Mercredi 23 octobre 2019

« Noémie »
Un prénom qu’une femme intelligente a donné à sa fille

Un peu d’humour ne nuit pas. Mais est-ce de l’humour ?

Nous sommes encore dans les mots, il faut nommer les êtres humains et même les « prénommer ». Il semble que par le passé on appelait les personnes par leur nom de famille, sauf dans le cadre le plus intime où on utilisait le prénom. Aujourd’hui l’usage s’est répandu d’appeler ses collègues et les personnes que l’on connaît par leur prénom.

Ce n’est pas la première fois que je parle de « prénom ».

D’abord le mot du jour du <Vendredi 26 octobre 2018> : « Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. »

Ensuite le mot du <Mardi 30 avril 2019> : «On est passé de 2000 prénoms en 1945 à 13.000 aujourd’hui ». C’était une observation de Jérôme Fourquet , l’auteur de « L’archipel français »

Le mot du jour d’aujourd’hui est une continuation de ces deux mots du jour, plutôt du second d’ailleurs.

C’est une journaliste Emmanuèle Peyret qui a publié un article, le 20 octobre 2019, sur le site de Libération : « Le petit Robaire des prénoms inventés »

Je suppose que ce titre veut faire penser au dictionnaire le petit Robert, mais utilise un patronyme « Robaire » très rare puisqu’il n’existe que 21 personnes nées en France depuis 1890, dans 6 départements, qui ont porté ou portent ce nom. Il se trouve au 248008ème rang des noms les plus portés en France

Alors que le patronyme « Robert » est celui de 102 950 personnes nées en France depuis 1890, dans 101 départements et qu’il est au 5ème rang du même classement.

Comme l’avait fait observer Jérôme Fourquet le nombre de prénoms a explosé en France. Emmanuèle Peyret écrit :

«Il y a environ 750 000 naissances par an en France actuellement. Le prénom le plus donné, Gabriel, l’a été à 5 400 bébés, soit moins de 1 %. Aujourd’hui, un bébé sur dix reçoit un prénom qui été donné six fois ou moins dans l’année. Ces prénoms très rares ne servaient qu’à 2 % des naissances en 1975», explique Baptiste Coulmont, sociologue, spécialiste des prénoms, et maître de conférences à l’université Paris-VIII . Quelques stars ont ouvert le bal avec des Tallulah Belle (fille de Demi Moore et Bruce Willis), Bear Blaze (fils de Kate Winslet), Bronx Mowgli (fils de la chanteuse et actrice Ashlee Simpson-Wentz. »

Nous apprenons dans cet article que « Ysé » est un prénom inventé par Paul Claudel pour un personnage du  « Partage de Midi ».

Ces prénoms rares sont en général formés par une variation d’une lettre ou en ajoutant des consonnes et des voyelles à un prénom déjà existant ou on combine deux prénoms.

Longtemps contrôlé par les officiers d’état civil, l’attribution d’un prénom est aujourd’hui libre et la Loi autorise de choisir un nom original «dans la mesure où il ne porte pas préjudice à des tiers ou à l’enfant». En outre, l’officier d’état civil est tenu d’inscrire le prénom choisi et d’alerter éventuellement le procureur de la République, s’il juge qu’il porte préjudice à l’enfant ou à des tiers.

Et la journaliste cite des prénoms qui ont été interdit :

  • Clitorine
  • Vagina
  • Un prénom imprononçable : Brfxxccxxmnpcccclllmmnprxvclmnckssqlbb11116
  • Babord et Tribord ou Fish and Chips pour des jumeaux.

Vous connaissez tous le « Guide des prénoms », mais l’article nous informe que deux officiers d’état civil sous couvert d’anonymat ont écrit « L’Antiguide des prénoms ». Il porte pour sous-titre : « comment mettre du piment dans la vie de son enfant », je pense que c’est très ironique et j’ai l’intuition que les auteurs désapprouvent de tels prénoms

Voici une liste de prénoms qui ont ainsi été donnés pour être original et mettre du piment…. : « Tuba », « Bruce-Lee », « Merci Mireille », « Alkapone », « Batman », « Barack Obama », « Rolce-Roméo », « Lola-Poupoune », « Dior Gnagna », «  Boghosse », « Youyou », « Jesunette », « Jean-Clode », « Djustyne », « Zac-Harry », « Kill-Yann »

L’oubliable Nabila a ajouté une lettre pour nommer son enfant « Milann », certains en enlèvent une par exemple « Delphie », on peut aussi orthographier un prénom de manière originale ( ?) :

Il semble aussi qu’ajouter ou remplacer des lettres par des k et des y soient très « tendance ». «Kamille, Klaude, Styvy». On peut ajouter un h « Khamylle, Khlaude, Sthyvhy».

Et la journaliste de s’amuser : «

Avec un préfixe ou un suffixe, «transformez votre prénom en création improbable, Zsthyvy-du-loft» pour finir par un poétique «Zshtyv’hy dhu lauft». Sont-ils moqueurs, hein ?

[…] Le prénom composé invraisemblable se donne beaucoup aussi, Ahthena Cherokee, Elvees Pressley, Christ Brythoon, non, on n’invente rien, c’est recensé dans l’opus. »

Vous savez sans doute que Cécile Duflot a donné à une de ses filles le prénom « Térébentine », je parle bien de Cécile

Car Esther Duflo, le prix Nobel d’économie a donné à sa fille le prénom «Noémie ». Le <Parisien> rapporte que cela signifie « délicieuse » en hébreu.

Esther Duflo explique :

« [C’est] un prénom facile à prononcer dans les trois langues, français, anglais et bengali, pour qu’elle comprenne son appartenance à ces trois mondes ».

J’ai la faiblesse de préférer Noémie à Lola Poupoune et à quelques autres cités dans cet article.

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Mardi 22 octobre 2019

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés »
Esther Duflo

Esther Duflo a eu le Prix Nobel d’économie cette année avec son mari Abhijit Banerjee et un troisième économiste Michael Kremer, .pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté.

<Le Monde> nous rappelle que ce qu’on appelle le Prix Nobel d’Economie est en réalité le prix de la Banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel, car ce dernier n’avait pas prévu que le comité Nobel désigne un lauréat en économie.

Ces trois économistes ont essayé de mettre un peu de démarche scientifique dans l’économie qui en est fort dépourvu même si des économistes prétendent le contraire.

Ils ont œuvré dans le domaine de la pauvreté et ont concrètement mis en œuvre des programmes visant cet objectif, notamment en Inde, en mesurant l’impact de ces programmes. Une population X bénéficiait du programme et une population Y comparable n’en bénéficiait pas, puis on comparait les résultats de la population Y et X et on jugeait de la pertinence du programme.

Evidemment nous nous intéressons surtout à Esther Duflo parce qu’elle est française. Elle est seulement la seconde femme à recevoir ce prix de la banque de Suède.

<Ici vous pourrez visionner la leçon inaugurale> « Expérience, science et lutte contre la pauvreté » au Collège de France d’Esther Duflo pour mieux comprendre sa démarche.

<Ici> vous trouverez un résumé de 11 pages sur le cours qu’elle a donné au Collège de France sur ce sujet.

<Challenges> précise que :

« La sensibilité de cette économiste, née à Paris en 1972, a pris corps dans une famille protestante, avec une mère pédiatre, investie dans l’humanitaire et qu’elle cite régulièrement en modèle, et un père mathématicien, enseignant-chercheur.

Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle est aussi titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis, où elle est aujourd’hui encore professeure. »

Le New Yorker la décrivait ainsi : « C’est une intellectuelle française de centre-gauche qui croit en la redistribution et en la notion optimiste que demain pourrait être meilleur qu’aujourd’hui. Elle est largement à l’origine d’une tendance académique nouvelle »

Elle a écrit un livre avec son mari « Repenser la pauvreté » qui a aussi été primé en 2012.

A l’occasion de la sortie de ce livre elle avait répondu à un entretien à l’AFP où elle disait :

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés: le pauvre paresseux, le pauvre entrepreneur, le pauvre affamé. Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d’être pauvre change certaines choses dans les comportements, et d’autres non ! »

Et c’est donc intéressant de savoir ce que cette intellectuelle qui a consacré sa vie à la compréhension du phénomène de la pauvreté et des programmes de lutte contre ce fléau pense des mots, utilisés par notre jeune président à propos de la pauvreté en France.

Je cite donc <France Info> :

« « Il y a un risque de rendre les pauvres coupables de leur propre sort » C’est l’inquiétude formulée par la prix Nobel d’économie Esther Duflo, invitée de franceinfo mardi 15 octobre. Elle est revenue sur la notion des « premiers de cordée » défendue par Emmanuel Macron à l’automne 2017 et sur ses propos tenus en 2018 lors d’une réunion de travail à l’Élysée : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».

« Dans cette imagerie ‘pognon de dingue’ ou dans l’idée qui allait avec de responsabiliser les pauvres », Esther Duflo estime qu’il y a un sous-entendu : « Ils ne sont pas assez responsables par eux-mêmes » Selon elle, ce risque est présent « depuis toujours dans les politiques sociales. On rend la personne en difficulté coupable de ses malheurs. Tout en l’aidant on lui enlève sa dignité ».

La prix Nobel d’économie juge cette approche « dangereuse ». « Une fois qu’on vous enlève votre dignité, vous n’êtes pas dans les meilleures conditions possibles pour retomber sur vos pieds. Cela terrorise ceux qui ne sont pas pauvres aujourd’hui et qui se disent que peut-être un jour ils le seront ».

Esther Duflo explique que, pour les personnes en situation « un peu fragile », ce type de discours peut « les rendre inquiets de tout ce qui change, de tout ce qui peut être différent. Cela peut mener à une espèce de sclérose politique qui vient de la peur du risque. Parce que si vous tombez par terre, la société va vous en vouloir et va vous dire que c’est de votre faute. C’est très dangereux. »

Nous sommes toujours dans la réflexion de Victor Klemperer, de l’usage des mots, du sens profond qu’ils ont et de ce que leur usage dit de la conception de la société et du lien social de celui qui les utilisent.

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Jeudi 17 octobre 2019

« Quand ils ont peur, c’est pour eux-mêmes. Mais leur haine est pour les autres. »
Albert Camus, État de siège

Et quelques politiciens, proches de Marion Maréchal qui ne veut plus qu’on accole à son nom celui de la famille «Le Pen», dont elle est issue, ont donc organisé une : « convention de la droite » le 28 septembre 2019.

Soyons précis ce rassemblement qui a réuni un millier de personne dans le 15ème arrondissement de Paris, dans une salle dédiée à l’organisation d’«opérations à caractère festif » et répondant au nom de « La Palmeraie » a été organisée par le magazine « L’Incorrect » et des associations « Racines d’avenir » et « Cercle Audace ». Déjà leurs titres constituent un programme.

Cet évènement n’a pas attiré de femmes ou d’hommes politiques de premier plan, mais il y avait un invité particulier qui est monté sur la tribune, a agrippé le pupitre et a lu un discours d’une demi-heure, courbé sur ses feuilles.

On parle beaucoup de ce discours en raison de son contenu et aussi parce que la chaîne de télévision LCI a retransmis l’intégralité de ce discours.

Peut-être que cette chaîne avait la conviction qu’elle était en train de retransmettre un moment d’Histoire… j’espère que non !

Plus probablement espérait-elle faire de l’audience, de sorte de pouvoir bénéficier de la manne publicitaire.

Et c’est ainsi qu’Eric Zemmour a révélé à la salle mi-conquise, mi-sceptique, car elle trouvait peut-être qu’il exagérait un peu, l’existence d’« Une guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel »

A d’autres moments du discours il ajoutait l’appartenance religieuse : catholique, comme par exemple :

« L’homme blanc hétérosexuel catholique n’est pas attaqué parce qu’il est trop fort, mais parce qu’il est trop faible, non parce qu’il est assez tolérant, mais parce qu’il l’est trop. »

Cette fois nous ne sommes plus dans le concept, mais devant une question pratique : les droits de l’homme et la liberté d’opinion doivent-ils autoriser Eric Zemmour à s’exprimer ?

Poser la question de cette manière et après les mots du jour précédents la réponse ne saurait être que Oui.

Certains propos constituent des délits et peuvent faire l’objet de sanction pénale. D’ailleurs Eric Zemmour a été définitivement condamné, après une longue procédure jusqu’à la Cour de Cassation qui a confirmé, le 19 septembre 2019, la condamnation pour provocation à la haine religieuse après des propos anti-musulmans tenus dans le cadre de l’émission « C à vous » diffusée le 6 septembre 2016 sur France 5.

Il ne faut donc pas de censure préalable, mais laisser dire puis condamner, s’il y a lieu.

Mais il faut écouter et essayer de comprendre ce qu’il dit.

Son intervention intégrale, se trouve derrière <ce lien>.

Il faut bien sûr analyser et décrypter.

D’abord « extermination ». Si comme moi, vous êtes un homme blanc hétérosexuel et qu’on vous dit qu’on veut donc vous exterminer, il est très possible qu’après un haussement d’épaule, cette phrase vous revienne et commence à instiller le doute : et s’il avait raison ?

Si vous êtes sur cette pente, vous allez rapidement essayer de déterminer qui sont ceux qui voudraient vous exterminer. Et un peu plus loin vous allez regarder ces exterminateurs potentiels avec suspicion, peut-être crainte, bientôt avec ressentiment et dans ce cas la voie de la haine est proche.

Quand vous dite à quelqu’un qu’il va être exterminé, vous devez vous attendre qu’il réagisse et qu’il ne se laisse pas faire. Une pulsion assez basique consisterait à exterminer les exterminateurs…

Nous sommes clairement dans une logique de guerre civile.

L’homme courbé sur son pupitre désigne très clairement les exterminateurs, ils sont dans deux camps d’un côté « les progressistes », de l’autre « les musulmans ». Et l’homme blanc hétérosexuel catholique est

« […] ainsi pris entre l’enclume et le marteau de deux universalismes »

Même si « les musulmans » en tant que communauté homogène n’existent pas. Ce qui existe ce sont « des musulmans » dans leurs diversités. Mais on comprend à peu près l’amalgame qu’il fait pour désigner ce premier groupe qui constitue peut-être, dans son esprit, le marteau

Mais les « progressistes » ceux qui seraient alors l’enclume sur laquelle reposerait notre tête pour que le marteau puisse l’écraser dans l’entreprise d’extermination, qui sont-ils ?

Voici ce que dit Éric Zemmour.

« Progressisme : la religion du progrès, un millénarisme qui fait de l’individu un dieu et de ses volontés jusqu’aux caprices un droit sacré et divin. Le progressisme est un matérialisme divinisé qui croit que les hommes sont des êtres indifférenciés, interchangeables, sans sexes ni racines, des êtres entièrement construits comme des Legos et qui peuvent être donc déconstruits par des démiurges. […]

Le progressisme est un messianisme sécularisé, comme le furent le jacobinisme, le communisme, le fascisme, le nazisme, le néolibéralisme ou le droit-de-l’hommisme. Le progressisme est une révolution. D’ailleurs, souvenez-vous, le livre de campagne de notre cher président s’appelait Révolution. Une révolution ne supporte aucun obstacle, aucun retard, aucun état d’âme. Robespierre nous a appris qu’il fallait tuer les méchants. Lénine et Staline ont rajouté qu’il fallait aussi tuer les gentils. La société progressiste au nom de la liberté est une société liberticide. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Le cri de Saint-Just est toujours à son programme. Depuis les Lumières, depuis la Révolution française, depuis la révolution de 17, jusqu’à même la IIIe République avec ses radicaux franç-macs, jusqu’à aujourd’hui, c’est toujours le même progressisme : la liberté c’est pour eux, pas pour les autres. […] »

Il ajoute que ce millénarisme dispose d’outils de diffusion, de « propagande » dit-il et pour que ce soit clair pour le « mal-comprenant » il cite Goebbels, le ministre de la propagande de Hitler afin que le lien avec le nazisme tombe dans l’évidence :

« appareil de propagande qui réunit la télévision, la radio, le cinéma, la publicité, sans oublier les chiens de garde d’Internet. Son efficacité fait passer Goebbels pour un modeste artisan et Joseph Staline pour un débutant timoré. Le progressisme, c’est l’omniprésence de la parole soi-disant libre, servie par une technologie d’une puissance de diffusion jamais vue dans l’histoire mais en même temps, comme ils aiment dire, un appareil répressif de plus en plus sophistiqué pour la canaliser et la censurer. »

Dans ce progressisme il classe aussi le :

« libre échange mondialisé […] la sainte cause des minorités » sexuelles et ethniques de l’extrême gauche. »

L’ennemi du progressisme ainsi défini est donc :

«Le seul ennemi à abattre, c’était l’homme blanc hétérosexuel catholique […] Le seul à qui l’on fait porter le poids du péché mortel de la colonisation, de l’esclavage, de la pédophilie, du capitalisme, du saccage de la planète, le seul à qui on interdit les comportements les plus naturels de la virilité depuis la nuit des temps au nom de la nécessaire lutte contre les préjugés de genre, le seul à qui on arrache son rôle de père, le seul qu’on transforme au mieux en seconde mère ou au pire en gamète, le seul qu’on accuse de violences conjugales, le seul qu’on balance comme un porc. »

Noter qu’entre autre combat, il défend aussi « les comportements les plus naturels de la virilité depuis la nuit des temps ».

Bien sûr, il parle des musulmans, de l’immigration, du grand remplacement inventé par Renaud Camus, et de l’inversion de la colonisation

« Le dynamisme démographique de notre continent a permis aux Blancs de coloniser le monde. Ils ont exterminé les Indiens et les Aborigènes, asservi les Africains. Aujourd’hui, nous vivons une inversion démographique, qui entraîne une inversion des courants migratoires, qui entraîne une inversion de la colonisation. Je vous laisse deviner qui seront leurs Indiens et leurs esclaves : c’est vous ! […au ] triptyque d’antan – immigration, intégration, assimilation – s’est substitué invasion, colonisation, occupation ».

[…] nous sommes ainsi pris entre l’enclume et le marteau de deux universalismes qui écrasent nos nations, nos peuples, nos territoires, nos traditions, nos modes de vie, nos cultures : d’un côté, l’universalisme marchand qui, au nom des droits de l’homme, asservi nos cerveaux pour les transformer en zombies déracinés ; de l’autre, l’universalisme islamique qui tire profit très habilement de notre religion des droits de l’homme pour protéger son opération d’occupation et de colonisation de portions du territoire français qu’il transforme peu à peu, grâce au poids du nombre et de la loi religieuse, en enclave étrangère. (…) Ces deux universalismes, ces deux mondialismes, sont deux totalitarismes. »

Pour répondre à cette menace, il remet au centre du débat et du combat : « l’identité »

« Je ne dis pas que la question de l’identité est la seule qui nous soit posée, je ne dis pas que l’économie n’existe pas (…), je prétends seulement que la question identitaire du peuple français les précède toutes, qu’elle préexiste à toutes, même à celle de la souveraineté. C’est une question de vie ou de mort […] Nous devons savoir que la question du peuple français est existentielle quand les autres relèvent des moyens d’existence. Les jeunes Français seront-ils majoritaires sur la terre de leurs ancêtres ? Je répète cette question car jamais elle n’avait été posée avec une telle acuité. Dans le passé, la France (…) a été occupée, rançonnée, asservie, mais jamais son peuple n’a été menacé de remplacement sur son propre sol. […] Ne croyez pas ceux qui vous mentent depuis 50 ans […] les optimistes qui vous disent que vous avez tort d’avoir peur, vous avez raison d’avoir peur, c’est votre vie en tant que peuple qui est en jeu ».

Ce sont les mots de la discorde, il instille l’idée que nous avons été envahis, que nous sommes déjà occupés qu’il faut donc entrer en résistance, que nous allons être colonisés et finalement exterminés, c’est à dire disparaître.

Que nous devons avoir peur, que notre vie, en tant que peuple, est menacé.

<Marianne> a donné la parole à une philosophe Marylin Maeso, spécialiste d’Albert Camus et auteure d’un essai, « Les conspirateurs du silence » (L’Observatoire).

Elle cite Albert Camus qui dans sa pièce de théâtre de 1948 « L’état de siège » écrit :

« Quand ils ont peur, c’est pour eux-mêmes. Mais leur haine est pour les autres. »

Marylin Maeso ajoute :

« Arrêtons-nous sur ce fantasme d’une « guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel catholique ». Le brandir au moment même où la Tchétchénie emprisonne et assassine ses citoyens homosexuels, pendant que la Chine crée des camps où les Ouïghours sont torturés, forcés à renier leur religion, dépouillés de leurs organes et tués avec l’aval de trente-sept pays n’est pas un geste anodin. Les mots ont un sens, et leur détournement, un objectif bien précis. Cette stratégie s’appuie sur un double mécanisme de subversion du langage et d’instrumentalisation de l’histoire ayant pour but de recouvrir le réel d’un dangereux voile idéologique. En se réappropriant une terminologie martiale extrêmement connotée (« occupation », « asservissement », « extermination », « propagande [digne de] Goebbels », etc.) pour la plaquer sur une réalité sans commune mesure, Zemmour fait poindre la menace d’une guerre civile doublée d’une guerre de civilisation, d’autant plus meurtrière qu’elle avance masquée.

C’est la fameuse thèse du « Grand Remplacement » formulée par Renaud Camus, que le polémiste n’a pas manqué de citer lors de sa conférence, et qui soutient que l’immigration est une extermination douce, qui ne passe pas par l’industrialisation de la mort de masse mais par la conquête silencieuse et fourbe de la natalité. Quant à l’utilisation fallacieuse de l’histoire, qu’il s’agisse du colonialisme ou du nazisme, elle a pour fonction de mobiliser des schémas de pensée traumatiques durablement gravés dans notre mémoire collective, de manière à optimiser le potentiel de ce que le philosophe Peter Sloterdijk appelle les « affects thymotiques » (colère, vengeance, rejet de l’autre, etc.) et que Zemmour entend ici exploiter. »

Eric Zemmour utilise des mots « colonisation », « invasion », « occupation », « extermination » qui expriment la violence, mais qui surtout font référence à des moments historiques très connotés où il y avait d’un côté le bien et de l’autre le mal, des moments très sombres, d’oppression et de guerre.

L’« autre » vous veut du mal, c’est un ennemi qu’il faut combattre, chasser et s’il le faut, tuer.

Cette rhétorique de guerre civile est dangereuse et en outre ne présente aucune solution viable et à long terme.

Mais si Zemmour a un si grand succès d’audience de télévision ou de radio, si ses livres se vendent si bien, c’est aussi parce que ses propos trouvent un écho chez un grand nombre de nos concitoyens et qu’en face une grande partie du discours politique « des gens raisonnable » est dans le déni et l’évitement.

Ainsi, quand lors de l’Esprit Public du 6 octobre 2019, Philippe Manière a essayé de suggérer que si Eric Zemmour prônait des solutions ineptes et moralement inacceptables, il évoquait un certain nombre de problèmes qui dans des quartiers de France sont réels et exaspèrent un grand nombre de français, il s’est immédiatement fait rabrouer pour dire que tout ceci était faux et que les tableaux excel disaient le contraire. On ne dira jamais assez qu’on ne comprend rien aux communautés humaines si on se contente d’analyser des tableaux excel.

Dire que l’émergence d’un islam militant sur les terres de notre pays parmi les migrants de fraiche date comme dans des populations depuis beaucoup plus longtemps français ne pose pas un problème à notre République, à notre manière de faire société et de vivre en société constitue un déni contreproductif.

Quand on dit que l’islam peut parfaitement s’intégrer dans la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 et que cette Loi est adaptée à toutes les religions, c’est qu’on dispose d’une vision biaisée de la réalité.

La Loi de 1905 ne concernait en rien l’islam, elle a, dans un contexte de conflit et de violence, assuré la séparation entre la sphère politique et le véritable État dans l’État qu’était la religion dominante catholique. Religion qui était riche de lieux de culte, de patrimoine, de généreux donateurs français et d’un corpus idéologique parfaitement adapté à la société française qu’elle avait d’ailleurs contribué à façonner.

Rien de tel pour l’islam et pour les français musulmans pratiquants qui veulent vivre pleinement leur Foi en France. Bien sûr, pour celles et ceux, qui ont, je dirais, une relation apaisée avec leur religion et plus encore celles et ceux qui ont une relation distanciée voire plus de relation du tout, il n’y a pas de difficulté particulière de vie en société en France.

En outre, l’Islam jusqu’à maintenant, n’a pas montré sa grande capacité de séparer la politique et la religion. Quand Atatürk parle de laïcité en Turquie, il dit très clairement que tous les turcs sont musulmans et que le gouvernement est composé de musulmans, simplement il ne veut pas que « les religieux » contestent le pouvoir politique, son pouvoir dans le domaine des affaires et des intérêts de l’État.

Gérard Collomb, lors de son discours de départ du ministère de l’intérieur avait dit :

«On vit côte à côte, je crains que demain on ne vive face à face, nous sommes en face de problèmes immenses»

Et que rapporte Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans leur livre « Un président ça ne devrait pas dire ça… » des propos de François Hollande ?:

« Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n’en doute.»

Et L’ancien président dit aussi

«Comment peut-on éviter la partition? Car c’est quand même ça qui est en train de se produire: la partition.»

Les solutions ne sont pas simples, la stigmatisation des musulmans que font Zemmour et ses semblables est inacceptable, injuste, inutile et dangereuse pour la cohésion de la société française. Mais il faut aussi regarder les problèmes qui existent et qui constituent le terreau du succès de cet homme peu recommandable.

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Mardi 15 octobre 2019

« ALICEM »
Application mobile conçue par le Ministère de l’intérieur

Ces derniers temps, grâce à François Sureau, je me suis inquiété sur l’état de nos libertés publiques en France.

Frédéric Says dans sa chronique du 8 octobre 2019 : <Données privées, libertés publiques> a donné un exemple d’initiative qui montre le caractère raisonnable de l’inquiétude, préalablement évoquée.

Lui-même citait ses sources : <Le site de Bloomberg, l’agence d’actualités financières>.

Le nom de l’application possède une consonance rassurante : « Alice aime ».

Derrière cet acronyme se cache une application de reconnaissance faciale.

Le site de Bloomberg annonce que de cette manière la France va devenir le premier pays européen à utiliser officiellement la reconnaissance faciale. Car cette application pour mobile conçue par le ministère de l’Intérieur, permet de s’identifier en se prenant en photo ou en vidéo, pour accéder aux services publics en ligne.

Frédéric Says précise :

« Le nom de cette application ? Alicem, acronyme pour « Authentification en ligne certifiée sur mobile ». Étonnamment, ces programmes jugés intrusifs portent toujours des noms doucereux, printaniers, féminins. « Alicem », cela rappelle délicieusement le prénom Alice et finit par la syllabe « aime ».

Il y a eu un précédent. C’était en 2008. Souvenez-vous d’« Edvige ». Une base de données qui fichait les individus potentiellement dangereux, mais aussi les préférences religieuses et sexuelles de responsables politiques, syndicaux, économiques. Michèle Alliot-Marie était alors ministre de l’Intérieur. Devant le tollé, elle avait dû reculer [extrait sonore].

Alicem, Edvige : comment nourrir le moindre soupçon envers de si jolis noms ? Certes, ce serait étonnant que ces programmes s’appellent « Terminator 3.0 » ou « GeorgeOrwell2019″…

Il ne s’agit pas ici de dire, bien sûr, que le gouvernement masque des intentions totalitaires. Le ministère de l’Intérieur rappelle d’ailleurs que cette application s’appuie le consentement de l’utilisateur. Il n’est pas question de reconnaissance faciale non consentie comme en Chine.

Aujourd’hui oui, mais demain ?

L’avancée technologique rend possibles le traitement de masse des données privées, et donc le rétrécissement massif des libertés publiques. »

Cette application devrait voir le jour en novembre.

La Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) joue une sorte de rôle de lanceur d’alerte et prétend que cette application serait en contradiction avec le droit européen, notamment parce qu’elle ne propose aucune alternative à la reconnaissance faciale pour se connecter à certains services.

Ce site spécialisé en informatique précise les réticences de la CNIL <ALICEM : la biométrie de l’identité numérique sur mobile fait tiquer la CNIL>

Si vous voulez en savoir davantage, « Sciences et Avenir » essaye de faire <le point sur Alicem, le système de reconnaissance faciale du ministère de l’Intérieur>

L’association <La Quadrature du Net> a déposé un recours contre Alicem devant le Conseil d’État.

Tout ceci est bien sûr mis en œuvre pour assurer une meilleure sécurité sur Internet, éviter le passage par un mot de passe qui selon tous les avis autorisés constitue une passoire en matière de sécurité.

Certains prétendent que cette évolution, « ce progrès » disent-ils, est inéluctable.

Il n’en reste pas moins que tout ce qui est techniquement possible n’est pas forcément souhaitable. Il faut au moins se poser la question…

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Lundi 14 octobre 2019

« Il y a un concours Lépine délirant de la répression »
François Sureau

Quatre fonctionnaires de police ont été assassinés, le jeudi 3 octobre 2019, dans les locaux de la Préfecture de Police par un autre fonctionnaire de la préfecture exerçant des missions informatiques. L’assassin était doté d’une habilitation secret-défense, qui lui permettait d’avoir accès à des informations protégées.

Il y a probablement eu des dysfonctionnements dans l’organisation de la préfecture qui ont conduit à ces conséquences dramatiques.

Qu’on s’interroge sur la nature des dysfonctionnements et de la manière à essayer d’y remédier semble raisonnable.

Mais cela conduit à nouveau à des propositions de nouvelles lois, de nouvelles règles, pour essayer de détecter la « radicalisation » au plus tôt et des propositions toujours plus liberticides voient le jour.

François Sureau a été aussi invité par Olivier Duhamel sur Europe 1 dans l’émission <Médiapolis du 12 octobre 2019> et a me semble t’il avancé des explications qui sont intéressantes à partager.

Les propos que j’ai essayé de transcrire commencent à la minute 18. C’est d’abord Olivier Duhamel qui donne son analyse après les assassinats de la préfecture :

«On a l’impression d’avoir entendu, cette semaine, des choses terrifiantes sur les propositions concernant la lutte contre le terrorisme islamiste.

On a l’impression que plus personne, quand il se produit un attentat, plus personne ne se pose la question : jusqu’où peut-on aller dans les mesures à prendre, sans toucher aux libertés fondamentales ?

C’est une question qui n’existe même plus !»

Et voici ce qu’a répondu François Sureau :

« Il y a un concours Lépine délirant de la répression.

Il y a en plus un oubli fondamental de ce que nous sommes. Notre système a été pensé pour qu’il permettre une répression extrêmement dure, y compris pour les actes terroristes, sans pour autant s’écarter des principes.

On peut trouver, sans difficulté, des juges anti terroristes pour signer des mandats. On a tout à fait les moyens pour arrêter les gens.

Ce n’est pas comme si nous vivions dans un Droit pénal de bisounours. Notre Droit pénal est extrêmement sévère et répressif, il n’y a rien à y ajouter.

La question est pourquoi on y ajoute quelque chose ?

La première raison est comme le dit Olivier Duhamel que la question de savoir si on ne touche pas de manière disproportionnée aux libertés fondamentales a disparu de l’esprit de tout le monde.

A la fin, il y a les 9 sages du Conseil Constitutionnel qui de temps en temps retoque une mesure. Mais avant ça, il n’y a absolument plus rien. Et ceci me parait extrêmement dangereux

La deuxième raison je crois c’est aussi un déséquilibre institutionnel. J’ai lu le premier tome des mémoires de Cazeneuve, c’est très intéressant. Lors des attentats terroristes, la totalité de cette question : l’arbitrage « sécurité – liberté » passe dans la cervelle du ministre de l’Intérieur et de lui seul. Comme s’il n’y avait pas de Ministre de la Justice, comme s’il n’y avait pas de Parlement, pas de commission des Lois, comme s’il n’y avait personne. C’est extrêmement gênant et c’est du probablement à l’évolution institutionnelle de la Vème République.

Il y a une troisième raison, nous sommes devenus une Société qui est incapable de supporter la présence du Mal en elle-même. Le Mal doit être extérieur, il doit être étranger. Il doit être éradiqué sans que l’on ne regarde d’aucune manière aux principes qui peuvent gouverner aux procédures de son éradication.

Le Mal est quelque chose que nous ne pouvons plus penser. Nous n’avons plus d’idée du salut individuel, nous n’avons plus d’idée du progrès politique.

Le Mal doit être éloigné de nous !

Et tout ce qu’on voit en matière de concours Lépine, tout comme la rétention de sureté, tout comme la déchéance de nationalité manifestent cette idée que nous allons expulser le mal parce que nous sommes des purs.

Ceci m’inquiète énormément. »

J’insiste sur ce sujet des libertés, parce que nous sommes vraiment dans une dérive de plus en plus inquiétante.

Surtout que l’imagination liberticide de certains technocrates semble débordante.

Et je considère qu’un homme comme François Sureau reste un port d’attache de nos valeurs qui dit les choses simplement :

Les moyens répressifs et de contrôle existent.

Il existe des difficultés d’organisation et de mise en œuvre.

Mais il est nul besoin d’alourdir sans cesse les contraintes et les libertés de tout le monde pour lutter contre ce type de criminalité.

Surtout sans se poser les questions des libertés fondamentales.

Et je trouve ce rappel que le mal existe, qu’il faut l’affronter avec nos valeurs, constitue un rappel salutaire.

<1287>

Lundi 30 septembre 2019

« Nous n’allons pas célébrer le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique, mais rendre hommage aux peuples pré colombiens, en particulier aux peuples des caraïbes les tainos arawaks »
Jacques Chirac

Ce lundi nous sommes donc en deuil national. Notre ancien Président de la République, Jacques Chirac, est décédé.

Selon un sondage récent « Jacques Chirac serait le meilleur président de la Vème République » avec Charles de Gaulle quand même.

Et il est, toujours selon les sondages, extraordinairement populaire et a laissé une image « sympathique » : 87% le considèrent comme « proche des gens » et « incarnant bien la France ». Sa personnalité est considérée comme « charismatique » par 83% des sondés, et « dynamique » pour 75%.

C’est très étonnant…

<Il faut écouter Mediapolis d’Olivier Duhamel> pour savoir que les émissions spéciales qu’ont diffusées les chaines de télévision ont fait de mauvais score. Ainsi quand France 2 a décidé de se mettre en émission spéciale et TF1 a décidé de ne pas le faire, il y a eu un transfert énorme de téléspectateurs de France 2 vers TF1. Et si les journaux du lendemain ont fait de meilleures ventes qu’un jour normal, il n’y a aucune comparaison possible avec la mort de Johny Halliday.

Parce que quand même si on reprend des chiffres sérieux des élections présidentielles depuis 1974 et qu’on compare le résultat au premier tour de chaque président élu, là où se révèle les vrais sympathisants et les plus ou moins convaincus, on constate que

  • Chirac a obtenu en 1995, 20,84% (il est vrai que c’était un miracle puisque tout le monde pensait que Balladur serait élu) mais en 2002, alors qu’il était président sortant sans adversaire sérieux dans son camp il a obtenu 19,88 %
  • Giscard en 1974 a eu 32,60 %
  • Mitterrand en 1981, 25,85 % et 34,10 % en 1988
  • Sarkozy en 2007, 31,18%
  • Hollande en 2012, 28,63%
  • Macron en 2017, 24,01 %

C’est le président le plus mal élu de tous les présidents.

Jean-Louis Boulanges dans <le nouvel esprit public> de ce dimanche a probablement révélé une part de vérité :

« Que Chirac soit apprécié de tous n’est pas étonnant, puisqu’il n’a cessé de dire tout et son contraire sa vie politique durant. Ainsi, tout le monde a un morceau de Jacques Chirac dont il peut se réclamer. »

<Sur France Inter> Gilles Finkelstein a dit la même chose :

« Il a été là si longtemps et il a été si changeant que, comme l’a dit Johny, on a tous quelque chose de Jacques Chirac. Ça a fini d’être vrai, il y a au moins un moment, un discours, un acte où nous avons pu nous reconnaître en lui. »

Pour ma part, je ne crois pas qu’il fut un bon président de la république et je n’avais pas particulièrement d’affection pour lui.

Comme l’ont dit Jean-Louis Bourlanges et Gilles Finkelstein c’était un démagogue, une sorte d’archétype de démagogue !

Il en était pleinement conscient. Plusieurs journaux dont Libé rapportent qu’il avait lancé à son équipe de campagne présidentielle de 1995.

«Je vous surprendrai par ma démagogie»

Un jour qu’on l’interrogeait sur ses convictions de droite ou de gauche, il avait eu cette réponse :

«Vous voulez le fond de ma pensée  ? Vous voulez vraiment  ? Eh bien franchement, je n’en sais rien.»

C’est le même article de Libé qui rapporte cette réponse.

Il a vécu sa vie politique sur des trahisons multiples :

  • En 1974, membre de l’UDR, il trahit Chaban-Delmas candidat de l’UDR pour rallier Giscard d’Estaing. Ce dernier lui offrira pour le prix de trahison le poste de premier ministre.
  • Deux ans plus tard il démissionne et s’oppose à Giscard d’Estaing, pourquoi pas. Mais aujourd’hui, il est documenté qu’en 1981 les responsables du RPR donnaient comme consigne oral à leurs militants et sympathisants qu’il fallait voter Mitterrand contre Giscard au second tour.
  • En 1995, il fut lui-même trahi par Balladur, Sarkozy et Pasqua.

Il s’en suivit une campagne, où comme il l’a donc prédit lui-même, d’une démagogie inimaginable. Il prit pour slogan « la fracture sociale ». Gilles Finkelstein analyse très justement que pour être élu dans une élection présidentielle il faut parvenir à imposer le thème principal puis faire croire qu’on est la solution. C’est ce qu’il est parvenu à faire contre Balladur, mais il n’avait pas le début de l’esquisse d’une solution. D’ailleurs, une fois au pouvoir, très rapidement ce thème n’était plus du tout prioritaire.

En 2002, il fit de même avec Jospin et parvint à imposer le thème de l’insécurité.

Ce fut un animal politique qui sut méthodiquement détruire toute concurrence dans son camp et tout homme ou femme qui s’opposait à lui. A la fin, il fut quand même écarté par Sarkozy qui le traita de « roi fainéant ». Sa haine à l’égard de Nicolas Sarkozy n’eut pas de répit. Probablement que dans sa popularité, il y a une part de cette aversion anti sarkozienne qui plut beaucoup à tous ceux que Sarkozy indisposait.

Alors, il était sympathique avec tous ceux qui n’étaient pas des concurrents politiques. Il était capable d’aller vers les gens avec empathie et visiblement aimait cela.

Tout n’a pas été négatif.

  • Il a su s’opposer à cette guerre imbécile que Bush fils a déclenché en Irak,
  • Il a mis fin au récit gaulliste mensonger sur une France sans tâche pendant la guerre, lors de son remarquable discours du Vel d’Hiv,
  • Il a mis fin à la conscription, de cette obligation pour les jeunes garçons de passer une année voire plus dans l’armée.
  • Il a été un des hommes de droite qui a voté l’abolition de la peine de mort.
  • Il a lancé des plans qui ont eu un impact positif : le plan cancer, le plan sécurité routière et aussi la charte de l’environnement.

Vous trouverez des précisions dans cet article de Sciences et Avenir

On sait moins qu’il participa à la création de l’ANPE.

La création de l’Agence nationale pour l’emploi date du 13 juillet 1967. A l’époque, le pays ne compte guère à l’époque que 430 000 chômeurs, soit 2,1 % de la population active. L’ordonnance créant l’ANPE est signée, entre autres, par le secrétaire d’Etat aux Affaires sociales chargé des problèmes de l’emploi : Jacques Chirac.

Mais si on creuse un peu plus, on pourra trouver quand même un point où Jacques Chirac fut grand et visionnaire.

Car la bienveillance s’efforce toujours de trouver, au milieu des défauts, les qualités.

Françoise Giroud avait révélé une part de son jardin secret :

« D’habitude, les hommes lisent Playboy ou Lui cachés derrière un ouvrage de poésie. Chirac, lui, lit un livre de poésie caché derrière un Playboy »,.

Il eut la passion des autres cultures, c’est-à-dire des cultures non européennes.

Il fut le chantre des « arts premiers » terme qu’il parvint à imposer à « art primitif » qui sous-tend une hiérarchie qu’il récusait.

Le musée du quai Branly, qui a pris le nom de « Jacques Chirac » fut la concrétisation de ce beau combat.

L’année même où il refuse la guerre en Irak, il annonce la création d’un département des arts de l’Islam au Louvre.

Mais il était aussi passionné des arts et de l’Histoire de la Chine, de l’Inde et du Japon. Jamais, il n’étala cette immense culture de l’ailleurs publiquement.

Jean-Jacques Aillagon qui le connaissait bien explique :

« Chirac avait une vision de la France ouverte, généreuse, faite de collages et de synthèses. Il était contre le choc des civilisations. C’est un enfant de la première moitié du XXe siècle, de la négritude, du musée imaginaire d’André Malraux et de l’appel de Stockholm. »

On sait maintenant que lycéen il séchait des cours pour des visites répétées au Musée Guimet, à Paris, musée des arts asiatiques.

On pourrait croire que ce sont des récits qui revisitent l’histoire de Jacques Chirac pour y mettre un grain d’élévation.

Rien ne serait plus faux, aujourd’hui les témoignages se multiplient pour démontrer que cette culture n’était pas feinte, mais profonde et précise.

Ainsi, un voyage officiel à Shanghaï manque de tourner à l’incident diplomatique lors de la visite du Musée de la ville. « Ils ont voulu nous tester en sortant une silhouette en bronze d’un cochon et en prétendant qu’il s’agissait d’un objet du VIIe siècle avant J.-C. Chirac dit : « Ils sont fous, c’est du Xe siècle avant J.-C. », raconte Christian Deydier. Petite passe d’armes, les esprits s’échauffent de part et d’autre, avant que lesdits spécialistes chinois n’admettent leur erreur…

Et lors d’un voyage les 21 et 22 octobre 2000, en Chine il se rendit à Yangzhou, ville natale du président chinois de l’époque, Jiang Zemin, pour admirer les beaux paysages ainsi que la culture de cette ville ancienne.

Accompagné de Jiang Zemin, Jacques Chirac visita le musée de Yangzhou et les tombeaux de la dynastie des Han. À la fin de sa visite, M. Chirac a demandé à aller voir le Grand Canal creusé dès la dynastie des Sui. Ce canal relie Hangzhou, au Sud de la Chine, à Beijing, via les provinces du Jiangsu, du Shandong, du Hebei et la ville de Tianjin. Ce désir particulier initia une conversation sur l’ascension et la chute des Sui. À propos du nombre d’empereurs de la dynastie des Sui, un Chinois a affirmé sans réfléchir : « Deux, les empereurs Wendi et Yangdi des Sui ». « Mais non, l’a immédiatement corrigé Jacques Chirac. Ils étaient trois. Le dernier est l’empereur Gongdi, qui régna de l’an 607 à 608 ; Li Yuan était le prince régent. »

Le matin du 22 octobre, alors que le président Jiang prenait le petit-déjeuner avec le président Chirac, il dit à ce dernier :

« J’ai vérifié hier soir et vous aviez raison, la dynastie des Sui a bien eu trois empereurs. Le troisième fut l’empereur Gongdi ».

<France Culture a invité Jean-Jacques Aillagon> ancien ministre de la Culture, sous la présidence de la République, qui a narré l’histoire suivante :

En 1991, Jean-Jacques Aillagon était directeur des affaires culturelles de la Mairie de Paris. Et se souvenant qu’en 1492, l’Europe découvrit l’Amérique, il envoya plusieurs fiches à Jacques Chirac pour lui proposer de créer un évènement culturel à Paris pour célébrer ce 500ème anniversaire. Le maire de Paris ne lui répondit pas, mais lui demanda de passer le voir :

« Ecoutez Aillagon, on ne va quand même pas célébrer le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique.

Nous autres européens, nous nous sommes comportés de façon ignoble.

Nous avons détruits des civilisations. Nous avons anéantis des peuples.

Nous avons importé nos maladies.

Nous avons fait croire que notre religion était meilleure que celle des peuples soumis.

Nous n’allons pas célébrer le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique, mais rendre hommage aux peuples pré colombiens, en particulier aux peuples des caraïbes les tainos arawaks.

Vous savez bien sur tout sur la civilisation des tainos arawaks. ?

Ma culture sur la civilisation des tainos et des arawaks était à l’époque très sommaire et je réponds « bien sûr » Monsieur le Maire

Si vous n’en savez pas assez, allez voir Jacques Kerchache et vous pourriez peut-être, lui confier le commissariat de cette exposition qui pourrait se dérouler au Petit Palais.»

Et cette <exposition> eu lieu au Petit Palais en 1992. Si vous suivez le lien que je vous donne vous entendrez même Jacques Chirac montrer son érudition et présenter des pièces de l’exposition.

Ce qu’il y a de grand dans ce « jardin secret » de Jacques Chirac, c’est son ouverture au monde et sa compréhension que l’Europe n’est ni seule, ni au centre du monde mais qu’il y avait d’autres civilisations tout aussi respectables, qu’il a étudié et qu’il s’est efforcé de connaître et d’approfondir.

Cela explique aussi peut-être, au-delà des contingences politiques, pourquoi il s’est opposé de suivre la « petite civilisation américaine » (en terme de profondeur historique) dans sa guerre à l’Irak, lieu de la Mésopotamie et de la civilisation islamique de Bagdad.

Jacques Chirac un antidote au choc des civilisations !

<1279>

Mardi 28 mai 2019

«La peur de l’immigration est une crise de la fraternité humaine»
François Gemenne

Récemment, nous avons eu une discussion sur l’immigration avec Annie. Peu de temps après, elle m’a tendu une revue et m’a dit : « tu devrais lire cet article ».

La revue Kaizen est un bimestriel fondé en 2012, entre autre, par Cyril Dion, l’auteur du film « Demain ».

Selon <Wikipedia> :

Le mot kaizen est la fusion des deux mots japonais kai et zen qui signifient respectivement « changement » et « meilleur » [ou « bon »]. La traduction française courante est « amélioration continue ». En fait, par extension, on veut signifier « analyser pour rendre meilleur ».

Dans cette <présentation> du magazine, les auteurs expliquent :

« L’humanité vit des heures décisives : dérèglements climatiques, épuisement des terres arables, disparition en masse des espèces et pollutions généralisées, crises économiques, sociales, financières. Et plus grave encore : abandon de l’être humain. Face à ce constat nous aurions toutes les raisons du monde de désespérer et pourtant, silencieusement, un nouveau monde est en marche : intelligent, sobre, mettant au premier rang de ses priorités l’épanouissement de la Vie sur notre planète. C’est à ce monde que nous choisissons de donner la parole, à ces personnes qui portent les (r)évolutions que nous attendons, courageusement… A ces initiatives pionnières qui, par leur simplicité et leur bon sens, nous offrent de nouveaux horizons, de véritables raisons de croire en l’avenir. Plus que tout, nous croyons qu’il ne peut y avoir de réelle métamorphose de nos sociétés sans un profond changement de ceux qui la constituent : NOUS. »

Avec Annie, nous achetons régulièrement des numéros de ce magazine qui souhaite « construire un autre monde pas à pas »

<Le numéro 38> de mai-juin 2018 contenait un dossier sur les migrants. Et dans ce dossier, l’article dont il est question ci-avant, donnait la parole à François Gemenne, membre du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui enseigne les politiques d’environnement et les migrations internationales à Sciences Po et à l’Université libre de Bruxelles.

Hier, le mot du jour évoquait l’attitude de femmes, dans le cadre d’une communauté éducative, qui confrontées au dénuement et à l’isolement d’une famille de migrants sénégalais ont agi, comme des humains dignes de leur humanité réagissent quand ils voient d’autres humains en souffrance.

Il n’était plus question de migrants, mais d’humains. Il n’était plus question de discours politiques mais de regards qui se croisaient et qui se comprenaient, il n’était plus question de quotas mais de détresse et d’aide.

En 1979, il y eut la crise des boat people d’Indochine. A l’époque la France a recueilli sur son territoire plus de 120 000 réfugiés vietnamiens et cambodgiens qui fuyaient les régimes communistes. Deux grands intellectuels Raymond Aron et Jean-Paul Sartre s’étaient levés pour défendre le principe de l’accueil. Ce moment avait fait l’objet du mot du jour du <28 avril 2015> qui avait rappelé cette phrase de Sartre :

« Parce que ce qui compte ici, c’est que ce sont des hommes, des hommes en danger de mort. »

François Gemenne dénonce des analyses émotives ou instrumentalisées sur la crise migratoire et replace le contexte actuel dans l’histoire des sociétés humaines et de leurs migrations.

Quand on lui parle d’une « crise des migrants », il répond :

« Plus qu’une crise, il y a la perception d’une crise. Si on regarde les chiffres bruts, il n’y a pas d’augmentation substantielle des migrations : le nombre de migrants internationaux reste stable, autour de 3 % de la population mondiale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant 1940, les chiffres étaient beaucoup plus importants, environ 6 à 10 %. La France a connu une lente augmentation : environ 220 000 titres de séjour sont accordés chaque année, chiffre globalement stable depuis quinze ans. Il n’y a donc ni explosion, ni invasion.

Par contre, il y a bien une crise de l’accueil, dans la mesure où les migrants arrivent aujourd’hui dans des conditions de plus en plus difficiles, avec des procédures de plus en plus inhumaines. C’est une crise politique, qui n’a rien à voir avec les flux migratoires. »

Il y a à l’évidence, une crise de l’accueil.

Les pouvoirs publics laissent faire. Je veux dire ; laissent les migrants s’installer dans des conditions d’hygiène indigne, souvent dans les quartiers populaires. Cette manière de faire conduit les habitants de ces quartiers à constater les nuisances de ces installations, constats qui conduisent à l’exaspération.

Est-ce cela qui est souhaité ?

L’accueil des immigrés n’a jamais été simple, particulièrement en France. L’immigration italienne, par exemple, a fait l’objet d’un rejet qui est allé jusque dans les plus grandes violences : <Le massacre des Italiens d’Aigues-Mortes des 16 et 17 août 1893> constitue un fait parmi d’autres.

Mais que dire, lorsqu’on laisse des dizaines ou des centaines de personnes s’entassaient dans des tentes sur des lieux non préparés à cet accueil, au milieu d’habitants qui pour certains puisent dans leur humanité pour aider au mieux mais qui pour la plupart sont effrayés, angoissés ou simplement désemparés.

En tout cas, si on souhaitait créer des tensions et un profond rejet à l’égard des migrants, on n’agirait pas autrement.

Lorsque le journaliste oppose à François Gemenne le fait que les procédures d’asile ont doublé en dix ans, selon les derniers chiffres officiels de l’Ofpra, avec plus de 100 000 demandes en 2017 dont à peine 30 % sont acceptées. Voici sa réponse :

« Il n’y a pas d’évolution linéaire des demandes d’asile : certaines années, il y en a beaucoup, d’autres très peu. Il y a eu un creux historique en 2007, ce qui explique que l’augmentation ait l’air spectaculaire sur dix ans, mais les chiffres étaient quasi identiques (65 000 demandes) entre 2004 et 2014, par exemple. Le nombre de demandes d’asile tient surtout à des conditions exogènes au pays d’accueil : les crises qui frappent certains pays, l’organisation des filières de passeurs qui privilégient telles régions, etc. L’asile reste un instrument humanitaire, cela ne doit pas être un outil de contrôle et de régulation : la France peut décider du nombre de titres de séjour qu’elle donne, pas du nombre de demandes d’asile auxquelles elle accède.

C’est bien là qu’il y a problème : comme on ne pense plus du tout une politique d’immigration, ceux qui veulent venir en France n’ont plus guère que l’asile comme moyen d’y parvenir. Cela crée un engorgement des procédures d’asile, et de l’accueil. Ce qui crée de l’injustice, car beaucoup de gens qui devraient pouvoir recevoir l’asile n’y parviennent plus. C’est comme cela qu’on dévoie l’outil qu’est l’asile. »

Il constate que désormais on n’aborde ce sujet des migrants que sous l’aspect émotionnel :

« Mais on n’aborde plus la situation migratoire que sous cet angle émotionnel, sur un registre de peur ou d’empathie, ce qui crée ce sentiment qu’il y a un problème à régler. On ne voit jamais les migrants dans des situations normales, en train de conduire leurs enfants à l’école ou de faire à manger en famille, car ce n’est pas un élément d’actualité. On continue de les voir comme un groupe social particulier plutôt que comme partie intégrante de la société. »

Il dénonce aussi l’opposition entre les réfugiés et les migrants économiques :

« Je suis né en Belgique et venu travailler en France : je suis donc un migrant, à Paris. Mais quand on parle des migrants dans les médias, on ne parle jamais de moi – ni de tous les chercheurs, cadres dans les multinationales ou époux de conjoint français. Pourquoi ? Probablement car je suis blanc et catholique. Le mot « migrant » est devenu un terme racialisé, qui désigne par-là les noirs, les Arabes et les musulmans. C’est comme cela qu’on en fait un thème qui va cristalliser un certain nombre d’angoisses, alors que c’était jadis un terme connoté très positivement : les migrants étaient des aventuriers, ceux qui avaient le courage de partir et de chercher une vie meilleure. D’ailleurs, en Afrique ou en Asie, cela reste un terme plutôt élogieux pour désigner ceux qui ont réussi à dépasser les difficultés en allant voir plus loin.

Mais en Europe, le terme a été complètement dévoyé depuis au moins trente ans pour être assimilé à une anomalie. Avec la crise des réfugiés syriens, face à la nécessité humanitaire de les accueillir, les gouvernements ont monté en épingle une vieille dichotomie entre d’un côté le « bon » migrant, qui serait le réfugié politique, persécuté dans son pays et dont la présence en Europe est de ce fait légitime, et de l’autre, le « mauvais » migrant, celui qui décide volontairement de migrer pour des raisons économiques et qu’il faut donc renvoyer chez lui. Comme si, pour renforcer l’acceptabilité sociale des réfugiés aux yeux de l’opinion publique, il fallait forcément le faire aux dépens des migrants. Alors qu’en réalité, les réfugiés sont simplement une catégorie particulière de migrants, nécessitant une protection particulière. »

Il explique pourquoi selon lui cette distinction « réfugiés », « migrants économiques » n’est plus pertinente :

« Parce qu’elle est héritée d’une histoire qui n’offre plus les bonnes lunettes pour comprendre le monde actuel. L’essentiel de notre régime politique et juridique sur les migrations vient de la Seconde Guerre mondiale : la Convention de Genève est créée en 1951 pour protéger les Juifs déplacés en Europe. Il y avait une condition de temps et d’espace. Par la suite, en 1967, un protocole additionnel ouvre le concept de réfugiés à des populations touchées par d’autres guerres ou violences, ailleurs, à la suite des crises de la décolonisation notamment. Mais on reste sur ce vieil instrument. Dans le même temps, les années 1950 et 1960 connaissent d’importantes migrations économiques : les pays du Nord – la France, la Belgique, l’Allemagne – achètent des travailleurs en Espagne, en Italie, au Maroc ou en Algérie pour aller dans les mines. Il y avait donc des parcours très linéaires et relativement simples : les réfugiés déplacés par les guerres, et […] les travailleurs invités qu’on faisait venir volontairement. Aujourd’hui, cela ne se passe plus du tout comme ça. Les flux sont complètement éclatés dans le temps, avec différents motifs de migrations qui s’imbriquent les uns dans les autres. Non seulement les gens ne bougent plus directement d’un pays vers un autre, puisqu’ils passent par toute une série de pays, mais en plus ils ne migrent plus pour un seul motif. Les raisons politiques, économiques et environnementales se mêlent les unes aux autres : l’environnement est devenu un enjeu géopolitique majeur, et les tensions économiques débouchent sur des crises politiques.

Le problème, c’est qu’on ne s’intéresse pas du tout aux parcours des migrants avant qu’ils n’embarquent sur un bateau en direction de l’Europe : on ne se rend pas compte qu’il y a des mois, parfois des années, d’errance à travers plusieurs pays. Souvent, le pays qui termine le parcours n’est pas celui qui était pensé comme destination finale, à l’origine. La plupart des migrants de la Corne de l’Afrique n’ont pas pour projet de terminer en Europe : ils quittent leur campagne pour trouver un boulot dans la ville la plus proche, mais n’en trouvant pas, ils franchissent la frontière pour aller dans le pays voisin, dans lequel ils tombent sous la coupe d’un gang de passeurs, qui leur ont fait miroiter un job en Libye, où ils finissent persécutés, réduits en esclavage, violentés ou torturés… […]. Cette distinction sur le motif des migrations n’a plus de sens aujourd’hui, c’est juste une façon, en Europe, de rationaliser un discours politique face à ce qui est perçu comme une crise insurmontable. Or non seulement cette catégorisation n’a guère de sens de manière empirique, mais elle pose toute une série de problèmes éthiques.

Prenons le cas de la population africaine : la moitié dépend de l’agriculture qui est sa principale source de revenus. Ça veut dire que toute variation de température ou de pluviométrie peut avoir une incidence considérable sur les récoltes et donc sur ses conditions de vie. Pour elle, l’environnement et l’économie, c’est la même chose ! En Europe, nos bulletins de salaire à la fin du mois ne dépendent quasiment plus du climat, mais on ne se rend pas compte que dans le reste du monde, les revenus restent directement affectés par les conditions environnementales. Et qu’à ce titre, un migrant économique est aussi souvent un migrant environnemental. […]

C’est l’histoire de la famille Joad que Steinbeck raconte dans Les Raisins de la colère. Dans les années 1930, la grande sécheresse appelée le « Dust bowl » en Oklahoma, en Arkansas et au Texas a poussé entre 200 000 et 300 000 personnes, essentiellement des paysans, à tout quitter pour aller vers la Californie. À l’époque, il n’y a rien en Californie, à part quelques chercheurs d’or. L’exode est un calvaire, les conditions sont extrêmement difficiles et les migrants sont très mal accueillis. Pourtant, si c’est devenu aujourd’hui l’État le plus prospère et le plus peuplé des États-Unis – et la 5e économie mondiale, devant la France ! – c’est à ce peuplement migratoire que la Californie doit cette richesse. »

Il considère qu’il serait illusoire de vouloir fixer les populations humaines :

« C’est à rebours de l’Histoire. Les flux migratoires sont comme le jour et la nuit : on peut éclairer les rues tant qu’on veut avec des projecteurs, on n’empêchera pas la nuit de succéder au jour. Idem, on peut mettre tous les barbelés et les garde-frontières du monde, l’immigration continuera d’exister. Cette idée qu’on ne contrôle pas les flux est très difficile à faire passer. […]

Les frontières sont devenues des totems symboliques. On reste encore pénétrés par cette idée que le degré d’ouverture détermine les flux migratoires mondiaux : si on ouvre, tout le monde va venir, si on ferme, plus personne ne viendra. C’est une méconnaissance totale de la réalité du projet migratoire : jamais un migrant ne va se décider à partir parce qu’une frontière est ouverte en Europe. Et à l’inverse, il ne renoncera pas parce qu’une frontière est fermée. »

Il prétend que « l’appel d’air » est un mythe :

«L’appel d’air est un concept d’extrême droite qui est entré dans le vocabulaire courant : toutes les recherches sont unanimes depuis des années pour affirmer que cela n’existe pas. Les conditions d’accueil et d’aides sociales ne déterminent absolument pas le pays de destination pour un migrant : personne ne vient à Calais parce qu’on y installe des douches… C’est une décision extrêmement difficile de migrer, ça implique de quitter sa famille, c’est aussi un investissement qui coûte très cher et c’est donc une possibilité qui s’offre à une toute petite minorité de la population mondiale.

Tout le monde ne veut pas venir ici, c’est une vision très eurocentrée. Quand on regarde un panorama mondial des flux migratoires, on n’a pas du tout cette impression de crise : il y a un certain équilibre entre les régions du monde, et la plupart des migrations africaines vont vers l’Afrique, et non vers l’Europe comme on se l’imagine souvent. Le plus grand flux d’émigration, il est du sud vers le sud – soit environ 35 % des migrations mondiales. D’ailleurs, un flux migratoire en forte augmentation ces dernières années, c’est celui du nord vers le sud – et non l’inverse. De plus en plus d’Européens pensent qu’ils vont avoir une meilleure vie s’ils migrent dans des pays africains ou asiatiques. Malgré tout, ce sentiment de crise et d’invasion est très vivace, en Europe. »

Sa conclusion est que la peur de l’immigration est nourrie par nos craintes devant notre identité collective et constitue une crise de la fraternité humaine :

«  L’immigration interroge des peurs autour de notre propre identité collective, ce qui définit le « nous » et ce qui définit l’autre, le « eux » – Sarkozy a très bien senti cela quand il crée un ministère de l’immigration et de l’identité nationale, en 2007. C’est pour cela qu’il y a une telle obsession autour des frontières actuellement, parce que c’est le moyen de marquer concrètement, sur le territoire, le « nous » et le « eux ». Il y a une logique de repli où chacun voudrait être une petite Grande-Bretagne, à gérer ses propres affaires sur son territoire, sans prendre en compte l’impact que cela a partout dans le monde. C’est pour ça que l’enjeu environnemental rejoint directement celui des migrations. Cette crise de l’identité collective est une crise du cosmopolitisme, dans laquelle on n’arrive plus à se penser comme des humains habitant la même planète. C’est une crise de la fraternité humaine. »

Voilà ce que dit et écrit François Gemenne.

Cependant comme je l’écrivais ci-avant, l’immigration et l’accueil des immigrants n’ont jamais été simples. En plus, aujourd’hui, s’il n’y a pas de crise de l’immigration, il y a au moins une crise de notre État social.

Nos gouvernants ne cessent de marteler que notre État social coûte trop cher. Alors même si dans les faits, il peut être affirmé que l’immigration ne coûte quasi rien à notre État social, comment ne pas comprendre que cette crainte d’un coût excessif puisse exister.

Il y a aussi une crise de notre société, crise du chômage et crise de l’intégration, crise de la fragmentation de notre société. Toutes difficultés qui augmentent la crainte d’accueillir.

La thèse d’ouvrir totalement les frontières comme le préconise François Gemenne me pose question. La vieille formule de Michel Rocard : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit prendre sa part », ne serait-elle pas plus appropriée ?

C’est pourquoi la manière dont on traite aujourd’hui les migrants qui sont sur notre territoire est indigne et ne règle en rien le problème. Sur ce point comme sur d’autres, je rejoins François Gemenne.

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Jeudi 23 mai 2019

« Les européennes»
Élections auxquelles nous sommes appelés dimanche prochain

Hier soir, je n’avais pas de mot du jour pour ce jeudi et j’ai commis l’erreur de vouloir regarder le débat des européennes sur la 2.

Je crois que ce chat, au moment de la photo, était en train de regarder quelque chose d’analogue.

En tout cas, ce débat ne m’a donné aucune inspiration d’un mot du jour.

Alors je me retourne vers un article des Echos : « tout savoir sur le scrutin en 7 points »

On apprend que  400 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, et c’est ainsi la deuxième plus grande élection au monde après l’Inde en nombre d’électeurs.

On parle bien sûr des démocraties, la Chine ne joue pas dans cette cour.

Ce scrutin est le neuvième de l’Histoire de l’Union européenne.

Dans tous les pays, les eurodéputés sont élus à la proportionnelle sur un scrutin de liste.

Dans beaucoup de pays c’est la règle pour les principales élections. Mais pas en France où nous connaissons surtout le scrutin majoritaire à 2 tours. Ni en Grande Bretagne où le scrutin majoritaire à 1 tour constitue la règle.

Ce qui signifie donc que nous français sommes assez mal préparés à ce type de scrutin.

Nous avons un système que j’ai déjà décrit au moment des dernières élections présidentielles, qui par la combinaison de trois éléments : le scrutin majoritaire à 2 tours, l’omnipotence du président de la république et l’ordre des élections, c’est-à-dire d’abord l’élection présidentielle puis l’élection législative réalise ce tour de passe-passe qu’un parti qui représente 24% des voix peut obtenir un pouvoir majoritaire qui n’a besoin de tenir nul compte des 76 % du reste du pays.

Ce n’est absolument pas envisageable dans le cadre d’un scrutin proportionnel qui oblige à des alliances et à des compromis avec d’autres partis.

C’est pourquoi la notion de « vote utile » (pour éviter un second tour dont on ne veut pas) ou la compétition pour savoir quelle est la liste qui arrive en tête, alors que les deux premières listes selon les derniers sondages devraient obtenir à une unité près le même nombre de députés, n’a pas beaucoup de sens.

Il pourrait cependant être question de vote utile si l’on considère que le vote devient inutile s’il n’y a pas de doute qu’aucun parlementaire ne sera élu sur la liste sur laquelle il s’est porté. Ainsi en France, il faut 5% des votes exprimés pour avoir des parlementaires.

Le journal des Echos publie une carte qui montre que si la France n’est pas la seule à donner ce seuil d’autres pays ont des seuils plus faibles. Et l’Allemagne, le Danemark, les Pays-bas, l’Espagne et le Portugal ne disposent d’aucun seuil.


En France, nous voterons le dimanche 26 mai, comme 20 autres pays.

Mais certains peuples voteront avant, les Pays bas et le Royaume Uni commenceront aujourd’hui le jeudi 23 mai. Le 24 mai viendront le tour de la République Tchèque et de l’Irlande. Le 25 mai ce sera la Slovaquie et quelques autres.

On apprend aussi que seule l’Estonie permet de voter en ligne.

Parmi les autres informations que m’a apportées cet article j’ai appris que si la France et quatorze autres pays permettent à des candidats ayant 18 ans à se présenter, il faut avoir 25 ans en Grèce et en Italie.

Le Parlement compte aujourd’hui 751 sièges, qui ont été répartis selon un principe de proportionnalité dégressive, selon la population des pays. Mais les plus petits pays ont été favorisés afin de ne pas être représentés par moins de 6 élus.

« Le Brexit, lorsqu’il aura lieu (s’il a bien lieu), va modifier cette répartition. Exit les 73 sièges alloués au Royaume-Uni : 27 d’entre eux seront redistribués à 14 pays pour refléter des changements démographiques. Les 46 autres sièges seront gardés en réserve en cas d’intégration de nouveaux pays dans l’UE.

Et en attendant le Brexit, ces 27 sièges redistribués seront donc alloués à des députés… en suspens . Ces derniers seront bien élus mais ils ne pourront occuper leur siège que lors du départ de leur prédécesseur britannique. »

Le plus important reste cependant que pour agir au Parlement européen il faut appartenir à un groupe politique. . Pour former un groupe, il faut compter au moins 25 membres, qui ont été élus dans au minimum sept pays. C’est ce qui a longtemps posé problème au Front National qui a su coaliser 25 membres pour un groupe mais pas dans 7 pays.

Depuis longtemps c’est la coalition du Parti populaire européen (PPE), de droite, et du Parti Socialiste européen (PSE) de gauche qui a dirigé le parlement.

Le PPE est le lieu d’accueil du CDU-CSU allemand et des RPR, UMP, les républicains français, mais non des conservateurs anglais. Le PSE dont le nom de groupe est « Alliance progressistes et démocrates » accueille le PS français, le SPD allemand et les autres partis socialistes européens.

Un autre schéma publié par les Echos présente le Parlement actuel.


A priori les élus macronistes auraient l’intention de siéger avec l’Alliance démocrates et libéraux.

On constate tout de suite la modestie du positionnement.

Cela n’a rien à voir avec la 5ème République.

On constate ainsi mieux pourquoi le fait de savoir qui de LREM ou de RN recueille 1 % de plus que l’autre est dérisoire. Ce n’est pas ainsi que la France pourra influer sur le Parlement européen.

Le Point a publié un article : <Pourquoi la France a déjà perdu les européennes>

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Jeudi 2 mai 2019

« Le 1er mai, la fête du travail, Pétain et le muguet »
Essai de faire le point historique sur les références et les coutumes du 1er mai

Sur la plupart des calendriers, vous voyez écrit à la date du 1er mai : « Fête du travail »

D’ailleurs notre Président de la République a accueilli, hier à l’Elysée, pour a priori fêter le travail, 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs. Le journal « La Croix » nous informe :

« Dans un quartier de l’Elysée bouclé par crainte des « black blocs », Emmanuel Macron a invité mercredi 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs pour la traditionnelle remise du muguet, autour d’un somptueux buffet.

« Je suis heureux de vous recevoir ici, avec Brigitte, parce que c’est une tradition de remettre le muguet et il est bon, dans les temps où les choses changent, que les traditions qui ont un sens, un symbole, soient tenues. En tout cas, j’y tiens », a déclaré le président de la République, devant l’assemblée réunie dans la salle des fêtes. »

Et puis il a dit autre chose et que pour que l’écho de ses propos dépasse la salle des fêtes de l’Elysée, il a tweeté la même phrase dite devant les 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs :

« Le #1erMai est la fête de toutes celles et ceux qui aiment le travail, le chérissent, parce qu’ils produisent, parce qu’ils forment, parce qu’ils savent que par le travail nous construisons l’avenir. Merci de porter ces valeurs et d’œuvrer chaque jour pour notre Nation.

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 1, 2019 »

Ce tweet n’a pas convaincu Libération qui a répondu par un article courroucé : « 1er mai : Macron confond «fête du travail» et «fête des travailleurs» »

Et puis mon fils m’avait raconté que la fête du travail était célébrée au Canada en septembre.

Et enfin, on offre du muguet le 1er mai, ou plutôt certains le vendent et d’autres l’achètent. Je me souviens que lorsque nous habitions à Montreuil, une voisine venait sonner à notre porte, le 1er mai, pour nous vendre un brin de muguet au profit du Parti communiste français. D’où vient cette tradition ? C’est aussi la question que se pose RTL sur son site : «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? »

Bref, il m’a semblé important de faire le point sur ces différentes coutumes, célébrations et de revenir à l’Histoire.

Et l’histoire commence le 1er mai 1886 aux Etats-Unis où des ouvriers réclament la journée de travail de huit heures. A l’appel du syndicat qui avait pour nom : «  l’American Federation of Labor », 350 000 travailleurs débrayent aux États-Unis pour cette revendication de la journée de travail de huit heures. Cette journée va conduire à un évènement que l’Histoire retiendra sous le nom de « Le massacre de Haymarket Square » à Chicago.

Wikipedia nous donne ces informations :

« Tout commence lors du rassemblement du 1er mai 1886 à l’usine McCormick de Chicago. Il s’intégrait dans la revendication pour la journée de huit heures de travail quotidien, pour laquelle une grève générale mobilisant 340 000 travailleurs avait été lancée. August Spies, militant anarchiste, est le dernier à prendre la parole devant la foule des manifestants. Au moment où la foule se disperse, 200 policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y a un mort et une dizaine de blessés. Spies rédige alors dans le journal Arbeiter Zeitung un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière, qui se tient le 4 mai. Ce rassemblement se voulait avant tout pacifiste. Un appel dans le journal The Alarm appelait les travailleurs à venir armés, mais dans un seul but d’autodéfense, pour empêcher des carnages comme il s’en était produit lors de bien d’autres grèves.

Le jour venu, Spies, ainsi que deux autres anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden, prennent la parole. Le maire de Chicago, Carter Harrison, assiste aussi au rassemblement. Lorsque la manifestation s’achève, Harrison, convaincu que rien ne va se passer, appelle le chef de la police, l’inspecteur John Bonfield, pour qu’il renvoie chez eux les policiers postés à proximité. Il est 10 heures du soir, les manifestants se dispersent, il n’en reste plus que quelques centaines dans Haymarket Square, quand 180 policiers de Chicago chargent la foule encore présente. Quelqu’un jette une bombe sur la masse de policiers, en tuant un sur le coup. Dans le chaos qui en résulte, sept agents sont tués, et les préjudices subis par la foule élevés, la police ayant « tiré pour tuer ». L’événement devait stigmatiser à jamais le mouvement anarchiste comme violent et faire de Chicago un point chaud des luttes sociales de la planète. On soupçonne l’agence de détectives privés Pinkerton de s’être introduite dans le rassemblement pour le perturber, comme elle avait l’habitude de le faire contre les mouvements ouvriers, engagée par les barons de l’industrie.

Après l’attentat, sept hommes sont arrêtés, accusés des meurtres de Haymarket. August Spies, George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième nom s’ajoute à la liste quand Albert Parsons se livre à la police.

[…]

Le 19 août, tous sont condamnés à mort, à l’exception d’Oscar Neebe qui écope de 15 ans de prison. Un vaste mouvement de protestation international se déclenche. Les peines de mort de Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden sont commuées en prison à perpétuité (ils seront tous les trois graciés le 26 juin 1893). Louis Lingg se suicide en prison. Quant à August Spies, George Engel, Adolph Fischer et Albert Parsons, ils sont pendus le 11 novembre 1887. Les capitaines d’industrie purent assister à la pendaison par invitation. Ils seront réhabilités par la justice en 1893.

Le gouverneur de l’Illinois John Peter Altgeld déclara que le climat de répression brutale instauré depuis plus d’un an par l’officier John Bonfield était à l’origine de la tragédie :

Alors que certains hommes se résignent à recevoir des coups de matraque et voir leurs frères se faire abattre, il en est d’autres qui se révolteront et nourriront une haine qui les poussera à se venger, et les événements qui ont précédé la tragédie de Haymarket indiquent que la bombe a été lancée par quelqu’un qui, de son propre chef, cherchait simplement à se venger personnellement d’avoir été matraqué, et que le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police. »

L’évènement connut une intense réaction internationale et fit l’objet de manifestation dans la plupart des capitales européennes.

George Bernard Shaw déclara à cette occasion : « Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu’il s’agisse des huit juges de la Cour suprême de l’Illinois »

Et en 1889, la deuxième Internationale ouvrière ou Internationale socialiste décide d’adopter le 1er mai comme la journée internationale de revendication des travailleurs.

2 ans plus tard, lors de cette journée de revendication, en France, le 1er mai 1891, à Fourmies (Nord), la troupe tire sur les grévistes. Le bilan est de neuf morts et de 35 blessés. Bien que les forces de l’ordre aient été mises en cause, neuf manifestants furent condamnés pour entrave à la liberté de travail, outrage et violence à agent et rébellion, à des peines de prison de deux à quatre mois fermes. On appellera cet évènement : « la fusillade de Fourmies »

Nous sommes assez loin de la célébration de ceux qui « chérissent le travail » mais plutôt dans la revendication de celles et ceux qui sont exploités et qui réclament des droits pour les travailleurs. Il paraît donc légitime de parler de « la journée internationale des travailleurs. »

Mais alors pourquoi parle t’on de la fête du travail ?

La fête du travail a une autre origine et qui est plutôt nationale. En pratique on a donné, en Europe, ce nom à plusieurs fêtes qui furent instituées à partir du XVIIIe siècle pour célébrer les réalisations des travailleurs. Vous pourrez en savoir davantage derrière ce <Lien>.

Et pour confondre les deux, il a fallu le régime de Vichy et Pétain qui vont fixer la fête du travail qui sera chômée au 1er mai. Rappelons que la devise de ce régime était : « Travail, Famille, Patrie ». Le travail remplace la « Liberté » et la Famille l’« Egalité » de la République.

C’est une Loi d’avril 1941 qui créa la « Fête du travail et de la concorde sociale » le 1er mai.

Et ceci permet de résoudre l’énigme de mon fils, au Canada comme aux Etats-Unis, on ne confond pas ces deux jours et si la journée internationale des travailleurs est bien célébrée le 1er mai, c’est la fête du travail qui a lieu en septembre. Et… seule la seconde est chômée, selon ce que j’ai compris.

Et le muguet du 1er mai ? C’est encore Pétain !

On trouve sur Internet cette affiche d’époque.

Sur la page du site de RTL «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? » on apprend que : un Noble dont on conserve la mémoire en raison de son geste d’avoir offert un brin de muguet au roi de France Charles IX, est à l’origine de cette tradition d’offrir du muguet. Il a pour nom Chevalier Louis de Girard de Maisonforte.

En 1561, Charles IX qui régnera de 1560 à 1574, séduit par cette pratique, officialisera la tradition d’offrir un brin de muguet chaque printemps aux dames de sa cour.

Au printemps pas précisément le 1er mai.

RTL donne la parole à Mathilde Larrere, présentée comme historienne des révolutions et de la citoyenneté :

« L’imposer comme fleur du 1er mai, c’est bien Pétain. »

Le 1er mai des ouvriers, après, la répression sanglante de Fourmies avait fait de l’églantine écarlate, la fleur emblématique du mouvement, en mémoire au sang versé. Elle raconte :

« C’est à ce moment que le 1er mai devient « la Fête du travail et de la concorde sociale » et le maréchal Pétain impose alors le muguet pour remplacer l’églantine « trop prolétarienne, trop rouge, trop révolutionnaire » »

La page citée rappelle que :

« Le muguet n’est pas forcément le meilleur cadeau à offrir au niveau de la santé. En effet, en plus d’être issu d’une tradition vichyste, le muguet peut être toxique.

Le poison se trouve dans la tige et les feuilles, pas dans les fleurs. Le pire, ce sont les petites boules rouges : les fruits du muguet qui viennent après les fleurs. La substance dangereuse s’appelle la convallarine.

Elle ralentit le rythme cardiaque »

En réalité il y a trois toxines dans le muguet :

  • la convallatoxine
  • la convallarine
  • la convallamarine).

Pétain était aussi toxique que le muguet.

Et notre président n’avait pas tort, contrairement à ce que dit « Libération », simplement il ne se référait pas à la journée internationale des travailleurs, mais à la « vraie » Fête du travail, qui est autre chose.

Les références auxquelles on se rapporte disent beaucoup de nos priorités…

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Mardi 30 avril 2019

«On est passé de 2000 prénoms en 1945 à 13.000 aujourd’hui »
Jérôme Fourquet

Le mot du jour d’hier était consacré au livre de Jérôme Fourquet sur l’« archipelisation française », c’est-à-dire la division de la France en divers ilots de population. Une grande partie de son ouvrage a été consacrée à l’évolution des prénoms qui sont donnés. Il s’agit aussi d’un marqueur de l’évolution des segmentations.

Le point fondamental de l’étude de Jérôme Fourquet montre l’individualisation des choix. Le marqueur le plus simple et le plus évident est constitué par l’évolution du nombre de prénoms différents donnés aux enfants qui viennent de naitre au cour d’une année.

On est passé ainsi de 2 000 prénoms dans les années 60 à 13 000 aujourd’hui, une augmentation de 650 %.

Toutefois ce que beaucoup de médias ont retenu, en premier, de l’étude de Jérôme Fourquet, c’est qu’il y a désormais 18% de prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés.

La Une du Point, par exemple, considère que c’est le premier bouleversement.

Ce qui n’est objectivement pas le cas.

Le bouleversement, c’est que les familles d’origine chrétienne ne donnent plus à leur fille, prioritairement le prénom de Marie. Il y a des exceptions que je connais, mais aujourd’hui moins de 1% des filles reçoivent le nom de la mère de Jésus, 0,3% en 2015. En 1900, 20% des filles s’appelaient Marie. Le même phénomène peut être observé chez les garçons pour Jean.

C’est un signe fort de la déchristianisation qui est un développement important de l’ouvrage de Fourquet comme cela a été relaté dans le mot d’hier.

Mais plus largement, l’auteur constate que grosso modo la France a fonctionné de 1900 à 1960 avec un stock de 2 000 prénoms puis il y a eu explosion de l’inventivité, de la créativité des parents qui ont amené ce chiffre à 13 000.

Alors si on veut parler des prénoms « arabo-musulmans », il explique que si dans les années 1960, on est à moins de 1% de prénoms d’origine arabo-musulmane, on est à plus de 18 % sur les dernières années. Et lorsque que Jérôme Fourquet compare la vague migratoire actuelle avec d’autres vagues de l’Histoire de France comme celles des familles polonaises, il note une différence de pratiques :

« Les familles polonaises, pendant une génération, ont donné des prénoms polonais à leurs enfants, puis ce phénomène s’est éteint et ces familles se sont fondues dans le catalogue « commun » des prénoms. ».

Par ailleurs, il constate que ces prénoms sont particulièrement donnés par des personnes qui se rattachent à l’immigration.

Il y a eu une mode, en France, dans les années 90 de donner des prénoms anglais à des enfants de familles françaises depuis plusieurs générations, il semble qu’il n’existe pas une telle mode pour les prénoms arabo-musulmans.

Jérôme Fourquet écrit :

« On peut faire l’hypothèse, au regard des prénoms qui sont donnés, on a un processus moins rapide et beaucoup plus difficile que pour beaucoup d’autres vagues migratoires. Et en même temps on constate que toute une partie de cette immigration a pris l’ascenseur social et est aujourd’hui totalement intégrée. »

Lors d’une des émissions que j’ai écoutée, il a souligné que ces prénoms sont donnés alors même que les familles savent que ces prénoms conduisent à ce que leurs enfants soient soumis à des discriminations dans la société française.

Et il compare cette attitude avec celle des enfants issus de l’immigration asiatique qui donne très fréquemment un prénom « occidental » public à leurs enfants, alors que dans le lieu privé de la famille ils utilisent un prénom conforme aux traditions de leurs ancêtres. Tel ne semble pas être la pratique des familles musulmanes issues de l’immigration.

Mais je me souviens de ce qu’a raconté le grand violoniste « Yehudi Menuhin », sa mère l’avait prénommé « Yehudi » pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur ses origines juives, alors même qu’elle connaissait les ravages de l’antisémitisme.

Mais chez Guillaume Erner, Jérôme Fourquet avait dit :

« Ces prénoms (issus des immigrations turques, subsahariennes ou maghrébines) ne présagent en rien du degré d’intégration ou de patriotisme des personnes qui les portent ou les donnent. Rappelons que le policier qui est mort devant Charlie Hebdo s’appelle Ahmed Merabet, tout comme les trois premières victimes de Mohamed Merah étaient des parachutistes français issus de l’immigration. »

Il a dit aussi :

« Le choix d’un prénom doit permettre d’affirmer sa ressemblance avec ceux auxquels on s’identifie ou dont on souhaite se rapprocher et en même temps de marquer ses distances avec ceux dont on souhaite se distinguer. C’est un choix éminemment personnel, [avec des facteurs qui sont aussi] du registre de la transmission (ancêtres, prénoms régionaux…). »

Il n’en reste pas moins que le phénomène principal est celui de l’individualisme, de la volonté des parents de chercher à donner un prénom original, certains le voudraient unique. Parfois, ils arrivent à donner un prénom rare donné 2 ou 3 fois dans une année.

<Cet article de la Dépêche> évoque aussi l’évolution des prénoms et notamment le phénomène des « prénoms rares » que la sociologie attribue aux prénoms donnés moins de 20 fois dans une année.

Il y aussi cet article de Wikipedia qui donne le prénom le plus donné depuis 1946 par région française. Il s’arrête en 2015.

On apprend ainsi que pour toute la France et les prénoms masculins :

  • Les années 1946 à 1958 fut le règne exclusif de Jean
  • Puis de 1959 à 1966 ce fut Philippe détrôné cependant en 1965 par Thierry
  • De 2011 à 2014 ce fut Lucas et en 2015 Gabriel

Mais on constate que la prééminence d’un prénom reste le plus souvent plusieurs années de suite Christophe (1967 à 1973), Sébastien (1975 à 1979), Nicolas (1980 à 1982), Julien (1983 à 1988), Kevin (1989 à 1994) avec retour de Nicolas en 1995, puis Thomas, Lucas, Enzo et à nouveau Lucas.

Et pour les prénoms féminins :

  • Parallèlement à Jean, ce fut Marie de 1946 à 1958
  • Brigitte en 1959
  • Catherine en 1960
  • Sylvie de 1961 à 1964
  • Nathalie de 1965 à 1971
  • Sandrine de 1972 à 1973
  • Stéphanie de 1974 à 1977
  • Céline de 1978 à 1981
  • Aurélie de 1982 à 1986
  • Julie en 1987

Puis Élodie (1988 à 1990), Marine (1991), Laura (1992 à 1994), Manon (1995 à 1996), Léa (1997 à 2004), Emma (2005 à 2013), Louise (2014 à 2015).

J’avais déjà consacré un mot du jour au prénom : « Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. ». C’était le 26 octobre 2018.

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