Mardi 30 avril 2019

«On est passé de 2000 prénoms en 1945 à 13.000 aujourd’hui »
Jérôme Fourquet

Le mot du jour d’hier était consacré au livre de Jérôme Fourquet sur l’« archipelisation française », c’est-à-dire la division de la France en divers ilots de population. Une grande partie de son ouvrage a été consacrée à l’évolution des prénoms qui sont donnés. Il s’agit aussi d’un marqueur de l’évolution des segmentations.

Le point fondamental de l’étude de Jérôme Fourquet montre l’individualisation des choix. Le marqueur le plus simple et le plus évident est constitué par l’évolution du nombre de prénoms différents donnés aux enfants qui viennent de naitre au cour d’une année.

On est passé ainsi de 2 000 prénoms dans les années 60 à 13 000 aujourd’hui, une augmentation de 650 %.

Toutefois ce que beaucoup de médias ont retenu, en premier, de l’étude de Jérôme Fourquet, c’est qu’il y a désormais 18% de prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés.

La Une du Point, par exemple, considère que c’est le premier bouleversement.

Ce qui n’est objectivement pas le cas.

Le bouleversement, c’est que les familles d’origine chrétienne ne donnent plus à leur fille, prioritairement le prénom de Marie. Il y a des exceptions que je connais, mais aujourd’hui moins de 1% des filles reçoivent le nom de la mère de Jésus, 0,3% en 2015. En 1900, 20% des filles s’appelaient Marie. Le même phénomène peut être observé chez les garçons pour Jean.

C’est un signe fort de la déchristianisation qui est un développement important de l’ouvrage de Fourquet comme cela a été relaté dans le mot d’hier.

Mais plus largement, l’auteur constate que grosso modo la France a fonctionné de 1900 à 1960 avec un stock de 2 000 prénoms puis il y a eu explosion de l’inventivité, de la créativité des parents qui ont amené ce chiffre à 13 000.

Alors si on veut parler des prénoms « arabo-musulmans », il explique que si dans les années 1960, on est à moins de 1% de prénoms d’origine arabo-musulmane, on est à plus de 18 % sur les dernières années. Et lorsque que Jérôme Fourquet compare la vague migratoire actuelle avec d’autres vagues de l’Histoire de France comme celles des familles polonaises, il note une différence de pratiques :

« Les familles polonaises, pendant une génération, ont donné des prénoms polonais à leurs enfants, puis ce phénomène s’est éteint et ces familles se sont fondues dans le catalogue « commun » des prénoms. ».

Par ailleurs, il constate que ces prénoms sont particulièrement donnés par des personnes qui se rattachent à l’immigration.

Il y a eu une mode, en France, dans les années 90 de donner des prénoms anglais à des enfants de familles françaises depuis plusieurs générations, il semble qu’il n’existe pas une telle mode pour les prénoms arabo-musulmans.

Jérôme Fourquet écrit :

« On peut faire l’hypothèse, au regard des prénoms qui sont donnés, on a un processus moins rapide et beaucoup plus difficile que pour beaucoup d’autres vagues migratoires. Et en même temps on constate que toute une partie de cette immigration a pris l’ascenseur social et est aujourd’hui totalement intégrée. »

Lors d’une des émissions que j’ai écoutée, il a souligné que ces prénoms sont donnés alors même que les familles savent que ces prénoms conduisent à ce que leurs enfants soient soumis à des discriminations dans la société française.

Et il compare cette attitude avec celle des enfants issus de l’immigration asiatique qui donne très fréquemment un prénom « occidental » public à leurs enfants, alors que dans le lieu privé de la famille ils utilisent un prénom conforme aux traditions de leurs ancêtres. Tel ne semble pas être la pratique des familles musulmanes issues de l’immigration.

Mais je me souviens de ce qu’a raconté le grand violoniste « Yehudi Menuhin », sa mère l’avait prénommé « Yehudi » pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur ses origines juives, alors même qu’elle connaissait les ravages de l’antisémitisme.

Mais chez Guillaume Erner, Jérôme Fourquet avait dit :

« Ces prénoms (issus des immigrations turques, subsahariennes ou maghrébines) ne présagent en rien du degré d’intégration ou de patriotisme des personnes qui les portent ou les donnent. Rappelons que le policier qui est mort devant Charlie Hebdo s’appelle Ahmed Merabet, tout comme les trois premières victimes de Mohamed Merah étaient des parachutistes français issus de l’immigration. »

Il a dit aussi :

« Le choix d’un prénom doit permettre d’affirmer sa ressemblance avec ceux auxquels on s’identifie ou dont on souhaite se rapprocher et en même temps de marquer ses distances avec ceux dont on souhaite se distinguer. C’est un choix éminemment personnel, [avec des facteurs qui sont aussi] du registre de la transmission (ancêtres, prénoms régionaux…). »

Il n’en reste pas moins que le phénomène principal est celui de l’individualisme, de la volonté des parents de chercher à donner un prénom original, certains le voudraient unique. Parfois, ils arrivent à donner un prénom rare donné 2 ou 3 fois dans une année.

<Cet article de la Dépêche> évoque aussi l’évolution des prénoms et notamment le phénomène des « prénoms rares » que la sociologie attribue aux prénoms donnés moins de 20 fois dans une année.

Il y aussi cet article de Wikipedia qui donne le prénom le plus donné depuis 1946 par région française. Il s’arrête en 2015.

On apprend ainsi que pour toute la France et les prénoms masculins :

  • Les années 1946 à 1958 fut le règne exclusif de Jean
  • Puis de 1959 à 1966 ce fut Philippe détrôné cependant en 1965 par Thierry
  • De 2011 à 2014 ce fut Lucas et en 2015 Gabriel

Mais on constate que la prééminence d’un prénom reste le plus souvent plusieurs années de suite Christophe (1967 à 1973), Sébastien (1975 à 1979), Nicolas (1980 à 1982), Julien (1983 à 1988), Kevin (1989 à 1994) avec retour de Nicolas en 1995, puis Thomas, Lucas, Enzo et à nouveau Lucas.

Et pour les prénoms féminins :

  • Parallèlement à Jean, ce fut Marie de 1946 à 1958
  • Brigitte en 1959
  • Catherine en 1960
  • Sylvie de 1961 à 1964
  • Nathalie de 1965 à 1971
  • Sandrine de 1972 à 1973
  • Stéphanie de 1974 à 1977
  • Céline de 1978 à 1981
  • Aurélie de 1982 à 1986
  • Julie en 1987

Puis Élodie (1988 à 1990), Marine (1991), Laura (1992 à 1994), Manon (1995 à 1996), Léa (1997 à 2004), Emma (2005 à 2013), Louise (2014 à 2015).

J’avais déjà consacré un mot du jour au prénom : « Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. ». C’était le 26 octobre 2018.

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Mercredi 24 avril 2019

« La cathédrale de Strasbourg est la plus belle des cathédrales »
Pierre Nora

Certains ont été surpris par l’élan d’émotion et aussi de dons qui se sont dirigés vers Notre-Dame de Paris après son incendie. Plus qu’une Église, plus qu’un lieu de culte catholique il s’agit d’un symbole national, à la fois religieux, républicain et populaire.

Beaucoup d’émissions ont été consacrées à ce sujet.

Ainsi Hervé Gardette avait invité pour son émission du 20 avril, l’historien Nicolas Offenstadt pour parler de cette dimension symbolique : « Aux vieilles pierres la patrie reconnaissante » .

Et Ali Baddou a invité le même jour le grand historien Pierre Nora, inventeur du concept des « Lieux de Mémoire ».

L’essentiel de ses travaux a été consacré au « sentiment national » et à sa composante mémorielle.

<Cette émission> était donc particulièrement intéressante et les échanges de grande qualité et je vous invite à l’écouter.

Pour ma part, je vais aujourd’hui écrire à l’économie et ne pas tenter de faire une synthèse ou un résumé des propos échangés.

Mais taquin, je vais me concentrer sur un très court extrait dans lequel Pierre Nora a exprimé un avis qui m’a enchanté.

Tout en long de l’émission, il a souligné l’importance de Notre Dame de Paris dans le sentiment national et la symbolique qu’elle représente.

Mais après il a dit :

« Il y a des cathédrales qui sont plus belles que Notre Dame de Paris. Chartres est plus belle que Notre Dame de Paris. Et Strasbourg n’en parlons pas. Elle est la plus belle des cathédrales, avec cette dentelle de pierres, c’est extraordinaire absolument. »

Je suis évidemment d’accord avec cet avis subjectif, la plus belle c’est la cathédrale de Strasbourg.

Et c’est un lorrain qui le dit !

Il est donc très probable que c’est exact.

J’ai trouvé <cette vidéo> qui montre la cathédrale de Strasbourg filmé par un drone.

Et <Une vidéo des Racines et des ailes> et encore <Une autre>

C’est un chef d’œuvre de majesté et d’équilibre.


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mercredi 20 mars 2019

« Retour sur les arêtes de poissons »
Sujet déjà évoqué mais une page créée par le Progrès permet d’y revenir

C’était il y a un an, j’ai écrit une série d’articles sur la ville de Lyon. Le deuxième de ces mots du jour était consacré à un sujet étonnant « Les Arêtes de Poisson ».

Il s’agit de galeries creusées sous la colline de la croix rousse à Lyon, qui selon la datation scientifique remonte à l’époque romaine.

En utilisant des outils modernes de présentation, le journal « Le Progrès » a créé une page pour présenter ce mystère lyonnais : <Lyon : l’énigme sous la colline>

Il n’y a aucun élément nouveau, mais une autre manière de présenter ce mystère qui mérite d’être vue, c’est pourquoi je le partage.


<Article sans numéro>

Mardi 5 mars 2019

« Mardi gras »
C’est aujourd’hui

Nous sommes donc le jour de mardi gras, demain ce sera mercredi des cendres et commencera la période de carême.

Carême fut l’objet du mot du jour du <29 mars 2018>, il paraît juste de consacrer, une année après, un mot à mardi-gras.

Quand on fait des recherches sur mardi gras, la question qui semble la plus importante est de savoir ce qu’on mange le Mardi Gras ?

La réponse semble : des beignets et des crêpes pour utiliser les aliments « gras » (comme le beurre) qu’on ne pourra plus consommer pendant la période de Carême.

<Voici une recette de beignets de Franche-Comté> mise en ligne hier le 4 mars

A Lyon ce sont les bugnes et <Ce journal prétend disposer de la meilleure recette>

Le site l’Internaute précise que les régions ont chacun leur particularité :

« Chaque région de France a ses beignets. Ainsi à Lyon, on perpétue la tradition des bugnes depuis le XVIe siècle, en Aquitaine, on mange des Merveilles, dans les Vosges on mange des beugnots, et en Provence ce sont des oreillettes… »

Ce site nous permet d’ailleurs d’être plus savant :

« Mardi gras est le dernier jour du Carnaval. Le mot italien provient du latin « carnis levare » (« ôter la viande »). Il fait référence aux derniers repas « gras » pris avant le Carême (on parlait au XVIIIe siècle de « Dimanche gras » ou de « Lundi gras » avant Mardi gras). Autrefois, cette saison correspondait, dans une société encore majoritairement agricole, à l’une des périodes les plus critiques. En effet, en février et en mars, les paysans puisaient dans leurs dernières réserves de nourriture stockées avant ou pendant l’hiver : la facilité à stocker œufs et beurre a favorisé – au même titre que pour la Chandeleur – la tradition consistant à préparer crêpes et gaufres pendant cette période.

Des rituels païens existaient dans la période proche de mardi gras : ils annonçaient ou célébraient la renaissance de la nature (durée du jour en progression, début du dégel, puis premiers bourgeons…). C’est cette réalité qui était traduite dans le calendrier romain, où le jour de l’an était fixé au 1er mars… D’ailleurs, il a fallu attendre le XVIe siècle pour le que jour de l’an soit fixé au 1er janvier ! Avec l’avènement de la chrétienté et la mise en place de la tradition du jeûne du Carême (au IVe siècle), la fête se transforme en période d’exubérance précédant les rigueurs de l’avant-Pâques.

Au Moyen Age, le Carême correspondait à une période des plus contraignantes pour la population, privée de danse, de fête, de nourriture copieuse, de sexe et de plaisir, relevait l’historien des religions Odon Vallet sur France 2 en 2014. Avant que cette période ne commence, la fête du Mardi gras et son carnaval permettaient notamment d’élire un « pape des fous » et d’inverser l’ordre du monde rationnel en même temps que l’ordre social (les riches pouvaient se déguiser en pauvres, les hommes en femmes…).

La dualité de la période est illustrée par le tableau « Le combat de Carnaval et de Carême »de Bruegel (1559). Sur une place marchande se mesurent deux chars. Le premier est paré : un homme ventripotent enjambe un tonneau, entouré de personnages absurdes et de musiciens. Sur l’autre char, une vieille femme, tractée par des moines et des nonnes. Sur une planche en bois, on remarque des poissons, symboles du Carême (période où l’on s’abstient de viande, hors produits de la mer). Côté auberge (Carnaval), on joue au dé et on se gave de gaufres ; côté église (Carême), les personnages voilés se prosternent… »


Et à Périgueux, le journal Sud-Ouest nous apprend que la fête sera celle de « Pétassou » le roi carnaval,

Aujourd’hui il me semble qu’il y a plus de gens qui fêtent mardi gras que de personnes qui suivent la rigueur de carême.

C’est une erreur du point de vue de la santé, jeûner est bien meilleur que faire bombance.

Mardi gras tombe cette année le 5 mars 2019, et les années suivantes ce sera :

    • Le 25 février 2020
    • Le16 février 2021
    • Le 1 mars 2022

Ce qui signifie qu’en 2021, Pâques tombera très tôt dans l’année…

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Lundi 4 mars 2019

« La causalité diabolique »
Léon Poliakov

J’avais pensé clore cette série sur l’antisémitisme en parlant de l’État d’Israël, de sa création, de ses relations avec ses voisins, avec les palestiniens, l’Occident, les Etats-Unis, l’Allemagne, la Grande Bretagne, la France et de sa politique actuelle. Mais je ne suis pas encore prêt à écrire sur ce sujet.

Je vais donc finir cette série par un livre, un livre de Léon Poliakov.

J’avais lu son remarquable « Bréviaire de la Haine » qui portait pour sous-titre « Le 3ème Reich et les juifs ».

C’est Jean-Louis Bourlanges qui, dans le « Nouvel Esprit Public» de Philippe Meyer qu’il est possible d’écouter en podcast, a parlé de cet autre ouvrage de Poliakov : « La causalité diabolique »

Léon Poliakov est né en 1910 dans une famille de la bourgeoisie juive russe, à Saint Pétersbourg. Son père, propriétaire d’une maison d’édition, a nommé son fils en hommage à Léon Tolstoï, mort quelques jours avant sa naissance. En 1920, la famille émigre en France pour fuir la révolution bolchévique ; le père y fonde une nouvelle maison d’édition qui prospère.

Pendant la seconde guerre mondiale, Léon Poliakov s’engagera dans l’armée française avant de s’engager dans la résistance.

En 1943, il participe à la fondation du « Centre de documentation juive contemporaine » qui se voue à recueillir les preuves documentaires de la Shoah. Il réussit à prendre possession des archives du Commissariat général aux questions juives, des archives de l’ambassade d’Allemagne à Paris, de l’état-major, et surtout du service anti-juif de la Gestapo, ce qui lui vaut, après la victoire alliée, d’assister en tant qu’expert Edgar Faure, le chef de la délégation française au Procès de Nuremberg.

Il est naturalisé français en 1947 et publie en 1951 « le Bréviaire de la haine », dans la collection de Raymond Aron, livre qui sera la première grande étude consacrée à la politique d’extermination des Juifs menée par les nazis.

Il devient par la suite un spécialiste de l’Histoire de l’antisémitisme à laquelle il consacrera la plus grande partie de ses études.

Il meurt en 1997.

Ces précisions biographiques sont issues de Wikipedia.

Le livre « La causalité diabolique » est paru en deux tomes aux éditions Calmann-Lévy, le premier en 1980, le second en 1985. Il est aujourd’hui réédité en seul volume.

Le premier plonge dans les racines du phénomène du bouc émissaire, il a pour sous-titre « Essai sur l’origine des persécutions ». Poliakov étudie bien sûr le destin des juifs dans leur rôle de bouc émissaire dans l’histoire de l’Europe, en tant que fauteurs d’épidémies, de guerres, de révolutions et autres désastres. Mais il étudie aussi d’autres groupes persécutés : Les jésuites et la papauté pendant la Révolution anglaise, la cour et les aristocrates, les francs-maçons et les philosophes lors de la Révolution française.

Le second est consacré à la patrie de ses origines : La Russie du joug mongol à la victoire de Lénine. Il remonte aux origines de l’histoire russe, marquée par une rupture entre le peuple et le pouvoir civil et religieux, et analyse la manière dont cette coupure a pu favoriser au cours des siècles l’idée que le « complot » expliquait tous les conflits. Cette idée connaît son apogée avec d’une part le « complot impérialiste » dénoncé par Lénine et, d’autre part, la « conspiration juive », responsable aux yeux des Blancs de la victoire bolchevique.

L’émission du Nouvel Esprit public évoquée précédemment était celle du 24 février. Elle traitait de deux sujets dont l’un était : <Face à la haine antisémite>

Et selon Jean-Louis Bourlanges, la mondialisation réactive la thèse de Poliakov sur la causalité diabolique : comme on ne comprend rien à ce qui nous arrive, qu’on ne voit pas de responsables, on prend un bouc émissaire. Et les Juifs, à cause du fantasme sur l’argent, du caractère transnational lié à la diaspora, font un bouc émissaire idéal. C’est là que se trouve un lien entre l’antisémitisme traditionnel, qu’on croyait éteint, et quelque chose de plus diffus dont l’extrémisme est l’antisémitisme de l’ultra-islamisme.

Léon Poliakov au début de son ouvrage explique :

« La croyance dans l’action des démons se trouve à la racine de notre concept de causalité. »

Tout récemment le Pape pour expliquer la pédophilie dans l’Eglise Catholique a d’ailleurs évoqué le rôle de Satan, preuve que l’action des démons est encore une réalité pour certains.

Vous pouvez lire la préface de Pierre-André Taguieff à la dernière édition <derrière ce lien> :

« Historien certes, mais aussi anthropologue, et psychologue, et politologue, cet esprit toujours en éveil cherchait dans tout l’espace des sciences sociales et chez les philosophes de quoi éclairer ses recherches et nourrir ses réflexions sur cette « animosité haineuse » à l’égard des Juifs.

[…] Léon Poliakov fut un savant modeste et un penseur exigeant. Un maître aussi, un initiateur, un incitateur, un éveilleur. Avec un intarissable humour, et une ironie légère, qu’il pratiquait d’abord envers lui-même. Cet érudit aux intuitions fortes se montrait soucieux de rester lisible alors même qu’il s’engageait dans des analyses subtiles. […]

Avec la publication, en 1980, du premier tome de La Causalité diabolique, Poliakov s’engage dans un champ de recherches dont l’objet principal est l’étude historique des mythes politiques modernes (parmi lesquels celui du « complot mondial » retient particulièrement son attention), tout en s’interrogeant en anthropologue et en psychologue, voire en philosophe, sur les fondements et les fonctions des croyances aux complots sataniques, croyances dont l’efficacité symbolique est attestée notamment par les dictatures totalitaires du XXe siècle. […]

Pour l’essentiel, ce que Poliakov appelle l’antisémitisme ou, d’une façon moins inappropriée, la judéophobie, renvoyant par là à « toutes les formes d’hostilité envers le groupe minoritaire des Juifs, à travers l’histoire », se réduit à une haine, la haine antijuive. Mais cette haine aux multiples figures ne se réduit pas elle-même aux affects irrationnels d’une passion, d’une quelconque passion négative, d’une « passion malsaine » à laquelle on opposerait paresseusement « la raison », elle se nourrit de représentations, elle est structurée par des mécanismes spécifiques, elle a des conditions historiques et culturelles d’existence (de virtualisation comme d’actualisation), elle paraît être nourrie par des abstractions et régie par des « raisons ».

Raymond Aron a excellemment soulevé la question : « Le phénomène décisif ce sont les haines abstraites, les haines de quelque chose que l’on ne connaît pas et sur quoi on projette toutes les réserves de haine que les hommes semblent porter au fond d’eux-mêmes.»

Les Juifs sont haïs non pas pour ce qu’ils font, ni même pour ce qu’ils sont réellement dans leur diversité, mais pour ce que les judéophobes croient qu’ils sont. Les Juifs sont essentialisés, réinventés comme les représentants d’une entité mythique, à travers un discours judéophobe qui se caractérise par sa longue durée et sa haute intensité. La logique de la haine antijuive est celle de la diabolisation du Juif qui, précise Poliakov, « n’apparaît qu’avec le christianisme », et qu’on « voit poindre dans l’Évangile selon Jean ». Mais les représentations diabolisantes ne sont pas restées confinées dans l’espace théologico-religieux, elles sont entrées en syncrétisme avec les évidences premières du racisme, invention de l’Europe moderne.

C’est pourquoi le discours antijuif porté par une haine idéologisée a semblé même dériver, dans le monde moderne où règne un rationalisme suspicieux, de « la Raison » traitée comme une idole. Les admirateurs inconditionnels de la « philosophie des Lumières », s’ils prennent la peine de lire le troisième tome (« De Voltaire à Wagner ») de l’Histoire de l’antisémitisme, paru en 1968, ne peuvent que nuancer leurs jugements sur des penseurs comme Voltaire ou le baron d’Holbach, qui ont reformulé l’antijudaïsme dans le code culturel « progressiste » de la lutte contre les préjugés et les superstitions […]

Poliakov insistait pédagogiquement sur la distinction analytique entre bestialisation et diabolisation. Si, dans l’Évangile de Jean et l’Apocalypse, les Juifs sont « explicitement « satanisés » », le racisme « ne se développe qu’au début des temps modernes dans la foulée des grandes découvertes et il correspond surtout à une bestialisation ». Les catégorisations négatives de l’altérité oscillent entre l’infériorisation de l’autre qui, animalisé ou bestialisé, devient objet de mépris ou de répulsion (sauvages, barbares, « non évolués », étrangers, « monstres », femmes, etc.), et la démonisation terrifiante de l’autre par son assimilation au diable ou à un démon, objet de crainte et de haine, avec lequel se construit la figure de l’ennemi absolu, contre lequel tout est permis, y compris l’extermination. […]

Poliakov soutient la thèse que, dans la modernité, le destin de la haine antijuive est lié, d’une part, au développement de la science, avec son inévitable rejeton, le « scientisme », puissant mode de légitimation de toute « mise à l’écart » des populations jugées « indésirables », et, d’autre part, à certaines « idées généreuses » qui ont mal tourné, liées au « progressisme » politique, comme en témoigne un certain « antiracisme » contemporain, par lequel se légitime l’antisionisme radical ou absolu, celui qui prône la destruction d’Israël comme « État raciste » tout en procès, de ranimer de sourdes animosités, si même le rappel des torts causés aux Juifs ne contribue pas à entretenir un climat qui un jour pourrait faire surgir, ce qu’à Dieu ne plaise, des menaces nouvelles ?»

<1204>

Mercredi 27 février 2019

«Quand vous entendez dire du mal du juif, tendez l’oreille, on parle de vous !»
Frantz Fanon

C’est dans l’article du journal <Le Monde> cité hier que Delphine Horvilleur a écrit :

« Cette haine qui veut « faire la peau » même aux morts raconte qu’elle ne s’arrêtera pas aux juifs qu’elle vise toujours d’abord.

Elle agit, comme toujours, en précurseur d’une haine généralisée, qui frappe le juif sous la forme d’une répétition générale.

« Quand vous entendez dire du mal du juif, disait Frantz Fanon, tendez l’oreille, on parle de vous ! » »

Par hasard, j’ai lu un autre article dans <Libération> parlant de Frantz Fanon :

« Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a décidé de «surseoir» à la proposition de nommer une ruelle d’un des nouveaux quartiers de la ville du nom de Frantz Fanon (grande figure anticolonialiste). «Aujourd’hui, le choix du nom de Frantz Fanon suscite des incompréhensions, des polémiques, des oppositions que je peux comprendre. Dans un souci d’apaisement, j’ai donc décidé de surseoir à cette proposition», »

Frantz Fanon est mort à 36 ans d’une leucémie. Mais dans son existence brève il fut psychiatre, écrivain et une figure emblématique du tiers-mondisme .

Je tire de ce site : <Ile en ile> des éléments de biographie :

Il est né en 1925 à Fort-de-France en Martinique. Il reçoit son éducation secondaire au lycée Schoelcher où Aimé Césaire l’influencera. Fanon deviendra un penseur-phare du Tiers-mondialisme et de l’anti-colonialisme.

En 1943, Fanon rejoint les forces françaises libres à la Dominique. Luttant côte à côte avec les « tirailleurs sénégalais », il est décidé à libérer la mère-patrie du nazisme. À ses amis qui lui disent que cette guerre n’est pas la leur, Fanon répond :

« Chaque fois que la dignité et la liberté de l’homme sont en question, nous sommes concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes, et chaque fois qu’elles seront menacées en quelque lieu que ce soit, je m’engagerai sans retour ».

Son idéalisme prend alors une tournure marquante car la seconde guerre mondiale révèle au descendant d’esclaves que la France qui leur avait inculqué un sens du patriotisme tricolore, avait également instillé dans l’esprit martiniquais et guadeloupéen un complexe de supériorité par rapport aux Africains. La condescendance pour d’autres frères soldats d’Afrique, la différenciation sentie chaque jour entre troupes françaises et celles des colonies, la hiérarchie dans l’armée et les administrations mettent Fanon mal à l’aise. Ces années de guerre l’engageront sur la double piste d’une libération mentale et physique.

Fanon entame des études de médecine à Lyon, loin de Paris, parce que, plaisantait-il, « il y a trop de nègres à Paris » .

La médecine – aussi bien que des cours de philosophie et de psychiatrie – lui permet de voir plus clair dans le processus complexe de la colonisation et dans la désubjectivation du colonisé. La médecine est une porte qui conduit Fanon vers la psychologie en milieu colonial, c’est-à-dire une branche de la psychologie qui prend en compte l’univers de la violence et l’aliénation du colonisé. […] En Algérie, Fanon fera adapter de nouvelles structures, la sociothérapie (la guérison par des pratiques sociales) et l’ergothérapie (la guérison par la pratique de métiers) et introduira des données spécifiquement « postcoloniales ». Préoccupé par le racisme qu’il affronte dans la vie quotidienne, il publie « Peau noire, masques blancs » en 1952, sa thèse de doctorat en psychiatrie.

[…]

Responsable de l’hôpital psychiatrique à Blida de 1953 jusqu’à 1956, Fanon soigne de jour les blessés parmi les soldats français, de nuit plutôt les victimes de l’oppression coloniale. Il s’engage dans le politique car, comme il l’écrira dans sa lettre de démission, il y a un lien entre la psychose et l’aliénation colonialiste :

« La folie est l’un des moyens de l’homme de perdre sa liberté. […] Si la psychiatrie est une technique médicale qui se propose de permettre à l’homme de ne plus être étranger à son environnement, je me dois d’affirmer que l’Arabe, aliéné permanent dans son pays, vit dans un état de dépersonnalisation absolue ».

Deux ans après le déclenchement de la guerre de libération, Fanon démissionne de son poste à Blida.

Il sera expulsé d’Algérie en 1957 par les autorités françaises et s’installera à Tunis, où il rejoint le Gouvernement provisoire de la République algérienne. Il devient membre de rédaction d’El Moudjahid, organe important du FLN (le Front de libération nationale) et en 1959, fait partie de la délégation algérienne au Congrès pan-africain d’Accra. En mars 1960, Fanon est nommé ambassadeur de l’Algérie au Ghana et assume un rôle diplomatique. Il publie « L’An V de la révolution algérienne » en 1959 et « Les Damnés de la terre » en 1961.

<Wikipedia> lui consacre un long article.

Il est notamment question d’une rencontre mémorable avec Jean-Paul Sartre :

« Dès ses premiers écrits, Fanon ne cesse de se référer au philosophe Jean-Paul Sartre (notamment à Réflexions sur la question juive, Orphée noir, et L’Être et le Néant). À la publication de la Critique de la raison dialectique (1960), il se fait envoyer une copie de l’ouvrage et il parvient à le lire malgré son état de faiblesse provoqué par sa leucémie. Il fait même une conférence sur la Critique de la raison dialectique aux combattants algériens de l’Armée de libération nationale.

C’est en 1960 qu’il demande à Claude Lanzmann et Marcel Péju, venus à Tunis pour parler au dirigeant du GPRA, de rencontrer le philosophe. Il veut également que Sartre préface son dernier ouvrage, Les Damnés de la Terre. Ainsi écrit-il à l’éditeur François Maspéro : « Demandez à Sartre de me préfacer. Dites-lui que chaque fois que je me mets à ma table, je pense à lui »15.

La rencontre a lieu à Rome, pendant l’été 1961. Sartre interrompt son strict régime de travail pour passer trois jours entiers à parler avec Fanon. Comme le raconte Claude Lanzmann, « pendant trois jours, Sartre n’a pas travaillé. Nous avons écouté Fanon pendant trois jours. […] Ce furent trois journées éreintantes, physiquement et émotionnellement. Je n’ai jamais vu Sartre aussi séduit et bouleversé par un homme ». L’admiration est réciproque, comme le rapporte Simone de Beauvoir : « Fanon avait énormément de choses à dire à Sartre et de questions à lui poser. « Je paierais vingt mille francs par jour pour parler avec Sartre du matin au soir pendant quinze jours », dit-il en riant à Lanzmann » ».

Atteint d’une leucémie, il se fait soigner à Moscou, puis, en octobre 1961, à Bethesda près de Washington, où il meurt le 6 décembre 1961 à l’âge de 36 ans, quelques mois avant l’indépendance algérienne, sous le nom d’Ibrahim Omar Fanon. Dans une lettre laissée à ses amis, il demandera à être inhumé en Algérie. Son corps est transféré à Tunis, et sera transporté par une délégation du GPRA à la frontière. Son corps sera inhumé par Chadli Bendjedid, futur président algérien, dans le cimetière de Sifana près de Sidi Trad, du côté algérien. Avec lui, sont inhumés trois de ses ouvrages : Peau noire et masques blancs, La cinquième année de la révolution algérienne et Les Damnés de la terre. Sa dépouille sera transférée en 1965, et inhumée au cimetière des « Chouhadas » (cimetière des martyrs de la guerre) près de la frontière algéro-tunisienne, dans la commune d’Aïn Kerma (wilaya d’El-Tarf).

On apprend qu’il a eu deux enfants, un garçon et une fille Mireille, qui épousera Bernard Mendès France, fils de Pierre Mendès France.

Wikipedia parle de : « L’amnésie française et la reconnaissance tardive »

« Selon sa biographe, Alice Cherki, Fanon devient en France, « le pays pour lequel la guerre d’Algérie n’a pas eu lieu », « un philosophe maudit ». Il est occulté pour sa condamnation radicale du colonialisme français : « En redonnant à la colonie son rôle dans la construction de la nation, de l’identité nationale et de la république française, Fanon fait apparaître comment la notion de « race » n’est pas extérieure au corps républicain et comment elle le hante ». En dévoilant le clivage racial au fondement du système colonial, Fanon gêne le républicanisme d’une France qui se dit indifférente aux différences mais qui, dans son propre empire colonial, a dénié des droits à des populations au motif de leur « race » dite inférieure.

La reconnaissance de Frantz Fanon en France fut tardive. Fort de France possède désormais une avenue à son nom bien que la proposition qu’en avait faite son maire, Aimé Césaire, en 1965 eût été rejetée pendant des années. Il faut attendre 1982 pour que s’organise, sous l’impulsion de Marcel Manville, un mémorial international (colloque) en son honneur en Martinique. Peu à peu, plusieurs hommages lui sont rendus dans son île natale. Le lycée de La Trinité est baptisé en son honneur, la ville de Rivière-Pilote lui consacre une avenue et une bibliothèque. En France métropolitaine toutefois, s’il existe de nombreuses rues portant ce nom, David Macey signale n’avoir trouvé aucune avenue Frantz Fanon. En Algérie, dès 1963, une avenue Frantz Fanon est inaugurée à Alger. La reconnaissance dépasse désormais ces deux pays et la mémoire de Frantz Fanon est honorée dans de nombreux pays (Italie, Nigeria, États-Unis) où des centres de recherche ont été baptisés à sa mémoire. »

Une personnalité pleine de profondeur, d’intelligence et d’humanité. Et c’est un homme qui a compris que dans une société lorsqu’on commençait à se prendre aux juifs, les autres minorités devaient se méfier car cette société était en train de se déliter et d’entrer dans des heures sombres. C’est une autre façon de parler du canari des mineurs évoqué par Delphine Horvilleur.

Un chroniqueur du Monde Afrique, Abdourahman Waberi, lui a consacré un article, en février 2017, « Frantz Fanon, toujours vivant »

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Mardi 19 février 2019

« Repos »
Un jour sans mot du jour

Comme je l’avais annoncé lors du mot du jour du 28 janvier 2019 il peut arriver que je n’aie pas eu le temps de finaliser un mot du jour. C’est le cas aujourd’hui.

Mais si voulez quand même de la lecture, je vous propose le mot du jour écrit pour le 19 février….mais de l’année 2014

[Notre chant national] reçut des circonstances où il jaillit
un caractère particulier qui le rend à la fois plus solennel et plus sinistre : la gloire et le crime,
la victoire et la mort semblent entrelacés dans ses refrains.
Il fut le chant du patriotisme, mais il fut aussi l’imprécation de la fureur.
Il conduisit nos soldats à la frontière, mais il accompagna nos victimes à l’échafaud.
Le même fer défend le cœur du pays dans la main du soldat, et égorge les victimes dans la main du bourreau.
Lamartine

Cité par Philippe Meyer dans sa chronique du 06/02/2014 et publié sur le site de l’Assemblée Nationale avec d’autres commentaires de la marseillaise <ICI>

La marseillaise est un sujet de controverse pour les français, les uns ne veulent pas qu’on y touche, les autres veulent qu’on la remplace car trop guerrière.

Lamartine dans sa langue merveilleuse, en raconte toute la complexité. Voici ce texte dans son intégralité :

La naissance de La Marseillaise évoquée à la veille de la révolution de 1848.

Tout se préparait dans les départements pour envoyer à Paris les vingt mille hommes décrétés par l’Assemblée. Les Marseillais, appelés par Barbaroux sur les instances de Mme Roland, s’approchaient de la capitale. C’était le feu des âmes du Midi venant raviver à Paris le foyer révolutionnaire, trop languissant au gré des Girondins. Ce corps de douze ou quinze cents hommes était composé de Génois, de Liguriens, de Corses, de Piémontais expatriés, et recrutés pour un coup de main décisif sur toutes les rives de la Méditerranée; la plupart matelots ou soldats aguerris au feu, quelques-uns scélérats aguerris au crime. Ils étaient commandés par des jeunes gens de Marseille amis de Barbaroux et d’Isnard. Fanatisés par le soleil et par l’éloquence des clubs provençaux, ils s’avançaient aux applaudissements des populations du centre de la France, reçus, fêtés, enivrés d’enthousiasme et de vin dans des banquets patriotiques qui se succédaient sur leur passage. Le prétexte de leur marche était de fraterniser, à la prochaine fédération du 14 juillet, avec les autres fédérés du royaume. Le motif secret était d’intimider la garde nationale de Paris, de retremper l’énergie des faubourgs, et d’être l’avant-garde de ce camp de vingt mille hommes que les Girondins avaient fait voter à l’Assemblée pour dominer à la fois les Feuillants, les Jacobins, le roi et l’Assemblée elle-même, avec une armée des départements toute composée de leurs créatures.

La mer du peuple bouillonnait à leur approche. Les gardes nationales, les fédérés, les sociétés populaires, les enfants, les femmes, toute cette partie des populations qui vit des émotions de la rue et qui court à tous les spectacles publics, volaient à la rencontre des Marseillais. Leurs figures hâlées, leurs physionomies martiales, leurs yeux de feu, leurs uniformes couverts de la poussière des routes, leur coiffure phrygienne, leurs armes bizarres, les canons qu’ils traînaient à leur suite, les branches de verdure dont ils ombrageaient leurs bonnets rouges, leurs langages étrangers mêlés de jurements et accentués de gestes féroces, tout cela frappait vivement l’imagination de la multitude. L’idée révolutionnaire semblait s’être faite homme et marcher, sous la figure de cette horde, à l’assaut des derniers débris de la royauté. Ils entraient dans les villes et dans les villages sous des arcs de triomphe. Ils chantaient en marchant des strophes terribles. Ces couplets, alternés par le bruit régulier de leurs pas sur les routes et par le son des tambours, ressemblaient aux chœurs de la patrie et de la guerre répondant, à intervalles égaux, au cliquetis des armes et aux instruments de mort dans une marche aux combats. Voici ce chant, gravé dans l’âme de la France.

Ces paroles étaient chantées sur des notes tour à tour graves et aiguës, qui semblaient gronder dans la poitrine avec les frémissements sourds de la colère nationale, puis avec la joie de la victoire. Elles avaient quelque chose de solennel comme la mort, de serein comme l’immortelle confiance du patriotisme. On eût dit un écho retrouvé des Thermopyles. C’était de l’héroïsme chanté.

On y entendait le pas cadencé de milliers d’hommes marchant ensemble à la défense des frontières sur le sol retentissant de la patrie, la voix plaintive des femmes, les vagissements des enfants, les hennissements des chevaux, le sifflement des flammes de l’incendie dévorant les palais et les chaumières; puis les coups sourds de la vengeance frappant et refrappant avec la hache et immolant les ennemis du peuple et les profanateurs du sol. Les notes de cet air ruisselaient comme un drapeau trempé de sang encore chaud sur un champ de bataille. Elles faisaient frémir; mais le frémissement qui courait avec ses vibrations sur le cœur était intrépide. Elles donnaient l’élan, elles doublaient les forces, elles voilaient la mort. C’était l’eau de feu de la Révolution, qui distillait dans les sens et dans l’âme du peuple l’ivresse du combat.

Tous les peuples entendent à de certains moments jaillir ainsi leur âme nationale dans des accents que personne n’a écrits et que tout le monde chante. Tous les sens veulent porter leur tribut au patriotisme et s’encourager mutuellement. Le pied marche, le geste anime, la voix enivre l’oreille, l’oreille remue le cœur. L’homme tout entier se monte comme un instrument d’enthousiasme. L’art devient saint, la danse héroïque, la musique martiale, la poésie populaire. L’hymne qui s’élance à ce moment de toutes les bouches ne périt plus. On ne le profane pas dans les occasions vulgaires. Semblable à ces drapeaux sacrés suspendus aux voûtes des temples et qu’on n’en sort qu’à certains jours, on garde le chant national comme une arme extrême pour les grandes nécessités de la patrie. Le nôtre reçut des circonstances où il jaillit un caractère particulier qui le rend à la fois plus solennel et plus sinistre : la gloire et le crime, la victoire et la mort semblent entrelacés dans ses refrains. Il fut le chant du patriotisme, mais il fut aussi l’imprécation de la fureur. Il conduisit nos soldats à la frontière, mais il accompagna nos victimes à l’échafaud. Le même fer défend le cœur du pays dans la main du soldat, et égorge les victimes dans la main du bourreau.

La Marseillaise conserve un retentissement de chant de gloire et de cri de mort; glorieuse comme l’un, funèbre comme l’autre, elle rassure la patrie et fait pâlir les citoyens.

Alphonse de Lamartine (Histoire des Girondins, Furne et Cie – Coquebert, 1847, p. 408-414.)

<Mot sans numéro>

Lundi 18 février 2019

« la culture de la peur au 21° siècle »
Frank Furedi

Brice Couturier écrit et publie sur « France Culture » une chronique : « Le tour du monde des idées » dans laquelle il s’éloigne de la presse hexagonale ainsi que des livres français pour s’ouvrir à ce qui s’écrit et se dit ailleurs.

Il a consacré sa chronique du 12 février 2019 à la « culture de la peur », le « catastrophisme ambiant » qui nous paralyse <Contre la « culture de la peur », retrouver le courage d’oser>

Il a commencé sa chronique par cette célèbre formule du président Franklin Roosevelt : « La seule chose dont nous pouvons avoir peur, c’est de la peur elle-même ». Il a dit cela en 1932 en pleine crise économique et sociale, dans une situation désespérante et contre laquelle il allait lancer son New Deal qui a d’ailleurs consisté, rappelons-le, à augmenter beaucoup les impôts des plus riches.

Brice Couturier en appelle à un sociologue hongrois pour fustiger le manque de courage actuel :

« C’est de l’absence d’un tel courage, d’une semblable hardiesse, que nous crevons aujourd’hui, d’après le sociologue Frank Furedi. Furedi, né hongrois, est devenu l’une des figures de la vie intellectuelle britannique. Il vient de publier un livre intitulé «How fear Works : Culture of Fear in the 21th Century ». Comment fonctionne la peur, la culture de la peur au 21° siècle. Furedi relatait récemment un fait divers, à ses yeux très révélateur de cette « culture de la peur ».

Dans le Surrey, un groupe d’agents de police assiste à un grave accident : une camionnette, après avoir dérapé, tombe dans la Tamise. Premier réflexe des policiers : tomber leur veste d’uniforme pour aller au secours du malheureux conducteur. Leur chef, un inspecteur nommé Gary Cross, le leur interdit. « Vous n’avez pas reçu l’entraînement nécessaire pour ce genre d’intervention dans le cadre de vos fonctions », explique-t-il. Quelles étranges sociétés sont devenues les nôtres pour qu’il soit interdit à des agents de police de céder à l’impulsion spontanée qui pousse tout être humain à se jeter au secours d’un semblable en train de se noyer… s’il n’a pas reçu un entraînement spécial, certifié par un document officiel. « L’esprit de courage, écrit Frank Furedi, est miné par la notion de gestion de risque. » C’est la peur du risque qui nous paralyse. La leçon de Roosevelt s’est perdue. »

Je me souviens que dans nos services, on n’a pas le droit de remplacer une ampoule électrique si on ne dispose pas de la formation et du diplôme adéquat. Il existe d’autres balivernes de ce genre pour utiliser une échelle ou un escabeau.

Et il ajoute :

« Autre exemple donné par Furedi : lors de l’attentat islamiste du 22 mai 2017 à l’Arena de Manchester, qui a fait 23 morts et 116 blessés, les pompiers sont arrivés sur les lieux avec deux heures de retard. Afin de respecter leurs procédures de sécurité…. Mais si les forces dont la mission est précisément de protéger les citoyens sont elles-mêmes tétanisées par des protocoles saugrenus et des précautions handicapantes, comment s’attendre à ce que le public, lui, fasse preuve de civisme et de courage ? »

La « gestion du risque », le « principe de précaution » sont alors des amplificateurs de nos angoisses et de nos peurs :

« L’obsession de la sécurité – en langage de technocrates, la « gestion du risque » – est devenue l’une des pathologies de notre époque. Paralysés par des anxiétés de toute sorte, nous n’osons plus oser. Une sorte « d’apocalypticisme », néologisme forgé par Gavin Jacobson, affaiblit nos sociétés.

Curieuse évolution de l’esprit du temps, dira-t-on. En moins d’un quart de siècle, les Occidentaux, si versatiles, sont passés de l’arrogance – notre modèle de société est tellement abouti qu’il va s’imposer au reste de l’humanité – à un catastrophisme tout aussi irrationnel. Du coup, l’optimisme progressiste, hérité de nos Lumières, a cédé la place à une fascination de la catastrophe, que nourrit, en particulier, une forme d’écologisme apocalyptique. Ceux qui prétendent qu’il est déjà trop tard pour que la planète demeure habitable entretiennent un sentiment d’impuissance et de paralysie.

En outre, ajoute Furedi, cette « culture de la peur » cherche à culpabiliser les gens pour mieux les assujettir. Se drapant dans l’autorité de la science, et sur le mode vertueux du bien et du mal, les autorités multiplient les interdits. »

Et il cite un nouvel ouvrage de Steven Pinker qui avait déjà fait l’objet d’un mot du jour, pour son livre précédent : « La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin ». C’était le 21 novembre 2017.

Steven Pinker qui donne des arguments pour montrer que cette peur et ce pessimisme apparait irrationnel.

« C’est précisément contre ce pessimisme, facteur de paralysie qu’écrit Steven Pinker, le professeur de psychologie-star de Harvard.

Oui, j’avais déjà parlé ici de son livre « Enlightenment Now », bien avant qu’il ne soit traduit en français. C’est chose faite, grâce aux Editions des Arènes, sous le titre « Le triomphe des Lumières. Sous-titre : pourquoi il faut défendre la raison, la science et l’humanisme ». Enorme best-seller aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons. Mérite de le devenir en France, pays ravagé – plus que d’autres, par le catastrophisme et la peur…

Pinker avait pris l’habitude de commencer ses conférences en distribuant à leurs participants des questionnaires comportant des questions, comportant trois réponses possibles. Exemple : A combien estimez-vous l’évolution du nombre de morts survenues, chaque année, du fait de désastres naturels au cours des cent dernières années ? Réponse A) Elles on plus que doublé, B) Leur nombre est demeuré globalement stable, C) Une baisse d’environ la moitié. Ou encore : A quel pourcentage estimez-vous le nombre d’enfants vaccinés contre les principales maladies dans le monde entier A) 20 %, B) 50 % ; C) 80 %. Et enfin : Au cours des vingt dernières années, diriez-vous que la proportion des personnes vivant en situation d’extrême pauvreté dans le monde A) a presque doublé, B) est restée à peu près stable, C) a été réduite de moitié.

Dans tous les cas, c’est la réponse C qui est la bonne. Les résultats récoltés par Pinker étaient, chaque fois, plus éloignés de la vérité que si les gens avaient répondu au hasard. »

Brice Couturier comme Steven Pinker sont des optimistes qui continuent à croire dans le progrès et l’évolution positive de l’humanité.

Il faut entendre aussi ces voix qui se fondent d’ailleurs sur des réalités qui montrent de grands progrès par rapport à hier.

Je m’étais fait l’écho de ce livre de Michel Serres : « C’était mieux avant » et dont le contenu contredisait absolument le titre, pour Michel Serres ce n’était pas mieux avant.

Mais le vieux sage a ajouté dans un entretien postérieur : « Cependant rien ne dit que demain ne sera pas pire »

Et dans une synthèse il dira : « Le monde de demain sera autre. Il sera et meilleur et pire. Il sera ce que nous en ferons »

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Lundi 17 décembre 2018

« Strasbourg »
Une ville chère à mon cœur et à celui d’Annie, une ville aujourd’hui meurtrie

Strasbourg est une de ces villes qui a une âme. Je l’ai rencontrée au sortir du bac pour commencer mes études supérieures dans cette grande ville de l’est de la France.

Mes études dans les classes préparatoires aux grandes écoles au Lycée Kléber, se sont mal passées et ont fini par un échec.

Mais j’ai toujours continué à aimer cette ville.

Annie est venue aussi faire des études à Strasbourg, un an avant et elles se sont terminées, après mon départ, par un succès.

Chaque fois que nous y retournons, nous sommes heureux, émus et émerveillés par la beauté de cette ville.

Les Romains sont arrivés en Alsace en 58 av. J.-C. C’est sous la direction de Jules César que les romains sont intervenus en Gaule, à partir de cette date en 58 avant JC.

Cette intervention qui sera couronnée par la bataille décisive de la guerre des Gaules en 52 av. JC, le siège d’Alésia qui voit la défaite d’une coalition de peuples gaulois menée par Vercingétorix face à l’armée romaine de Jules César..

Finalement Wikipédia, nous apprend que le frère de Tibère, deuxième empereur romain après Auguste le fils adoptif de César, Nero Claudius Drusus fait construire sur le site de Strasbourg en 12 avant JC sur l’emplacement d’une forteresse gauloise, une ville qui s’appellera Argentoratum.

En l’appelant ainsi les romains n’ont fait que latiniser le nom celte de la forteresse gauloise Argentorate.

Rappelons que Strasbourg se trouve sur la rive gauche du Rhin, fleuve qui a souvent joué le rôle de frontière.

Lors de l’expansion de l’empire romain qui s’est étendu à la Germanie au IIe et IIIe siècles, Argentoratum va servir de base de repli pour les troupes romaines installées en Germanie. Mais en 260, les légions quittent définitivement la Germanie et Strasbourg redevient une ville frontière.

Et en 355, la ville est saccagée par des germains qui ont pour nom les « Alamans ».

Et il faut savoir que le nom français donné au pays voisin : « Allemagne » vient du latin « Alemannia » qui signifie le pays des Alamans.

Mais la réalité de nos voisins est complexe puisqu’en allemand ce pays est appelé Deutschland, en anglais Germany et en polonais Niemcy.

Une autre tribu germaine, « les Teutons » est aussi utilisée, en particulier en italien où « tedesco » signifie « allemand ».

Strasbourg va avoir un destin compliqué entre l’Allemagne et la France.

Mais avant cette dispute, ce sont les Huns d’Attila qui vont complétement détruire la ville en 451.

C’est un autre peuple germain « Les francs », qui je le rappelle sont autant nos ancêtres que les gaulois, qui au début du VIe siècle vont reconstruire la ville, sous le nom de Stratae burgus (le bourg de la route). Et Stratae burgus va devenir Strasbourg.

Le christianisme va bien sûr jouer un rôle considérable dans le développement de la ville. Comme pour Lyon, la ville sera essentiellement gouverné par la puissance épiscopale. Wikipedia nous apprend que sous l’impulsion de l’évêque Arbogast de Strasbourg, une première cathédrale et un couvent sont édifiés dès le VIème siècle.

Par la suite vous savez que Charlemagne va tenter de recréer un empire chrétien. Il sera couronné empereur par le Pape en l’an 800. Charlemagne qui est un empereur français comme nous l’apprennent les livres d’Histoire de France. Mais les livres d’Histoire

allemande le désignent comme un empereur germanique donc allemand. Pour départager les deux, il faut se rappeler que la capitale de Charlemagne est Aachen, ville allemande, même si les livres d’Histoire français continuent à la désigner sous le nom d’Aix la Chapelle.

Ceci est très important pour Strasbourg puisque après que le fils de Charlemagne Louis le Pieux lui ait succédé sur le trône de l’Empire, les trois petits fils vont se partager l’empire.

Et c’est alors qu’eut lieu le « Serment de Strasbourg » le jour de la Saint Valentin, le 14 février 842. L’aîné des 3 frères Lothaire avait l’ambition de jouer un rôle primordial dans la succession de son père. Mais les deux autres frères n’étaient pas d’accord et c’est par le serment de Strasbourg qu’une alliance militaire est signée entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère aîné, Lothaire Ier.

Ce serment est fondamental à plusieurs titres.

Le premier c’est que la Lotharingie qui occupait une place centrale va être absorbée par les ces deux voisins à l’ouest va émerger la France et à l’est les pays allemands.

Le second c’est que Louis le Germanique prononce son serment en langue romane pour être compris des soldats de Charles le Chauve, et Charles le Chauve récite le sien en langue tudesque pour qu’il soit entendu des soldats de Louis.

Le texte en roman des Serments a une portée philologique et symbolique essentielle, puisqu’il constitue, pour ainsi dire, « l’acte de naissance de la langue française ».

Jusqu’alors ce type de texte était rédigé en latin.

Mais il est important de savoir qu’en 1493, Strasbourg est proclamée ville libre impériale par Charles IV. Ce qui en fait indiscutablement une ville allemande.

Strasbourg qui sera d’ailleurs un centre important de la réforme initiée par Martin Luther.

Mais comme je l’avais écrit lors des mots du jour sur Luther, avant la réforme il fallut inventer l’imprimerie, pour imprimer des livres et d’abord la bible en langue comprise par tous.

Cette invention est le fait Johannes Gutenberg qui est né à Mayence mais qui s’est installé à Strasbourg en 1434 et Strasbourg va devenir un des plus grands centre d’imprimerie d’Europe.

Cependant Wikipedia précise que :

« Gutenberg est retourné à Mayence entre 1444 et 1448 ce qui fait qu’on ignore exactement où a été finalisée cette invention majeure. Toujours est-il que Strasbourg devient très vite un des grands centres de l’imprimerie, puisque dès la fin du XVe siècle la ville compte une dizaine d’ateliers d’imprimerie, notamment la prestigieuse officine des Grüninger. De fait, Strasbourg va attirer nombre d’intellectuels et d’artistes. Sculpteurs, architectes, orfèvres, peintres, horlogers, la ville excelle dans de nombreux domaines. Strasbourg était une ville très influente d’où son statut très spécial et unique de « ville libre » elle produisait sa propre monnaie avec un commerce développé et grâce à sa situation géographique pouvait exporter et importer des produits. »

Une des principales places de Strasbourg a d’ailleurs été nommée du nom de l’inventeur de l’imprimerie.

Dans la suite Strasbourg va devenir un centre de la réforme puisque dès 1519, les thèses de Martin Luther seront affichées aux portes de la cathédrale et les dirigeants de la ville, notamment Jacques Sturm, sont favorables à ce changement. La ville adopte la Réforme en 1525 et devient protestante en 1532 avec l’adhésion à la confession d’Augsbourg.

Mais il va s’en suivre une période de grands conflits religieux qui va notamment donner lieu à la terrible guerre de trente ans. Guerre qui va s’achever par les paix de Westphalie signés le 24 octobre 1648

Ces traités vont conduire qu’une partie de l’Alsace sera rattachée à la France, mais Strasbourg demeure ville libre impériale.

La ville est sortie épargnée par la guerre mais est affaiblie, et l’empire germanique vaincu ne peut lui apporter d’aide.

Et c’est ainsi que le 28 septembre 1681, la ville est assiégée par une armée commandée par Louis XIV. La ville se rend deux jours plus tard et sera rattachée au royaume de France avec l’Alsace tout entière.

Strasbourg redevient ville frontière et abrite environ 6 000 soldats français, basés pour la plupart à la citadelle de Vauban dont les travaux ont débuté dès 1682 et dont on voit toujours les traces dans la ville actuelle.

En 1704, un prince de la famille Rohan devient évêque de la ville. La famille conservera le pouvoir épiscopal jusqu’en 1790 et fera construire le fameux palais des Rohan situé tout près de la cathédrale, sur les rives de l’Ill.

Durant toute cette période, même si le catholicisme va se développer, la ville reste majoritairement protestante.

Une autre institution fondamentale de Strasbourg sera son Université. Strasbourg aura été et reste un immense centre universitaire international.

Et un des plus célèbres étudiants de cette université sera Goethe.

Après la guerre 14-18 et le retour de Strasbourg en France, l’Université de Strasbourg fera l’objet de toutes les attentions du gouvernement français qui y enverra ses plus grands professeurs. Il faut savoir que c’est à Strasbourg en 1929 que fut créée la prestigieuse revue historique « les Annales » par ses deux fondateurs Marc Bloch et Lucien Febvre, tous deux professeurs à l’Université de Strasbourg. Revue qui donnera naissance au courant appelé l’école des Annales.

L’Histoire plus récente de Strasbourg est connue comme son rôle de ville du Parlement de l’Union européenne et du siège du Conseil de l’Europe.

Mais il faut rappeler que lors de la période révolutionnaire, la population strasbourgeoise se soulève. Le 21 juillet 1789, l’hôtel de ville est saccagé. Et c’est le 26 avril 1792 que Rouget de l’Isle compose à la demande du maire de Strasbourg, un chant pour l’armée du Rhin sans se douter qu’il deviendra un symbole de la Révolution française en devenant La Marseillaise.
La Marseillaise fut créée à Strasbourg.

Après avoir accueilli le serment de Strasbourg qui est historiquement le premier document officiel en langue française, avoir été le lieu de la création de l’hymne national montre combien la ville de Strasbourg est importante pour la France, elle qui fut si longuement disputée par les deux entités issues de la dislocation de l’empire de Charlemagne.

Beaucoup des précisions historiques de ce mot du jour sont issues de Wikipedia.

Les photos qui agrémentent ce mot du jour ont toutes été réalisées par mes soins lors de notre visite à Strasbourg en avril 2018.


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Lundi 12 novembre 2018

« La première guerre mondiale ne s’est pas terminée le 11 novembre 1918 »
Retour sur la vérité historique

Bien sûr le 11 novembre 1918 à 11 heures, il s’est passé un évènement considérable, la puissance principale des empires centraux, l’Allemagne, a signé l’armistice. Le front occidental a fait taire les armes.

Mais ce n’est ni le début, ni la fin de la fin de la guerre.

Ainsi, il y avait eu 5 armistices avant celui du 11 novembre à Rethondes :

  • 9 décembre 1917 entre la Roumanie et l’Allemagne (Focsani)
  • 15 décembre 1917 entre la Russie bolchevique et l’Allemagne (Brest-Litovsk)
  • 29 septembre 1918 entre la Bulgarie et les Alliés (Salonique)
  • 30 octobre 1918 entre l’Empire ottoman et les Alliés (Moudros)
  • 3 novembre 1918 entre l’Autriche-Hongrie et l’Italie (Villa Giusti près de Padoue)

En outre il y a déjà un Traité de paix celui de Brest-Litovsk (3 mars 1918) entre la Russie Bolchevique et les puissances centrales.

D’autres affrontements prennent bientôt ou ont déjà pris le relais. Entre 1917 et 1923 on ne recense pas moins de 27 conflits violents en Europe (1)

D’abord des guerres civiles :

  • Finlande (janvier –mai 1918)
  • Plus connue la guerre civile russe (1917-1923)

Il est d’ailleurs courant de considérer que sans la grande guerre, les souffrances des soldats russes et le fait que la guerre a permis aux révolutionnaires bolcheviques d’être armés, la révolution d’octobre n’aurait pas pu avoir lieu.

Le grand historien français François Furet dans son livre « Penser le XXème siècle » considère que la première guerre mondiale et son avatar, la révolution bolchevique, constituent :

« La matrice du XXème siècle »

Mais il y a d’autres guerres civiles :

  • En Allemagne (1918-1919). C’est ainsi qu’on parlera des spartakistes qui forment alors le Parti communiste d’Allemagne. Mais la révolte spartakiste à Berlin en janvier 1919 sera écrasée. Les figures emblématiques du mouvement Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont tués.
  • En Irlande (1922-1923) où la guerre civile succède à la guerre d’indépendance (janvier 1919–juillet 1921).

Dans l’article de la revue « L’Histoire » cité ci-après, il est affirmé que des corps francs allemands vont intervenir en Irlande avec « des armes et des tactiques héritées du conflit mondial. » Rappelons que les corps francs allemands vont constituer l’ossature des futurs SA qui seront la milice des nazis et leur outil de terreur pour la prise du pouvoir.

Et puis il y a les guerres entre États.

La guerre soviéto-polonaise de (février 1919 – mars 1921) qui est l’une des conséquences de la Première Guerre mondiale et qui est justifié par des conflits de frontière. Ce conflit fera 150 000 morts.

Et enfin la guerre gréco-turque (1919-1922), 45 000 morts, qui constituera la grande victoire de Mustafa Kemal et permettra d’arriver à cette conclusion que l’Empire ottoman fait partie des vaincus de la grande Guerre et la Turquie parmi les vainqueurs.

En réalité l’armistice n’est pas la fin de la guerre mais n’est qu’une interruption temporaire des combats. La fin des hostilités n’interviendra officiellement qu’au moment des traités de paix.

Et l’article de « L’Histoire » de préciser que :

« Face au chaos qui suit la Première Guerre mondiale, les historiens ont pris l’habitude, depuis les années 2000, de préférer la notion de « sortie de guerre » à celle d’«après-guerre » utilisée jusque-là par l’histoire diplomatique. »

Et il rappelle :

« Dans son roman Capitaine Conan (1934, adapté à l’écran par Bertrand Tavernier en 1996), Roger Vercel signale l’absurdité d’une coupure nette entre guerre et paix, lorsqu’il décrit un régiment français de l’armée d’Orient, miné par la dysenterie, sur les bords du Danube. C’est là, le 22 novembre en début d’après-midi, qu’on leur lit le communiqué de Foch qui s’achève par ces mots : « L’armistice est entré en vigueur, ce matin à 11 heures » Entre le 11 novembre 1918 et le 28 juin 1919, temps suspendu entre guerre et paix, les armées alliées procèdent à une lente démobilisation. »

(1) Je tire la plus grande partie de ces informations de l’article : « L’interminable sortie de la guerre » de la revue « L’Histoire » : « 1918 Comment la guerre nous a changés »

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