Vendredi 15 mai 2020

«Ces nouveaux malnutris [issus du COVID-19] viendront s’ajouter aux 820 millions de personnes souffrant déjà de faim, soit un Terrien sur neuf.»
Le rapport sur la nutrition mondiale

Je continuerai à décliner les entretiens du livre « Comprendre le Monde » la semaine prochaine.

Aujourd’hui je souhaite partager un article du Monde, publié le 12 mai : « Après la pandémie, une grave crise alimentaire menace au nord comme au sud »

Dans sa <Revue de Presse> Claude Askolovitch présente cet article ainsi :

« On parle de grains de riz…

Des grains de riz en tas pas bien haut pas bien larges, que vous voyez dans le Monde, dans une série de photos très belles et sombres, toutes composées de la même manière, d’un côté donc un tas de riz, quelques patates, des oignons et en face des êtres humains à la peau sombre et aux traits fins, qui portent des masques et pour les femmes des tissus colorés recouvrant les cheveux, un homme en chemise souffle la fumée de sa cigarette autour de sa compagne, des enfants s’accrochent à leurs mères: ce sont des habitants du bidonville de Korail à Dacca, capitale du Bengladesh, qui travaillaient avant la pandémie du Covid 19 et qui ne travaillent plus, et que l’on voit à côté de leurs réserves de nourritures pour les jours à venir…

Et par ces photos du grand documentariste Mohamed Rakibul Hasan vous comprenez ce ce qu’est le dénuement alimentaire, et ensuite vous pouvez lire sur le site du Monde l’article factuel que ces photos accompagnent, sur la crise alimentaire mondiale qui s’aggrave: nous étions avant le virus une planète où 820 millions de personnes souffraient de la faim, on rajoutera à la foule des mal-nourris 14 millions de personnes, ou 38, ou même 80, tout dépendra de l’ampleur de la récession…

Les récoltes de pomme de terre pourrissent dans des hangars en Guinée, des étudiants vivent des soupes populaires en France, on fait la queue à Genève pour un repas de charité et des enfants grandissent anémiés et leurs enfants le seront… C’est donc dans le Monde, quand sort aujourd’hui un rapport sur la malnutrition mondiale.

Vous lirez aussi sur les sites du Point et de la Vie des reportages sur cette faim qui enserre nos, villes, que contiennent des bénévoles qui sont un ultime recours… Dans la Vie parle Odile, qui a trois enfants: avant la maladie dit-elle, il y avait toujours moyen de s’en sortir, en glanant à la fin des marchés ou en faisant des petits boulots, maintenant ce n’est plus possible… Elle pourrait aussi bien vivre au Bengladesh mais elle est de Nanterre. »

L’article du Monde est écrit par la journaliste Mathilde Gérard. Elle écrit :

« Dans tous les pays frappés par la pandémie de Covid-19, des plus riches aux plus pauvres, la malnutrition a gagné de nouvelles populations. Les rues de Genève, l’une des villes les plus fortunées du monde, ont vu se former, chaque samedi, des files de plusieurs centaines de mètres pour recevoir des paniers alimentaires. Partout, la crise, dont on est loin encore de mesurer l’ampleur finale, pourrait faire basculer dans la faim des dizaines de millions de personnes. L’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) a calculé qu’elles seraient 14,4 millions à rejoindre les rangs de la sous-alimentation en cas de récession globale de 2 %, 38,2 millions si la contraction atteint 5 %, et jusqu’à 80,3 millions pour un repli de 10 % – le recul est pour l’heure estimé à 3 % en 2020. Ces nouveaux malnutris viendront s’ajouter aux 820 millions de personnes souffrant déjà de faim, soit un Terrien sur neuf. »

Cet article s’appuie sur <Le rapport sur la nutrition mondiale> publié mardi 12 mai. Publication, lancée en 2013 par plusieurs dizaines de parties prenantes (experts en nutrition, membres d’agences internationales, représentants du secteur privé et de la société civile, donateurs) et qui dresse un état des lieux des indicateurs de nutrition.

Le confinement imposé à une partie de la planète va probablement conduire à une aggravation de ces indicateurs en dépit de très bonnes récoltes agricoles cette année.

Cet article assez long montre la situation préoccupante notamment dans les pays pauvres mais pas seulement.

La conclusion rappelle que ce que nous vivons n’est pas qu’une crise sanitaire et bien rapidement ne sera plus essentiellement une crise sanitaire :

« A long terme, les effets de cette malnutrition s’annoncent dévastateurs. « Chaque pourcentage de recul du PIB entraîne une hausse de 0,7 million d’enfants en retard de croissance. Et ces enfants vont eux-mêmes donner naissance à une nouvelle génération d’enfants en retard de croissance », note Gerda Verburg, ancienne ministre de l’agriculture des Pays-Bas et coordinatrice du mouvement pour le renforcement de la nutrition (SUN, qui regroupe des dizaines d’Etats, représentants de la société civile, donateurs et secteur privé).

La faim ne sera pas la seule conséquence de la pandémie sur l’alimentation. La récession va durablement affecter les régimes des plus vulnérables, faisant craindre une hausse des pathologies liées à l’alimentation. « Les populations vont rediriger leurs achats de denrées vers des aliments plus abordables ou disponibles, mais moins diversifiés et nutritifs, souligne Valentin Brochard. On risque d’avoir une augmentation des taux de sous-nutrition et des carences en vitamines et micronutriments. »

Dans ce contexte, la crise alimentaire qui sévit appelle une réponse globale et coordonnée. Gerda Verburg met en garde contre un « contrecoup massif », car « l’attention est encore trop sur la question purement sanitaire et pas assez inclusive. Nos systèmes de production actuels créent non seulement de la sous-nutrition mais aussi de l’obésité. Nous ne pouvons pas les laisser détruire la santé humaine et le bien-être de notre planète ». Pour Nicolas Bricas, l’enjeu sera de ne pas occulter les objectifs de long terme : « On ne va pas échapper à une gestion de l’urgence. L’explosion de la demande d’aide alimentaire est une difficulté qui se voit. En revanche, on peut craindre qu’on passe sous silence les urgences environnementales. Il y a déjà une forte pression des acteurs économiques pour alléger leurs contraintes en la matière. »

Il y a aussi sur ce sujet une publication de l’ONU Covid-19 :  « le nombre de gens confrontés à une crise alimentaire doublera en l’absence de mesures rapides »

Et je redonne le lien vers l’article du Monde : « Après la pandémie, une grave crise alimentaire menace au nord comme au sud »

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Vendredi 22 novembre 2019

« Les raisins de la misère »
Ixchel Delaporte

Hier, jeudi 21 novembre nous étions le troisième jeudi de novembre. C’est-à-dire la date à laquelle le beaujolais nouveau est mis en vente dans le monde entier.

Habitant Lyon, une sorte de règle déontologique m’interdit d’en dire du mal.

J’attends l’inspiration qui me permettra d’en dire du bien pour écrire un mot du jour consacré à ce phénomène et à cette passion japonaise.

Habitant Lyon, il ne m’est pas interdit de parler du vignoble de Bordeaux, de manière critique.

Au départ, il y a une jeune journaliste à l’Humanité, Ixchel Delaporte, qui découvre, en 2014,une note de l’INSEE, la note 194, qui détecte un « couloir de la pauvreté » dans le bordelais

Ixchel Delaporte raconte cette découverte et ce qu’elle en fit dans un entretien à <Rue 89 Bordeaux> :

«  C’était en 2014, je travaillais sur la pauvreté. Je suis tombée sur la note 194 de l’INSEE, publiée en 2011. Elle était assez impressionnante car elle détectait le fameux « couloir de la pauvreté » […]. C’était assez surprenant de voir ce liseré qui entourait une zone assez précise : elle part du Nord Médoc, passe par la Haute-Gironde, Blaye, contourne l’agglomération de Bordeaux et redescend ensuite du coté de Libourne, embrasse l’Entre-deux-Mers, Saint-Emilion, Sauternes, jusqu’à se refermer du côté de Marmande et Villeneuve-sur-Lot. Une cartographie de la pauvreté extrêmement bien délimitée, je n’avais jamais vu ça nulle part. Je suis partie à la rencontre des gens pour comprendre d’où venait cette pauvreté. […].

La première fois que je suis partie, c’était purement dans l’optique d’un reportage sur le couloir de la pauvreté.

Le sujet est resté dans mon esprit. Cela m’avait surprise sur place de voir la beauté des territoires, certains lieux très charmants et touristiques, des vignes très belles, des châteaux viticoles… Après coup, en rentrant, j’ai commencé à regarder la carte des appellations d’origine contrôlée, les zones considérées comme importantes au niveau viticole.

Petit à petit j’ai commencé à faire le lien entre ces deux cartes, celle de la pauvreté et celle des vins et des grands crus. Et j’ai compris qu’il y avait un lien clair et net.

[…] On me demande souvent si j’ai voulu participer au « Bordeaux bashing ». Le problème c’est que je ne connaissais pas le bordelais. Je ne suis pas amatrice de vin, je ne connaissais pas cette région, pour moi c’était une campagne comme une autre. Mais à chaque fois que je croisais des gens, ils avaient un lien avec la vigne. Ils ramenaient toujours leurs récits à elle, au fait que c’était un travail difficile, subi. Beaucoup de jeunes me disaient : « Je sais qu’il y a la vigne, mais je ne veux pas y aller parce que mon père est malade, ma mère a le dos cassé, ma tante a un cancer… ». À chaque fois quelque chose de très négatif. »

Au bout de son enquête, elle écrit un livre publié en octobre 2018 : « Les raisins de la misère » aux éditions Rouergue.

Les vignobles nécessitent des travailleurs saisonniers et intermittents travailleurs précaires. Bordeaux n’est pas seul dans ce cas, souvent les saisonniers sont mal traités. Mais à Bordeaux, c’est plus flagrant parce que la misère côtoie l’arrogance de la richesse.

L’éditeur présente le livre ainsi :

« De la pointe Nord du Médoc jusqu’à Agen, se concentre un fort taux de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, travailleurs saisonniers, mères célibataires, familles tziganes, retraités aux pensions minimales… Sur cet arc long de deux cent quarante kilomètres et large de quarante, cohabitent deux mondes, celui des châteaux aux noms prestigieux, Pauillac, Saint-Emilion, Sauternes, et une France invisible, celle des petits boulots, des habitats dégradés, des maladies professionnelles, du chômage, qu’on croit réservée aux régions du Nord ou des banlieues urbaines. ».

L’auteur ajoute dans l’article précité :

« De ce point de vue-là, il n’y a pas grand-chose qui puisse ressembler au bordelais ailleurs en France. »

La misère, omniprésente dans le « couloir de la pauvreté » est multiple :

«  On a affaire à beaucoup de familles monoparentales, de mamans seules qui se retrouvent en grande difficulté. Leur grand problème c’est l’impossibilité de travailler, car il faut faire garder les enfants. Elles commencent à travailler dans la vendange ou les petites façons (les travaux viticoles de base). Évidemment ce sont des horaires très contraignants et saisonniers. Donc elles se retrouvent (et ce n’est pas propre à ce territoire) à mettre l’ensemble de leur salaire dans la garde des enfants. Au bout d’un moment, ce système ne fonctionne pas, donc elles arrêtent de travailler et se retrouvent au RSA, quelques centaines d’euros par mois, ce qui ne permet pas de vivre. […]

[Les étrangers] incarnent un autre type de pauvreté. Je les ai retrouvés dans toutes les villes. Il y a ceux qui viennent avec leur famille, surtout des Marocains qui étaient venus en Espagne et sont remonté suite à la crise. Ces familles-là sont en situation de très grande précarité, parfois sans papiers, en très grande angoisse, la peur de se faire renvoyer au Maroc où ils n’ont souvent plus d’attache. Ils sont dans la pire situation : ils ne touchent aucune aide, paient des loyers très chers dans des taudis insalubres loués par des marchands de sommeil. La femme garde les enfants et le mari se tue à la tache toute la journée à travailler pour des prestataires de services. Ce sont les derniers maillons de la chaîne.

On rencontre aussi beaucoup de jeunes espagnols, italiens et portugais. Venus travailler en camion, ils ont un mode vie alternatif, et tiennent à leur liberté et leur indépendance. Mais ils sont soumis aux mêmes problèmes quand ils sont embauchés : énormément de travail, des accidents du travail, etc. En revanche, eux ont la chance d’être européens : ils sont comptabilisés par la MSA et sont couverts en cas d’accident.

Le problème, c’est qu’on les chasse de partout dès qu’ils s’installent. Ils se retrouvent à devoir se cacher sur un parking de grande surface, sur les bords de fleuve, à camper aux abords de déchetteries. C’est-à-dire les coins les plus sales, sans point d’eau. Les situations de pauvreté viennent s’additionner et grossir ce couloir de la pauvreté. »

Et à la question du journaliste : « Vous décrivez une opposition extrême entre la richesse et la pauvreté, le luxe et la misère. Mais ces deux mondes cohabitent. Comment est-ce possible ? Qu’est-ce qui fait que le décor pour touristes ne s’effondre pas ? » elle répond :

« Cette pauvreté n’était pas très visible. On me dit : « Votre livre est le seul qui parle de la saisonnalité dans la vigne ». Je me suis aperçue en travaillant dessus que c’est un sujet très délicat. Les gens n’osent pas critiquer tellement c’est un débouché économique majeur. Y compris chez les élus : ils n’osent pas mettre en évidence cette pauvreté car la vigne est un tel pourvoyeur d’emploi qu’on préfère faire profil bas et se dire « c’est déjà ça ».

Parfois il y a des petites retombées en terme de mécénat, alors il vaut mieux en rester là que de critiquer un système qui serait inégalitaire, injuste et peut-être même féodal comme me l’ont dit beaucoup de gens. Comme me l’a dit quelqu’un de la MSA, le rapport de force est totalement inégalitaire, voire n’existe pas en réalité.

On sait qui tire les ficelles économiques, qui aura le dernier mot, qui est soutenu au plus haut niveau de l’État. Beaucoup de présidents étaient proches des Rothschild [famille possédant une banque et plusieurs châteaux dans le bordelais] : Pompidou a travaillé chez Rothschild, Macron également. On ne touche pas aux intérêts du vin en France, donc on ne touche pas à la pauvreté des gens qui vivent dans ce territoire. On préfère, comme le font très bien Jean-Michel Cazes, ou Mimi Thorisson dans son village superbe de St-Yzans-de-Médoc, raconter une belle histoire et faire vivre un mythe, pour le business. Et Bernard Arnault peut inviter des gens à signer de très gros contrats au château d’Yquem. Ce ne sont pas eux qui vont venir nous expliquer qu’il y a de la pauvreté, où ils se tirent une balle dans le pied.

D’ailleurs, je ne suis pas sure que ces gens-là eux-mêmes soient conscients de la pauvreté. Ils sont dans un monde à part, un monde parallèle. Beaucoup font la navette entre les châteaux, Bordeaux et Paris, et je pense qu’ils ne se posent même pas la question. »

Ces inégalités viennent de loin :

« Le couloir de la pauvreté est un territoire où, dès le XVIIe siècle, les élites et les propriétaires ont capté les terres et se sont agrandis. À mesure qu’ils s’enrichissaient, autour d’eux les autres s’appauvrissaient : ceux qui pouvaient vivre de leur potager, les petits paysans qui ne cultivaient pas que de la vigne. Aujourd’hui il n’y a plus que de la monoculture : ce territoire-là n’a été fabriqué que pour le business de la vigne. […]

C’est d’autant plus choquant quand on voit l’argent qui est généré : la France est le 3e exportateur de vin au monde, l’économie du vin représente un chiffre d’affaire de 9 milliards d’euros en 2017 dans le pays. Quand on prend les dix plus importantes fortunes de France dans le classement de Challenge, il y en a sept qui ont un ou plusieurs châteaux dans le bordelais. Pierre Castel est l’exemple type de quelqu’un qui a bâti sa fortune d’abord sur le mauvais vin, puis sur le vin de marque.

Je cite l’historienne Stéphanie Lachaud qui explique parfaitement bien la fabrication du territoire et l’histoire de ces inégalités. Les personnes qui travaillaient pour les châteaux, les journaliers, faisaient comme les tziganes aujourd’hui : ils allaient louer leur force de travail à la journée d’un château à l’autre. C’était des forçats de la vigne, entre le XVIe et les XVIIIe siècles.

Le marché du vin et l’exportation ont explosé au moment de la traite négrière : le vin est devenu une monnaie d’échange très importante puisqu’il pouvait se conserver très longtemps dans les bateaux. C’était très pratique d’échanger des esclaves contre du vin.

Hélas aujourd’hui dans certains châteaux, ça n’a pas beaucoup changé. Y compris dans les mentalités, dans la manière dont on considère les petites gens qui travaillent dans la vigne. Alors que sans ces petites mains, il n’y a pas de vin. »

Le premier article qui m’avait alerté sur ce livre était publié par un site très intéressant pour disposer d’informations alternatives « BASTA ». Je vous invite à lire cet article très détaillé qui vous apprendra aussi que des marchands de sommeil prospèrent dans cette misère et donnent à ces pauvres salariés des taudis sordides. Il y a aussi une réflexion sur les avantages fiscaux dont bénéficient le vin, ce joyau de la France.

Ixchel Delaporte dit ainsi :

« Il est faux de dire, comme l’a prétendu Emmanuel Macron que les jeunes ne se soûlent pas au vin. Ils se soûlent aussi avec le vin, et notamment avec des prémix (Les « prémix », ces alcools très sucrés dont les jeunes raffolent, bénéficient eux aussi de ristournes quand ils sont élaborés à partir de vin.) Comme l’ont rappelé des médecins addictologues dans une tribune en mars dernier, le vin représente près de 60 % de la consommation d’alcool. Il est la seconde cause de cancers après le tabac. L’alcool, et notamment le vin, est à l’origine de violences familiales, conjugales et de violences sur la voie publique, de binge drinking (« beuverie expresse », ndlr), d’une part importante des affections mentales, des suicides et de la mortalité accidentelle et routière

Et elle raconte aussi cette anecdote, un fait qui révèle beaucoup :

« Un ancien tractoriste de Cheval blanc, un grand cru de Saint-Émilion appartenant à LVMH, rapporte s’être senti « tout petit » quand le gérant est venu lui demander de garer sa voiture dans les vignes pour que personne ne la voie. Il me raconte que sur le parking, c’étaient plutôt des Porsche, Ferrari et Maserati. Il faut dire que le domaine détient le record de la bouteille de vin la plus chère jamais vendue au monde : une Impériale de six litres, remportée pour plus de 200 000 euros… »

Il y a aussi <cet article d’Agora Vox> qui donne encore d’autres précisions et renvoient vers une vidéo des sociologues Pinçon-Charlot qui ont consacré leur vie à étudier les riches, leur mœurs et leurs relations entre eux et avec les « autres »

Le mot du jour du 14 mai 2013 qui faisait suite à l’effondrement d’un atelier textile au Bangladesh et qui avait fait 1127 morts, relayait cette question de Michel Wieviorka & Anthony Mahé : « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

Nous pouvons poser, ici, la même question mais cette fois c’est en France que cela se passe.

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Mardi 22 octobre 2019

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés »
Esther Duflo

Esther Duflo a eu le Prix Nobel d’économie cette année avec son mari Abhijit Banerjee et un troisième économiste Michael Kremer, .pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté.

<Le Monde> nous rappelle que ce qu’on appelle le Prix Nobel d’Economie est en réalité le prix de la Banque de Suède à la mémoire d’Alfred Nobel, car ce dernier n’avait pas prévu que le comité Nobel désigne un lauréat en économie.

Ces trois économistes ont essayé de mettre un peu de démarche scientifique dans l’économie qui en est fort dépourvu même si des économistes prétendent le contraire.

Ils ont œuvré dans le domaine de la pauvreté et ont concrètement mis en œuvre des programmes visant cet objectif, notamment en Inde, en mesurant l’impact de ces programmes. Une population X bénéficiait du programme et une population Y comparable n’en bénéficiait pas, puis on comparait les résultats de la population Y et X et on jugeait de la pertinence du programme.

Evidemment nous nous intéressons surtout à Esther Duflo parce qu’elle est française. Elle est seulement la seconde femme à recevoir ce prix de la banque de Suède.

<Ici vous pourrez visionner la leçon inaugurale> « Expérience, science et lutte contre la pauvreté » au Collège de France d’Esther Duflo pour mieux comprendre sa démarche.

<Ici> vous trouverez un résumé de 11 pages sur le cours qu’elle a donné au Collège de France sur ce sujet.

<Challenges> précise que :

« La sensibilité de cette économiste, née à Paris en 1972, a pris corps dans une famille protestante, avec une mère pédiatre, investie dans l’humanitaire et qu’elle cite régulièrement en modèle, et un père mathématicien, enseignant-chercheur.

Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure, de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle est aussi titulaire d’un doctorat du Massachusetts Institute of Technology (MIT) aux Etats-Unis, où elle est aujourd’hui encore professeure. »

Le New Yorker la décrivait ainsi : « C’est une intellectuelle française de centre-gauche qui croit en la redistribution et en la notion optimiste que demain pourrait être meilleur qu’aujourd’hui. Elle est largement à l’origine d’une tendance académique nouvelle »

Elle a écrit un livre avec son mari « Repenser la pauvreté » qui a aussi été primé en 2012.

A l’occasion de la sortie de ce livre elle avait répondu à un entretien à l’AFP où elle disait :

« Notre vision de la pauvreté est dominée par des caricatures et des clichés: le pauvre paresseux, le pauvre entrepreneur, le pauvre affamé. Si on veut comprendre les problèmes liés à la pauvreté, il faut dépasser ces caricatures et comprendre pourquoi le fait même d’être pauvre change certaines choses dans les comportements, et d’autres non ! »

Et c’est donc intéressant de savoir ce que cette intellectuelle qui a consacré sa vie à la compréhension du phénomène de la pauvreté et des programmes de lutte contre ce fléau pense des mots, utilisés par notre jeune président à propos de la pauvreté en France.

Je cite donc <France Info> :

« « Il y a un risque de rendre les pauvres coupables de leur propre sort » C’est l’inquiétude formulée par la prix Nobel d’économie Esther Duflo, invitée de franceinfo mardi 15 octobre. Elle est revenue sur la notion des « premiers de cordée » défendue par Emmanuel Macron à l’automne 2017 et sur ses propos tenus en 2018 lors d’une réunion de travail à l’Élysée : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».

« Dans cette imagerie ‘pognon de dingue’ ou dans l’idée qui allait avec de responsabiliser les pauvres », Esther Duflo estime qu’il y a un sous-entendu : « Ils ne sont pas assez responsables par eux-mêmes » Selon elle, ce risque est présent « depuis toujours dans les politiques sociales. On rend la personne en difficulté coupable de ses malheurs. Tout en l’aidant on lui enlève sa dignité ».

La prix Nobel d’économie juge cette approche « dangereuse ». « Une fois qu’on vous enlève votre dignité, vous n’êtes pas dans les meilleures conditions possibles pour retomber sur vos pieds. Cela terrorise ceux qui ne sont pas pauvres aujourd’hui et qui se disent que peut-être un jour ils le seront ».

Esther Duflo explique que, pour les personnes en situation « un peu fragile », ce type de discours peut « les rendre inquiets de tout ce qui change, de tout ce qui peut être différent. Cela peut mener à une espèce de sclérose politique qui vient de la peur du risque. Parce que si vous tombez par terre, la société va vous en vouloir et va vous dire que c’est de votre faute. C’est très dangereux. »

Nous sommes toujours dans la réflexion de Victor Klemperer, de l’usage des mots, du sens profond qu’ils ont et de ce que leur usage dit de la conception de la société et du lien social de celui qui les utilisent.

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