Mercredi 12 juillet 2023

« Dissuasif »
Terme peu compris et usité dans la société française

Un policier, après 9 jours de travail sans repos, au terme d’une course poursuite d’un délinquant conduisant sans permis et enfreignant le code de la route, a commis la grave erreur de dégainer son arme, puis de tirer sans maîtriser son tir.

Il a commis une faute !

Mais quand j’entends et je lis les médias et la plupart des hommes politiques de gauche, il semblerait que « LE PROBLEME » est ce policier et le cortège de violences policières qu’ils énumèrent.

Je ne dis pas qu’il ne faille pas s’interroger sur les méthodes, la formation et certaines dérives racistes de la Police, mais il y a un moment où quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite.

Libération dans un article : <comment Gérald Darmanin soutient financièrement le policier mis en examen> s’offusque du fait que l’administration a trouvé un moyen juridique, pour permettre au policier de continuer à toucher une partie de son traitement, bien qu’il ne travaille plus et que de manière factuelle en l’«absence de service fait», il ne devrait pas être payé.

Ce policier a commis une faute, encore faut-il laisser la Justice trancher, mais ce n’est pas le plus grand criminel de la terre.

Il est aussi possible d’exprimer de la bienveillance à son égard.

Il a eu mauvaise réaction prise dans l’urgence, dans un quart de seconde, qui a causé des conséquences terribles.

Mais pourquoi s’arrête t’on à ce tir du policier, en considérant qu’il s’agit de l’alpha et l’oméga du problème posé à la société française ?

Ce tir est la fin d’une histoire, la dernière étape de toute une série de manquements, de lâchetés, de dénis dans lesquels nous nous sommes enfermés.

Dans le mot du jour précédent, j’avais déjà noté que si le jeune Nahel n’avait pas pris le volant de ce bolide ou s’il s’était soumis à l’injonction des policiers, il serait toujours vivant.

Mais si un individu n’avait pas créé, trois mois auparavant, une société de location de voiture de « frimeur » avec la complicité de vendeurs polonais, dans le but de permettre à des dealers ou autres trafiquants des quartiers de jouir de ce symbole de réussite qu’est de conduire de telles automobiles qui ne servent à rien d’autre que de satisfaire le mâle alpha dans sa bêtise et sa vacuité, Nahel serait aussi en vie.

Mais pourquoi existent-t ‘il de telles sociétés de location dans des quartiers que les mélenchonistes décrivent simplement comme pauvres et délaissées ?

Parce que s’il y a de la pauvreté, il y a aussi de la richesse dans des zones que l’État a accepté de laisser devenir des zones de non droit.

Lors du mot du jour du « 20 janvier 2015 » je citais Régis Debray :

« Lorsque l’Etat se dégrade et perd en autorité symbolique
il y a deux gagnants : les sectes et les mafias. »

Verser de l’argent dans ces quartiers ne sert à rien, s’il n’existe pas en parallèle des humains qui accompagnent, dialoguent et peuvent aussi aider à sanctionner, le cas échéant.

Rappelons que c’est le Président Nicolas Sarkozy qui a mis fin à la Police de Proximité.

Les travailleurs sociaux sont manifestement insuffisants et insuffisamment soutenus.

Ce sont des problèmes d’une grande complexité, les aborder de manière simpliste est une faute.

Mais je voudrais aujourd’hui parler d’un mot qui je crois n’est pas bien compris, voire accepté en France.

La première fois que j’ai été confronté, dans ma vie, au terme dissuasif c’était au moment de l’achat de notre appartement de Montreuil.

Les propriétaires étaient un couple en instance de divorce et l’appartement était toujours occupé par l’épouse. Certaines réflexions et signes, m’ont donné l’intuition que cette dame ne quitterait peut-être pas l’appartement après la vente.

Nous en avons parlé à notre notaire qui nous a suivi. Au moment de la promesse de vente, il a donc demandé à son collègue d’introduire dans l’acte, la mention d’une astreinte de mille francs par jour, si l’appartement n’avait pas été totalement vidé, le jour de la vente.

Je me souviens encore de la réaction offusquée de la Dame qui s’exclama :

« Mais c’est plus cher qu’une nuit d’hôtel »

Et j’ai trouvé sur ce <site> qu’en effet, en 1991, année de cet achat, le prix d’une chambre d’hôtel de qualité se situait autour de 400 Francs.

Mais devant la réaction de la dame scandalisée, son notaire lui a répondu simplement :

« Oui Madame c’est beaucoup plus cher qu’une nuit d’hôtel. Mais c’est fait pour cela. C’est une mesure qui présente un caractère dissuasif ».

Dans cette situation, le caractère dissuasif était d’autant plus affirmé que le montant de la vente serait dans les mains du notaire et qu’il n’y avait dès lors aucune échappatoire au déclenchement effectif de l’astreinte.

Plus récemment, j’ai eu la compréhension de la signification du mot dissuasif par le témoignage de mon fils lors de son séjour à New York. Je me plaignais que souvent en France, aux carrefours, les voitures déclenchaient un embouteillage néfaste à la sécurité des cyclistes et à la fluidité de la circulation. Mon fils m’a dit qu’à New York un tel phénomène n’existait pas. Les règles imposaient qu’une voiture ne devaient jamais s’engager dans un carrefour si elle n’avait pas la certitude de pouvoir en sortir avant le changement de feu. Et toute voiture égarée au milieu d’un carrefour n’ayant pas respecté cette règle était sanctionnée par une amende d’un montant très sévère.

Mon frère Gérard était allé dans la ville allemande, voisine du domicile parental, Sarrebruck. Il s’était garé sur une grande avenue. Partout des panneaux indiquaient qu’il fallait qu’aucune voiture ne soit garée sur cette avenue à partir de 17 heures. C’était expliqué, il fallait que les grandes avenues de la ville soient dégagées à l’heure où les salariés allemands quittaient leur travail pour fluidifier la circulation. Mon frère, français de son état, est arrivé à sa voiture à 17h01, la discussion entre lui et l’autorité allemande a tourné court. Il a dû s’acquitter d’une sévère amende. Mais il jura qu’on ne le reprendrait plus.

Alors en France on ne fait pas comme ça. Les dirigeants jusqu’au français modestes estiment toujours qu’il est possible de s’arranger avec les règles et que si on ne les respecte pas, ce n’est pas très grave, c’est quasi excusable et presque compréhensible.

Évidemment si la sanction est une amende de 80 ou de 130 euros, que parfois d’ailleurs on ne paie pas, nous ne sommes pas dans le domaine du dissuasif mais de la taxe : On paie une taxe et on a le droit de ne pas respecter la règle.

Alors en France :

  • Énormément de cyclistes ne respectent pas les feux rouges, ni d’ailleurs les passages pour piétons !
  • Des parents insultent des enseignants
  • Des personnes sans permis conduisent des voitures (vous comprenez ils ont en besoin !). Selon une étude de l’Observatoire de la sécurité routière, 800 000 conducteurs rouleraient sans permis. Quasi autant circulent sans assurance.
  • Des pompiers, des médecins sont agressés et bien sûr la Police. Et pour les pompiers et les médecins, les arguments de certaines associations et groupes politiques ne peuvent même pas évoquer les violences policières…

Alors, peut être existe-t-il trop de règles en France.

Mais quand il existe une règle, on la respecte et on l’a fait respecter.

Et parallèlement on s’attaque aux autres problèmes, tous plus compliqués les uns que les autres, mais dans une société de règles acceptées, défendues et respectées sinon sanctionnées.

Les élites doivent bien entendu donner l’exemple.

Sans ce socle, le reste est inatteignable.

Jean-Pierre Colombies, ex-policier, analyse l’affaire de manière qui me semble très pertinente dans <Le Media pour tous>.
Il critique sévèrement l’intervention des deux policiers. Mais il ne s’arrête pas là et analyse plus profondément les problématiques de la sécurité, des quartiers et de la politique .

<1754>

Vendredi 7 juillet 2023

« Un débat bloqué [entre] deux camps caricaturaux et irréconciliables : D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. »
La Tribune de Genève à propos des évènements en France suite à la mort du jeune Nahel

Un jeune homme de 17 ans, français, de religion musulmane, a été tué, lors d’un contrôle routier, par un tir, à bout portant, d’un motard de la police nationale.

Le jeune garçon conduisait une voiture, avec deux passagers à bord.

Cette scène a été filmée.

La mort du jeune homme, d’origine algérienne comme le mentionne le communiqué du ministre des affaires étrangères algérien, a conduit à des manifestations de protestation de jeunes gens qui s’identifient à la victime, dans un premier temps.

Mais rapidement ces protestations ont fait place à des scènes de pillages, de destructions, d’agressions et de chaos dans les grandes métropoles françaises et aussi dans des villes de moindre population.

En parler est délicat, les choses sont compliquées.

Il vaut peut-être mieux se taire pour ne pas déplaire.

Mais ne pas savoir poser des mots sur ce qui se passe, c’est laisser la place à la violence.

Les mots c’est ce que la démocratie a trouvé pour gérer les conflits : débattre pour ne pas se battre.

Mais d’abord, il faut en revenir aux faits.

Il faudrait quand même pouvoir se mettre d’accord sur les faits, sinon comment débattre, comment analyser ?

« Le Monde » a publié un article le 5 juillet donnant les éléments de l’enquête mené par le parquet général de Versailles à ce jour : < les premières constatations de l’enquête >

La chronologie est la suivante :

  • Lundi 26 juin, une Mercedes de type AMG, immatriculée en Pologne, est louée auprès d’une société de location de voiture, FullUp Location à Nanterre. Cette société avait été créée trois mois auparavant. A ce stade, il n’est pas précisé qui a loué.
  • Mardi 27 juin, Avant que le jeune Nahel n’en prenne le volant, deux autres personnes l’ont utilisé dans des circonstances encore inconnues. Le jeune Nahel, 17ans, qui n’a pas de permis, prend le volant de ce véhicule onéreux et puissant capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, selon sa fiche technique.
  • D’après le brigadier qui a tiré, les deux motards ont remarqué « une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus ».
  • Lorsque la Mercedes regagne le flot normal de la circulation, les motards de la police tentent une première fois de l’intercepter. Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté. « Mais celui-ci, note le réquisitoire, avait alors accéléré brusquement et pris la fuite . Poursuivi par les deux motards, il avait conduit à vitesse élevée avec de brusques accélérations, des franchissements de feux rouges fixes et passages de carrefours « à pleine vitesse » et sans précaution pour les piétons…… Il avait même fait une embardée volontaire vers son collègue qui était venu se mettre à son niveau. »
  • Après examen de la vidéosurveillance, le parquet note que, au cours de son périple, la Mercedes a « failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté ». Celle-ci aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
  • Une fois la Mercedes à l’arrêt, bloquée par d’autres véhicules à proximité de la place Nelson-Mandela où elle finira sa course, les deux policiers mettent leur moto sur béquille et s’en approchent, leur arme de service dégainée, la visière de leur casque relevée. Le premier, gardien de la paix, que les enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) désignent dans un rapport comme « P1 », se place face à la vitre du côté du conducteur. Le second, le brigadier (« P2 » pour l’IGPN), se positionne du côté avant gauche du capot, son pistolet automatique Sig Sauer pointé en direction du conducteur.
  • C’est dans cette attitude que la séquence vidéo tournée par une passante saisit les deux fonctionnaires, quelques secondes avant que ne soit tiré le coup de feu mortel. C’est également à ce moment que le brigadier reconnaît avoir cogné contre le pare-brise – l’un des deux passagers évoque des coups de crosse contre Nahel M. – pour « attirer l’attention du conducteur ».
  • L’exploitation de la séquence vidéo par l’IGPN confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent : « Au début de la séquence, on entend un échange entre trois voix différentes (V1, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit :
    • V1 : « … une balle dans la tête »
    • V2 : « Coupe ! Coupe ! »
    • V3 : « Pousse-toi ! »
    • V1 : « Tu vas prendre une balle dans la tête » (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
    • V2 : « Coupe ! » »
  • D’après cette première analyse, ce serait donc le collègue du brigadier et non ce dernier qui aurait crié à l’adresse de Nahel « Tu vas prendre une balle dans la tête », des propos que le policier auteur du tir a, du reste, constamment nié avoir tenus lors de sa garde à vue.
  • Nahel redémarre et le Brigadier (P2) tire, à bout portant, une balle mortelle.

Il existe ensuite une ambigüité. Tous les médias ont repris l’information que le Brigadier a menti en affirmant que la voiture fonçait sur lui alors qu’il était à côté de la voiture.

Je cite :

« Le parquet souligne que le premier compte rendu policier, à 8 h 22, six minutes après le tir policier, évoque un « individu blessé par balle à la poitrine gauche ». L’opérateur signale, dans une fiche de résumé d’intervention Pegase (pilotage des événements, gestion des activités et sécurisation des équipages) que « le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper » et que « le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire ». Ce qui soulève une interrogation importante sur l’origine de cette information démentie par la vidéo de la passante : comment est-elle remontée jusqu’à l’opérateur ? Le parquet note que le brigadier n’utilise jamais ces mots dans les conversations enregistrées sur la « conférence 32 » – en réalité, la « conférence 132 » qui est le réseau radio utilisé par l’ensemble des effectifs de la direction de l’ordre public et de la circulation, à laquelle appartenaient les deux policiers motocyclistes. »

Selon cette version, le brigadier n’aurait pas, lui-même, déclaré que la voiture lui fonçait dessus.

Dans sa version, le brigadier a déclaré qu’il avait peur que son coéquipier soit entraîné par la voiture parce qu’il pensait que son corps était engagé dans l’habitacle, alors qu’en réalité ce n’était que le bras qui était concerné. Enfin, il a affirmé que sa volonté était de viser vers les jambes du conducteur mais que déstabilisé par le démarrage le coup est parti vers le thorax.

Le brigadier, auteur du tir, a également révélé qu’il enchaînait son neuvième jour consécutif de travail

L’article du Monde fait aussi mention d’une situation extrêmement tendue dès les minutes qui ont suivi la mort de Nahel.

Le parquet relève que, au moment de la sécurisation des lieux, des « jeunes hostiles étaient présents » ainsi que des proches de la victime.

  • Selon les policiers, la grand-mère de la victime aurait tenu les propos suivants : « Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt. (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer. »
  • Un gardien de la paix, lui, est pris à partie par un ambulancier, dans une séquence également filmée et devenue virale où l’on peut entendre les propos, répétés à deux reprises : « Tu vas plus vivre tranquille, frère. »
  • Le même jour, un jeune homme âgé de 20 ans a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze mois avec sursis probatoire pour avoir diffusé les coordonnées personnelles du brigadier.

J’ai entendu un journaliste affirmer que l’adresse de l’hôtel dans lequel, la famille du policier avait trouvé refuge, a également été divulgué.

Très rapidement le Ministre de l’intérieur a eu des propos qui exprimait une défiance par rapport à l’attitude du policier. Et le Président de la République a eu ces mots, en contradiction formelle avec la présomption d’innocence, traitant le geste du policier « d’inexcusable » et d’inexplicable »

Probablement que le Président de la République et son Ministre espéraient ainsi calmer la colère des jeunes de banlieue qu’ils craignaient.

Il n’en fut rien : La France s’est embrasée malgré ces propos prenant délibérément partie contre le policier.

La Justice qui a pourtant inculpé le brigadier pour « homicide volontaire » et placé en détention provisoire n’est pas davantage parvenue à éviter ce qui allait devenir un chaos de destruction et de pillage.

Dans leur ensemble, tous les médias, mis à part ceux d’extrême droite, ont exprimé leur compassion pour le jeune homme, certain parlant « d’enfant » et ont présenté le brigadier comme un assassin.

Le footballeur né à Bondy et mondialement connu Kylian Mbappé a publié ce tweet en direction de ses 12,6 millions d’abonnés en évoquant « un petit ange ! » :

« J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt ».

Quand le chaos était à son comble, Jean-Luc Melenchon a pris la parole.

Il a été fidèle à son récit : Toutes ces horreurs viennent des inégalités économiques, de la discrimination à l’égard de la population des banlieues et du mauvais fonctionnement de la police qui tue et qui est raciste.

Il n’a pas appelé « au calme » mais à « la justice »

Il a demandé que les jeunes ne s’attaquent pas aux « Ecoles », « aux Bibliothèques » « aux gymnases », ce qui laisse à penser que pour les autres cibles, le saccage est une option ?

Michel Onfray lui a répondu avec véhémence : « Melenchon est prêt à tout pour arriver au pouvoir » :

« Quand je dis tout, c’est-à-dire détruire la France. C’est-à-dire mettre la France à feu et à sang. C’est-à-dire contribuer à ce que le sang puisse couler. Melenchon est prêt à tout ça »

et il ajoute:

« [on dit] Les gens sont mécontents, ils descendent dans la rue. Non ce ne sont pas des gens qui sont mécontents dans la rue. C’est un peuple qui se soulève contre un autre peuple ! »

Michel Onfray poursuit un autre récit, totalement opposé à celui de Melenchon, celui d’une « guerre civile à bas bruit »

A ce propos, j’ai entendu un sociologue estimer à 0,2% de la population des banlieues concernées par les faits de violence.

Par ailleurs pour qu’on puisse parler de « Peuple », il faudrait que ces personnes aient une conscience politique d’être un peuple ayant un destin commun. Je ne vois pas ce dessin politique mais surtout une rage de se défouler et un désir irréfragable de consommer des chaussures Nike, des Smartphones et autres marques de réussite.

Et lors du 20h de Darius Rochebin sur LCI le 1er juillet 2023, le premier argument utilisé par Hubert Vedrine, le secrétaire général de la présidence de la République de François Mitterrand et le ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin est celui d’une immigration mal maîtrisée et il en appelle à l’exemple danois.

Chacun suit son récit, sans jamais rencontrer et même chercher à échanger avec l’autre.

<Le Monde> cite un éditorial de « La Tribune de Genève » qui appelle de son côté à sortir d’un « débat bloqué » entre « deux camps caricaturaux et irréconciliables » : « D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. » « Selon toute apparence, le policier n’avait pas à tirer », analyse l’auteur, qui ajoute, au sujet du jeune conducteur tué, que, « s’il avait obtempéré à la police, il vivrait ». « Dans le débat politique français, ces deux vérités ne sont jamais confrontées, elles s’affrontent stérilement, déplore le journal suisse. Pauvre débat, triste débat, qui ne fait qu’entretenir la violence, car chacun ne veut voir que celle de l’autre. »

Si je dois donner quelques mots de conclusion, ce serait les suivants :

  • Si ce jeune homme n’avait pas pris le volant d’une voiture excessivement puissante alors qu’il n’avait ni le permis, ni d’assurance, il n’aurait pas été tué.
  • S’il avait obtempéré à l’ordre de la police, il n’aurait pas été tué.
  • On a écrit, il n’avait pas d’arme dans cette voiture. Mais enfin, la voiture qu’il conduisait pouvait tuer. D’ailleurs il a faillé renverser un piéton et un cycliste. Il était donc non seulement dans l’illégalité mais aussi un danger pour autrui.
  • Les policiers n’auraient sans doute pas du sortir leur arme pour menacer parce que dans ce cas il se mettaient en posture et en risque de tirer et de mal tirer.
  • Mais était-il raisonnable de laisser repartir cette voiture qui risquait de créer des accidents étant donné l’état d’excitation du jeune Nahel et probablement sa maîtrise limitée du bolide qu’il conduisait ? Je n’ai entendu personne expliquer comment immobiliser ce véhicule de manière efficace et sans utilisation d’arme létale. Il me semble que laisser repartir la voiture n’était pas une option.

Il y a certainement des problèmes au sein de la police. Sans doute une formation insuffisante, peut être une organisation et des méthodes d’interpellation à revoir. Il existe probablement des racistes au sein de la Police qu’il faut combattre.

Mais le déchainement de violence qui a eu lieu ces derniers jours doit aussi nous interroger sur ce que vivent nos policiers dans ces quartiers.

Que ferions nous s’il n’y avait plus de Police ?

SI tous les policiers déposaient brusquement tous leurs attributs en disant nous en avons marre de vivre cette violence, ces insultes et incivilités au quotidien, ce rejet systématique de l’autorité.

D’ailleurs contrairement à ce que pense ces gauchistes qui ont perturbé les comparutions aux Palais de Justice de Lyon et qui scandaient cette affirmation : « Tout le monde déteste la Police », les français sont plutôt du côté de la police.

<Selon ce sondage IFOP réalisé après la mort de Nahel> 43% et 14% ressentent de la confiance ou de la sympathie envers les forces du maintien de l’ordre, soit un total de 57% d’avis positifs. La police inspire de l’inquiétude ou de l’hostilité pour 32% des Français, tandis que 11% d’entre eux n’ont pas d’opinion.

Alors, il ne s’agit pas de nier les problèmes mais gardons-nous bien de solution simpliste comme croire que tout est la faute de la Police ou inversement que tout est de la faute de l’immigration.

Les choses sont infiniment plus complexes que cela.

<1753>

Mercredi 14 juin 2023

« Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. »
François Ruffin, député LFI de la Somme, à propos de la société politique française

François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.

<Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.

A une des questions, il a répondu :

« Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)

Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».

En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>

Quelle était la question ?

La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?

Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.

Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>

« Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »

Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.

Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.

Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.

<France Info> rapporte :

« Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte « Le coin des LGBT+ », aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : « François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir ».

Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. « Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire », recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. « Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique », cingle-t-elle. […]

Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de « garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »

Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :

Il twitte :

« Ma réponse sur le genre, ça va pas ».

Puis ajoute :

« Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »

Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.

Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :

Marc Fauvelle contextualise et pose sa question

« En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?

Réponse de François Ruffin :

« Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »

Marc Fauvelle :

« Ce n’est pas les lois de société ? »

François Ruffin

« Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.

Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.

Marc Fauvelle :

« Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.

François Ruffin

« Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »

Marc Fauvelle :

« Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?

François Ruffin

« Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.

Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.

Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.

Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.

Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »

Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.

Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.

Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.

Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.

Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.

Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.

Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.

L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.

Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?

Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.

Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.

Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.

Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :

« Quels « progrès » la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un « progrès », d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.

Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »

<1751>

Mardi 18 avril 2023

« C’est l’impuissance publique qui est au cœur [de notre crise démocratique !] »
Pierre-Henri Tavoillot

Un des grands risques qui nous guette, dans notre vie sociale, c’est de ne plus discuter qu’avec celles et ceux qui sont d’accord avec nous. Celles et ceux qui partagent nos colères, nos analyses et nos convictions.

Ce risque que Zygmunt Bauman a décrit de la manière suivante  :

« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

Nous avons le sentiment que le problème de la démocratie française est celui d’un hyper-président qui a trop de pouvoir et qui en abuse.

Il est vrai que le président actuel semble avoir cette conviction de détenir la vérité et de ne pas considérer qu’écouter les corps intermédiaires soit essentiel.

Je ne parle même pas de son style et de ses répliques qui ont souvent blessé un grand nombre de français.

D’après les spécialistes des sondages, il est le Président qui suscite le plus de haine, davantage même que Nicolas Sarkozy qui avait en son temps aussi suscité le rejet d’une part des français.

Mais comme l’explique Pierre-Henri Tavoillot, dans Démocratie, il y a d’un côté le « Démos » c’est-à-dire le Peuple et de l’autre côté le « Kratos » qui est la capacité de décider.

Notre sentiment est que le Kratos est trop fort

Ce n’est pas l’avis de Pierre-Henri Tavoillot.

J’avais déjà évoqué ce philosophe, lors du mot du jour du <23 mars 2020> et la sortie de son livre « Comment gouverner un peuple-roi ? ».

Je l’ai récemment entendu dans deux émissions :

La première dans le « Face à Face » de France Inter du 1er avril 2023 <L’art de gouverner> où il était le seul invité.
Et l’émission de France-Culture, « L’Esprit Public » du dimanche 16 avril 2023 <Comment sortir de la crise démocratique ?> dans laquelle il était un des participants.
Il intervient souvent dans l’émission « C ce soir » de France 5, dans laquelle il constitue souvent une voix dissidente.

Dans l’émission de France Inter il dit (à partir de 41 :20)

« Je crois qu’il faut prendre un peu de recul sur ce qu’est la nature de la crise de la démocratie française.
Personnellement, je suis un libéral. Un libéral, c’est veiller à l’équilibre entre la société et l’État, entre le Demos et le Kratos, entre le peuple et le pouvoir.
Spontanément le libéralisme s’est construit contre les pouvoirs abusifs, contre l’absolutisme.
Il fallait faire baisser le Kratos et faire augmenter le Demos. […]

Je pense qu’aujourd’hui, la crise profonde de notre démocratie ce n’est pas que le Demos soit trop faible et le Kratos trop fort, c’est exactement le contraire.

C’est l’impuissance publicque qui est au cœur. »

Au cœur du récit démocratique, il y a cette promesse que la nation, en tant que souverain, est maître de ses choix et peut décider librement de son destin.

Cette promesse n’a jamais été totalement respectée.

Mais aujourd’hui, elle est devenue extrêmement faible et encore plus pour un pays de moyenne importance comme la France.

Nos grands défis sont planétaires : réchauffement climatique, crise de la biodiversité, crise de l’eau, paix entre les nations.

Notre pays se trouve dans un maillage de dépendance pour sa consommation, son financement, ses investissements, sa défense.

Cette dépendance qui est contrainte par de nombreux Traités, par notre appartenance à l’Union européenne, réduit d’autant les marges de manœuvre de nos gouvernants.

Jancovici prétend que nous sommes déjà en décroissance, sans nous en apercevoir, que dès lors les choix que nous devons faire pour financer les grandes politiques publiques que nous demandons à nos gouvernants (Santé, Éducation, Transition écologique etc…) deviennent encore plus difficiles, car il faut prendre à l’un pour donner à l’autre.

Depuis bien longtemps nous consommons plus que nous produisons, et cachons ce déséquilibre par de l’emprunt et une augmentation de la dette.

Notre société est fracturée, il devient quasi impossible de générer des consensus suffisamment larges.

Je ne développe pas, mais on constate bien un problème d’impuissance publique, dès que le candidat se trouve dans le bureau du gouvernant.

C’est-à-dire que ce soit Emmanuel Macron ou Jean-Luc Melenchon et je ne cite pas la troisième, aucun ne dispose des moyens et possibilités d’honorer les promesses qu’il fait pour être élu.

Bien sûr, il reste possible de gouverner autrement que le fait le Président actuel et d’éviter certaines provocations et écart de langage.

Et il est un point que ne développe pas Tavoillot et dont je suis intimement persuadé, rien ne sera possible si on ne s’attaque pas au creusement des injustices sociales.

Car dans un monde où il faudra aller vers plus de sobriété, en rabattre sur notre soif de consommation et d’hubris, il faut que le sentiment de l’équité et de la justice grandissent dans l’esprit du plus grand nombre.

Et probablement qu’il faudrait aussi plus d’honnêteté de la part des candidats politiques dans la promesse de ce qu’ils sont capables de réaliser et une plus grande maturité de la part des citoyens pour accepter de l’entendre.

<1744>

 

Lundi 17 avril 2023

« Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »
Dominique Schnapper

Le Conseil Constitutionnel n’a donc pas censuré la Loi sur l’âge légal de la retraite, il a simplement censuré 6 dispositions comme l’index sénior pour lesquelles, il a considéré qu’elles n’avaient pas leur place dans cette loi de financement.

On parle de « cavalier budgétaire », autrement dit on utilise comme support une Loi de financement qui permet au gouvernement de disposer de quelques instruments pour accélérer l’adoption de Loi, ce qu’il a fait dans le cas de cette Loi, pour faire adopter des dispositions qui ne doivent pas bénéficier des mêmes instruments et règles.

Alors, Samedi matin, nous avons tous entendu : « Emmanuel Macron a promulgué la Loi cette nuit à 3:28 !»

A cette nouvelle j’étais partagé entre deux sentiments :

1° Quel bosseur, il ne s’arrête jamais de travailler. En même temps, il surmène ses collaborateurs.

2° Je trouvais très inquiétant que notre président ne dorme pas et travaille au-delà du raisonnable ce qui peut conduire à craindre des décisions peu éclairées et irrationnelles.

Mais revenons au sens du verbe : « promulguer »

Le fait de promulguer une loi c’est donner l’ordre de l’exécuter, la loi devient exécutoire.

En pratique, l’acte de promulguer la Loi se concrétise par le fait que l’Autorité exécutive signe le texte

En l’occurrence, en France, le texte est signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre et les ministres qui seront chargés d’appliquer la loi.

Je suppose qu’aujourd’hui cette signature est électronique.

Ces choses étant rappelées, la Loi N° 2023-270 n’a pas été promulguée à 3:28, samedi.

Il est tout à fait possible et même raisonnable de penser qu’Emmanuel Macron dormait à cette heure-là.

Si vous allez sur le site « LEGIFRANCE » pour consulter <cette Loi> vous constaterez que son entête est la suivante :

« LOI no 2023-270 du 14 avril 2023
de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 »

Cet entête nous montre que la Loi a été promulguée le vendredi 14 avril et non samedi 15 avril qui est le jour qui correspondait à 3:28.

Le journal « Libération » l’affirme : <Non, Emmanuel Macron n’a pas promulgué la loi retraites au milieu de la nuit>

Et donne ces explications :

« La loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, qui modifie le système de retraite français, a bien été publiée dans le Journal officiel du samedi 15 avril, paru au milieu de la nuit. Samedi, à 3 h 28 exactement, les personnes inscrites dans la boucle électronique relative aux parutions du Journal officiel ont ainsi reçu un mail les en informant.

Tous les textes législatifs promulgués, comme les actes réglementaires adoptés par l’exécutif, sont rendus publics par leur inscription au Journal officiel de la République française (JORF), qui paraît du mardi au dimanche depuis 1869, par voie électronique uniquement depuis 2016. Même si sa sortie «ne connaît pas d’horaire officiel défini», «l’usage, les obligations politiques et juridiques ont conduit à une parution matinale du JORF (en moyenne entre 2 et 7 heures)», précise le site de la Direction de l’information légale et administrative. Ce qui ne veut pas dire que les textes sont promulgués dans la nuit.

Ainsi, la promulgation de la loi réformant le système des retraites, elle, est intervenue la veille de la publication. Comme l’indique d’ailleurs l’intitulé du texte, qui mentionne une loi datant « du 14 avril 2023». […]

Dans le cas de la réforme des retraites, la promulgation serait survenue à 19 h 30 – un horaire cité dans le commentaire d’une utilisatrice de Twitter et depuis largement relayé sur le réseau social. Dans un sujet diffusé au journal de 13 heures de samedi, une journaliste de TF1 relate : « Il est environ 17 h 30 vendredi quand le président de la République prend connaissance de la décision du Conseil constitutionnel. Selon nos informations, moins de deux heures plus tard, avant 20 heures donc, Emmanuel Macron signe la loi retraite. »

L’information donnée confondait donc la Promulgation qui nécessite l’acte d’humains pour signer avec la publication au journal officiel qui est automatisée, au moins pour la partie qui s’est déroulée dans la nuit.

Il faut toujours bien nommer les choses !

Albert Camus avait bien raison.

Cette confusion a conduit des gens à dire des billevesées.

Jean-Luc Mélenchon, a tweeté : « Macron a voulu intimider toute la France dans la nuit. » et Laurent Berger a déclaré au Parisien que « Le message d’Emmanuel Macron avec cette promulgation en pleine nuit, c’est jusqu’au bout le mépris à l’égard du monde du travail et la déconnexion avec la réalité. ».

Mais sur le fond que peut-on dire ?

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau que j’avais déjà cité pour dire qu’il faisait partie des spécialistes qui pensaient possible la censure globale du texte, s’entête et écrit dans Le Monde : <La décision du Conseil constitutionnel s’impose mais, […] elle est mal fondée et mal motivée en droit !>

Et il cite des extraits de la décision pour s’en étonner :

« § 65. En dernier lieu, la circonstance que certains ministres auraient délivrée, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues. »

Et

« § 69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. »

Et aussi

« § 70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution. »

Enfin

« § 11. D’autre part, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du Code de la sécurité sociale. »

Et Dominique Rousseau s’étonne que le Conseil Constitutionnel reconnaisse que des ministres ont délivré des « estimations erronées » que lors des débats parlementaires plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel » et conclut cependant que le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires avait été respecté. Et il trouve également singulier que le texte de la réforme aurait pu figurer dans une Loi ordinaire mais que le fait de le faire figurer dans une loi de financement rectificative ne trouble pas le Conseil.

Selon lui :

« A l’évidence, la conclusion ne découle pas logiquement des prémisses et ce décalage ouvre un espace au doute sur le bien-fondé juridique de la décision. »

« Le Monde » publie deux autres articles :
Denis Baranger, professeur de droit public, considère que
« le Conseil constitutionnel a perdu une chance de rétablir un degré d’équilibre entre les pouvoirs », en confortant une vision très large des prérogatives données à l’exécutif face au Parlement.
Concernant le rejet de la proposition de référendum d’initiative partagée, la juriste Marthe Fatin-Rouge Stefanini estime qu’il semble condamner l’utilisation du RIP, en restreignant considérablement les conditions de son utilisation.

En revanche lors de l’émission « l’Esprit Public du dimanche 16 avril » la sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil Constitutionnel affirme :

« La décision était prévue, prévisible, normale. Hier après-midi au ministère de l’éducation nationale, nous avons été quelques-uns à annoncer ce qu’il y aurait dans la décision, sans avoir aucune information et c’est exactement celle qui a été adoptée, parce qu’elle s’inscrit directement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. »

Pour ma modeste part, je porte un grand crédit aux propos de la fille de Raymond Aron et cela non en raison de son hérédité, mais de sa hauteur de vue et ses analyses toujours très argumentées

Parce qu’évidemment les citoyens qui contestaient la Loi souhaitaient une décision politique : il ne fallait pas que l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 ans à 64.

Mais les décisions du Conseil Constitutionnel sont juridiques et non politiques.

La décision du Conseil constitutionnel signifie que la Loi qui modifie l’âge légal de départ en retraite de 62 ans à 64 ans n’est pas contraire à la constitution.

Et, Dominique Schnapper nous apprend qu’il existe un mantra au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire une formule sacrée dotée d’un pouvoir spirituel :

« Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »

Les sages ont donc été sage !

Mais dans l’émission « C Politique de ce dimanche » Thierry Pech, le directeur général de « Terra Nova » a posé cette question :

« Était-il sage, d’être sage ? »

Et il explique cette question par ce développement

« Est-ce que cela nous suffit ?
Est-ce que lorsqu’on dit d’un texte qu’il est constitutionnel, on peut dire qu’il est démocratique ?
Ce n’est pas la même chose, et c’est cela mon problème.
Aucun des articles mobilisés pendant l’élaboration de ce texte n’est contraire à la constitution.
[…] Ils y figurent tous.

Notre constitution est une armurerie extrêmement riche d’instruments pour brider la liberté du Parlement. Tous ces éléments sont donc constitutionnels.

Leur accumulation fait-elle un processus démocratique ?

Ma réponse est franchement non !»

Et plus tard quand on l’interroge sur ce que devrait dire et faire Macron, il demande au Président de donner du sens à son affiche de campagne : « Avec vous »


<1743>

Jeudi 6 avril 2023

« Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. »
Pierre Rosanvallon parlant de notre Président de la République

Ce jeudi 6 avril 2023 constitue la 11ème journée nationale de mobilisation, depuis le 19 janvier, contre la réforme des retraites.

Élisabeth Borne a reçu les organisations syndicales, ce mercredi, dans un dialogue de sourd dans lequel, au bout d’une heure, la partie syndicale a quitté la réunion.

Tout au long de ces semaines, la cheffe de gouvernement n’a pas négocié avec les représentants sociaux, elle a préféré négocier avec le parti des républicains, pensant cette manière de faire plus efficace. Bref, elle a cherché un compromis politique et non un compromis social. Et, elle a échoué.

Il semblerait que le Président Macron parie sur un essoufflement du combat syndical : l’inflation, le manque à gagner des jours de grève et la lassitude conduisant à une diminution de la mobilisation. Et, si en outre, parmi les derniers manifestants, la violence se déchaine, rapidement la majorité des français qui aiment l’ordre se détourneront de ce mouvement qui les inquiétera, dès lors.

Il reste la décision du Conseil Constitutionnel, le Conseil pourrait-il censurer l’intégralité de la Loi ?

Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord.

<France Inter> avait réuni deux d’entre eux.

Dominique Rousseau pense qu’une telle censure totale est possible, parce que selon lui :

« Il y a dans la procédure d’adoption de la loi sur les retraites une accumulation d’outils qui font que personne ne peut contester que le débat a été peu clair et insincère »

Il s’appuie sur une décision du Conseil Constitutionnel qui exigeait que pour l’adoption d’une loi il fallait qu’il y eut un débat clair et sincère. Or selon lui, les explications avancées par le Gouvernement sur des points précis comme la retraite minimale de 1200 euros ou comme l’utilisation de tous les arcanes de la Constitution pour raccourcir le temps d’examen du texte peuvent conduire à cette sanction.

L’autre constitutionnaliste, Anne Levade, ne croit pas à cette hypothèse. Pour l’instant, le Conseil constitutionnel n’a censuré intégralement que deux textes un en 1979 et l’autre en 2012.

Dès lors, s’il n’y a pas censure intégrale et si comme le croit le Président, la contestation sociale s’essoufle, la Loi sera promulguée et entrera en vigueur.

Cette victoire légale, si elle a lieu, me semble pleine de danger politique.

Je crois que, dans ce cas, le cœur du corps social français gardera un profond ressentiment de toute cette affaire.

Les rocardiens et même Michel Rocard avant sa mort ont exprimé beaucoup de soutien à Emmanuel Macron.

Je crois que ce temps est révolu.

L’un d’entre eux : l’historien Pierre Rosanvallon exprime dans « Libération » dans un article publié le 3 avril 2023 :

« Or, le grand problème d’Emmanuel Macron est qu’il n’a qu’une expérience sociale et politique limitée, étant passé directement de l’ombre à l’Elysée. Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. Il est certain que dans l’optique d’une refonte des institutions, le comportement actuel du chef de l’Etat pose la question de la mise en œuvre constitutionnelle d’autres moyens de résolution des crises qui partent d’en bas. Le référendum d’initiative partagée n’en est qu’une modalité trop modeste. Faute de cela, le temps des révolutions pourrait revenir ou bien ce sera l’accumulation des rancœurs toxiques qui ouvrira la voie au populisme d’extrême droite. »

Pour Rosanvallon Macron doit faire « demi-tour » sur le recul de l’âge de départ à la retraite. Et il ajoute :

« Rarement un projet de réforme gouvernemental aura été aussi mal préparé et envisagé sur un mode aussi technocratique et idéologique, alors qu’il y a une discussion complexe et argumentée à mener sur le financement des retraites. Sur le fond, le débat a été escamoté en étant rétréci à la question de l’âge de départ. Cette approche ne prend pas en compte la diversité des situations et des conditions de travail. Le rapport au travail aurait ainsi dû être abordé en préalable à toute discussion sur le financement. La retraite, c’est le rétroviseur de la vie. Cette dimension existentielle n’est pas prise en compte dans le projet actuel. »

Dans un autre article de Libération publié le même jour, le journal constate que :

« Alors qu’il avait dans un premier temps séduit les milieux intellectuels, le Président voit de plus en plus d’anciens soutiens s’élever publiquement contre lui. Jusque dans ses relais les plus proches. »

Et parmi ceux-ci, celui qui a été en quelque sorte son mentor : Jacques Attali qui l’avait présenté à François Hollande en 2010, évènement essentiel dans le parcours exceptionnel de celui qui allait devenir notre jeune président en 2017.

Jacques Attali écrivait simplement, le 15 mars 2023, toujours dans Libération : « Cette réforme des retraites est mal faite et injuste. » et précisait :

« Non, reculer l’âge de départ n’est pas la bonne méthode. J’ai toujours été favorable à la retraite à points, un système plus juste et plus équitable. Autrement, on peut se concentrer sur la durée de cotisation. Je ne suis pas du tout favorable au report de l’âge légal de départ à 64 ans, d’autant plus qu’il s’agit d’un âge fictif. Quelqu’un qui a besoin de 43 années de cotisation et qui a commencé à travailler à 25 ans partira à la retraite à 68 ans alors que celui qui a commencé à travailler plus tôt est pénalisé. Avec l’augmentation de l’âge de départ, le gouvernement s’est focalisé sur quelque chose d’absurde… »

«Reculer l’âge de départ à 65 ans est à la fois injuste et inefficace», observait, toujours dans Libération, quelques mois plus tôt Philippe Aghion, l’économiste qui avait été un des principaux inspirateurs du programme d’Emmanuel Macron en 2017.

Dans le mot du jour du 24 juin 2022 « Macron ou les illusions perdues. » j’évoquais le livre de son ancien professeur François Dosse, qui avait été celui qui avait présenté le jeune homme à Paul Ricoeur. François Dosse avait été enthousiaste par l’arrivée de Macron à la présidence de la République avant de déchanter.
Libération précise que François Dosse n’a loupé aucune manifestation contre la réforme des retraites et qu’il a donné cette opinion sur son ancien élève :

« Sa capacité d’absorption des choses et de maîtrise fait qu’il ne connaît pas la marche arrière, il est toujours sûr d’avoir raison. »

Devant un tel déluge de critiques, un homme raisonnable devrait s’interroger.

Mais le Président Macron est il raisonnable ou s’est-il laissé enfermer derrière les murs de l’Élysée dans une prison de certitudes dont la plus dangereuse est qu’il soit le seul à comprendre ce qui est utile et nécessaire à la France et aux français ?

<1742>

Lundi 27 mars 2023

« Personne n’a envie d’être un con-vaincu. »
Thomas d’Ansembourg

Le climat social devient violent en France, vous ne trouvez pas ?

Ce dimanche, les mégabassines de Sainte-Solines se sont ajoutées à la réforme des retraites pour donner lieu à des affrontements et des blessés entre des manifestants et des forces de l’ordre.

J’ai regardé avec intérêt cette vidéo du média « Blast » sur la problématique de cette solution mise en œuvre par des céréaliers, pour pouvoir continuer à produire comme avant la sécheresse, en prélevant,  dans la nappe phréatique, d’immenses masses d’eau dont ils ont besoin pour leur activité.

La conséquence de cette solution est d’aggraver à terme le problème par un asséchement renforcé des sols et un effondrement accéléré du niveau de la nappe phréatique et bien sûr de diminuer l’eau disponible pour tous les autres utilisateurs. Et parmi ces utilisateurs il y a des humains mais aussi d’autres espèces vivantes qui disparaissent et avec elles la biodiversité.

<Mégabassines : la guerre est déclarée>

Mais pour revenir à la réforme des retraites, il faut rappeler quelques éléments chronologiques.

En utilisant l’argument de la guerre en Ukraine qui monopolisait son temps de réflexion disponible, le président Macron a enjambé l’élection présidentielle.

Je veux dire qu’il a présenté tardivement un programme minimal et il a refusé tout débat sur ce programme et sur tout autre sujet.

Si on ne peut plus débattre pendant l’élection présidentielle, quand pourra t’on débattre ?

Le débat du second tour n’en était pas un. Il s’agissait simplement de montrer que l’autre candidate n’était pas capable d’assurer le rôle. Elle a parfaitement collaboré et joué le rôle qu’on attendait d’elle.

Dans le programme lilliputien du Président sortant, il y avait quand même une mesure : l’allongement de l’âge de départ à la retraite

Et c’est ainsi qu’au pas de charge, cette affaire a été menée, en utilisant tous les rouages de la constitution pour que cela aille vite.

Plutôt que de discuter avec les représentants syndicaux, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de négocier avec la Droite LR, dont la candidate proposait la même réforme dans son programme.

Cela n’a pas fonctionné, parmi les députés LR, il en est suffisamment qui détestent tellement Macron qu’ils sont prêts à tout pour l’empêcher.

L’opposition de la NUPES a aussi joué un rôle délétère, elle n’a pas débattu mais vociféré, elle n’a pas argumenté mais asséné ses croyances et son récit. Elle a réussi à aider Emmanuel Macron à rendre l’Assemblée Nationale encore plus impopulaire.

Et puis finalement le Président sortant qui est reparti pour un second mandat a pris la parole le 23 mars.

Il me semble possible de résumer son intervention de la manière suivante :

« J’ai raison, ma réforme est indispensable. C’est celle qui peut le mieux répondre aux défis qui se présentent à nous. Vous ne l’avez pas bien comprise, je ne l’ai probablement pas bien expliqué. Je vais donc vous en convaincre en vous explicitant mes arguments. »

Il y a un certain nombre de français qui n’ont pas été satisfaits ni du 49-3, ni de la manière dont Monsieur Macron a tenté de les convaincre qu’il avait raison.

J’avais déjà évoqué Thomas d’Ansembourg, lors du mot du jour du 10 janvier 2017 : « La paix ça s’apprend »

Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

Il organise des séminaires en ligne, mais on trouve facilement des petites interventions pleine de sens sur la communication entre les humains.

Dans celle-ci, il s’agit <de la communication dans un couple>, mais je pense que ces réflexions sont parfaitement adaptées à notre situation politique :

« Il y a infiniment plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher.
Je dis bien qui essaient parce qu’on n’arrive pas toujours.
Il y a bien plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison à coup de gourdin qui est malheureusement quasiment le seul modèle que nous ayons.

Lorsqu’on regarde la moindre émission télévisée avec ceux qui sont censé nous inspirer comme dirigeants, on voit des collisions d’ego avec des êtres qui veulent avoir raison !
Et qui ne passent pas leur temps de silence à écouter pour comprendre, mais à préparer leur contre-attaque.
C’est d’une misère. Une absence de discernement. C’est d’une grande pauvreté.
Prenez un petit moment d’écoute de vous-même pour aller voir les moments où vous vous retrouvez dans des rapports de force, dans cette prétention à avoir raison, à vouloir con-vaincre l’autre.
Vous entendez dans ce joli mot que personne n’a envie d’être un con-vaincu ?
Qu’est ce qui s’active en vous quand quelqu’un veut vous convaincre : La plupart du temps, c’est la fuite : « Fous moi la paix » ou la rébellion : « Arrête d’essayer de me convaincre, c’est moi qui vais te convaincre et on enclenche des rapports de force. »

Il est beaucoup plus intelligent et sage de passer son temps de silence à tenter de comprendre l’autre que de préparer sa contre-attaque.

Tous les français ne disent pas à M Macron qu’il ne faut pas une réforme de la retraite, mais beaucoup disent : « pas celle-là et pas avec cette méthode »

Mais il semble que M Macron ne cherche pas à comprendre et continue dans son idée et tente de faire des français des « con-vaincus ».

Cette méthode ne fonctionne visiblement pas.

Thomas d’Ansembourg ajoute :

« Il est temps de changer de modèle.
C’est vraiment un enjeu citoyen.
Et d’arrêter de s’accrocher à une vieille croyance que l’homme est un loup pour l’homme et que la violence est l’expression de la nature humaine.
Waouh, qu’est ce que nous avons été plombés par ce système de pensée.
J’ai entendu ça dans le petit cours de psycho que j’ai reçu dans mes études de droit.
Tout petit cours de psychologie : la violence est l’expression de la nature humaine
Ça fait 25 ans que j’expérimente le contraire.
La violence n’est pas l’expression de notre nature.

La violence est l’expression de la frustration de notre nature, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Si vous êtes aimé, reconnu, trouvez du sens à votre vie, avez une joyeuse appartenance, vous savez comment déployer vos talents et le monde autour de vous vous y encourage : pourquoi seriez-vous violent ?
Inversement, vous vous sentez pas aimé, vous n’avez pas d’appartenance, vous ne trouvez pas votre place dans la vie, la vie n’a pas de sens à vos yeux, vous ne vous sentez pas compris, vous ne comprenez rien à ce qui se passe, là ça commence à bouillonner !

D’où l’urgence d’apprendre à bien connaître notre nature, pour qu’elle trouve sa voie, son expansion dans le respect de la nature de l’autre évidemment.
C’est ainsi que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. »

Message destiné à des couples, mais les français et leur président peuvent aussi l’entendre avec intérêt, c’est ce que je pense.

<1739>

Lundi 20 mars 2023

« Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers. »
Michaël Foessel

Et Élisabeth Borne dégaina le 49-3, comme jadis John Wayne dégainait son colt.

Le jeudi 16 mars, Emmanuel Macron a réuni à trois reprises Élisabeth Borne et ses ministres, à quelques heures d’un vote extrêmement incertain à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Et finalement, le chef de l’État a décidé. La formule constitutionnelle est « il a autorisé la Première ministre à engager la responsabilité du gouvernement. »

Le Huffington Post rapporte :

« Un choix que le chef de l’État a justifié comme suit, comme l’a rapporté un participant à l’ultime conseil des ministres : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Et le locataire de l’Élysée d’ajouter : « On ne peut pas jouer avec l’avenir du pays. » »

Qu’est ce qui se cache derrière ces risques financiers et économiques ?

Tout le monde parle de la réforme des retraites, en se focalisant sur les règles permettant de demander sa retraite et sur les conditions budgétaires de l’équilibre des caisses de retraite.

Et on parle de justice, d’impossibilité pour de nombreux métiers pénibles de travailler jusqu’à 64 ans, de l’injustice du critère d’âge, de la nécessité prioritaire d’intervenir pour empêcher que le système de retraite s’effondre.

D’ailleurs, on entend de manière de moins en moins feutrée cette idée géniale de pousser les français vers des systèmes de retraite par capitalisation.

Dans un tel système on laisserait un système par répartition minimale, correspondant grosso modo à une pension de base ayant pour vocation de permettre la survie de celles et ceux qui la touchent. Pour disposer de quelques éléments de confort, de culture et de loisirs il faudra compter sur un fonds de pension auprès duquel on aura cotisé tout au long de sa vie. La rémunération que le Fonds de pension donnera au retraité dépendra des montants de cotisation qu’il aura versé librement selon l’ampleur de ses moyens, ses goût et possibilités d’épargne.

  • Cette évolution créera une fracture encore plus grande entre les pauvres et les riches.
  • Ce système ne présente pas un caractère d’une grande stabilité, les fonds de pension se trouvant à la merci des crises financières, comme celle qui selon toute probabilité est en train de se développer dans le monde financier et d’assurance.
  • Enfin, selon moi, le plus grave est qu’on met ainsi l’argent des retraites aux mains de fonds spéculatifs dont l’objectif est de faire le plus de gains possibles. Ce qui signifie dans le monde dans lequel nous vivons : faire pression sur les emplois, les salaires et avant de s’intéresser à l’intérêt de la population et à la survie de l’humanité, prioriser la rentabilité financière.

Ceci me fait penser à cette parole de François Mitterrand qui dans un moment de lucidité socialiste aurait dit :

« Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la Sécurité sociale, car ceux, disait-il, qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur, avait-il dit à son gouvernement. »

Il aurait dit cela lors du dernier conseil des ministres de 1993, avant la victoire de la Droite aux élections législatives et la mise en place du gouvernement Balladur.

« Aurait dit » parce que le compte rendu de ce conseil des ministres n’en fait pas état et que la source de cette information est Ségolène Royal lors d’un discours qu’elle a prononcé en 2011, à Jarnac la ville natale de Mitterrand. Elle a fait précéder cette citation par ces mots :

« François Mitterrand n’a jamais sous-estimé l’acharnement des intérêts financiers coalisés. Nous sommes plusieurs ici à nous souvenir de ce message prémonitoire qu’il nous adressait lors du dernier Conseil des ministres de 1993. »

Mais en réalité lorsque Emmanuel Macron parle de risques financiers et économiques, il ne parle pas principalement et peut être même pas du tout de l’équilibre financier des retraites.

Ainsi Alain Minc, celui qui a popularisé le concept de « cercle de la raison » que finalement Emmanuel Macron a mis en œuvre en imposant « l’extrême centre » qui gouverne et qui a pour seule alternative des forces populistes divisées entre deux extrêmes irréconciliables, donnait ainsi la clé de cette affaire sur <Europe 1, le 21 février 2023>

« Il y a une chose qui n’est pas dite, que les responsables politiques ne peuvent pas dire dans une France aussi émotive et populiste, qui est que nous avons 3.000 milliards de dette, nous vivons à crédit, nous vivons en payant des taux d’intérêt incroyablement bas, c’est-à-dire très proches de ceux de l’Allemagne. Si, et le monde entier nous regarde, on ne fait pas cette réforme, notre taux d’emprunt augmente par exemple de 1%. Je vais vous faire le calcul, c’est 2 milliards et demi la première année, 5 milliards la deuxième, 7,5 la troisième, 10 la quatrième. C’est vertigineux […] Mais évidemment avec l’atmosphère ambiante, mélenchoniste régnant, l’absurdité vis-à-vis de l’incompréhension économique qui est propre à ce pays, c’est très difficile de dire les marchés nous regardent, cette réforme est un geste extrêmement fort à leurs yeux et nous sommes obligés de la faire parce que nous portons nos 3.000 milliards de dette.[…] il n’est pas facile pour les responsables politiques de dire ce qu’un observateur peut dire en toute ingénuité ».

Il reprend ces arguments dans un article dans <Sur le site Entreprendre> le 22 février.

Et, en effet, Emmanuel Macron avait bien, devant les journalistes de l’association de la presse présidentielle, lundi 12 septembre 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine), expliqué qu’il avait besoin d’une réforme dès l’été 2023 afin de financer les trois grands chantiers qu’il s’est fixés en cette rentrée : l’école, la santé et la transition climatique.

Donc il y a d’un côté celles et ceux qui discutent du bien fondé de la réforme des retraites de manière intrinsèque, en constatant qu’il n’y a pas d’urgence vitale de faire cette réforme pour le financement des retraites. Les arguments échangés depuis que la réforme a été proposée par le gouvernement n’aborde que le sujet sous cet angle : Faut-il faire une réforme des retraites pour sauvegarder les retraites ?

Alors qu’au fond la préoccupation du gouvernement est tout autre : il faut faire un signe aux marchés financiers pour prouver que la France est en mesure d’économiser de l’argent d’un côté pour pouvoir d’une part faire diminuer sa dette et d’autre part financer d’autres dépenses urgentes.

Je me souviens de Michel Rocard qui lors d’un discours, regrettait que l’État ait cédé ses instruments d’intervention dans l’économie et notamment la possibilité pour la Banque Centrale d’émettre du crédit au profit de l’État au lieu d’obliger ce dernier d’emprunter aux banques privées…

Il reconnaissait son erreur de ne pas s’être opposé à cette évolution.

Et maintenant nos États dépendent des institutions financières privées et des agences de notation.

Récemment Liz Truss avait été désignée comme premier ministre du Royaume-Uni par le parti conservateur. Elle avait un programme totalement démagogique de diminution des impôts, sans diminution des dépenses. Après la période de deuil d’Elisabeth II qui a coïncidé avec le début de son mandat, elle a annoncé officiellement son programme économique le 23 septembre 2022. Elle ne tiendra pas un mois aux pressions de la sphère financière et des agences de notation et démissionnera le 20 octobre 2022.

Dans le monde d’aujourd’hui, les États sont obligés d’écouter l’avis de leurs créanciers.

Michaël Fœssel, dans un article de l’Obs, publié le 18 mars 2023 : « Pourquoi n’ont-ils pas assumé que cette réforme était un signal aux marchés financiers ? », explique :

« En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation. »

Il me semble, en effet, que pour qu’une Démocratie puisse fonctionner correctement, il faut poser les bonnes questions et dire les véritables raisons de l’action politique.

Le fiasco de cette réforme pose bien d’autres questions, mais celle-ci me parait essentiel.

La question n’est pas simple, en tout cas pas aussi simple que le suggère Michaël Fœssel.

Dès qu’on s’arrête un peu, on constate que partout on a besoin d’argent public : la transition écologique, la santé, l’éducation nationale, la justice, la défense, la culture partout…

Bien sûr, de ci de là, il est possible d’obtenir quelques financements supplémentaires et mettre fin à certains gaspillages.

Mais globalement il faut gérer des priorités : on ne peut pas tout donner à tout le monde. Il faut faire des choix et savoir décider ce qui est prioritaire, ce qui l’est moins.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’émission « Esprit Public » de ce dimanche qui a abordé ces questions avec des invités ayant des avis assez différents pour que l’échange puisse être fécond.

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Mercredi 01 février 2023

« Jubilación »
Mot espagnol invitant à l’euphorie

Ce 1er février 2023 est mon premier jour de retraite.

C’est un drôle de nom que celui de « retraite ».

La première définition que j’avais comprise, dans ma jeunesse, de ce mot était sa réalité militaire : « battre en retraite ». Autrement dit fuir devant l’adversaire, abandonner le champ de bataille, abandonner la position.

Il existait des retraites en bon ordre de généraux ingénieux qui évitaient ainsi une défaite. Mais le plus souvent « retraite » était synonyme de « fuite », « débâcle », « débandade » « déroute ».

Dans la Lorraine de mon enfance et plus précisément le bassin houiller lorrain, il n’était pas question de « retraité » mais de « pensionné », celui qui touchait une pension.

C’était assez clair dans mon esprit : un salarié touchait un salaire, un pensionné touchait une pension.

Dans les cours de religion, on parlait d’une autre retraite, la « retraite spirituelle » pour s’éloigner du tumulte de la vie séculaire et commerçante.

Quand on se tourne aujourd’hui vers le « Larousse » il est clair que la première définition du mot retraite et la deuxième aussi, correspond à ma réalité d’aujourd’hui.

« 1. Action de se retirer de la vie active, d’abandonner ses fonctions ; état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles : Prendre sa retraite.

2. Prestation sociale servie à quelqu’un qui a pris sa retraite : Toucher sa retraite. »

Puis on arrive à la retraite spirituelle et une déclinaison :

« 3. Période où l’on se tient loin des préoccupations profanes pour se recueillir ; lieu où se déroulent ces exercices.

4. Lieu où quelqu’un se retire pour vivre dans le calme, la solitude, ou pour se cacher : Un appartement qui a servi de retraite à un fugitif. »

Il faut arriver au rang 5 pour parler d’une armée en retraite :

« 5. Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions. »

Et puis il y a des cas spécifiques :

« Bâtiment

6. Diminution donnée à l’épaisseur d’un mur, étage par étage, à mesure que l’on s’élève.

Militaire

7. Signal (sonnerie de clairon, batterie de tambours) marquant la fin d’une manœuvre ou d’un tir.

Vénerie

8. Sonnerie de trompe qui marque la fin de la chasse. »

Dans « le Robert » l’ordre n’est pas le même on commence par la retraite militaire.

Mais le juge de paix est le vieux « Littré » dont la première définition est : « Action de se retirer. ». Si vous voulez en savoir davantage voici le lien : https://www.littre.org/definition/retraite

Si on s’intéresse à l’étymologie du mot retraite on constate qu’il est formé de deux mots :

  • du préfixe re, retour en arrière
  • et du latin trahere, tirer, traîner, tracter

Et c’est donc le Littré qui commence par expliquer que c’est l’action de se retirer qui semble le plus proche de cette origine.

Mais comment appelle t’on la « retraite » des salariés dans les autres langues ?

En anglais, il s’agit toujours de se retirer : « retirement ».

L’italien semble plutôt utiliser « pensione».

Alors que l’allemand utilise « Ruhestand » ce qui signifie, en version littérale, Position (stand) de Repos (Ruhe).

Mais c’est ma belle-sœur Josiane qui m’a appris que l’espagnol utilisait un terme à la consonance. étonnante.

J’ai quand même voulu vérifier auprès du meilleur traducteur en ligne « DeepL »

Et pas de doute, l’espagnol utilise bien le mot « Jubilación »

Alors je suis bien incapable de produire l’exégèse de ce mot en espagnol.

Toutefois cette langue comme la langue française sont des langues latines.

Or l’excellent dictionnaire du CNRS nous apprend que « jubilation» vient du latin jubilaciun « chant d’allégresse » (Psautier Oxford, éd. F. Michel, p. 127 [= Psaume 88, 16])

Et à la fin du XIVème siècle on trouve :

«  « réjouissance, joie vive » (Roques t. 2, 6319 : iubilacio, cionis jubilacion. c’est chançon joieuse. grant joie). Empr. au lat.jubilatio « cris », lat. chrét. « cris, chants, retentissement d’un instrument de musique (exprimant la louange, la joie, le triomphe; Vulgate, Psaumes 88, 16 et 150, 5) », dér. de jubilare (jubiler*). »

Il me semble donc qu’il faut bien entendre ce mot comme jubilatoire.

Si un peu d’Histoire ne peut nuire, il faut rappeler que le système de retraite français est mis en place à la Libération par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui instituent la Sécurité sociale.

Les pères de cette réforme furent Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947 et Pierre Laroque , Haut fonctionnaire.

J’avais évoqué ces deux visionnaires de l’État social dans un mot du jour de 2016 en mettant en exergue une phrase d’Ambroise Croizat :

« Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »

Mais il semble que l’ancêtre de tous les régimes de retraite français est « La Caisse des Invalides de la Marine Royale ». Le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

Donc finalement, en un mot et en conclusion : Jubilation !

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Mardi 31 janvier 2023

« Il y a un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »
Marie-Anne Dujarier

Ce 31 janvier, la France va être touchée par un conflit social d’ampleur qui s’élève contre une nouvelle réforme des retraites qui va reculer l’âge minimum permettant de partir à la retraite de 62 ans à 64 ans.

Les uns, en s’appuyant sur l’exemple des pays voisins qui ont presque tous un âge officiel de retraite supérieur à 64 ans et sur l’allongement de la durée de vie considèrent cette réforme indispensable, voire insuffisante par rapport aux enjeux.

Les autres qui refusent cette réforme prétendent qu’il n’y a pas urgence à légiférer et que cette réforme est très injuste car elle fait reposer tous les efforts sur une population très ciblée.

Mais ce n’est pas des retraites que je vais parler aujourd’hui, mais de cette appétence d’un grand nombre de français dont je fais partie, qui aspirent le plus vite possible à la retraite.

Appétence qui probablement révèlent une relation contrariée avec le travail et plus précisément avec l’emploi.

Le site Atlantico donne la parole au sociologue du CNRS Philippe d’Iribarne pour évoquer <les deux clés des blocages français à côté desquelles passent les réformes>

Ces deux clés sont selon cet article :

  • L’emploi des seniors
  • La satisfaction au travail

L’emploi des seniors est souvent évoqué à propos de cette réforme, parce que les salariés de 55 ans éprouvent beaucoup de difficultés à conserver leur emploi et d’en retrouver un, lorsqu’ils se trouvent au chômage.

On parle moins de la satisfaction au travail.

Atlantico cite un ancien ministre d’Emmanuel Macron qui affirme dans l’Opinion, qu’il faudrait dire aux Français : « On a compris que vous n’êtes pas heureux au travail. Et répondre à ce mal-être plutôt que d’encourager la fuite en avant avec la réforme des retraites dans sa version actuelle. »

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d’Iribarne est l’auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Son dernier ouvrage, publié en septembre 2022, s’intitule « Le Grand Déclassement »

Il était aussi l’invité de l’émission des matins de France Culture du Lundi 23 janvier 2023 : <Retraites : la peur du travail sans fin>.

Guillaume Erner avait également invité Marie-Anne Dujarier sociologue du travail, autrice de « Troubles dans le travail, sociologie d’une catégorie de pensée » (Presses Universitaires de France, 2021).

Dans cette émission le rapport des Français au travail a été longuement développé. Rapport qui explique probablement notre relation crispée avec l’âge de la retraite.

Philippe d’Iribarne livre ce qui est, selon lui, la « vision française » du travail : « un homme digne de ce nom, vraiment libre, qui ne dépend de personne, au service de sa propre gloire en quelque sorte. Pour un Allemand, faire une tâche utile, au service de la communauté, suffit. Pour un Français, il faut des conditions exceptionnelles de travail et d’autonomie pour qu’il se sente heureux. »

Le premier point développé par Marie-Anne Dujarier qui m’a paru très pertinent est la distinction entre « travail » et « emploi » (7:08) :

« Le travail ne se limite pas à l’emploi. […] Nous avons des usages sociaux du mot travail qui ont varié dans l’Histoire. Et qui continue d’être différent selon qui parle dans la société. Nos institutions et les usages qu’en font l’État : le travail c’est essentiellement l’emploi. Ce qu’on appelle le code du travail, les politiques du travail, les statistiques du travail se référent essentiellement à l’emploi. De même quand les employeurs parlent de travail, ce qui est assez rare, ils parlent essentiellement d’emploi. […]

Pour celles et ceux qui œuvrent, qui produisent le travail a un tout autre sens puisqu’il peut, en effet, être l’emploi avec toutes les conditions liées à ce terme. C’est-à-dire la rémunération mais aussi les droits, l’accès à un système de solidarité. Mais le travail est aussi une activité qui soit sensée, qui fasse sens, qui produise des choses qu’on juge utile, belle ou simplement pertinente, dans des conditions qui permettent de développer son intelligence, ses pratiques.

Et tout cela dans des relations sociales de belle qualité. […] Savoir qui travaille et à quel moment est un objet de conflit, un objet de débat politique.

Est-ce que des tâches domestiques sont du travail ? Est-ce qu’un animal qui produit des choses utiles travaille ? Vous et moi, lorsque nous laissons des traces numériques sur le net qui enrichissent une firme étasunienne, travaillons-nous ?

Tout cela fait l’objet de décisions collectives et qui sont profondément politiques.»

Ainsi très concrètement quand j’écris un mot du jour, comme celui d’aujourd’hui est-ce du travail ?

Je ne crois pas qu’on puisse qualifier cette activité de loisir. Si ce n’est du travail, qu’est ce alors ?

Ce n’est pas un emploi : je ne suis pas rémunéré, je n’ai pas de droits sociaux, je n’ai pas non plus de contraintes ou d’obligations autres que celles que je me fixe moi-même.

Cette distinction entre l’« emploi » et le « travail » je l’avais d’abord entendu exprimer par le philosophe Bernard Stiegler qui avait écrit « L’emploi est mort, vive le travail » en 2015.

J’avais écouté avec beaucoup d’intérêt la présentation de son ouvrage qu’il avait fait lors d’une conférence qu’il avait réalisée à <l’Université Paris Ouest Nanterre> en 2016.

J’avais le projet d’en faire un mot du jour. Projet que je n’ai jamais réalisé.

Le philosophe mort en 2020, développait aussi ce concept qui m’a interpellé de « prolétarisation » qu’il définit de la manière suivante :

« La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). […] La prolétarisation transforme le travail dans son ensemble en emplois vides de tout savoir et n’appelant que des compétences définissant une « employabilité », c’est-à-dire une « adaptabilité ». Les savoir-faire aussi bien que les savoir-vivre étant passés dans les machines et les systèmes de communication et d’information avec les machines informationnelles qui les transforment en automatismes sans sujet. […] C’est cette prolétarisation qui instaure le salariat, c’est-à-dire l’emploi. [Les employés] deviennent une marchandise substituable sur le marché de l’emploi. »

Ces idées sont développées dans ce texte publié sur le site des <Rencontres Philosophies Clermontoises>.

Après cette distinction qui révèle que le travail peut être effectué dans le cadre d’un emploi ou en dehors, la question devient plus précise : Quel est le rapport des français par rapport à l’emploi ?

Guillaume Erner cite un sondage (18:49) dans lequel il apparait que la fierté d’appartenance à une entreprise diminue et aussi que le rapport au temps et à l’argent s’est inversé. Cette évolution a été observée entre 2008 et 2022. Aujourd’hui les français préfèrent gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre (61%) alors qu’à la même question ils étaient 38% de cet avis en 2008.

Je note que je fais partie des 61% puisque je renonce à une retraite pleine pour pouvoir me retirer de l’emploi plus rapidement.

Marie-Anne Dujarier analyse cette réticence devant l’emploi par deux facteurs :

« En matière d’emploi, nous sommes confrontés aujourd’hui à deux faits sociaux majeurs qui viennent à rendre l’activité dans l’emploi dégoutante ou repoussante :

Le premier fait c’est ce qu’on appelle l’anthropocène ou capitalocène, on peut lui trouver plusieurs noms. Dans nos modes de production contemporain, plus nous travaillons plus nous polluons, nous réduisons nos chances de subsistance collective. Alors pas mal d’employés et pas seulement des jeunes se disent : à quoi bon se former se subordonner si c’est pour produire des choses moches, nocives, écocides qui enrichissent ceux qui sont déjà démesurément riche. […]

Le second facteur, ce sont les modes de management contemporain. Dans les entreprises privées capitalistes, l’impatience et la gloutonnerie des actionnaires fait que ce qui compte, c’est uniquement ce qui se compte. Et cette logique financière abstraite fait que les employés ne sont que des ressources. Ils sont amenés à faire des choses pour autre chose : on ne produit pas de la nourriture pour produire de la nourriture, mais pour améliorer un score financier.

Tout ceci fait douter de l’intérêt de s’engager et de consacrer beaucoup de temps de sa vie à ces projets dont on se met à douter de la finalité et de l’intérêt du point de vue de l’activité. »

Pour Philippe d’Iribarne :

« La fierté est une chose très importante en France. On a besoin d’être fier de faire son métier, d’appartenir à son entreprise. La dégradation de la fierté est quelque chose de très grave. […] Un aspect important a été que pendant longtemps les outils pratiques de contrôle du travailleur de base par les superstructures étaient limités. L’individu en prenait et en laissait par rapport aux instructions qu’ils suivaient de manière très lâche. Il y avait une sorte de compromis tacite entre de grande affirmation de contrôle et une pratique de contrôle assez modeste. L’évolution des systèmes informatiques a permis de suivre de manière beaucoup plus étroite et à tout instant les activités de chacun. Chacun est entré dans un système de contrôle et de contrainte de manière beaucoup plus sérieuse qu’auparavant. »

Concernant le contrôle, on pourrait rétorquer que le travail à la chaîne, le taylorisme constituait un travail très contraint et très contrôlé, bien avant l’arrivée des outils informatiques.

Mais concernant les activités de service et de cadre, je pense que son analyse est particulièrement exacte.

Il évoque cependant le cas particulier d’ouvriers qui exercent une vraie activité, c’est-à-dire pour laquelle ils perçoivent immédiatement l’utilité et l’intérêt pour celles et ceux qui bénéficient de leur ouvrage. Ces ouvriers restent fiers et attachés à leur emploi. Dans l’article d’Atlantico cité, il dit :

« Attention de ne pas généraliser, une partie importante des travailleurs français sont tout à fait satisfaits de leur travail, dont ils ont le sentiment qu’il correspond bien à leurs attentes. »

Mais le sujet du management semble particulièrement problématique.

Marie-Anne Dujarier explique :

« Nous avons un management dans le privé qui a été importé dans le public sous le nom de « nouveau management public » qui […] est une conception de l’activité qui est faite par des gens qui sont assez éloignés de l’activité réelle. Ce qu’on peut appeler le management à distance, avec une méconnaissance de ce Réel assez forte qui induit que de plus en plus de femmes et d’hommes sont contraints de travailler avec des outils, des procédures, mais aussi des objectifs qui ont été conçus par d’autres, et qui orientent leur activité sur des indicateurs. Tout ceci avec des dispositifs pseudos rationnels qui face à la réalité du terrain sont toujours un peu défaillants et tout cela fondé sur un postulat de méfiance qui accroît le contrôle permanent de ces salariés, qui sont mis en concurrence, entre structures, entre pays, mais aussi entre statuts par exemple fonctionnaires et salariés.»

Et puis elle a ce développement (34 :00) qui me semble essentiel et rencontre mon vécu :

« Ce qui est intéressant c’est qu’il existe une sorte de guerre civile sur la notion de productivité comme sur celle de qualité. Vu des différents acteurs la notion de qualité ou de productivité n’est pas la même. Vous prenez un travailleur social qui doit recevoir des gens qui sont dans des difficultés multiples etc. Cela demande un entretien fin, pour pouvoir démêler les affaires de cette personne. Évidemment si cet entretien est long, vu du gestionnaire, vu d’en haut, l’entretien dure trop longtemps. Vous voyez bien que la performance n’est pas la même selon qu’on voit de haut ou qu’on le regarde dans le grain fin de l’activité.

Il y a donc un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »

J’avais un jour répliqué à un de mes directeurs : « Plus on est placé haut dans la hiérarchie, plus on peut tenir des discours et des théories brillantes et lyriques remplis de contradictions et d’incohérence, mais plus on est près des réalités et du terrain plus ces incohérences sont prégnantes et ne peuvent être mises en œuvre sans surmonter la contradiction en s’éloignant de la théorie. ».

L’envie de rester dans l’emploi dépend éminemment de la qualité de l’emploi.

Mon père est parti à la retraite à 71 ans, il était professeur de violon. Il était fier de son emploi qui le rémunérait mais aussi le nourrissait intérieurement.

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