.

« Il y a un siècle on vivait 500 000 heures, on dormait 200 000 heures, un ouvrier ou un paysan travaillait 200 000 heures. Il restait 100 000 heures pour faire autre chose.

Nous, on vit 700 000 heures, on travaille environ 70 000 heures – une base de 42 ans de travail à 35 heures donne même 63 000 heures – et on fait environ 30 000 heures d’études. Résultat : après le sommeil, les études et le travail, il reste 400 000 heures pour faire autre chose.».

Je sais, dès ce moment d’écriture, que des lecteurs attentifs vont protester en remarquant que ce résultat de 400 000 heures est obtenu en laissant les heures de sommeil à 200 000 alors que le temps de vie a augmenté de 7/5 et qu’en principe le temps de sommeil devrait augmenter de 7/5. Mais non ! Nous dormons beaucoup moins que nos aïeux. Et 200 000 heures de sommeil pour 700 000 heures de vie, représente 7 heures de sommeil par jour, ce qui est bien la moyenne contemporaine admise.

Nous sommes donc passés de 100 000 heures à 400 000 heures de temps dont nous pouvons disposer et nous avons de moins en moins de temps !!!

Pourquoi ?

Jean Viard répond d’abord :

« Nous sommes entrés dans une société d’hyperconsommation du temps : l’offre de choses à faire augmente plus vite que celle du temps disponible qui est pourtant […] en rapide augmentation. On peut allumer 36 chaines de télévision, lire quantité de livres, prendre l’avion pour voyager partout et la pression d’Internet est constante…

Mais la réalité, c’est qu’on n’a jamais eu autant de temps et de très loin.»

L’article de Jean Viard est particulièrement intéressant je ne peux qu’en picorer quelques fulgurances comme ce constat qui me semble affligeant mais que lui positive :

« On s’est inventé de nouvelles contraintes. Souvent sous la pression des « marchands de temps libre ». La télévision, c’est 100 000 heures. Autant que le travail et les études. Depuis que la télé a été inventée, l’espérance de vie a été prolongée de 100 000 heures. Toute cette vie nouvelle, on la passe devant la télé. Or on nous dit que la télé tue le lien social : c’est faux. Elle ne prend pas sur le lien social, mais sur le cimetière. Et on est mieux devant la télé qu’au cimetière… »

A la question fondamentale : comment se manifeste la collision de la vitesse et du temps ? il répond :

« Il faut établir le lien entre la vitesse et la polyactivité : l’enjeu est d’aller plus vite et de faire plusieurs choses en même temps. Le phénomène de l’accélération est intéressant. […] La vitesse s’allie à la densité. Notre temps libre a acquis une densité comparable à celle de notre temps de travail. Si un enfant n’est pas occupé par trois activités en plus de l’école, on considère qu’il « va rater sa vie »…On empêche les enfants de s’ennuyer. Or les moments d’ennui font partie de ceux où l’on se met à réfléchir ! »

En plus de la télévision et aujourd’hui de tous les autres écrans les gens passent leur temps supplémentaire à de multiples activités :

« Des millions de français peignent, font de la musique, voyagent, jardinent, s’engagent dans une association, bricolent, voire construisent leur maison. A ne s’intéresser qu’à ce qui se vend, on oublie que l’autoproduction domestique est un enjeu majeur de qualité de vie. Voyez aussi tous ceux qui écrivent. En vérité, ils le font moins pour être publiés que pour reprendre le pouvoir sur leur propre temps.

Historiquement, le temps a appartenu à Dieu, puis au travail après 1789. Maintenant le temps est à nous.

[…] Comme le temps est à nous, nous n’acceptons plus de le perdre, […] que l’autre nous prenne ce qui nous appartient. […]

La société numérique relie les individus autonomisés et les reprend dans ses rets en les bombardant de messages, en recréant un sentiment d’urgence. On se croit sommé de répondre. C’est là qu’il faut savoir reprendre le pouvoir. Vivre en somme. »

Au terme de cette démonstration et de ces réflexions, nous n’avons aucune raison de douter que les humains que nous sommes, n’avons jamais eu autant de temps pour nous.

Et comme le disait Giono, cité hier : «  Nous avons oublié que notre seul but, c’est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour »

Vivre et ralentir pour savourer davantage le goût de la vie qui nous est offerte.

<1021>

Lundi 12 février 2018

« Toute femme désirant s’habiller en homme doit se présenter à la préfecture de police pour en obtenir l’autorisation et que celle-ci ne peut être donnée qu’au vu d’un certificat d’un officier de santé »
Ordonnance du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) qui n’a jamais été abrogée formellement et qui interdisait aux femmes de porter un pantalon

Cette ordonnance de 1800 prévoyait aussi que les femmes qui portent un pantalon sans autorisation devaient être « arrêtées et conduites à la préfecture ».

Par la suite, deux circulaires datant de 1892 et 1909 ont « assoupli » cette règle, en tolérant le port du pantalon : « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval ».

Cette « règle débile » a fait l’objet de maintes demandes d’abrogation au cours du XXème siècle

Contrairement à ce que vous trouverez sur Internet, cette règle n’a jamais été une loi mais une simple ordonnance du Préfet de Paris et c’est donc le Préfet de Paris qui aurait dû l’abroger.

La plus curieuse des réponses est sans doute celle de Maurice Grimaud, le célèbre préfet de Paris de mai 1968, encensé dans un autre mot du jour, mais qui en 1969, à la demande d’abrogation de l’ordonnance répond qu’il « croit sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité ».

Si vous voulez en savoir davantage sur cette histoire vous pouvez aller sur ce site : http://www.laviedesidees.fr/Le-droit-au-pantalon.html

La fin de cette histoire incroyable se trouve sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/questions/base/2012/qSEQ120700692.html

Le député de la Côte d’Or, Monsieur Alain Houpert, avait posé une question écrite le 12/07/2012 à la Ministre des droits des femmes.

Cette dernière qui était à l’époque Najat Vallaud-Belkacem lui répondit le 31/01/2013 par le texte suivant que je cite in extenso :

« La loi du 7 novembre 1800 évoquée dans la question est l’ordonnance du préfet de police Dubois n° 22 du 16 brumaire an IX (7 novembre 1800), intitulée « Ordonnance concernant le travestissement des femmes ». Pour mémoire, cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes. Cette ordonnance est incompatible avec les principes d’égalité entre les femmes et les hommes qui sont inscrits dans la Constitution et les engagements européens de la France, notamment le Préambule de la Constitution de 1946, l’article 1er de la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme. De cette incompatibilité découle l’abrogation implicite de l’ordonnance du 7 novembre qui est donc dépourvue de tout effet juridique et ne constitue qu’une pièce d’archives conservée comme telle par la Préfecture de police de Paris. »

Il y a donc abrogation implicite, mais n’aurait-on pas pu réaliser une abrogation explicite ?

Ce sujet m’a été inspiré par les spectacle F(l)amme, dont j’avais fait le sujet du mot du jour du 4 décembre 2017 et que nous sommes allés voir, avec Annie, à l’Espace Camus de Bron le mardi 6 février 2018. Spectacle où 10 jeunes femmes qui vivent dans des quartiers périphériques et qui ont des parents qui sont venus d’ailleurs racontent une part de leur histoire et de leur vérité.

C’est fort, drôle, émouvant et d’une grande sincérité.

A un moment, une des jeunes femmes a dit :

« et je vous rappelle que jusqu’à tout récemment les femmes ne pouvaient pas porter le pantalon à Paris, sauf si elles étaient en bicyclette ou à cheval »

J’ai vérifié cette assertion, et c’est ainsi qu’est né ce mot du jour.

Mais ce ne fut pas le moment le plus fort du spectacle.

Ce moment eu lieu lorsque toutes les femmes se sont rassemblées au milieu de la scène, entourant l’une d’entre elle qui va raconter comment à l’âge de 4 ans on emmène une jeune enfant dans un village africain et tout en étant très gentille avec elle, on la met entre les mains d’une vieille femme qui va l’exciser. L’enfant n’a pas compris ce qui s’était passé, car personne ne parle de cela dans la famille. Elle l’a compris alors qu’elle était adolescente et qu’elle a vu une émission de télévision traitant de cette pratique. Elle a alors accédé à la compréhension ce qui s’était passé plus de 10 ans auparavant, entraînant chez elle colère et révolte.

La photo que j’insère dans cet article se situe à ce moment.

La salle était pleine, mais une chose a interpellé Annie et moi.

Par esprit rigoureux nous avons fait le compte de notre rangée et de celle qui la précédait, chacune comptant 20 places toutes occupées :

Les deux rangées avaient une répartition identique 18 femmes et 2 hommes.

Parmi les femmes, il y en avait beaucoup de jeunes, les 3 autres hommes étaient proches de mon âge.

Le reste de la salle confirmait cette constatation avec quelques traces d’hommes un peu plus jeunes.

<1016>

Jeudi 1 février 2018

« Les bagarres du Nutella »
Synthèse des réactions et réflexions personnelles sur ces faits divers

Et voici donc que des gens a priori « normaux » viennent à créer une émeute et se bagarrent dans des intermarchés, parce que ces derniers ont décidé de faire une <promotion sur le Nutella>.

La promotion était importante, il s’agissait d’une réduction de 70 %, ce qui mettait le pot de 950 grammes à 1,41 euro au lieu de 4,70 euros.

Certains affirment que parmi eux il y avait des professionnels de la restauration qui voulaient acquérir cette pâte à peu de frais.

Immédiatement les réseaux sociaux se sont déchainés pour se moquer de « ces abrutis » ou « cassoc » qui se battaient pour du Nutella.

Assez vite Jean-Luc Mélenchon s’est insurgé contre ces réactions de moqueries contre « des personnes très modestes » qui voulaient profiter d’une bonne affaire. « Quand l’émeute montre la misère, l’idiot regarde le #Nutella », a-t-il dit, dénonçant ainsi la misère dans laquelle vivaient ces personnes.

Une employée d’un Intermarché de ma ville natale, Forbach, a décrit à l’AFP :

« Les gens se sont rués dessus, ils ont tout bousculé, ils en ont cassé. C’était l’orgie ! »

Ceci me fait aussi penser à <La fermeture du Virgin Megastore de Lyon> en 2013 qui avait conduit à des soldes énormes et des comportements indignes de la part de certains acheteurs. Des vendeurs qui allaient perdre leur travail étaient confrontés à des personnes ayant perdu tout savoir vivre dans leur recherche de produits à prix bas.

Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert rejoint l’explication de Jean-Luc Melenchon. Il a déclaré dimanche 28 janvier sur BFMTV :

« Ce sont des gens qui vivent de peu, ce sont des gens qui se ruent sur une pâte à tartiner qu’ils ne peuvent pas offrir à leurs enfants »

Le Parisien ne dit pas autre chose

«Samedi, à l’Intermarché Beauvais-nord (Oise), sous un ciel sans couleur, le calme est revenu. Mais les scènes de cohue, provoquées par une promotion à -70% sur le Nutella, font honte aux habitants. Chacun s’interroge : comment un pot de 950 grammes à 4,70€, soldé 1,41€ du 25 au 27 janvier, a pu créer une telle bousculade au sein des rayons ? « Bêtise », « cinglés », « sauvages ». Les insultes pleuvent. Mais, très vite, certains chuchotent un autre mot « précarité ». Comme si cette guerre pour 3€ n’était que la photographie d’une détresse sociale, que l’on préfère ignorer.»

Pierre Rondeau, Professeur d’économie développe une analyse plus nuancée : ce n’est pas la misère qui pousse à de tels comportements, mais la peur d’y entrer . Son article a été publié par Slate :

« Ce ne sont donc pas les inégalités ou la grande précarité qui expliquent les heurts violents, la destruction de la solidarité et la fragilisation de la cohésion sociale, puisque ces causes semblent disparaître depuis une trentaine d’années. Le problème est plus complexe: c’est le sentiment d’insécurité économique, la peur du déclassement et la croissance de la méfiance collective qui semblent expliquer ces comportements.

Nous en venons à nous jeter sur les promotions pas forcément parce que nous sommes pauvres mais parce que nous avons le sentiment que cela pourrait nous arriver. Le sociologue Eric Maurin expliquait déjà ce phénomène dans son livre « La peur du déclassement », en 2009:

[…] Et certains en viennent alors à se battre pour du Nutella … »

Un autre angle d’analyse rapporte le propos d’un employé d’un Intermarché à Revigny-sur-Ornain (Meuse) :

« A – 70%, c’est un pousse-au-crime et on casse l’échelle de valeur. Le client se dit que si le pot de Nutella peut être vendu à – 70%, c’est que le reste de l’année, on marge énormément, alors qu’il est vendu à marge zéro toute l’année… ».

D’ailleurs l’administration et <Le journal Libération posent la question si le rabais de 70% était légal> :

En droit français, la vente à perte (c’est-à-dire le fait de vendre un produit à un prix moins cher que celui auquel on l’a obtenu) est interdite Soit Intermarché achète son Nutella pour un prix inférieur ou égal à 1,41 euro… ce qui implique que le supermarché se fait une belle marge de 233% en vendant les pots de 950 g à 4,70 euros en temps normal. Soit Intermarché achète son Nutella à Ferrero pour un prix supérieur à 1,41 euro et il aurait alors pratiqué de la vente à perte avec sa promotion

L’article cependant nuance, il existe des exceptions qui autorisent la vente à perte. Dans le cas qui nous occupe, ce serait possible si cette vente correspond à des soldes, ce qui est permis pour des produits alimentaires

Un autre point de vue s’exprime par « des dentistes et des médecins » qui rappellent à juste titre que désormais les autorités publiques sont convaincus de la nocivité de la trop grande consommation de sucre et s’étonnent qu’on tolère de tels agissements :

« De quoi aurait l’air la campagne anti-tabac actuellement menée si demain des bureaux de tabac pouvaient faire une réduction de 70% sur un simple coup de tête? », s’interroge l’Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire (UNECD) dans un communiqué.

Les futurs dentistes ou chirurgiens interpellent le groupe Intermarché, à l’origine de cette opération, ainsi que les autorités, pour « entamer une réflexion sur la taxation des produits sucrés », après l’instauration d’une taxe soda sous la présidence de Nicolas Sarkozy »

Les goûts et couleurs ne se discutent pas. Ma fille Natacha affirme que le Nutella a très bon goût.

Peut-être, mais ce n’est certainement pas bon pour la santé

Cet article nous apprend que la composition du Nutella diffère d’un pays à l’autre, Ferrero tenant compte des préférences exprimées en fonction des régions et des législations en vigueur concernant le chocolat. En France, le Nutella est d’abord composé de sucres (>50 %) puis d’huile végétale, c’est-à-dire d’huile de palme (17 %). Viennent ensuite les noisettes (13 %), le cacao maigre (7,4 %), le lait écrémé en poudre (6,6 %), puis le lactosérum en poudre.

Enfin, on retrouve dans le Nutella des émulsifiants : des lécithines de soja et de la vanilline.

Bref, surtout du sucre, beaucoup de gras, un peu de noisettes et encore moins de cacao.

J’ai trouvé cette illustration qui essaye de représenter la composition du Nutella de manière encore plus explicite.

Enfin plus récemment il est apparu qu’en outre le Nutella contenait du phtalate DEHP qui est une substance chimique qui permet d’augmenter la flexibilité des matières plastiques. Les phtalates sont des perturbateurs hormonaux qui provoquent des dérèglements induisant notamment la stérilité chez l’homme. Il est estimé que, dans les pays industrialisés, un homme produit deux fois moins de spermatozoïdes que n’en produisait son grand père au même âge. Les phtalates sont également soupçonnés d’être cancérigènes. En 2008, après avoir fait une étude sur le développement de testicules in vitro, l’INSERM a affirmé que les phtalates étaient « délétères pour la mise en place du potentiel reproducteur masculin dans l’espèce humaine ».

La Croix nous apprend qu’avec 26% de la consommation mondiale La France est championne du monde de la consommation de Nutella>. Je ne suis pas certain que nous devons nous enorgueillir de ce titre.

Pour ma part je crois, même si les arguments développés ci-avant peuvent présenter quelques intérêts, le problème que cela pose est avant tout notre enfermement dans le consumérisme.

Le consumérisme est très présent dans les mille premiers mots du jour.

Et le mot du jour du 4 avril 2017 s’efforçait d’en faire une synthèse. Mais le mot qui est allé le plus loin dans la dénonciation de cette pulsion incontrôlée est certainement la phrase du philosophe allemande Peter Sloterdijke :

«La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

Nul besoin de nous enchainer pour que nous perdions notre liberté. Il suffit que la publicité et le comportement des autres nous fassent croire que c’est par notre consommation que nous sommes reconnus par nos pairs. Il y a même des messages subliminaux qui veulent nous faire croire que la consommation rend heureux.

Le mot du jour du 14 avril 2014 citait Annie Arnaux : «Je suis de plus en plus sûr que la docilité des consommateurs est sans limite.». Car bien entendu, le Nutella n’est pas indispensable à notre alimentation. Il n’est même pas bon pour la santé. Ce n’est donc pas un besoin vital qui pousse les gens à vouloir l’acheter. Ce sont d’autres mécanismes qui sont à l’œuvre : l’image du plaisir, le prestige de la marque, une publicité alléchante, une once de luxe par rapport à d’autres pâtes à tartiner moins prestigieuses (et probablement pas meilleurs pour la santé) et notre formidable addiction au sucre que des décennies de pratiques des professionnels de l’alimentaire ont su développer.

 

Au fait, Intermarché vient de récidiver avec des promotions sur les couches culottes pampers qui semblent aussi avoir déclenché des désordres.

<1009>

Mardi 30 janvier 2018

« Un environnement de terrorisme sexuel »
Natalie Portman

Si en France, le ralliement des femmes contre le comportement des hommes s’est fait autour du hashtag  « balance ton porc », les américains utilisent « #Metoo » c’est-à-dire « moi aussi ».

Ce mouvement s’est étendu en Chine. C’est la revue de presse assurée par Claude Askolovitch sur France Inter qui renvoie vers un article du Monde :

C’est à lire dans LE MONDE, « Les universités chinoises gagnées par le hashtag metoo ». En chinois, ça donne « wo ye shi » et si, dans un tout premier temps, les témoignages se sont faits rares, ils se multiplient désormais sur les réseaux sociaux chinois. Il s’agit donc d’étudiantes, des jeunes filles qui ont le courage de parler, et qui racontent les agressions sexuelles et les viols qu’elles ont subis au sein de leurs établissements. Ce sont, pour l’essentiel, des professeurs qu’elles accusent.
Une soixantaine d’universités serait concernée. Et certains estiment qu’on assiste ici à l’émergence d’un important mouvement féministe, le plus grand que la Chine n’ait jamais connu…

Mais c’est à un évènement des Etats-Unis que je voudrais revenir.

Le 21 Janvier 2017, quelques heures après l’investiture de Donald Trump, des centaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues du monde entier. A New York, Washington, Los Angeles, Portland, Chicago, etc ces manifestants voulaient protester contre les propos et l’attitude sexiste de Trump. On a appelé cela <la Marche des femmes>.

Il semblerait que cette manifestation devienne un évènement annuel. En effet, il y eut une nouvelle « women march » le samedi 20 janvier 2018, portée par le mouvement #Metoo. La plus importante manifestation a eu lieu à Los Angeles, deuxième ville du pays, avec quelque 600 000 manifestants, a tweeté le maire démocrate Eric Garcetti.

Plusieurs personnes ont pris la parole et le discours qui a suscité le plus d’intérêt fut celui de Natalie Portman.

Peut-être qu’il faut rappeler que Natalie Portman, née en 1981 à Jérusalem, est une actrice israélo-américaine. Wikipedia nous apprend qu’elle est née Natalie Hershlag. Elle est devenue très célèbre en interprétant, dans la saga de Star Wars, le rôle de la reine Padmé Amidala. Mais elle fait ses débuts au cinéma en 1993, à douze ans, en interprétant le rôle de Mathilda dans le film Léon de Luc Besson, aux côtés de Jean Reno.

L’introduction de son discours est consacrée aux conséquences pour elle de ce film.

La vidéo du discours de Natalie Portman se trouve derrière ce lien : <Discours de Natalie Portman Woman march>

Et voici le début de ce discours :

« J’ai eu 12 ans sur le plateau de mon premier film Léon […] Je découvrais moi aussi ma propre féminité, mes propres désirs et ma propre voix.
J’étais tellement enthousiaste à 13 ans quand le film est sorti, que mon travail et ma performance artistique touche le public.

J’ai ouvert avec enthousiasme ma première lettre de fan : un homme m’écrivait qu’il rêvait de me violer.
Une radio locale a organisé un décompte des jours jusqu’à mon 18e anniversaire, date à laquelle ça deviendrait légal de coucher avec moi.
Les critiques de cinéma faisaient référence à ma poitrine naissante. J’ai rapidement compris, même à l’âge de 13 ans, que si je m’exprimais sexuellement, je ne me sentirais pas en sécurité et que les hommes se sentiraient autorisés à discuter et considérer mon corps comme un objet, quitte à me rendre mal à l’aise […]

J’ai rejeté tous les rôles où il y avait ne serait-ce qu’une scène de baiser. Je faisais exprès de parler de ces choix dans les interviews, je mettais surtout en valeur mon côté sérieux. Je faisais attention à être élégante, je me construisais la réputation d’être quelqu’un de prude, conservatrice, cultivée, geek, sérieuse […]

Face à ces petits commentaires sur mon corps, face à des déclarations délibérées et menaçantes, je me suis imposée de contrôler mon comportement dans un environnement de terrorisme sexuel »,

Elle conceptualise le message que lui a envoyé le monde du réel à l’enfant de 13 ans qu’elle était :

« A seulement 13 ans, la société m’envoyait un message clair. J’ai ressenti le besoin de cacher mon corps et d’inhiber mes propos et mon travail. Tout ceci dans le but d’envoyer mon propre message au monde : que j’étais quelqu’un qui méritait la sécurité et le respect ».

Je trouve le terme de « terrorisme » particulièrement bien choisie. Le terrorisme a pour objet de créer un climat de terreur, de peur qui paralyse.

Dans beaucoup de témoignages, on ne comprend pas certaines réactions de femmes qui justement sont tétanisées par leur prédateur sexuel, non seulement en raison de ce monstre mais aussi d’un environnement qui tolère cela et qui quelque part ne dit pas : « Ceci est anormal ».

Brigitte Bardot qui fut un temps l’égérie de la liberté sexuelle des femmes critique la dénonciation du harcèlement sexuel dans le monde du cinéma français :

« Concernant les actrices, et pas les femmes en général, c’est, dans la grande majorité des cas, hypocrite, ridicule, sans intérêt. […] Il y a beaucoup d’actrices qui font les allumeuses avec les producteurs pour décrocher un rôle. Ensuite, pour qu’on parle d’elles, elles viennent raconter qu’elles ont été harcelées…  »

Peut-être que certains d’entre vous approuvent ces propos
Peut-être même est-ce vrai dans certains cas.

Mais alors je vous pose la question : « Qui assume la responsabilité la plus importante ? la jeune fille qui aspire à devenir actrice ou l’homme de pouvoir installé qui profite de sa position dominante, de faire ou défaire des carrières et qui s’inscrit dans un environnement où seul le désir masculin compte et que la femme n’est qu’objet qui participe à cette recherche du plaisir égoïste.

Vous comprendrez que mon opinion n’est pas de condamner les jeunes actrices qui ne disposent pas du réseau ou des intermédiaires d’influence pour accéder à l’accomplissement de leur objectif artistique mais de m’élever contre les mâles dominants qui profitent, abusent, salissent.

Ce que j’aime chez Chimamanda Ngozi Adichie, cité vendredi et Natalie Portman c’est leur discours sur le désir et le plaisir partagé.

Natalie Portman, dans le discours du 20 janvier 2018, s’insurge contre les critiques qui voudraient enfermer la parole des femmes dans le puritanisme, la pruderie, alors que la demande est simplement celui d’un désir partagé, d’un plaisir réciproque, d’une écoute de l’un envers l’autre.

Elle rêve d’un monde

« dans lequel je pourrais m’habiller comme je le veux, dire ce que je veux et exprimer mes désirs de la façon dont je le souhaite, sans craindre pour ma sécurité physique ou ma réputation : voilà ce que serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourraient s’exprimer pleinement »,

C’est donc à « une révolution du désir » qu’appelle Natalie Portman comme le fait aussi Chimamanda Ngozi Adichie.

Car tous ceux qui veulent couvrir que ce soit les extrémistes islamiques dans la démesure, que ce soit les bourgeois occidentaux dans ce qu’ils appellent la décence et qui disent « elle l’a bien cherchée » sont prisonniers d’un schéma où le désir masculin est premier et souvent excusable.

Alors qu’« un homme ça s’empêche ou alors ce n’est pas un homme ».

Mais un monde où le désir est réciproque, partagé et consenti est un monde où la civilisation a beaucoup progressé.

<1007>

Jeudi 25 janvier 2018

« Le premier porc »
La journaliste Sandra Muller désignant ainsi Eric Brion pour inaugurer un hashtag qui va avoir une énorme résonance sur les réseaux sociaux.

Le 13 octobre 2017, j’avais poussé l’égocentrisme jusqu’à écrire comme mot du jour « un anniversaire » et à disserter sur cet évènement annuel le jour de mes 59 ans. Mais mon mot du jour n’enflamma pas les réseaux sociaux.

En revanche, le 13 octobre 2017 fut le jour de naissance du hashtag  « balance ton porc », ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux de la manière suivante « #balancetonporc » qui lui parvint à cette fin.

C’est la journaliste Sandra Muller qui l’a créé sur twitter. Avec #balancetonporc, elle souhaitait encourager les femmes victimes de harcèlement sexuel à dénoncer leur agresseur.

Mais pour inaugurer ce nouveau concept, il fallait qu’elle en désigne un.

Et c’est ainsi qu’il y eut un premier porc sur les réseaux français.

L’hebdomadaire « Le Point » s’est intéressé à ce « phacochère domestique » et a publié un article « L’édifiante histoire du premier « porc » »

En effet, ce premier porc possède un nom social et patronymique : « Brion » et un prénom « Eric »

Je vous propose dans ce mot du jour de vous intéresser à ce porc et même, peut être, avoir de la compassion pour lui.

Nous sommes donc le 13 octobre et tous les médias parlent de l’affaire Weinstein et de ses suites.

On parle de la libération de la parole des femmes et des comportements inacceptables des hommes à l’égard des femmes, dans tous les milieux sociaux et professionnels.

Beaucoup disent, à juste titre, qu’il faut que ça cesse !

Dans ce contexte, la journaliste Sandra Muller prend une initiative sur twitter :

  • Elle invente le hashtag  « balance ton porc »
  • Désigne son porc : Eric Brion
  • Et raconte ce que ce porc a fait : il lui a dit un soir, alors qu’il était éméché : « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. ». Ce qui n’est ni élégant, ni fin, ni malin, ni bienveillant, ni rien …seulement très vulgaire.
  • Puis toujours avec ce hashtag « #balancetonporc  » elle invite celles qui la lise de faire de même : « toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends »

Cette invitation aura un grand succès, la parole sera libérée, totalement libre, follement libre.

Le mot du jour du 17 novembre 2017 aura pour exergue : « C’est l’époque qui veut ça. ». Cette Réflexion est la réponse d’une journaliste qui avait réclamé avec insistance à Nicolas Bedos de lui donner le nom d’un homme ayant dérapé un jour avec une femme, devant le refus et même l’agacement de ce dernier.

Le porc en question, le 13 octobre, est en train d’accrocher guirlandes et ballons pour l’anniversaire de sa fille cadette quand un ami lui signale le tweet. Le Point raconte alors :

« Tout à son joyeux événement familial, Brion ne prête au départ à l’affaire qu’une attention distraite… Puis, les heures passant, il découvre peu à peu, abasourdi, les innombrables reprises sur Twitter, sur Facebook, les insultes qui commencent à pleuvoir et il mesure enfin, avec effroi, la force inouïe de l’emballement viral. La machine est en route, impossible à stopper. Il contacte Sandra Muller, sans succès. Peine à se souvenir de la date exacte du cocktail cannois durant lequel, ivre, il lui tint ces propos. « Je sais seulement que nous avions ensuite échangé sur Messenger et que, désolé, je lui avais présenté mes excuses », dit-il dans le café où il a accepté, après mille réticences, de nous rencontrer, exigeant que la conversation soit enregistrée. « Cela va sans doute passer, mais je suis pour le moment dans un état de grande paranoïa. Je ne veux pas que mes phrases soient détournées, transformées. »

Et le Point décrit le déchainement contre cet homme qui un jour, ivre, a été grossier et stupide. Il lui donne la parole :

« Durant ces quelques semaines où cette affaire a tourné en boucle partout, seuls deux médias ont pris la peine de m’appeler pour avoir ma version des faits. Il était pourtant facile de vérifier certaines informations, comme le fait que je n’avais jamais travaillé avec Sandra Muller. Certains ont été prudents, mais beaucoup ont donné mon nom ou m’ont désigné par mes anciennes fonctions, ce qui me rend aisément reconnaissable. Quoi que je fasse, la « tache » est là, donc… » Des photos de lui grimé en porc circulent, Éric Brion voit commenter son physique ou ses capacités sexuelles dans des tweets ou des posts Facebook qui n’ont pas grand-chose à envier, sur l’échelle de la vulgarité, à ses propres propos. ll s’astreint, malgré la colère, à ne pas répondre, à ne pas entrer dans la mêlée délirante des réseaux sociaux, et ne publie qu’un droit de réponse, le 16 novembre, dans L’Obs, qui l’avait à tort désigné un mois plus tôt comme l’« ancien patron » de Sandra Muller. « De toute façon, quoi que je dise, cela allait se retourner contre moi. Et, pour ma famille, je ne voulais pas m’exposer plus encore. »

À poil devant le monde entier, devant ses proches, surtout, qui ont brutalement accès à cette part de lui-même, sa sexualité, qu’on ne dévoile évidemment jamais en famille, il n’ose bouger de peur de focaliser à nouveau l’attention sur lui et assiste impuissant à son lynchage virtuel. Il est nu devant sa sœur. Ses vieux parents. Ses deux filles, qu’il tente comme il peut de préserver de cette violence symbolique terrible que peut constituer l’exposition aux détails d’une sexualité paternelle. « J’ai tout de suite pensé à ses filles, dit son amie la productrice Alexia Laroche-Joubert. Je connais suffisamment de cas autour de moi pour savoir que le harcèlement sexuel est une réalité et pour approuver que la parole des femmes se libère. Mais pas comme ça. Les propos d’Éric sont d’une incroyable goujaterie, mais Sandra Muller et lui n’avaient aucun lien de dépendance professionnelle. Et puis, dans un tribunal, on peut se défendre, mais Twitter, ce sont des armées invisibles contre lesquelles on ne peut rien. »

Cette campagne contre lui va avoir des conséquences immédiates :

« À l’automne 2017, après une carrière à France Télévisions puis au PMU et à la tête de la chaîne Equidia, Éric Brion était consultant indépendant pour plusieurs médias, en même temps qu’en recherche d’emploi. À partir du 13 octobre, une à une, les trois missions qu’il menait ont été annulées ou non reconduites : il n’a plus de travail. Il était membre d’un jury : son nom en a été radié. Peu à peu, tous les rendez-vous programmés dans le cadre de sa recherche d’emploi ont été, les uns après les autres, annulés ou reportés sous divers prétextes. Il a 51 ans et son agenda est vide. Il dort mal. Ne sait plus comment envisager son avenir professionnel. Se mord les lèvres en évoquant la manière dont ses vieux parents ont été touchés par cette affaire. « Je suis bien entouré, j’ai eu la chance de pouvoir partir à l’étranger pour prendre du recul, mais songe-t-on à l’effet que peut produire ce genre de déferlement sur une personnalité fragile ? Je me suis beaucoup interrogé sur moi. »

Le journaliste du Point précise deux éléments, essentiels :

  • Éric Brion n’a jamais travaillé avec Sandra Muller, ce qui rend le rapprochement de ses propos avec l’affaire Weinstein littéralement hors sujet.
  • Et il n’a pas réitéré ses avances, stoppant net aussitôt que Sandra Muller lui signifia son refus, contexte qu’elle-même ne nie pas et qui rend là encore l’idée d’un « harcèlement » sujet à caution. Pourtant, sur les sites d’information de la plupart des grands médias qui reprennent le tweet, ces précisions utiles sont passées à la trappe. « Cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans les médias mais je ne suis pas journaliste, et loin de moi l’idée de donner des leçons d’éthique journalistique ni surtout de me faire passer pour une victime. Mais j’ai tout de même été surpris…

Sandra Muller a été adoubée « silent breaker » (briseuse de silence) par Time en décembre, reçue par la ministre Marlène Schiappa, Sandra Muller, dont le mouvement a pris une ampleur considérable et qui est en train de déposer les statuts d’une association d’aide aux victimes, justifie a posteriori le fait d’avoir donné le nom d’Éric Brion par le nombre de témoignages similaires le concernant reçus par la suite.

« Si je ne l’avais pas fait, personne n’aurait osé le signaler, s’emporte-t-elle. J’ai levé un lièvre. »

Lever un lièvre, c’est un terme de chasse, non de justice.

Un combat peut être juste et pourtant se pervertir dans des batailles incertaines et nauséabondes qui le salissent tout en faisant de grands dégâts et en semant, à la fin, l’injustice.

Un des livres de chevet d’Eric Brion est « La tâche » de Philip Roth dont Marc, dans un message privé, m’a dit le plus grand bien après le mot du jour qui évoquait ce grand auteur américain.

<1004>