Vendredi 8 novembre 2019

« La réunification de l’Allemagne ? Ce fut une annexion – [Non] cela a été tranché par le vote des allemands de l’est»
Jean-Luc Mélenchon & Daniel Cohn-Bendit

Demain, nous commémorerons le 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin : le 9 novembre 1989.

Certains affirment que les années en 9, sont très importantes pour l’Histoire. Je tenterais peut être une série à ce sujet : certaines années se terminant par 9.

Le 9 novembre 1989, j’avais 31 ans et je ne croyais pas ce que je voyais. Je ne m’imaginais pas que le système communiste s’effondrerait aussi rapidement.

Je ne reviendrais pas sur le contexte de cet évènement tout en rappelant qu’à cette date les allemands de l’est pouvaient déjà rejoindre assez massivement l’Ouest en passant par la Hongrie.

Je ne m’étendrais pas davantage sur l’étonnante manière qui a conduit à ce que le 9 novembre 1989, les portes du mur de Berlin s’ouvrent en rendant célèbre pour l’Histoire Günter Schabowski qui était à ce moment-là le porte-parole du gouvernement de la RDA.

Il y a cette petite <vidéo> qui rappelle cela. Et dans l’émission <C a vous> consacrée à cet évènement vous pourrez visualiser la feuille sur laquelle se trouvait les notes de Günter Schabowski et qu’il tenait devant ses yeux pendant sa conférence de presse.
Ce papier griffonné et peu lisible est présenté au musée de Berlin.
Il s’agit d’un document historique.

La chute du mur et l’ouverture des frontières ont rendu la réunification allemande possible.

Sur ce point, il y aurait matière à de très longs développements, sur les réticences de François Mitterrand et de la France, de la volonté sans faille d’Helmut Kohl et du fatalisme de Mikaël Gorbatchev, ainsi que de toutes les longues tractations qui ont rendu la renaissance d’une seule Allemagne possible.

Mais ce n’est pas de cela que je vais parler aujourd’hui.

Au départ, il y a la « Une » du Monde Diplomatique de ce mois de novembre :

« Allemagne de l’Est, histoire d’une annexion »

Puis il y eut la réaction de Jean-Luc Mélenchon sous forme de tweet qui en renvoyant vers cette « Une » a ajouté :

« Enfin le mot juste pour nommer ce qui s’est passé il y a trente ans. Une violence qui n’en finit plus de se payer. »

C’était jeudi de la semaine dernière.

Dimanche, Jean-Luc Mélenchon était l’invité sur France Inter à <Questions Politiques>.

A la fin de l’émission (51:24 de la video), Ali Baddou est revenu sur l’évènement et sur ce tweet.

Et Jean-Luc Mélenchon a confirmé et précisé son « gazouillis » :

« D’abord c’est une annexion, je vous renvoie à mon livre, « le Hareng de Bismarck », où je fais la démonstration, où je montre comment l’Allemagne de l’Est a été annexée. Ce n’était même pas constitutionnel. Ce n’était pas ce que demandaient les Allemands de l’Est. Ils voulaient, eux-mêmes, faire une Constituante, ils voulaient voter, se prononcer sur l’intégration Est-Ouest et sur la préservation d’un certain nombre de leurs acquis. Dans ce pays, un autre pays voisin a annexé toutes les usines du pays, changé toutes les institutions et modifié le régime de la propriété. Ça s’appelle une annexion. […] C’est une violence sociale inouïe qui a été commise contre les Allemands de l’Est, comme dans tout le reste de l’est de l’Europe et ce n’est pas une bonne chose. »

Le Lundi matin, toujours sur France Inter, l’invité était Daniel Cohn Bendit : <Cette fois la question est posée en début d’entretien>

Daniel Cohn Bendit considère que les propos de Jean-Luc Mélenchon sont d’«une bêtise incroyable »

Et il raconte :

«Ce que fut il y a trente ans la réunification, c’est un mouvement extraordinaire en Allemagne de l’Est pour abattre une dictature. […] Moi, j’ai pleuré, j’ai pleuré… Quand les murs tombent, que cela soit les murs de la dictature au Portugal, que cela soit les murs de la dictature en Espagne, que cela soit les murs au Chili, c’est quelque chose d’extraordinaire. […]

Et ce mouvement non violent extraordinaire de millions de citoyens d’Allemagne de l’Est qui ont fait tomber le mur, ce n’était pas une annexion. »

Il a cependant reconnu que tout n’a pas été parfait et qu’à l’époque d’autres voies auraient peut-être été possible. Mais il ajoute :

« Le débat a été tranché par le vote des gens en Allemagne de l’Est. Ils ont voté à majorité CDU [le parti conservateur, du chancelier Kohl], bah j’y peux rien, c’est la démocratie. »

J’innove aujourd’hui, pour la première fois l’exergue que j’utilise est la concaténation d’avis divergents.

Qui a raison, qui a tort ?

A cet instant je pense à une histoire que me racontait mon père.

Un vieux sage reçoit la visite d’un homme qui lui raconte des faits et tire une conclusion de ces faits. Le vieux sage approuve la conclusion et dit : « tu as raison ».

Un jour plus tard, un autre homme lui rend visite et raconte les mêmes faits, à sa manière et finit par une conclusion diamétralement opposée à celle du précédent visiteur. Le vieux sage approuve aussi cette conclusion et dit : « tu as raison ».

L’épouse du sage qui avait assisté aux deux conversations dit un peu plus tard : « Tu as dit au premier qu’il avait raison, et tu viens de dire au second qui dit l’inverse qu’il a raison aussi ? ».

Je me souviens du sourire malicieux de mon père en rapportant le propos du sage à son épouse : « Tu as raison !».

Il ajouta cependant : « Chacun a raison par rapport au point de vue dans lequel il se place ! »

La réunification de l’Allemagne fut bien une annexion. Les États de la RDA entrèrent dans la République Fédérale Allemande en reprenant la constitution, les règles, l’organisation économique et sociale de la République Fédérale.

D’autres voies auraient été possibles, étaient proposées.

Mais c’est celle qu’avançait le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest et son parti la CDU qui fut approuvée par le vote démocratique des allemands de l’Est.

Une annexion n’est pas forcément un acte de guerre. Le dictionnaire du CNRS dit explicitement :

« Tout acte, constaté ou non dans un traité, en vertu duquel la totalité ou une partie du territoire d’un État passe, avec sa population et les biens qui s’y trouvent sous la souveraineté d’un autre État. »

Dans ce sens la réunification fut bien une annexion.

Et comme le montre <cet article> du Monde avec ses cartes, la fracture entre l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’ouest perdure que ce soit selon le critère de la religion, de la présence des jeunes sur le territoire, du taux de chômage, du revenu des ménages et aussi de la taille des exploitations agricoles.

Je finirai par cette photo de Mstislav Rostropovitch jouant Bach, le 11 novembre 1989, devant le mur défait .

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Lundi 28 octobre 2019

« Les kurdes contre les arméniens  »
Retour sur l’Histoire des kurdes et des arméniens

Si je résume ce que j’ai écrit sur les Kurdes dans les mots du jour précédents, le premier élément est que le peuple Kurde, selon un dénombrement qui est assez largement admis, représente 40 millions d’individus et dans ces conditions il s’agit du peuple le plus nombreux qui n’a pas d’État.

En 1920, après le traité de Sèvres, il était prévu qu’il existe un Kurdistan, en Anatolie, sur un territoire qui a été depuis récupéré par la Turquie.

L’Histoire qu’on nous a apprise et qui souvent est encore sous-jacente pour toutes les analyses concernant la situation des kurdes est : Il n’y a pas d’Etat Kurde, parce que Mustafa Kemal a gagné la guerre et que les occidentaux ont lâché les kurdes en acceptant le traité de Lausanne.

L’article, cité vendredi, de l’historien Jordi Tejel « 1920, l’occasion manquée », ne nie pas que ces deux raisons sont importantes, mais il insiste sur une troisième : la désunion des Kurdes.

Désunion qui allait jusqu’à ne pas vouloir d’un Etat Kurde.

Jordi Tejel qui avait été invité, suite à son article, par l’émission de France Culture <La Fabrique de l’Histoire> a précisé qu’une partie des Kurdes considérait les turcs, musulmans comme eux, comme des frères d’arme et trouvaient normal de former un État avec eux.

Mais il y a une autre raison qui était encore plus importante et qui a poussé des tribus kurdes à se battre au côté des turcs et de Mustafa Kemal. Cette raison est si on l’exprime de manière modérée : l’hostilité à l’égard des arméniens, et si on le dit de manière plus abrupte : la haine des arméniens.

J’ai cité un extrait de l’article vendredi qui rapportait que

« Prenant tout le monde de court, le général Chérif Pacha, représentant du KTC, signe en 1919 un accord avec l’Arménien Boghos Noubar Pacha, prévoyant la création d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants. Alors que les délégations arménienne et kurde avaient présenté au préalable des revendications sur la totalité des provinces orientales de la Turquie actuelle, elles acceptent finalement l’une et l’autre un compromis sous la pression des Européens. En particulier, Chérif Pacha espère qu’en consentant des « pertes » territoriales au bénéfice des Arméniens les chancelleries occidentales arménophiles – telle la France – accepteront le principe de la création d’un État kurde. »

Cette initiative n’est pas du tout du goût d’un grand nombre de kurdes, notamment parmi les élites. Du point de vue de ces opposants Chérif Pacha « brade » des territoires « kurdes » au profit des arméniens et surtout il accepte le principe de la création de l’Arménie sur des territoires « musulmans ».

Les Kurdes étaient, comme beaucoup d’autres peuples du moyen orient, organisés en tribus et étaient reconnus comme des guerriers. C’est-à-dire qui savaient se battre.

Il faut se souvenir que le grand <Saladin> celui qui a repris Jérusalem en 1187 aux Francs était kurde.

La relation des tribus Kurdes avec l’Empire Ottoman a parfois été conflictuelle, mais le plus souvent et particulièrement depuis la fin du XIXème siècle, ils constituaient des troupes auxiliaires du Calife. Des supplétifs auxquels on confie les basses besognes.

Et les élites Kurdes ont des craintes après le traité de Sèvres :

« Le traité de Sèvres est perçu comme une menace à d’autres titres. Tout d’abord, dès 1919, divers cadres et fonctionnaires ottomans sont déférés devant des cours martiales, accusés de complicité dans l’exécution du génocide arménien. Et certains chefs kurdes craignent eux aussi d’être jugés pour leur participation active aux massacres. En outre, la formation d’un État arménien supposerait sans aucun doute la rétrocession obligatoire des terres confisquées aux Arméniens en 1895 et en 1915. Beaucoup préfèrent donc combattre le traité de Sèvres et renoncer à un État kurde plutôt que d’admettre la naissance de la Grande Arménie prévue par le traité. »

En effet, des soldats kurdes ont largement participé au génocide arménien et ont même participé à des massacres avant 1915. Ils ont profité de ces massacres pour « voler », le terme officiel est « confisquer » des terres aux arméniens.

Parce que les Kurdes ont été en première ligne pour défendre l’empire ottoman contre la « prétendue » traitrise des « chrétiens arméniens » au profit des chrétiens de l’empire russe. Les historiens ont établi que cette traitrise na pas existé, du moins pas de manière importante au sein du peuple arménien

Jordi Tejel écrit :

« Après la révolution jeune-turque de 1908 qui voit arriver au pouvoir le comité Union et Progrès, quelques notables kurdes fondent le KTTC (« Comité kurde d’entraide et de progrès ») et se dotent d’un organe de presse. Les objectifs de l’association sont modérés : appuyer le mouvement constitutionnel, garantir le progrès et l’instruction des Kurdes d’Istanbul, consolider les bonnes relations avec les autres peuples ottomans et, enfin, faire tous les efforts possibles pour sauver l’Empire ottoman.

D’une manière générale, durant cette période « unioniste » (1908-1918), les intellectuels, notables, chefs tribaux et religieux kurdes d’avant-guerre restent attachés à l’idéal d’une unité ottomane garantie par l’institution du califat*. Cette fidélité portée au cadre ottoman par les autres nationalités de l’empire peut nous étonner aujourd’hui, mais s’explique aisément. Elle tient d’abord à un motif religieux : les Kurdes, musulmans sunnites pour la plupart, appartiennent à la « communauté dominante » (millet-i hakime), au même titre que le sultan-calife, ainsi que la majorité des Turcs et des Arabes et à la différence des chrétiens et des Juifs.

Ces derniers, jusqu’au milieu du XIXe siècle, étaient reconnus comme « gens du Livre » – ayant eu donc la révélation divine. Mais ces groupes « protégés » (dhimmi) étaient aussi assujettis. Tout change avec les réformes administratives et politiques libérales connues sous le nom des Tanzimat (« réorganisation », 1839-1876). Dans la perspective de moderniser l’empire afin d’en assurer la survie, ces réformes introduisent des transformations qui remettent en question les rapports de domination séculiers entre les communautés. D’une part, elles visent, sur le modèle occidental, à affirmer l’égalité des individus devant la loi, sans distinction de langue ni de religion. D’autre part, elles reconnaissent des droits collectifs aux millet non musulmans, s’exprimant en majorité dans une langue particulière – l’arménien, le grec, l’araméen… -, renforçant ainsi leur sentiment d’être des « groupes » à part.

Ces réformes ne sont guère appréciées par les élites musulmanes sunnites dont les Kurdes font partie. Les choses s’aggravent encore avec l’ingérence croissante des puissances européennes à la périphérie de l’empire qui envenime les relations « de proximité » entre les Arméniens et les Kurdes dans l’Anatolie orientale. La « question d’Orient », qui se trouve en partie à l’origine des Tanzimat du XIXe siècle, est, en bordure de l’empire, une « question arméno-kurde », une question agraire : la fin des principautés kurdes a permis à des notables urbains et des chefs tribaux de s’approprier indûment un grand nombre de terres, aux dépens des paysans et petits propriétaires arméniens.

Face aux revendications arméniennes et aux pressions étrangères exprimées lors du congrès de Berlin de 1878, des Kurdes saisissent les occasions qui se présentent pour « résoudre » la question à leur avantage. Durant l’automne 1895, les hamidiye kurdes participent à d’amples massacres anti-arméniens dans les régions arméno-kurdes.

En 1915, à nouveau, alors qu’Istanbul est entré en guerre au côté de l’Allemagne, des leaders kurdes s’allient aux autorités ottomanes, sous la bannière du « panislamisme », pour mener à bien la déportation et le génocide des Arméniens. »

Le dossier de l’Histoire évoqué dans le mot du jour précédent a consacré un article sur la responsabilité des kurdes dans le génocide arménien. Cependant il souligne aussi qu’il y eut des kurdes qui ont des attitudes de solidarité. Il y a toujours des humains qui sauvent leur groupe de l’inhumanité :

« Alors que la plupart des historiens insistaient sur le facteur religieux pour expliquer la participation de tribus et notables kurdes au génocide arménien, les litiges arméno-kurdes touchant à la propriété foncière ont été prépondérants, comme l’a montré Hans-Lukas Kieser. Les massacres de 1895 sont, en ce sens, un premier chapitre précurseur. Cependant, en 1915, le contexte est différent. L’Empire ottoman, entré en guerre au côté de l’Allemagne, est défait par l’armée russe à Sarikamis, ce qui entraîne dans les provinces orientales famine, épidémies, et la mort de milliers de soldats kurdes. La propagande du régime unioniste impute ce désastre à la traîtrise arménienne.

Hans-Lukas Kieser a mis en évidence la participation de Kurdes aux exactions, dans les villes – Diyarbakir, Van, Kharpout – comme dans les campagnes. Seule exception significative : au Dersim, des tribus alévies protègent les Arméniens dans cette première phase du génocide. Il est encore malaisé cependant d’évaluer jusqu’à quel point les Kurdes, dans leur ensemble, ont pris part aux massacres organisés par le pouvoir ottoman. Les récits arméniens ne laissent néanmoins pas de doute sur la complicité de bon nombre d’entre eux dans les massacres directs, les exactions commises sur les caravanes de déportés arméniens ou encore l’islamisation forcée de milliers de fillettes arméniennes.

Dans le même temps, les témoignages de rescapés arméniens et le travail sur l’histoire locale mettent en lumière maints exemples de solidarité kurde avec des Arméniens. Enfin, intellectuels et politiciens kurdes ont réalisé des avancées importantes dans la reconnaissance des responsabilités kurdes dans ce chapitre inouï de l’histoire du XXe siècle. »

Des kurdes ont donc largement contribué au génocide arménien, mais il en est qui ont su sauver l’honneur de leur peuple.

Il semble qu’aujourd’hui <des kurdes reconnaissent leur responsabilité> dans cette terrible fracture de l’humanité.

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Vendredi 25 octobre 2019

« 1920, l’occasion manquée par les Kurdes »
Jordi Tejel, dans la revue « l’Histoire »

Les kurdes sont un peuple sans État. On estime à 40 millions la population mondiale qui peut se revendiquer de ce peuple.

Les azéris qui comme les kurdes ont une langue d’origine iranienne, une culture spécifique, appartiennent au monde musulman et représentent une population mondiale d’environ 40 millions de personnes, ont un État : « l’Azerbaïdjan. » Il est à noter que moins de 9 millions d’Azéris habitent cet État alors que l’Iran compte 15 millions d’azéris.

On estime le nombre de juifs dans le monde à 15 millions, eux aussi ont un État : « Israël ».

On estime le nombre de palestiniens à 12 millions, eux n’ont pas d’État, mais en revendique également un.

Les arméniens ont aussi dans la douleur et pas sur une grande partie de leur territoire historique, obtenu un État : « L’Arménie ». On estime la population arménienne mondiale à environ 10 millions. Les kurdes et les arméniens occupaient d’ailleurs des régions communes dans l’Empire Ottoman et leurs relations furent compliquées.

Cette introduction est certes quantophrénique. Elle me semble cependant montrer, à l’évidence que le fait que les Kurdes ne disposent pas d’un État est anormal.

Dans la série consacrée à la guerre 14-18, le mot du jour du 20 novembre 2018 : « Du traité de Sèvres en 1920 au Traité de Lausanne en 1923» avait déjà abordé ce sujet.

Les arméniens, les kurdes étaient des peuples de l’Empire ottoman. Et l’Irak, la Syrie, le Liban, la Palestine, le futur territoire d’Israël étaient des régions de ce même empire.

L’empire ottoman, lors de la guerre 14-18, était dans le mauvais camp, celui des vaincus.

La défaite de l’empire ottoman est acquise par l’armistice de Moudros qui sera signée le 30 octobre 1918.

Mais l’armistice n’est pas la paix. La paix aurait dû être la conséquence du  traité de Sèvres, conclu le 10 août 1920 et qui sera signé par le sultan Mehmed VI.

Mais ce traité qui établissait un État arménien en Anatolie et un État kurde, n’a jamais été ratifié ni appliqué.

Le sultan Mehmed VI règne à Constantinople, mais à Ankara, un général Mustafa Kemal a pris la tête d’un gouvernement émanant d’une Grande assemblée nationale de Turquie créée le 23 avril 1920. Et Mustafa Kemal ne reconnait pas la validité de ce traité qui menace l’intégrité territoriale notamment de l’Anatolie qui est, dans sa conception, le cœur de la Turquie

Mustafal Kemal avec ses partisans va faire chuter le sultan et reprendre le combat notamment contre les grecs. Les Turcs se soulèvent en masse, s’enrôlent dans l’armée kémaliste et déclenchent la Guerre d’indépendance turque en mai 1919. Au bout de quatre années de conflit, les kémalistes sont victorieux et obtiennent la négociation d’un nouveau traité.

Ce traité sera le traité de Lausanne (24 juillet 1923).

Une carte publiée par la revue « L’Histoire » montre le projet du Traité de Sèvres et la réalité du Traité de Lausanne.

C’est par les armes et la guerre que Mustafa Kemal a privé les Kurdes de l’État qui aurait dû être le leur.

Mais la réalité est plus complexe, il n’y avait pas tous les kurdes d’un côté et les turcs de l’autre.

La revue l’Histoire avait consacré un dossier à ce sujet dans son numéro de novembre 2016 : <Les Kurdes : Mille ans d’un peuple sans État>

Et l’historien Jordi Tejel a écrit un article concernant précisément ce moment entre Traité de Sèvres et Traité de Lausanne : « 1920, l’occasion manquée »

Les kurdes trouvent commode d’accuser les européens de les avoir privés d’un Etat, c’est partiellement vrai mais les kurdes ont joué eux-mêmes une partition trouble.

« Si les élites nationalistes kurdes tendent encore aujourd’hui à faire porter l’entière responsabilité de cette occasion manquée sur les puissances européennes et leurs promesses non tenues, la réalité est bien plus complexe. La prise en considération de facteurs à la fois externes (intérêts divergents des Occidentaux, victoires militaires de Mustafa Kemal) et internes (divisions au sein des comités kurdes), ainsi que des trajectoires historiques antérieures (génocide arménien, scissions tribales et religieuses propres à la société kurde) permet de reconstituer ce moment historique unique. »

Dans cette région les Britanniques et les Français se sont partagés les provinces arabes lors du fameux accord Sykes-Picot, mais les provinces à majorité ou avec une forte présence kurde sont également concernées par ces accords. Cependant la création d’un État kurde sous influence britannique n’est pas écartée par les diplomates anglais. La France, malgré des réticences initiales finit par approuver la création d’un État kurde.

Mais il y a une grande différence entre la Syrie, l’Irak et les territoires kurdes :

« En 1918, tandis que les provinces arabes de l’empire sont occupées par les Alliés, la majeure partie du Kurdistan turc est encore sous la tutelle ottomane. Le mouvement kurde naissant se retrouve dépourvu de soutiens extérieurs, contrairement à la dynastie hachémite arabe par exemple qui peut, elle, s’appuyer sur les Britanniques ».

Et c’est ainsi qu’on apprend que les élites kurdes sont divisées en raison de la concomitance entre la création d’un État kurde et d’un Etat arménien. Il en existe qui compte sur la cause arménienne soutenu par les européens de l’Ouest pour obtenir parallèlement à la création d’un Etat arménien, un Etat Kurde. Mais d’autres préféreront qu’il n’y ait pas d’Etat Kurde plutôt que d’accepter un Etat Arménien à ses côtés. Ainsi, alors que la force qui les empêche de devenir un Etat est l’armée turque de Mustapha Kemal, ils s’allieront à lui pour contrer les arméniens :

« Lorsque les Alliés occupent Istanbul, le 12 novembre 1918, le Comité pour le relèvement du Kurdistan (KTC) entre en contact avec les Français et les Britanniques afin de défendre les aspirations de la « nation kurde ». Ses intentions ne sont toutefois pas forcément claires. La question de l’indépendance du Kurdistan suscite des débats houleux au sein de l’association. Les partisans de l’indépendance totale, réunis autour d’Emin Ali Bedir Khan, affrontent ceux qui, sous la houlette de Seyyid Abdulkadir, préconisent l’autonomie dans le cadre du nouvel État turc-ottoman. Ces derniers justifient leur position par les liens religieux des Kurdes avec les Turcs, garantis par l’institution du califat. Ils s’opposent violemment à la création d’un État arménien prévu par les négociations de paix à Paris.

Prenant tout le monde de court, le général Chérif Pacha, représentant du KTC, signe en 1919 un accord avec l’Arménien Boghos Noubar Pacha, prévoyant la création d’une Arménie et d’un Kurdistan indépendants. Alors que les délégations arménienne et kurde avaient présenté au préalable des revendications sur la totalité des provinces orientales de la Turquie actuelle, elles acceptent finalement l’une et l’autre un compromis sous la pression des Européens. En particulier, Chérif Pacha espère qu’en consentant des « pertes » territoriales au bénéfice des Arméniens les chancelleries occidentales arménophiles – telle la France – accepteront le principe de la création d’un État kurde.

Cet accord est confirmé par le traité de Sèvres du 10 août 1920, […]

Mais le traité de Sèvres ne sera pas appliqué. Entre-temps, bon nombre de tribus kurdes sunnites se sont ralliées aux forces rebelles turques menées par Mustafa Kemal au nom de la fraternité musulmane : elles refusent le traité de Sèvres, l’amputation du territoire et la création d’une entité arménienne. Les Kurdes participent massivement aux campagnes contre les troupes françaises et les milices arméniennes en Cilicie. »

Diviser c’est régner et le futur Atatürk va en profiter largement, surtout que les alliés franco-britanniques vont aussi diverger en raison de leurs intérêts coloniaux.

« Des divergences entre les Alliés d’une part et entre les Kurdes d’autre part, ainsi que les victoires des armées nationalistes d’Ankara sur le terrain ouvrent la porte à une renégociation du traité de Sèvres. A l’ouest, l’armée grecque est défaite par les Turcs. A l’est, les soulèvements des Kurdes alévis sont réprimés par les forces loyales à Mustafa Kemal en mars 1921, tandis que les troupes françaises en Cilicie subissent d’importants revers face aux soldats turcs et milices kurdes. Le retrait du territoire turc des troupes italiennes, grecques et françaises, entre 1920 et 1921, met la Grande-Bretagne dans une situation critique. Dès 1922, les Britanniques sont prêts à renégocier les termes de la paix avec le nouveau gouvernement de Mustafa Kemal. La délégation turque conclut en juillet 1923 avec les Alliés le traité de Lausanne, plus favorable à la nouvelle Turquie et rendant caduc celui de Sèvres. Dans le nouvel accord, aucune mention n’est faite d’un État kurde ou arménien. »

Il semble donc bien que l’ensemble de la population kurde de Turquie n’a pas lors de cette période cruciale entre 1920 et 1922 mis toutes les cartes de leur côté pour obtenir un État. La détestation des arméniens a joué un grand rôle. Et certains ne semblaient pas si désireux de se séparer des turcs.

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Vendredi 18 octobre 2019

« Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.»
Victor Klemperer

J’avais l’intention de mettre en exergue du mot du jour d’hier consacré à Eric Zemmour et aux mots de haine qu’il a prononcés, la phrase de Victor Klemperer que j’ai mis aujourd’hui.

Mais l’article devenait tellement long que j’ai préféré agir autrement et revenir aujourd’hui sur Victor Klemperer un philologue allemand (1881-1960).

Sa grande œuvre paru en 1947 est le livre « LTI – Lingua Tertii Imperii: » dont le sous titre est « Notizbuch eines Philologen » ce qui traduit donne : « Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue ».

La philologie vient du grec ancien phĭlŏlŏgĭa (« amour des mots, des lettres, de la littérature ») et consiste en l’étude d’une langue et de sa littérature à partir de documents écrits.

C’était le métier de Viktor Klemperer, métier qu’il a exercé sur la langue utilisée par les nazis.

Car, avant les grandes catastrophes il y a d’abord des mots, des mots qui forment un récit. Un récit qu’un grand nombre s’approprie, pour finalement analyser et voir le monde à travers ce récit, avec des mots choisis soigneusement et qui sont les vecteurs des idéologies et des croyances qui doivent embraser l’esprit des peuples.

Le livre qu’il nomme lui-même « LTI » a été écrit peu à peu, car Klemperer a construit son analyse au fur à mesure des années, entre 1933 et décembre 1945, dans le journal qu’il tient. C’est un essai sur la manipulation du langage par la propagande nazie depuis son apparition sur la scène politique jusqu’à sa chute.

Et c’est ainsi qu’il écrivait dans LTI :

«Le nazisme s’insinue dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir»,

Grâce à <Wikipedia> nous apprenons que

Victor Klemperer est né en 1881 dans une ville qui s’appelle aujourd’hui Gorzów Wielkopolski et qui était en Pologne mais était au moment de sa naissance dans l’Empire allemand. Il est mort le 11 février 1960 à Dresde, en Allemagne de l’Est.

Pour les connaisseurs en matière de musique, il est le cousin du grand chef d’orchestre Otto Klemperer (1885-1973).

Il est né dans la communauté juive, il était même enfant d’un rabbin. Mais en 1906 il épouse Eva Schlemmer, pianiste et musicologue qui est protestante. Et en 1912, il se convertit au protestantisme

Mais après l’arrivée des nazis au pouvoir, Klemperer se voit interdire le droit d’enseigner en raison de ses ascendances juives alors qu’il est converti au protestantisme.

Son journal personnel, qu’il avait commencé avant 1933, devient alors un moyen intellectuel de survie. Il y note jour après jour ce qu’il désigne comme « les piqures de moustique » des humiliations et interdictions imposées par le régime et toutes les manipulations des nazis sur la langue allemande.

Après la guerre, il s’installa à Dresde et adhéra même avec son épouse au Parti communiste est-allemand. Il vécut jusqu’à sa mort en RDA.

Un article de <Libération> consacré à un nouvel ouvrage sur « LTI » dont je reparlerai plus loin révèle cependant que :

« Après la guerre, et malgré sa clairvoyance, Klemperer, épuisé, décide de demeurer à Dresde, sous contrôle soviétique. En 1952, il prend la direction du département de romanistique à l’Institut Humboldt de Berlin. Membre du KPD et sénateur, il ne critiquera jamais publiquement le régime. Mais il n’est pas dupe : dès juin 1945, en écoutant Staline, Klemperer a la certitude qu’est née une langue du IVe Reich qu’il nomme «LQI», «Lingua quarti imperii». Elle diffère à peine de la «LTI» : même mépris des faits, même recours aux superlatifs et aux métaphores militaires. Les deux langues caressent un mot-clé identique, l’adjectif «total» «à faire frémir, cette identité de LTI et de LQI, de la chanson soviétique et de la nazie», remarque Klemperer. »

Il semble que l’essayiste Frédéric Joly qui a aussi écrit un livre sur « Robert Musi» et a réalisé de nombreuses traductions d’auteurs de la première moitié du vingtième siècle (Georg Simmel et Walter Benjamin, notamment) comme d’auteurs contemporain, soit le premier qui ait consacré un ouvrage en français à « LTI » et Victor Klemperer.

Il a écrit : « La langue confisquée, lire Victor Klemperer aujourd’hui »

Libération a consacré une chronique à ce nouvel ouvrage : <Victor Klemperer décrypteur de la langue totalitaire> :

Victor Klemperer, décrypteur de la langue totalitaire

« Victor Klemperer, […] est l’auteur d’une analyse de la langue totalitaire qui fait désormais figure d’ouvrage de référence classique pour toute réflexion menée sur ce thème et pour les spécialistes du IIIe Reich. Il fut le premier à comprendre que la rhétorique nazie, en corrompant la langue allemande, réussirait à faire passer pour vrai ce qui était faux. Pourtant que sait-on de Victor Klemperer, l’auteur de LTI, la langue du IIIe Reich, devenu l’étude de référence du langage totalitaire ? A peu près rien. Les deux volumes de son journal n’ont été traduits en français que depuis une vingtaine d’années (le Seuil, 2000) et son autobiographie (Curriculum vitae, plus d’un millier de pages) ne l’est toujours pas.

C’est pourquoi l’essai de Frédéric Joly, […] vient combler un vide.

[…] Victor Klemperer a l’intuition du fait qu’une langue énonce une vérité sur son temps : «Ce que quelqu’un veut délibérément dissimuler, aux autres et à soi-même, et aussi ce qu’il porte en lui inconsciemment, la langue le met au jour. Tel est sans doute aussi le sens de la sentence : le style, c’est l’homme ; les déclarations d’un homme auront beau être mensongères, le style de son langage met son être à nu», écrit-il. L’arrogance de cette langue traduit la morgue d’un régime, certain de réussir à se débarrasser d’un peuple qu’elle juge parasite. LTI montre que la propagande par les mots n’imprègne pas seulement les idées, mais également les actes. »

Le journal suisse <Le Temps> décrit ainsi la démarche de Klemperer et l’ouvrage que Frédéric Joly lui a consacré :

« Alors que son pays basculait dans les ténèbres, Victor Klemperer devint un exilé de l’intérieur, décrivant avec minutie la contamination de la langue par l’idéologie nazie. Frédéric Joly consacre à cet amoureux des Lumières un essai passionnant

Au cœur de l’Allemagne nazie, à Dresde, il y avait un homme, professeur de langues romanes, qui sentait jour après jour se resserrer autour de lui les roues dentées du quotidien. Sa foi dans les Lumières françaises, auxquelles il consacrait le meilleur de son érudition, il ne pouvait plus la cultiver que dans son couvre-feu intérieur. […]

Son matériau, pas besoin d’aller le chercher dans les bibliothèques, il s’étalait devant lui: conversations entre voisins, journaux, discours d’Hitler, romans, cinéma. Au fil des jours s’accumulèrent ainsi des centaines de feuillets soigneusement dissimulés qui, espérait-il, pourraient un jour lui servir. Il n’en était pas sûr, tant son corps était entamé, son psychisme en lambeaux, son trésor de papiers menacé.

[…] Car la langue, la langue ordinaire de tous les jours est bien plus qu’un simple instrument de communication: elle est un révélateur sans pareil de l’esprit d’une époque, de ses préjugés, de ses distorsions. Klemperer: «Il arrive que l’on veuille dissimuler la vérité derrière un flot de paroles. Mais la langue ne ment pas. Il arrive que l’on veuille dire la vérité. Mais la langue est plus vraie que celui qui la parle». «In lingua veritas» était sa devise.

Il montrera ainsi par exemple comment les métaphores mécanistes (on soumettait les enseignants à une «révision», comme un moteur) ou naturalistes (le fameux Lebensraum, qui légitime l’espace vital potentiellement menacé par l’étranger) ont envahi le parler ordinaire. Ces formules, qui semblent inoffensives à force de les entendre, se sont immiscées dans les esprits. Au final, elles légitiment un langage de la fonctionnalité et de l’efficacité, donnant lieu à ce que Klemperer a appelé la LTI, «Lingua Tertii Imperii», la langue du IIIe Reich. »

Et j’aime beaucoup la prospective que donne cet article :

«  Mais la thèse qui le guidait – «In lingua veritas» – comme elle guide l’essai de Joly est tellement forte qu’on ne peut pas ne pas penser à notre époque. A l’heure où l’on profite des vacances pour «recharger ses batteries», où tout n’est que «connexion», «news» (fake ou pas), «expérience utilisateur», «objet intelligent», ou encore «maximisation», «optimisation» et «sécurisation», «performance», «rendement», «in- et output»; à l’heure où le français est ventriloqué par l’anglais, comment ne pas s’interroger sur le mystérieux mais évident rapport du langage au temps, y compris, bien sûr, le nôtre? Klemperer nous y invite, notre temps nous y oblige. »

Il y a aussi cette émission de France Culture consacrée au livre de Frédéric Joly et à un autre ouvrage écrit par Gérard Noiriel : « Le Venin dans la plume : Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République »

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Mardi 1 octobre 2019

« Une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises »
Bartolomé de las Casas , Brevisima Relacion de la destruccion de las Indias

Depuis longtemps on nous raconte le beau récit de Christophe Colomb, ce marin génois qui s’est mis au service des monarques catholiques espagnols Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Et en cherchant une route vers l’ouest pour atteindre les Indes, a découvert l’Amérique en 1492.

Il était courageux, opiniâtre et après beaucoup d’effort il a pu accomplir son exploit.

C’était aussi un remarquable cartographe comme le rappelle <Cet article> qui rappelle les péripéties et les différents voyages qui l’ont rendu célèbre.

Cette histoire qu’on nous raconte, n’est en réalité, pas une belle histoire.

Déjà le mot « découverte » pose question. L’Amérique et les iles caraïbes qui ont fait l’objet de l’accostage des navires du génois étaient habités par des humains. Il ne s’agissait donc pas de les « découvrir » mais de les « conquérir ».

Colomb n’est même pas le premier européen à avoir accosté sur le grand continent qui se trouve de l’autre côté de l’Atlantique, il a été précédé par les vikings.

Par ailleurs, Christophe Colomb n’a jamais eu une idée précise de la taille et de la profondeur de ce continent. D’ailleurs, le continent n’a pas été appelé Colombie mais Amérique en souvenir d’Amerigo Vespucci (1454 Florence, 1512 Séville) qui est aussi un explorateur controversé mais qui selon le récit européen serait le premier Européen à comprendre que les terres découvertes par Christophe Colomb font partie d’un nouveau continent.

La petite histoire dit que c’est en Lorraine, dans les Vosges, dans la ville de Saint-Dié que le cartographe Martin Waldseemüller et l’érudit Mathias Ringmann, désignent en son honneur ce nouveau monde du nom d’« America » dans le planisphère qu’ils éditent en 1507.

Donc si le continent ne s’appelle pas Colombie ou Colombus, Christophe Collomb est cependant très présent en Amérique et aux États Unis.

La grande université de New York s’appelle l’université <Columbia>. Des statues de Colomb se trouve quasi dans toutes les grandes villes des États-Unis, à New York, à Los Angeles et dans beaucoup d’autres.

Et puis, les Etats-Unis fêtent le <Columbus Day> (ou « Jour de Christophe Colomb » en français), le deuxième lundi d’octobre. L’Amérique latine et l’Espagne fêtent aussi ce jour.

Mais cela devient de plus en plus compliqué

Hier je vous racontais que Jacques Chirac, maire de Paris avait refusé de fêter les 500 ans de la fameuse « découverte » mais avait organisé, en 1992 au Petit Palais, une exposition sur la civilisation Tainos qui fait partie d’une ethnie plus large qui sont les arawaks, bref les « fameux indiens » que Colomb a rencontré puis massacré.

Cet épisode avait fait l’objet d’une conversation « virile »entre le maire de Paris et le roi d’Espagne. « C’est le fameux coup de fil que lui passe le roi d’Espagne [Juan Carlos] qui lui demande : « Qu’est-ce que tu vas faire pour commémorer la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb ? » Jacques Chirac [maire de Paris] lui répond, racontait-il souvent après : « Je ne vais rien faire pour cet assassin, mais je vais faire quelque chose en l’honneur du peuple qu’il a fait disparaître ». »

Et Le Monde.fr complète :

« Il usera des mêmes mots lors du dîner officiel d’inauguration de l’exposition sur l’art des Indiens Taïnos, ethnie amérindienne décimée par les conquistadors. « Offusqué par mes propos, l’ambassadeur d’Espagne quitta aussitôt la table, avec son épouse, en signe de protestation », racontera-t-il dans ses Mémoires. »

Chirac fut un précurseur. Cet <Article> de 2017 raconte un mouvement d’ampleur aux États-Unis qui tend à faire déboulonner les statues du navigateur sanguinaire :

« La majorité des villes majeures aux Etats-Unis possède une statue du célèbre explorateur. […] des critiques virulentes sont portées sur le personnage historique, accusé notamment d’avoir perpétré des massacres de natifs américains et initié le commerce triangulaire. Ce mois-ci, les statues de Houston, Baltimore ou encore New York ont été vandalisées. Au Columbus Triangle Park de New York, le message « Tear it down. Don’t honor genocide » y a été tagué, littéralement « Détruisez-la. Ne célébrez pas le génocide »

Dans la même philosophie le « Columbus day » est remis en cause. Il est de plus en plus souvent remplacé par « une Journée des peuples indigènes ».

Les inrocks ont publié un article « La fête de Christophe Colomb fracture l’Amérique » :

«  Un néophyte qui jetterait un œil aux festivités n’y verrait que la célébration bon enfant de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (en 1492). Parmi les nombreuses réjouissances prévues: exaltation du patriotisme, parades géantes, exposition de reliques du XVe siècle.

Mais ce succédané de 4 Juillet, la fête nationale, ne fait plus recette. Célébrer l’arrivée des colons espagnols, et avec elle son cortège génocidaire, fait mauvais genre. A tel point que certains États refusent purement et simplement de célébrer cette journée. […]

Austin, Las Vegas et une cinquantaine d’autres villes ont fait le choix de rebaptiser le jour férié en « Journée des peuples indigènes » (Indigenous People Day). La fête se veut ainsi plus respectueuse. »

« RFI » précise :

« Certains Amérindiens étaient venus plaider leur cause en tenue traditionnelle devant le Conseil municipal de Los Angeles. Par 14 voix contre une, il a finalement été décidé de créer une Journée des peuples indigènes en remplacement de Colombus Day, jour férié national célébrant Christophe Colomb depuis 1937.

Après Phoenix, Seattle, Denver, Portland, et d’autres, c’est une nouvelle victoire pour les peuples originels des Etats-Unis et tous ceux qui considèrent que l’explorateur italien est l’un des responsables du massacre de millions de personnes. « Ce n’est encore qu’un tout petit pas pour réparer les dommages qui ont été causés », a expliqué un élu de Los Angeles. « Il faut surtout changer l’enseignement qui est fait sur cette question à l’école », a rappelé le conseiller municipal d’une ville du Maine, qui a pris la même décision à l’extrême opposé du pays. »

Mais qu’en est-il de ce héros de nos livres d’Histoire ?

Le site Agoravox prétend nous donner <la vérité sur Christophe Colomb> :

« D’après des récits retrouvés, issus de son propre carnet de route, puis d’autres, écrits de la main de son propre fils, Fernando Colomb ou d’un prêtre et Historien accompagnateur : Bartolomé De Las Casas, le navigateur était un sanguinaire sans morale.

Les Arawak (indiens) l’ont accueilli de façon pacifique. Il les a d’ailleurs qualifiés dans son journal de bord, d’hommes gentils « qui ne portaient pas d’armes, ils ne savent pas ce qu’est une épée et lorsqu’ils l’ont touchée, ils l’ont prise par la lame et se sont coupés. Ce sont des gens gentils, les meilleurs du monde, qui ne connaissent rien du mal, ils ne tuent pas, ne volent pas.. Ils aiment leurs voisins comme eux-mêmes, ils parlent de façon douce et rient sans cesse ». Si ses écrits s’étaient arrêtés là, Colomb mériterait sans nulle doute, cette place dans l’Histoire. Mais il poursuit pourtant en indiquant « qu’ils feraient de bons serviteurs, ils sont très simples. Avec 50 hommes, nous pourrions tous les subjuguer et faire d’eux, ce que nous voulons ». Et le mal prenant le pas sur le bien, Christophe Colomb n’a pas hésité une seconde a mettre à profit ses mauvaises pensées afin d’obtenir des richesses et surtout, de convertir les natifs au Christianisme.

Couper des mains aux Indiens ne lui ramenant pas assez d’or, couper des oreilles ou des nez à ceux qui refusaient de suivre ses ordres et lois, couper des jambes aux enfants Indiens, cherchant à s’échapper et ce, afin de tester les lames des épées, telles étaient les sanctions pratiquées par Christophe Colomb. Bien décidé à s’approprier les Amériques ainsi que les Antilles, il ne laissa aucune chance aux autochtones déjà en place. Après avoir tué près de 10 000 Haïtiens en leur coupant des membres et en les laissant se vider de leur sang, il s’est attaqué à l’actuelle République Dominicaine, laissant derrière lui, une mare de sang.

Les consignes qu’il avait reçues étaient pourtant claires : « s’efforcer de gagner la confiance des habitants en s’abstenant du moindre mal » mais à l’autre bout du monde, avec un grand sentiment d’impunité, les actes étaient tout autres.

Ce n’était pas la guerre, mais bien pire encore Samuel Eliot Morison, historien, utilise même le terme de « génocide » pour décrire les atrocités des colons..

Des enfants finissaient rôtis à la broche avant d’être découpés en morceaux, des jeux-défis étaient lancés entre Européens afin de savoir qui des deux dualistes pourraient couper d’un seul coup, la tête de sujets Indiens. La bestialité des soldats occidentaux les poussaient à décapiter sans raison aucune, les enfants qu’ils croisaient et pire encore, lorsque les chiens de meute de l’équipage étaient à cours de viande, ce sont des bébés Arawak qui étaient tués ou parfois donnés vifs en guise de repas. Des actes de barbarie de la sorte, les Indiens les ont endurés jour et nuit, et ce, pendant des années. Leur docilité a même donné l’idée à Christophe Colomb, de les ramener en Europe afin qu’ils soient exploités comme esclaves. Pendant les traversées, les femmes et les jeunes filles étaient violées puis battues à mort. […]

Les viols étaient récurrents et ce, dès que les fillettes atteignaient 9 ans. Le Professeur d’Histoire et sociologue de l’Université du Vermont : James Loewen, a souligné que « Dès 1493, le navigateur récompensait ses lieutenants avec des femmes Indiennes ». Bien bêtes sont ceux qui pensaient que des hommes pouvaient rester des mois et des mois en contenant leurs appétits sexuels !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, en 1493, les Arawak comptaient huit millions d’habitants étendus dans les Caraïbes (surtout en Haïti et République Dominicaine). A son départ, en 1504, il ne restait que 100 000 individus. »

Et ce texte est en effet confirmé par l’exemplaire prêtre dominicain <Bartolomé de las Casas> qui dénonça ces crimes et fut le défenseur des peuples indigènes.

Dans ce <récit historique> il dénonce :

« Des chrétiens rencontrèrent une Indienne, qui portait dans ses bras un enfant qu’elle était en train d’allaiter ; et comme le chien qui les accompagnait avait faim, ils arrachèrent l’enfant des bras de la mère, et tout vivant le jetèrent au chien, qui se mit à le dépecer sous les yeux mêmes de la mère (…). »

Vous trouverez aussi sur cette page, l’extrait suivant :

« C’est parmi ces douces brebis, ainsi dotées par le Créateur des qualités que j’ai dites, que s’installèrent les Espagnols. Dès qu’ils les connurent, ceux-ci se comportèrent comme des loups, et des tigres et des lions, qu’on aurait dit affamés depuis des jours. Et ils n’ont rien fait depuis quarante ans et plus qu’ils sont là, sinon les tuer, les faire souffrir, les affliger, les tourmenter par des méthodes cruelles extraordinaires, nouvelles et variées, qu’on n’avait jamais vues ni entendu parler. […]

Il y a eu deux façons principales pour ces gens qu’on appelle chrétiens, d’extirper et rayer ainsi de la terre ces malheureuses nations: la première ce furent les guerres cruelles, sanglantes, tyranniques; la seconde fut, après la mort de tous ceux qui pouvaient aspirer à la liberté et combattre pour elle – car tous les chefs et les hommes Indiens sont courageux – une oppression, une servitude si dure, si horrible que jamais des bêtes n’y ont été soumises. La raison pour laquelle les chrétiens ont détruit une si grande quantité d’êtres humains, a été seulement le désir insatiable de l’or, l’envie de s’emplir de richesses dans le délai le plus rapide possible, afin de s’élever à des niveaux sociaux qui n’étaient pas dignes de leur personne. »

Extrait tiré de : Bartolomé De Las Casas (1542), Brevisima Relacion de la destruccion de las Indias (= Très brève relation de la destruction des Indes).

Jacques Chirac avait raison en parlant de « cet assassin ».

Les monstres qui se comportaient ainsi, se prétendaient chrétiens. Christophe Colomb était très croyant. Et dire que cette ethnie arrogante, les européens chrétiens, prétendaient apporter la civilisation au monde. Nous, en tout cas moi je pensais qu’ils avaient été cruels parce qu’ils voulaient s’enrichir, gagner des terres et étendre leur pouvoir. La réalité est pire, ils étaient pervers et cruels par goût morbide.

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Lundi 8 juillet 2019

«Manger avec la main, c’est naturel, manger avec une fourchette, c’est culturel »
Patrick Rambourg

Michel Serres et Jacques Attali affirment que l’arrivée de la fourchette et du couteau de table est relativement récente et est contemporain de l’éclosion de l’individualisme et de l’autonomisation de l’individu par rapport au groupe.

Avant, on mangeait avec les mains dans le plat commun.

D’ailleurs cette tradition existe encore dans un certain nombre de pays comme le Maroc et l’Inde. C’est aussi le cas dans beaucoup d’autres pays…

Et également dans l’espace…

Ainsi <Le Parisien> rapporte ces propos de Thomas Pesquet lors de son séjour à bord de la Station spatiale internationale :

« J’ai de la chance, car beaucoup des miens [mes conserves] ont été préparés par Alain Ducasse et Thierry Marx, deux très grands chefs français étoilés qui ont tenu compte de mes goûts, d’une part, mais aussi des obligations liées aux conditions dans l’espace. Ainsi, filet de saumon au citron de Menton confit, émincé de volaille, et langue de bœuf à la sauce piquante, trois de mes plats préférés, ont été traités puis pasteurisés pour qu’aucune bactérie étrangère ne prolifère à vitesse grand V dans la station. Je place ces mets dans notre four électrique pendant quelques minutes. Je récupère le sachet, je le coupe avec des ciseaux et je n’ai plus qu’à manger avec les doigts. Pas besoin d’assiette puisque tout flotte! »

Patrick Rambourg, est un historien spécialiste de la cuisine et de la gastronomie. Il est vrai que ses parents tenaient un restaurant. Il a aussi reçu une première formation de cuisinier professionnel avant de suivre son cursus universitaire en histoire à l’Université Paris 7 Denis Diderot.

Il est devenu un spécialiste sur l’histoire de la cuisine et de la gastronomie, de l’alimentation et des manières de table, sur les représentations de la cuisine et de la table. (source Wikipedia).

Il est ainsi l’auteur de nombreux livres sur ce sujet :

  • « À table… le menu ! » Editions Honoré Champion, 2013, 128 pages
  • « Histoire de la cuisine » et de la gastronomie françaises Editions Perrin (coll. tempus n°359), 2010, 381 pages
  • « La cuisine à remonter le temps » Editions du Garde-Temps, 2007, 129 pages.
  • « De la cuisine à la gastronomie. Histoire de la table française » Editions Louis Audibert, 2005, 286 pages.

En 2016, il a écrit : « L’Art et la table » Paris, Editions Citadelles & Mazenod, 2016, 392 pages.

Et le Monde, dans un entretien publié <le 25/01/2019> l’interroge sur ce choix de manger avec les mains ou avec une fourchette ou des baguettes.

J’en retiens que la moitié de l’humanité mange avec la main.

Trois milliards et demi de personnes dans le monde mangent avec les doigts.

Patrick Rambourg explique que cela a aussi été le cas longtemps en Europe et en France.

« Manger avec les mains est le plus commun dans le monde, mais c’était une habitude même en Europe pendant des siècles, y compris pour les élites au Moyen Age, aux XIVe et XVe siècles. Les seuls couverts qui apparaissaient alors sur la table, c’était un couteau, voire une cuillère, que le convive apportait lui-même. La fourchette existait déjà en Italie dès le XIe siècle : il s’agissait des petites fourches à deux branches utilisées par les femmes. Mais la main était l’ustensile le plus répandu pour les pauvres comme pour les élites. »

Patrick Rambourg, explique que la France a progressivement adopté la fourchette.

« Contrairement à une idée répandue, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, à la Renaissance, avec Catherine de Médicis. A la cour du roi Henri III, on essaie déjà d’imposer la fourchette, mais elle est considérée comme maniérée et féminine. Nous avons des textes qui montrent qu’à la cour les gens se moquent de ceux dont l’aliment tombe de la fourchette. Il faut apprendre à l’utiliser.

La main, c’est naturel, la fourchette, c’est culturel.

A la mort d’Henri III, dans un premier temps, elle est utilisée pour se servir dans le plat commun, alors qu’on se servait avant avec les mains. Puis on mange sa part avec les doigts. Elle apparaît ainsi dans l’iconographie du XVIe siècle, où elle ne servait pas à porter l’aliment à la bouche. Aux XVII et XVIIIe siècles, elle est présente sur la table des riches, mais son usage n’est toujours pas systématique.

Louis XIV mange avec ses doigts tandis que la reine tient une fourchette. Puis la haute société s’y convertit progressivement. Au XIXe siècle, la fourchette n’est plus considérée comme élitiste, notamment grâce à la création en 1760 des restaurants publics, qui peu à peu s’adressent à tous les groupes sociaux, grâce aux auberges et aux cabarets. Mais dans les campagnes, on pouvait encore manger avec ses doigts au XIXe siècle. »

Dans de nombreuses parties du monde, manger avec ses mains constitue la normalité.

Dans l’article du monde, une carte représente les pays dans lesquels on utilise ses mains pour manger. La couleur diffère selon que l’on utilise simplement ses doigts, ou des ustensiles en plus, comme souvent une cuillère. Ainsi au Népal, en Ethiopie, au Soudan on n’utilise que les doigts. Au Pérou et en Équateur, on utilise les doigts et des couverts.

Même en France, par exception, pour certains mets, les doigts sont de rigueur par exemple : les cuisses de grenouille.

Selon l’historien, la fourchette s’est imposée en raison d’un traité d’Erasme

« La fourchette s’est imposée parce que les mœurs de table ont évolué, notamment à la suite de la diffusion de <La Civilité puérile>, un traité d’Erasme expliquant à l’aristocratie comment se comporter à table. Le traité d’Erasme prend comme comparaison les animaux. Il influence beaucoup les manières de manger. Cela passe par les élites : il y a l’idée que celui qui se tient bien à table, c’est celui est en haut de la société. Petit à petit, il faut que la main ne touche plus la denrée. Il y a, par ailleurs, une question d’hygiène qui s’impose. La fourchette et les couverts ont contribué à une meilleure civilité à table. Mais pour nos ancêtres, il a fallu du temps. »

En revanche, les européens ne sont pas parvenu à imposer la fourchette en Chine :

« N’oublions pas non plus que les Européens ont été très présents en Chine, pays qu’ils se sont partagé politiquement. Or, ils n’ont jamais réussi à imposer la fourchette sur la table : c’est la force d’une culture, d’une civilisation. Si le monde occidental a pu imposer beaucoup de choses dans le monde, on voit bien qu’au niveau de la table c’est plus complexe. Les baguettes restent très représentatives de la culture asiatique. Et puis, quand on apprend enfant à manier un ustensile, cela devient une habitude de vie, tout simplement. »

<Cet autre article sur le sujet du journal Libération> prétend que le sage chinois Confucius aurait dit :

«L’homme honorable et droit se tient loin de l’abattoir et de la cuisine. Et il ne tolère aucun couteau à sa table.»

Ce même article précise que l’existence des baguettes est attestée en Chine depuis la dynastie Shang (- 1570 à – 1045 av. J.-C.), la première à avoir laissé des écrits.

Il cite aussi Roland Barthes qui loue l’usage de la baguette qui ne

«violente jamais l’aliment […] fait glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres […] introduit dans l’usage de la nourriture, non un ordre, mais une fantaisie et comme une paresse».

Et pour revenir au premier questionnement de l’usage de la main ou d’ustensiles cet article confirme les propos de Michel Serres et Jacques Attali concernant le lien entre l’individualisme et l’utilisation de la fourchette :

« Marc de Ferrière le Vayer, historien des arts de la table, nourrit l’analyse : «Cette course à l’individualisme est caractéristique de la Renaissance. On prend de plus en plus de distance avec les aliments et entre convives.» La main quitte les plats et déserte la bouche. La fourchette prend du galon: elle aura quatre dents au milieu du XVIIIe. Un siècle plus tard, «elle s’est raffinée et généralisée à l’ensemble de la population», »

Et nous apprenons que c’est à Venise que la fourchette a fait son apparition après l’an mil :

« Une princesse byzantine, venue épouser un doge, se refusait de toucher les aliments et préférait utiliser une fourchette à deux dents. […] Un érudit du XVIIIe siècle, Ludovico Antonio Muratori, rapporte dans ses Annales d’Italie qu’en 1071, la fourchette s’était invitée au repas de noce du doge Domenico Silvio. A partir du XIIIe siècle, l’introduction des pâtes dans l’alimentation accompagne la diffusion de la fourchette qui gagne les tables des aristocrates et des bourgeois au cours du XVIe siècle. »

Je retiens donc que manger avec les doigts est naturel.

<1264>

Lundi 17 juin 2019

« « Der Mensch ist, was er ißt
L’homme est ce qu’il mange » »
Ludwig Andreas Feuerbach

Qu’est ce qui est essentiel pour un être vivant comme l’homme ?

C’est d’abord d’éviter d’être tué par un danger naturel, un accident, un prédateur.

Puis c’est de s’alimenter, car s’il n’avale pas de nourriture et ne boit pas, il meurt aussi.

Si on dépasse l’individu et on se situe au niveau de l’espèce, il faut en outre pour que l’espèce puisse perdurer, qu’il se reproduise.

Après cela, il y a des activités très importantes, l’habitat, le soin, la culture, le jeu, l’échange et toutes ces choses qui font que la vie est belle.

Mais en premier il faut éviter de mourir et « s’alimenter »

Lors de l’été 2017, France Culture a diffusé 8 émissions dans la série appelée « Le sens des choses » sur le thème de l’alimentation. Stéphanie Bonvicini et Jacques Attali, animaient ces émissions et invitaient, pour chacune d’entre elles, des personnes érudites pour évoquer une question particulière de cette thématique qu’ils ont synthétisée par cette question « De quoi manger est-il le nom ? ».

Depuis un livre est paru qui retrace ce parcours de réflexion : « Histoires de l’alimentation ». Notez qu« Histoire » porte un « s ».

J’avais écouté ces 8 émissions pendant mes vacances de 2017 et je les ai trouvées absolument passionnantes. Dès leur écoute, j’avais souhaité en faire une série de mots du jour. Mais chaque fois que j’ai voulu entreprendre cette tâche, je me suis découragé devant son ampleur, tant il est vrai que ces questions nécessitent approfondissement, compréhension, vérification.

Je ne me suis jamais senti prêt à attaquer cette série depuis 2017.

Je ne suis toujours pas prêt.

Mais depuis janvier 2019 et la découverte que le mal qui me rongeait avait franchi une nouvelle étape, le sujet de l’alimentation est devenu de plus en plus important pour moi.

Il ne manque pas d’ouvrages, de sites internet, d’émissions de radio et de télévision ou de chaine Youtube, d’articles de magazine qui donnent des centaines de conseils pour la meilleure alimentation pour combattre le cancer ou d’autres maladies ou simplement pour mieux vivre.

Le gros souci c’est que très fréquemment toutes ces sources se contredisent.

L’autre souci qui n’est pas moins important, c’est que si on creuse un peu, on constate que les affirmations péremptoires d’autorités auto-proclamées, comme celles que je dénonçais lors du mot du jour auquel j’ai renvoyé vendredi dernier, ne repose sur rien ou sur si peu de chose.

C’est assez décourageant.

Je vais pourtant commencer, en partant des émissions de 2017, à tenter une nouvelle itinérance, cette fois sur le sujet de l’alimentation d’homo-sapiens.

Je ne sais pas où cela va me mener. Je ne sais pas combien de temps cela durera.

Pour celles et ceux qui espèrent trouver des réponses dans ces mots du jour, je ne peux que reconnaître que cet espoir n’a aucune chance de prospérer.

Mais notre expérience nous l’a appris, pour progresser ce qui est fondamental ce n’est pas de trouver les réponses, mais c’est d’abord de poser les bonnes questions.

Je l’ai écrit vendredi, j’aurais aimé introduire cette série par la phrase d’Hippocrate : «Que votre aliment, soit votre médicament». Mais à la réflexion cette phrase focalise trop sur la santé. Or si le lien de causalité entre l’alimentation et la santé est évidemment très important, l’alimentation d’homo sapiens n’est pas seulement une question de santé de l’homme, mais aussi une question de la place de l’homme sur la terre, de biodiversité, de capacité pour la terre à fournir le désir de nourritures des humains, d’organisation sociale, de règles de vie en société et encore de beaucoup d’autres équilibres.

C’est pourquoi j’ai trouvé que cette phrase : « L’homme est ce qu’il mange » finalement plus pertinente pour commencer.

Cette phrase est souvent utilisée sur les sites évoqués en introduction de cet article. Et on trouve aussi un livre : « Vous êtes ce que vous mangez de Gillian McKeith ». Gilian McKeith a assuré une émission de télévision britannique sur la chaîne « Channel 4 » : « You Are What You Eat » et le livre semble reprendre, en partie, le contenu de cette émission.

Quand on lit la présentation de l’éditeur français, mes doutes sur le sérieux et la rigueur de ces gourous sont dans une position d’ «alerte rouge » :

« Le docteur Gillian McKeith, consacrée meilleure nutritionniste du Royaume-Uni et véritable star, a déjà transformé l’existence de milliers de déplorables mangeurs, grâce à son ouvrage et à son émission célèbre du même nom, You Are What You Eat, sur Channel 4.

Dans la clinique qu’elle dirige à Londres, elle reçoit notamment des sportifs de haut niveau, des membres de la famille royale britannique et des vedettes d’Hollywood. La presse anglaise se fait notamment l’écho de Madonna, Demi Moore, le chanteur Bryan MacFadden, l’actrice Charlize Theron ou encore Jennifer Aniston…

[…] Le docteur Gillian McKeith est une nutritionniste de renommée mondiale. Consacrée « Meilleure nutritionniste du Royaume-Uni » et « Gourou de la diététique » (Sunday Times), elle s’est récemment vu décerner une récompense prestigieuse, le prix « Uplifting The World ». »

En toute hypothèse, cette expression n’est pas d’elle mais semble être de Feuerbach.

« L’homme est ce qu’il mange » est un ouvrage du philosophe allemand Ludwig Andreas Feuerbach (1804-1872) connu comme un des inspirateurs de Karl Marx.

C’était un philosophe matérialiste, critique de la religion et du christianisme.

Selon ce que je comprends, Feuerbach ne s’intéressait pas à la santé dans cette phrase mais plutôt à la culture et à la personnalité de l’homme par rapport aux traditions et aux règles culinaires auxquelles il se rattache.

Il écrit :

« La nourriture de l’homme est la base de la culture et de l’état d’esprit de l’homme (…) L’homme est ce qu’il mange ».

Et il est vrai que l’alimentation est aussi une question de culture, de savoir-vivre, d’échanges, de communication.

Je vais donc entreprendre ce cheminement avec humilité, doute et soif de trouver les bonnes questions à poser.

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Mercredi 5 juin 2019

« Le titulaire d’une marque est un fils, en droite ligne, de ces putains alexandrines »
Michel Serres

Nous avons tous, notamment avec nos enfants, été confrontés à la tyrannie des marques. Il faut des chaussures de telle marque, des vêtements de telle autre sinon l’enfant est ostracisé, exclu du groupe.

Les marques permettent des marges considérables, surtout depuis que les sociétés qui les possèdent ont trouvé le filon d’aller faire fabriquer le support de leur logo dans des pays de main d’œuvre peu chère et d’un droit du travail particulièrement accommodant pour les employeurs cupides.

Mais d’où vient cette appellation de « marque ».

C’est encore Michel Serres qui apporte son explication particulière. Il a dit lors de l’émission que j’ai déjà évoquée deux fois ces derniers jours : « Michel Serres – Questions Politiques du 26 mai 2019 » :

« Autant il est facile de trouver l’origine du mot marque et sa fonction linguistique dans le droit de propriété, autant la date de son apparition historique sur le marché restait, à ma connaissance inconnue.

Sauf que, feuilletant un vieux grimoire de l’époque hellénistique, je découvris que les putains d’Alexandrie sculptaient en négatif leur nom et leur adresse sous les semelles de leurs sandales et les imprimaient ainsi en marchant sur le sable de la plage. Marchant, elles marquaient. […] Leurs clients les suivaient à la trace.

La publicité, rien de plus rationnel, fut inventée par les filles publiques. Comment nommer le titulaire d’une marque ? Un fils, en droite ligne, de ces putains alexandrines. »

Un peu de recherche a permis de constater qu’il avait déjà rapporté cette origine dans livre « Le mal propre »

Le mal propre commence ainsi :

« Le tigre pisse aux limites de sa niche. Le lion et le chien aussi bien. Comme ces mammifères carnassiers, beaucoup d’animaux, nos cousins, marquent leur territoire de leur urine, dure, puante ; et de leurs abois ou de leurs chansons douces, comme pinsons et rossignols.

Marquer : ce verbe a pour origine la marque du pas, laissée sur la terre par le pied. Les putains d’Alexandrie, jadis, avaient coutume, dit-on, de ciseler, en négatif, leurs initiales sous la semelle de leurs sandales, pour que, les lisant, imprimées sur le sable de la plage, le client éventuel reconnaisse la personne désirée en même temps que la direction de sa couche. Les présidents des grandes marques reproduites par les publicitaires sur les affiches des villes jouiront sans doute, ensemble, d’apprendre qu’ils descendent en droite ligne, comme de bons fils, de ces putains-là.

Ou de ces bestioles-là, qui marquent de leurs déjections les frontières de leur aire. De même, certains végétaux diffusent alentour de petits jets invisibles d’acide… Rien ne pousse à l’ombre glacée des sapins. »

Il y a donc selon lui deux origines aux « marques ».

  • L’instinct des mammifères « de pisser » aux limites de leur territoire pour en « marquer » les limites et leur appropriation de ce territoire.
  • La pratique des prostituées d’Alexandrie d’imprimer leur trace dans le sable afin que leurs clients puissent les retrouver.

Je ne sais pas s’il faut considérer ces explications comme la vérité historique.

Mais je dois avouer qu’elles me plaisent beaucoup, tant il est vrai que « les marques » sont devenus une sorte de drogue qui crée l’addiction à une société de surconsommation dont nous savions déjà qu’elle était la ruine de l’âme et dont nous comprenons aujourd’hui qu’elle est aussi une immense menace pour la survie de notre espèce sur la terre.

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Mardi 4 juin 2019

« Le massacre de la place de la porte de la Paix céleste»
Episode fondamental de l’Histoire de la République Populaire de Chine

Le 4 juin 1989, le mur de Berlin n’était pas encore tombé, mais les pays communistes dans l’Europe de l’est étaient en pleine ébullition et Gorbatchev essayait vainement de réformer l’Union soviétique.

Je ne m’en souvenais pas, mais le jour précédent, le 3 juin 1989, l’austère et fanatique Ayatollah Khomeini venait de mourir.

Et le 4 juin fut le jour du massacre de la place Tian’anmen à Pékin

Or « Tian’anmen » signifie « la porte de la Paix céleste ». C’est une porte monumentale de l’avenue qui constitue l’entrée Sud de la Cité impériale. Elle borde au Nord la place qui porte son nom.

Le 4 juin 1989, il y a 30 ans, fut donc le jour du massacre de la place de la porte de la Paix céleste

Associer « la paix céleste » et « un massacre » constitue un oxymore dont la Chine communiste semble coutumière.

J’avais souligné lors du <mot du jour du 24 mai 2013> l’extraordinaire article 1 de la constitution de la Chine populaire :

« La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans.

Le système socialiste est le système fondamental de la République populaire de Chine. Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste. »

D’ailleurs la seconde partie de cet article « Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste » semble lourd de sens et annonciateur de ce qui s’est passé en juin 1989.

En 1989, la Chine était au début de son extraordinaire développement économique qui l’a amené à son niveau d’aujourd’hui, à savoir en rival des États-Unis d’Amérique. Tout le monde attribue cette évolution remarquable à Deng Xiaoping qui est arrivé à écarter le successeur désigné de Mao : Hua Guofeng. De manière officielle Deng Xiaoping sera le principal dirigeant chinois à partir de décembre 1978

Autour de Deng Xiaoping trois dirigeants vont jouer un rôle éminent dans toute cette affaire :

  • Hu Yaobang qui a été le secrétaire général du parti communiste chinois de 1980 à 1987. Mais il sera limogé en 1987 de ses fonctions à la tête du Parti à la suite déjà de manifestations étudiantes dont il aurait soutenu les revendications démocratiques. Il avait l’image du réformateur.
  • Zhao Ziyang était Premier ministre de 1980 à 1987 puis il remplace Hu Yaobang comme Secrétaire général du Parti communiste chinois de 1987 à 1989.
  • Li Peng qui a pris la place de Zhao Ziyang comme Premier ministre en 1987 et le restera jusqu’en 1998.

Ces 3 hommes sont des disciples et des proches collaborateurs de Deng Xiaoping, mais n’auront pas toujours sa confiance

En avril 1989, Deng Xiaoping ne se présente plus au premier plan mais tire encore les ficelles. Au premier plan, il y a Zhao Ziyang le chef du Parti et Li Peng le premier ministre.

Et c’est dans ce contexte que Hu Yaobang meurt le 15 avril 1989. Des manifestations spontanées ont lieu dans tout le pays pour saluer son rôle de réformateur et .demandent la réhabilitation politique de Hu Yaobang. Le 18, quelques milliers d’étudiants et de civils se rendent sur la place où ils organisent un sit-in devant le Grand Palais du Peuple (l’assemblée nationale). C’est la première grande manifestation.

C’est ainsi que commencent les évènements de Tian’anmen.

Ce sont des intellectuels, des ouvriers et des étudiants qui vont manifester, faire des grèves de la faim et finalement même ériger une statue de la liberté « chinoise ». Ils dénoncent la corruption et demandent des réformes politiques et démocratiques.

Ces évènements vont durer du 16 avril jusqu’au 4 juin. Ils vont durer aussi longtemps parce qu’il y a désaccord au sein du groupe des dirigeants Zhao Ziyang étant à la tête du groupe qui souhaite négocier et accéder à certaines réformes, Li Peng à la tête d’un groupe qui veut tuer dans l’œuf toute évolution du régime et de remise en cause du rôle du Parti Communiste Chinois.

Finalement c’est le groupe de Li Peng avec le soutien de Deng Xiaoping qui va gagner, la ligne dure l’emporte, et après l’établissement de la Loi martiale en 19 mai, Zhao Ziyang est immédiatement limogé et placé en résidence surveillée où il restera jusqu’à sa mort.

Mais les manifestants restant mobilisés, malgré la Loi martiale, le gouvernement chinois va envoyer l’armée et réprimer le soulèvement dans le sang le 4 juin 1989 de triste mémoire.

Les officiels chinois prétendront qu’il y a eu 200 morts, d’autres sources dont l’Union Soviétique comme les États-Unis estiment ce massacre à plus de 10 000 morts.

Tous ces évènements sont précisément décrits dans <Wikipedia>

Il y a aussi ce documentaire <d’Arte> :

Et puis dans une perspective contemporaine, il y a cette émission du Grain à moudre sur France Culture : « Que reste-t-il de Tiananmen ? ».

Parmi les invités, il y avait la journaliste Laure Guilmer qui avait couvert ces évènements et qui est retourné en Chine en 2019 pour retrouver les étudiants désormais cinquantenaires qu’elle avait connus alors. Elle raconte combien il est difficile de les faire reparler de ce moment de leur vie, certains sont totalement dans le déni.

Le gouvernement a d’ailleurs poursuivi une vraie politique d’occultation, d’omerta et continue à le faire.

Comme l’écrit le journal : « La Croix » <Pékin minimise toujours la gestion des « turbulences » de Tian An Men> :

« Cet incident était une turbulence politique et le gouvernement central a pris les mesures pour mettre un terme à ces turbulences, ce qui a été la décision correcte », a expliqué dimanche 2 juin à Singapour le général chinois Wei Fenghe à une question d’une journaliste portant sur la répression militaire le 4 juin 1989 à Pékin. […]

Pékin n’a jamais reconnu le nombre de victimes, parlant de « 200 ou 300 dont beaucoup de soldats ». Le nombre de victimes se chiffre beaucoup plus autour de « plusieurs milliers », pas seulement sur la Place Tian An Men et à Pékin mais dans des dizaines de villes chinoises où les étudiants s’étaient également soulevés. […]

La mémoire de ces tragiques événements est toujours portée par de nombreux militants à travers le monde et même à Hong Kong, seul endroit du territoire chinois où il est encore possible d’évoquer « Tian An Men » et où les défenseurs de la démocratie se battent encore, convaincus de voir la vérité triompher en citant le grand auteur chinois Lu Xun (1881-1936) : « Les mensonges écrits à l’encre ne peuvent camoufler les faits écrits dans le sang. »

Cet échange entre le général chinois et le journaliste ne sera pas évoqué dans les médias chinois en Chine.

Depuis 1989, il n’est pas possible de parler de ces évènements en Chine. Les moteurs de recherche chinois ne permettent pas d’accéder aux sites qui parlent du 4 juin ou des massacres de Tien an Men.

Le <Figaro> rapporte :

« Dans un éditorial, le quotidien de langue anglaise Global Times, très proche du parti au pouvoir, estime que «l’incident» du 4 juin 1989 «est devenu un événement historique oublié» et que cet oubli même a permis à la Chine de poursuivre son spectaculaire développement économique.

«Depuis l’incident, la Chine est parvenue à devenir la deuxième économie mondiale, avec une amélioration rapide du niveau de vie», salue le journal, alors que l’ensemble des autres médias gardaient le silence sur l’anniversaire du massacre. «En vaccinant la société chinoise, l’incident de Tiananmen augmentera grandement l’immunité de la Chine contre tout trouble politique à l’avenir», estime le quotidien, dont l’éditorial ne figurait pas dans la version du journal en langue chinoise et n’était pas non plus disponible en ligne. »

Quelles conclusions tirer de ces évènements et de leurs suites ?

  • En Chine, le régime fort et sans remord mis en place par Deng Xiaoping a enterré, l’illusion de beaucoup d’occidentaux qui prétendait que le développement du capitalisme se réalisait en parallèle avec un développement des libertés démocratiques. L’évolution chinoise a démontré exactement le contraire. Le développement a continué de plus belle et jamais la population chinoise n’a été aussi surveillée et privée de liberté.
  • Les dirigeants chinois ont explicitement proposé ce « contrat » à leurs citoyens : Vous pouvez vous enrichir autant que vous voulez, mais personne n’a le droit de toucher à l’organisation politique et au rôle du Parti communiste.
  • Seules des difficultés économiques importantes pourront remettre en question « ce contrat ».
  • Enfin, la Chine constitue un exemple parfait de la soumission qu’on obtient quand on parvient à transformer les citoyens, en simples consommateurs. Même si je doute que tous soient atteints par ce trouble du discernement qui est celui de se réfugier dans la seule et exclusive consommation.

En tout cas, la Chine n’est en aucune façon, dans le contexte d’aujourd’hui, un État et une organisation politique désirables.

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Jeudi 2 mai 2019

« Le 1er mai, la fête du travail, Pétain et le muguet »
Essai de faire le point historique sur les références et les coutumes du 1er mai

Sur la plupart des calendriers, vous voyez écrit à la date du 1er mai : « Fête du travail »

D’ailleurs notre Président de la République a accueilli, hier à l’Elysée, pour a priori fêter le travail, 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs. Le journal « La Croix » nous informe :

« Dans un quartier de l’Elysée bouclé par crainte des « black blocs », Emmanuel Macron a invité mercredi 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs pour la traditionnelle remise du muguet, autour d’un somptueux buffet.

« Je suis heureux de vous recevoir ici, avec Brigitte, parce que c’est une tradition de remettre le muguet et il est bon, dans les temps où les choses changent, que les traditions qui ont un sens, un symbole, soient tenues. En tout cas, j’y tiens », a déclaré le président de la République, devant l’assemblée réunie dans la salle des fêtes. »

Et puis il a dit autre chose et que pour que l’écho de ses propos dépasse la salle des fêtes de l’Elysée, il a tweeté la même phrase dite devant les 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs :

« Le #1erMai est la fête de toutes celles et ceux qui aiment le travail, le chérissent, parce qu’ils produisent, parce qu’ils forment, parce qu’ils savent que par le travail nous construisons l’avenir. Merci de porter ces valeurs et d’œuvrer chaque jour pour notre Nation.

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 1, 2019 »

Ce tweet n’a pas convaincu Libération qui a répondu par un article courroucé : « 1er mai : Macron confond «fête du travail» et «fête des travailleurs» »

Et puis mon fils m’avait raconté que la fête du travail était célébrée au Canada en septembre.

Et enfin, on offre du muguet le 1er mai, ou plutôt certains le vendent et d’autres l’achètent. Je me souviens que lorsque nous habitions à Montreuil, une voisine venait sonner à notre porte, le 1er mai, pour nous vendre un brin de muguet au profit du Parti communiste français. D’où vient cette tradition ? C’est aussi la question que se pose RTL sur son site : «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? »

Bref, il m’a semblé important de faire le point sur ces différentes coutumes, célébrations et de revenir à l’Histoire.

Et l’histoire commence le 1er mai 1886 aux Etats-Unis où des ouvriers réclament la journée de travail de huit heures. A l’appel du syndicat qui avait pour nom : «  l’American Federation of Labor », 350 000 travailleurs débrayent aux États-Unis pour cette revendication de la journée de travail de huit heures. Cette journée va conduire à un évènement que l’Histoire retiendra sous le nom de « Le massacre de Haymarket Square » à Chicago.

Wikipedia nous donne ces informations :

« Tout commence lors du rassemblement du 1er mai 1886 à l’usine McCormick de Chicago. Il s’intégrait dans la revendication pour la journée de huit heures de travail quotidien, pour laquelle une grève générale mobilisant 340 000 travailleurs avait été lancée. August Spies, militant anarchiste, est le dernier à prendre la parole devant la foule des manifestants. Au moment où la foule se disperse, 200 policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y a un mort et une dizaine de blessés. Spies rédige alors dans le journal Arbeiter Zeitung un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière, qui se tient le 4 mai. Ce rassemblement se voulait avant tout pacifiste. Un appel dans le journal The Alarm appelait les travailleurs à venir armés, mais dans un seul but d’autodéfense, pour empêcher des carnages comme il s’en était produit lors de bien d’autres grèves.

Le jour venu, Spies, ainsi que deux autres anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden, prennent la parole. Le maire de Chicago, Carter Harrison, assiste aussi au rassemblement. Lorsque la manifestation s’achève, Harrison, convaincu que rien ne va se passer, appelle le chef de la police, l’inspecteur John Bonfield, pour qu’il renvoie chez eux les policiers postés à proximité. Il est 10 heures du soir, les manifestants se dispersent, il n’en reste plus que quelques centaines dans Haymarket Square, quand 180 policiers de Chicago chargent la foule encore présente. Quelqu’un jette une bombe sur la masse de policiers, en tuant un sur le coup. Dans le chaos qui en résulte, sept agents sont tués, et les préjudices subis par la foule élevés, la police ayant « tiré pour tuer ». L’événement devait stigmatiser à jamais le mouvement anarchiste comme violent et faire de Chicago un point chaud des luttes sociales de la planète. On soupçonne l’agence de détectives privés Pinkerton de s’être introduite dans le rassemblement pour le perturber, comme elle avait l’habitude de le faire contre les mouvements ouvriers, engagée par les barons de l’industrie.

Après l’attentat, sept hommes sont arrêtés, accusés des meurtres de Haymarket. August Spies, George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième nom s’ajoute à la liste quand Albert Parsons se livre à la police.

[…]

Le 19 août, tous sont condamnés à mort, à l’exception d’Oscar Neebe qui écope de 15 ans de prison. Un vaste mouvement de protestation international se déclenche. Les peines de mort de Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden sont commuées en prison à perpétuité (ils seront tous les trois graciés le 26 juin 1893). Louis Lingg se suicide en prison. Quant à August Spies, George Engel, Adolph Fischer et Albert Parsons, ils sont pendus le 11 novembre 1887. Les capitaines d’industrie purent assister à la pendaison par invitation. Ils seront réhabilités par la justice en 1893.

Le gouverneur de l’Illinois John Peter Altgeld déclara que le climat de répression brutale instauré depuis plus d’un an par l’officier John Bonfield était à l’origine de la tragédie :

Alors que certains hommes se résignent à recevoir des coups de matraque et voir leurs frères se faire abattre, il en est d’autres qui se révolteront et nourriront une haine qui les poussera à se venger, et les événements qui ont précédé la tragédie de Haymarket indiquent que la bombe a été lancée par quelqu’un qui, de son propre chef, cherchait simplement à se venger personnellement d’avoir été matraqué, et que le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police. »

L’évènement connut une intense réaction internationale et fit l’objet de manifestation dans la plupart des capitales européennes.

George Bernard Shaw déclara à cette occasion : « Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu’il s’agisse des huit juges de la Cour suprême de l’Illinois »

Et en 1889, la deuxième Internationale ouvrière ou Internationale socialiste décide d’adopter le 1er mai comme la journée internationale de revendication des travailleurs.

2 ans plus tard, lors de cette journée de revendication, en France, le 1er mai 1891, à Fourmies (Nord), la troupe tire sur les grévistes. Le bilan est de neuf morts et de 35 blessés. Bien que les forces de l’ordre aient été mises en cause, neuf manifestants furent condamnés pour entrave à la liberté de travail, outrage et violence à agent et rébellion, à des peines de prison de deux à quatre mois fermes. On appellera cet évènement : « la fusillade de Fourmies »

Nous sommes assez loin de la célébration de ceux qui « chérissent le travail » mais plutôt dans la revendication de celles et ceux qui sont exploités et qui réclament des droits pour les travailleurs. Il paraît donc légitime de parler de « la journée internationale des travailleurs. »

Mais alors pourquoi parle t’on de la fête du travail ?

La fête du travail a une autre origine et qui est plutôt nationale. En pratique on a donné, en Europe, ce nom à plusieurs fêtes qui furent instituées à partir du XVIIIe siècle pour célébrer les réalisations des travailleurs. Vous pourrez en savoir davantage derrière ce <Lien>.

Et pour confondre les deux, il a fallu le régime de Vichy et Pétain qui vont fixer la fête du travail qui sera chômée au 1er mai. Rappelons que la devise de ce régime était : « Travail, Famille, Patrie ». Le travail remplace la « Liberté » et la Famille l’« Egalité » de la République.

C’est une Loi d’avril 1941 qui créa la « Fête du travail et de la concorde sociale » le 1er mai.

Et ceci permet de résoudre l’énigme de mon fils, au Canada comme aux Etats-Unis, on ne confond pas ces deux jours et si la journée internationale des travailleurs est bien célébrée le 1er mai, c’est la fête du travail qui a lieu en septembre. Et… seule la seconde est chômée, selon ce que j’ai compris.

Et le muguet du 1er mai ? C’est encore Pétain !

On trouve sur Internet cette affiche d’époque.

Sur la page du site de RTL «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? » on apprend que : un Noble dont on conserve la mémoire en raison de son geste d’avoir offert un brin de muguet au roi de France Charles IX, est à l’origine de cette tradition d’offrir du muguet. Il a pour nom Chevalier Louis de Girard de Maisonforte.

En 1561, Charles IX qui régnera de 1560 à 1574, séduit par cette pratique, officialisera la tradition d’offrir un brin de muguet chaque printemps aux dames de sa cour.

Au printemps pas précisément le 1er mai.

RTL donne la parole à Mathilde Larrere, présentée comme historienne des révolutions et de la citoyenneté :

« L’imposer comme fleur du 1er mai, c’est bien Pétain. »

Le 1er mai des ouvriers, après, la répression sanglante de Fourmies avait fait de l’églantine écarlate, la fleur emblématique du mouvement, en mémoire au sang versé. Elle raconte :

« C’est à ce moment que le 1er mai devient « la Fête du travail et de la concorde sociale » et le maréchal Pétain impose alors le muguet pour remplacer l’églantine « trop prolétarienne, trop rouge, trop révolutionnaire » »

La page citée rappelle que :

« Le muguet n’est pas forcément le meilleur cadeau à offrir au niveau de la santé. En effet, en plus d’être issu d’une tradition vichyste, le muguet peut être toxique.

Le poison se trouve dans la tige et les feuilles, pas dans les fleurs. Le pire, ce sont les petites boules rouges : les fruits du muguet qui viennent après les fleurs. La substance dangereuse s’appelle la convallarine.

Elle ralentit le rythme cardiaque »

En réalité il y a trois toxines dans le muguet :

  • la convallatoxine
  • la convallarine
  • la convallamarine).

Pétain était aussi toxique que le muguet.

Et notre président n’avait pas tort, contrairement à ce que dit « Libération », simplement il ne se référait pas à la journée internationale des travailleurs, mais à la « vraie » Fête du travail, qui est autre chose.

Les références auxquelles on se rapporte disent beaucoup de nos priorités…

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