Vendredi 6 novembre 2020

« Résister, c’est d’abord et absolument faire face. Exprimer une force pour en contenir une autre »
Alain Rey

Entre 1993 et 2006, Alain Rey, concluait la matinale de France Inter que j’écoutais chaque jour, par une chronique intitulée « Le Mot de la fin ». Il s’emparait alors d’un mot de notre langue qui était présent dans l’actualité et qui, souvent, avait été cité plusieurs fois dans l’émission d’information qu’il concluait.

Alors, il déshabillait ce mot, l’inscrivait dans l’histoire, examinait les différentes significations, souvent éclairait un autre sens du mot. C’était un moment de poésie et d’érudition que j’attendais toujours avec impatience.

France Inter a republié un certains nombre de ces chroniques sur cette page <(Ré)écoutez « Le Mot de la fin », la chronique d’Alain Rey>

Vous y trouverez sa dernière chronique, le 29 juin 2006, consacrée au mot « Salut ». Mais aussi :

  • Pandémie
  • Palabre
  • Caricature
  • Sage

Il avait fait sa chronique sur le mot « sage » lors d’une autre élection présidentielle américaine pendant laquelle il a fallu attendre longtemps pour savoir qui serait le président entre Al Gore et George W Bush. C’était sa chronique du 13 décembre 2000 et il s’en prenait aux juges de la Cour Suprême :

« Un mot que je trouve un peu immérité. C’est le mot « sage ». Les juges de la Cour suprême des Etats-Unis, qui viennent de rendre la décision que l’on sait, sont souvent appelés « Les Sages ». Sans commentaire. Mais les commentaires, justement, soulignent le caractère politique de leur décision. Cinq sages républicains contre quatre sages démocrates égalent un président républicain. Voilà la sagesse assimilée à une majorité politique d’ailleurs faiblarde et surtout une sagesse en morceaux puisqu’avec certes, cinq pro-Gore et quatre pro-Bush modèle W, on aurait eu le résultat inverse. »

Cette page a été mis en ligne suite au décès d’Alain Rey, le 28 octobre 2020, à l’âge de 92 ans.

Il était né en 1928, dans le Puy-de-Dôme. Entre autres études, il a fait des études de lettres et d’histoire de l’art à la Sorbonne. Après son service militaire en Tunisie, il répond en 1952 à une petite annonce de Paul Robert qui cherche des linguistes pour faire un dictionnaire. Alain Rey devient son premier collaborateur pour le Dictionnaire alphabétique et analogique.

Il devient alors l’âme des dictionnaires « Robert », il devient le Robert. Le premier dictionnaire « Le Robert » paraît en 1964. Alain Rey rédige et dirige ensuite les autres dictionnaires publiés par les éditions Le Robert dont le célèbre « Le Petit Robert »

Wikipedia écrit :

« S’il ne fut pas universitaire, il a cependant joué un rôle majeur dans le développement de la terminologie, de la lexicologie, de l’histoire du vocabulaire, de la sémantique historique et de l’histoire culturelle des dictionnaires. »

J’ai trouvé dans <un article du Monde>, publié le 24 mars 2016, une ode dont il avait le secret au mot « résister ».

Il me semble que le mot « résister » constitue un verbe important des temps présents.

L’hebdomadaire « Le Un » a consacré un de ces dernier numéros à « résister ».

Alain Rey écrivait :

« Le mot « résister » n’est pas très ancien. Il apparaît au tournant des XIIIe et XIVe siècles, par un emprunt direct au latin. C’est un terme d’origine intellectuelle, donc, qui n’est pas passé par les gosiers romans du haut Moyen Age. Dès son apparition, ce mot inventé par les clercs, en un temps où l’individu ne pèse pas, est posé comme collectif, à résonance plurielle. Du « resistere » latin, il tient sa force, son énergie.

Le préfixe « re » n’indique pas ici le redoublement ou la répétition, mais l’intensif appliqué à une racine, « sistere », qui dit l’arrêt, la station fixe. Une racine que l’on retrouve dans « insister », « persister », ­ « désister », « consister » aussi.

Résister, c’est donc d’abord se tenir debout et être capable de faire face. Faire front. Faire obstacle. Face à une menace, un péril, même intime, venu de l’intérieur en quelque sorte.

De façon frappante, on peut remarquer qu’il y a là comme un écho avec le « djihad », cet ­ « effort suprême » de la langue arabe. Dans les hadiths qui complètent le Coran, le Prophète distingue le petit djihad, qui concerne la guerre menée pour préserver l’islam, et le grand djihad, plus essentiel à ses yeux, qui désigne la lutte à mener en son for intérieur contre ses propres faiblesses, ses passions ou ses facilités.[…]

La notion de « résister » est si claire qu’elle n’a quasiment pas varié au fil du temps. Le mot est des plus stables. Un mot résistant en quelque sorte. Posture d’abord théorique, il trouvera plus tard ses emplois concrets, en métaphore.

Au XVIe siècle, il s’applique aux sentiments : désormais, on résiste à une tentative de séduction. Aux choses également, quand celles-ci, face à l’action d’un agent extérieur, parviennent à conserver leur intégrité sans se détériorer.

Mais c’est la progression dans le champ de la psychologie sociale qui sera la plus flagrante  : résister au sens de refuser, s’opposer à. Vocabulaire de l’opposition à une séduction autant qu’à une oppression, la notion originelle s’étoffe ainsi sans varier sur le fond. Les dérivés qui s’ensuivent sont particulièrement intéressants. Ainsi, le mot « irrésistiblement », employé au siècle des ­Lumières dans le champ psychologique pour signifier une promesse d’agréments. »

Et il compare le mot « résister » et le mot « résistance » en montrant la plus grande stabilité du verbe :

«  Le mot ­ « résistance » – d’abord orthographié « resistence » lors de ses premières occurrences médiévales – s’est coloré différemment selon les circonstances historiques qui en ont régulièrement popularisé l’emploi. Jusqu’à son actuelle acception majuscule – Résistance –, qui la réserve à l’action, menée durant la deuxième guerre mondiale, de ceux qui s’opposèrent à l’occupation de leur pays par les troupes des puissances de l’Axe. Comparé à cette variabilité, le mot « résister », lui, a conservé sa hauteur de vues originelle, intangible. ­ Résister, c’est d’abord et absolument faire face. ­Exprimer une force pour en contenir une autre, comme faire le choix de la non-violence pour s’opposer à l’oppression. »

Et il finit par une anecdote propre à nous encourager à continuer à aimer et défendre les caricatures :

«  Sur un plan plus intime, j’ai été assez séduit par la proposition que me fit naguère Jean-Michel Ribes de participer à la saison 2007-2008 du Théâtre du ­Rond-Point, consacrée au ­ « rire de résistance ». La dérision comme autre réponse que le sérieux pour faire face me convient assez. »

Je vous invite aussi à regarder cet entretien sur TV5 dans laquelle Patrick Simonin recevait Alain Rey à l’occasion de la sortie de son dictionnaire historique de la langue française. Vous apprendrez, entre autres, d’où vient le mot tomate et comment il a voyagé.

L’entretien ne dure que 20 minutes. Si vous disposez davantage de temps, en ces temps de confinement, vous pouvez écouter cette conférence passionnante sur la langue française donnée à l’Université de Genève < Le français, une langue à l’épreuve des siècles>. Elle dure 1:45 et vous verrez qu’il a aussi beaucoup d’humour et de la poésie.

Lui qui écrivait le 24 mars 2020 :

« Confinement est sans aucun doute le mot du jour, jour un peu long, à notre regret, mais qui incite ou qui invite à la réflexion. […]
Acceptons d’être « confinés », mais au sens que ce mot eut à la fin du Moyen Âge : « aller jusqu’aux confins ».
Or, les confins de la langue française, c’est le monde. » 

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Vendredi 9 octobre 2020

« L’intelligence c’est aussi important que le soleil. »
Juliette Gréco

Je ne me suis intéressé à « Boomerang », l’émission d’Augustin Trapenard sur France Inter qu’à partir de cette exceptionnelle série « Lettres d’intérieur » dans laquelle, pendant le confinement, il a lu chaque jour la lettre d’un écrivain, d’un artiste, d’un journaliste qui parlait de ce moment étonnant et unique. Il lisait de sa voix chaude, avec émotion et pudeur.

J’en ai fait quatre mots du jours « Je te demande pardon. » d’Ariadne Ascaride, « Puisque seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter. » de Yasmina Khadra, «C’est la bonté qui est la normalité du monde car la bonté est courageuse, la bonté est généreuse et jamais elle ne consent à être comme une embusquée, qui, à l’arrière vit grâce au sang des autres.» de Wajdi Mouawad et «Mais nous, dis, nous resterons tendres ? On ne va pas se faire avaler !» de Sophie Fontanel.

Mais il en ait tant d’autres à écouter sur la page des « Lettres d’intérieur ».

Dans Boomerang, il invite une ou un artiste et lui pose des questions.

Il est de la lignée de Jacques Chancel, celui qui laisse toute sa place à l’artiste, qui présente un écrin dans lequel l’artiste se sent accueilli et peut exprimer sa liberté et sa créativité.

Il n’est pas de la lignée de Thierry Ardisson ou Laurent Ruquier qui tout en étant de grands professionnels ont d’abord pour objet de se promouvoir eux même.

Et donc, dans cet écrin il avait accueilli Juliette Gréco, en 2015, à la veille de la sortie de l’album de sa tournée d’adieu.

Cette émission a été rediffusée le 24 septembre 2020 : <Muse, Juliette Gréco>. C’est encore une pépite qui fait du bien à écouter. Échange de profondeur et aussi plein d’humour

J’en prendrai quelques extraits :

Augustin Trapenard lui fait parler de sa pudeur. Elle aime être habillée en noir. Comme cela sur scène on ne voit pas son corps, on ne voit que ses mains et son visage.

Elle explique que sa pudeur vient peut-être de sa nature ou de son éducation religieuse bourgeoise. Elle dit qu’elle préfère peut-être le mystère à l’étalage. « Je trouve cela plus sensuelle », dit-elle. Et elle ajoute cette phrase merveilleuse :

« Je suis ravi de voir des filles qui ont des jupes au ras du bonheur »

Augustin Trapenard aussi a adoré cette expression « des jupes au ras du bonheur. »

Et quand le journaliste lui demande qu’elle sont ses goût musicaux, ce qu’elle écoute dans son salon, dans sa voiture.

« C’est plutôt ce qu’on appelle la musique classique, j’ai besoin du silence de la musique classique et j’ai besoin qu’il n’y ait pas de mots. J’ai besoin qu’on me réconforte. Si je suis de mauvaise humeur c’est Mozart. Si je suis de bonne humeur c’est Schoenberg ou des choses compliquées. »

Juliette Gréco a beaucoup chanté les poètes. Et quand Augustin Trapenard lui demande quels sont les poètes d’aujourd’hui, elle a cette réponse :

« Le nouveau langage est celui des rappeurs, des slameurs. Je pense que c’est un nouveau langage qu’il faut absolument respecter et qu’il faut bien écouter. Ils sont la parole de la jeunesse. Et c’est une chose qu’il ne faut pas louper parce que c’est grave. Il faut écouter ce qu’ils ont à dire. »

Et puis il y a son histoire d’amour avec le compositeur et trompettiste de jazz américain. : Miles Davis

Au printemps 1949, alors de passage à Paris pour se produire au festival de jazz international, Miles Davis rencontre Juliette Gréco. Cette dernière donne un concert au cabaret Le Bœuf sur le toit où elle chante des textes de Boris Vian, Jean-Paul Sartre et Jacques Prévert. Miles Davis est alors âgé de 23 ans. Leur coup de foudre est réciproque.

Et elle a cet échange avec Augustin Trapenard :

« Il parait que c’était une révolution. Je ne m’en suis pas rendu compte du tout. […] Quand j’ai vu Miles, je n’ai pas vu qu’il était noir. J’ai vu un mec avec une trompette sur la scène, de profil qui était absolument magnifique. Qui jouait de manière magnifique. Qui était un être unique. Et il est sorti de scène, je l’ai regardé et il m’a regardé et c’est parti.
Ça a fait scandale ?
Oui surement. Bien sûr.
Et vous en vous êtes pas du tout trouvé heurtée par ce scandale-là ?
Je me suis sentie heurtée par ce scandale, en allant en Amérique. En France, ils étaient plus sournois. Ça ne faisait pas chic d’être raciste, à cette époque-là. En Amérique cela faisait partie de la vie, de l’éducation.
Qu’est-ce qui vous révolte aujourd’hui Juliette Gréco ?
Eh bien cela par exemple, le racisme. L’absence de tolérance. »

Ils avaient évoqué le mariage. Mais aux États-Unis (à l’époque, les unions entre Noirs et Blancs sont illégales dans de nombreux États américains) c’était terriblement compliqué. Ils renonceront et Miles Davis rentrera à New York.

Lors de son entretien elle a aussi évoqué ses rencontres avec des gens intelligents : Camus, Sartre, Simone de Beauvoir et tant d’autres avec qui elle échangeait. Elle a dit :

« L’intelligence c’est aussi important que le soleil, c’est aussi important que les choses essentielles qui nous aident à vivre, qui nous font vivre. »

Lors de l’émission Augustin Trapenard fit écouter plusieurs chansons de Juliette Gréco. Particulièrement celle qui fut écrite pour sa dernière tournée de 2015 <Merci>.

Pour finir l’émission, il fit écouter <Le temps des Cerises>

J’avoue une tendresse particulière pour cette interprétation en 1972 de <la Javanaise de Gainsbourg>

Cette page de France Inter lui rend aussi hommage : <La chanteuse Juliette Gréco est morte>. Mais rien ne saurait remplacer la poésie de l’échange entre Juliette Gréco et Augustin Trapenard : <Muse, Juliette Gréco>

<1471>

Mercredi 7 octobre 2020

« [Pour me sentir mieux] je prends de la distance. »
Mafalda dessinée par Quino

J’avais déjà fait appel à Mafalda lors du mot du jour du <20 novembre 2019> : « Vivre sans lire c’est dangereux, cela t’oblige à croire ce que l’on te dit »

Et je pense que dans le monde de l’immédiateté, des avis sur tous les sujets, cette parole que Quino a mis dans la bulle de Mafalda est bienvenue.

Mafalda a été créée en 1964 par le dessinateur et scénariste argentin Joaquin Salvador Lavado, dit Quino,

Quino est décédé mercredi 30 septembre à l’âge de 88 ans, à Mendoza, la ville qui l’avait vu naître en 1932.

<Atlantico> écrit :

« Quino avait créé cette petite héroïne anticonformiste en 1964. Il livrait, à travers les yeux de cette fillette issue de la classe moyenne argentine, sa propre réflexion contestataire sur le monde. Mafalda critiquait notamment la gestion de la planète par les adultes. Ce personnage était très concerné par les problèmes économiques et sociaux, les inégalités ou bien encore l’injustice. »

Quino a créé de nombreuses autres œuvres et des recueils de dessins d’humour mais il est définitivement connu pour le personnage de Mafalda.

<Le Figaro.fr> nous apprend qu’on le surnommait le « Sempé argentin » et ajoute :

« Il n’a jamais cessé de se battre contre l’arbitraire et les abus d’un monde en pleine mondialisation. Entré à l’école des Beaux Arts de Mendoza à 13 ans, ce fils d’Andalous avait arrêté ses études assez vite pour se consacrer à sa passion, l’illustration d’humour. En plus d’un demi-siècle de dessins de presse et de bande dessinée, cet humoriste à la douce poésie graphique, aura toujours porté avec lucidité, sa plume dans les plaies du globe. »

Mafalda est la petite fille d’un agent d’assurances argentins marié à une femme au foyer. Les parents sont souvent dépassés par la maturité de cette jeune héroïne rebelle. Inlassablement elle questionne sur la condition féminine, la dictature, la surpopulation, la guerre atomique ou encore Fidel Castro. Et le plus souvent elle exprime son indignation contre le monde injuste.

Quino avait expliqué comment Mafalda était née, au départ d’une idée pour faire de la publicité. Il déclarait au Figaro en 2004 :

«Mafalda est un peu la petite sœur argentine du petit Nicolas… en plus politisé[…]. Toutefois, elle est née d’une bien curieuse manière. C’était en 1962. Une marque d’électroménager m’avait commandé une campagne de publicité où je devais combiner Peanuts et la série Blondie. Il s’agissait des aspirateurs Manfield, marque argentine équivalente à Philips. J’avais créé une douzaine de «strips» où Mafalda évoluait, au quotidien, au sein d’une famille modèle. Finalement, la campagne n’eut jamais lieu. C’est mon ami Julian Delgado, rédacteur en chef de la revue hebdomadaire Primera plana, qui me demanda, en 1964 : « Tu aurais quelque chose pour nous ? » C’est ainsi que Mafalda, dont j’avais trouvé le nom dans le roman de David Vinas, Dar la cara, vit le jour… »

<Le Monde> précise que c’est son épouse qui a eu l’intuition que le personnage de publicité pourrait devenir un personnage de BD :

« Ma femme a été l’élément clé dans la reconnaissance de Mafalda », avait-il assuré en 2014 lors de la remise du prix Prince des Asturies. »

Quino était un créateur de comic strip, ou simplement strip. C’est-à-dire une bande dessinée de quelques cases disposées en une bande le plus souvent horizontale.


Les aventures de Mafalda ont été l’un des « comics strips » les plus publiés au monde.

Lors des 50 ans de la création de Mafalda, Le Monde publia un entretien avec son créateur le <30 janvier 2014>

Quino, papa désabusé de Mafalda, une gamine de 50 ans

Lorsque le journaliste lui demande d’expliquer la notoriété planétaire de son personnage il répond :

« Je ne le sais pas moi-même, mais peut-être est-ce dû au fait qu’une grande partie des questions qu’elle se pose sont encore sans réponse. Parfois, je me surprends moi-même de voir comment certains strips que j’ai dessinés il y a plus de quarante ans s’appliquent à des questions d’aujourd’hui. L’année dernière est sorti un livre en Italie, qui reprenait des vignettes de Mafalda parues dans la revue Siete Das. Elles étaient classées par thèmes : politique, économie… Ce qui est incroyable, c’est que de nombreux strips semblaient faire directement référence à la dernière campagne de Berlusconi ! »

Finalement Mafalda n’aura occupé qu’une petite période de l’activité de Quino de 1964 jusqu’en 1973. Il ne regrettait pas d’avoir arrêtée si tôt le personnage auquel il continue à être associée :

« Absolument pas. Cela a été très difficile, mais je ne voulais pas que Mafalda devienne une de ces BD que les gens lisent par habitude. De plus, faire un strip n’est pas la même chose que faire une BD traditionnelle. Il s’agit d’un travail très routinier : il faut dessiner toujours les mêmes personnages, dans les mêmes proportions. C’est comme si un menuisier devait toujours tailler la même table. Moi, je voulais aussi faire des portes, des chaises et des banquettes. »

Et il finit l’entretien par ce propos pessimiste :

« Si je suis heureux de voir que Mafalda a encore des lecteurs aujourd’hui, cela m’attriste de constater que les thèmes dont elle parle restent d’actualité. Ils ont un autre nom aujourd’hui, mais ils restent les mêmes. Le monde qui existait en 1973 quand j’ai cessé de faire cette BD et que Mafalda critiquait tellement est le même, voire pire aujourd’hui. »

Il était proche de Wolinski et de Cabu. Il avait exprimé lors de l’attentat de Charlie Hebdo et de ceux qui ont suivi que son héroïne Mafalda aurait ressenti une « terrible peine ». Une autre fois il avait affirmé : « Mafalda c’est moi ! »


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Mardi 6 octobre 2020

« Et je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais !»
Gisèle Halimi

Le Président de la République a célébré, au Panthéon, les 150 ans de la proclamation de la république, le 4 septembre 1870. Depuis, nous sommes en République.

En Histoire, les choses sont toujours vraies à peu près, disait le grand Historien Fernand Braudel.

Entre le 10 juillet 1940 et le 20 août 1944, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, un autre régime politique a assuré le gouvernement de la France. Son siège était à Vichy et le chef de l’État était le Maréchal Pétain. En effet, après le vote des pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain, le 10 juillet 1940, par l’Assemblée nationale (réunion de la Chambre des députés et du Sénat), la mention « République française » disparaît des actes officiels ; le régime est dès lors désigné sous le nom d’«État français ».

Sous la présidence du Général de Gaulle, le Gouvernement provisoire de la République française proclama, par son ordonnance du 9 août 1944, toujours en vigueur, relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, la permanence en droit de la République française et nia toute légitimité au gouvernement de Vichy et de ses actes.

C’est ainsi que grâce au récit national, nous sommes en République depuis le 4 septembre 1870, sans interruption. C’est à cela que sert un récit national, raconter les faits de manière à ce que l’histoire soit conforme à ce que l’on souhaite.

Pour fêter ces 150 ans, le Président de la République a prononcé un discours que vous trouverez derrière <ce lien>.

Il est possible que j’y revienne plus longuement, mais aujourd’hui je vais m’arrêter à une phrase du discours qui m’a touché :

« Comment ne pas évoquer Gisèle HALIMI, disparue cet été. De sa chère Tunisie, à notre Assemblée nationale, des prétoires, des hémicycles, de plaidoyers en manifestes, celle qui était née Zeiza TAÏEB, plaida pour l’émancipation des peuples et fit faire des bonds de géant à la cause des femmes. »

Gisèle Halimi nous a quitté pendant cet été, le 28 juillet 2020 à 93 ans.

Cette avocate, cette grande Dame, cette combattante a été tout au long de sa vie du bon côté, c’est au moins ce que je crois.

C’était le combat du féminisme et c’était le combat de la liberté.

Elle a raconté que ce combat venait de loin.

Elle est née en 1927 près de Tunis dans une famille modeste d’une mère séfarade et d’un père d’origine berbère. Ses parents voulaient un fils. Sa mère marqua toujours sa préférence pour ses fils.

Et sa première révolte fut au sein de sa famille contre l’obligation faite aux filles de servir les hommes à table, y compris ses frères, et contre l’obligation de se consacrer à des tâches ménagères dont ses frères sont dispensés. C’est pourquoi à l’âge de treize ans, elle entame une grève de la faim afin de ne plus avoir à faire le lit de son frère. Au bout de trois jours, ses parents cèdent et elle écrit dans son journal intime de l’époque :

« Aujourd’hui j’ai gagné mon premier petit bout de liberté »

Dans ses derniers mois, elle a eu la force d’écrire avec la journaliste Annick Cojean, ses mémoires qui ont parues le 19 août : « Une farouche liberté »

Annick Cojean qui avait publié dans le Monde, le 22 septembre 2019, une longue interview de Gisèle Halimi : « J’avais en moi une rage, une force sauvage, je voulais me sauver »

Elle a embrassé la carrière d’avocate :

« Avocate pour se défendre et pour défendre. Avocate parce que l’injustice lui est « physiquement intolérable ». Avocate parce que, femme, elle est depuis le début dans le camp des faibles et des opprimés. Avocate « irrespectueuse », comme elle aime à se définir, parce que l’ordre établi est à bousculer et que la loi doit parfois être changée. Enfin parce que « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », comme l’écrit René Char, qu’elle cite volontiers. »

Dalloz qui est la référence pour toutes celles et ceux qui ont étudié le Droit en France lui a rendu un long hommage dans son journal <Dalloz actualité> par la plume de Dominique de la Garanderie, avocate, ancien bâtonnier de Paris.

Et cet hommage commence ainsi :

« La défense, jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte. La défense, d’abord pour des hommes et des femmes, la défense qui est leur droit. La défense, pour gagner, mais aussi la défense qui fait douter des aptitudes à défendre. La défense pour la justice, la défense contre la loi.

Sa vocation peut être née d’un profond sentiment d’injustice qui l’a conduite à faire la grève de la faim à 10 ans pour protester et lutter contre un asservissement à l’égard de ses frères.

Sa vocation peut être née de l’assimilation des principes républicains de liberté, égalité et fraternité.

Sa vocation peut être née du refus de l’organisation de la société de la première moitié du XXe siècle et d’une mère ancrée dans les principes les plus traditionnels.

Gisèle Halimi était avocate.

La nécessité de l’indépendance, l’évidence de la recherche de justice, la volonté d’agir, la rage de convaincre ont été des moteurs au service d’une intelligence hors du commun et d’une détermination à toute épreuve. Elle devait être avocate. »

Et quelle avocate !

Mais dans l’interview d’Annick Cojean, elle revient sur les racines de sa colère, de sa soif de justice dans ce qu’elle a vécu et compris dans sa jeunesse :

«  Ma grand-mère, ma mère et moi avons vécu comme ça ; alors toi aussi ! », me disait ma mère, Fritna, faisant du mariage et de la sujétion à un homme mon horizon ultime. Cela impliquait de me mettre au service des hommes de la famille, de servir mes frères à table et de faire leur lit, le ménage et la vaisselle. Je trouvais cela stupéfiant. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Avant même la révolte, je ressentais une immense perplexité. Pourquoi cette différence ? Elle n’avait selon moi aucun fondement ni aucun sens. […] Tout était déjà là. Et ce récit, entendu dès mon plus jeune âge, m’a tout de suite fait comprendre la malédiction d’être née femme. C’est l’histoire de mon père Edouard, si consterné en apprenant que sa femme avait mis au monde une petite fille, qu’il a nié ma naissance pendant près de trois semaines ! Aux amis qui venaient aux nouvelles, il affirmait : « Non, Fritna n’a pas encore accouché. Bientôt, bientôt… » Il a fini par s’habituer à l’idée de la catastrophe – après tout, l’honneur était sauf, il avait déjà un fils aîné –, et nous nous sommes beaucoup aimés. Mais tout, dans mon enfance, était fait pour me rappeler que je n’étais qu’une femme, un être éminemment inférieur. […] « C’est pas juste !, disais-je constamment. C’est pas juste ! » Mon père s’énervait : « Tu n’as que ce mot-là à la bouche ! » C’est vrai. Je l’ai eu toute ma vie. Et il est indéniable que mon féminisme et mon besoin de corriger les injustices sont ancrés dans cette révolte initiale. »

Dans la jeunesse de Gisèle, le combat féministe premier était contre les mères. D’ailleurs elle aimait profondément son père, avec sa mère c’était beaucoup plus compliqué :

«  Elle me pensait anormale. Quelque chose ne tournait pas rond chez sa fille pour qu’elle refuse ainsi sa condition de fille. Elle-même avait été mariée à 16 ans, selon la norme en Tunisie, avait ensuite enfanté tous les deux ans, et entendait bien que je poursuive la tradition. Le jour où j’ai eu mes règles, elle m’a d’ailleurs prévenue : « Maintenant, c’est fini !
– Qu’est-ce qui est fini ?
– Tu ne joues plus du tout avec les garçons. »

J’étais sidérée. Moi qui jouais au foot avec eux, courais pieds nus dans les rues, nageais à perte de souffle avec une bande de copains, j’aurais dû tout arrêter ? « Mais pourquoi ?
– C’est comme ça ! »

Là encore, quelle injustice ! De quoi étais-je coupable ? Quand j’avais 16 ans, elle a tenté de me marier à un riche marchand d’huile de 35 ans. « Il a trois voitures ! », répétait-elle, tel l’Harpagon de L’Avare répétant « sans dot ! ». »

Son premier combat fut pourtant celui de la décolonisation et de la résistance. Elle deviendra l’amie d’Habib Bourguiba dont elle dit :

« Voilà un visionnaire qui avait compris que l’inclusion des femmes était gage de progrès. »

Puis sa mission d’avocat auprès des militants de la cause algérienne l’a conduit aussi à demander la grâce de ses clients auprès du Président de la République, d’abord René Coty, puis le Général de Gaulle. Et c’est lors d’une telle démarche qu’a eu lieu cet échange célèbre :

« Le 12 mai 1959, à la suite du grand procès d’El Halia en Algérie [en août 1955, des insurgés algériens tuèrent une trentaine d’Européens dans le village d’El Halia]. Et croyez-moi, c’était autre chose ! Quand il m’est apparu, il m’a semblé gigantesque. Il m’a tendu la main en me toisant. Et, de sa voix rocailleuse, il a lancé : « Bonjour madame » Il a marqué un temps. « Madame… ou mademoiselle ? » Je n’ai pas aimé. Mais alors pas du tout ! Ma vie personnelle ne le regardait pas. J’ai répondu en le regardant bien droit : « Appelez-moi maître, monsieur le Président ! » Il a senti que j’étais froissée et il a accentué sa courtoisie : « Veuillez entrer, je vous prie, maître. Asseyez-vous je vous prie, maître. Je vous écoute, maître. »

Elle raconte que De Gaulle connaissait parfaitement le dossier. Il accorda la grâce.

Son combat pour l’indépendance de l’Algérie fut encore une magnifique manifestation de courage :

« Oui, et j’étais assurément considérée comme une « traîtresse à la France » par les militaires et tenants de l’Algérie française. Il y avait des crachats, des huées, des insultes et des coups à l’arrivée au tribunal. Des coups de fil nocturnes – « tu ferais mieux de t’occuper de tes gosses, salope ! », des menaces de plastiquage de mon appartement et des petits cercueils envoyés par la poste. Je n’y ai longtemps vu que gesticulations et tentatives d’intimidation, jusqu’à l’assassinat, à Alger, de deux confrères très proches, puis la réception, en 1961, d’un papier à en-tête de l’OAS [Organisation de l’armée secrète, pour le maintien de la France en Algérie] qui annonçait ma condamnation à mort en donnant ordre à chaque militant de m’abattre « immédiatement » et « en tous lieux ». Je n’ai jamais eu peur. Sauf une nuit, au centre de torture du Casino de la Corniche, à Alger, où l’on m’avait jetée et où j’ai pensé avec culpabilité à mes fils de 3 et 6 ans, m’attendant à être exécutée. »

Et puis il y eut les combats féministes pour défendre «Djamila Boupacha » jeune militante du FLN qui avait avorté après avoir été violée et torturée par les militaires français.

Et puis le célèbre procès de Bobigny dans lequel .Marie-Claire Chevalier, 17 ans, était aussi poursuivie pour avoir avorté après un viol.

Richard Berry avait fait un spectacle qu’il a appelé « Plaidoiries » et dans lequel il mettait en scène 5 plaidoiries d’avocat dont celui de Maître Halimi dans ce procès de Bobigny.

Richard Berry dit : « Grâce à sa plaidoirie, Gisèle Halimi a changé la vie des femmes » et ajoute :

« Cette plaidoirie a une dimension particulière, d’abord parce qu’elle a eu une effet absolument extraordinaire sur la loi et sur la société », […] Je suis porté par ce texte, peut-être parce que j’ai trois filles et que je me sens donc concerné par cette forme d’oppression que les femmes ont subi, et que sans Gisèle Halimi elles continueraient peut-être de subir », prophétise Richard Berry. « Sans Gisèle Halimi, Simone Veil n’aurait peut-être pas fait passer sa loi, et ne serait peut-être pas enterrée au Panthéon. »

Et en 1971, elle est la seule avocate qui signe le manifeste des 343 femmes proclamant avoir avorté a lancé un sacré pavé dans la mare. Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, Catherine Deneuve, Delphine Seyrig…

Elle explique :

« Et moi ! J’avais tenu à le signer malgré ma profession d’avocate et le blâme probable qui en résulterait. Car j’avais moi aussi, à 19 ans, connu la plus profonde détresse après un avortement réalisé par un jeune médecin sadique, un monstre, qui avait fait un curetage à vif en disant : « Comme ça, tu ne recommenceras pas. » J’ai beaucoup pleuré cette nuit-là, avec le sentiment qu’on m’avait torturée pour sanctionner ma liberté de femme et me rappeler que je dépendais des hommes. Mais je ne regrettais pas. La biologie m’avait tendu un piège. Je l’avais déjoué. Je voulais vivre en harmonie avec mon corps, pas sous son diktat. »

Elle revient aussi sur sa relation avec Simone Veil :

« On s’aimait beaucoup. J’ai longuement travaillé avec elle et j’ai vu grandir son féminisme. Elle m’invitait à déjeuner chez elle et n’hésitait pas à chasser son mari pour qu’on puisse papoter tranquillement : « Antoine, tu nous gênes ! » Ou bien elle m’emmenait en virée dans sa voiture avec chauffeur à la recherche d’un bistrot, moche et bien planqué, où elle pourrait fumer sans être reconnue… car elle était alors ministre de la santé. On buvait un verre de vin et on s’amusait en passant en revue le gouvernement ou en évoquant nos maris et nos fils. »

Et elle finit cet entretien par cet appel :

« Je suis encore surprise que les injustices faites aux femmes ne suscitent pas une révolte générale. […]

[Il faut] La sororité ! Depuis toujours ! La solidarité ! Quand les femmes comprendront-elles que leur union leur donnerait une force fabuleuse ? Désunies, elles sont vulnérables. Mais, ensemble, elles représentent une force de création extraordinaire. Une force capable de chambouler le monde, sa culture, son organisation, en le rendant plus harmonieux. Les femmes sont folles de ne pas se faire confiance, et les hommes sont fous de se priver de leur apport. J’attends toujours la grande révolution des mentalités. Et je dis aux femmes trois choses : votre indépendance économique est la clé de votre libération. Ne laissez rien passer dans les gestes, le langage, les situations, qui attentent à votre dignité. Ne vous résignez jamais ! »

Elle gagnera aussi le combat pour criminaliser le viol, il faut la regarder défendre calmement et avec autorité ses arguments : < en 1977, le combat de Gisèle Halimi pour criminaliser le viol>

Ce fut une très grande Dame, un bel être humain.

Je pense, comme d’autres, que sa place est au Panthéon.

Car quand on fait le récit national, il est important de savoir ce que l’on met en avant, quels sont celles et ceux qui ont mené les combats qui honorent toute l’humanité.

Gisèle Halimi a mené ces combats-là et c’est pourquoi notre Récit national serait plus humaniste s’il lui faisait toute la place qu’elle mérite.

<1468>

Mardi 9 juin 2020

«En envoyant simplement de la nourriture et des vêtements à ces personnes, nous soulageons sans doute notre conscience mais nous les privons de ce que tout un chacun aspire : avoir un travail, gagner de l’argent, décrocher diverses opportunités d’apprendre, aller à l’école et ainsi de suite. Nous n’entendons pas les véritables besoins de ces gens-là.»
Leilah Janah, fondatrice de Samasource association visant à donner des emplois dans le numérique à des personnes pauvres et défavorisées

En février de cette année, attiré par la Une du Point « Trump : l’Homme qu’il fallait prendre au sérieux », j’ai acheté l’hebdomadaire.

La lecture de l’article consacré à « l’agent orange » comme l’appelle Spike Lee ne m’a pas beaucoup inspiré.

Mais après les évènements qui se passent actuellement aux États-Unis je suis revenu vers ce numéro pour réexaminer la question.

Il n’y a pas grand-chose à en tirer, l’homme est vulgaire, peu cultivé, adepte des rapports de force, très égocentrique, ayant un rapport lointain avec la vérité.

Certains lui trouvent un certain sens politique, capable de comprendre une grande partie des électeurs, de les flatter et grâce à sa démagogie d’obtenir leur vote.

Mais pour ce faire, il est capable de dire n’importe quoi et surtout privilégie toujours le court terme en se moquant éperdument de ce qui peut arriver plus tard.

En pratique, il en appelle toujours aux instincts les plus bas, les plus égoïstes, les plus cupides qu’on peut trouver dans l’âme humaine.

Mais en parcourant ce numéro je suis tombé sur un tout petit article qui a attiré mon attention.

Le titre de cet article était : « Le dernier message de Leila Janah »

« Connaissez-vous Tolbi ? Il s’agit d’un objet connecté mis au point par un groupe d’élèves ingénieurs de l’École supérieure polytechnique de Dakar. Doté d’un capteur d’hygrométrie, il est capable de renseigner sur le besoin d’arrosage des plantes de manière extrêmement localisée, permettant de précieuses économies d’eau.

Il est accessible via un téléphone basique et s’adresse à des personnes qui ne savent pas forcément lire et écrire grâce à la transmission d’informations dans les langues locales, comme le wolof. […]

Utiliser l’intelligence artificielle pour aider les plus pauvres à s’en sortir : c’est ce qui a motivé tout au long de sa vie Leila Janah. Cette femme américaine d’origine indienne a créé Samasource, qui compte quelque 11 000 salariés et a noué des partenariats avec des entreprises comme Walmart, General Motors ou Microsoft. »

Pour une fois Wikipedia ne donne, pour l’instant, aucune information sur cette jeune femme. Je veux dire le Wikipedia en français, la version anglaise, lui consacre bien <un article>

Je suis abonné au Monde et à Libération. J’ai donc cherché un article sur cette femme dans ces deux quotidiens. Ni l’un, ni l’autre n’a jamais parlé de cette jeune femme, fille d’immigrés indiens, installée aux Etats-Unis.

Enfin, j’ai trouvé un article sur une page annexe du site de l’Obs datant de novembre 2016 : <Leila Janah le visage du caritatif nouvelle génération>

« Leila Janah, avec son association à but non lucratif Sama, assume pleinement son côté startuppeuse et une communication décomplexée. Au Kenya ou en Ouganda, elle vient en aide à des populations défavorisées en les formant aux métiers du Web. […]

En 2008, elle a fondé Samasource, une association à but non lucratif qui vise à former des personnes au Kenya aux métiers du Web et ainsi leur donner accès à des emplois qui ne nécessitent pas d’être localisés dans la Silicon Valley. […] « J’ai passé presque une décennie de ma vie à travailler d’abord comme professeur d’anglais, puis comme traductrice et chercheuse, et, par-dessus tout, comme une idéaliste. Je suis devenue très cynique par rapport au mouvement contre la pauvreté : tout le monde semblait voir les pauvres comme fondamentalement dans le besoin, comme des consommateurs passifs […], mais jamais comme des producteurs. […] »

En cherchant un peu plus, j’ai aussi trouvé un article d’avril 2017 du magazine « Usbek & Rica » qui poursuit l’objectif d’«explorer le futur » : <Leila Janah : l’économie numérique peut sortir des milliers de gens de la pauvreté> :

« On appelle ça l’« impact sourcing » : la démarche consiste à faire appel à une main d’œuvre issue de milieux défavorisés, dans l’idée de marier économie marchande et économie d’entraide. En 2005, diplômée d’Harvard et alors consultante en sous-traitance, Leila Janah visite un call-center de Bombay et réalise que seule la classe moyenne a la possibilité d’y travailler. Quid des milliers d’habitants des bidonvilles ?

Convaincue que la réponse à la pauvreté ne peut être que l’emploi, elle crée Samasource – « sama » signifie « égal » en sanscrit – une ONG via laquelle elle emploie des personnes vivant sous le seuil de pauvreté afin qu’ils fournissent des services numériques à de grandes entreprises comme Google, Microsoft ou LinkedIn.»

Dans cet entretien elle explique avoir été inspirée par Muhammad Yunus le créateur de la micro-finance et prix Nobel de la paix en 2006.

«Ma vision était de créer une entreprise qui embaucherait et paierait des personnes à très bas revenus afin de les sortir de la pauvreté directement grâce à l’économie numérique. L’idée était d’appliquer à la sous-traitance ce que Muhammad Yunus a fait pour le secteur bancaire. En constatant que le système financier excluait complètement les plus pauvres, qui n’avaient pas besoin de gros crédits mais n’avaient aucun moyen d’avoir accès à du capital, Yunus a créé la micro-finance, et cela me fascinait. Je me suis demandée si on pouvait faire la même chose pour le numérique : décomposer les projets numériques en petites tâches et apprendre aux gens à les réaliser. Grâce au micro-travail, nous avons employé plus de 8 000 personnes. Et comme chacune de ces personnes subvient aux besoins de quatre autres personnes, nous avons sorti 35 000 personnes de la pauvreté. »

Elle répond à la question de la sous-traitance qui aux yeux de certains constituent un dévoiement des circuits économiques, en expliquant que si les objectifs sont éthiques ces processus sont positifs :

« La sous-traitance est inévitable. Contrairement à ce que peuvent faire croire certains politiciens qui en ont fait un gros mot, comme Trump ou d’autres. En 2017, on sous-traite tout. Les matériaux des chaises sur lesquelles nous sommes assises proviennent du monde entier, l’ordinateur que vous utilisez n’a rien de français, tout est sous-traité. En revanche, il faut se demander : est-ce que les biens sont produits de façon équitable ? Est ce que les gens qui les fabriquent sont payés correctement ? Par correctement, j’entends : est-ce qu’ils gagnent un salaire décent ? Au Kenya, ce n’est pas très compliqué de payer quelqu’un à un salaire décent même si ça coûte évidemment plus cher que de les payer au plus bas salaire possible comme le font beaucoup d’entreprises. Mais je suis convaincue qu’en payant mieux ses salariés, on les fidélise et on construit une entreprise qui aura plus de valeur sur le long terme. […] Au Kenya par exemple, je crois pouvoir dire que nous sommes le meilleur employeur du pays. Nos employés nous le disent. Nous offrons trois repas par jour, les transports domicile-bureau, payons les heures supplémentaires, les congés maladie, les congés maternité… Nous rendons public sur notre site, tous les trois mois, le bilan de notre impact social. Nous savons qu’en moyenne nos employés augmentent leurs revenus de 400 % après avoir travaillé avec nous. »

Enfin j’ai encore trouvé un article de « Forbes » qui décrit la personnalité et la démarche de Leila Janah : <Leila Janah : Des racines et des ailes> :

« Fondatrice de Samasource et LXMI, l’entrepreneure Leila Janah a peaufiné, au gré de ses pérégrinations, une manière totalement novatrice d’aborder les thématiques de l’humanitaire et du caritatif engoncées dans un modèle sclérosé, en rendant aux populations les plus vulnérables les clés de leur destin via le digital. […]

« En envoyant simplement de la nourriture et des vêtements à ces personnes, nous soulageons sans doute notre conscience mais nous les privons de ce que tout un chacun aspire : avoir un travail, gagner de l’argent, décrocher diverses opportunités d’apprendre, aller à l’école et ainsi de suite. Nous n’entendons pas les véritables besoins de ces gens-là ». Le constat est implacable de lucidité, et, forte de ce postulat, Leila Janah s’évertue à faire bouger les lignes dans le domaine des aides internationales en redonnant aux principaux concernés la maîtrise de leur existence. Objectif affiché : les extirper de cette position attentiste en étant essentiellement tributaire du bon vouloir des pouvoirs publics locaux. Et c’est peu dire que la sémillante entrepreneure, née à New York il y a 34 ans, maîtrise son sujet, elle qui, dès les prémices, s’est battue pour réussir. « J’ai été acceptée à Harvard mais ma famille ne disposait pas de suffisamment de ressources pour subvenir à mes besoins à l’université et j’ai dû, comme beaucoup, travailler en dehors de mes heures de cours pour pouvoir payer mes études. J’avais trois jobs différents à cette époque », souligne la jeune femme.

Au-delà de son cas personnel sans commune mesure par rapport à ce qu’elle va découvrir tout au long de ses moult périples, Leila Janah a déjà à cœur de s’intéresser aux autres et à la manière dont ils vivent. Elle est ainsi rapidement sensibilisée aux problématiques de l’humanitaire – et confrontée à leurs limites – lors d’un voyage d’un mois dans un village reculé du Ghana, avant justement de rejoindre Harvard. Une révélation. « Cela m’a vraiment aidé à être sûre de ce que je voulais faire plus tard ». Et déjà, les premières interrogations commencent à poindre. « Je me demandais pourquoi cette communauté était si pauvre alors que tout le monde travaillait dur dans les fermes et les champs. Certains d’entre eux allaient vendre de petits objets et de la nourriture au bord de la route. Ils avaient instauré un petit système de commerce à leur échelle, sauf que personne ne gagnait plus de 2$ par jour ». Mais la dignité de ses hommes et de ses femmes suscite l’admiration de Leila Janah. « C’était particulièrement désarçonnant de voir ces gens vivre dans de telles conditions, tout en étant heureux, souriants, et accueillants ». […]

Mais si la frustration est immense, Leila Janah n’est pas une femme à demeurer et à se complaire dans le constat d’urgence. Elle se met rapidement en quête de solutions et laboure de nombreuses terres de réflexion pour tenter de trouver – à son échelle – des alternatives aux solutions humanitaires dites classiques. « J’ai donc décidé d’étudier l’économie du développement pour pouvoir véritablement comprendre le problème. Pourquoi, par exemple, les gens sont si pauvres alors qu’ils sont résolument demandeurs d’un travail et ne ménagent pas leur peine ? Ou encore : quel impact a eu le colonialisme sur le seuil de pauvreté de ces pays ? À ce stade, je ne pouvais plus ignorer ces questions, il fallait que je trouve les réponses ». Or, aucune d’entre elles ne se trouvent dans la quiétude et le confort américains, et « la réalité du terrain » rattrape Leila Janah qui a, chevillée au corps – et au cœur -, cette volonté indéfectible de comprendre. « À partir de là, je passais tous mes étés à faire des stages en Afrique ou en Asie pour essayer d’aborder et d’apprécier, sous différents angles, la globalité du problème. Je travaillais avec des ONG d’autres organismes humanitaires, puis j’ai commencé à travailler pour La Banque Mondiale ». […]

« Quand les gens commencent à gagner de l’argent, ils réinvestissent le fruit de leur travail à une échelle locale, surtout les femmes. Elles investissent, en effet, près de 90% de leurs potentiels bénéfices dans leur famille et leur communauté, l’éducation de leurs enfants, la nourriture, et ainsi de suite. La meilleure stratégie de développement que les aides internationales peuvent fournir est de donner un travail à ces femmes afin qu’elles puissent gagner de l’argent, et les laisser le gérer comme elles l’entendent », diagnostique Leila Janah. Samasource est sur rampe de lancement et sortira finalement de terre en 2007. L’idée est simple : alors que les « produits physiques » peuvent rencontrer une multitude de problèmes, notamment d’acheminement, la « matière digitale » s’affranchit, de facto, de ce genre de considérations. « Tout ce dont vous avez besoin c’est d’électricité pour avoir une connexion internet, et même cela, nous pouvons l’obtenir grâce à l’énergie solaire. Ce qu’on ne peut pas faire avec des structures physiques, nous le faisons avec le digital ». […]

La réussite de Samasource n’est pas une fin en soi et déjà Leila Janah fourmille de projets. Sa seconde aventure entrepreneuriale baptisée LXMI, une gamme de produits et de crèmes de soins haute gamme, reprenant peu ou prou les codes de Samasource, mais dans le domaine du cosmétique et de la beauté, l’accapare également. « LXMI est présent dans tous les Sephora américains (300 magasins + Internet), et nous sommes la première marque de cosmétique engagée dans le développement durable. Le but est de créer un produit de luxe bio et issu du commerce équitable, avec une esthétique très travaillée ». L’entrepreneure s’attelle également à l’écriture d’un livre attendu dans toutes les librairies américaines le 12 septembre prochain et intitulé « Give Work » qui relatera justement ses pérégrinations et reviendra par le menu sur l’aventure Samasource et LXMI. Celle qui, sur les réseaux sociaux, se géolocalise à « San Francisco ou dans une valise » n’a pas fini d’arpenter le globe. Toujours au service des autres. »

Alors pour revenir à l’article du Point : « Le dernier message de Leila Janah »

Ce dernier message fut un tweet en novembre 2019 :

Il y a onze ans, quand je me suis lancée en voulant utiliser l’intelligence artificielle pour aider les Africains avec de grandes entreprises, tout le monde croyait que j’allais échouer ».

C’était son dernier message parce que cette femme brillante, pleine d’énergie, engagé dans le monde tel qu’il est mais pour aider à faire grandir les valeurs auxquelles elle était attachée, a quitté la communauté des vivants, à l’âge de 37 ans, le 24 janvier 2020.

Elle souffrait du sarcome épithélioïde, une forme rare de cancer qui lui avait été diagnostiquée en avril 2019

En septembre 2019 elle a publié sur Instagram une photo sur laquelle elle n’avait plus de cheveux, mais toujours ce regard plein de lumière. Elle remerciait les personnes qui lui ont écrit de doux messages.

Le site informatique « Dailygeekshow » lui a rendu hommage : « C’était une femme brillante qui a rendu le monde meilleur »

« Leila Janah était une brillante entrepreneuse de la Silicon Valley. Elle a fondé Samasource en 2008 qui « fournit des données de formation de haute qualité et la validation des principales technologies d’IA (intelligence artificielle) au monde.  Leila a dirigé un mouvement mondial de sourcing d’impact et a été une championne de la durabilité environnementale et de l’élimination de la pauvreté dans le monde. Elle a été la fondatrice et PDG de trois organisations, toutes ayant pour mission commune de « donner du travail » : Samasource, un leader technologique mondial à but lucratif dans les données de formation pour l’IA ; LXMI, une entreprise de soins de la peau biologiques et équitables ; et Samaschool, un organisme à but non lucratif axé sur la requalification de la nouvelle économie. […]

Leila Janah et sa société sont parvenues à fournir un travail raisonnablement rémunéré à plus de 50 000 personnes. Elle avait d’ailleurs raconté l’histoire de Vanessa Lucky Kanyi, une Kenyane qui travaillait avant pour seulement 1 $ par jour, ce qui n’était réellement pas assez pour vivre. Samasource lui a offert la possibilité de travailler en tant qu’assistante virtuelle pour un client canadien et en tant que leader au sein de la société. Vanessa Lucky Kanyi a finalement décidé d’étudier aux États-Unis et a obtenu une bourse d’études au Santa Monica Community College où elle a pu étudier l’ingénierie. Cette Kenyane est donc parvenue à se reconstruire grâce à l’aide précieuse et au travail acharné de Leila Janah.

Motivée et ambitieuse, elle a toujours montré à quel point il est important de « cultiver son propre jardin« , autrement dit d’identifier ses propres valeurs et passions et d’y remédier à chaque fois que le monde autour de nous devient accablant. « Si vous ne respectez pas vos propres valeurs, eh bien, devinez quoi ? Tout ce qui précède ce moment est terminé, et tout ce qui se trouve après ce moment n’est pas encore écrit dans la grande histoire de votre vie, et vous êtes le seul auteur et arbitre de ce qui se passe dans votre jardin. Il n’y a aucune excuse ; il ne peut y avoir d’amertume envers un monde injuste, car dans votre jardin, il n’y a que de la beauté, de la lumière et du bien, fécondés par les décisions que vous choisissez de prendre» , a-t-elle notamment affirmé. »

Sur le site qui lui était consacré : https://www.leilajanah.com/ et qui a été fermé depuis, on trouvait cette photo en page d’accueil

Mercredi 29 avril 2020

«Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu.»
Robert Herbin après la défaite de Saint Etienne à Liverpool en 1977

Dans ma famille, la grande passion était la musique qui était devenu le métier de mon père et qui a toujours été le métier de mon frère ainé Gérard.

Mais nous nourrissions tous une passion, disons secondaire, pour le football. Mon frère Roger a d’ailleurs abandonné le piano pour se consacrer davantage au football qu’il a pratiqué fort longtemps dans des clubs amateurs de très bon niveau. Mon père et moi avons ainsi visité de très nombreux stades de football de l’Est de la France pour le suivre.

Et Parallèlement nous avons suivi l’épopée des verts de l’AS Saint-Etienne sous la direction de Robert Herbin.

Depuis je me suis éloigné du football, j’ai expliqué ce malaise lors de plusieurs mots du jour consacrés au football et notamment la série réalisée avant la coupe du monde de 2018 en Russie et que j’avais mis sous la philosophie de cette phrase de Camus : «Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois »
Il est vrai que depuis cette époque la financiarisation du monde s’est aussi abattue sur le monde du football, dans lequel le fric peut tout, envahit tout, salit tout.
Déjà à la fin de l’épopée des verts, Robert Herbin fut aussi touché par le scandale de la caisse noire mise en place par le président du club Roger Rocher noyé dans ses rêves de grandeur et de besoin d’argent pour faire face au début de l’inflation sur le marché du football.

C’était le début de la fin pour mon grand intérêt pour le football.

Mais avant, il y eut les 3 magnifiques épopées des verts en coupe d’Europe des champions.

Bien sûr, tout le monde parle des poteaux carrés du stade des Glasgow Rangers qui selon la légende avait empêché Saint Etienne de marquer un but à Sepp Maier, le mythique gardien du Bayern Munich.

Robert Herbin affirme ne jamais avoir revu ce match. Mais un autre joueur l’avait revu. Je ne me souviens plus du nom de ce joueur mais je me souviens de son analyse :

« Je croyais qu’on avait dominé le Bayern Munich, mais après avoir revu, le match j’ai compris que c’était eux qui le maîtrisait.»

Quelquefois les premières impressions sont trompeuses. Mais c’est avec cette légende et ces premières impressions d’une équipe de Saint Etienne quasi vainqueur qu’il avait été décidé de faire défiler l’équipe sur les Champs Elysées comme après chaque victoire sur les allemands …

Lors de la première épopée lors de la saison 1974-1975, Saint Etienne avait été stoppée en demi-finale déjà par le Bayern de Munich. Mais avant cela en Huitième de finale, Saint Etienne avait fait vibrer toute la France. Après un médiocre match aller en Yougoslavie perdu 4-1, Saint Etienne a réalisé un exploit au retour en battant Hajduk Split par 5-1. Cette remontée est restée dans ma mémoire, comme un moment d’émotion. Je pense que je ne suis pas le seul.

Puis la saison suivante, l’année de la finale, il y eut un autre retournement en quart de finale contre le Dynamo Kiev. Après un 2-0 à l’aller, Saint Etienne a vaincu le club du ballon d’or, Oleg Blokhine, 3-0.

Et puis vint la demi-finale avec une défense héroïque au PSV Eindhoven 0-0 après une victoire sur le plus petit score à l’aller à Geoffroy Guichard.

Mais c’est sur un autre match que je voudrai revenir, c’était la saison suivante, en quart de finale contre Liverpool.

Saint Etienne avait gagné le match aller 1-0 et le retour avait lieu dans le stade de l’Anfield Road dans lequel les supporters de Liverpool chante des hymnes qui subjuguent les adversaires de leur club et notamment le fameux « You’ll never walk alone ».
Ce fut un match magnifique. Saint Etienne était qualifié jusqu’à 6 minutes de la fin du match.

<Les cahiers du football> racontent alors ce qui s’est passé :

« La fatigue se fait sentir de part et d’autres et les entraîneurs commencent à procéder à quelques remplacements. Alain Merchadier a le visage en sang et se fait remplacer par un attaquant, Hervé Révelli. Robert Herbin est convaincu que le meilleur moyen de défendre face aux Reds est de les prendre à la gorge. De son coté, Bob Paisley remplace John Toshack par un jeune rouquin, quasiment inconnu chez nous, David Fairclough.

Le gamin de vingt ans est bien en jambes. À Liverpool, on le surnomme déjà Super-Sub pour avoir en quelques occasions inscrit un but important peu après son entrée en jeu. Lorsqu’il est lancé par Ray Kennedy, à la 84e minute de ce quart de finale contre Saint-Étienne, il se montre plus rapide que Christian Lopez. Il entre dans la surface de réparation, contrôle et frappe du pied droit. Le ballon passe sous Ivan Curkovic et va mourir au fond des filets.

« Supersub strikes again !« , s’égosille le commentateur de la BBC. Les images sont gravées dans l’inconscient collectif: Fairclough court ses longs bras levés devant le Kop qui, comme embrasé, est devenu entièrement rouge. 3-1, les Verts ne s’en relèveront plus. Certains esprits reprocheront à Christian Lopez de ne pas avoir su stopper la course du rouquin, de ne pas avoir commis la faute qui aurait empêché le but »

Lopez n’a pas fait le croc en jambe avant la surface de réparation qui aurait annihilé la course de l’anglais contre un coup franc beaucoup moins dangereux.

Après le match, on a demandé à Robert Herbin s’il ne regrettait pas que Lopez n’ait pas taclé Fairclough. et par un acte d’anti-jeu permis à Saint-Etienne de se qualifier. La réponse de Herbin fut la suivante :

« Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu »

Je n’ai pas retrouvé cette phrase sur internet, je la cite de mémoire et je suis certain de l’esprit de la réponse sans être sur des mots.

Cette saison-là Liverpool allait gagner sa première ligue des champions avant beaucoup d’autres et mettre fin au règne du Bayern de Munich vainqueur des trois dernières éditions.

Saint-Etienne si elle s’était qualifiée aurait peut être gagné la coupe, le Bayern était éliminé. Robert Herbin ne gagna jamais cette compétition.

On apprend beaucoup par le football, aussi qu’on peut mettre les valeurs et l’éthique avant la victoire. Tel était Robert Herbin.

On trouve sur le site de l’AS Saint-Etienne, le récit suivant :

« La suite est connue avec ce maudit 3e but de la part de Fairclough, à 6 minutes de la fin du match, remplaçant de luxe qui a l’habitude d’être décisif à chaque fois qu’il rentre. Christian Lopez a essayé de l’arrêter mais il n’a pas commis l’irréparable pour l’empêcher d’aller au bout de son action qui s’est terminé par un tir à ras de terre imparable. Il aurait pu pourtant et aujourd’hui, un défenseur ne se serait même pas posé la question mais à pas à l’époque. Il est trop tard pour revenir et Saint-Etienne est éliminée alors que tous les observateurs sont unanimes une fois de plus pour souligner que les Français ont réalisé certainement leur meilleur match européen. Cela n’a pas suffi et bien peu peuvent s’imaginer en fait qu’ils ont assisté à Anfield Road à la fin d’une épopée.

Obsédé par cette coupe dEurope, Roger Rocher va alors abandonner la politique de formation qui avait fait la force de l’ASSE pour recruter des stars avec le résultat que l’on connaît.

Pour sa part, Liverpool va continuer sa route qui le mènera jusqu’à la victoire finale. Quand on sait que les Anglais ont affronté le FC Zurich en demi-finale qu’ils ont surclassés ainsi que les Allemands du Borussia Moenchengladbach qu’ils ont facilement battu en finale (3-1), les regrets peuvent être éternels pour la troupe de Robert Herbin. »

Il y a une autre raison qui me plait chez Robert Herbin qui a quitté ce monde le 27 avril 2020, c’était un mélomane averti. Il rejoint ainsi ma première passion

Claude Askolovitch rapporte dans sa revue de presse de ce mardi:

« On parle d’une symphonie…Qui porte le beau nom de « Résurrection » et qu’un père musicien fit découvrir à son fils footballeur et blessé, c’était en 1966: Robert Herbin pendant la Coupe du monde était passé à la moulinette d’un anglais destructeur, Nobby Stiles, on ne savait pas s’il marcherait à nouveau, mais le papa de Robert jouait du trombone à l’opéra de Nice et savait ce qui guérit, la deuxième symphonie de Gustav Mahler, Résurrection. Robert qui marcha et joua à nouveau et puis fut entraineur et pendant le football et après le football continua à chérir Mahler et ce matin l’on me parle de Gustav Mahler dans l’Equipe, sur le site France Info dans le Parisien dans le Progrès où je vois des photos en noir et blanc d’un enfant footballeur puis d’un homme au même regard habité… C’est au Progrès qu’Herbin avait raconté en 2009 la naissance de sa passion musicale….

On me parle de Gustav Mahler parce que vous le savez Robert Herbin est mort et l’on égrène alors ce qui compta dans une vie qui changea la nôtre… »

Donc la symphonie N° 2 « Résurrection » de Mahler dont j’avais fait l’objet du mot du jour du <Dimanche 5 avril 2020>.

Claude Askolovitch qui nous donne aussi l’explication pourquoi on appelait Robert Herbin, le sphinx. Ce nom lui avait été donné par le journaliste Jaques Vendroux

«  Vendroux, il le raconte à l’Equipe, était supporter et ami de Herbin, dont il avait trouvé le surnom qui fait la Une de l’Equipe ce matin, « la légende d’un sphinx », un jour où il s’était mis en colère contre Robert qui répondait par des oui monosyllabiques à ses question s: « T’es un sphinx, tu ne réagis pas, tu ne dis rien! » »

Robert Herbin vivait comme un ermite près de Saint Etienne. Il avait sombré dans l’addiction à l’alcool.

Pourquoi cette solitude, ce retrait ?

Jean-François Larios, ancien joueur de Saint Etienne alors que Robert Herbin était l’entraîneur donne son explication de ce retrait :

« Parce qu’à un moment donné, parler aux cons, ça les enrichit. Et il n’en avait plus envie. Il a préféré terminer ses jours dans son monde, entouré de ses chiens et bercé par sa musique. Sans déranger personne. »

Cette solitude au temps du confinement a conduit à une finitude triste :

« Éloigné volontairement de ses anciens coéquipiers et amis, il n’avait pour seule compagnie son chien. Il bénéficiait de l’aide d’une femme de ménage et d’un proche qui faisait ses courses, mais avec le confinement, il s’est retrouvé démuni. C’est sa sœur, inquiète de ne pas avoir de nouvelles depuis plusieurs jours, qui a lancé l’alerte. La gendarmerie a alors découvert Robert Herbin incapable du moindre mouvement, désorienté et en déshydratation. Le CHU de Saint-Etienne, malgré la crise du coronavirus, a pu lui trouver un lit. »

Sic transit gloria mundi
« Ainsi passe la gloire du monde ».

<1409>

Lundi 24 février 2020

« Pourquoi le mal ? C’est la seule vraie question »
Dernier édito de Jean Daniel dans l’obs

Lecteur régulier du nouvel observateur, aujourd’hui abonné, la lecture des articles de Jean Daniel m’a accompagné toute ma vie.

A 20 ans, je lisais déjà les contributions de ce journaliste, intellectuel et je n’hésite pas à l’écrire de ce « sage ». Il est décédé le 19 février à 99 ans

Robert Badinter a dit de lui : « Jean Daniel était un homme juste »

Jean Daniel était en effet de tous les bons combats de la décolonisation, des luttes sociales, de l’abolition de la peine de mort, du rejet des dictatures soviétiques et maoïstes, de la paix entre palestiniens et israéliens. Toujours du côté de la tempérance, de l’équilibre et de l’intelligence.

Il était aussi courageux et pendant la décolonisation à Bizerte, au cours d’un combat entre les insurgés et les forces françaises, alors qu’il sort d’une entrevue avec Habib Bourguiba, il tombe sous la mitraille d’un avion… français. Blessé gravement, il passe de longs mois hospitalisé.

Du point de vue politique il était du côté de Mendés France puis de Michel Rocard et non pas de celui de François Mitterrand. Ce qui le rend encore plus sage à mes yeux.

Robert Badinter raconte :

« Si François Mitterrand lisait avec attention les articles de Jean Daniel qu’il évoquait volontiers, celui-ci est toujours demeuré aux yeux de François Mitterrand entaché du péché de « rocardisme ». Je me souviens qu’il se plaisait à me brocarder à ce sujet : « Comme le dit votre ami Jean Daniel, qui aime tant Michel Rocard… »

Nous en plaisantions mais je pense que François Mitterrand a toujours considéré Jean Daniel comme un rocardien, ce qui suscitait chez lui plus de suspicion que de confiance. »

Il semble cependant, selon Hubert Védrine, qu’à la fin Jean Daniel a reconnu quand même quelque mérite à Mitterrand : «Plus Jean Daniel a connu Mitterrand, plus Mitterrand l’a fasciné»

Hubert Védrine qui parle aussi de son engagement pour la paix au proche orient, contre tous les extrémistes :

« Mais je voudrais maintenant préciser pourquoi je l’ai tant admiré : c’est pour son courage. Culture, intelligence, finesse, curiosité jamais rassasiée, oui. Mais plus encore courage. Face à la bêtise à front bas, et même parfois à la haine.

D’abord sur le Proche-Orient. Il n’a jamais cessé inlassablement, dans ses éditoriaux, de soutenir par ses explications, son argumentation et ses prises de position les chances d’une vraie paix entre Israéliens et Palestiniens contre le fanatisme, le sectarisme, le nationalisme, l’ignorance, l’idiotie. Il a constamment été soupçonné par les pro-arabes radicaux et attaqué plus encore par les extrémistes nationalistes et religieux israéliens. Mais, à l’époque, il y avait encore des travaillistes et un « camp de la paix » ! Il a fait front stoïquement avec force et sérénité. Tout est expliqué dans « la Prison juive ». Tous ceux qui ont œuvré dans le sens du dialogue et de la paix depuis plus d’un demi-siècle, d’un côté ou de l’autre, lui doivent quelque chose. »

Jean Daniel est né Bensaïd, le 21 juillet 1920 à Blida, en Algérie, dans une famille juive.

Il a fait plusieurs rencontres marquantes dans sa vie, mais il semble bien que celle avec Albert Camus soit la plus marquante. Albert Camus qui a disparu il y a 60 ans, dans un accident de voiture à Villeblin, dans l’Yonne le 4 janvier 1960.

Dans un article publié dans l’Obs lors d’un hors-série consacré à Albert Camus, Jean Daniel a écrit un article dont voici un extrait :

« Notre rencontre a illuminé ma vie. Quelle chance insolente, tout de même. A 27 ans, dans le Paris de l’après-guerre, je dirige une petite revue littéraire, « Caliban », quand un jour, à mon bureau, je reçois un coup de téléphone : « Ici Camus.» J’ai eu du mal à le croire, failli répondre « et moi je suis Napoléon », mais c’était bien lui. Il voulait me suggérer de publier dans « Caliban », qu’il appréciait, des extraits du roman « la Maison du peuple » de son ami Louis Guilloux. Nouveau coup de chance, je connaissais et j’aimais Guilloux. Une heure plus tard, je passais le voir dans son bureau, chez Gallimard.

Nos origines algériennes communes ont sans doute compté dans ce miracle : cet écrivain que j’admirais m’a fait le cadeau merveilleux de son amitié. Et de sa générosité : il m’a ouvert son carnet d’adresses, permettant à « Caliban » de survivre quelques années encore, a publié mon roman « l’Erreur » dans la collection qu’il dirigeait chez Gallimard, a fait par sa conversation ma culture littéraire et philosophique. Il ne donnait jamais de cours, ne prêchait pas, ne disait pas « il faut lire untel et untel », mais faisait simplement profiter de son savoir, de ses pensées. Et de sa joie de vivre : avec ceux qu’il considérait comme les siens, il aimait rire et, comme tout séducteur, danser — il prétendait danser mieux que les autres, mais il le faisait surtout plus joyeusement, plus librement. »

La revue « Caliban » va faire faillite, il travaillera alors quelques temps dans le journal «L’Express» de Jean-Jacques Schreiber avant de fonder avec Claude Perdriel « Le Nouvel Observateur » dont le premier numéro paraîtra le 19 novembre 1964. Les parrains de ce nouvel hebdomadaire seront Mendés-France et Jean-Paul Sartre.

Et très longtemps, il a dirigé et écrit des éditos et puis il n’a plus eu la force de venir ni d’écrire.

Il a pourtant ressorti une dernière fois la plume pour écrire son <dernier édito> le 15 octobre 1919.

Trois évènements venaient de se passer :

  • Un attentat en Allemagne, à Halle, contre une synagogue ;
  • Le meurtre au sein de la préfecture de police de fonctionnaires sous les coups d’un islamiste radicalisé ;
  • L’intervention de l’armée turque contre les kurdes, nos alliées dans le combat contre Daesh

Et il écrit :

« Cela devait arriver. C’est arrivé. C’est-à-dire que l’on est, une fois encore, en train d’aller jusqu’au bout du bout. Je n’en parlerai pas comme mes confrères. Si j’ai été absent si longtemps c’est parce que, cela se sait, j’étais malade. Bien sûr, il y avait autre chose, mais cela commence à se savoir aussi. Les amis que j’ai inquiétés me pardonneront ce silence, surtout si je n’emploie pas les mêmes arguments que les autres.

Selon certains, rien ne serait nouveau dans ce qui nous indigne et nous révolte, rien de rien. Ni la trahison, ni la barbarie, ni les fausses promesses. Les Kurdes du nord de la Syrie, fidèles à leur combat historique pour la reconnaissance de leur nation, ont eu le courage de combattre Daech, pied à pied, quartier par quartier, ruine par ruine. Les voilà livrés aux appétits du nationaliste Erdogan et à la soldatesque turque qui s’emparent de leur territoire, tandis que se rapprochent les colonnes de Bachar, elles aussi assoiffées de reconquête.

On en est jusqu’à s’indigner des trahisons et même des mensonges. Mon Dieu, les Kurdes sont en train de disparaître ! Quant aux Turcs, ce serait la première fois qu’ils désavouent et qu’ils mentent ! Que veux-je dire ? Que toute illusion sur l’entente des peuples est dangereuse ? Davantage, elle conduit à abandonner toute espèce de sens à un rapprochement quelconque entre les peuples. Alors, rien n’est possible ? Ce serait la fin des fins.

Il y a pourtant eu un commencement de sagesse, avant le déluge sans doute. Mais soyons patients. Le vrai déluge n’est pas encore arrivé. Je serai peut-être bientôt centenaire. Je n’ai rien fait pour et quand on m’en fait compliment, je suis dans la confusion. Mais si âgé que je sois, je voudrais dire que s’il m’était resté encore bien des mois pour lutter, car c’est bien une lutte, alors je les aurais passés à réfléchir et à écrire essentiellement sur la barbarie des hommes. Y a-t-il à ce trait constant de l’espèce la moindre justification ? Sans doute la vie ne pouvait-elle pas apparaître sur la terre sans la barbarie.

On dit que l’homme est un loup pour l’homme. Ce n’est pas insensé. La preuve, c’est qu’après la Première Guerre mondiale, il y a eu la Seconde. Je voudrais que les plus jeunes d’entre nous comprennent bien le sens de cette succession. Voilà des millions et des millions d’hommes qui inventent l’atroce guerre. Ils vont tous avoir une conscience et une mémoire sur la première guerre et ils ne vont pas hésiter à en refaire une seconde. Oui, une Seconde Guerre mondiale, et même, ils la rendront plus cruelle que la précédente.

Voilà le sujet qui me serait proposé. C’est la seule vraie question. Pourquoi le mal ?

Cette volonté sinistre, morbide sans la moindre justification.

Chacun pose la question à son dieu, jusqu’au moment où les dieux eux-mêmes se déchaînent.

Oui, pourquoi le mal ? Je ne vois pas une autre question digne d’être traitée aujourd’hui. »

Et en évoquant les tensions autour de l’Islam après la tuerie de la préfecture de police, il finit par cette conclusion :

« Pour le surmonter, nous avons toujours défendu ici la tradition d’un Islam éclairé, à l’origine même de notre humanisme sécularisé. Mais, c’est hélas le temps long de l’Histoire qui devrait nous renseigner sur la probable suite des événements. « Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs », disait le général de Gaulle en 1959. Ce constat du fondateur de notre Ve République n’ôte rien à la nécessité de tout faire pour aménager une concorde pacifique avec les musulmans qui vivent dans notre pays. Mais il dit aussi que vouloir extirper les racines millénaires d’un peuple est mission impossible. »

Edgar Morin, né en juillet 1921, un an après Jean Daniel était son ami.

Il avait écrit pour les 99 ans de Jean Daniel une lettre <Salut l’ami>, dans laquelle il reconnaissait notamment sa grande clairvoyance par rapport au communisme ainsi que sa confiance en Camus dès le début :

« Alors que j’avais encore une foi mystique (que je croyais conviction rationnelle) en l’URSS, tu as résisté à la grande tentation des intellectuels de l’époque et l’amitié d’Albert Camus a contribué à ta sauvegarde. Camus ! Si proche et si semblable à toi, il illumina ta pensée et ta vie, alors que, pour moi, c’est un grand regret – moi qui appréciais son œuvre et l’avais connu chez Marguerite Duras – de l’avoir classé dans la catégorie dédaignée par Hegel des belles âmes et des grands cœurs, que je reconnais aujourd’hui comme les plus nobles de toutes. »

Je laisserai le mot de la fin à Anne Sinclair : « Le journalisme était grand sous Jean Daniel ».

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Mercredi 19 février 2020

« Le Mozart espagnol »
Juan Crisóstomo Jacobo Antonio de Arriaga y Balzola, dit Arriaga

La précocité, le talent et la brièveté de la vie de cette enfant de la lumière qui a pour nom Alicia Gallienne, m’a fait irrésistiblement penser à un autre destin d’un jeune artiste qui a achevé sa course à 20 ans.

C’était un compositeur et c’est mon père qui avait une tendresse infinie pour lui, qui me l’a fait découvrir.

Il s’appelait « Arriaga », son prénom était un peu long. On l’abrégeait en Juan Crisostomo. Mais plus simplement on parle d’Arriaga.

Le dernier mot du jour de 2019 rappelait que le 27 janvier était la date anniversaire de Wolfgang Amadeus Mozart qui est né en l’an 1756 à Salzbourg.

Exactement, 50 ans après, le 27 janvier 1806, à Bilbao, naissait Arriaga.

Mozart était mort depuis 15 ans, puisqu’il n’a atteint que l’âge de 35 ans.

Tous les musiciens ne meurt pas jeune, puisque l’autre grand compositeur classique d’avant Beethoven, Joseph Haydn avait 74 ans en 1806 et vivra encore 3 ans.

Mais ce ne fut pas le destin d’Arriaga qui est mort de la tuberculose à Paris, avant ses 20 ans, le 17 janvier 1826.

Il quittera ainsi la vie un an avant Beethoven et deux ans avant un autre immense génie qui aura disposé de peu de temps pour composer et à qui on le comparera aussi : Franz Schubert, décédé le 19 novembre 1828, à 31 ans.

Alors la question qui se pose était-il un compositeur inspiré du niveau de Mozart ?

Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de doute, la réponse est oui.

Il faut bien sûr comparer Arriaga à Mozart à 20 ans

Pour Schubert, il en va autrement. Lui a composé des chefs d’œuvres avant 20 ans son lied « le roi des aulnes » sur un texte de Goethe a été composé à 18 ans et « Marguerite au Rouet » toujours d’après un poème de Goethe a été composé à 17 ans.

Il y a un autre compositeur exceptionnel par sa précocité : Mendelssohn qui est né 3 ans après Arriaga.

Lui aussi a composé des œuvres qui sont restés dans le panthéon des chefs d’œuvre de la musique classique avant ses 20 ans.

L’ouverture du songe d’une nuit d’été a été composée à l’âge de 17 ans (en revanche la célèbre marche nuptiale a été composée 17 ans après) et son célèbre octuor à cordes à 16 ans.

Arriaga n’a pas composé de tels chefs d’œuvre, mais le comparer à Mozart d’avant ses 20 ans est réaliste.

<Ce site> sur la culture espagnole écrit :

« Arriaga est né à Bilbao en 1806. C’est son père, Juan Simón de Arriaga, organiste à Berriatúa, qui lui apprend les fondements de la musique[…]. À 11 ans, il compose et représente déjà ses œuvres dans les sociétés musicales de Bilbao. À 15 ans, son père décide de l’envoyer au conservatoire de Paris pour qu’il y poursuive sa formation. […] En 1824, il est nommé professeur adjoint de Fetís dans ce même conservatoire. »

Beaucoup de ses œuvres sont perdues.

Il a ainsi écrit « une fugue à huit voix sur « Et vitam venturi dont la partition » est perdue et que Luigi Cherubini, directeur du Conservatoire, considère en 1822 comme un chef-d’œuvre. »

Il reste de lui essentiellement trois quatuors (1823) et une Symphonie (1824).

Cette musique fait penser à Mozart et à Schubert.

Il existe une très belle interprétation de sa symphonie par Jordi Savall qui est espagnol comme lui, mais catalan alors qu’Arriaga est basque.

Sur la présentation de ce disque vous pourrez lire :

« S’il n’y en qu’une… mais il faut avouer avec tristesse que dans le cas de Juan Crisóstomo Arriaga, c’est déjà miracle qu’il y ait au moins une symphonie à son répertoire, puisque l’infortuné musicien disparut à l’âge de dix-neuf ans – dix jours avant son vingtième anniversaire –, en laissant derrière lui d’immenses promesses et un minuscule répertoire dont, comble de la méchanceté du sort, une partie est perdue. Mais l’écoute de sa symphonie en (ni mineur ni majeur, l’équilibre entre les deux étant très égal), on ne peut que se lamenter que la planète a, en effet, perdu là l’un des compositeurs qui serait bientôt devenu l’un des plus immenses créateurs du XIXe siècle. A la jonction entre le classicisme finissant et le romantisme naissant, Arriaga eut le temps de « digérer » son Beethoven, son Rossini, son Mozart tardif […]. Quoi qu’il en soit, l’enregistrement qu’en a réalisé Jordi Savall en 1994 est dorénavant orné du très-convoité macaron de la Discothèque idéale de Qobuz »

Vous trouverez <derrière ce lien> une interprétation de la symphonie par un autre orchestre espagnol.

Et je vous donne le lien vers <Le dernier quatuor à cordes> interprété par le quatuor Sine Nomine.

<Sur ce site> vous trouverez la liste de toutes les œuvres connues de ce jeune compositeur.

Le 13 août 1933 un monument commémoratif par Francisco Durrio est inauguré à Bilbao et une Commission permanente est constituée pour la publication de ses œuvres.

La statue représente Euterpe pleurant la mort d’Arriaga devant le Musée de Bilbao

Dans la mythologie grecque, Euterpe était la muse qui présidait à la musique.

Arriaga fut une étoile filante de la musique, un météore, un destin brisé.

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Mardi 18 février 2020

« Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
Alicia Gallienne

Le mot du jour du vendredi 7 février 2020 parlait d’Alicia Gallienne, une jeune femme extraordinairement précoce dans l’écriture et qui est décédée à 20 ans d’une maladie du sang.

Annie a voulu me faire une surprise et m’offrir son livre de poésie qui vient d’être publié : « L’autre moitié du songe m’appartient ». Mais le livre est épuisé chez l’éditeur.

Je pense que l’émission, sur France Inter, de son cousin Guillaume Gallienne <ça peut pas faire de mal> du 8 février, sa toute dernière émission, qu’il a consacrée à ce livre et à ces poèmes ne sont pas étrangère à ce succès.

Guillaume Gallienne a introduit son émission par cette invitation :

« Ce soir, pour la dernière émission de « ça peut pas faire de mal », j’aimerais vous faire découvrir ces textes intimes, que je porte en moi depuis si longtemps, comme des fragments de ma propre adolescence… »

Nous avons écouté ce moment d’émotion et de grâce.

Je voudrais partager un de ces textes que j’ai essayé de recopier aussi bien que possible.

Guillaume Gallienne a présenté ce texte :

« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans écrivait Arthur Rimbaud mais à l’âge de l’insouciance et des premiers baisers, Alicia ressent la profonde gravité de la vie.

Découvrons ce poème dédié à sa mère intitulé : « A propos d’un fauteuil et d’un arbre » et daté du 2 avril 1987.

On dirait que les rôles s’inversent et que la fille apporte à la mère des paroles de consolation comme une provision d’amour pour un avenir incertain. »

Voici ce texte :

« Pour toi maman

Doucement, je reprendrai ma place dans le grand fauteuil qui s’endort.
Le soir sera à la fenêtre, il dansera sur une chanson douce, comme chantait ma maman.
Il dansera jusqu’à l’étourdissement.
L’arbre du jardin s’éteindra dans l’ombre et soupirera des prières pleines de feu.
Mon âme s’abandonnera alors à ces psaumes silencieux qui embraseront ton nom.
Oui, je serai là où mon bonheur habite, entre ces quatre murs où aboutit le regard de l’obscurité,
Où il n’y aura que moi et mon fauteuil, puis l’espace pour t’appartenir.

Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez.

Les étoiles en veilleuse et le ciel qui se fond me parleront de toi où que tu sois.
Je t’attendrai, assise, avec mon cœur qui débordera.
Oui je sais que le moment viendra où tu me retrouveras.
L’arbre du jardin s’épaissira tout à coup.
Et éclatera mon attente figée ainsi que la fenêtre de vitres brisées.
Des milliards de miroirs s’envoleront dans l’air du soir.
Dans chacun, épris de mouvement, ta voix reviendra bercer mon enfance.
L’arbre mystique qui connaît tous les chemins, te rendra à moi pour la mémoire d’un voyage.
Bois ma nuit, éternellement.

Dire que je t’aime et je t’attends c’est encore beaucoup trop de pas assez »

Alicia Gallienne

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Lundi 17 février 2020

« Je n’oublie pas, ça fait partie de ma vie, mais je n’y pense plus »
Fatima Zekkour , une jeune fille qui a choisi d’aider les autres

Un mot du jour de 2017 était consacré à ce livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle « L’autre loi de la jungle : l’entraide »

Tant il est vrai que si les médias et notre propre attention sont le plus souvent mobilisés pour nous intéresser à des faits qui n’honorent pas ou peu la réputation d’altruiste d’homo sapiens, il existe pourtant tous les jours des êtres humains qui aident d’autres êtres humains et même d’autres espèces vivantes qui en ont besoin, comme par exemple ces australiens qui ont sauvé des koalas.

Quelquefois, des humains se haussent à la dimension de l’héroïsme pour appliquer cette autre loi de la jungle.

Ce fut le cas d’une jeune fille : Fatima Zekkour, en mai 2013

C’est encore, France Inter, la revue de Presse de Claude Askolovitch du <11 février 2020> qui m’a appris l’existence et l’acte de courage de Fatima Zekkour :

« On parle d’une jeune fille…

Que je découvre en dehors de toute actualité apparente dans le Journal du Centre, mais souvent quand elle apparait les gens se lèvent et l’applaudissent, c’est encore arrivé le week end passé au rassemblement nivernais de l’Ordre national du mérite: Fatima Zekkour est une héroine de la république, qui à 17 ans est entrée dans un immeuble en flamme pour sauver des vies et en est ressortie comme une torche vivante, elle a 24 ans et accepte son corps reconstitué, elle cherche du travail.

Le 4 mai 2013 elle se promenait au quartier de la grande pâture à Nevers, quand elle a vu un départ d’incendie dans le hall d’un immeuble où un canapé abandonné avait pris feu… Fatima et sa soeur enceinte sont allé taper à toutes les portes des quatre étages de l’immeuble, la fumée montait après elle, la soeur de Fatima est sortie mais elle est resté prisonnière des flammes; elle pensait que les pompiers n’allaient pas tarder mais les pompiers n’avaient pas cru sa maman qui les avait appelés -on leur  fait si souvent des blagues… Ne voyant rien venir, fatima est allé seule traverser le rideau de feu.  « Je suis tombée dans les pommes plusieurs fois en descendant. J’ ai traversé le hall, je me suis à nouveau évanouie sur le canapé en feu. Je ne me souviens pas comment j’ai pu ouvrir la porte et sortir ».

Elle est brulée à 70 %,  au visage aux mains aux jambes, aux poumons, on la plonge dans un coma artificiel pendant 20 jours, quand elle se réveille elle a tout oublié et puis elle se souvient et elle cauchemarde enveloppée de bandages, on va l’opérer 50 fois, micro chirurgie et greffes de peau…

Fatima est un personnage du Journal du centre. J’ai retrouvé dans les archives une photo d’elle avant, mignonne brunette, je vois une photo d’elle aujourd’hui, femme au grand sourire dont je devine la peau torturée. Elle n’est plus jamais retournée au lycée, elle a tâtonné avant de trouver sa voie dans l’accompagnement médical auprès de malades d’Alzheimer, elle cherche un emploi stable et si elle n’enlève pas les gants qui couvrent ses mains meurtries, elle  n’a plus peur d’allumer des bougies et voudrait se marier. Elle avait 17 ans le jour où le courage l’a pris. ».

Le journal du Centre avait dans un <article de juin 2013> parlé de cet acte héroïque et publié une photo de Fatima Zekkour dans la beauté de sa jeunesse.

Le même journal a publié récemment l‘article que commentait Claude Askolovitch et qui relatait le parcours de cette jeune fille jusqu’à aujourd’hui. Vous y trouverez une photo récente de cette jeune femme qui a appliqué la loi de l’entraide au péril de sa vie et de son intégrité physique, après les nombreuses opérations qu’elle a subies.

L’article conclut sur les objectifs actuels de Fatima :

« Mon souhait, désormais, c’est juste de mener une vie normale. Trouver du travail, d’abord, car je suis au chômage depuis un mois. J’ai arrêté les CDD car je cherche un emploi à plein-temps, mais dans le même milieu, auprès des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Je suis d’ailleurs prête à partir de Nevers. Pour le reste, j’ai des envies simples : fonder une famille, me marier… Une vie normale. »

Jeune femme admirable qui continue à trouver sa motivation dans le fait d’aider les autres et notamment les plus fragiles : celles et ceux qui ont perdu leurs repères et la capacité de mémoire.

La vie est plus belle quand on croise la route, même si ce n’est qu’à l’occasion d’un article ou d’une émission, d’une femme comme Fatima Zekkour.

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