Vendredi 5 octobre 2018

« la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiques, tout en ignorant leurs besoins subjectifs  »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 97

Reprenons notre cheminement à travers le livre de Harari : « Homo deus »

Nous en étions restés avec la révolution agricole, l’apparition du monothéisme et la séparation absolue de l’homme et des autres animaux.

A partir de ce moment, homo sapiens ne se pense plus comme un animal plus évolué, plus intelligent, disposant d’une place privilégiée dans la chaine alimentaire. L’homme ne se pense tout simplement plus comme un animal, mais d’une essence toute différente.

Dieu entre dans l’imaginaire d’homo sapiens. Les croyants diraient homo sapiens découvre Dieu.

Toujours est-il que l’homme se vit alors d’essence divine, les animaux n’ont rien de commun avec « les enfants de Dieu », pas d’intelligence et surtout pas d’émotion.

Et la révolution agricole va créer une catégorie très particulière d’animal : l’animal domestique.

Pour Harari

« La Bible, avec sa croyance en la singularité humaine, a été l’un des sous-produits de la révolution agricole qui a initié une nouvelle phase entre humain et animal. L’avènement de l’agriculture a produit de nouvelles vagues d’extinctions de masse, mais a surtout créé une nouvelle forme de vie sur terre : les animaux domestiqués » (P 92)

Harari fait un schéma de la biomasse sur terre des grands animaux distinguant les humains, les animaux sauvages et les animaux domestiques.

Il arrive alors à ce camembert.

C’est un schéma assez impressionnant. Les humains et leurs animaux domestiques occupent plus de 90% de cette biomasse.

Mais parmi les animaux domestiques, s’il existe une sous-catégorie appelés animaux de compagnie, qui sont plutôt bien traités, il n’en va pas de même pour les millions d’animaux domestiques qu’homo sapiens utilise pour sa nourriture.

« Les espèces domestiqués ont malheureusement payé leur succès collectif sans précédent de souffrances individuelles sans précédent. Si le règne animal a expérimenté maints types de douleurs et de malheurs depuis des millions d’années, la révolution agricole a engendré de nouvelles formes de souffrance qui n’ont fait qu’empirer avec le temps (p 93) »

Peut-être que l’une ou l’autre, à ce stade, se pose la question mais pourquoi Harari s’intéresse t’il tellement à cette relation ancienne entre les hommes et les autres animaux ? Alors que « Homo deus » est censé donner des idées et des perspectives sur l’homme du futur qui veut devenir à l’égal de Dieu : maîtriser la vie, la mort, les instincts et disposer de toute l’information nécessaire (big data) et des algorithmes permettant d’analyser l’information rapidement afin de pouvoir prendre à chaque instant, la décision la plus rationnelle.

D’abord comme je l’ai transcrit dans le mot de lundi

« Ce livre retrace les origines de notre conditionnement actuel afin d’en desserrer l’emprise, de nous permettre d’agir autrement et d’envisager notre avenir de manière bien plus imaginative. »

Notre relation et notre vision du monde animal, ainsi que le mythe de notre séparation « étanche » avec les animaux est un de ces conditionnements.

Et j’ajouterai que dans notre comportement avec les animaux nous avons déjà tous les prémices de ce conditionnement d’ « homo deus »

Harari ne remet pas forcément en cause le fait que les humains mangent d’autres animaux, comme le lion mange la gazelle :

« Ce qui rend le sort des animaux domestiqués particulièrement dur, ce n’est pas uniquement la façon dont ils meurent, mais surtout la manière dont ils vivent.[…]

La racine du problème est que les animaux domestiqués ont hérité de leurs ancêtres sauvages de nombreux besoins physiques, émotionnels et sociaux jugés superflus dans les élevages humains. Les fermiers ignorent systématiquement ces besoins sans subir la moindre sanction économique.

Ils enferment les animaux dans des cages minuscules, mutilent cornes et queues, séparent les mères de leur progéniture, et élèvent sélectivement des monstruosités. Les animaux souffrent terriblement, mais vivent et se multiplient.[…] »

Quand Harari parle de fermier, il me semble juste d’ajouter qu’il parle d’agriculteurs qui ont perdu toute relation avec leurs bêtes, dans une volonté de plus en plus fort d’industrialisation des processus qui ne regarde plus que les animaux sous forme de matières premières capables de produire des protéines. Il existe encore des paysans qui ont un autre rapport avec leurs animaux.

Mais pour compléter son propos, Yuval Noah Harari s’intéresse particulièrement, pour l’exemple, aux cochons et à la femelle du cochon.

« Pour survivre et se reproduire, à l’état sauvage, les sangliers d’autrefois avaient besoin de parcourir d’immenses territoires, de se familiariser avec ce milieu tout en se méfiant des pièges ou des prédateurs. Ils avaient en outre besoin de communiquer et de coopérer avec leurs congénères formant ainsi des groupes complexes dominés par de vieilles matriarches expérimentées. […]

Les descendants des sangliers – les cochons domestiqués – ont hérité de leur intelligence, de leur curiosité et de leurs compétences sociales. […] Les truies reconnaissent les couinements de leurs porcelets qui, âgés de deux jours, différencient déjà les appels de leur mère de ceux des autres truies.

Le professeur Stanley Curtis de la Pennsylvania State University a entraîné deux cochons – Hamlet et Omelette – à actionner un levier avec leur groin et il s’est aperçu qu’ils ne tardaient pas à rivaliser avec les primates en matière d’apprentissage et de jeux vidéo.

Aujourd’hui, la plupart des truies élevées dans les fermes industrielles ne pratiquent pas les jeux vidéo. Leurs maitres humains les enferment dans de minuscules box de gestation, habituellement de deux mètres sur soixante centimètres. Les box en question ont un sol de béton et les barreaux métalliques, et ne permettent guère aux truies enceintes de se retourner ou de dormir sur le flanc, encore moins de marcher. Après trois mois et demi dans de telles conditions, les truies sont placées dans des box légèrement plus larges, où elles mettent au monde et allaitent leurs porcelets. Dans la nature, ils tèteraient leurs mères de dix à 20 semaines ; dans les fermes industrielles, ils sont sevrés de force au bout de 2 à 4 semaines et envoyés ailleurs pour être engraissés et abattus. La mère est aussitôt engrossée à nouveau et replacée dans son box de gestation pour un nouveau cycle » pages 95 & 96

La truie dispose de tout ce qui est indispensable pour survivre et se reproduire : nourriture, vaccin, protection contre les intempéries et insémination artificielle.

Harari ajoute :

« La truie n’a plus objectivement besoin d’explorer son environnement, de frayer avec ses congénères, de s’attacher à ses petits ou même de marcher. D’un point de vue subjectif, elle éprouve encore un besoin très intense de faire toutes ces choses et souffre terriblement si ces besoins ne sont pas assouvis. Les truies enfermées dans des box de gestation manifestent en alternance des sentiments de frustration intense et de désespoir extrême. […]

Tragiquement, la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiques, tout en ignorant leurs besoins subjectifs » P 97

Et il pose cette question :

« Comment pouvons-nous être sûrs que des animaux comme les cochons possèdent effectif un monde subjectif de besoins, de sensations et d’émotions ? Ne sommes-nous pas coupable d’humaniser les animaux ? »

Et sa réponse est limpide, dans la mesure où l’on accepte de changer son conditionnement, de sortir de la déification d’homo sapiens et de se rappeler que nous sommes des mammifères. C’est-à-dire des animaux qui ont un lien particulier avec leurs petits qui est l’allaitement.

« En vérité, attribuer des émotions aux cochons, ce n’est pas les humaniser, mais les mammifériser »

Et de ces réflexions Harari amène à la science la plus moderne et explique l’émotion par des algorithmes biochimiques :

« Les émotions sont plutôt des algorithmes biochimiques vitaux pour la survie et la reproduction de tous les mammifères. »

Et il explique tout cela à partir de la page 97. Car en effet les animaux ont un sentiment fort à l’égard de leurs petits, c’est une souffrance quand on les prive de leurs présence de manière prématurée, les animaux ont des émotions.

Il est juste de dire que même pour les humains, il existait une époque où dans l’éducation des jeunes homo sapiens au début du XXème siècle, des prétendus spécialistes passaient totalement à côté des besoins émotionnels des enfants. Il cite ainsi John Watson.

Les animaux ont des émotions, ils ont aussi une capacité d’interaction avec les humains quand on les laisse exprimer ces facultés. Et pour ne pas être trop long et finir par un récit révélateur, je voudrais rapporter l’histoire du cheval « Hans le malin » qu’il raconte dans son livre :

Au début des années 1890, un cheval baptisé Hans le Malin devint une célébrité en Allemagne. En effet, il arrivait à comprendre et annoncer le résultat de multiplications en donnant le bon nombre de coups de sabots. Cependant, après qu’une commission scientifique l’eut observé, il s’avéra que ce cheval se contentait d’observer soigneusement le langage du corps de son public. Quand Hans le Malin approchait du chiffre exact, il était capable de lire la posture du corps et la physionomie afin d’arrêter ses coups de sabots au bon moment. Il n’avait pas donc cette capacité humaine du calcul mais il avait une autre capacité meilleure que celle des humains : il avait une bien meilleure observation du comportement des humains.

Vous trouverez sur internet des sites qui raconte plus en détail cette histoire : <Ici une page> et <Ici un podcast>

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Mardi 2 octobre 2018

« Par rapport aux autres animaux, cela fait longtemps que les humains sont devenus des dieux. Nous n’aimons pas y penser trop sérieusement parce que nous n’avons pas été des dieux particulièrement justes ou miséricordieux. »
Yuval Noah Harari « Homo deus » page 85

Il n’est pas question pour moi de faire un résumé du livre, d’autres l’ont fait : https://www.beseven.fr/resume-detaille-homo-deus/amp/

Ma démarche consiste à aborder les questions et les développements qui m’ont interpellés et pour lesquels Harari m’a soit appris quelque chose ou m’a permis de me poser des questions nouvelles.

Je disais hier que pour entrer dans un ouvrage comme « Homo deus » il fallait commencer par la table des matières.

Il y a donc 3 parties :

  • Partie I – Homos sapiens conquiert le monde
  • Partie II – Homo sapiens donne sens au monde
  • Partie III – Homo sapiens perd le contrôle

Ces trois parties étant précédées par une introduction : Le nouvel ordre du jour humain

Pour Luc Ferry que j’ai cité dans le mot d’hier ces trois parties constituent un simple plagiat d’Auguste Comte selon laquelle l’humanité serait passée par « trois états » : religieux, métaphysique et « positif » (scientifique) et que l’histoire occidentale se partagerait ainsi en trois âges : l’âge théologique où les principes qui définissent la morale et le sens de la vie venaient de Dieu ; l’âge métaphysico-humaniste, inauguré par Rousseau, qui entérinerait le retrait du divin en s’efforçant de situer toute autorité dans le cœur de l’homme, dans son libre arbitre et la sensibilité de son « moi profond ».

A ces remarques, je réponds que d’abord Harari n’est pas un chercheur mais un historien. Il n’invente ou ne trouve rien mais se sert des recherches, des inventions, des théories que d’autres ont élaboré pour en faire une synthèse et pour en tirer des problématiques et des questions.

Ensuite, c’est une vaste blague de dire qu’entre Auguste Comte et Yuval Noah Harari, il n’y a pas une accumulation de connaissances et de découvertes qui ont enrichi la réflexion de l’historien israélien pour présenter sa vision de l’évolution de notre espèce.

Car, c’est la grande force d’Harari de ne pas entrer dans cette aventure, cette histoire par la philosophie qui part d’un postulat donnant à l’homme une dimension, une destinée, une valeur dans le monde du vivant très supérieure à tous les autres êtres vivants.

Pour Harari, l’ « HOMME » est avant tout « homo sapiens », un mammifère, un cousin du singe qui était au départ faible, proie de prédateurs plus puissants que lui, et qui au fur à mesure de son évolution a colonisé la planète terre en créant des civilisations extraordinairement sophistiquées mais en même temps a détruit les ressources de la planète et éliminé en masse d’autres espèces de manière involontaire et surtout de manière inconsciente.

<Le mot du jour du 29 juin 2017> citait le livre «L’arbre de la science » qu’Eugène Huzar écrivait en 1857, au début de l’ère industrielle et qui lançait cette mise en garde :

«L’homme, en jouant ainsi avec cette machine si compliquée, la nature, me fait l’effet d’un aveugle qui ne connaîtrait pas la mécanique et qui aurait la prétention de démonter tous les rouages d’une horloge qui marcherait bien, pour la remonter à sa fantaisie et à son caprice. »

Mais l’expression d’une crainte d’un homme du XIXème siècle peut encore être considérée comme une peur irrationnelle du progrès, de l’inconnu et peut être même un conservatisme paralysant.

Mais quand Luc Ferry, cherche désespérément des références livresques pour filtrer la narration de « Sapiens » ou d « Homo deus » et donner son avis critique, je ne peux m’empêcher de penser à ces savants théologiens qui répondaient, jadis, à toute question par des références bibliques et des arguties rhétoriques.

Méthode à laquelle Galilée aurait répondu selon mon professeur d’Histoire, Girolamo Ramunni :

« Je cherche les réponses à mes questions dans le grand livre de la nature, non dans les livres sacrés »

Car oui la connaissance a augmenté depuis Auguste Comte, parfois le mot du jour a pu s’en faire l’écho :

Ainsi quand Franz de Waal pose cette question et ose cette réponse : « Est-ce que l’homme est plus intelligent que le poulpe ? On ne sait pas » <mot du jour du 28 juin 2017>

Ce grand scientifique qui a consacré une grande partie de sa vie à la recherche sur l’empathie des animaux, faisait le constat que chaque fois qu’on essaye de fixer une limite entre « homo sapiens » et les autres animaux terrestres, la limite est franchie dès que nos connaissances progressent par l’étude de l’univers animal.

Et dans le monde des vivants, au-delà des seuls animaux, nous apprenons comment vivent les végétaux sur terre. Peter Wohlleben nous donne à découvrir dans son merveilleux livre « La vie secrète des arbres », la communication, l’entraide de ces grands végétaux entre eux et avec d’autres organismes vivants de la forêt et dont l’âge pour certains se trouve dans des étalons de durée qui n’ont rien à voir avec ceux des humains : <mot du jour du 22 décembre 2017>

La première partie : «  Homos sapiens conquiert le monde » se divise en deux chapitres :

  • L’anthropocène
  • L’étincelle humaine

Le chapitre « L’anthropocène » commence ainsi :

« Par rapport aux autres animaux, cela fait longtemps que les humains sont devenus des dieux. Nous n’aimons pas y penser trop sérieusement parce que nous n’avons pas été des dieux particulièrement justes ou miséricordieux.

[…] allez voir un film de Disney ou lisez des contes de fées : vous en retirerez facilement l’impression que la planète terre est surtout peuplée de lions, de loups et de tigres qui sont à égalité avec nous, les humains. […]

Combien de loups vivent aujourd’hui en Allemagne, le pays des frères Grimm, du Petit Chaperon rouge et du Grand Méchant Loup ? Moins de 100. […] En revanche, l’Allemagne compte 5 millions de chiens domestiques. Au total, près de 200 000 loups sauvages écument encore la terre contre 400 000 000 chiens domestiques, 40 000 lions contre 600 000 000 chats domestiques, 900 000 buffles africains contre 1,5 milliard de vaches ; 50 millions de pingouin et 20 milliards de poulets » (p.85).

Après ces énumérations et quantifications, Harari émet des hypothèses sur les fondements de nos mythes monothéistes qui sont apparus historiquement en même temps que la révolution agricole.

« Les données anthropologiques et archéologiques indiquent que les chasseurs-cueilleurs archaïques étaient probablement animistes : ils croyaient qu’il n’y avait par nature pas de fossé séparant les hommes des autres animaux. Le monde […] appartenait à tous ses habitants et tout le monde suivait un ensemble commun de règles. Ces règles impliquaient des négociations permanentes entre tous les êtres concernés. […]

La vision animiste du monde guide encore certaines communautés de chasseurs-cueilleurs qui ont survécu jusque dans les Temps modernes.

L’une d’elles est celle des Nayak, qui vivent dans les forêts tropicales de l’Inde du Sud. L’anthropologue Danny Naveh, qui les a étudiés plusieurs années, rapporte que lorsqu’un Nayak marchant dans la jungle rencontre un animal dangereux – un tigre, un serpent ou un éléphant – il peut s’adresser ainsi à lui : « Tu vis dans la forêt. Moi aussi. Tu es venu manger ici, et moi aussi je suis venu ramasser des racines et des tubercules. Je ne suis pas venu te blesser »

Un jour, un Nayak s’est fait tuer par un éléphant mâle, qu’ils appelaient « l’éléphant qui marche toujours tout seul ». Les Nayak ont refusé d’aider les hommes des services forestiers indiens à le capturer. Ils ont expliqué à Naveh que cet éléphant était très proche d’un autre mâle avec lequel il vagabondait toujours. Un jour, le service forestier a capturé le second éléphant, et « l’éléphant qui marche toujours tout seul » est devenu furieux et violent. « Que ressentiriez-vous si on vous enlevait votre épouse ? C’est exactement ce que ressentait cet éléphant.» […]

Beaucoup de peuples industrialisés sont totalement étrangers à cette perspective animiste. Aux yeux de la plupart d’entre nous, les animaux sont foncièrement différents et inférieurs. La raison en est que même nos traditions les plus anciennes sont nées des milliers d’années après la fin de l’ère des chasseurs cueilleurs. L’Ancien Testament, par exemple a été écrit au premier millénaire avant notre ère et ses récits les plus anciens reflètent les réalités du deuxième millénaire. Au Moyen-Orient cependant, l’ère des chasseurs-cueilleurs s’est terminée plus de 7 000 ans auparavant. Il n’est donc guère surprenant que la Bible rejette les croyances animistes et que son seul récit animiste apparaisse au début, comme un sombre avertissement. […Dans la Bible] la seule fois où un animal engage la conversation avec un homme, c’est lorsque le serpent incite Eve à goûter au fruit défendu de la Connaissance. (L’ânesse de Balaam dit aussi quelques mots, mais elle ne fait que lui transmettre un message de Dieu).

Au jardin d’Eden, Adam et Eve fourrageaient. L’expulsion du paradis frappe par sa ressemblance avec la révolution agricole. Au lieu de permettre à Adam de cueillir les fruits sauvages, un Dieu en courroux le condamne à « gagner son pain à la sueur de son front ». Que les animaux bibliques n’aient parlé aux humains qu’à l’époque préagricole de l’Eden n’est sans doute pas un hasard.

Quelles leçons la Bible tire-t’elle de cet épisode ?

Qu’il ne faut pas écouter les serpents, et qu’il vaut généralement mieux éviter de parler aux animaux et aux plantes. Cela ne conduit qu’au désastre.

L’histoire biblique contient pourtant des couches de sens plus profondes et plus anciennes. Dans la plupart des langues sémitiques, « Eve » signifie serpent ou femelle du serpent. Notre mère biblique ancestrale cache donc un mythe animiste archaïque suivant lequel les serpents ne sont pas nos ennemis mais nos ancêtres. Pour maintes cultures animistes, les humains descendent des animaux y compris des serpents et autres reptiles. La plupart des Aborigènes d’Australe croient que le serpent Arc-en-ciel a créé le monde. […] En fait les Occidentaux modernes croient eux aussi qu’ils sont issus de reptiles par l’évolution. Le cerveau de chacun d’entre nous est construit autour d’un noyau reptilien, et la structure de notre corps est au fond celle de reptiles modifiés.

Les auteurs du livre de la Genèse ont eu beau préserver un reliquat de croyances animistes archaïques à travers le nom d’Eve, ils ont pris grand soin d’en dissimuler toutes autres traces. Loin de descendre des serpents, dit la Genèse, les humains ont été créés par Dieu à partir de la matière inanimée. Le serpent n’est pas notre ancêtre, il nous incite à nous rebeller contre notre Père céleste. Alors que les animistes ne voyaient dans les humains qu’une autre espèce d’animal, la Bible plaide que les hommes sont une création unique, et toute velléité de reconnaître l’animal en nous nie nie la puissance et l’autorité de Dieu. » (Pages 86 à 92).

Et Harari achève sa démonstration en rappelant la négation de Darwin par les religions monothéistes et aussi la rupture avec Dieu des hommes convaincus par le récit darwinien :

« Quand les humains modernes ont découvert qu’ils descendaient effectivement des reptiles, ils se sont rebellés contre Dieu et ont cessé de l’écouter, ou même de croire en son existence. » (P 92).

Au bout de ce développement, la question que je me pose est de savoir si finalement l’invention par homo sapiens des religions monothéistes n’a pas eu comme première fonction de séparer homo sapiens des autres animaux afin de pouvoir justifier sa toute-puissance à l’égard des animaux et d’en faire de simples objets de possession dont l’homme pouvait faire ce que bon lui semblait.

Car si l’homme a été créé par Dieu et fait à son image, c’est donc que sapiens porte en lui une divinité qui lui permet d’agir comme un démiurge sur tout le reste du vivant sans tenir aucun compte de ces êtres qui sont sur bien des points semblables à lui. Homo deus était déjà en route.

Je me souviens de Boris Cyrulnik qui a raconté lors d’une émission que lors de ses études de médecine, on lui avait demandé de disséquer une grenouille vivante et que la grenouille criait. Cyrulnik en a fait part à son professeur qui surveillait l’expérience et qui lui a répondu : « mais non la grenouille ne sent rien. C’est comme votre vélo quand il crisse, il ne souffre pas »

Tant de certitudes, d’aveuglement et de cruauté nous laissent aujourd’hui sans voix.

Oui ! l’homme n’a pas été et n’est toujours pas pour les animaux un dieu juste et miséricordieux

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Lundi 1 octobre 2018

« Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties. »
Yuval Noah Harari « Homo Deus » Page 425

Le Point a fait sa Une de son numéro du 20 septembre 2018 avec ce titre :

« Yuval Noah Harari : Le penseur le plus important du monde. »

Titre assez stupide, mais dans l’air du temps. Il y a bien sûr la tentative d’avoir une couverture accrocheuse susceptible de faire vendre, Mais c’est aussi parce que, pour beaucoup, nous sommes dans le temps de la compétition dans lequel on cherche à toujours déterminer quel est le N°1.

Quel est le meilleur footballeur, le meilleur tennisman ?

Encore que dans ces domaines, il s’agisse d’activités humaines qui vivent en grande partie de la compétition.

Mais se poser la question, quel est le meilleur écrivain, le plus grand penseur, le plus grand scientifique est, selon moi, un exercice vain et dénué de pertinence.

Notez qu’il y en a qui ne sont pas d’accord.

Luc Ferry par exemple : <Harari ou l’avenir pour les nuls>, article publié dans le journal Le Figaro dans lequel, après avoir accusé Harari d’avoir plagié Auguste Comte, de ne pas savoir distinguer le communisme et le socialisme, il finit par cette condamnation sans appel :

« La vérité c’est qu’après avoir adapté Auguste Comte au goût du jour, c’est Orwell qu’Harari repeint aux couleurs de la Silicon Valley pour donner à son livre le ton apocalyptique sans lequel il n’est plus aujourd’hui de succès. Il veut vulgariser, pourquoi pas, mais au prix de simplismes si extrêmes que tout l’ensemble en devient franchement fallacieux. »

Mais si vous écoutez une interview de Yuval Noah Harari et que vous la comparez avec une interview de Luc Ferry, ou d’ailleurs de Michel Onfray ou de BHL vous êtes dans deux mondes différents, le monde de l’humilité d’un côté, le monde de l’arrogance de l’autre.

Ce n’est pas que Luc Ferry, Michel Onfray, c’est plus compliqué avec BHL ne disent pas des choses parfois très intéressantes, mais leur ton est toujours celui du sachant, de l’autorité intellectuelle et morale du haut de leur piédestal. Bref, ils sont incapables de la moindre modestie.

Rien de tel chez Yuval Noah Harari qui dans son expression, ses formulations propose, émet des hypothèses, bref nous donne à réfléchir.

Gaspard Koenig dans l’émission du Grain à moudre du 27/09/2018 a dit son admiration pour l’écrivain israélien avec ces mots :

« Harari est un historien qui regarde vers l’avenir »

Ce qui est une manière de le définir qui me convient.

Si le Point a fait sa couverture sur Harari, c’est parce qu’il vient de faire publier en France un troisième livre : «21 Leçons pour le XXIème siècle ».

Il va un peu vite pour que je parvienne à le suivre.

Pour ma part je n’en suis qu’à son deuxième « Homo Deus » que j’ai lu pendant les vacances d’été et que je vais essayer de présenter au cours d’une série de mots du jour.

Vous savez que si pour un roman il peut apparaître pertinent de commencer par le début et d’arriver à la dernière page en ayant lu toutes celles intermédiaires, ce n’est pas du tout la bonne méthode pour un essai comme « Homo Deus » : On commence par la table des matières puis on lit la conclusion et le début dans l’ordre qu’on souhaite et on picore un peu au milieu.

Si cet examen est concluant et vous permet dès l’entame d’avoir une vision d’ensemble du propos, vous pouvez commencer à lire l’ouvrage de manière plus méthodique, en abordant les chapitres dans leur entier et si cela vous semble pertinent dans l’ordre dans lequel l’auteur les a publiés ou dans un autre ordre si votre compréhension du sujet vous dicte cette méthode.

Pour ce premier mot sur « Homo deus » je vous propose de commencer par la conclusion ou au moins le début de la conclusion qui valide cette vision d’humilité que je décrivais précédemment.

D’abord Yuval Noah Harari explique qu’il ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.

« Nous ne saurions prédire l’avenir parce que la technologie n’est pas déterministe. La même technologie pourrait créer des sociétés de nature très différente Par exemple, la technologie de la révolution industrielle – Train, électricité, radio et téléphone – a pu servir à mettre en place des dictatures communistes, des régimes fascistes et des démocraties libérales. »

Et j’ajouterai, même des social- démocraties qui sont des démocraties libérales avec un supplément d’âme parce qu’ils ajoutent à la liberté et aux droits individuels, la solidarité.

Et il ajoute :

« L’essor de l’intelligence artificielle et des biotechnologies transformera certainement le monde, mais il n’impose pas un seul résultat déterministe. Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties. »

Harari refuse à juste titre le rôle de prophète mais en accumulant les connaissances sur les progrès des technologies, les pistes de recherche dans les laboratoires et les lieux des plus remarquables ingénieurs et scientifiques, il tente de comprendre ce que l’alchimie de l’ensemble de ses technologies peut produire sur l’homme, la société, la terre et où elle peut nous mener.

Je vais partager un petit exemple qui n’est pas dans son livre mais est issue d’une chronique de Pierre Haski « Géopolitique 30/08/2018 »

1° Vous connaissez tous la technologie des drones. Ces petits engins volants qui permettent de faire de magnifique vidéo de lieux splendides ou d’une ville comme Lyon. Ils permettent aussi d’espionner des centrales nucléaires ou d’autres lieux qui pour divers raisons ont vocation à rester secret. Mais vous savez aussi qu’Amazon a le projet de faire transporter des colis par drone.

2° Vous avez entendu parler de la technologie de la reconnaissance faciale. Les chinois expérimentent cela à très grande échelle. Le taux de réussite s’améliore d’année en année, je veux dire le fait que le système de reconnaissance sait associer une image que capte une caméra et l’identité de la personne qui a été filmée.

3° Toutes les armées du monde et particulièrement celles des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie travaillent à miniaturiser des armes létales. (arme létale est peut-être un pléonasme)

Que se passe-t-il si vous combinez ces trois technologies ?

Je donne la parole à Pierre Haski :

« Imaginez un minidrone qui tiendrait dans la paume de votre main, équipé d’un système de reconnaissance faciale et d’une charge explosive suffisante pour faire exploser un crâne. Vous le lâchez dans la nature avec un visage programmé comme cible, il le cherchera dans une foule et l’éliminera, sans intervention humaine.

Imaginez maintenant des centaines ou des milliers de tels minidrones lancés sur une ville, sur un rassemblement, ou sur une base militaire, coordonnant tout seuls leur approche et se partageant les cibles à éliminer.

Nous ne sommes pas dans la science-fiction, dans un remake de Terminator version 2018, mais dans la réalité de la guerre de demain. De tels engins, et bien d’autres encore tout aussi terrifiants, baptisés « Robots tueurs », sont à l’étude dans les labos de recherche d’une poignée de pays dotés des moyens scientifiques et financiers, et de la volonté politique de les développer.

Bienvenue au nouveau siècle de la guerre, celui de l’intelligence artificielle, une technologie dont Vladimir Poutine disait l’an dernier que le pays qui la maîtriserait contrôlerait le monde. »

C’est un sujet très sérieux puisque l’ONU a réuni fin août une conférence à Genève en vue d’interdire ou au moins de réglementer de tels robots tueurs.

Les esprits résolument optimistes diront : « Chic on va pouvoir éliminer de manière simple et avec quasi aucun dommage collatéral Bachar el-Assad, le boucher de Syrie.

Vous croyez ?

Ne pensez-vous pas que c’est plutôt Bachar el-Assad qui s’en servirait pour tuer, sans coup férir, les principaux responsables de son opposition ?

Ou le président chinois qui va éliminer les dissidents les plus virulents.

Ou encore Donald Trump qui utilisera ce moyen pour se débarrasser du lanceur d’alerte, Edward Snowden ?

Harari dans sa conclusion nous invite à comprendre et à combattre les évolutions que nous n’aimons pas :

« Certaines de ces possibilités ne vous plaisent pas ? Libre à vous de penser et de vous conduire de façon à ce qu’elles ne se matérialisent pas.

Il nous met en garde cependant de notre difficulté à penser à ce monde nouveau et les perspectives qu’il ouvre tant il est vrai que nous sommes limités par nos modes pensées anciens :

« Toutefois, il n’est pas facile de trouver de nouvelles façons de penser et de se conduire, parce que nos pensées et actes sont habituellement contraints par les idéologies et systèmes sociaux de notre époque. Ce livre retrace les origines de notre conditionnement actuel afin d’en desserrer l’emprise, de nous permettre d’agir autrement et d’envisager notre avenir de manière bien plus imaginative. Loin de de rétrécir nos horizons en prévoyant un seul et unique scénario définitif, il vise à les élargir et à nous faire prendre conscience que nous avons un spectre d’options bien plus large. »

C’est aussi la force de la réflexion de Harari de nous révéler nos conditionnements et ainsi d’élargir nos capacités de réflexion et de compréhension.

Et il finit par ce nouvel assaut d’humilité en phase avec toute sa démarche :

« Comme je l’ai maintes fois souligné, personne ne sait vraiment à quoi ressemblera le marché du travail, la famille ou l’écologie en 2050, ni quels religions, systèmes économiques et structures politiques domineront le monde »

Dire qu’ « Homo deus » est un ouvrage aussi fabuleux qu’« Sapiens » est probablement excessif.

C’est aussi plus compliqué de parler de l’avenir que de ce qui a été. Il approfondit d’ailleurs certaines des réflexions qu’il avait développées dans son premier livre et il en rappelle d’autres. Mais « Sapiens » présentait une telle quantité d’informations, de remise en question de mythes fondateurs que nous acceptons comme des vérités, de mise en perspective du comportement et de l’évolution de notre espèce, qu’il était probablement très difficile de rester à ce niveau.

Dans un entretien à l’OBS publié le 29 septembre 2018, Harari révèle ses craintes et sa démarche, bien loin des ambitions de magistère chères à  Luc Ferry et consorts :

« Ma crainte, c’est que l’on commence à me voir comme une sorte de gourou. Il est bon d’apprécier le savoir et de respecter l’opinion des intellectuels, mais il est dangereux d’en faire des idoles. Celui qui est placé sur un piédestal court le risque de se croire tout-puissant, de développer un ego surdimensionné et de devenir fou.

Quant aux fans qui croient avoir trouvé un individu qui a réponse à tout, ils renoncent à leur liberté et arrêtent de réfléchir par eux-mêmes. Ils attendent que le gourou leur fournisse toutes les réponses, toutes les solutions, aussi mauvaises soient-elles. Je souhaite que mes lecteurs trouvent dans mes livres des questions plutôt que des réponses, qu’ils voient en moi un compagnon de voyage sur le chemin de la vérité plutôt qu’un devin omniscient. »

Je souhaite que mes lecteurs trouvent dans mes livres des questions plutôt que des réponses.

J’avais achevé la série sur « Sapiens » par cette injonction kantienne concernant la philosophie des lumières :

« Sapere aude ! Habe Mut dich deines eigenen Verstandes zu bedienen !»
« Ose savoir ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement !»

Mais pour reprendre le jugement excessif et stupide du Point, Yuval Noah Harari est un penseur essentiel qu’il faut lire pour apprendre beaucoup de connaissances et plus encore pour se poser les questions que sa démarche, ses hypothèses et son cheminement intellectuel suscitent en nous.

Et c’est donc à ce cheminement, à ce questionnement que je vais vous inviter dans les prochains jours.

<1120>

Vendredi 2 février 2018

« Ce ne sont plus exactement des homo sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés »
Frédéric Beigbeder

Ce mot du jour renvoie vers certaines découvertes concernant la santé et notamment la capacité d’intervenir sur l’ADN. Vous retrouverez en fin d’article des liens et des explications montrant que le propos de Frédéric Beigbeder n’est pas vraiment humoristique mais plutôt questionnant le monde de demain.

Avant de commencer il faut quand même parler de <crispr> et plus précisément de « CRISPR-Cas9 » (prononcez « crispère »)

L’acronyme CRISPR vient de l’anglais : «  Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats  », en français (« Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ». Et Cas9 est une enzyme.

« CRISPR-Cas9 » constitue une innovation révolutionnaire qui permet de cibler une zone spécifique de l’ADN, la couper et y insérer la séquence que l’on souhaite remplacer. Dans le langage courant on parle de « ciseau génétique ».

Le journal du CNRS explique de manière un peu plus technique cette invention : https://lejournal.cnrs.fr/articles/crispr-cas9-des-ciseaux-genetiques-pour-le-cerveau

Après cette courte introduction, revenons à Frédéric Beigbeder qui est un écrivain ayant déjà eu deux prix littéraires. Il réalise une chronique sur France Inter à la fin du 7-9.

Le jeudi 18 janvier 2018, il a fait son intervention après Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, qui était l’invité de Nicolas Demorand pour le lancement des Etats généraux de bioéthique, qui se dérouleront jusqu’au 7 juillet. Le sujet de l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne, la reconnaissance des enfants nés grâce à la gestation pour autrui (GPA), l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la médecine ou les interventions sur le génome ont notamment été évoqués.

Frédéric Beigbeder a joué, dans sa chronique, le rôle d’un médecin qui s’adresserait à son confrère, c’est-à-dire à Jean-François Delfraissy.

Et il lui a tenu ce langage :

« Pourquoi tous les génomes français ne sont-ils pas séquencés, ce qui permettrait de détecter les cancers avec 30 ans d’avance ?
Pourquoi le sang artificiel créé par Luc Douai est-il interdit en France ?
Et quid de la congélation des cellules pluripotentes induites également réprimées chez nous ?
Comme le stockage des cordons ombilicaux ?
On a l’impression de vivre dans un monde à deux vitesses.
Une large majorité de mortels peu informés. Et puis nous l’élite mondiale qui sait comment repousser la mort, mais garde le remède secret. […]
En 2015, la grande déclaration du comité international de bioéthique réuni à Paris, à L’Unesco était la suivante :
La révolution génétique soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale…

Donc on ne comprend rien
Une superbe déclaration consultative puisque des thérapies génétiques n’ont cessé d’être testées depuis sur les humains en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Chine avec des modifications de l’ADN.

Parfois elles ont sauvé des vies, celle de Leila Richards, un bébé leucémique à Londres dont l’espérance de vie était d’une semaine et qui vit toujours. Cet enfant peut être considéré, comme le premier HGM, « humain génétiquement modifié », va-t-on par souci éthique lui interdire de faire des EGM « enfant génétiquement modifié »

Je traduis en français pour les non spécialistes : Vous avez entendu parler des OGM, organisme génétiquement modifié mais vous ignorez probablement qu’il existe désormais des Humains génétiquement modifiés des HGM, et il en existera de plus en plus. Ce ne sont plus exactement des homo-sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés, crispr étant le nom des ciseaux génétiques, permettant de faire les manipulations génétiques.

Sachant que pour guérir du cancer on va passer par cette crispérisation qui coute des millions de dollars.
Quelle tête feront les gens quand ils sauront qu’un pauvre atteint du cancer devra en mourir et qu’un RGM, riche génétiquement modifié pourra en guérir ?

Si j’ai gaffé, ne répétez à personne cette information confidentielle »

Jean-François Delfraissy, interpellé par Demorand pour répondre à Beigbeder a fait cette réponse :

« Beaucoup de choses intéressantes [ont été dites] et qui montre que ce confrère suit parfaitement les données de la science, les avancées scientifiques. Et qui soulève en effet toute une série de questions, en particulier je retiens la notion de médecine à deux vitesses. Je retiens la question qui pourra y avoir accès. Les problèmes éthiques soulèvent un certain nombre de questions économiques d’accès à la santé et aux nouvelles techniques.

Parlons-en. Sortons du débat d’expert et parlons aux citoyens. »

Vous trouverez la chronique de Beigbeder, derrière <ce lien> et l’émission avec Jean-François Delfraissy derrière <celui-ci>

C’est par la série sur Sapiens de Yuval Noah Harari que j’ai commencé à aborder ce sujet. Dans le mot dont l’exergue est « La singularité ». Je cite Harari qui écrit :

« Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi».

Mais il va probablement plus loin dans Homo Deus où il évoque une nouvelle religion le dataisme, autrement dit la confiance dans les big data et où il explique que nous allons laisser faire ces évolutions précisément parce qu’elles nous promettent une meilleure santé.

Bien évidemment les parents de Leila Richards ne peuvent qu’être immensément reconnaissants devant toutes ces techniques.

Mais la crainte que cette évolution avec celle de l’« homme augmenté » va créer deux types d’hommes : « l’homo sapiens canal historique » dont nous faisons partie et « homo 2.0 » comme l’appelle Beigbeder dont la chance, si c’en est une, d’en faire partie parait très mince.

Ces évolutions posent aussi des questions de société qui donnent le frisson comme dit Harari.

Au départ, la raison de ces recherches est bien sûr médicale pour guérir, reculer les limites de la mort et de la souffrance.

Mais une fois qu’un petit groupe d’humains aura cette technique faustienne de créer des Hommes Génétiquement Modifiés, qu’adviendra t’il ?

La cupidité de certains est si grande, notamment parmi les puissants et les hyper riches.

L’esprit d’entraide existe aussi saura t’il être le plus fort ?

Jean-François Delfraissy a raison : « Parlons-en. Sortons du débat d’expert. »

Post Scriptum :

Après la chronique de Frédéric Beigbeder, j’ai fait quelques recherches.

J’ai ainsi trouvé le <Rapport du 2 octobre 2015 du Comité international de Bioéthique>. Dont voici des extraits :

Page 8

De nouveaux outils expérimentaux permettent aux scientifiques d’insérer, de retirer et de corriger la séquence de gènes, ouvrant la possibilité de traiter, voire de guérir, certaines maladies monogéniques telles que la béta-thalassémie et la drépanocytose, ainsi que certaines formes de cancer. Si ces procédures s’améliorent et que leur innocuité pour les patients est démontrée, elles permettront le succès longtemps attendu de la thérapie génique somatique. Dans plusieurs pays, la thérapie génique somatique a reçu une approbation éthique et réglementaire parce que les modifications génétiques obtenues ne se transmettent pas à la génération suivante. Les préoccupations des éthiciens et des scientifiques ont précisément été soulevées par la possible application de ces technologies à la modification de la lignée germinale, à des fins thérapeutiques ou à des fins d’amélioration des particularités d’un individu. En conséquence, des appels à un moratoire sur ces technologies ont été lancés, au moins jusqu’à ce que leurs conséquences à long terme et leur sécurité soient mieux évaluées. Certains pays ont interdit toute modification de la lignée germinale chez l’homme alors que d’autres n’imposent pas d’interdictions légales, mais ont élaboré des réglementations administratives ou éthiques (« soft law ») interdisantces expériences sur les gamètes ou les embryons humains.

Page 29

En même temps, cette révolution nécessite des précautions particulières et soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale en introduisant des modifications héritables, qui seraient transmises aux générations futures.

Et si vous voulez en savoir davantage sur le traitement qui a été appliqué à Layla, dans Sciences et avenir j’ai trouvé l’article : « Leucémie : la guérison “miracle” de Layla Richards », pour la première fois, un enfant atteint d’une leucémie aiguë lymphoblastique est entré en rémission grâce à un traitement expérimental utilisant des cellules immunitaires génétiquement modifiées.

Un article sur les recherches du docteur Luc Douay : < On a fabriqué du sang artificiel>

Les cellules pluripotentes évoquées sont des cellules qui dans le processus embryonnaires sont des cellules avant différenciation, c’est-à-dire des cellules qui sont capable de se différencier par la suite en de nombreux types cellulaires différents. Ces cellules existent dans un embryon, on les appelle « les cellules souches embryonnaires »: ces cellules souches sont obtenues à partir d’un embryon de 5 à 7 jours ; pour des questions éthiques, leur utilisation est très réglementée. Mais les scientifiques ont pu fabriquer des « cellules souches pluripotentes induites », dont parle Frédéric Beigbeder. Ces cellules souches sont obtenues à partir de cellules adultes différenciée. Elles sont reprogrammées de manière génétique et peuvent alors se multiplier à l’infini et donner différents types cellulaires.

Sur le site Futura Science j’ai trouvé une vidéo de 2 minutes où un chercheur explique ce qu’il espère réaliser à partir de ces cellules pluripotentes.

Et puis, vous l’avez certainement entendu on vient de créer le premier primate cloné : Et c’est des chinois qui l’on fait.

Techniquement il n’y a plus rien qui empêche qu’on crée le premier humain cloné.

<1010>

Lundi 22 janvier 2018

« Le poly-gourouisme »
Concept inventé par Annie et moi pour signifier qu’il faut savoir diversifier ses référents

Reprenons donc le cours des mots du jour, celui-ci étant donc dans une numérotation en base 10 (pour comprendre cette incise il faut aller lire le commentaire de Jean-Philippe), le 1001ème.

Il se peut que dans la suite de cette « aventure », il m’arrive de ne pas trouver l’énergie ou le temps de rédiger un article pour un jour, dans ce cas je suivrai le conseil de Daniel et je renverrai un simple lien vers un mot ancien, en expliquant qu’en ce jour je ne suis pas arrivé à écrire un mot nouveau.

Mais tel ne fut pas le cas la semaine dernière, contrairement à ce que certains d’entre vous m’ont fait remonter selon divers canaux.

J’ai voulu, en insistant, rappeler qu’il y a 1000 mots du jour sur le blog et que probablement certains méritent relecture.

D’ailleurs, dans les semaines qui suivent, tout en écrivant des mots du jour nouveau, je continuerai à puiser, à rappeler et à approfondir des articles déjà écrits.

Je commence aujourd’hui par un mot, certes peu élégant, mais qui a du sens : le polygourouisme.

Wikipedia nous donne les définitions d’un « Gourou », mot qui vient du sanskrit guru qui signifie « enseignant », « précepteur », « maître ».

Ce terme peut prendre des définitions positives : maître spirituel qui se réclame d’une tradition religieuse orientale ou un expert dans un domaine particulier notamment en informatique ou en management.

Il peut aussi avoir une connotation négative et désigner un manipulateur ou le chef d’un groupe religieux sectaire.

Vous comprendrez que ce terme de polygourouisme s’inspire de la dichotomie entre polythéisme et monothéisme. Les peuples polythéistes adorent plusieurs dieux, cela ne leur posent donc pas de problème que d’autres peuples adorent d’autres dieux, ils peuvent même les faire entrer dans leur propre panthéon s’ils y trouvent un intérêt. Rien de tel pour les monothéistes qui selon les termes de Régis Debray, un de « mes gourous », ont fait la confusion entre « la croyance » et « la vérité » et il ajoute et « cela c’est de la dynamite !».

Annie et moi avons conçu ce concept dans le cadre de l’évolution de nos habitudes alimentaires. Mes soucis de santé, notre santé générale à tous deux dans un corps de plus en plus expérimenté mais toutefois vieillissant ; dans un contexte de suspicion par rapport aux aliments qu’on nous propose, nous ont conduit à consulter des médecins, des spécialistes certains même de culture non occidentale et aussi de lire des articles et des ouvrages. Nous n’avons pas trouvé de référent, mais des conseils très diversifiés voire contradictoires. Dans ce domaine nous cherchions un référent, un gourou donc. Nous y avons renoncé, toutefois nous suivons des conseils et des réflexions de plusieurs dans une logique de polygourouisme.

Revenons maintenant au monde de l’esprit et de la réflexion, tout en n’oubliant pas l’intelligence du cœur.

Récemment, le 12 janvier 2018, un historien des idées, Daniel Lindenberg est mort. En 2002, il avait publié un essai intitulé « Le Rappel à l’ordre : Enquête sur les nouveaux réactionnaires ». Dans cet ouvrage, il attaquait des personnalités intellectuelles qui venaient comme lui des milieux de gauche et qu’il accusait d’être devenues réactionnaires. Son propos conduisait à vouloir ostraciser ces personnes, faire une sorte de liste noire d’intellectuels à qui il ne fallait plus accorder aucune confiance, ne plus lire, et même s’opposer qu’il puisse disposer de tribunes pour s’exprimer.

Parmi ces intellectuels, il y avait Marcel Gauchet. Et vous pouvez lire par exemple dans cet article de slate, comment certains ont tenté d’empêcher Marcel Gauchet de s’exprimer au Rendez-vous de l’Histoire de Blois en 2014.

Il faut bien comprendre ce que cela signifie.

Ce n’est pas un débat où on laisse Marcel Gauchet exprimer ses idées et dans lequel on argumente pour critiquer ou nuancer celles avec lesquelles on n’est pas d’accord. On refuse le débat ! On intime l’ordre de ne pas laisser « ce renégat » s’exprimer. Parce qu’on est contre certaines de ses idées, on rejette globalement la personne, on refuse de l’écouter.

Ceci m’est absolument insupportable !

En outre, je trouve que Marcel Gauchet est un homme d’une très grande consistance et très intéressant. Il a d’ailleurs inspiré plusieurs de mes mots du jour, par exemple celui du 14 juin 2016 :

«En haut on parle technique et en bas on ressent le changement du monde et on ressent l’absence de perspective à l’égard de ce changement.»

Est-ce que je suis d’accord avec toutes les réflexions, toutes les propositions de Marcel Gauchet ? Bien sûr que non. Mais je l’écoute avec attention et cette écoute m’apporte beaucoup de connaissances et, ce qui est plus important encore, de questionnements.

Alain Finkielkraut fait aussi partie des intellectuels que Lindenberg voue aux gémonies. Je suis beaucoup plus réticent devant les idées et les peurs développées par Alain Finkielkraut que devant les réflexions de Marcel Gauchet, mais cela signifie-t-il que l’auteur de « la Défaite de la pensée » ne dit que des choses inintéressantes, qu’il ne peut rien m’apporter, qu’il ne mérite même pas que je l’écoute ?

Bien sûr que non. J’irai plus loin, son émission « Répliques » constitue un exemple de lieu de débat sans concession dans l’honneur et le respect des idées. J’y reviendrai d’ailleurs.

Emmanuel Todd est également un intellectuel qui m’intéresse et m’inspire, mais il n’est pas question d’être d’accord avec tout ce qu’il dit, il est raisonnable de ne pas le suivre dans certains de ces excès, pour autant je continue à l’écouter.

Ecouter les idées avec lesquelles on est d’accord, mais aussi les autres. Accepter d’être bousculé, remis en question. Mais pour ce faire il faut écouter et lire des personnalités et des intellectuels qui ont des idées différentes, l’essentiel étant qu’ils argumentent, qu’ils fondent leurs réflexions sur des sources, des faits, un raisonnement.

Voici comment je définirai le polygourouisme.

Mais faut-il parler de gourous ?

Cela peut se discuter, mais je trouve ce terme amusant et aussi pertinent.

Souvent on l’utilise plutôt pour le dénigrement.

Personne qui lit régulièrement ce mot du jour ne peut ignorer que Yuval Noah Harari l’auteur de « Sapiens » et de « Homo Deus » fait partie des intellectuels qui m’inspirent et m’aident à poursuivre cette quête d’essayer de comprendre le monde.

Or <Valeurs actuelles traite explicitement Yuval Noah Harari de gourou>

Et cela me va, il fait partie de mon panthéon polygourouiste, comme Edgar Morin, Michel Serres et bien d’autres.

La disposition d’esprit d’accepter d’examiner et de se nourrir de réflexions différenciées voire antinomiques constitue d’ailleurs le meilleur moyen d’approcher la complexité du monde.

Pour finir et donner un exemple, accepter la complexité de l’union européenne, c’est faire appel à Jacques Delors :

« Notre union repose, selon l’inspiration de l’Acte Unique, sur trois principes :
la compétition qui stimule,
la coopération qui renforce,
la solidarité qui unit.
11 février 2013

Mais aussi à Philippe Seguin

« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »
8 juillet 2015

Et même à Philippe de Villiers,

« Avec le recul, je pense que nous [les anti maastrichtiens de droite] nous sommes trompés, trompés de cible et d’argumentaire : nous combattions le « Super État » [Européen].
La construction européenne n’est qu’un affichage.
En réalité, elle est une déconstruction. Le but n’est pas de faire émerger une nouvelle entité politique, mais d’en finir avec la politique. »
5 avril 2016

J’avais cité le 4 septembre 2013, Georges Bidault qui parlant des résistants et des trotskystes décrivait très bien le comportement des Lindenberg et consorts

« Les résistants c’est comme les trotskystes
Avec un, tu fais un Parti
avec deux, tu fais un congrès
avec 3, tu fais une scission »

<1001>

Jeudi 14 septembre 2017

« Homo deus »
Yuval Noah Harari

La traduction française est parue mercredi 6 septembre. Et le 6 septembre à 14:00 le livre était sur mon bureau.

J’étais en effet impatient de lire la suite du passionnant Homo sapiens.

Si vous n’avez toujours pas lu homo sapiens, vous pourrez utilement vous reportez à la série de 13 mots du jour que j’ai consacré à ce livre étonnant.

Homo sapiens avait pour sous-titre : « Une brève histoire de l’humanité » et parlait du passé.

Le livre se terminait par un épilogue dont le titre est : « un animal devenu Dieu ? ».

Le questionnement sur ce qui se trame à la silicon valley, les projets fous des GAFAM, la généralisation de l’intelligence artificielle et des big data, l’annonce de la singularité où l’homme et l’intelligence artificielle s’interpénétreront se terminait par cette assertion : « Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi. »

« Homo deus » était donc annoncé. Il parle de l’avenir, des futurs possibles.

Je vais me plonger dans cette lecture et je ne peux que vous conseiller de faire la même chose.

Le Point a traduit un billet que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, a écrit sur son blog :

« Qu’est-ce qui donne un sens à nos vies ? Et que se passerait-il si, un jour, ce qui nous fournissait ce sens disparaissait ? Je continue à penser à ces questions importantes après avoir fini Homo deus, le livre provocateur de Yuval Noah Harari. Melinda et moi avons adoré Sapiens, qui tentait d’expliquer comment notre espèce a réussi à dominer la planète.  (…)

Le nouveau livre de Harari est aussi stimulant que Sapiens. (…) Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’avance l’auteur, mais il fournit une vision sérieuse de ce qui attend peut-être l’humanité.

Homo deus explique que les principes qui ont organisé la société vont subir un bouleversement au XXIe siècle, avec des conséquences majeures pour la vie telle qu’on la connaît. (…) Nous nous sommes organisés pour satisfaire nos besoins : être heureux, en bonne santé, et contrôlant notre environnement. Mais, en menant ces objectifs à terme, Harari affirme que l’humanité va tout faire pour parvenir à “la félicité, l’immortalité et la divinité”. (…)

Je suis plus optimiste que lui […]

Je trouve passionnante la question des buts humains. Si nous résolvons les grands problèmes comme la faim et la maladie, et si le monde devient plus pacifique, quels objectifs aurons-nous ? (…) Harari a fait le meilleur travail que j’aie jamais vu pour exposer ce problème. Il suggère que, pour trouver un nouveau sens à nos vies, nous développerons une nouvelle religion. Hélas, je ne suis pas satisfait par cette réponse (pour être franc, je ne suis pas non plus satisfait par les réponses de penseurs brillants comme Ray Kurzweil ou Nick Bostrom, ou par mes propres réponses).

[…] C’est un livre passionnant avec beaucoup d’idées stimulantes et peu de jargon. Il fera réfléchir au futur, autre façon de dire qu’il fera réfléchir au présent. »

Yuval Noah Harari a accordé un long entretien au Point, dans lequel il définit plus précisément ce concept d’homme-dieu :

« Déjà, il faut se demander ce qu’est un dieu. Si vous regardez les mythologies, et notamment la Bible, l’une des caractéristiques primordiales des êtres divins est de fabriquer du vivant. Or nous sommes en train d’acquérir ce pouvoir. Je ne dis pas que les humains seront des superhéros volant dans l’air. Mais nous sommes capables de quelque chose de bien plus incroyable : remodeler la vie, avec l’aide du génie biologique et de l’intelligence artificielle. […] Le passage d’Homo sapiens à Homo deus est un processus évolutif qui a déjà commencé ! La revue Nature vient d’annoncer que des chercheurs, pour la première fois, sont parvenus à modifier des gènes malades dans des embryons humains. Nous sommes en train de refaçonner le code de la vie, et dans cinquante ou cent ans, cela sera la routine. En ce sens, les humains seront comme des dieux. »

Et

« Une fois que vous êtes capable de refaçonner la vie, il n’y a aucune raison que vous ne puissiez pas aussi remodeler la mort. Dans les mythologies anciennes, la mort était considérée comme un phénomène métaphysique. Vous mouriez car telle était la volonté de Dieu. Mais, pour la science, la mort n’est plus qu’un simple phénomène biochimique, un problème à résoudre. Nous mourons du fait d’un pépin technique, et nul besoin d’attendre le Second Avènement pour tenter de trouver une solution. Il est clair que la guerre contre la mort sera le projet phare de notre siècle. Bien sûr, nous ne deviendrons pas immortels, mais a-mortels. Même en allongeant de plus en plus l’espérance de vie, les surhommes du futur ne seront pas à l’abri d’un accident. Mais on peut envisager, comme le prédit Ray Kurzweil, qu’on se rende tous les dix ans dans une clinique pour bénéficier du dernier traitement technologique et gagner une nouvelle décennie de bonne santé. La vie humaine n’aura plus de limite claire, mais se transformera en un processus indéterminé. »

Alors quand il réfléchit sur le libre-arbitre, la liberté de choix, les décisions qui nous engageront et l’avenir de la démocratie, il argumente de la manière suivante :

« L’humanisme est en crise, car ses fondements sont en train d’être sapés par les découvertes scientifiques comme par les nouvelles technologies. L’hypothèse la plus importante de l’humanisme libéral est le libre-arbitre de l’individu. Or la science explique que les sentiments, les choix et les désirs des humains sont le simple produit de la biochimie. Une fois que nous aurons une connaissance biologique suffisante, et assez de puissance informatique, un algorithme pourra parfaitement comprendre, prévoir et manipuler ces choix et sentiments humains. […] Vous pensez voter librement pour tel candidat ou acheter de votre plein gré telle voiture, mais ce n’est pas le cas.

[…], nous savons de mieux en mieux comment manipuler les individus, mais, de l’autre, cela a aussi de plus en plus de sens de faire confiance au big data et aux algorithmes, car ils vous comprendront bien mieux que vous n’en êtes vous-mêmes capable. À une question comme “que dois-je étudier à l’université ?”, plutôt que de faire confiance à vos propres sentiments, il vaudra mieux interroger Google, de la même façon que quand, tout à l’heure, vous avez atterri sur un aéroport en pays étranger, vous avez fait confiance à Google Maps. Nous allons prendre de moins en moins de décisions dans nos vies. Et, au fur et à mesure que la croyance en l’individu s’effondrera et que l’autorité sera transmise aux algorithmes, la vision humaniste du monde – fondée sur le choix individuel, la démocratie et le libre marché – deviendra obsolète.»

Vous espérez peut être le contraire, sans doute. Mais avez-vous des arguments sérieux pour défendre votre point de vue ?

Il me faudra du temps pour lire et approfondir cet ouvrage.

Sauf immense déception de ma part à la lecture de ce livre, j’en reparlerai dans quelques mois.

<928>

Séries de mots

Sur cet onglet, vous trouverez des liens vers des pages qui regroupent les séries de mots du jour que j’ai consacré à un livre ou à un thème précis. Le plus souvent ces séries représentent les mots du jour d’une semaine, donc 5 articles. Parfois certaines séries sont plus longues et dépassent cette durée. Cette page est constituée au fil du temps et ne contient pas encore toutes les séries qui ont écrites.

Dernière mise à jour : 12/12/2021

A – HISTOIRE

01 – La Grande Guerre s’est terminée il y a cent ans (16 mots)

02 – Martin Luther (8 mots +1)

03 – Le football par l’Histoire, l’Économie et la Morale (11 mots)

04 – La Commune de Paris (16 mots)

05 – 1979 : L’année du grand retournement (13 mots)

B -PHILOSOPHIE

01 – Régis Debray : La croyance et le sacré (5 mots + 1)

02 – Michel Serres : Le philosophe espiègle (15 mots + 3)

03 – Albert Camus et « Le premier homme » (13 mots)

C – MUSIQUE

01 – L’année 1828 de Franz Schubert : L’année la plus féconde de l’Histoire de la musique occidentale (11 mots)

02 – Beethoven est né il y a 250 ans (13 mots)

03 – Leonard Bernstein (1918-1990) (5 mots + 1 )

04 – Lhasa de Sela (1972-2010) (7 mots)

D – SOCIOLOGIE

01 – La violence faite aux femmes dans l’espace public (5 mots)

02 – Florence Aubenas : « En France » – Chroniques dans les villes et villages de France (5 mots)

E – POLITIQUE

01 – La méritocratie (5 mots)

F – ECONOMIE

01 – Daniel Cohen – homo œconomicus et la stagnation séculaire (5 mots)

02 – Eloi Laurent – nos mythologies économiques

G –  RECETTES DE CUISINE

01 – Les gâteaux de Noël alsaciens (8 mots)

H – AUTRES

01 – « Sapiens » de Yuval Noah Harari (13 mots +1)

02 – « Homo deus » de Yuval Noah Harari (9 mots)

03 – Comprendre le monde : les entretiens de la revue XXI (12 mots)

 

Mardi 1 septembre 2020

«Le quintette en ut pour deux violons, alto et deux violoncelles D. 956»
Franz Schubert

Et Schubert composa cette œuvre qu’on désigne souvent sous le nom du quintette pour deux violoncelles.

En matière d’art, surtout quand nous nous situons à des sommets, il n’est pas possible de hiérarchiser, de faire un classement.

Comparer Rembrandt et Van Gogh pour dire qui est le plus grand n’a pas de sens.

Et à l’intérieur des œuvres de Rembrandt dire que la « Ronde de nuit » ou « La fiancée juive» est sa plus grande œuvre n’a pas davantage de pertinence.

Il n’est donc pas possible de désigner la plus grande œuvre de Schubert.

Cependant si je m’adonne à ce jeu qui consiste à désigner le disque de musique unique que j’aurai le droit d’emporter sur une île déserte, je n’ai pas beaucoup de doute. Depuis mes 20 ans jusqu’à présent, ma réponse est toujours la même : « Le quintette en ut D 956 de Schubert, écrit au courant de l’été 1828 et terminé en septembre. »

Christine Mondon parle de l’opus magnum.

« Que dire du Quintette pour cordes (D956), l’opus magnum de la musique de chambre ? […] Ce quintette appelle au recueillement, à une écoute ressentie et éprouvée en profondeur. »
Christine Mondon : « Franz Schubert, Le musicien de l’ombre », pages 225

Marcel Schneider cite Schumann qui exalte la qualité des Trios pour violon, violoncelle et piano de Schubert, pour ajouter :

« Il me semble pourtant que Schubert a réussi à pousser l’aventure encore plus loin et à donner l’œuvre la plus accomplie de ce que qu’on peut appeler la fusion du lyrisme dans la musique de chambre avec son Quintette en ut pour deux violoncelles, qu’il écrivit en août septembre 1828. […] Comme il ne fut publié qu’en 1853, Schumann en a-t-il pris connaissance ? […] »
Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 135

Jean-Marc Geidel est un médecin, mais aussi un passionné de musicologie et de Schubert. Il a écrit un roman : « Le Voyage inachevé – Une fantaisie sur Schubert. » publié par les éditions de l’Harmattan. Le quintette en ut occupe une position centrale dans ce livre. Interviewé par Resmusica « Il y a la musique, et il y a Schubert » que je vous invite à lire, il dit :

« Il y a trente ans, je considérais déjà le quintette à deux violoncelles comme étant la plus belle œuvre jamais écrite parmi celles que je connaissais. »

Et il ajoute des paroles qui résonnent en moi :

« […] L’émotion que j’écoute en écoutant Schubert est d’une autre sorte que celle que me procure en général la musique. Pourtant les immenses trésors du Quintette se réduisent à une simple partition. Il y a là quelque chose d’irréductible à la raison, d’aussi mystérieux que l’amour. L’amour ce n’est pas simplement de l’amitié en mieux ou en plus fort. Il y a un saut qualitatif, un changement de nature du sentiment. Les émotions que l’on ressent sont de l’ordre de l’énigme. Elles ont trait à notre être profond dans ce qu’il a de plus impénétrable. Comme on est dans le domaine de l’ineffable, les mots semblent toujours trop étroits ou un peu à côté. En exergue du livre de Brigitte Massin, consacré à Schubert en 1977, on pouvait lire ce jugement de Max Jacob, à propos d’Apollinaire : « Il ne comprend rien à la musique, il n’aime que Schubert ». On sent qu’il y a chez Schubert quelque chose qui est de l’ordre du défi à la musique, comme il y a chez les « amoureux de Schubert » une sorte de défi à l’académisme musical. »

La musique de Schubert constitue un mystère. Le plus souvent et particulièrement pour le quintette, c’est une musique qui immédiatement vous touche et vous parle. Pourtant du point de vue de la technique et même de la science musicale, les spécialistes ont du mal à expliquer, à justifier et simplement à comprendre.

On pourrait penser que cette phrase « Il ne comprend rien à la musique, il n’aime que Schubert » constitue un jugement péremptoire d’un esprit embrumé dans un moment d’égarement.

Mais on lit que Pierre Boulez a eu ce jugement :

« Si Schubert a écrit une seule note de musique, cela veut dire que je n’ai rien composé du tout. »

A mon humble avis, si on prend cette phrase au premier degré, je pense que c’est la deuxième proposition qui est la plus vraisemblable.

Lors d’une tribune des disques consacrée au quintette j’ai entendu un critique, dont j’ai opportunément oublié le nom, affirmer que cette œuvre était mièvre. Expression que le Larousse définit par les mots de fade et affecté.

Dans le livret qui accompagne la très belle version du quintette par le quatuor Alban Berg et Heinrich Schiff, le musicologue Philippe Andriot explique :

« Si les mots sont généralement bien pauvres pour donner une idée de la musique, dans le cas d’œuvres de la nature du Quintette en Ut majeur de Schubert, ils semblent non seulement hors de proportion mais presque insignifiants. […] il n’est pas de compositeur qui ait davantage prêté à la confusion des analyses. […] Quant à l’œuvre elle-même, un siècle et demi après, elle est encore l’objet d’analyses divergentes, contradictoires même, parfois de confusions, et n’a en tout cas pas acquis cette homologation inattaquable qui lui ouvrirait les oreilles et les cœurs comme elle les ouvre à la moindre page d’un Bach ou d’un Beethoven. C’est quelle porte en elle un élément rebelle à l’analyse, non seulement rebelle, mais qui interdit toute classification facile, se refuse à toute assimilation confortable, entraîne la création dans une fuite éperdue au moment où l’on croit pouvoir en définir les bornes. Cet élément qu’aucun compositeur n’a possédé en un tel état de pureté, c’est le rêve. Un rêve qui, bien sûr, débouche directement sur un ailleurs illimité. « J’ai parfois l’impression de ne pas appartenir à ce monde » aurait dit Schubert. Un rêve qui ne peut s’épanouir complétement sans aborder des domaines lointains, inexplorés, mystérieux. »

Si on essaye de replacer cette œuvre dans l’histoire de la musique occidentale et plus précisément la musique de chambre, il faut rappeler que depuis Haydn, le cœur de la musique de chambre pour cordes se trouve dans la forme du quatuor à cordes : deux violons, alto, violoncelle.

C’est dans cette forme que Beethoven a composé ses plus grands chefs d’œuvre. Haydn, Mozart, Chostakovitch, Debussy, Ravel et Dutilleux ont aussi écrit des quatuors à cordes inoubliables.

Schubert en a écrit de très beaux et deux chefs d’œuvres : Le quatuor N°14 « La jeune fille et la mort » D. 810 et son dernier quatuor à cordes N°15 D. 887, tous les deux terminés en 1826. Les deux liens renvoient vers des interprétations exceptionnelles le 14 par l’Alban Berg quartett et le premier mouvement du 15 par le Quatuor Belcea.

Autour de cette forme idéale, se sont construits d’autres formes et notamment des quintettes.

Les quintettes avec piano dans lesquelles le compositeur ajoute un piano au quatuor à cordes. Cette forme a aussi donné naissances a des œuvres admirables de Schumann, Brahms, Dvorak, Franck, Chostakovitch.

Et Schubert a écrit un quintette avec piano. Mais là comme pour le quintette en ut, il a été disruptif.

En effet, dans le quintette de la truite D. 667 composé en 1819, à 22 ans ! Schubert a exclu le second violon et a ajouté une contrebasse.

Pour renforcer les basses et apporter un autre équilibre à l’ensemble.

Pour le quintette en ut, il n’a pas non plus suivi les normes en usage. C’est Mozart qui a donné ses lettres de noblesse au quintette à cordes, il en a composé 6 dont deux merveilles (K 515 et 516), en ajoutant un second alto au quatuor à cordes. Brahms va reprendre cette formule pour composer ses deux beaux quintettes à cordes.

J’avais lu qu’avant Schubert, Luigi Boccherini (1743-1805) avait inventé le quintette avec deux violoncelles. Plein d’espoir j’ai acheté un coffret prétendant regrouper les principaux quintettes de Boccherini. J’ai été très déçu, c’est d’un ennui…

Dans le D. 956 de Schubert, dès les premières mesures on entre dans un monde d’émotion et de temps suspendu.

Voici ce début par <Le quatuor Ebène et Gautier Capuçon>

Volker Scherliess dans le livret accompagnant une des meilleures versions de cette œuvre, la dernière version du quatuor Amadeus avec Robert Cohen, écrit :

« Le début est déjà inexplicable, mystérieux : la tonalité fondamentale ut majeur est transformée dès le deuxième accord, passant à l’ut mineur pour revenir ensuite au majeur. De telles tensions qui tantôt se voilent, tantôt se dévoilent, sont fréquentes dans ce quintette. En donner une explication de technique, compositionnelle n’avance guère. »

La beauté ne s’explique pas, l’entrelacement des différentes voies ouvre à chaque moment d’autres perspectives qui sont autant de respiration de l’ineffable.

Et après ce mouvement où on pense qu’on a atteint les sommets ultimes, vient l’adagio. Marcel Schneider écrit à propos de l’Adagio ;

« Cette fois, le développement est d’une simplicité absolue : la grandeur de l’inspiration, la profondeur du sentiment sont telles que Schubert n’a pas eu besoin de recourir aux subtilités de la technique. Les instruments jouent souvent à l’unisson, les reprises sont nombreuses : seul un interlude plus violent vient rompre l’atmosphère de douceur, de sérénité divine, de tristesse impalpable qui baigne tout l’adagio. On admire que Schubert ait osé concevoir un mouvement qui dût si peu à la science et tant à l’effusion lyrique et qui ainsi fait, pût soutenir la comparaison avec les plus nobles œuvres de la musique »
Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 136

Françoise Dolto a écrit un livre admirable sur la solitude : « Solitude ». A la fin de son ouvrage, un chapitre : « La mort : clameurs et chuchotements » commence ainsi :

« Solitude, pour nous vivants, pleins de sève, tu es, épreuve insolite d’être sans savoir, qui nous fait languir d’un visage en qui nous connaître, avec qui nous reconnaître et découvrir par-delà nos dissemblances et nos différences, par-delà nos séparations dans le temps et l’espace, la joie de la communication, l’ardeur d’un vivre qui, dans chacun de nos corps, à ses besoins, à ses limites réduit est à sa détresse confiné ».

C’est un ouvrage exigeant mais en introduction Françoise Dolto donne une clé :

« Alors, ceux qui comme Don Juan, n’apprécient ni le papier, invention des guêpes cartonnières, ni les longs discours, s’ils veulent toutefois apprendre un peu sur Solitude – Soledad, peuvent, à la place, écouter avec un plaisir infini l’Adagio du Quintette à cordes de Schubert … »

Voici l’adagio par <le Quatuor Parisii et Emmanuelle Bertrand> enregistré le 23 juin 2020 par France Musique.

Arrivé à ce niveau d’émotion, il faut redescendre. Le troisième mouvement, le scherzo emprunte un caractère orchestral, ce qui signifie qu’on peut penser parfois que les cinq musiciens constituent un orchestre au complet. Une impression de tempête se dégage parfois dans des harmonies somptueuses interrompu par le trio que Marcel Schneider décrit ainsi

[Le trio] fait entendre une étrange musique, « languissante et funèbre » eut dit Gérard de Nerval, où les instruments sont employés dans leur registre le plus grave, et qui s’oppose à la vivacité du scherzo […] de sorte que la reprise du scherzo prend un accent angoissé que n’avait pas l’exposition »
Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 136

Puis, le quatrième mouvement est par contraste beaucoup plus léger. Marcel Schneider écrit :

« Le final, allegretto, qui revient au ton principal, ramène à la légèreté. Nouvelles surprises : nous nous attendions à une autre fin, mais soit que Schubert veuille affirmer une joie ingénue qu’il ne possède plus de puis 1823, soit qu’il espère se concilier les puissances qu’il ne faut pas nommer en agissant comme un musicien que ne tourmentent pas les soucis, soit enfin que par modestie il décide de terminer de façon ordinaire cette œuvre extraordinaire, il nous offre une conclusion d’allure populaire, sans prétention, qui évoque les réunions amicales des tavernes viennoises, comme si, après avoir plongé dans les ténèbres de son âme et nous en avoir révélé les mystères, Schubert voulait remonter à la surface et nous laisser le souvenir de son apparence habituelle, comme si les angoisses, les nostalgies et les visions célestes du Schubert des heures solitaires cédaient le pas à l’image qu’offrait l’homme extérieur.»
Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 136

Je laisse la conclusion à ce même auteur :

« Le Quintette en ut appartient à la musique de chambre, mais il est aussi autre chose : une intuition de l’au-delà, un fragment de la musique ininterrompue du monde. »
Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 167

Pour cette œuvre non plus, Schubert ne verra ni sa première exécution publique, ni son édition. La première aura lieu le 17 novembre 1850 au Musikverein de Vienne par le Quatuor Hellmesberg et le violoncelliste du théâtre impérial Josef Stransky. L’œuvre sera publiée sous le n° d’opus 163 en 1853 par la maison viennoise de C. A. Spina, successeur du célèbre éditeur Anton Diabelli, qui avait publié en 1838 les trois dernières sonates pour piano de Schubert D. 958 à D. 960.

Actuellement, l’édition du Quintette de 1853 constitue la source connue la plus ancienne, son autographe étant introuvable.

Il est possible de trouver sur Internet de très belles interprétations :

D’abord un enregistrement de 2018 du <Quatuor Emerson et du violoncelliste David Finckel>

Puis une version fougueuse de jeunes musiciens entrainés par la flamboyante <Janine Jansen>

Et une <troisième> qui montre une rencontre étonnante de cinq musiciens membres de cinq quatuors à cordes parmi les plus réputés :

  • Norbert Brainin, Quatuor Amadeus, premier violon
  • Earl Carlyss, Quatuor Juilliard, second violon
  • Piero Farulli, Quartetto Italiano, alto
  • Stefan Metz, Quatuor Orlando, premier violoncelle
  • Valentin Berlinsky, Quatuor Borodin, second violoncelle

Et pour les enregistrements audiophiles, j’ai déjà évoqué plusieurs interprétations de ce quintette, mais j’ai gardé pour la fin ce choix éminent et subjectif du disque de l’ile déserte.

Il s’agit pour moi de l’interprétation viennoise du Quatuor Weller avec Dietfried Gürtler.

Ce n’est pas l’interprétation avec laquelle j’ai découverte l’œuvre. Cette découverte je la dois à mon frère Gérard qui avec l’ensemble auquel il participait, l’Octuor de Paris, a joué dans les lieux de concert les plus réputés du monde et ainsi a également joué au Festival Prades qui a été créé par Pablo Casals et avec lequel notre premier ministre actuel Jean Castex a un lien particulier.

Et c’est en revenant de ce festival que Gérard m’a fait découvrir l’enregistrement réalisé pendant un festival précédent par Pablo Casals, Isaac Stern, Alexander Schneider, Milton Katims et Paul Tortelier.

Mais immédiatement après j’ai « rencontré » l’interprétation intemporelle du Quatuor Weller.

Pour finir, je voudrais quand même balayer les propos stupides de Pierre Boulez par l’avis éclairé d’un autre compositeur contemporain et chef d’orchestre émérite : Hans Zender (1936-2019) :

« Les dernières œuvres de Schubert contiennent des germes qui ne s’épanouiront que des décennies après leur mise au jour, chez Anton Bruckner, Hugo Wolf, Gustav Mahler »

C’est bien sûr lui qui a raison. On peut être intelligent comme Boulez, mais être aveuglé par son dogmatisme. Boulez qui n’aimait pas non plus Chostakovitch et Britten qui eux adoraient Schubert.

<1455>

Lundi 26 février 2018

« Un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »
Un employé d’industrie d’extraction du sable opérant à Koh Sralao au Cambodge

Ce n’est pas la première fois que j’évoque le problème d’une ressource qui devient rare et qui est surexploitée dans le monde : Le sable

J’avais mis en exergue, une phrase de Coluche : «Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs.» Cette phrase était d’ailleurs en contradiction avec l’article, car le sable du Sahara n’est pas utilisable pour les besoins de la construction et autres activités économiques dans lesquels les humains utilisent du sable. Dans ce mot du jour vous trouverez beaucoup de liens vers des émissions ou des articles montrant le problème écologique considérable qui est provoqué par cette surexploitation.

Aujourd’hui, je fais référence à un problème local qui se trouve au Cambodge dans un lieu appelé Koh Sralao selon l’article cité plus loin mais que j’ai trouvé avec l’orthographe suivante sur google maps :  « Koh Sralau ». C’est un village de pécheurs de crustacés et de cabanes sur pilotis, près d’une mangrove féerique où l’eau se mêle à la terre, mais ce paradis est un malheur, parce que le sol des rivières est tapissé de sable et que le sable de rivière, est l’ingrédient indispensable du capitalisme.

J’ai été informé sur ce sujet par la revue de presse de France inter <du 16 février 2018>

Revue de presse qui renvoyait vers un article très détaillé de la journaliste Julie Zaugg publié par le « magazine des Echos » le 15 février 2018. Article que vous trouverez derrière ce lien : <La guerre du sable>

J’en tire les extraits suivants :

D’abord une analyse assez générale sur l’exploitation du sable, notamment en Asie :

«La consommation de cette ressource est telle que s’est développé un vaste trafic. Des pays pauvres sacrifient plages et rivières pour alimenter la croissance de puissances émergentes. […]

Un jet d’eau brunâtre s’élance vers le ciel. Il sort d’un tuyau formé de morceaux de tube rouillés grossièrement assemblés. Deux barils vides, accrochés de part et d’autre, lui permettent de flotter. Cette structure de fortune, reliée à une plate-forme en bois sur laquelle s’activent trois ouvriers torse nu et en tongs, est alimentée par deux moteurs de tondeuse à gazon pétaradants. Elle aspire le sable au fond de l’estuaire, puis le rejette sur la berge. Une fumée noire et nauséabonde s’en échappe. Elle se trouve à quelques mètres au large de Koh Kong, cité cambodgienne nichée près d’une immense réserve naturelle abritant l’une des mangroves les mieux préservées d’Asie. Cette ville aux rues jonchées de déchets est devenue un des points chauds d’un vaste commerce de sable, dont les ramifications s’étendent aux quatre coins de l’Asie.

Produit par des siècles d’érosion, ce matériau est la ressource naturelle la plus utilisée au monde. « Chaque année, il s’en consomme entre 40 et 50 milliards de tonnes », note Pascal Peduzzi, un géographe qui a réalisé une étude dans le cadre du Programme des Nations unies pour l’environnement. Cette industrie, qui pèse environ 200 milliards de dollars par an, est en pleine effervescence, tirée par le boom de la construction en Asie. En Chine surtout : « Ce pays consomme 58% du sable extrait au niveau mondial, dit le chercheur. Entre 2011 et 2013, il a utilisé autant de ciment que les Etats-Unis durant tout le siècle dernier. » Le développement accéléré de cités tentaculaires comme Shanghai, Shenzhen ou Chongqing, les mégaprojets comme le barrage des Trois-Gorges et les centaines de milliers de kilomètres de route construits par l’empire du Milieu ces vingt dernières années… tous se sont nourris de gigantesques quantités de sable, composante principale du ciment, du béton, de l’asphalte et du verre. L’Inde voisine n’est pas en reste.

[…]

Si l’industrie de la construction absorbe 70% du sable extrait dans le monde, il a d’autres usages. Des micro-Etats, comme Singapour, Dubaï ou Hong Kong, s’en servent pour gagner des terres sur la mer ; les îles menacées par la montée des eaux, comme les Kiribati ou les Maldives, l’utilisent pour bâtir des digues ; Pékin le met au service de ses ambitions territoriales en rehaussant des îlots contestés en mer de Chine méridionale. « Il existe aussi une série d’applications industrielles, comme la fracturation de la roche pour en extraire du pétrole, la fabrication de puces informatiques, de panneaux solaires, de papier de verre, de détergents, de cosmétiques et de dentifrice », précise Pascal Peduzzi. Ces utilisations nécessitent une variété à base de silice, presque blanche et d’une grande finesse. En général, ce matériau n’est pas exporté sur de grandes distances, car ce ne serait pas rentable, vu son prix (entre 5 et 10 dollars la tonne). La majeure partie du sable utilisé en Chine et en Inde est ainsi extrait sur place. Mais quelques pays asiatiques – Cambodge, Myanmar, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines – en ont fait une industrie d’exportation. Un choix lourd de conséquences pour leurs habitants et leurs écosystèmes.

Puis il y a la situation particulière du village de Koh Sralao :

L’eau salée a pénétré dans la mangrove – les arbres morts, aux racines blanchies par le sel, en témoignent. Le village de Koh Sralao apparaît au détour d’un méandre de la rivière. Des maisons sur pilotis, aux toits de tôle, reliées par des pontons en bois. Au sol, paniers à crabes, filets de pêche et crustacés qui sèchent au soleil. La ressource, ici, c’est le crabe. Mot Sopha, une jeune femme de 33 ans […] se remémore l’arrivée des mineurs : « Les barges sont apparues un jour et personne ne nous a expliqué ce qu’elles faisaient ici. Un peu plus tard, un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »

On leur promet un hôpital, une route et une école… ils ne se matérialiseront jamais. Au début, les habitants de Koh Sralao se contentent d’observer l’étrange ballet de grues et de barges qui se déroule juste devant leur village. Très vite, ils comprennent que quelque chose ne tourne pas rond. « Avant leur arrivée, je ramenais trois filets remplis de crabes chaque jour, ce qui me rapportait 25 dollars environ, détaille le mari de Mot Sopha, […]. Aujourd’hui, je dois déployer dix filets et cela ne me permet pas de gagner plus de 20 dollars. »

La population de crustacés et de poissons dans cet estuaire s’est effondrée. De l’ordre de 70 à 90%, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature. En raclant le fond de l’eau, les grues soulèvent un plumet de boue et de sédiments qui étouffe la vie marine. « Cela décape aussi le fond, riche en nutriments », pointe Alejandro Davidson-Gonzales, le fondateur de Mother Nature. À Koh Sralao, l’impact a été dévastateur. « Nous gagnons moins d’argent et avons dû acheter plusieurs nouveaux filets, détaille Mot Sopha. Cela nous a obligés à emprunter 500 dollars. » Les prêts sont fournis par des villageois fortunés à des taux exorbitants, qui peuvent atteindre 30%. « La saison suivante, nous avons de nouveau dû emprunter 500 dollars, juste pour pouvoir payer les traites », dit-elle. À plusieurs reprises, la situation s’est tendue. Les habitants de Koh Sralao ont tenté, en vain, de chasser les mineurs, notamment après le décès de l’un des leurs lorsque son embarcation est entrée en collision avec une barge.

L’article évoque la corruption, la complicité des autorités politiques avec les industriels qui profitent de cette activité lucrative et destructrice de l’économie locale et bien sûr de la nature. Les berges des rivières s’effondrent :

« «Seak Ky, une femme de 36 ans aux bras ornés de bracelets dorés, vend du jus de canne à sucre le long de la route, à S’ang, un hameau au sud de la capitale. En février, elle a découvert une fissure dans le sol de sa cuisine. Quelques jours plus tard, en pleine nuit, la moitié de sa maison est tombée dans le Bassac, un bras du Mékong. « Tout s’est passé en moins de 30 minutes, raconte cette mère de trois enfants. Je n’ai eu le temps que de me saisir de quelques casseroles. J’ai perdu tout le reste. » Ce n’était pas la première fois. « J’ai dû déplacer ma maison quatre fois vers l’intérieur des terres, car plus de 20 mètres de berges se sont effondrées », livre-t-elle.

Sa demeure est désormais collée à la route. Une dizaine de maisons du village ont subi le même sort. En cause : une plate-forme munie d’un tuyau qui aspire le sable au milieu du fleuve, à une petite dizaine de mètres des habitations. Il y en a plusieurs autres le long de la rive. « Elles sont arrivées à l’été 2016, indique Ly Raksmey, un militant de Mother Nature. Le sable alimente un chantier de logements pour les fonctionnaires, à quelques kilomètres d’ici. » Lorsqu’on extrait du sable au milieu d’une rivière, cela en accélère le flux, favorisant l’érosion des berges et les inondations en aval. […]

À S’ang, la colère gronde. « Je n’ai reçu aucune compensation financière, s’emporte Seak Ky. On m’a dit que l’effondrement était dû à une catastrophe naturelle.»

C’est une catastrophe qui s’étend à beaucoup d’autres pays asiatiques :

« Le Cambodge n’est pas le seul pays ravagé par les effets de l’extraction de sable. En Inde, plusieurs ponts menacent de s’effondrer car leurs fondations ont été mises à nu. Des lacs et des rivières au Kerala ont vu leur niveau chuter dramatiquement, asséchant les puits aux alentours. La même chose s’est produite aux Philippines, au Sri Lanka et en Indonésie. Mais le pays le plus affecté, c’est le Myanmar. « L’extraction s’opère dans la rivière Irrawaddy, dans les estuaires du sud-est du pays et sur les plages de l’Etat du Rakhine, détaille Vicky Bowman, qui dirige l’ONG Myanmar Centre for Responsible Business. Résultat, les côtes marines ne sont plus protégées contre les tempêtes, les berges des rivières s’érodent et l’eau est devenue trouble. » Certains hôtels, sur la plage de Ngapali, ont commencé à s’effondrer. Et des bâtiments construits avec ce sable rempli de sel, tel l’hôpital de Sittwe, risquent aussi de s’affaisser. »

Il existerait pourtant des alternatives au sable :

« Il existe des solutions pour utiliser moins de sable. L’asphalte, le ciment et le verre se recyclent. En Grande-Bretagne, près de 30% des matériaux utilisés dans le BTP sont générés ainsi. « L’incinération de déchets produit une cendre très compacte qui peut servir à fabriquer des revêtements de parking ou des dalles », précise en outre Pascal Peduzzi, géographe affilié au programme des Nations unies pour l’environnement. Singapour se sert pour sa part de la terre excavée lors de la construction des lignes de métro pour gagner du terrain sur la mer. La cité-Etat a également lancé un ambitieux projet, inspiré par les polders néerlandais, pour agrandir l’île de Tekong, tout à l’est du territoire, de 8,1 km2. « Nous construisons un mur circulaire long de 10 kilomètres qui affleurera à 6 mètres au-dessus du niveau de la mer, détaille Wong Heang Fine, le PDG de Surbana Jurong, entreprise qui travaille au projet. L’eau retenue par cette digue sera ensuite drainée et nous pourrons construire directement sur le sol marin. » »

Homo sapiens continue sa folle quête de la croissance en prélevant des ressources de notre planète au-delà du raisonnable et supérieures à ce qu’elle est capable de régénérer.

Je vous redonne le lien vers l’article du magazine des Echos : <La guerre du sable>

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Mercredi 01/02/2017

Mercredi 01/02/2017
« Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire, contre un sur dix en France »
Catherine Chatignoux
On nous raconte tant de choses. On nous explique surtout que l’Allemagne est un pays bien mieux géré que la France et que nous devrions nous en inspirer pour toutes nos politiques économiques.
Et il est vrai que l’Allemagne est plus riche, est moins endettée et dispose d’une balance commerciale bien plus favorable que la France.
Certes, mais cette politique économique a un prix ou disons son côté obscur qui est de plus en plus éclairé par des études internationales.
Catherine Chatignoux est journaliste dans le journal « Les Echos ». Elle a écrit un article en s’appuyant sur une étude statistique produite par Eurostat qui a a calculé la proportion de « bas salaires » dans les différents pays de l’Union européenne.
Vous trouverez cet article, derrière ce lien : <Un salarié allemand sur quatre a un bas salaire>
Mais Grâce à cet article, ce mot du jour et les deux précédents, j’espère que plus personne ne pensera que je n’aime pas les chiffres. Mais un chiffre n’est pas neutre, je vous l’ai déjà écrit…
Je cite l’article : « Si l’Union européenne est toujours considérée comme un îlot de prospérité relative dans le monde, les dernières données de l’office statistique Eurostat montrent que la précarité n’épargne aucune de ses économies et révèlent quelques anomalies. »
Mais montrant d’abord le schéma :
«Première indication : la proportion de bas salaires parmi l’ensemble des salariés de l’Union européenne atteint 17,2 %, la zone euro en compte un peu moins, 15,9 %, ce qui est logique compte tenu de sa plus grande homogénéité économique. Est considéré comme un bas salaire celui qui touchait en 2014 deux tiers ou moins du salaire horaire national brut médian. Il s’agit donc d’un niveau relatif et non en valeur absolue.
S’il n’est pas étonnant de trouver le plus grand nombre de ces bas salaires en Lettonie (25,5 %), en Roumanie (24,4 %) ou en Pologne (23,6 %), leur forte proportion est plus inattendue en Allemagne (22,5 %), au Royaume-Uni (21,3 %), en Irlande (21,6 %), et même aux Pays-Bas (18,5 %). A noter que, pour des raisons liées à la réorganisation du système de collecte, les données de la Grèce n’apparaissent pas.
A l’inverse, les pays scandinaves continuent de mériter leur réputation de pays plus égalitaires puisque moins de 10 % des salariés percevaient des bas salaires en Suède (2,6 %), en Finlande (5,3 %) et au Danemark (8,6 %). La France (8,8 %) et la Belgique (3,8 %) apparaissent également plus équitables tandis que les pays du sud de l’Europe, Espagne, Portugal et Italie, affichent un niveau de bas salaires intermédiaire, inférieur à 15 %.
Concernant le niveau du salaire brut médian, les écarts restent très importants dans l’Union européenne puisqu’ils s’échelonnent de 1 à 15. Le niveau le plus élevé a été enregistré au Danemark (25,50 euros de l’heure), devant l’Irlande (20,20 euros) et la Suède (18,50 euros). A l’autre bout de l’échelle, le salaire médian le plus faible se trouve en Bulgarie (1,70 euro) et en Roumanie (2 euros). En Allemagne, il s’élève à 15,70 euros et en France à 14,90 euros. »
L’étude d’Eurostat confirme par ailleurs que les femmes sont davantage concernées par les bas salaires (21,1 %) que les hommes (13,5 %) et les moins diplômés (28,2 %) bien plus que ceux qui ont un niveau d’éducation supérieur (6,4 %). Les faibles rémunérations concernent enfin davantage les CDD (31,9 %) que les CDI (15,3 %).
Ces chiffres que nous disent-ils ?
On nous dit que le Royaume-Uni et l’Allemagne ont un taux de chômage nettement inférieur à la France, c’est vrai !
Mais parallèlement ils ont aussi le système qui produit une plus grande précarité et une plus grande inégalité des salariés.
Bien sûr que la France a un grand problème avec le chômage, mais quand j’entends certains politiques dirent nous allons appliquer les recettes qui ont marché ailleurs en pensant à l’Allemagne et à la Grande Bretagne je ne peux être qu’inquiet.