Mardi 22 mai 2018

« L’imagination au pouvoir »
Jean-Paul Sartre

Le 20 mai 1968, Le Nouvel Observateur sort un numéro spécial consacré au débat ouvert par les événements qui secouent le pays.

Et il demande à Jean-Paul Sartre d’interviewer Daniel Cohn-Bendit. L’Obs a republié une partie de cette interview derrière <ce lien>. Vous pouvez avoir accès à l’intégralité de l’entretien si vous êtes abonnés.

Il n’est pas évident de se rendre compte ce que représentait Jean-Paul Sartre à ce moment-là. Aujourd’hui on débat des confrontations entre Xavier Niel et Martin Bouygues.

A cette époque il existait aussi des entrepreneurs français dont les fils sont toujours actifs, preuve que l’aristocratie du capital fonctionne bien, ils avaient pour nom Lagardère mais Jean-Luc non Arnaud, Bouygues mais Francis pas Martin ou encore Dassault mais Marcel pas Serge. Mais on les entendait peu, ils savaient être discret.

En revanche on parlait de la rivalité entre Jean-Paul Sartre et Raymond Aron.

Jean-Paul Sartre avait beaucoup de disciples, beaucoup plus que Raymond Aron et il était une sorte de « gourou incontournable ». A l’époque, certains préféraient avoir tort avec Sartre que raison avec Aron.

Il semble que c’était justement le patron du Nouvel Obs, Jean Daniel, à qui on doit cette phrase qu’on cite aujourd’hui comme le comble de la stupidité. C’est Claude Roy qui dans un article de 1968 a écrit : « Jean Daniel me disait : J’ai toujours préféré avoir tort avec Sartre plutôt que raison avec Aron »

Sartre était un monument.

Il semblerait selon diverses sources ou <ici> que le Général de Gaulle aurait répondu à certains de ses collaborateurs qui proposaient d’arrêter Sartre en raison de son action en 1968 : « On n’arrête pas Voltaire ». Je ne suis pas sur que cette phrase ait bien été prononcée, mais le fait qu’on la pense plausible montre la stature qu’avait ce philosophe à ce moment.

Et le nouvel observateur trouve donc pertinent de donner l’occasion à Cohn-Bendit de s’exprimer face à lui.

La question de Jean-Paul Sartre est simple : les gens comprennent que le mouvement des enragés du 22 mars veulent tout casser mais s’interrogent sur ce qu’ils voudraient construire après démolition.

Et Dany le Rouge de répondre :

«  Evidemment! Tout le monde serait rassuré, Pompidou le premier, si nous fondions un parti en annonçant: «Tous ces gens-là sont maintenant à nous. Voilà nos objectifs et voici comment nous comptons les atteindre…». On saurait à qui l’on a affaire et on pourrait trouver la parade.

La pensée est élaborée on veut bien mettre le bordel mais au-delà il faut rester dans l’ambigüité. On en revient au mot du Cardinal de Retz que François Mitterrand aimait répéter : « Nul ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens ».

« La force de notre mouvement, c’est justement qu’il s’appuie sur une spontanéité «incontrôlable», qu’il donne l’élan sans chercher à canaliser, à utiliser à son profit l’action qu’il a déclenchée. Aujourd’hui, pour nous, il y a évidemment deux solutions. La première consiste à réunir cinq personnes ayant une bonne formation politique et à leur demander de rédiger un programme, de formuler des revendications immédiates qui paraîtront solides et de dire: «Voici la position du mouvement étudiant, faites-en ce que vous voulez!» C’est la mauvaise. La seconde consiste à essayer de faire comprendre la situation non pas à la totalité des étudiants ni même à la totalité des manifestants, mais à un grand nombre d’entre eux. Pour cela, il faut éviter de créer tout de suite une organisation, de définir un programme, qui seraient inévitablement paralysants. La seule chance du mouvement, c’est justement ce désordre qui permet aux gens de parler librement et qui peut déboucher sur une certaine forme d’auto-organisation. Par exemple, il faut maintenant renoncer aux meetings à grand spectacle et arriver à former des groupes de travail et d’action. C’est ce que nous essayons de faire à Nanterre.

Mais la parole ayant été tout à coup libérée à Paris, il faut d’abord que les gens s’expriment. Ils disent des choses confuses, vagues, souvent inintéressantes parce qu’on les a dites cent fois, mais ça leur permet, après avoir dit tout cela, de se poser la question: «Et alors?» C’est cela qui est important, que le plus grand nombre possible d’étudiants se disent: «Et alors?» Ensuite seulement, on pourra parler de programme et de structuration. Nous poser dès aujourd’hui la question: «Qu’allez-vous faire pour les examens?», c’est vouloir noyer le poisson, saboter le mouvement, interrompre la dynamique. Les examens auront lieu et nous ferons des propositions, mais qu’on nous laisse un peu de temps. Il faut d’abord parler, réfléchir, chercher des formules nouvelles. Nous les trouverons. Pas aujourd’hui. (…) »

Il y a donc libération de la parole, mais et c’est Raymond Aron qui a trouvé cette formule : « Une révolution introuvable »

Et le grand philosophe de conclure par une autre formule qui symbolisera Mai 68 : « L’imagination au pouvoir » et il donnera l’injonction suivante aux étudiants : « Ne renoncez pas »

«  Ce qu’il y a d’intéressant dans votre action, c’est qu’elle met l’imagination au pouvoir. Vous avez une imagination limitée comme tout le monde, mais vous avez beaucoup plus d’idées que vos aînés. Nous, nous avons été faits de telle sorte que nous avons une idée précise de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. […] Vous, vous avez une imagination beaucoup plus riche, et les formules qu’on lit sur les murs de la Sorbonne le prouvent. Quelque chose est sorti de vous, qui étonne, qui bouscule, qui renie tout ce qui a fait de notre société ce qu’elle est aujourd’hui. C’est ce que j’appellerai l’extension du champ des possibles. N’y renoncez pas. »

Aujourd’hui Romain Goupil (lors de l’entretien avec Daniel Cohn Bendit à France Inter déjà cité) prétend que dès cette époque Cohn-Bendit ne croyait pas à la révolution et appelait ce mouvement « une révolte culturelle ».

C’est-à-dire non pas un changement de régime politique mais une nouvelle culture qui était justement symbolisé par la libération de la parole et l’inventivité des slogans dont on se souvient encore aujourd’hui.

<Sur le site du Monde, des journalistes ont essayé d’en faire la liste>

En tout cas, ce positionnement du mouvement étudiant, en dehors de l’opposition du Parti Communiste qui était très puissant encore et qui considérait les trotskystes, maoïstes et anarchistes qui menaient la révolte comme des ennemis pires que le Général de Gaulle ou Pompidou, ne pouvait pas non plus rencontrer l’adhésion du mouvement ouvrier en grève. Les ouvriers souhaitaient des évolutions concrètes concernant leurs salaires et leurs conditions de travail. Ce qu’ils vont obtenir, en partie, à l’issue des négociations de Grenelle.

Edouard Balladur qui était un des principaux conseillers de Pompidou, le premier ministre, a raconté dans un livre <L’arbre de mai> et l’a répété lorsqu’il fut interrogé par France Culture <Le 4 mai 2018> : Pompidou n’avait qu’une stratégie pour obtenir la fin du mouvement et rétablir l’ordre au profit de sa majorité : diviser et séparer le mouvement étudiant du mouvement ouvrier.

Ce qu’il a magnifiquement réussi, et le mouvement étudiant l’a grandement aidé.

Ce fut, en effet une révolution introuvable.

Une fois de plus Raymond Aron et Jean-Paul Sartre n’était pas dans le même camp.

Et en 1968, le 22 mai, dix millions de salariés ne travaillent pas (en grève ou empêchés de travailler).
Le 21 mai, Daniel Cohn Bendit avait été frappé en tant que ressortissant étranger par un arrêté d’expulsion du ministre de l’Intérieur ; il en est informé alors qu’il se trouve à Francfort

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Vendredi 18 mai 2018

«La femme de 1968 est à la fois contrainte et aspire à la liberté»
Michelle Perrot

Hier j’ai essayé de développer la face noire de mai 1968, c’est-à-dire une déculpabilisation de la pédophilie et même une ode à l’amour mais il faut plutôt écrire les choses de manière explicite : une ode au sexe avec les enfants.

Aujourd’hui, je voudrais esquisser la présence et le rôle des femmes dans les évènements de mai 1968.

Mon butinage m’a cette fois rappelé que le Mouvement de Libération des Femmes ( MLF) est né en 1970. Certes très peu de temps après mai 68 et certainement dans l’élan pris par mai 68, mais en 1968 il n’existait pas et na pas été créé.

Plusieurs livres, plusieurs émissions ont été consacrés à ce sujet des femmes dans le mouvement de mai 68.

« L’émission la fabrique de l’histoire » sur laquelle je m’étais appuyé pour écrire ma série de mots du jour sur Lyon, a bien sûr consacré plusieurs émissions à mai 68 et celle du <25 avril 2018> posait la question : «Mai 68, où sont les femmes ? ». Dans cette émission une des intervenantes explicite la réalité en quelques mots : « Les hommes qui menaient ce mouvement, voulaient changer le monde mais pas toucher à la domination masculine »

Mais dans ce mot, je vais surtout évoquer l’Historienne Michelle Perrot.

Elle est née le 18 mai 1928 et fête donc aujourd’hui ses 90 ans. En 1968 elle était dans le corps enseignant à la Sorbonne et a participé à l’occupation de la Sorbonne.

Michelle Perrot est une des grandes historiennes de France et elle a particulièrement contribué à l’émergence de l’histoire des femmes et du genre. Elle a notamment dirigé, avec Georges Duby, l’Histoire des femmes en Occident (5 vol., Plon, 1991-1992) et a publié l’ensemble de ses articles sur la question dans Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion, 2001. Pour elle, le féminisme est une liberté universelle.

<Elle était invitée par RFI pour parler des femmes en 1968>

C’est lors de cet entretien qu’elle a cette formule « La femme de 1968 est à la fois contrainte et aspire à la liberté ». On dirait presque Emmanuel Macron : « en même temps ». Elle explicite :

« Contrainte, parce que la société est très conservatrice, famille etc. Mais il y a des quantités de signes d’émancipation. D’abord parce qu’il y a de plus en plus de femmes qui travaillent dès cette époque-là.
Et puis, en 1949, 20 ans avant, Simone de Beauvoir a quand même publié le deuxième sexe. Et la génération féminine qui est là en 1968 connait ce livre.
Il y a des aspirations et des contraintes les femmes ne sont pas au premier rang quand même »

Michelle Perrot est aussi interrogée sur mai 68 par l’OBS qui justement parle du rang des femmes dans ce mouvement où les héros : Cohn-Bendit, Sauvageot, Krivine, Geismar sont tous des hommes.

Michelle Perrot répond :

« En réalité, les femmes étaient là. Dans les défilés, les amphis, les rassemblements, elles sont partout si l’on prend la peine de regarder les photos de l’époque. Mais leur présence passe inaperçue. D’ailleurs, en vous parlant, je me rends compte que moi aussi je l’avais occultée. Les filles étaient pourtant nombreuses dans la Sorbonne occupée. Je pense notamment à une étudiante très déterminée, la jeune Françoise. Elle prenait souvent la parole, je revois sa silhouette et ses interventions… Je l’avais totalement oubliée ! […]

Elles avaient beau être mêlées aux hommes dans les amphis ou les AG, les femmes restaient plutôt discrètes, peinaient à intervenir…

Et lorsque certaines, comme cette Françoise, osaient s’exprimer, on tendait toutes et tous à les minimiser. Leur parole a si peu été entendue et recueillie que l’histoire n’a pas retenu leurs noms. Les femmes étaient cantonnées au rôle de figurantes, comme la fameuse Marianne de 68, magnifique mannequin britannique, juchée sur les épaules d’un camarade et brandissant un drapeau vietnamien. Photographiée dans les cortèges, elle est devenue l’icône du mouvement dans «Life» ou en une de «Paris-Match» sans que personne ne se demande qui elle était, ni ce qu’elle avait en tête. Les femmes ont joué les allégories de 68 mais n’en ont pas été les actrices principales. On restait dans la hiérarchie des sexes. C’est d’ailleurs un geste masculin qui a tout déclenché, ces garçons revendiquant le droit d’aller dans les chambres des filles à la cité U de Nanterre. »

Elle parle aussi de la fraternité, aujourd’hui on dirait la sororité, de l’enthousiasme pendant les évènements de mai et du retour désabusé à la vie quotidienne de la société patriarcale après ces évènements. Pourtant elle utilise le terme de brèche dans les représentations traditionnelles, brèche qui ouvre la voie vers d’autres combats et une émancipation plus large :

« A la faveur de 68, les femmes ont fraternisé entre elles. C’est un aspect rarement évoqué, mais ce fut une période de maturation considérable et pour certaines un ébranlement existentiel. Elles se considéraient comme égales, mais, au fond, qu’attendait-on d’elles, sinon faire le café?

Passé l’ivresse des cortèges, le retour à la maison était parfois rude… les filles de Mai n’avaient pas toutes des parents soixante-huitards! A la fin du printemps, quand tout est rentré dans l’ordre, elles se sont demandées ce qui avait vraiment changé. De Gaulle – et avec lui l’ordre patriarcal – était de retour, et dans une France encore largement rurale, les hommes tenaient la politique et décidaient de tout dans les familles.

Mai-68 ne fut pas un mouvement féministe mais une brèche dans ces représentations traditionnelles du couple, de la famille, de la sexualité, comme l’a très bien décrit Edgar Morin. Une brèche dans laquelle les femmes se sont engouffrées, comme lors des précédentes révolutions, en 1789, en 1830, en 1848, ou pendant la Commune… Sauf que, pour une fois, elles ne sont pas rentrées sagement à la maison. Elles se sont organisées, décrétant: «le privé est politique». Ensuite, tout s’est cristallisé assez vite, et le MLF est né. »

Mai 68 fut aussi, comme je l’ai écrit hier et n’en déplaisent à l’armée de sociologues qui constatent que lors des assemblées générales on en parlait peu, la libération du corps et du désir. On en parlait pas mais on faisait. Et dans cette libération c’est encore le désir de l’homme qui était prégnant et la femme devait se débrouiller, souvent seule. La contraception existait dans les textes mais peu dans la réalité :

« Ces années-là étaient traversées par une intense ascension du désir, y compris sexuel. Sa libération fut à la fois très puissante et douloureuse pour les femmes et a posé avec bien plus d’acuité la nécessité pour elles de prendre des précautions. La liberté sexuelle, oui, mais pour qui?

Les hommes étaient ravis mais peu concernés par la hantise des femmes de voir leur vie bouleversée par une naissance, ou d’avorter clandestinement.

Le planning familial existait depuis 1960 et la loi Neuwirth de 1967 avait légalisé la pilule mais les contraceptifs n’arrivaient pas encore dans les pharmacies et il faudra encore des années avant qu’elles puissent les demander sans être regardées de travers. La société demeure très corsetée, de nombreux étudiants portent encore la cravate. Sur le plan des mœurs, l’époque reste frileuse: les mères n’osent pas aborder ces sujets, les pères encore moins… Le qu’en-dira-t-on reste dominant. »

La libération de la femme passera par le contrôle des naissances et la maîtrise de la fécondité :

«  Même si, comme je l’ai dit, la société connaissait des évolutions importantes pour les femmes – accès aux études, au monde du travail – l’indépendance passait avant tout par cette question brûlante du corps et de la conception. La condition première de leur émancipation, «l’habeas corpus des femmes» comme a dit Geneviève Fraisse, c’était l’accès au contrôle des naissances. Et c’est bien le sens d’un grand slogan de l’après 68, venu des Etats-Unis: «Our bodies, Ourselves», «notre corps, nous-mêmes», qui renversait des millénaires de représentation du monde. Comme l’a montré Françoise Héritier, les hommes ont longtemps conçu les femmes comme des vases destinés à recevoir leur semence, seule fécondante. Au XIXe siècle, on s’était bien aperçu du rôle des ovules, mais cela n’avait pas fait bouger les lignes. »

Plusieurs livres ont été écrits, le site de RTL en présente 4.

Le premier de ces livres est « Filles De Mai. 68 – Mon Mai à Moi» aux éditions du bord de l’eau. C’est un livre collectif, dont la préface a été écrite par Michelle Perrot.

Sur le site de l’éditeur, ce livre est introduit par ce petit texte :

Elles
ont entendu Michelle Perrot
parler du silence des femmes dans l’histoire

Elles
ont voulu dire Mai 68
Elles se sont réunies
Elles ont parlé et beaucoup ri.
Elles se sont souvenues.

Elles ont écrit
et les écrits ont voyagé
de l’une à l’autre
de toutes à toutes
échos croisés
de l’avant, du pendant et de l’après

Et puis
des mots ont pris le pouvoir
des mots mémoire, des mots passion
et l’abécédaire est né
de la mémoire de ces filles de mai

« Le Monde des Livres parle aussi de ce livre : « Mai 68 : le printemps contrarié des femmes » et aussi d’un autre « L’Autre Héritage de 68, La face cachée de la révolution sexuelle» de Malka Marcovich chez Albin Michel

Anne Both (Anthropologue et collaboratrice du « Monde des livres ») écrit à ce propos

« Tout paraissait possible. Oui, tout paraissait possible pour les femmes en ce doux printemps de 1968. Telle est la première impression que donnent deux livres remarquables qui leur sont consacrés. Pourtant, à leur lecture, on se demande si, en définitive, cette révolution n’était pas une révolution d’hommes menée par et pour des hommes. Le premier, Filles de Mai, résulte d’un atelier d’écriture composé de 22 citoyennes ordinaires, âgées à ce moment-là de 15 à 54 ans ; il se présente sous la forme d’un abécédaire avec 68 entrées, d’« Adolescence » à « Vérité ». Le second, L’Autre Héritage de 68, conçu comme un voyage dans le temps depuis l’immédiat après-guerre jusqu’aux années 1980, dévoile les dérives de ce que son auteure, l’historienne Malka Marcovich, nomme une « fausse liberté ».

Aucun doute cependant : un changement était attendu, sinon désiré. Des récits des « filles de Mai », membres de l’Association pour l’autobiographie, qui ont accepté de se confier avec une sincérité parfois crue, il ressort qu’elles étouffaient dans une culture de soumission à l’autorité masculine, à travers la figure du père, puis du mari, du patron et aussi du grand Charles, général et père de la nation.

On sait quels interdits spécifiques aux femmes s’appliquaient alors : le port du pantalon, considéré depuis 1800 comme un travestissement, les rapports sexuels avant le mariage, déshonorants, le droit de se mêler de politique ou de revendiquer quelque ambition professionnelle – un bon mariage suffisait amplement. L’insurrection de 1968 arrivait, en quelque sorte, à point nommé. […]

Dans un livre comme dans l’autre, les illusions se dissipent. Certaines évoquent la déplaisante sensation d’avoir été consommées comme une friandise ou considérées comme le jouet d’un soir ; l’injonction à être libre pouvant devenir, au fond, des plus aliénantes. « Et la fameuse libération sexuelle, prônée en 68, cache bien des pièges dont je suis victime : donjuanisme, peur de l’engagement, non-écoute du désir de l’autre sous couleurs de liberté », se souvient Chantal (Filles de Mai). »

LE site du magazine ELLE consacre aussi un article à ce sujet : « Mai 68 : où étaient les femmes ? »

 

Et en 1968 que se passait-il ? Je m’appuie toujours sur l’article de l’Obs les dates à connaitre pour être incollable sur mai 68

18 mai. : Les RG dénombrent une centaine d’usines occupées.

19 mai : De Gaulle : « La réforme, oui, la chienlit, non! »

20 mai. : La grève s’étend toujours.

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Jeudi 17 mai 2018

« Mai 1968 et le sexe »
Butinage et réflexions sur mai 68

Mai 68 en France est aussi une histoire qui parle de sexe… surtout de sexe ?

L’obs le rappelle : « et tout commença par une histoire d’accès aux chambres des filles »

Le livre de Ludivine Bantigny « 1968. De grands soirs en petits matins » (Seuil, 2018) rapporte même que dès la fin de l’année universitaire 1967 des résidences universitaires sont occupées à Nanterre et à Lyon parce que les étudiants protestent contre le règlement intérieur qui interdit les visites des garçons chez les filles.

Le Monde rappelle cette même réalité : « La mixité à la cité U, premier combat de Mai 68 »

A cette époque la majorité était à 21 ans, les étudiants étaient donc en grande partie des mineurs. Par ailleurs le poids des traditions et de la morale religieuse toujours très présente même si la Foi l’était moins entraînait que le sujet du sexe était tabou, refoulé, contraint.

Le premier esclandre de Daniel Cohn Bendit est selon les médias son interpellation du Ministre de l’Education nationale. L’article de l’Obs précité donne le détail de l’échange :

A Nanterre, cette année 1968 commence par l’épisode de la piscine. Le 8 janvier 1968, lors de l’inauguration d’installations sportives à Nanterre, le ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe et un étudiant en sociologie (il aura 23 ans début avril), Daniel Cohn-Bendit, échangent des propos acerbes.

Daniel Cohn-Bendit : « Monsieur le ministre, j’ai lu votre Livre blanc sur la jeunesse. En 300 pages, il n’y a pas un seul mot sur les problèmes sexuels des jeunes. »

Puis, le ministre : « Avec la tête que vous avez, vous connaissez sûrement des problèmes de cet ordre. Je ne saurais trop vous conseiller de plonger dans la piscine. »

Daniel Cohn-Bendit : « Voilà une réponse digne des Jeunesses hitlériennes. »

Cet échange vaut au jeune anarchiste de comparaître devant la commission spéciale d’expulsion de la Préfecture de Police, le samedi 17 février. Il est menacé d’expulsion du territoire français «pour avoir tenu des propos offensants à l’égard de M. Missoffe, lors de l’inauguration de la piscine de Nanterre, et pour avoir fait de l’agitation politique dans un mouvement anarchiste à la faculté», rapporte «le Monde» (17 février 1968).

Finalement cette polémique va se calmer :

Cohn-Bendit a envoyé à Missoffe une lettre « lui exposant qu’il n’avait pas eu l’intention de l’insulter personnellement et expliquant le sens de la réflexion qu’il lui avait faite au sujet du Livre blanc sur la jeunesse. En réponse, le ministre lui a écrit qu’il ne retenait pas l’incident et l’a invité à venir le voir afin d’avoir avec lui une discussion générale sur la jeunesse. »

La procédure d’expulsion, initiée par le doyen de l’université, Pierre Grappin, n’aboutira pas (c’est à la suite des événements du printemps qu’il sera frappé, le 21 mai, par un arrêté d’expulsion, qui ne sera levé que fin 1978).

Alors bien sûr mai 68 fut l’explosion de la libération sexuelle. « Jouissons sans entraves », « Faites l’amour pas la guerre », les slogans libertaires fleurissent sur les murs.

Le site <Sciences Humaines> écrit :

« Les spécialistes s’accordent pour faire démarrer la « révolution sexuelle » au milieu des années 60. La première génération du baby-boom va bientôt avoir 20ans. Dans tous les pays occidentaux, on constate des évolutions convergentes.

Le corps féminin se dévoile. Les minijupes font leur apparition en 1965, tandis que les premiers seins nus se montrent au cinéma. La pilule contraceptive mise en circulation en 1960 aux Etats-Unis arrive en Europe en 1967. A la radio, dans les magazines féminins, on parle plus librement des relations hommes/femmes. La littérature sulfureuse d’Henry Miller et d’Anaïs Nin circule partout. On commence à percevoir une nette augmentation des divorces et l’essor de l’union libre.

Mai 1968 précipite ce mouvement. Le temps est à la contestation de l’ordre bourgeois et patriarcal. Le mouvement hippie, apparu sur la côte Ouest des Etats-Unis à la fin des années 60, se répand en Europe. Les slogans « Faites l’amour pas la guerre », « Peace and Love », « Jouissons sans entrave » s’affichent sur les murs des universités. Les ouvrages de Wilhelm Reich ( La Révolution sexuelle ) et d’Herbert Marcuse ( Eros et civilisation ) deviennent des manifestes. Des communautés libertaires expérimentent la promiscuité sexuelle et l’amour libre. »

Tout ne commença pas en Mai 68. Ainsi, date très importante : 19 décembre 1967, adoption de la loi Neuwirth qui autorise l’usage des contraceptifs, et notamment la contraception orale. Nommée d’après Lucien Neuwirth, le député gaulliste qui la proposa, cette loi vient abroger celle de 31 juillet 1920 qui interdisait non seulement toute contraception, mais jusqu’à l’information sur les moyens contraceptifs. Promulguée le 28 décembre 1967, son application sera cependant lente, les décrets ne paraissant qu’entre 1969 et 1972.

Michel Bozon sociologue, directeur de recherche à l’INED affirme cependant :

« Pour autant, la sexualité ne sera pas une préoccupation centrale de la révolte étudiante et ouvrière du printemps 1968. « Jouir sans entraves », le célèbre slogan des situationnistes et libertaires de Nanterre, décrivait en réalité l’aspiration à un mode de vie plus intense, plutôt qu’il n’évoquait une sexualité débridée. Il faudra attendre quelques années après les événements pour que s’installe le discours sur une « libération sexuelle liée à Mai-68 ».

Cette notion de « libération » correspond assurément au vécu de certaines personnes. Mais pas à celui de tout le monde : dans son fameux Rapport sur le comportement sexuel des Français paru en 1972, Pierre Simon, auteur de la première enquête nationale sur la sexualité, ne mentionne en effet ni Mai-68 ni la notion de libération. On peut difficilement affirmer que les transformations de la sexualité dont nous sommes aujourd’hui les témoins prennent leur source dans les bouleversements de Mai-68. »

Cette nuance peut être entendue mais il n’en reste pas moins que Mai 68 a lancé un mouvement de libération du corps du plaisir et donc de la sexualité.

J’ai beaucoup apprécié ce film aigre doux qui parle de ce moment « La parenthèse enchantée », période où tout semblait devenir simple mais sans l’être vraiment. L’expression est de Françoise Giroud. Elle désigne cette brève période, les années 70, où le bonheur – et le plaisir – semblait possible. Après la pilule et avant le sida. Et il faudra revenir sur ce mouvement en y intégrant le regard des femmes.

Mais aujourd’hui je vais développer un autre aspect de cette histoire : la face noire de mai 68.

J’ai déjà écrit que je n’avais pas vécu mai 68 et que je n’en gardais aucun souvenir personnel. Il y a pourtant un aveuglement que je me reproche et que j’ai déjà développé dans un mot du jour ancien et dont je parlerai à la fin de celui-ci. Et je fais un lien direct entre ce vécu et la morale issue de mai 1968.

L’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteur de l’<Histoire de la pédophilie> lance cette accusation « L’apologie de la pédophilie, face noire de Mai-68 » :

« Mai-68 avait appelé à la libération des corps. Mais la « révolution sexuelle » proprement dite sera l’œuvre de la décennie 1970. Le réexamen incessant, sous un angle résolument politique, de la sexualité et du droit qui la gouverne aura pour effet de bousculer les a priori et de faire vaciller le conformisme.

Une partie de la presse se met alors à dénoncer les tabous, explorer les silences de l’intimité et interroger les sexualités dites alternatives. Dans le paysage politico-culturel qui se dessine, la notion même de déviance est niée ; et bientôt la parole est donnée à une revendication nouvelle : la pédophilie.

A l’orée des années 1970, les défenseurs de la pédophilie s’arriment au militantisme homosexuel et spécialement au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), fondé en 1971, qui combat tout à la fois l’oppression des homosexuels et appelle à la reconnaissance des « sexualités autres ». Ce « cousinage » est favorisé par le Code pénal et ses dispositions discriminatoires qui punissent les rapports homosexuels en-deçà de 21 ans, tout en permettant les rapports hétérosexuels dès 15 ans. Michel Foucault, qui participe aux travaux de la commission de révision du Code pénal, n’hésite pas à signer une pétition invitant à tenir compte du consentement des mineurs. Il réfléchira même à la possibilité de supprimer toute infraction sexuelle du Code.

Si le mouvement homosexuel, notamment sous l’impulsion des féministes, se désolidarise rapidement des voix pédophiles, un petit nombre d’intellectuels médiatisés continuent de défendre la « cause » dans les colonnes de « Libération », très en pointe, et, dans une moindre mesure, du Monde. Leur plaidoirie se poursuit autour de trois axes empruntés partiellement au fonds de l’antipsychiatrie. Le premier, cher à l’écrivain Gabriel Matzneff, invoque l' »amour des enfants » et le rôle positif que peut jouer une « initiation » sexuelle et intellectuelle dans une éducation bien conçue.

L’éros enfant ou adolescent est placé sous les auspices d’une esthétique et d’une éthique héritées de la pédérastie de la Grèce antique. Le second axe s’appuie sur l’idée d’une altérité radicale de l’enfant qui reste à comprendre et à aimer convenablement, loin des figures naturalistes de la doxa. Tel est en substance le propos de « Co-ire. Album systématique de l’enfance », publié en mai 1976 par le philosophe René Schérer et le fondateur du Fhar, Guy Hocquenghem. Pour les auteurs, l’enfant est celui qui « est fait pour être enlevé […], sa petitesse, sa faiblesse, sa joliesse y invitent », mais aussi celui dont la liberté et l’autonomie sont impossibles.

Les catégories à partir desquelles penser la relation adulte-enfant doivent donc au minimum être repensées. Le troisième axe de la défense pédophile insiste plus directement sur la menace que la sexualité des enfants fait peser sur l’institution familiale. Effrayante, elle est castrée au prix d’un abus de pouvoir scandaleux.

L’écrivain Tony Duvert (prix Médicis 1973) met violemment en cause l’éducation répressive qui brime les désirs et les pulsions des enfants au nom des droits exclusifs de la famille ; il dénonce la prééminence de mères castratrices et le « matriarcat qui domine l’impubère ». »

Doan Bui journaliste qui a reçu le prix Albert-Londres 2013 a écrit dans l’Obs : < Libérer le plaisir de l’enfant», disaient-ils… >

« C’était il y a quarante ans, avant que le mot « pédophile » ne devienne synonyme de « monstre ». De nombreux intellectuels militaient pour autoriser les rapports sexuels avec les plus jeunes. Alors que le débat sur le consentement des mineurs resurgit, retour sur une folle dérive sociétale et culturelle.

[…] Si je suis solidaire de Polanski ? S’il ne s’agit que de relations sexuelles avec mineur, de coït buccal et de sodomie, bien sûr ! » C’est ainsi que feu Jean-Louis Bory, écrivain et critique de cinéma réputé, répondait au « Quotidien de Paris » en 1977 quand on l’interrogeait sur le cinéaste, accusé d’avoir violé Samantha, 13 ans. La presse, unanime à l’époque, plaignait Roman Polanski, « victime du puritanisme américain », en conspuant les parents et la jeune fille, « tout sauf une oie blanche ».[…]

En 1977, l’affaire ne suscite pas l’ombre d’une controverse en France, y compris chez les féministes. Ni quand le cinéaste fuit en France, en 1978, ni quand sort « Tess » l’année suivante, acclamé par la critique, avec la toute jeune Nastassja Kinski, laquelle avait 15 ans quand elle rencontra le cinéaste et qu’il devint son amant.

Martine Storti, militante féministe, était journaliste à « Libération » dans ces années-là. « C’est fou, mais je n’ai aucun souvenir de cette affaire, que j’ai découverte en 2009, quand Polanski a été arrêté en Suisse. » Elle poursuit :

« A l’époque, nous, les féministes, étions sur d’autres combats : la pilule, la criminalisation du viol, pour qu’il soit jugé aux assises… Là-dessus, on se faisait insulter et traiter de réacs. ‘Libé’, c’était quand même un journal de mecs. »

Dans ses pages cinéma, « Libération » consacra juste un petit article à l’affaire : « Au cinéma, les enfants sont là pour séduire les adultes. » C’est la ligne du journal de ces années-là, qui publie des articles titrés : « Centre aéré : je continuerai à jouir avec des impubères si tel est mon plaisir et si tel est le leur » ; des caricatures pour choquer le bourgeois : « Apprenons l’amour à nos enfants », avec le dessin d’une gamine faisant une fellation à un adulte ; ou encore le plaidoyer de Jacques D., incarcéré pour « attentat à la pudeur sur mineur », expliquant que « l’enfant est capable d’aimer sexuellement » et qu’il a la « satisfaction d’être agréable à celui qui le sodomise ».

[…] On comprendrait peut-être les raisons du culte voué à feu David Hamilton. Le photographe (accusé depuis de viols sur mineures) est alors une vedette qui vend ses calendriers par millions. Le magazine « Vogue Homme » le sollicite pour un dossier de couverture mettant en scène des adolescentes peu vêtues, puis récidive en commandant une série plus « réaliste » sur les adolescentes à Polanski, d’où la fameuse séance avec la jeune Samantha.

[…] Brooke Shields fait la une du magazine « Photo », elle a 10 ans, est nue, maquillée, sort du bain. Deux ans plus tard, elle joue une prostituée dans « la Petite », de Louis Malle. Irina Ionesco, elle, fait prendre à sa fille, Eva, des poses pornographiques, dès ses 5 ans. Eva Ionesco l’a narré dans un film et dans « Innocence », magnifique roman autobiographique paru à l’automne. Elle raconte sa mère lui demandant d’écarter les jambes devant l’objectif, vendant les clichés à des clients émoustillés, comme l’écrivain Alain Robbe-Grillet, connu pour son goût des fillettes (il écrivit d’ailleurs le texte du premier livre d’Hamilton, « Rêves de jeunes filles »). Il offrira un stylo Montblanc à Eva pour la convaincre de jouer nue dans son film. »

Etc., je vous invite à lire l’article de Doan Bui, vous lirez aussi des propos de Gabriel Matzneff, de Leo Ferré, Aragon, Beauvoir, Barthes, Ponge, Michel Foucault, Guy Hocquenghem, et tant d’autres…

Et puis il y a Daniel Cohn-Bendit qui a été accusé lors d’un débat politique par François Bayrou d’avoir défendu la pédophilie dans un ouvrage ancien. L’Obs a publié des <Extraits de ce livre>

« Dans son livre « Le Grand Bazar », publié en 1975 chez Belfond, Daniel Cohn-Bendit évoque son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants « alternatif » à Francfort :

« Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : ‘Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses ?’ Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même ». « J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi  » ».

Plus tard, Daniel Cohn-Bendit, a démenti tout acte pédophile et soutenu que ses écrits reflétaient l’esprit de l’époque de « provocation contre le bourgeois ». « Ce qui est écrit dans « Le grand bazar » n’est « pas une réalité », mais « un condensé de faits observés », avait déclaré Daniel Cohn-Bendit. «J’ai raconté ça par pure provocation, pour épater le bourgeois » (…) et « sachant ce que je sais aujourd’hui des abus sexuels, j’ai des remords d’avoir écrit tout cela ».

Récemment, j’ai trouvé cette petite vidéo, dans laquelle Daniel Cohn-Bendit est invité par Bernard Pivot dans apostrophes, probablement que là aussi il veut «épater le bourgeois», en l’occurrence Paul Guth qui est en face de lui et il dit : «La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique, faut être honnête. J’ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu érotico-maniaque… ». Je ne voudrai pas accabler Daniel Cohn-Bendit qui a bien changé depuis, mais nous pouvons constater qu’après mai 68 on pouvait tenir de tels propos dans des émissions culturelles de l’ORTF….

Et j’en reviens au mot du jour ancien dans lequel j’avais utilisé comme exergue ce mot de Raymond Aron, à propos du génocide des juifs par les nazis : « Je l’ai su, Mais je ne l’ai pas cru. Et parce que je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su. ». Dans ce mot du jour j’ai raconté que je connaissais les responsables de l’École en bateau et que j’avais lu le livre qu’avait écrit le fondateur. Dans ce livre, la pédophilie était décrite mais je n’ai pas su la voir et la comprendre parce que l’esprit du temps issu de ces excès de mai 68 nous avait aveuglés, m’avait aveuglé et perverti mon sens du jugement.

Tout ceci ne signifie pas que la libération des mœurs issue de mai 68 ne doit pas être vue de manière positive, mais je trouve l’expression « La face noire » pertinente sur ce sujet où la perversion de certains hommes a pu non seulement s’exprimer sans tabou mais aussi le faire en le justifiant par des théories de libération pernicieuses et dévoyées. Car si la pédophilie s’inscrit dans la nuit des temps, il y eut dans le mouvement de 68 des intellectuels qui exprimaient des théories qui la justifiait et même l’encourageait.

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Mercredi 16 mai 2018

« Mai 1968 et la guerre du Viet Nam»
Poursuite du butinage de mai

Dans le mot du jour de lundi, j’avais précisé qu’en Allemagne et bien sûr aux Etats-Unis, les étudiants manifestaient d’abord contre la guerre du Viet-Nam.

Mais la France et le mai 68 sont aussi liés étroitement à la guerre du Viet Nam.

Tout le monde l’écrit aujourd’hui : « Mai 68 a commencé le 22 mars à l’Université de Nanterre».

Il faut même remonter au 20 mars 1968, lorsqu’à l’appel du Comité Vietnam, 200 à 300 personnes brisent les vitrines d’une agence parisienne d’American Express. Plusieurs manifestants, dont Xavier Langlade (futur dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire), étudiant très populaire à Nanterre, sont arrêtés.

Les étudiants de Nanterre veulent les faire libérer. C’est alors que le 22 mars, aucune libération n’étant survenue, entre 400 et 500 personnes se retrouvent à 17 heures pour une AG.

Et c’est Paris-Match qui raconte la suite :

« Plutôt que d’occuper l’habituel bâtiment de sociologie, il est décidé, «pour démontrer [leur] volonté de lutter contre la répression», dixit Daniel Cohn-Bendit, déjà à la manœuvre, de s’installer dans une salle interdite, celle des conseils d’université, au 8e étage de la tour centrale du campus. «J’avais participé à la tentative d’occupation de la Sorbonne en 1964, se souvient Prisca Bachelet, une participante. Ça avait échoué, et pourtant ça avait été tellement préparé! Ce 22 mars, il y avait un rapport à la parole, à l’action et à la décision radicalement nouveau, qu’on devait beaucoup aux anarchistes et aux libertaires comme Jean-Pierre Duteuil ou Daniel Cohn-Bendit. Les gens parlaient librement. Pour moi qui avais l’habitude des groupements politiques et syndicaux, c’était extraordinaire.» Une partie des présents s’attelle à l’écriture de ce qui deviendra le «manifeste des 142», qui appelle à une journée de réflexion la semaine suivante. La séance se termine à 1h20 après une «Internationale» chantée le poing levé. Et l’on se quitte sans savoir que le germe de mai vient d’être planté.

Le mouvement du 22 mars se transforme en une plateforme construite par l’action et emmenée par ceux qu’on appelle les «enragés». Pour la première fois, les groupuscules gauchistes réussissent à dépasser leurs divergences. »

Le premier acte de mai 68 avait pour objet de faire libérer des étudiants qui ont été arrêtés suite à une manifestation contre la guerre du Viet Nam.

Nous sommes en pleine guerre froide, pour les Etats-Unis il s’agit d’empêcher l’expansion communiste. Le Nord Viet Nam est communiste mais le Sud Viet Nam se trouve sous la protection américaine car sinon il ne pourrait résister aux assauts des troupes du Nord Viet Nam et de la guérilla locale qui ont pour nom « Le Viet Cong ». Pour les Etats-Unis c’est avant tout un combat politique.

Mais pour les vietnamiens communistes, le combat est aussi nationaliste il faut chasser les troupes d’occupation.

A l’occasion de la mort du célèbre général vietnamien GIAP, j’avais lors d’un mot du jour de 2013 rapporté cet entretien qu’avait dévoilé le général GIAP, lui-même lors d’une interview de l’Humanité :

« Une autre fois, j’étais à Moscou pour demander une aide renforcée et j’ai eu une réunion avec l’ensemble du bureau politique. Kossyguine m’a alors interpellé :  » Camarade Giap, vous me parlez de vaincre les Américains. Je me permets de vous demander combien d’escadrilles d’avions à réaction avez-vous et combien, eux, en ont-ils ?  »  » Malgré le grand décalage des forces militaires, ai-je répondu, je peux vous dire que si nous nous battons à la russe nous ne pouvons pas tenir deux heures. Mais nous nous battrons à la vietnamienne et nous vaincrons.  »

Et c’est ce qu’ils ont fait. L’Amérique s’est vraiment engagé dans cette guerre à partir de 1961 quand le président John F. Kennedy envoya plus de 15 000 conseillers militaires. Mais la présence des Etats-Unis est antérieure. En 1998, le gouvernement fédéral des États-Unis détermine que les militaires américains tombés après le 1er novembre 1955 — date de la création du premier groupe de conseillers militaires américains au Sud Viêt Nam — peuvent être considérés comme morts durant la guerre du Viêt Nam.

Et Lyndon Johnson qui succéda à Kennedy après son assassinat le 22 novembre 1963 en sa qualité de vice-président, fut contraint à encore augmenter l’effort de guerre. Il terminera la présidence de Kennedy, puis sera élu sur son propre nom, l’emportant largement à l’élection présidentielle de 1964. 1968 est année d’élection présidentielle aux Etats-Unis et Lyndon Johnson peut et veut se représenter, mais il en sera empêché en raison de la guerre du Viet Nam .

Terrible année 1968 aux Etats-Unis, pendant laquelle d’abord Martin Luther King fut assassiné le 4 avril 1968 à Memphis et puis ce fut le tour de Robert F. Kennedy, le 6 juin 1968 alors qu’il venait de remporter la primaire de Californie, ce qui faisait alors de lui le candidat le plus probable du parti démocrate.

Jamais l’engagement américain n’a été aussi fort qu’au Vietnam en 1968. Les GI’s débarquent par vagues entières pour atteindre le chiffre record de 500 000 soldats

Le président Johnson annonça son renoncement lors d’un discours le 31 mars 1968, discours dans lequel il annonce également l’arrêt immédiat et sans condition des raids au Viêt Nam et appelle Hô Chi Minh à négocier la paix.

Car en janvier 1968, avait commencé l’offensive du Tết. Le gouvernement américain avait promis la « lumière au bout du tunnel » et la victoire.

Mais le 30 janvier 1968, l’ennemi, supposé être sur le point de s’effondrer, lança l’offensive du Tết en combinant les forces du Front national de libération du Sud Viêt Nam (ou Việt Cộng) et de l’Armée populaire vietnamienne. L’offensive commence prématurément le 30 janvier 1968, un jour avant la nouvelle année lunaire, le Têt. Le 31 janvier, 80 000 soldats communistes attaquent plus de 100 villes à travers le pays dans la plus grande opération militaire conduite à ce point de la guerre

Le général Giap, mobilisa la quasi-totalité de ses effectifs dans la bataille.

Les buts poursuivis étaient le soulèvement de la population sud-vietnamienne contre la République du Viêt Nam, démontrer que les déclarations américaines selon lesquelles la situation s’améliorait étaient fausses, et dévier la pression militaire pesant sur les campagnes vers les villes sud-vietnamiennes.

Du point de vue militaire, cette offensive, la première guerre ouverte à grande échelle des communistes, fut un échec. Face à la puissance de feu américaine, ils furent massacrés, et il leur fallut deux ans pour reconstituer leurs forces. Mais du point de vue politique, ce fut une victoire. Aux États-Unis, on prit soudain conscience de la force des communistes du Sud. Une grande majorité d’Américains eut le sentiment d’avoir été trompée et la victoire semblait désormais impossible. Le 29 février 1968 le secrétaire à la Défense, Robert Macnamara, démissionna.

9 jours avant les vietnamiens avaient engagé un autre front la bataille de Khe Sanh qui fut la plus longue de la guerre du Viet Nam.

La population américaine perdit la foi en la victoire.

En outre, les médias commençaient à montrer des images et des exactions des soldats américains excédés et devenant fous.

C’est aussi en 1968, le 16 mars 1968 qu’eut lieu le massacre de Mỹ Lai, en plus de ne pas parvenir à gagner la guerre, l’Amérique était en train de perdre son âme. Les jeunes d’Amérique, comme les jeunes des autres pays occidentaux ne pouvaient qu’être révoltés par cette guerre sale devenu incompréhensible.

Ici un journal de Cleveland relate cette tuerie et montre aux américains une photo de la réalité : des civils massacrés.

Depuis le Viet Nam, les occidentaux n’ont plus vraiment pu gagner de guerres, de ces guerres que l’on dit asymétriques.

La plus grande armée du monde peut encore gagner des batailles contre des armées régulières comme celle d’Irak, mais elle ne peut plus gagner la guerre car les politiques n’arrivent plus à gagner la paix.

Contre l’Allemagne nazi et contre le Japon impérialiste, les alliés y étaient parvenus. Depuis ils n’y arrivent plus.

En 1968, ce fut Nixon qui gagna les élections et ce fut lui aidé par Henry Kissinger qui se résolut à arrêter cette guerre par les Accords de paix de Paris en 1973. Mais ce ne fut pas la paix mais simplement le retrait militaire américain.

La guerre continua et se termina en 1975 par la victoire totale du Nord Viet-Nam.

La guerre du Viet Nam hantait les nuits des soldats américains et révoltait la jeunesse du monde entier.

Le secrétaire d’état à la défense, lors de la guerre du Viet Nam, Robert McNamara écrivit un livre « Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons »

On peut y lire cet aveu :

« Nous, membres des administrations Kennedy et Johnson parties prenantes aux décisions sur le Vietnam, avons agi selon ce que nous pensions être les principes et les traditions de notre pays. Nous avons pris nos décisions à la lumière de ces valeurs. Pourtant, nous avons eu tort. Terriblement tort.»

Dans cet ouvrage Mac Namara révèle aussi que de 1965 à 1968, l’opération Rolling Thunder (tonnerre roulant), nom de la campagne de bombardement va « déverser sur le Vietnam plus de bombes qu’on n’en avait lâché sur toute l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale »

Cette guerre aura coûté la vie à plus de 58.000 soldats américains, 250 000 morts sud-vietnamiens et 1 300 000 morts nord vietnamiens. Je ne commente pas. Quelquefois, rarement, les chiffres parlent d’eux mêmes.

Les manifestations contre la guerre du Viet nam fut un grand catalyseur des colères étudiantes en 1968.

L’historien Laurent Jalabert écrivit en 1997 un article sur ce sujet : « Aux origines de la génération 1968 : Les étudiants français et la guerre du Vietnam » que vous pourrez lire <Ici>.

Et en France le 16 mai 1968 les grèves s’étendent dans le mouvement ouvrier : chez Renault à Flins, à Billancourt, au Mans et à Sandouville, à la manufacture d’armes de Bayonne, chez Kleber-Colombes et Rhône-Poulenc à Elbeuf, chez Dresser-Dujardin au Havre, chez Unelec à Orléans. Et à Renault-Billancourt, le cortège venu du Quartier latin trouve porte close, la CGT voulant éviter tout risque de « provocation ». Les ouvriers et les étudiants manifestent, mais pas ensemble !

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Mardi 15 mai 2018

« Ce qui s’est passé en 1968 dans le monde, en dehors de mai 68 »
Poursuite du butinage et des réflexions autour de mai 1968

Le mot du jour d’hier avait vocation à montrer que le mai 1968 des étudiants et de la jeunesse, n’étaient pas que français. Il était aussi allemand, italien, espagnol, brésilien, tchécoslovaque, brésilien, mexicain.

Mais que se passait-il d’autres en 1968 qui n’était pas le mouvement de mai 68 ?

Il y avait la guerre du Viet-Nam, mais j’y reviendrai par un article spécifique.

En 1968, au Stanford Research Institue de Californie, dans le cadre de la première vidéo conférence de l’histoire, L’ingénieur Douglas C Engelbart exhibe un petit cube en bois. Le public, médusé, découvre un boitier capable de déplacer un pointeur sur l’écran de l’ordinateur. L’aïeul de la souris allait révolutionner l’usage de l’informatique.

Grâce à cette photo, vous voyez à quoi cela ressemblait. <Le mot du jour du 5 juillet 2013>, célébrait cette invention car 2 jours avant Douglas Engelbart était mort à l’âge de 88 ans

En février 1968, Grenoble accueillait les jeux Olympiques d’hiver, car à cette époque les jeux olympiques d’Hiver et d’été avaient lieu la même année Olympique. La fin de l’année 1968 verrait les jeux olympiques d’été de Mexico.

Lors de ces jeux Jean-Claude Killy gagna les trois médailles d’or en descente, slalom spécial et slalom géant. Mais ces jeux comptaient 10 disciplines et 35 épreuves. Lors des derniers jeux d’hiver, ceux de 2018 à Pyeongchang en Corée du Sud, il y eut 15 disciplines et 102 épreuves. Constatant une certaine inflation permettant probablement un meilleur business.

Pour les esprits curieux vous saurez que la dernière année olympique qui rassembla les jeux d’hiver et d’été fut 1992 où les jeux d’hiver eurent lieu à Albertville et les jeux d’été à Barcelone.

C’est aussi en 1968, en plein pendant les évènements, le 12 mai 1968 que le Père Boulogne 57 ans, religieux, se voit greffer le cœur d’un jeune douanier décédé. C’est la première transplantation de cœur en France. La première dans le monde fut réalisée par le professeur Christian Barnard en décembre 1967 en Afrique du Sud. Le 6 janvier ce sera au tour du Professeur Norman Shumway à Stanford en Californie de pratiquer la première greffe du cœur aux Etats-Unis.

L’opération en France avait été dirigée par le Professeur Charles Dubost et le cœur greffé du Père Boulogne battra pendant dix-sept mois et 5 jours.

Comment ne pas parler du « Concorde ». L’avion est présenté officiellement, le 11 décembre 1967. Il est ensuite présenté à la population toulousaine le 28 janvier 1968. Le premier vol d’essai de Concorde 001 eut lieu au-dessus de Toulouse, le 2 mars 1969

Et puis peu avant Noël 1968, la NASA envoie Apollo 8 faire le tour de la lune. Six mois plus tard, Neil Armstrong posera le premier pied humain sur le satellite de la terre, lors de la mission Apollo 11. Elle avait été précédé par Apollo 7 (11 octobre 1968 – 22 octobre 1968) qui fut la première mission habitée du programme Apollo. Ce fut également la première mission américaine à envoyer une équipe de trois hommes dans l’espace et la première mission à diffuser des images pour la télévision.

Nous étions, en effet, en pleine conquête spatiale. Mon butinage d’aujourd’hui nous rappelle à quel rythme très soutenu cette mission avançait, car avant Apollo 11, il y eut encore deux autres fusées qui seront lancées, en quelques mois.

Si maintenant on s’intéresse aux œuvres de l’esprit :

Le 8 mai 1968, Marguerite Yourcenar publie « L’Œuvre au Noir » livre dans lequel elle crée un personnage fictif du XVIème siècle : Zénon auquel, selon l’express du 10 juin 1968 qui présente cet ouvrage, l’écrivaine a prêté les traits d’Erasme, de Léonard, de Paracelse, de Michel Servet, Campanella. Comme eux, il lutte contre la bêtise, la routine et les préjugés.

L’express du 22 juillet 1968 nous apprend que le grand écrivain Albert Cohen publie le troisième volet de sa trilogie consacrée aux Solal : « Belle du Seigneur »

L’express du 16 décembre 1968 annonce la traduction et la parution en français de « Sexus » d’Henry Miller, censuré neuf ans durant. L’article de l’Express donne la parole à Henry Miller : « Le sujet de mes livres, ce n’est pas le sexe, c’est la libération de soi » mais le journal de Servan Schreiber et Françoise Giroud ajoute : « Sexus contient les pages les plus scabreuses d’un auteur qui a franchi depuis longtemps le mur de la pornographie.

Au cinéma on trouve les sorties suivantes :

  • 8 mars 1968 : Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone ;
  • 17 mars 1968 : La mariée était en noir de François Truffaut avec Jeanne Moreau
  • 1er avril 1968, le bal des vampires de Roman Polanski avec dans le rôle principal son épouse Sharon Tate qui sera assassinée l’année suivante
  • 4 septembre 1968, le Lauréat qui révèle Dustin Hoffman et célèbre les amours post-adolescents (L’express du 9 septembre 1968)

Et surtout

  • Le 27 septembre 1968 : 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans lequel l’intelligence artificielle du robot qui avait pour nom « Hal » tentait de ne pas se faire débrancher par l’homme qui venait de constater qu’il était en train de prendre des décisions contraires aux intérêts des humains.

Et puis il y a d’autres choses qui se passent dans le monde qui sont moins réjouissantes :

D’abord la révolution culturelle en Chine.

Le 8 août 1966, le comité central du parti communiste chinois avait émis un projet de loi (sans doute rédigé par Mao) concernant les « décisions sur la grande révolution culturelle prolétarienne ». Ce texte constitue une forme de charte de la Révolution culturelle. La révolution culturelle, un moment d’une violence inouïe, chaotique atteindra son apogée en 1968.

Parmi ceux ont fait mai 1968 en France, il y avait un nombre important de maoïstes ou du moins des gens qui exprimaient une grande sympathie pour Mao. La Gauche Prolétarienne était une des structures qui regroupaient ces militants : Benny Lévy, Alain Geismar, Serge July, Gérard Miller, Marin Karmitz, André Glucksmann, Daniel Rondeau, Olivier Roy etc.

<Dans cet article : L’enfant et les gardes rouges> il est question de Xu Xing qui vit cette période à 12 ans, séparé des siens et qui est devenu écrivain et réalisateur. Il raconte la violence dont il a été témoin :

« La violence était partout Surtout entre 1966 et 1968. Tous les jours, des maisons étaient mises à sac. Lui est trop petit pour être visé par les Gardes rouges. Et sa famille, envoyée à la campagne, échappe à l’acharnement des petits soldats de Mao. Mais ma voisine a été battue à mort ou presque se souvient-il. Elle était propriétaire, dans ma ruelle d’une grande cour. La porte était toujours fermée et elle ne se mélait pas aux voisins. Un jour, un groupe de gardes rouges est entré. Tout à coup, on a entendu un cri terrifiant et ils ont fait sortir cette vieille femme, à laquelle ils avaient coupé les cheveux n’importe comment. Ils l’ont jetée dans un triporteur et, debout, les gardes rouges la frappaient avec une ceinture en cuir. Son corps était couvert de sang…Ses cris je m’en souviens encore ».

L’autre drame, outre le Viet Nam, dans le monde en 1968 était la famine au Biafra

Il s’agit d’une guerre civile entre ethnies au Nigeria dont l’origine plonge à la fois dans les frontières artificielles et les antagonismes qui ont été provoqués par les colonisateurs européens. L’ethnie des ibos, catholiques avaient longtemps été privilégiés par les blancs. Au début de l’indépendance du Nigéria, cette ethnie tenait plutôt les leviers du pouvoir, mais minoritaire elle va bientôt être rejetée et faire l’objet de massacres par les populations du nord, musulmanes, les Haoussas et les Fulanis. La population Ibos se retranche alors dans sa région d’origine qui va devenir le Biafra et va tenter par les armes d’obtenir son indépendance. Mais le Biafra dirigé par un chef intransigeant et rigide : le colonel Ojukwu lâché par les occidentaux et les autres pays africains qui ne veulent pas remettre en cause les frontières de l’Afrique, encerclé et soumis à un blocus par les troupes nigérianes fédérales beaucoup plus nombreuses, va d’abord mourir de faim avant que la rébellion ne s’écroule. Un article d’un journal suisse essaye d’expliquer la complexité de ce conflit et l’utilisation de la famine comme ultime arme de communication du colonel Ojukwu pour essayer d’obtenir l’indépendance.

Les images sont insoutenables. Il suffit de chercher sur un moteur de recherche « famine Biafra » pour en trouver de nombreuses.

C’est lors de ce conflit que les premières organisations humanitaires vont naître, des médecins dont Bernard Kouchner le plus médiatique d’entre eux vont d’abord sous l’égide de la Croix Rouge se rendre sur ce territoire où agonise un peuple et en réaction créer « médecins sans frontières » puis d’autres ONG analogues.

Voilà ce qui se passait dans le monde en 1968 pendant que les étudiants français écrivaient des slogans sur les murs comme : « Sous les pavés, la plage ». Il est vrai que Romain Goupil avec Daniel Cohn-Bendit, invité par France Inter, hier le 14 mai,  pour leur film, présenté à Cannes, «la traversée» et présentant la France d’aujourd’hui, a transformé ce slogan au cours de l’émission en disant : « Sous les pavés, les sages ». Car il reconnaissait qu’en 1968 il était sectaire, bolchevique et gauchiste. Ce documentaire sera diffusé le 21 mai à 20h50 sur France 5.

 

 

A Paris, le 15 mai 1968, le Théâtre de l’Odéon est occupé.

 

 

 

 

 

<1069>

Lundi 14 mai 2018

« Mai 68 dans le Monde »
Butinages autour de mai 68

J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans la rédaction d’une série de mots du jour sur mai 68.

En mai 68, je n’avais pas encore dix ans, je n’ai aucun souvenir dans ma mémoire de ce moment, sauf peut-être la tentative de Daniel Cohn Bendit de revenir en France après son expulsion, parce qu’il a essayé de le faire au poste frontière de la Brême d’or qui se situait à 2 km de ma maison familiale.

Par la suite je n’ai jamais été intéressé par cette pseudo-révolution.

C’est pourquoi quand Michelle nous a rendu visite vers le 22 mars et m’a suggéré: «  j’espère que tu vas nous faire des mots du jour sur mai 68. » j’ai simplement répondu que ce n’était pas prévu..

Cependant c’est un sujet qui semble beaucoup occuper les médias.

Plus étonnant, le Président Macron s’est posé la question de commémorer cet évènement !

L’Obs nous apprend que Daniel Cohn Bendit et un de ses vieux complices du mouvement de mai 68, Romain Goupil s’entretiennent régulièrement avec le Président :

« Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, Cohn-Bendit et Goupil, que certains surnomment « le couple Dany » tant ils sont inséparables, sont des interlocuteurs réguliers du président. « Ils font partie des capteurs que le président aime voir », dit un de ses proches. »

Et c’est donc, toujours d’après l’Obs que par SMS, le président de la République a testé l’idée auprès du tandem : « Commémorer officiellement Mai-68 ?  »

Et Dany le rouge devenu Dany le vert a immédiatement répondu, aussi par sms :

« Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Rien à cirer ! »

C’est aussi simple et direct que cela…

Depuis quelques années, les présidents de la république semblent être très concernés par le mouvement de mai 68.

C’est le Figaro qui écrit :

« Une chose est sûre: il y a un avant et un après Mai 68. »

Et de rappeler que Nicolas Sarkozy, dans un discours de campagne, en 2007, voulait «liquider l’héritage de Mai 68», responsable d’un «relativisme intellectuel et moral», qui avait introduit «le cynisme dans la société et dans la politique», «liquidé l’école de Jules Ferry» ou encore «abaissé le niveau moral de la politique».

Et l’antépénultième président, au jour d’aujourd’hui, ajoutait :

«Les héritiers de mai 68 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid».

Le précédent président, en 2012, prenait évidemment une position inverse et revendiquait l’héritage de Mai 68. Dans un discours, François Hollande avait salué :

«Les piétons de Mai 68, qui marchaient la tête dans les étoiles et avaient compris qu’il fallait changer».

Une chose est certaine, ce sujet continue à déchainer les passions, 50 ans après. C’est toujours le Figaro qui cite Henri Guaino :

«Ces enfants gâtés [qui étaient sur les barricades et qui voulaient] «une société sans hiérarchie et avaient accouché d’un monde de l’argent fou et de la cupidité».

Ce même article cite Alain Duhamel qui rappelle une scène qu’on croirait tirée d’un western lorsque Jacques Chirac rencontre Henri Krasucky, syndicaliste CGT, pour préparer le sommet syndical et se rend dans une chambre de bonne avec un revolver dans la poche. Il confie aussi que Pompidou, le jour de la rencontre historique rue de Grenelle, avait demandé à Balladur de bien vérifier que les portes ne soient pas fermées à clef pour éviter d’être pris en otages.

Finalement j’ai pensé qu’il pouvait être intéressant de faire quelques recherches et butinages pour devenir un peu plus savant sur ce sujet.

Et dès qu’on s’intéresse à ce sujet, on constate que ce mouvement étudiant qui a par la suite entraîné des mouvements ouvriers et des grèves n’a pas été limité à la France en 1968. Dans d’autres parties du monde ce mouvement a pu avoir lieu d’autres mois de l’année et aussi présenter des caractéristiques différentes. Mais force est de constater que ce mouvement qui a fait vaciller le pouvoir en France a eu des échos dans d’autres parties du monde.

En quelques minutes ce <petit documentaire> est très pédagogique

A Berlin, les étudiants protestent contre la guerre du Viet Nam et demandent une réforme de l’université et un assouplissement de la société allemande. Le démarrage est plus violent. Le 11 avril 1968 un homme tente d’assassiner Rudi Dutschke qui est le leader le plus connu du mouvement étudiant, il fut très gravement atteint. Rudi Dutschke mourra en 1979 des séquelles neurologiques de cette tentative d’assassinat.

L’Express dans un article du 1er mai 2008 fait remonter en Allemagne, Mai 68 au 2 juin 1967.

C’est le 2 juin 1967 que Mai 68 a commencé en Allemagne. Ce soir-là, des étudiants se rassemblent devant l’opéra de Berlin-Ouest, pour protester contre la visite officielle du chah d’Iran. Accompagné de sa femme, celui-ci assiste en effet à une représentation de La Flûte enchantée, lorsque, peu après 20 heures, les forces de l’ordre chargent les manifestants. Un étudiant de 26 ans, Benno Ohnesorg, tombe sous la balle d’un policier. La photo du jeune homme, allongé à terre, les yeux fermés, a fait le tour du monde. A ses côtés, une jeune femme accroupie lui a glissé son sac en tissu sous la nuque. Ses yeux à elle expriment la colère et semblent chercher de l’aide. Le cliché est devenu aussi célèbre que celui du sourire de Daniel Cohn-Bendit défiant les CRS français, mais la version allemande de la rébellion étudiante est nettement plus dramatique que la version française.

Tous ceux qui avaient participé à la manifestation du 2 juin 1967 racontent avoir été profondément choqués de voir un étudiant «descendu» en toute impunité (le policier sera acquitté) alors qu’il n’avait rien fait d’autre que de protester pacifiquement. Ils vont dès lors s’engager en masse dans l’action politique, à l’image de la jeune femme accroupie sur la photo, Friederike Hausmann, qui déclare aujourd’hui: «A partir de ce jour-là, je ne me suis pas politisée: je me suis radicalisée.» La mort de Benno Ohnesorg, puis en avril 1968, l’attentat contre le leader étudiant Rudi Dutschke (il mourra des suites de cette agression en 1979) vont en effet marquer le début d’une confrontation sociale qui tournera à l’hystérie collective et culminera dix ans plus tard avec la vague terroriste de l’ «automne allemand»

L’article de l’Express a pour titre « Génération Baader ».

Le mouvement de révolte s’abimera dans le sang quelques années plus tard.

A l’époque, la série « Holocauste » n’avait pas encore été produite et vue par les allemands. Ce sera le cas 10 ans plus tard. L’Allemagne ne s’était pas encore plongé dans son histoire macabre et des jeunes s’interrogeaient sur ce que leurs pères et leurs grands-pères avaient fait 25 ans auparavant. J’ai appris récemment que « Hans Martin Schleier », le président du syndicat des patrons allemands en 1977, dont j’avais appris l’existence parce que le 5 septembre 1977, la fraction Armée rouge d’Andreas Baader l’avait enlevé à Cologne puis assassiné, que cet homme donc avait été le bras droit de Heydrich en Tchécoslovaquie et qu’il a ainsi fait partie des responsables de la politique d’extermination en Tchécoslovaquie occupée.

Et dans les autres pays, en Italie, les étudiants demandent la réforme de l’enseignement. En Espagne, les étudiants manifestent contre le régime de Franco, parce qu’en 1968 l’Espagne était une dictature. La dictature réagissant avec les moyens dictatoriaux, créant par exemple une police secrète à l’Université.

Aux Etats-Unis, les étudiants sont surtout engagés contre la guerre au Viet-Nam mais aussi contre le racisme omniprésent.

En Tchécoslovaquie, les étudiants veulent faire tomber le stalinisme qui survit à la mort de Staline.

C’est ce qu’on appellera le printemps de Prague qui débute le 5 janvier 1968, avec l’arrivée au pouvoir du réformateur Alexander Dubček et s’achève le 21 août 1968 avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie.

Les étudiants participent ardemment à ce mouvement.

Jan Palach, jeune étudiant de 20 ans s’immolera par le feu sur la place Venceslas à Prague le 16 janvier 1969.et mourra le 19 janvier 1969. Il deviendra le symbole du désespoir de la jeunesse tchécoslovaque.

Un mémorial sera réalisé sur les lieux de son sacrifice.

Au Japon, les étudiants protestent contre l’emprise des Etats-Unis sur la politique japonaise. La lutte est violente entre les étudiants et les forces de l’ordre. Presque partout dans le monde la police est plus brutale que la police française. Le mouvement s’achèvera au Japon en janvier 1969 après une dernière évacuation de masse d’une université par plus de 8000 policiers.

Au Brésil, il y a aussi une dictature, comme en Espagne, elle a débuté en 1964. Ils protestent contre les violences policières. Lors d’une manifestation, le 28 mars 1968, la police tire et tue des étudiants. Cette répression envenime encore la révolte étudiante comme la répression de la dictature qui n’aura jamais été aussi dure qu’à la fin de 1968.

Au Mexique, la jeunesse demande la démocratisation du pays. Mexico va accueillir les jeux olympiques de 1968. L’armée va là aussi réprimer violemment les étudiants et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’agitation lorsque les jeux s’ouvrent le 12 octobre. Ainsi le 2 octobre, une manifestation vire au massacre : la fusillade dure 2 heures contre une foule désarmée. Ce sera le bilan le plus désastreux, au niveau humain, de l’ensemble des mouvements étudiants dans le monde.

Je vous redonne le lien vers ce petit documentaire : <Mai 68 dans le monde>

Si vous voulez savoir ce qui s’est passé, en France, le 14 mai 1968, vous avez cette page de l’Obs qui <donne les éléments pour être incollable sur mai 1968>,
A Sud-Aviation Nantes, les ouvriers séquestrent le directeur dès le 14 mai, imités le lendemain par ceux de Renault-Cléon. Les occupations s’étendent très vite : Dès le soir du 14 mai, un millier d’étudiants nantais rejoignent Sud-Aviation et y passent la nuit en discussions avec les ouvriers. Leurs camarades de Caen font de même le 24 mai à Radiotechnique, Moulinex et Citroën. Sur de nombreux piquets de grève comme dans des facultés occupées s’ébauchent entre ouvriers et étudiants des rapprochements spontanés qui ne sont pas toujours bien vus par les syndicats.

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Lundi 19 juin 2017

« Le baccalauréat »
Premier diplôme universitaire en France

Quand on regarde le taux d’abstention ce dimanche au deuxième tour des élections législatives, force est de constater que ces élections ne constituaient pas une préoccupation essentielle des français.

Il est clair, que ces derniers jours, la principale préoccupation des familles françaises ayant des enfants entre 15 et 18 ans, est le Baccalauréat dont les épreuves écrites sont en cours.

Il n’y a pas encore eu de mot du jour sur le baccalauréat, je vais donc tenter de combler cette lacune.

Quand on fait une recherche sur internet on tombe assez vite sur ce document : http://media.education.gouv.fr/file/200_ans_du_bac/42/3/200_ans_du_bac_28423.pdf qui date de 2008 et qui prétend que le baccalauréat avait 200 ans cette année-là.

Parce que cet opuscule prend comme date d’origine le décret du 17 mars 1808 qui organise l’Université impériale. Donc c’est encore une création de l’ère napoléonienne, comme le code civil, la légion d’honneur et tout ce qui compte dans notre bonne vieille France. Ce document nous apprend aussi qu’il y a eu 31 lauréats lors de la première session.

Mais si vous consultez Wikipédia vous avez une autre version qui nous emmène plus loin dans l’Histoire  : les premiers baccalauréats datent en France du XIIIe siècle avec l’apparition de l’Université de Paris. Il s’agit dès cette époque, et c’est encore le cas aujourd’hui, du premier grade universitaire.

Mais d’où vient ce mot : « Baccalauréat » ? Quel est l’étymologie ?

C’est bien sûr du latin. La concaténation des deux mots « bacca » et « laureatus » c’est-à-dire « baie de laurier » ou « orné de laurier ». Comme Jules César dans Astérix qui couvre sa tête d’une couronne de lauriers.

Il faut reconnaître que Goscinny respecte l’Histoire, lors du <triomphe romain> le général vainqueur et plus tard l’empereur portent bien une couronne de lauriers.

Le baccalauréat constitue donc un triomphe.

Mais on lit aussi que « baccalauréat » pourrait venir de l’altération du bas-latin bachalariatus, désignant un chevalier débutant. Ce n’est plus le triomphe qui est au centre mais une sorte de cérémonie initiatique pour les jeunes pour entrer dans la vie adulte.

Vous trouverez ces éléments comme d’autres dans un extrait du Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition, 1932-1935 publié sur Internet

Parmi ces autres précisions vous trouvez par exemple cette réflexion : « En France on prend le baccalauréat pour en finir avec ses études, on fait sa première communion pour en finir avec la religion, on se marie pour en finir avec l’amour. » — (Ernest Bersot, Études et discours (1868-1878), (1879) p. 138)

Le document précité et qui parle des 200 ans du baccalauréat donne les précisions suivantes : Durant l’essentiel du XIXème siècle et au début du XXème siècle, le baccalauréat connaît de multiples réformes, mais son développement reste limité et réservé à une élite restreinte, admise dans un enseignement secondaire payant. Il faudra attendre 1861 pour qu’il y ait enfin une bachelière. Elle s’appelait : Julie-Victoire Daubié et c’est l’Académie de Lyon qui lui a accordé ce diplôme. Les filles ne recevront un enseignement secondaire identique à celui des garçons que dans les années 1920, un peu avant que l’ouverture sociale ne soit rendue possible par la gratuité des études secondaires (années 1930).

Quand les chiffres parlent du baccalauréat, il est souvent question du taux de réussite toujours très élevé. Mais ce qui me parait pertinent de mesurer c’est la proportion de bacheliers sur une génération.

Elle était de 3% en 1945 et était monté à 25 % en 1975 (Annie a eu son bac cette année-là et moi l’année suivante en 1976.)

C’était en 1985, le ministre de l’éducation était Jean-Pierre Chevènement que l’objectif de 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat était promis pour l’année 2000. Pour ce faire, on crée le bac professionnel en 1987 qui fait bondir le nombre de bacheliers d’une génération. La « massification du lycée » dure dix ans. Mais à partir de 1995, le nombre de candidats au bac cesse d’augmenter, et la proportion de bacheliers dans une génération stagne autour de 62 %. Puis un pallier est franchi en 2009, celui des « 65 % » (65,5 % en 2009, 65,3 % en 2010) et en 2011 un bond de 6 points porte cette proportion à 71,6 %.

Je tire toutes ces informations de <cet article> du Monde.

Et ce site de <L’Education nationale> nous apprend que la part des bacheliers dans une génération est montée à 77,7 % en 2015 et de 78,6 % en 2016.

16 ans après l’an 2000, l’objectif de 80 % d’une génération n’est toujours pas atteint.

Mais à mon sens, le baccalauréat pose bien d’autres questions que nous avons connues en tant que lycéen et plus tard de parents.

Qu’est-ce que ce remue-ménage qui mobilise les salles de classes comme les professeurs des lycées pendant toute la seconde quinzaine de juin, fermant en réalité les établissement pour les classes non concernées par cet examen et amputant l’année scolaire déjà particulièrement court et dense en France ?

Qu’est-ce que c’est que ce leurre d’une première sélection universitaire en juin, alors que la véritable sélection se passe en début année et sur les résultats du premier trimestre et de l’année de première pour l’entrée dans les classes préparatoires des grandes écoles qui sont aujourd’hui encore la filière de l’excellence essentiellement pour les enfants des classes privilégiées ?

Enfin, cette promesse de 80% d’une génération au niveau du bac était aussi une promesse d’amélioration des métiers et des salaires de toute cette partie de la génération qui faisait l’effort de continuer les études. Et c’est le contraire qui s’est réalisé : la multiplication des boulots « débiles » (j’essaie ce mot pour éviter celui de boulots de merde) et une diminution assez générale des salaires perçus par les jeunes. Ce problème n’est pas que français, mais il montre aussi en France, quand on le place en regard de cet objectif de 80%, de l’échec des politiques à créer les conditions de l’amélioration de la société dans son ensemble.

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Mercredi 15 mars 2017

Mercredi 15 mars 2017
« La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune.
La technologie , c’est ce qu’un jeune apprend à un vieux. »
Michel Serres, dans l’interview de KTO

Lors de l’émission : Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres une citation.

Michel Serres a alors répondu ceci :

« A force d’avoir des relations avec mes étudiants que j’ai beaucoup aimé respectueusement, avec mes enfants, mes petits-enfants, je me suis aperçu de la phrase suivante que je vous livre :

Qu’est-ce la science ?

La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune

Qu’est-ce que la technologie ?

C’est ce qu’un jeune apprend à un vieux.

Voilà ma citation !

Vous avez remarqué ? c’est tout à fait ça !

Nous sommes aujourd’hui dans une période très intéressante où le couple pédagogique, enseignant-enseigné est en train de se modifier finement par ce que je viens de vous dire.

Quand j’ai besoin d’avoir des éclaircissements sur la mécanique quantique, à laquelle je ne comprends rien, je demande à un vieux scientifique.

Mais quand j’ai un problème avec mon ordinateur j’appelle qui ?

Oh ! J’appelle mon petit-fils. »

Et le petit fils donne la solution au vieux philosophe…

Ce mot du jour est court, je peux donc ajouter une date mémorable : le 15 mars 1917, il y a exactement 100 ans, le tsar de Russie Nicolas II abdique au profit de son frère, le grand-duc Michel. Mais celui-ci décline l’honneur. C’en est fini de la dynastie des Romanov. La Russie devient pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.

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Mercredi 14 septembre 2016

«U.P.E.A.A.
Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants »
Acronyme que seule l’Éducation Nationale Française est capable d’inventer

Il faut bien savoir être un peu léger parfois, quoique…

Dans ce cas, il suffit de faire un tour dans l’univers de la créativité de l’Education Nationale pour s’amuser et aussi se dire : Peut-on être pédagogue, c’est-à-dire selon ma définition rendre simple des choses complexes, quand on se complaît dans un tel vocabulaire ?

Rappelons qu’« allophone » a pour définition : « Personne qui parle une langue autre que celle(s) de la majorité. ».

Bref il s’agit ici d’une « classe à destination d’immigrés qui ne parlent pas le français ».

On pourrait même dire « classe à destination d’immigrés allophones », car le terme allophone est précis et signifie exactement ce de quoi on parle. Il ne s’agit pas de faire l’éloge d’une langue pauvre et de ne pas utiliser des termes précis et appropriés.

Ce qui est en cause ici et qui constitue la novlangue des technocrates ce n’est pas l’utilisation du mot « allophone » mais bien son association avec « unité pédagogique » et surtout « élèves arrivants ».

En outre si on lit rapidement l’acronyme d’« UPEAA », on entend « duper » qui a lien étroit avec tromperie.

J’ai appris l’existence des « UPEAA » grâce à cet article : <Madame vous avez fait quoi pour devenir francaise ?>

Cet article présente un autre intérêt : celui du témoignage d’une française d’origine vietnamienne : Doan Bui, journaliste qui a été invitée à retourner dans son ancien collège « Berthelot » au Mans où elle a rencontré des élèves migrants originaires de Syrie, du Kosovo, du Tchad.

Je cite quelques extraits de ce reportage :

« Fin avril, je suis donc retournée en classe, et j’ai vu mes « successeurs »… Cette fois, c’est moi qui étais au tableau.

Avec cette double casquette : journaliste à « l’Obs » et fille de migrants (ou plutôt l’inverse). […]

Erza, blonde aux yeux bleus, est kosovare (elle dit « albanaise » sur sa page Facebook), Aminata vient de Mauritanie, « où il y a la guerre », Rama de Syrie, Nawele d’Italie et de Tunisie, Mariam ou Jamilati du Tchad.

Derrière leurs grands sourires, elles traînent avec elles des histoires d’exils et de déchirements parfois terribles, et pourtant, quand on les voit, impossible de les distinguer de leurs camarades.

Ce ne sont pas des « migrantes ». Juste des ados, qui se taquinent, pensent à l’avenir, à l’amour, et pouffent quand elles évoquent les garçons.

Zain, 15 ans, est gêné quand les filles l’appellent pour poser. Il est plus timide. Il attendra la pause goûter pour me raconter son histoire. Zain est un Mineur Isolé étranger, un « MIE ». « Je viens d’Islamabad. Mes parents m’ont envoyé en France. A l’aéroport, j’étais tout seul. Mais j’ai rencontré un autre Pakistanais. Il m’a conseillé d’aller à Laval où il connaissait des gens. J’ai été dans un foyer, dans l’Aide Sociale, c’était le nom. Et puis après, je suis arrivé au Mans. […]

Zain est « très sociable » me disent ses professeurs. Scolarisé en troisième, il commence à se débrouiller. Derrière lui, souriant et mutique, Yannick, un autre « MIE » vient d’Angola. Hanh Baillat, professeur de Français : On a d’autres MIE qui sont arrivés cette semaine. L’éducateur ne savait rien d’eux, à part qu’ils ont été trouvés à Paris, qu’ils seraient originaires d’Egypte. Ils ne parlent pas un mot de français, pas un mot d’anglais. Ils sont « NSA », comme on dit. « Non scolarisés antérieurement »

Mais ça n’a pas l’air de lui faire peur à Hanh. Elle me désigne ainsi Aminata, vive comme du vif argent, qui est arrivée de Mauritanie, il y a moins d’un an. « Elle était NSA aussi, au départ, pour lui apprendre le français, on travaillait avec des images. » Aminata parle si bien français qu’on croirait qu’elle l’a appris depuis toute petite. En Mauritanie, par exemple. Aminata s’exclame : « Ah non, je n’ai pas appris le français là-bas !!!
L’école en Mauritanie, c’était pas bien. Ici, en France, tout est mieux. Même le froid, je m’y suis habituée. » […]

Qui se sent venir à 100% d’un endroit ? » demande Françoise Leclaire, qui a lancé le projet auprès des élèves de l’UEPAA. Personne ne lève le doigt…

Sur les murs, des cartes où sont épinglés tous les pays d’où viennent les enfants, leurs parents, leurs grands-parents. […]

Mariam, du Tchad, qui a également habité à Moscou, est très tracassée par ce que ça veut dire « devenir français » :

« Madame, est ce que vous vous sentez française ?  Qu’est-ce que vous avez fait pour devenir française ? »

Hum… Qu’est-ce que j’ai fait pour devenir française ?
Moi qui suis née française (enfin presque, naturalisée à deux ans), j’ai toujours eu l’impression d’être française.
A cause des livres peut être : je me rêvais en petite fille modèle, façon Comtesse de Ségur. »

Voilà au-delà d’apprendre quelques acronymes amusants ou débiles, cet article parle d’enfants, de déchirures, de guerres, d’exil et de cette difficile quête : « devenir français »

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Vendredi 27 décembre 2013

«Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention.»
Martyne Perrot

Le mot du jour du 27 décembre parle naturellement du cadeau de Noël, grâce à un ouvrage d’une sociologue consacré à ce sujet et dont le titre est le mot du jour.

Comme toute tradition, Noël fait partie des événements qui « vont de soi » : si l’on fête Noël cette année, c’est parce que nous l’avons fêté l’année dernière et parce qu’il sera fêté l’an prochain.

Theodore Caplow écrivait ainsi de la fête de Noël :

« Tout ethnographe qui découvrirait un rituel si important dans quelque culture exotique pourrait être tenté d’en faire la pièce maîtresse de sa description de la culture. ».

Dans cet ouvrage, on découvre l’émergence progressive de la version moderne de la fête de Noël à partir du XIXe siècle.

Martyne Perrot écrit :

« Le cadeau de Noël « s’invente » au milieu du xixe siècle. Il prend corps à cette période précise où l’industrie naissante laisse les enfants pauvres dans les rues et confine les plus riches dans des appartements cossus, truffés d’objets et boursouflés de tentures. Récente, en apparence, cette histoire s’enracine pourtant dans un récit très ancien. Celui de la période royale de la Rome antique. C’est là que s’origine le mot d’« étrennes », les strenae en latin, cette fête du Nouvel An, qui se déroulait aux calendes de janvier, en lien avec la déesse de la santé : Strenia. Au milieu du xixe siècle, ce vieux terme d’« étrennes » est omniprésent ; il cohabite avec celui de « cadeaux de Noël », avant que la suprématie de ces derniers ne s’impose dès la fin du siècle. Mais leur histoire recèle des étonnements bien plus grands. Car ils ont, en leur tréfonds, une particularité peu commune dans le monde des objets : ils tombent du ciel ! Et cette origine surnaturelle est d’importance. Elle renvoie à un monde légendaire, celui où, dans ce qui est aussi la dangereuse période du solstice LEVER DE RIDEAU 7 d’hiver, les enfants étaient menacés symboliquement, comme l’attestent le folklore et les croyances populaires. Tapi dans la grande nuit occidentale, le danger était parfois incarné par les donateurs eux-mêmes, dont la longue cohorte prend naissance dans la mythologie européenne et l’histoire de quelques saints chrétiens. Puis vint l’âge du Père Noël, le distributeur jovial, généreux et inconditionnel que l’on connaît aujourd’hui, et dont la physionomie est demeurée inchangée depuis les années 1950. Fait remarquable, la dimension magique et parfois inquiétante de ces cadeaux n’a pas découragé « les nouvelles cathédrales du commerce » que sont les grands magasins. Bien au contraire. Dès leur création au milieu du xixe siècle, en Angleterre, en Allemagne, en France et en Amérique du Nord, ils en ont fait un argument de vente, accordant subtilement sentimentalisme et consommation. »

L’éditeur présente l’ouvrage ainsi :

« Dès la Rome antique, les hommes célébraient Strenia, déesse de la santé. Cette fête, accompagnée de dons alimentaires, symbolisait l’abondance au cœur de l’hiver.

Voilà d’où viennent nos étrennes et l’orange de nos grands-parents !

Au fil des siècles, les cadeaux de Noël, récompenses des enfants sages, se parent de magie : ne tombent-ils pas du ciel ? Vers le milieu du XIX e siècle, ils « s’inventent » dans leur forme actuelle. C’est l’avènement des grands magasins, la naissance du père Noël et d’une tradition devenue sacrée : la fête familiale. »

D’une part, la fête de Noël passe de l’espace public à l’espace privé à mesure que les pratiques bourgeoises gagnent en visibilité et deviennent une source d’inspiration des pratiques sociales.

Ce passage du public au privé fait de Noël une fête de famille centrée de plus en plus sur l’enfant compris comme un individu en soi, avec ses particularités de comportement (dont son imaginaire ludique).

À cette occasion, le cadeau de Noël prend au fil du temps la place des « étrennes » offertes anciennement aux subalternes pour le Nouvel An.

Quant aux produits offerts, ils évoluent à mesure que s’inventent les grands magasins, hérauts des pratiques bourgeoises.

Leur touche finale fut de proposer l’emballage cadeau qui constitue de nos jours la norme pour la cérémonie des cadeaux lors d’une fête de Noël occidentale.

Et Martyne Perrot cite les Misérables de Victor Hugo :

« Dès le début du mois de décembre, sur les boulevards parisiens comme dans les villages alentour, on voyait aussi fleurir des petits étals, des baraques en plein vent, celles-là mêmes que le Jean Valjean de Victor Hugo découvre, à son grand étonnement, derrière l’église de Montfermeil, situé à quinze kilomètres à l’est de la capitale :
« Ils atteignirent le village ; Cosette guida l’étranger dans les rues. Ils passèrent devant la boulangerie, mais Cosette ne songea pas au pain qu’elle devait rapporter. […]
Quand ils eurent laissé l’église derrière eux, l’homme, voyant toutes ces boutiques en plein vent, demanda à Cosette :
– C’est donc la foire ici ?
– Non, monsieur, c’est Noël ! »
En 1862, lorsque Hugo publie Les Misérables, les réclames pour les étrennes sont monnaie courante. La plupart des almanachs et des journaux affichent les leurs en décembre. Écrit vingt ans plus tôt (entre 1843 et 1847), le roman, à travers cette scène d’anthologie, évoque pourtant déjà Noël. C’est derrière la vitrine d’une de ces bimbeloteries, on s’en souvient, que Cosette découvre, sur le chemin du retour, « la merveilleuse poupée à laquelle elle ne put s’empêcher de jeter un regard ».

D’autre part, dans ce mouvement de transformation, au croisement des évolutions de la bourgeoisie et du commerce, se configurent dans le même temps les symboles du Noël occidental moderne.

La pratique du sapin de Noël s’étend à partir de la tradition allemande qui gagne en visibilité par les pratiques de cour, puis par leur usage croissant dans les vitrines inventées par les grands magasins.

Quant au Père Noël, sa généalogie est chaotique. En Europe, il apparaît épisodiquement au Moyen-Âge parmi d’autres personnages colporteurs de cadeaux (comme les « saints et les personnages bibliques, les fées et sorcières, et les vieillards »).

Son pendant le plus net est alors Saint-Nicolas, personnage ambigu pouvant aussi bien ressusciter les enfants qu’être le « Nicolas à la fourrure » (Pelzenickel), autre nom du Père Fouettard, qui utilise son sac pour capturer les enfants. La période de la Réforme luthérienne, en abolissant le culte des saints au XVIe constitue une date importante en déplaçant la fête des enfants du 6 décembre au 25 décembre, jour de la Noël où c’est le Christkindl (l’enfant Christ) qui devient le dispensateur des cadeaux.

Différentes traditions coexistent alors selon les traditions religieuses, catholiques ou protestantes, et selon les régions.

Aux Etats-Unis, où Noël correspondait au calendrier anglican, la figure du Saint Nicolas prend une valeur révolutionnaire.

C’est au début du XIXe siècle que les personnages du Bonhomme Noël et du Saint Nicolas commencent à converge, et parce que les Etats américains officialisent la célébration de la Saint Nicolas le jour de Noël à partir de 1836.

De ces influences éparses naît alors progressivement la figure du Père Noël sous sa forme contemporaine qui se diffuse en Europe occidentale tout au long du XIXe et du XXe siècle.

Enfin, la célébration du Noël occidental moderne s’accompagne de tout un ensemble de règles sociales émergeant progressivement.

Comme la fête est d’abord issue de la bourgeoisie et se fonde sur la privatisation de la célébration, une des valeurs l’accompagnant devient la charité faite aux pauvres (et aux inférieurs en général).

Les ouvrages destinés à la jeunesse bourgeoise utilisent la nuit de Noël comme un événement où l’enfant découvre les inégalités sociales, la compassion pour l’inférieur, mais aussi la nécessaire distance sociale (car jamais n’est offert à l’enfant pauvre des cadeaux hors de portée ou inutiles).

Dans le même temps, les cadeaux et la cérémonie de leur remise, autrefois mérités, deviennent progressivement un dû et même un droit de l’enfant.

Se développent tout au long des deux siècles les cadeaux typiques de la petite fille et du petit garçon aussi bien dans les catalogues publicitaires que dans les pratiques.

Quant aux adultes, ils ne sont pas en reste (avec notamment les cadeaux pour l’époux ou pour l’épouse), même si les règles de don et de contre-don fonctionnent sur un registre différent de celui des enfants (tandis que le cadeau aux enfants se fait sans contrepartie, la « règle de réciprocité » observée par Caplow laisse penser que tout cadeau entre adultes doit se faire dans les deux sens pour correspondre aux attentes des deux parties).

Et voici comment on peut intellectualiser autour du cadeau de noël qui fascine les uns et exaspère les autres.

Je fais partie de la seconde catégorie.

Ici l’article de Slate duquel j’ai extrait certains de ces commentaires : http://www.slate.fr/tribune/80741/jouets-noel

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