Dimanche 24 décembre 2023

« Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. »
Christian Bobin, exergue de son livre « Éloge du rien »

Dans les pays chrétiens et même au-delà nous fêtons Noël.

C’est-à-dire la nativité de Jésus, personnage central du Christianisme.

Je fais partie, sur un réseau social, d’un groupe d’amis de Christian Bobin. Une des participantes a accompagné l’exergue de « l’éloge du rien » : « Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. » par une reproduction de ce magnifique tableau : Le nouveau-né.

Wikipédia explique : C’est un tableau du peintre lorrain Georges de La Tour, peint vers 1648, et conservé au musée des beaux-arts de Rennes. Cette huile sur toile représente une Nativité : la Vierge Marie tient l’Enfant Jésus emmailloté, en compagnie de sainte Anne qui éclaire la scène à la bougie.

« Chef-d’œuvre d’entre les chefs-d’œuvre » de Georges de La Tour, la toile est un sommet du clair-obscur, et tire également sa popularité du fait que les signes religieux s’effacent pour donner à la scène une portée universelle : celle de la célébration du mystère de la naissance d’un enfant. Noël est la fête de la nativité.

Car il est vrai que si Noël est une fête religieuse, aujourd’hui il s’agit aussi d’un monument de la culture occidentale qui est une fête des enfants, une fête familiale dans laquelle le fondement religieux s’est estompé.

J’ai déjà consacré plusieurs mots du jour à Noël.

En décembre 2013 : « Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention. »

Et ce même mois, lundi 30 décembre 2013, je parlais de la persécution des chrétiens dans le monde : « Comme se fait-il qu’en Occident sécularisé, règne « le silence de Noël sur les chrétiens persécutés ? ».

Dans différents mots du jour j’ai expliqué ma réticence devant les religions monothéistes, en insistant toujours sur le désir de spiritualité des femmes et des hommes que je distinguais de la religion en reprenant ce propos percutant de Régis Debray : « La spiritualité prépare à la mort, la religion prépare les obsèques. »

Notre culture, notre calendrier, nos fêtes, Noël, restent ancrés dans notre héritage chrétien

Mais nous sommes devenus indifférents à celles et ceux qui partagent cet héritage.

« Plus de 360 millions de chrétiens ont été “fortement persécutés et discriminés” en raison de leur foi dans le monde en 2022, selon un rapport de l’ONG Portes ouvertes »

C’est ce que nous pouvons lire sur le site de <France Info>

En 2016, j’essayais simplement parler de la fête de « Noël » m’interrogeant s’il ne s’agissait pas d’une fête païenne célébrant le solstice d’hiver.

Et enfin, j’ai encore parlé de Noël, en donnant, fin 2019, <les recettes des gâteaux de Noël alsaciens>.

Pourquoi reparler de Noël, cette année ?

Parce que j’ai été interpellé par cette publication de Céline Pina :


D’abord j’ai voulu vérifier, beaucoup de sources donnent la même information :

Air France demande à son personnel dans un mail interne, d’employer le terme « Joyeuses fêtes » et non « Joyeux Noël ». L’entreprise justifie ce choix :

« La marque Air France ne doit pas être associée à des fêtes religieuses, nous ne faisons pas référence à Noël. »

Et grâce à ce site, j’ai appris que Audi suivait la même politique.

Nous constatons qu’il faut attendre la compagnie d’un pays d’Islam assumé pour pouvoir encore entendre le souhait « Joyeux Noël » ou « Merry Christmas » dans un avion !

Si des personnes bien pensantes continuent à dire que le wokisme n’a pas atteint la France, je me demande comment ce comportement d’une entreprise occidentale et franco-néerlandaise peut être qualifié ?  Je comprends que cette entreprise mondialisée ne veut plus assumer son occidentalité. Noël n’est pas que religieux, il est aussi un élément incontournable de la culture occidentale.

Nous avons un problème d’intégration massif, avant d’avoir des problèmes d’immigration.

Dans certaines élites, tout ce qui est occidental est suspect, ou même doit être rejeté.

Certes l’Occident a été coupable de crimes, d’avoir trahi des valeurs qu’il proclamait haut et fort.

Mais il n’est pas le seul.

L’esclavage ne fut pas le crime des seuls occidentaux, et même si on fait un calcul morbide, l’esclavage fut plus développé chez les musulmans. Et si on parle de la colonisation du monde par l’Occident qui fut un racisme et une exploitation économique, il fut précédé par la colonisation Arabe qui imposa par la force de ses armées son organisation et sa religion à un empire colonial immense.

Pour le reste la Russie, le Japon, les Ottomans et les Turcs, les pays arabes, la Chine et l’Inde n’ont rien à envier à l’Occident concernant la cruauté, les exactions, les discriminations et les inégalités.

Moi je crois qu’on ne peut pas aimer quelqu’un, si on ne s’aime pas soi-même.

Je ne crois pas que nous soyons en mesure d’intégrer d’autres cultures si nous ne sommes pas un peu fier de la nôtre et de ce que nous sommes.

Et même si Jésus n’avait jamais existé comme le prétend Michel Onfray dans son dernier ouvrage et si pour ma part je ne professe plus de croyance chrétienne, je pense sage et convivial de souhaiter « un Joyeux Noël » à nos semblables.

Je trouve que la phrase de Christian Bobin est particulièrement appropriée :

« Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. ».

Cette phrase est l’exergue d’un tout petit ouvrage de 23 pages, « L’Éloge du rien »

Ce livre de 1990 est une réponse à une lettre qu’il avait reçue et qui lui demandait un texte pour une revue. Texte qui tenterait de répondre à cette question : Qu’est ce qui donne du sens à votre vie ?

Et après quelques variations sur la difficulté de répondre, Christian Bobin écrivit cela :

« Un mot me gêne dans votre lettre. Ce mot de « sens ».
Permettez-moi de l’effacer.
Voyez ce que devient votre question, comme elle a belle allure, à présent.
Aérienne, filante : « Qu’est-ce qui vous donne votre vie ? ».
La réponse cette fois ci est aisée : Tout.
Tout ce qui n’est pas moi et qui m’éclaire.
Tout ce que j’ignore et que j’attends.
L’attente est une fleur simple. Elle pousse au bord du temps.
C’est une fleur pauvre qui guérit tous les maux.
Le temps d’attendre est un temps de délivrance.
Cette délivrance opère en nous à notre insu.
Elle ne nous demande rien que de la laisser faire, le temps qu’il faut, les nuits qu’elle doit.
Sans doute l’avez-vous remarqué : notre attente – d’un amour, d’un printemps, d’un repos – est toujours comblée par surprise.
Comme si ce que nous espérions était toujours inespéré.
Comme si la vraie formule d’attendre était celle-ci : ne rien prévoir – sinon l’imprévisible. Ne rien attendre – sinon l’inattendu.
Ce savoir me vient de loin. Ce savoir qui n’est pas un savoir, mais une confiance, un murmure, une chanson.

Il vient du seul maître que je n’aie jamais eu : un arbre.
Tous les arbres dans le soir frémissant.
Ils m’instruisent par leur manière d’accueillir chaque instant comme une bonne fortune. L’amertume d’une pluie, la démence d’un soleil : tout leur est nourriture. Ils n’ont souci de rien, et surtout pas d’un sens. Ils attendent d’une attente radieuse et tremblée.
Infinie.
Le monde entier repose sur eux.
Le monde entier repose sur nous.
Il dépend de nous qu’il s’éteigne, qu’il s’enflamme.
Il dépend d’un grain de silence, d’une poussière d’or — de la ferveur de notre attente.
Un arbre éblouissant de vert.
Un visage inondé de lumière. »

« Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. »

Joyeux Noël !

<1782>

Vendredi 27 décembre 2013

«Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention.»
Martyne Perrot

Le mot du jour du 27 décembre parle naturellement du cadeau de Noël, grâce à un ouvrage d’une sociologue consacré à ce sujet et dont le titre est le mot du jour.

Comme toute tradition, Noël fait partie des événements qui « vont de soi » : si l’on fête Noël cette année, c’est parce que nous l’avons fêté l’année dernière et parce qu’il sera fêté l’an prochain.

Theodore Caplow écrivait ainsi de la fête de Noël :

« Tout ethnographe qui découvrirait un rituel si important dans quelque culture exotique pourrait être tenté d’en faire la pièce maîtresse de sa description de la culture. ».

Dans cet ouvrage, on découvre l’émergence progressive de la version moderne de la fête de Noël à partir du XIXe siècle.

Martyne Perrot écrit :

« Le cadeau de Noël « s’invente » au milieu du xixe siècle. Il prend corps à cette période précise où l’industrie naissante laisse les enfants pauvres dans les rues et confine les plus riches dans des appartements cossus, truffés d’objets et boursouflés de tentures. Récente, en apparence, cette histoire s’enracine pourtant dans un récit très ancien. Celui de la période royale de la Rome antique. C’est là que s’origine le mot d’« étrennes », les strenae en latin, cette fête du Nouvel An, qui se déroulait aux calendes de janvier, en lien avec la déesse de la santé : Strenia. Au milieu du xixe siècle, ce vieux terme d’« étrennes » est omniprésent ; il cohabite avec celui de « cadeaux de Noël », avant que la suprématie de ces derniers ne s’impose dès la fin du siècle. Mais leur histoire recèle des étonnements bien plus grands. Car ils ont, en leur tréfonds, une particularité peu commune dans le monde des objets : ils tombent du ciel ! Et cette origine surnaturelle est d’importance. Elle renvoie à un monde légendaire, celui où, dans ce qui est aussi la dangereuse période du solstice LEVER DE RIDEAU 7 d’hiver, les enfants étaient menacés symboliquement, comme l’attestent le folklore et les croyances populaires. Tapi dans la grande nuit occidentale, le danger était parfois incarné par les donateurs eux-mêmes, dont la longue cohorte prend naissance dans la mythologie européenne et l’histoire de quelques saints chrétiens. Puis vint l’âge du Père Noël, le distributeur jovial, généreux et inconditionnel que l’on connaît aujourd’hui, et dont la physionomie est demeurée inchangée depuis les années 1950. Fait remarquable, la dimension magique et parfois inquiétante de ces cadeaux n’a pas découragé « les nouvelles cathédrales du commerce » que sont les grands magasins. Bien au contraire. Dès leur création au milieu du xixe siècle, en Angleterre, en Allemagne, en France et en Amérique du Nord, ils en ont fait un argument de vente, accordant subtilement sentimentalisme et consommation. »

L’éditeur présente l’ouvrage ainsi :

« Dès la Rome antique, les hommes célébraient Strenia, déesse de la santé. Cette fête, accompagnée de dons alimentaires, symbolisait l’abondance au cœur de l’hiver.

Voilà d’où viennent nos étrennes et l’orange de nos grands-parents !

Au fil des siècles, les cadeaux de Noël, récompenses des enfants sages, se parent de magie : ne tombent-ils pas du ciel ? Vers le milieu du XIX e siècle, ils « s’inventent » dans leur forme actuelle. C’est l’avènement des grands magasins, la naissance du père Noël et d’une tradition devenue sacrée : la fête familiale. »

D’une part, la fête de Noël passe de l’espace public à l’espace privé à mesure que les pratiques bourgeoises gagnent en visibilité et deviennent une source d’inspiration des pratiques sociales.

Ce passage du public au privé fait de Noël une fête de famille centrée de plus en plus sur l’enfant compris comme un individu en soi, avec ses particularités de comportement (dont son imaginaire ludique).

À cette occasion, le cadeau de Noël prend au fil du temps la place des « étrennes » offertes anciennement aux subalternes pour le Nouvel An.

Quant aux produits offerts, ils évoluent à mesure que s’inventent les grands magasins, hérauts des pratiques bourgeoises.

Leur touche finale fut de proposer l’emballage cadeau qui constitue de nos jours la norme pour la cérémonie des cadeaux lors d’une fête de Noël occidentale.

Et Martyne Perrot cite les Misérables de Victor Hugo :

« Dès le début du mois de décembre, sur les boulevards parisiens comme dans les villages alentour, on voyait aussi fleurir des petits étals, des baraques en plein vent, celles-là mêmes que le Jean Valjean de Victor Hugo découvre, à son grand étonnement, derrière l’église de Montfermeil, situé à quinze kilomètres à l’est de la capitale :
« Ils atteignirent le village ; Cosette guida l’étranger dans les rues. Ils passèrent devant la boulangerie, mais Cosette ne songea pas au pain qu’elle devait rapporter. […]
Quand ils eurent laissé l’église derrière eux, l’homme, voyant toutes ces boutiques en plein vent, demanda à Cosette :
– C’est donc la foire ici ?
– Non, monsieur, c’est Noël ! »
En 1862, lorsque Hugo publie Les Misérables, les réclames pour les étrennes sont monnaie courante. La plupart des almanachs et des journaux affichent les leurs en décembre. Écrit vingt ans plus tôt (entre 1843 et 1847), le roman, à travers cette scène d’anthologie, évoque pourtant déjà Noël. C’est derrière la vitrine d’une de ces bimbeloteries, on s’en souvient, que Cosette découvre, sur le chemin du retour, « la merveilleuse poupée à laquelle elle ne put s’empêcher de jeter un regard ».

D’autre part, dans ce mouvement de transformation, au croisement des évolutions de la bourgeoisie et du commerce, se configurent dans le même temps les symboles du Noël occidental moderne.

La pratique du sapin de Noël s’étend à partir de la tradition allemande qui gagne en visibilité par les pratiques de cour, puis par leur usage croissant dans les vitrines inventées par les grands magasins.

Quant au Père Noël, sa généalogie est chaotique. En Europe, il apparaît épisodiquement au Moyen-Âge parmi d’autres personnages colporteurs de cadeaux (comme les « saints et les personnages bibliques, les fées et sorcières, et les vieillards »).

Son pendant le plus net est alors Saint-Nicolas, personnage ambigu pouvant aussi bien ressusciter les enfants qu’être le « Nicolas à la fourrure » (Pelzenickel), autre nom du Père Fouettard, qui utilise son sac pour capturer les enfants. La période de la Réforme luthérienne, en abolissant le culte des saints au XVIe constitue une date importante en déplaçant la fête des enfants du 6 décembre au 25 décembre, jour de la Noël où c’est le Christkindl (l’enfant Christ) qui devient le dispensateur des cadeaux.

Différentes traditions coexistent alors selon les traditions religieuses, catholiques ou protestantes, et selon les régions.

Aux Etats-Unis, où Noël correspondait au calendrier anglican, la figure du Saint Nicolas prend une valeur révolutionnaire.

C’est au début du XIXe siècle que les personnages du Bonhomme Noël et du Saint Nicolas commencent à converge, et parce que les Etats américains officialisent la célébration de la Saint Nicolas le jour de Noël à partir de 1836.

De ces influences éparses naît alors progressivement la figure du Père Noël sous sa forme contemporaine qui se diffuse en Europe occidentale tout au long du XIXe et du XXe siècle.

Enfin, la célébration du Noël occidental moderne s’accompagne de tout un ensemble de règles sociales émergeant progressivement.

Comme la fête est d’abord issue de la bourgeoisie et se fonde sur la privatisation de la célébration, une des valeurs l’accompagnant devient la charité faite aux pauvres (et aux inférieurs en général).

Les ouvrages destinés à la jeunesse bourgeoise utilisent la nuit de Noël comme un événement où l’enfant découvre les inégalités sociales, la compassion pour l’inférieur, mais aussi la nécessaire distance sociale (car jamais n’est offert à l’enfant pauvre des cadeaux hors de portée ou inutiles).

Dans le même temps, les cadeaux et la cérémonie de leur remise, autrefois mérités, deviennent progressivement un dû et même un droit de l’enfant.

Se développent tout au long des deux siècles les cadeaux typiques de la petite fille et du petit garçon aussi bien dans les catalogues publicitaires que dans les pratiques.

Quant aux adultes, ils ne sont pas en reste (avec notamment les cadeaux pour l’époux ou pour l’épouse), même si les règles de don et de contre-don fonctionnent sur un registre différent de celui des enfants (tandis que le cadeau aux enfants se fait sans contrepartie, la « règle de réciprocité » observée par Caplow laisse penser que tout cadeau entre adultes doit se faire dans les deux sens pour correspondre aux attentes des deux parties).

Et voici comment on peut intellectualiser autour du cadeau de noël qui fascine les uns et exaspère les autres.

Je fais partie de la seconde catégorie.

Ici l’article de Slate duquel j’ai extrait certains de ces commentaires : http://www.slate.fr/tribune/80741/jouets-noel

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