Mardi 27 juin 2017

« La chambre forte du Jugement dernier est-elle menacée par le réchauffement climatique ? »
La réserve mondiale de graines, en Norvège, a été menacée par une inondation en raison de la fonte du permafrost naturel

Les records sont synthétisés par des chiffres, ils ont vocation à être battus. C’est ce qui se passe pour les températures presque partout dans le monde et en France en particulier.

Ces derniers jours en France de nouveaux records ont été ainsi établis. Le problème c’est qu’il s’agit d’une évolution qui se confirme d’année en année.

L’article des Echos que je cite ci-après rappelle que l’année 2016 a constitué l’année la plus chaude sur Terre depuis le début des relevés de températures en 1880.

Mais c’est mon amie Martine qui a attiré mon attention sur un incident préoccupant qui s’est passé en Norvège. Les esprits curieux et attentifs sont probablement au courant. Je dois avouer, pour ma part, que j’ignorais l’existence, de la « chambre forte du jugement dernier » jusqu’à mes recherches récentes suite à l’information de Martine.

Ces informations montrent à la fois la prudence des homo-sapiens, en même temps leur angoisse devant l’avenir.

En février 2008, dans l’archipel de Svalbard, cachée sous une montagne sur l’île du Spitzberg, à 1000 km du pôle Nord a été inaugurée la réserve mondiale des semences de l’humanité.

Le site Huffington Post nous apprend que:

« Dans ce caveau enterré dans l’Arctique sont stockées des milliers de graines, mais aussi de documents. Au cas où le pire arriverait.

[…] La réserve de semences, créée en 2008, contient 541 millions de graines de plus de 843.000 espèces différentes de plantes et se situe dans une zone démilitarisée. Elle a d’ailleurs servi lors du conflit syrien, pour reconstituer les stocks dans les pays voisins de la Syrie, dévastés par la guerre. »

Cette réserve mondiale a été, en effet, conçue en 2006 sous l’égide de l’ONU, pour protéger des catastrophes les graines de toutes les cultures vivrières de la planète et préserver la diversité génétique.

Creusée dans le flanc d’une montagne, à 120 mètres de profondeur, Les graines sont stockées dans des caisses ou des caissons alignés sur des étagères dans des pièces où la température ne dépasse pas -18°C, pour une conservation optimale.

Ce lieu de stockage qui est une ancienne mine, est désigné par plusieurs appellations, « Banque des semences de l’humanité », « Arche de Noé  souterraine » et ce nom un peu plus fantasmagorique : « La chambre forte du Jugement dernier » que j’ai eu la faiblesse d’utiliser dans l’exergue de ce mot du jour.

Cette réserve est entourée de glace permanente qu’on appelle le « permafrost » et a été conçue pour être autonome, c’est-à-dire qu’elle puisse fonctionner et perdurer sans intervention humaine. Au cas où le pire arrivait…

Les températures de 2006 ont fait fondre une grande partie du permafrost et l’eau a inondé le tunnel d’entrée, le mois dernier. La chambre forte et les semences ont été préservées. Mais cette information a inquiété les spécialistes qui ne s’attendaient pas à une telle évolution en 10 ans.

Je cite :

Huffington Post :

« L’État norvégien, qui a participé à la création de cette réserve de graines, n’avait pas prévu de devoir s’occuper du site en permanence. Ce qui explique qu’ils ne se sont pas rendu compte plus tôt de cette fuite d’eau.»

Libération :

« La hausse des températures a provoqué une fonte du permafrost naturel, censée rester gelé toute l’année, provoquant des inondations dans le hall d’entrée de quinze mètres de long. «L’Arctique et surtout Svalbard se réchauffent plus vite que le reste du monde », a expliqué Ketil Isaksen, de l’Institut météorologique norvégien, au journal Dagbladet, repris par The Guardian. Le climat change radicalement et nous sommes tous étonnés de la rapidité avec laquelle cela se passe.»

Le courrier international cite le Guardian qui a interrogé Hege Njaa Aschim, membre du gouvernement norvégien, propriétaire de la réserve :

«Nous n’avions pas prévu que le permafrost ne serait plus là et qu’il subirait un climat aussi extrême »

Il n’y a pas lieu de tenir des propos catastrophistes car l’eau fondue n’a pas atteint la réserve. Mais je cite les Echos :

« Les précieuses graines restent en lieu sûr dans l’entrepôt, stockées à une température de -18°C, optimale pour la conservation. Les variétés de semences sont stockées 100 mètres sous la montagne, dans des emballages sous vide. Censée protéger les graines pendant des centaines d’années. Mais cet incident sème le doute sur la capacité de cette « Arche de Noé végétale » à résister au changement climatique. »

Bien entendu le gouvernement Norvégien a pris des mesures pour l’amélioration de la sécurité du site

Par ailleurs il existe dans d’autres endroits du monde des banques de semence, moins importantes que la réserve de Svalbard, mais qui sont des compléments à cette prudence qui s’est emparée d’homo sapiens depuis qu’il sait que la nature et le climat terrestre sont en train de changer à grande vitesse.

J’ai écrit ce mot en m’inspirant ou en citant les articles suivants :

Les Echos : « La réserve mondiale de graines est menacée par le réchauffement climatique «

https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/030354054730-la-reserve-mondiale-de-graines-est-menacee-par-le-rechauffement-climatique-2089931.php

Huffington Post : « « L’arche de la fin du monde » prend l’eau avec le réchauffement climatique »

http://www.huffingtonpost.fr/2017/05/22/larche-de-la-fin-du-monde-prend-leau-avec-le-rechauffement-c_a_22103054/

Libération : « En Norvège, la réserve mondiale de graines rattrapée par le réchauffement »

http://www.liberation.fr/planete/2017/05/26/en-norvege-la-reserve-mondiale-de-graines-rattrapee-par-le-rechauffement_1572264

Le Courrier International : « Changement climatique. Le permafrost entourant la banque mondiale de graines a fondu »

http://www.courrierinternational.com/article/changement-climatique-le-permafrost-entourant-la-banque-mondiale-de-graines-fondu

France Inter : « La banque de graines prend l’eau »

https://www.franceinter.fr/emissions/la-une-de-la-science/la-une-de-la-science-22-mai-2017

<Lien vers le site de la réserve de Svalbard>

<912>

Entrée et intérieur de la réserve

 


Jeudi 22 juin 2017

« Un gouvernement généralement mal inspiré, face à une angoisse générale totale, a cherché la chose la plus spectaculaire qu’il pouvait mettre en place et il a décidé de mettre en place l’état d’urgence »
François Sureau

J’ai déjà évoqué l’avocat François Sureau à deux reprises :

  • Une première fois le 18 septembre 2013 : «Le Droit ne fait pas Justice.» où il expliquait qu’une de ses plus terribles expériences de justice fut lorsqu’il dut participer à une décision du Conseil d’Etat qui refusa l’asile politique à un militant basque Javier Ibarrategui qui se disait menacé de mort en Espagne. Ibarrategui retourna donc dans son pays où des groupes d’extrême droite, des anciens franquistes, l’assassinèrent comme il l’avait annoncé.
  • Une seconde fois beaucoup plus récemment, lorsqu’il plaida devant le Conseil Constitutionnel avec une éloquence et une hauteur de vue exceptionnelles contre cette idée absurde de vouloir interdire et de sanctionner la liberté d’aller sur des sites djihadistes : « La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique ». C’était le mot du jour du 13 février 2017. Pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus qu’une telle interdiction est à la fois stupide et liberticide, il faut relire cette plaidoirie.

Cette fois, il était invité par France Culture <aux matins de France Culture> lors d’une émission consacrée aux Libertés Publiques et à l’État d’urgence.

Oui ! Parce que nous avons un vrai problème en France aujourd’hui. Un problème grave : l’état d’urgence mis en place dans la nuit des attentats du 13 novembre 2015, c’est à dire un état d’exception, est toujours en place.

Emmanuel Macron semble avoir pour projet de sortir de l’état d’urgence, en inscrivant dans l’état du Droit commun, des dispositions de l’état d’urgence. Et cela est très grave.

Il faut rappeler d’abord quelques fondamentaux sur l’état de droit, les libertés et le combat des lumières.

Voltaire avait été embastillé par la seule volonté du régent à qui il avait déplu, il n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de cette époque. Ce fut par la suite son combat de lutter contre l’arbitraire. Mais dans le domaine du Droit et des Libertés il faut bien reconnaître que nos amis anglais ont toujours eu beaucoup d’avance sur nous. C’est eux qui en 1215, ont imposé la <Magna Carta ou Grande Charte > au Roi pour asseoir la Liberté et les Droits individuels. Et notamment ne pas entraver l’application du droit en arrêtant les hommes libres de façon arbitraire, point qui sera appelé habeas corpus. Wikipedia nous apprend que ce texte avait été précédé par la Charte des Libertés, édictée en 1100 par Henri Ier. Mais cette charte des Libertés était tombée en désuétude.

Mais que dit la Magna Carta dans son article 39 ? : « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelques manières que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays ».

Comment fait-on cela ?

Par la séparation des pouvoirs !

Wikipedia rappelle que pour l’essentiel, la séparation des pouvoirs a été théorisée par Locke et non par Montesquieu ; qui dans De l’esprit des lois conceptualise surtout la limitation du pouvoir par le pouvoir :

Revenons à des choses plus pratiques. Vous êtes dans un pays de Liberté parce que le Gouvernement et son bras armé, l’Administration et la Police ne peuvent pas débarquer chez vous selon leur bon vouloir, ne peuvent pas non plus vous arrêter s’ils le jugent utile ou vous assigner à résidence chez vous parce que cela leur parait pertinent au maintien de l’ordre. Pour faire cela, parce que cela est nécessaire parfois, ils ont besoin qu’un Juge de l’ordre judiciaire les y autorise préalablement. J’insiste sur le préalablement.

C’est justement à cela que l’Etat d’urgence s’attaque. L’administration agit sans l’autorisation du Juge. C’est une régression fondamentale.

<Un autre avocat Patrice Spinosi a expliqué sur France Inter> comment le Gouvernement s’est fait piéger par manque de clairvoyance et aussi une attitude distante par rapport aux Libertés et à l’Etat de Droit, toujours cité mais peu inspirant.

Lorsque des bandes armées ont déferlé sur notre capitale en tirant sur la foule et dans une salle de concert, il fallait agir vite. L’état d’urgence permettait de le faire et de surprendre les criminels en pleine action ou en train de vouloir continuer leur besogne macabre. Mais dans la semaine, il aurait fallu arrêter l’exception pour revenir dans le Droit commun.

Mais le Gouvernement n’a pas osé. Et plus il attendait, plus cela devenait difficile. Car imaginons un attentat juste après la fin de l’état d’urgence, le gouvernement serait vilipendé et accusé d’inconséquence.

Pourquoi, parce qu’il a essayé de faire croire que l’état d’urgence permettait d’éviter les attentats et de lutter efficacement contre les terroristes.

C’est là qu’il faut être solide et clair dans sa tête et écouter ceux qui savent, pas ceux qui font de la propagande ou de la communication. L’état d’urgence ne sert à rien pour lutter contre le terrorisme dans la durée.

Et François Sureau est un homme solide et clair :

« [En France] nous avons un problème avec la liberté qui tient au fait qu’on aurait pu choisir Montesquieu ou Voltaire. On aurait pu penser [au début de la Révolution française] qu’à l’origine de tout il y avait l’existence d’un homme libre, d’un citoyen libre, d’une personne dont il fallait garantir l’existence, le cas échéant contre l’Etat. Ce n’est pas ce que l’on a choisi. On a choisi Rousseau et le culte de la volonté générale. Il en résulte que lorsque la volonté générale s’exprime par la voix du Parlement et qu’on nous explique que la sécurité vaut tout et la liberté ne vaut rien, tout le monde est d’accord avec cette idée. C’est à dire que le culte absolu de la volonté générale tend à faire disparaître l’idéal des libertés publiques.

Cela a pour conséquence que pendant très longtemps on n’a pas contrôlé les Lois par rapport aux normes constitutionnelles et qu’il a fallu attendre 1971 d’une décision célèbre du Conseil Constitutionnel, à propos de la Liberté d’association, pour que [cette instance] accepte de contrôler la constitutionnalité de la Loi par rapport aux grands principes de la déclaration des droits. Il ne le faisait pas avant. Cela montre quelque chose d’assez profond qui montre que chez nous le combat pour les libertés publiques est toujours à reprendre parce qu’il ne rentre pas vraiment dans l’ADN politique français. […] Nous ne sommes pas un pays libéral [au sens politique de Montesquieu et Tocqueville].

Il faudra probablement que j’écrive un mot du jour sur la fameuse « Volonté générale » de Rousseau que tout étudiant de Droit apprend pendant ses études et qui a servi de fondement aux soviétiques pour considérer que les personnes qui n’étaient pas d’accord avec la volonté générale exprimé par le Parti étaient des dissidents qui sombraient dans la folie et qu’il fallait soit « rééduquer » soit « enfermer » dans des hôpitaux psychiatriques. En effet, celui qui s’oppose à la volonté générale n’est pas un opposant qui exprime une autre opinion, mais un homme qui se trompe. Mais revenons au sujet principal, le diagnostic de François Sureau sur l’état d’urgence.

François Sureau insiste beaucoup sur le fait que nous ne parlons pas ici de libéralisme économique mais politique. En France le mot libéralisme est quasi exclusivement attaché au domaine de l’économie. Il y a d’ailleurs en France une méfiance assez généralisée à l’égard du libéralisme économique qui la distingue de beaucoup de ses voisins. Mais ce n’est pas de libéralisme économique qu’il est question mais bien de politique et de liberté des citoyens qu’il s’agit à la fois de garantir et de protéger. Et surtout de protéger de l’intrusion de l’Etat.

[Cette question des droits de la personne traverse les formations politiques. Il y a tout une partie de la gauche, la gauche de type Vallsiste pour laquelle ces mots n’ont absolument aucun sens exactement comme une partie de la Droite.

C’est alors que Guillaume Erner le relance pour poser la problématique de manière claire : le terrorisme actuel ne mérite t’il pas que l’on pose un mouchoir sur un certain nombre de nos libertés individuelles pour avoir la sécurité collective.

« La vérité est tout à fait l’inverse. […]

Premier point, quand nos pères fondateurs ont posé les principes de nos droits individuels, ils ne l’ont pas fait uniquement pour les situations où tout va bien. Et au moment où nos grands penseurs expliquaient qu’on ne pouvait pas perquisitionner chez quelqu’un sans le mandat d’un juge, qui est à peu près une garantie qu’on a suspendue au moment de l’état d’urgence, on ne pouvait pas traverser la forêt de Bondy sans escorte armée. Les gens qui ont réfléchi [aux exigences] d’une société libre ne l’ont pas fait quand tout allait bien.

Second point, qui est encore plus grave, il y a là-dedans une forme d’imposture. Plutôt que de s’organiser pour que la Police soit réellement efficace à l’égard des 400 personnes qui sont réellement dangereuses, car je suis tout aussi avide de sécurité que tout le monde, pour qu’elle travaille davantage, qu’elle ait plus de moyens pour qu’on recrée par exemple les renseignements généraux, on a préféré suspendre les libertés publiques de l’ensemble des français. Et c’est cela la problématique de l’état d’urgence. […] c’est l’effet de groupes de pression de la justice et de l’administration…]

Les conséquences de l’état d’urgence c’est qu’on s’est servi de l’assignation à résidence pour contraindre des corses à rester chez eux à propos de match de foot en Corse du sud ou encore des écologistes au moment de la COP 21.

C’est cela qui est inacceptable. ! »

L’état d’urgence n’est pas efficace pour ce à quoi on prétend l’utiliser :

« Personne de sérieux ne pense que l’état d’urgence a une quelconque efficacité dans la lutte contre le terrorisme. [La Grande Bretagne n’a pas fait comme nous] Il y a eu 7000 perquisitions administratives pour 4 mises en examen]. Tout le monde sait que cela ne fonctionne pas. Simplement qu’est ce qui s’est passé ? […] Un gouvernement généralement mal inspiré, face à une angoisse générale totale, a cherché la chose la plus spectaculaire qu’il pouvait mettre en place et il a décidé de mettre en place l’état d’urgence. Maintenant, faute de pédagogie ou plutôt avec l’effet de cette pédagogie négative, la plupart des français pense que l’état d’urgence est indispensable à leur sécurité. Il n’en est absolument rien. […] et tout le monde le sait parmi les spécialistes.

On n’a jamais vu un procureur refuser d’ouvrir une enquête préliminaire. On a jamais vu un magistrat anti-terroriste refuser de délivrer un mandat de perquisition.

L’idée de confier au Préfet les missions normalement dévolues aux magistrats est une idée totalement surréaliste.

Mais les gouvernements se sont laissés enfermer dans ce piège. Pourquoi l’ont-ils fait ?

Parce que c’était commode. Parce que c’était de pauvres hommes dépassés par les évènements. »

Sureau parle de la part de nos gouvernants depuis 20 ans d’une furie normative.

« Plutôt que d’avoir un Ministre de l’Intérieur capable de négocier un compromis d’efficacité avec les syndicats de Police, on a préféré faire passer une Loi anti-terroriste par an pour réduire les libertés de tout le monde. En réalité, il n’y a plus d’Etat et c’est pour cela qu’il y a de plus en plus de Lois. La lutte anti-terroriste nécessite de redonner à l’Etat un pouvoir effectif : la recréation de renseignements généraux, une police plus efficace, une police mieux équipée. Alors cela ne se voit pas, cela ne permet pas d’aller au Parlement et de dire : j’ai fait la Loi Tartemolle ! Mais c’est certainement ce qu’il faut faire. »

Sureau donne une explication peu rassurante sur ces errements normatifs de nos gouvernants en parlant de la disparition de la culture philosophique de la classe politique.

« Quand vous regardez les débats parlementaires de la 3ème ou de la 4ème République à propos des législations d’exceptions vous constatez qu’il y avait de vrais débats. […] Il y a des gens inspirés par la philosophie des droits. Ce qui est frappant c’est que ce débat a entièrement disparu du Parlement. Il faut attendre d’être devant le Conseil constitutionnel pour le tenir. […] C’est dû au progrès incroyable de l’inculture de la philosophie juridique chez les parlementaires et probablement à une culture uniquement instrumentale dans son rapport au Droit de l’Ecole Nationale de l’Administration. [Un exemple] quand le Conseil Constitutionnel a décidé de censurer l’interdiction de consultation des sites terroristes, la décision du Conseil Constitutionnel sort à 14h, à 18h on apprend que 4 mecs se sont réunis en commission pour tenter de contourner la décision du Conseil Constitutionnel. Ceci, il y a trente ans aurait déclenché un véritable scandale public »

Et bien sûr cela ne déclencha aucun scandale.

Il me semble que c’est la 3ème fois ou la 4ème fois que je me sens conduit à citer cet avertissement, qui n’a jamais fait l’exergue d’un mot du jour, de Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis (1706-1790) : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»

<909>

Mercredi 21 juin 2017

« Le triomphe de Macron pose un problème d’éthique démocratique et de représentativité des partis. »
Jean Garrigues

La semaine dernière, après le premier tour des législatives, mon ami Marc m’a écrit : « Je compte sur toi pour que tu inspires nos réflexions sur la représentativité d’un parlement quand plus d’un électeur (inscrit sur les listes électorales) sur deux a choisi de ne pas voter »

J’ai préféré me taire entre les deux tours. J’ai eu raison, il y a bien triomphe des Macronistes, mais un peu plus modeste que celui que prévoyait les sondeurs après le premier Tour.

Emmanuel Macron, avec beaucoup de talent, une vision d’entrepreneur de start up nous a joué cette pièce que les plus audacieux tentent : « sur un malentendu cela peut passer !».

Je ne rappelle pas toutes ces étapes qui ont conduit d’abord Macron à obtenir au 1er tour des présidentielles 24,01 % des suffrages exprimés ce qui représentait 18,19% des inscrits et ses candidats au premier tour des législatives 32,32% des suffrages exprimés (La République en marche (REM) 28,20 et MODEM 4,12). Mais si on rapporte ces suffrages par rapport aux inscrits, le taux n’est plus que de 15,39%.

Par la grâce du système électoral, du positionnement des candidats macronistes et des institutions de la 5ème République, à partir de 32,32% des voix, la majorité présidentielle (REM et MODEM) a eu au second tour 350 élus sur 577, ce qui représente 60,66 % des sièges. C’est ce que l’on peut appeler un coefficient multiplicateur de la 5ème république, il est ici de 1,88.

Nous aimons nous comparer.

En Grande Bretagne, viennent aussi de se dérouler des élections législatives. C’est comme chez nous, mais il n’y a qu’un tour, celui qui est arrivé en tête gagne. Le Parti Conservateur de Theresa May a eu 42,4% des exprimés et quand même 29,14% des inscrits. Toujours est-il qu’avec 42,4% des voix elle a obtenu 317 sièges des 650 ce qui représente 48,8% des sièges. Il y a un coefficient multiplicateur britannique mais modeste 1,15.

Celui qui est arrivé second était le Labour de Corbyn qui avec 40,0% des voix a obtenu 40,3% des sièges, on peut parler d’un coefficient de stabilisation.

Voilà comment cela se passe dans le pays qui a inventé la démocratie parlementaire moderne.

Chez nos amis allemands, le système électoral est plus compliqué mais en résumé il aboutit à une représentation proportionnelle pour tous les partis qui ont obtenu plus de 5% des voix. ¨Par construction ce système électoral conduit à une représentation proportionnée entre les voix exprimés et les sièges. Il y a un petit coefficient multiplicateur qui provient du fait que les partis ayant des sièges récupèrent la proportion abandonnée par les partis ayant obtenu moins de 5%

Bref, nous comprenons toute l’incongruité de notre système électoral en le comparant. Ce n’est pas un système démocratique, c’est une organisation qui vise à donner une majorité à un homme, même s’il a été élu sur un malentendu.

Ce phénomène était déjà à l’œuvre en 2012 avec François Hollande. La majorité socialiste avait obtenu 39,86% des voix exprimés et 57,37% des sièges avec un coefficient multiplicateur français de 1,44 toujours incongru par rapport à nos voisins mais largement inférieur au résultat de cette année. Je sais bien que techniquement cela s’explique très bien grâce au scrutin majoritaire à deux tours où il faut être en capacité d’attirer des électeurs qui n’ont pas voté pour vous au premier tour, ce qui est encore facilité si vous vous trouvez au centre de l’échiquier et qu’un électeur de gauche préférera un candidat « En marche » contre un  candidat de droite et un électeur de droite un candidat en Marche à un candidat de gauche.

Nous pouvons être cependant rassuré puisqu’au lendemain du premier tour, les sondeurs avait prévu plus de 70 % des sièges pour la majorité présidentielle et que nous sommes en deçà. C’est sur cette base que l’historien Jean Garrigues avait répondu la phrase que j’ai mis en exergue, dans un entretien à Challenges. On constate, par la comparaison avec nos pays voisins, que cette opinion reste parfaitement exacte à 60%.

Le plus instructif est quand même qu’Emmanuel Macron a conceptualisé lui même l’incongruité de cette situation. Je cite le futur Président jupitérien  :  «Dans tous les sondages, aucun candidat ne fait résolument plus de 25%. Alors oui, y’en a qui ont des partis, des vieux partis, avec beaucoup d’intérêts. Mais est-ce que quelqu’un peut penser raisonnablement que, élu président, il aura une majorité présidentielle uniquement avec son parti?», s’interrogeait le futur chef de l’Etat. «Moi je n’y crois pas», ajoutait Emmanuel Macron. Avant de marteler: «Non seulement ça n’est pas possible, mais ça n’est pas souhaitable! Parce que ça serait un hold-up ! ».

Un hold-up ! rien que cela…S’il s’était arrêté simplement à «Moi je n’y crois pas», on aurait pu dire qu’il n’était pas assez optimiste. Mais avec le hold-up ! il condamne ce qui est arrivé à sa majorité présidentielle.

Il y a cependant des raisons pour se réjouir, comme le montre cet article du Monde, le nombre de sièges occupés par des femmes a progressé en grand nombre : elles seront 223 députées à siéger dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, ce qui représente 38,65 % des sièges, soit 68 femmes députées supplémentaires par rapport à l’Assemblée élue en juin 2012 (elles représentaient 27 % de la précédente Assemblée). En outre, ce que je trouve encourageant c’est que le différentiel entre le pourcentage de candidates et le pourcentage d’élues a fortement diminué. Ainsi il y avait 42,4% des candidats qui étaient des femmes pour obtenir 38,65% des sièges. Il y a 10 ans il y avait 41,6% de candidates mais que 18,5% de femmes ayant obtenu un siège. Bref on réservait les sièges gagnables aux hommes. C’est toujours le cas, mais en beaucoup plus faible proportion.

En outre, l’assemblée se rajeunit, avec une moyenne d’âge de 48 ans et 240 jours, la XVe législature est plus jeune de cinq ans que la précédente (53 ans et 195 jours).

Et puis, il y a vraiment des piliers du bar de l’assemblée nationale qui ont été enfin remerciés. Exemple emblématique : Gérard Bapt, 71 ans, membre du Parti socialiste a été sèchement battu après 35 ans de mandats cumulés, il aspirait à 40 ans de mandat jusqu’à 76 ans, considérant que l’expérience était la valeur suprême du représentant du peuple.

En même temps, l’inexpérience n’est pas forcément un atout surtout quand elle se cumule avec l’incompétence. Certains candidats, En marche, sont apparus lors d’émissions de télévision particulièrement ridicules. Je n’aurai pas l’indélicatesse de les nommer mais vous pouvez les trouver aisément sur internet.

En revanche, l’article du Monde montre que les élus ne sont pas représentatifs des profils sociaux et des professions des français. Ce sont, les professions aisées qui dominent la nouvelle Assemblée.

Ce sont les gagnants de la mondialisation. Sauront-ils penser aux perdants et améliorer leur situation ?

Car maintenant, il faudra gouverner et arbitrer. C’est une chose de savoir brillamment gagner des élections grâce à son talent, à une part importante de chance et un système électoral très favorable. Mais gouverner c’est autre chose.

Nous qui aimons la France, ne pouvant qu’espérer qu’Emmanuel Macron trouvera des solutions pour améliorer la situation des français, d’une grande majorité de français.

Il a certainement de bonnes idées comme la volonté d’unifier les systèmes de retraite à terme, d’autres me semblent plus problématiques, mais j’en ai déjà parlé.

Certains de mes amis de l’ex Parti socialiste continue à prétendre que François Hollande était un bon président. Ce n’est pas mon avis. Non qu’il soit un homme sans qualité, mais il fut un président médiocre. En revanche il est et restera probablement un très bon analyste politique.

La journaliste Françoise Degois vient de publier « Il faut imaginer Sisyphe heureux : les 100 derniers jours de François Hollande. » Pour cette raison, elle était l’invitée de Anne-Sophie Lapix dans l’émission C à vous du 09/06/2017. Vous trouverez cette émission derrière ce lien <Les 100 derniers jours de Hollande>.

Et dans cette émission (à 12:35) François Degois fait dire à François Hollande cette prophétie : « Le jeune roi sera nu, un jour »

<908>

Mardi 20 juin 2017

«Dans sa vie publique, il toucha le manteau de l’Histoire, sa vie privée fut un désastre. »
Réflexions sur le destin d’Helmut Kohl, inspiré de deux articles du Point et de l’Express

Lorsque Helmut Schmidt est mort le 10 novembre 2015, j’avais écrit un mot du jour en son honneur et j’avais notamment cité un discours exceptionnel de 2011 au Congrès du SPD qu’il avait réalisé en chaise roulante à 93 ans <Vous trouverez ce mot derrière ce lien> .

Je n’avais pas l’intention de faire la même chose pour son successeur Helmut Kohl qui a eu la chance d’être chancelier au bon moment à savoir quand le mur de Berlin s’est écroulé et que Michaël Gorbatchev a laissé faire sans intervenir militairement. Il est donc désormais, devant l’Histoire, comme le chancelier de l’unification allemande.

Il a su faire les concessions nécessaires et prendre des décisions politiques qui ont contribué à ce que cette unité se réalise rapidement.

Mais il ne m’inspirait pas suffisamment avant que je lise cet article du Point qui raconte la face cachée ou les coulisses de ce colosse triomphant qui devrait avoir la statue d’un des pères de l’Allemagne puissante économiquement et pacifique politiquement.

Sort enviable !

Il remplaça Helmut Schmidt, le 1er octobre 1982, non lors d’une élection triomphante mais par un retournement d’alliance du Parti des Libéraux démocrates (FDP) de Hans-Dietrich Genscher qui formait une coalition avec le SPD depuis 69 et qui tomba à droite dans les bras de la CDU-CSU.

Lors de cet affrontement Helmut Schmidt eu cette formule assassine à son encontre : « Vous êtes très sympathique, mais le problème avec vous, c’est qu’on ne sait pas du tout ce que vous pensez. D’ailleurs, pensez-vous ? » .

Avec cette coalition il gagna cependant plusieurs fois les élections législatives et resta au pouvoir de 1982 jusqu’en septembre 1998, où le SPD remporta les élections législatives et Gerhard Schröder devint chancelier.

Par la suite de scandales politico financiers, autrement dit de caisses noires, il fut évincé de la tête du Parti par Angela Merkel qu’il avait pourtant soutenu tout au long de sa carrière et dont il considéra l’acte de le remplacer comme une trahison.

Ce rappel pour dire qu’Angela Merkel est le contraire d’une politique bienveillante et débonnaire.

Mais tout ceci ne m’incitait pas à écrire un mot du jour.

L’article du point que vous trouverez <ICI> donne un autre éclairage. Un éclairage sur ce que coûte le choix de faire de la Politique son seul métier, sa seule passion et ce qui se passe parfois dans l’intime, derrière les murs.

Helmut Kohl a deux enfants qu’il a eu avec sa femme Hannelore et pour le reste je vous livre des extraits de cet article publié le 18/06/2017 par la journaliste Pascale Hugues.

On apprend d’abord qu’à la fin de sa vie Helmut Kohl était très malade et totalement sous l’influence de sa nouvelle compagne de 34 ans sa cadette : Maike Kohl-Richter

«Walter Kohl, 53 ans, le fils aîné d’Helmut Kohl, […] l s’est contenté de déplorer qu’Helmut Kohl ait rompu depuis des années toute relation avec ses deux fils et ses petits-enfants.

[…] Walter Kohl confie pourtant qu’il a essayé à plusieurs reprises de rendre visite à son père, mais la police lui a interdit l’accès à la maison. Cloué dans un fauteuil roulant après avoir, en 2008, fait une mauvaise chute à la suite d’un AVC, incapable de parler distinctement, le visage figé, l’ancien chancelier vivait reclus dans son pavillon d’Oggersheim avec sa seconde épouse, une chrétienne-démocrate feu et flamme, ancienne collaboratrice de la section économie de la chancellerie, qui faisait office de garde-malade et de gouvernante. »

Et la journaliste raconte cette histoire qui vient de loin :

«  Quel contraste en effet entre, d’un côté, l’homme public admiré et, de l’autre, le père de famille absent, dépourvu d’empathie, incapable d’apporter à ses enfants la sécurité émotionnelle dont ils ont besoin pour bien grandir. Walter Kohl estime n’avoir servi qu’à décorer l’image publique de son père. Les Allemands se souviennent du portrait de groupe harmonieux que présentait chaque été la famille Kohl sur les rives du Wolfgangsee : deux garçons en culottes courtes, une mère blonde et éternellement souriante, un père en sandales-chaussettes observant ses rejetons d’un œil bienveillant. Une famille modèle sur fond de paysage alpin idyllique.

C’est Walter Kohl qui a détruit une fois pour toutes cette belle façade. Dans un livre publié en 2011 et intitulé Vivre ou être vécu, qui n’est ni exhibitionniste ni un vulgaire règlement de comptes avec ce père inadéquat, Walter Kohl laisse parler enfin ce petit garçon solitaire, abandonné des adultes. Un de ces nombreux « fils de… » qui n’ont pas droit à une vie comme les autres et connaissent souvent des destins tragiques. Des pères téléguidés par leur agenda bourré d’obligations, de réunions au sommet, de voyages officiels. Ils sont omniprésents dans les médias et absents à la maison. […] À ce train-là, il ne reste guère de temps pour ses fils. « La famille de mon père, constate Walter Kohl, c’était son parti et sa vie, c’était la politique. »

Une enfance exposée aux médias et sous haute protection. Quand durant l’« automne allemand » de la sombre année 1977, les attentats et les enlèvements perpétrés par les terroristes de la Fraction armée rouge traumatisent l’Allemagne, le pavillon d’Oggersheim est transformé en forteresse. Un mur et des barbelés sont érigés autour du jardin. Des vitres pare-balles sont installées dans les chambres des enfants. Interdiction de sortir de la place forte sans être escorté par un garde du corps. […] Quand il ose confier son angoisse à son père, celui-ci se raidit et lui rétorque : « Tu dois faire face ! »

[…]

Walter Kohl décrit cette génération d’Allemands sévères, profondément traumatisés par la guerre, incapables d’avouer une faiblesse, de reconnaître la légitimité d’une inquiétude et de parler à leurs enfants. Helmut Kohl est adolescent à la fin de la guerre. Comme tous les jeunes de son âge, il vit les bombardements, les cadavres extirpés des maisons en feu. Dans les derniers mois de la guerre, cet « écolier-soldat» est réquisitionné comme auxiliaire dans la défense aérienne. Il apprend à enfouir sa peur, à cacher ses émotions et à « faire face ».

Le destin d’Hannelore Kohl est encore plus dramatique. À 11 ans dans sa ville natale de Leipzig, la petite fille accueille avec ses camarades de classe les trains de soldats blessés revenus du front russe. […] À 12 ans, elle est violée à plusieurs reprises par des soldats russes et – c’est ce qu’elle confie à l’un de ses biographes – jetée par la fenêtre « comme un sac de ciment ».

[…] Walter Kohl décrit une mère qui fit de l’autodiscipline sa ligne de conduite. Pas question de se laisser aller ou de se plaindre.

Mais la vie politique a une fin et notamment Helmut Kohl perd la chancellerie. La famille devrait pouvoir vivre plus paisiblement.

« Mais le répit est de courte durée. Quelques mois après le départ à la retraite du patriarche, le scandale des caisses noires de la CDU éclate. Helmut Kohl se retrouve propulsé au centre d’une très vilaine affaire de financement occulte de son parti. Il redevient pendant des mois la cible de la presse allemande déchaînée. La réputation de probité de la famille Kohl est souillée. Hannelore Kohl et ses enfants disent en avoir énormément souffert.

À partir de là, c’est la débandade. Helmut Kohl vit à Berlin, rentre rarement à Oggersheim. Hannelore se retrouve isolée dans le pavillon familial avec pour seule compagnie le fidèle chauffeur des Kohl et l’épouse de celui-ci employée comme gouvernante. Hannelore Kohl, douée pour les langues et qui parlait couramment le français, appartient à cette génération de femmes qui renonça à toute vie professionnelle et personnelle pour se mettre au service de la carrière de son mari.

La tragédie s’intensifie : Hannelore Kohl tombe gravement malade, une allergie rare à la lumière du jour. Elle vit recluse, volets baissés, rideaux tirés, dans la pénombre de son pavillon. Elle ne sort que la nuit et doit renoncer à assister au mariage de son fils Peter en Turquie. En 2001, le chauffeur appelle Helmut Kohl à Berlin : sa femme s’est suicidée.

Helmut Kohl vit avec une nouvelle femme, très jeune par rapport à lui.

«  Peter Kohl raconte sa première visite dans l’appartement de Maike Kohl-Richter alors qu’elle n’était pas encore mariée à son père. Quand la porte s’entrouvre, il découvre un véritable musée à la gloire du chancelier, des photos de lui sur tous les murs. « C’était comme dans un film de propagande. J’en ai eu la chair de poule », confie Peter Kohl, qui a l’impression inquiétante d’avoir à faire à un stalker. Les choses ne tardent pas d’ailleurs à se gâter. Peter et Walter Kohl ne sont pas invités au remariage de leur père. La presse publie une photo qui montre la jeune femme portant un tailleur et des bijoux de famille ayant appartenu à Hannelore. Elle a dû se servir dans la penderie d’Oggersheim. »

L’article relate la dernière visite de Peter Kohl à son père :

«  C’est sa femme qui lui ouvre la porte et le conduit dans le salon. « Mon père avait l’air heureux de nous voir, ma fille et moi. » Mais au bout de dix minutes, comme un enfant qui a peur d’être puni, le chancelier, jadis si puissant, chuchote à son fils : « Il vaut mieux que tu t’en ailles, sinon je vais avoir des ennuis. » Helmut Kohl, affirment ses fils, vivait comme « un prisonnier » ayant totalement perdu le contrôle de sa propre vie. C’est sa femme qui décide qui a le droit de lui rendre visite. […] Entre les fils et le père, le contact est rompu. Walter et Peter n’ont pas vu leur père depuis plusieurs années. »

L’article se termine par ses propos de Walter Kohl qui regrette de ne pas avoir pu faire la paix avec son père de son vivant.

« Les choses sont comme elles sont », soupire-t-il au bord des larmes, avant d’aller se recueillir sur la tombe de sa mère tout près de là.

Pourquoi raconter ces faits et dévoiler la vie privée de ces personnes ?

C’est d’abord pour montrer qu’il y a souvent une grande différence entre ce que l’on voit, ou qu’on nous montre et la réalité de la vie, notamment pour les Hommes politiques.

Je pense que si l’on s’intéresse de plus près à la vie et à la famille de Jacques Chirac, les choses ne sont pas évidentes non plus.

Ensuite, on critique beaucoup les politiques et on a raison. Il y a la soif du pouvoir, le goût des honneurs. Mais il est aussi important que notre univers de connaissance sache qu’il y a une servitude politique qui souvent présente une face sombre. Et que dans cette face sombre, des enfants, des épouses, des familles sont sacrifiées. La recherche du bonheur se trouve rarement sur ce chemin.

C’est l’article du Point que j’ai trouvé le plus précis sur la vie privée de Kohl mais <Vous trouverez ici un long article dans le journal l’Express> dont j’ai tiré l’exergue du mot du jour. Car l’Express nous apprend que les allemands ont cette expression : « Il a touché le manteau de l’Histoire » pour parler des hommes qui ont fait l’Histoire, mais cet article évoque brièvement ce qui est développé dans le Point sous le titre : « Sa vie privée est un désastre ».

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Vendredi 16 juin 2017

«Il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu.»
Éloi Laurent

La troisième et dernière partie du livre d’Éloi Laurent que nous examinons cette semaine concerne la mythologie écolo-sceptique. Il exprime d’abord la constatation du recul de l’écologie politique en Europe et en France. Il ne pense pas que ce recul s’explique parce que tout le monde serait devenu écologiste. Il inscrit plutôt ce repli dans une régression sous l’effet de la crise sociale qui n’en finit plus et d’une idéologie du dénigrement dans laquelle les mythologies économiques jouent un grand rôle.

Il parle d’une échelle graduée de mauvaise foi.

« On commence généralement par prétendre que les crises écologiques sont exagérées à des fins idéologiques, puis on affirme que, quand bien même leur gravité seraient avérées, elles trouveront leur résolution naturelle au moyen des marchés et par la grâce de la croissance, avant de soutenir que, si tel n’était pas le cas, le coût économique et politique de leur atténuation serait de toute façon prohibitif.

Cette stratégie rhétorique n’est pas sans rappeler la parabole du chaudron percé imaginé par Freud dans « le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » : soit un individu qui a emprunté à un autre un chaudron et le restitue percé d’un grand trou qui rend l’objet hors d’usage. L’emprunteur se défend par ces arguments successifs :

  1. « je n’ai jamais emprunté de chaudron » (les crises écologiques n’existent pas) ;
  2. « j’ai rendu le chaudron intact » (elles existent, mais la croissance et le marché nous en préserveront) ;
  3. « le chaudron était déjà percé lorsque je l’ai emprunté » (les deux mensonges précédents sont dévoilés, mais dissimulés derrière un troisième : les crises écologiques sont bien réelles, le marché et la croissance ne suffiront pas à les atténuer, mais aller au-delà affaiblirait notre économie, voire notre démocratie).

[…]

Résultat : nous perdons un temps précieux à remonter le temps des arguments dépassés, sans jamais pouvoir poser les bonnes questions pour l’avenir, comme celle des causes et des conséquences sociales des crises écologiques. C’est précisément le but de la mythologie écolo sceptique : retarder par tous les moyens l’heure des choix, qui a pourtant bel et bien sonné.

Il démonte dans cette troisième partie deux autre croyances : « les marchés la croissance sont les véritables solutions à l’urgence écologique » et « l’écologie est l’ennemi de l’innovation et de l’emploi » .

Je finirai ce cinquième mot du jour consacré à l’ouvrage d’Éloi Laurent par son épilogue :

« Dans ses mythologies, Roland Barthes montre comment certains objets de consommation se nourrissent des grands mythes humains qui peuvent ainsi être instrumentalisés à des fins marchandes. Le pouvoir économique, depuis l’avènement de la société industrielle et aujourd’hui encore, utilise la mythologie comme sésame pour pénétrer et coloniser les imaginaires. Mais, nouveauté fondamentale, il peuple désormais les esprits de ses propres mythes.

Barthes s’attache aussi, en conclusion de son ouvrage, a dévoilé les fonctions du mythe, et il parvient à une conclusion particulièrement éclairante : « le mythe est une parole dépolitisée ». Les mythes forment ensemble de « fausses évidences » qui se présentent comme naturelles et organisent un monde « sans contradiction parce que sans profondeur ». La fonction du mythe est autant de mettre en lumière que de passer sous silence.

C’est précisément ce que l’on voit à l’aune des 15 illustrations proposées dans ce livre : les mythes économiques contemporains, qui ont colonisé les esprits, ont pour fonction principale de détourner l’attention des citoyens des véritables enjeux dont ils devraient se soucier et débattre. Nos mythologies économiques sont des mystifications politiques. On ne pourra donc pas les dissiper seulement en les démentant, ce que cet ouvrage a tenté de faire. De même qu’une théorie n’est pas démentie par des faits, mais par une autre théorie, il faut qu’une parole politisée fasse retour pour que le charme des mythologies économiques soit enfin rompu. […].

C’est pourquoi il est indispensable de s’atteler à la construction de nouveaux récits communs positifs, dans l’esprit de la mythologie grecque, où la raison et le rêve, sur un pied d’égalité, se nourrissent mutuellement pour donner sens à l’existence humaine. Vaste et beau programme. »

Quand on parle de politique, on veut dire qu’il est possible par des actes de gouvernement d’avoir une influence sur le cours des choses.

Mais pour qu’une pensée politique nouvelle puisse émerger, il faut créer de nouveaux récits, de nouveaux mythes.

Pour que tout cela puisse fonctionner, il faut aussi parvenir à investir (pacifiquement bien évidemment) un territoire sur lequel la Politique est en capacité de maîtriser les pulsions cupides de l’homo economicus et de parler d’égal à égal avec les forces économiques. Le territoire de la France est insuffisant à cette tâche.

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Jeudi 15 juin 2017

« Le grand remplacement »
Mythologie inventée par Renaud Camus

Pour celles et ceux qui ne le savent pas, Renaud Camus, né en 1946 est un écrivain et un militant politique français. Il a été un moment, dans les années 1970-1980, membre du Parti socialiste. Son cheminement politique l’a ensuite amené à l’extrême droite. Il crée en 2002 le parti de l’Innocence et publie en 2010 un livre dont le titre est « L’abécédaire de l’in-nocence » et dans lequel il introduit le concept du « grand remplacement ».

Dans ce concept, il théorise l’idée qu’à la faveur de l’immigration et des différentiels de fécondité, « des immigrés ou des Français administratifs issus de l’immigration », ou des peuples venus de l’Afrique et notamment du Maghreb, tendent à devenir majoritaires sur des portions en expansion constante du territoire français métropolitain, et que ce processus doit conduire à une substitution de population au terme de laquelle la France cessera d’être une nation essentiellement européenne. Il prétend même que ce phénomène doit s’effectuer en quelques décennies.

Qu’un penseur illuminé défende ce type de fantasme ne présente pas d’intérêt, mais cette pensée irrigue de plus en plus la pensée d’extrême droite et aussi toute une partie des républicains, celle qui est proche de la pensée identitaire.

C’est une des mythologies social-xénophobe qu’Éloi Laurent tente de démonter dans son livre « Nos mythologies économiques ». Il appelle ainsi l’évolution du discours xénophobe des extrêmes droites parce qu’elles ont ajouté à leurs fantasmes d’identité nationale le fait que l’immigration menacerait l’attachement des Européens à leur modèle social.

Il définit cette mythologie de la manière suivante : « les flux migratoires actuels sont incontrôlables et conduiront sous peu au « grand remplacement » de la population française. »

Il écrit :

« Le mythe peut être le mieux ancré dans le discours social-xénophobe veut que la mondialisation actuelle se distingue de toutes les périodes d’intégration économique antérieures par des flux migratoires considérables et incontrôlables. Disons-le d’emblée sans détour, c’est le contraire qui est vrai : alors que la période dite de « première mondialisation » (1870–1914) a connu des mouvements de populations massifs, notamment de l’Europe vers les États-Unis, les migrants ne représentent dans notre mondialisation qu’environ 3 % de la population mondiale (230 millions de migrants pour 7 milliards d’habitants sur la terre). Cela signifie que 97 % des habitants de la planète demeurent où ils sont nés (cette proportion étant stable depuis 25 ans). Les humains sont donc aujourd’hui infiniment plus sédentaires que nomades, ce qui ne fut pas toujours vrai. En revanche, bien entendu, la population de la planète a considérablement augmenté au cours du XXe siècle (d’un facteur quatre), d’où une progression des migrations en volume. Mais elles ont bien diminué en proportion.

Pour ce qui est de la France, par comparaison avec la période de forte émigration des années 1960, les flux ont régressé non seulement en proportion mais également en volume. Contrairement à la vulgate véhiculée par l’extrême droite et qui a contaminé une bonne partie des esprits conservateurs, et parfois même progressistes, les flux migratoires sont à un point historiquement bas : de l’ordre de 280 000 personnes par an, dont 80 000 d’origine européenne et 60 000 étudiants (dont un tiers environ ne restera pas en France). Ramenée à la population française, la proportion terrifiante de ces envahisseurs sur le sol national atteint 0,4 %.

Je vous épargne toute une autre série de chiffres que l’économiste donne à l’appui de sa démonstration à la page 59 de son ouvrage pour en arriver à sa conclusion qui ne nie pas les difficultés, mais pointe le véritable problème de la France dans ce domaine :

« Comme souvent, le discours mythologique est un écran de fumée toxique : la vraie question nationale n’est pas l’insoutenabilité de l’immigration actuelle, mais la défaillance de l’intégration sociale des immigrés d’hier et de leurs enfants. Quelle chance la République a-t-elle données et donne-t-elle aux quelques 12 millions de Français immigrés ou nés en France d’un parent immigré ? Comment la France cultive-t-elle la richesse d’une population devenu tranquillement diverse au cours du XXe siècle ? »

Cette question a été étudiée (d’ailleurs Éloi Laurent renvoie vers cet auteur) par François Héran qui a publié notamment : « Le Temps des immigrés. Essai sur le destin de la population française » (Seuil, « La république des idées », 2007).

Post scriptum :<Après la publication de ce mot : Alain Finkelkraut a invité, le 24 juin dans son émission « Répliques », Renaud Camus et l’a confronté à Hervé le Bras>. Le sujet de cette émission était bien le Grand Remplacement.

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Mercredi 14 juin 2017

«La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité»
Arthur Okun

Arthur Okun (1928-1980) était un économiste américain qui fut conseiller économique du président Kennedy. Il est surtout connu pour la loi qui porte son nom, la loi d’Okun, qui prétend qu’il existe une relation linéaire entre les taux de variation du chômage et du PIB. Le résumé simple qu’en donne Wikipedia est le suivant : « En dessous d’un certain seuil de croissance, le chômage augmente ; au-dessus de ce seuil, il diminue »

Éloi Laurent le cite pour une autre raison : le livre qu’il a écrit : < Egalité versus efficacité. Comment trouver l’équilibre?> dont il conteste la thèse centrale à savoir que la poursuite de l’efficacité ne peut que se réaliser par un creusement des inégalités.

Mais avant d’aborder ce sujet qu’il développe dans sa partie consacrée à la mythologie néolibérale : « Il faut produire des richesses avant de les redistribuer », Éloi Laurent pose une question :

« Ce modèle économique pose une question encore plus fondamentale : la privatisation des biens publics est-elle légitime quand elle s’accompagne de sécession fiscale ? »

Et puis il argumente à partir de la page 30 contre la thèse d’Okun :

« Une vision faussement naïve de notre système économique s’est répandue qui veut que la société civile et les entrepreneurs créent une richesse que l’État redistribue selon son bon vouloir aux « assistés » sociaux.

Ce discours à la fois élitiste et condescendant fait commodément abstraction des conditions sociales de la création de richesse. Les entrepreneurs ne viennent pas à la vie dans un monde économique qu’ils inventent en même temps que leurs produits et services. Ils bénéficient d’infrastructures de toute sorte financées par la collectivité sans lesquelles l’innovation resterait à jamais au stade de l’imagination : systèmes de formation, routes, ponts, institutions juridiques, mécanismes de financement, confiance sociale, etc., forment ce que l’on pourrait appeler l’écosystème de la création de valeur économique.

Comme ces biens communs ont un coût, le système de financement fiscal et social constitue la condition et le soubassement de toute activité entrepreneuriale. Ici aussi, la question est de savoir si les entreprises et leurs dirigeants paient leur juste part d’un effort collectif dont ils tirent à l’évidence un avantage considérable, ou s’ils se contentent de privatiser le patrimoine commun à leur profit sans contribuer à son entretien ni à son renouvellement. […]

Ne pas payer ses impôts et ne pas rémunérer le travail sont deux « modèles économiques» particulièrement prisés du capitalisme de passager clandestin.

Au-delà même de ces conditions sociales de la création de valeur, il faut s’interroger sur la primauté donnée, dans l’économie mythologique, à la production sur la répartition.

Et si la crise contemporaine des inégalités finissait par anéantir le dynamisme économique ?

Et si en d’autres termes, il fallait complètement renverser la logique de l’argumentation mythologique pour montrer que c’est la répartition des richesses qui conditionne les possibilités du développement économique ?

Pour des générations d’économistes, le « grand dilemme » entre efficacité et égalité postulé par Arthur Okun demeure la référence intellectuelle consciente ou inconsciente.

Le schéma de pensée qui émergea de son ouvrage de 1975 veut que les inégalités soient un mal nécessaire pour atteindre l’efficacité économique : « La poursuite de l’efficacité crée nécessairement des inégalités. Et ainsi la société est confrontée à un arbitrage entre égalité et efficacité. »

Comme c’est parfois le cas la traduction de cet ouvrage a conduit à une perte de sens : le mot trade-off (dilemme, arbitrage) est devenue dans l’édition française « équilibre ». Or le point-clé de l’analyse est la séparation et la hiérarchisation des enjeux d’efficacité et d’égalité. Okun est en cela fidèle à l’analyse néoclassique la plus conventionnelle […] : une politique économique doit d’abord viser l’efficacité économique, dont découlera naturellement, dans le cas idéal, la redistribution. […]

La recherche économique de ce début de XXIe siècle, par de très nombreux travaux empiriques, remet complètement en cause cette idéologie de l’efficacité naturellement juste : les inégalités sont non seulement injustes, mais elles sont tout autant inefficaces. Elles provoquent des crises financières. Elles substituent la rente à l’innovation. Elles empêchent l’essor de la santé et de l’éducation. Elles figent les positions sociales. Elles paralysent la démocratie. Elle aggravent les dégradations environnementales et nourrissent les crises écologiques.

Et Éloi Laurent illustre son propos par plusieurs exemples : Okun a proposé une image du « seau percé. Chaque politique de redistribution, comme l’impôt sur les revenus en France, serait comme un trou percé qui laisserait s’échapper un peu de dynamisme économique : au final, selon Okun, le seau parvient vide à la population, l’équité ayant tué l’efficacité. Mais Éloi Laurent inverse cette démonstration :

« Les inégalités sont autant de trous percés dans le seau de l’efficacité ; dès lors il ne sert à rien de remplir celui-ci, car son contenu ne parvient plus jusqu’aux citoyens. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, aux États-Unis, 2 % de croissance du PIB se traduisent dans les faits par une décroissance du revenu de 90 % de la population : Entre l’accroissement du PIB et les revenus effectivement distribués à la très grande majorité des américains s’interposent les « fuites » du pouvoir de la finance, de l’inégalité salaire-profit et de l’accaparement des richesses par les individus parvenus, à l’aide de moyens largement publics, au sommet de l’échelle des revenus

Dans le cas français, on sait désormais que c’est l’ampleur des inégalités scolaires qui expliquent la faible performance d’ensemble des élèves aux tests internationaux. Les inégalités plombent l’efficacité de l’école française. »

Cette problématique de l’inefficacité de l’inégalité avait déjà été évoquée lors du mot du jour du Jeudi 16 mai 2013 : « Les perspectives de croissance économique stable et durable seraient bien meilleures, si nous ne vivions pas dans un monde où 0, 5 % des plus riches accaparent 35 % des avoirs de la planète » et cette affirmation était de Christine Lagarde Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI)

<Le caractère improductif des inégalités sur la croissance a fait l’objet de plusieurs études, voici une fiche de l’OCDE>

<J’ai trouvé aussi cet ouvrage publié à la Documentation Française : « Inégalités : quels effets sur la croissance ? »>

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Mardi 13 juin 2017

« Qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ? »
Éloi Laurent « Nos mythologies économiques » page 18

Cette question qu’on ne met que rarement au-devant de la scène : Qui assume les risques ? me semble fondamentale.

Daniel Cohen avait mis en lumière cette question dans un entretien à Challenges en 2006 : <La rémunération et la protection du risque sont aberrantes>, en soulignant la supercherie actuelle : « Pendant longtemps, être salarié c’était justement profiter de la sécurité de la condition salariale, le risque étant laissé aux entrepreneurs qui avait en contrepartie la possibilité de s’enrichir. Le capitalisme contemporain a inversé cette équation. C’est désormais le salarié qui est exposé aux risques industriels et c’est l’entrepreneur, l’actionnaire, qui en est protégé. C’est un des éléments de la rupture du contrat implicite qui liait auparavant les salariés aux entreprises. »

Éloi Laurent place cette question dans une perspective plus large. Dans l’ouvrage « Nos mythologies économiques », cette problématique est explicitée dans la partie appelée « la mythologie néolibérale » et le point particulier qui a pour titre : « une économie de marché dynamique repose sur une concurrence libre et non faussée ».

« Le néolibéralisme connaît deux modalités fondamentales : il met alternativement en scène une économie asphyxiée par les régulations publiques et un État submergé par des marchés tout-puissants. Ces deux visions, en apparence contradictoires, sont aussi mythologiques l’une que l’autre : le marché n’existe que parce qu’il est régulé, et l’État en tire précisément sa puissance. […]

La vraie question, occultée par l’écran de fumée mythologique, est ailleurs : qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ? »

« […] L’union européenne est aujourd’hui simultanément la région du monde où le commerce est le plus régulé et celle où il est le plus développé (le marché unique européen représente à lui seul un tiers de ce que l’on nomme la « mondialisation »). Plus la régulation publique est forte, plus les marchés sont dynamiques. On voit bien ce paradoxe à l’œuvre dans les négociations actuelles, complexes et opaques, sur les traités commerciaux transatlantiques et transpacifiques : pour libéraliser, il faut réguler.

[…] La régulation publique du marché prend deux formes : l’intervention et la non-intervention, cette dernière étant souvent le pouvoir le plus puissant, à défaut d’être le plus visible. La fiscalité est certes un instrument majeur d’intervention publique, mais l’absence de fiscalité oriente tout autant, sinon davantage des comportements individuels. En France, le travail est lourdement taxé (pour financer les services publics et sociaux souhaités par les Français), ce qui peut décourager certaines décisions économiques, mais cette ingérence n’est rien face à l’encouragement des pollutions de toutes sortes qui résultent de la très faible fiscalité pesant sur l’usage des ressources naturelles. Si ces pollutions n’étaient pas subventionnées comme elles le sont, les consommateurs devraient en acquitter le véritable prix, et notamment payer le coût réel de l’extraction des ressources naturelles (dont le dommage environnemental se fait sentir en France et encore plus à l’étranger) ainsi que leur usage souvent dommageable pour la santé. Ce coût prohibitif, s’il n’était pas amorti par la puissance publique, aurait tôt fait de stimuler puissamment des comportements écologiquement responsables et la recherche d’alternatives économiques. La puissance publique peut certes encourager l’innovation, mais beaucoup plus sûrement encore la décourager. »

Cela nous amène à un point essentiel : les promoteurs du prétendu « libre » marché ne réclament absolument pas la fin de l’intervention publique dans l’économie, ils demandent simplement que celle-ci soit détournée en leur faveur ! En France, le MEDEF est parvenu ces dernières années à convaincre le gouvernement à la fois du caractère insupportable de l’intervention publique et de la nécessité absolue d’un transfert historique de cotisations sociales de 40 milliards d’euros des entreprises vers les ménages. Aux États-Unis, les milliardaires les moins scrupuleux (comme les frères Koch, qui possèdent aujourd’hui un véritable empire industriel) se sont faits un devoir de propager par tous les moyens le mythe de la libre concurrence tout en bénéficiant pour leur plus grand profit de centaines de millions de dollars d’exonérations d’impôts qui ne sont rien d’autre que des subventions publiques payées par les contribuables aux propriétaires du capital. Le « modèle économique » de ces « entrepreneurs » consiste à se spécialiser dans la captation des subventions publiques. […]»

Ces développements me font songer à cette réflexion de Henry Morgenthau, le secrétaire au Trésor américain de Franklin Roosevelt : «  «Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée, trop de citoyens veulent la civilisation au rabais» et que j’avais évoquée lors du mot du jour du Jeudi 21 mars 2013.

Éloi Laurent conteste le fait que l’État soit impuissant devant les marchés financiers. Il parle de fable. Il insiste sur le rôle central qui a été joué par la puissance publique dans la libéralisation financière des dernières décennies et le gain considérable qu’elle en retire au quotidien.

Il écrit :

« Le cas français est particulièrement éloquent. C’est la puissance publique en l’occurrence d’obédience socialiste, qui a organisé dans les années 1980 la libéralisation des marchés financiers, sur le territoire français et, par contrecoup, sur le continent européen, dans le but de financer sa dette publique sur les marchés ainsi rendus plus profonds. La mystification est complète lorsque, 30 ans plus tard, l’État français, à nouveau d’obédience socialiste, entend réduire sa dette publique et sabrer dans les dépenses sociales au nom d’impératifs qui lui seraient imposés par les marchés financiers !

S’il y a impuissance publique, elle est volontaire et réversible à tout moment. […]

De la même manière, la « crise » n’est en rien une illustration de l’impuissance de l’État, mais au contraire une saisissante révélation de sa toute-puissance : comme on l’a vu à l’automne 2008, notre système économique, sans la signature de l’État et sa garantie publique, se serait effondré en quelques semaines. La véritable question, ici comme ailleurs, est celle de la répartition des coûts : qui paye pour cette garantie apportée par l’État aux acteurs de l’économie, en priorité financiers, en période de récession ? Et pourquoi cette garantie ne bénéficie-t-elle pas ou plus aux autres acteurs du système économique, à commencer par les salariés ?

Derrière la question des coûts se cache donc celle des risques, et il semble bien que nous soyons passés en la matière, tandis que la mythologie économique faisait écran, d’une assurance sociale apportée aux travailleurs par la puissance publique (emploi, salaires, conditions de travail), de l’après-guerre jusqu’aux années 1980, à une garantie financière apportée aux banques et aux investisseurs depuis lors. La puissance économique de l’État est parfaitement intacte, elle a simplement été mise au service d’une autre cause que le progrès social. »

La puissance publique a été mise au service d’une autre cause que le progrès social !

C’est un peu brutal.

Dire que la puissance publique a accepté de reculer est exacte, mais il ne reste pas moins que la Politique a pour lieu d’expression des frontières nationales, alors que l’économie transcende ces frontières. Il apparait très compliqué de faire la révolution dans un seul pays, c’est-à-dire faire une politique qui remettrait en cause les positions acquises par les puissances financières et économiques au profit du plus grand nombre.

Il n’en reste pas moins que les questions initiales : Qui assume les risques et les coûts de l’économie de marché ? Qui en possède les rentes ?, sont fondamentales. Elles constituent une prise de conscience.

La solution doit être politique, mais elle est transnationale et doit se situer sur un territoire d’une dimension telle que la Politique puisse réellement discuter à armes égales avec l’Economie.

Dans l’idéal il faudrait que ce territoire soit le Monde, mais l’Union européenne constituerait une étape crédible.

Mais disposer, à ce niveau, d’un vrai consensus politique semble encore totalement hors de portée.

Il n’en reste pas moins qu’avant d’espérer arriver à ce stade, il faut être en capacité de déconstruire les mythologies qui sont à l’œuvre et les remplacer par d’autres plus orientées vers l’Humanisme et la préservation de notre mère nourricière : notre planète.

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Lundi 12 juin 2017

« Nos mythologies économiques »
Éloi Laurent

<C’est en écoutant l’émission la Grande Table, il y a déjà plusieurs mois que j’ai eu connaissance du livre d’Eloi Laurent : nos mythologies économiques>

J’ai trouvé cet économiste tellement intéressant que, cette fois, j’ai acheté le livre dont il assurait la promotion lors de cette émission de France Culture du 16 novembre 2016 qui avait pour titre pertinent : « Comment sortir l’économie de la croyance ? ». Car c’est bien le centre de la question, l’économie se donne les apparences d’une science dure, d’une science du chiffre, de la rationalité, mais elle est avant toute chose une science sociale.

L’inoubliable, Bernard Maris disait : [l’économie] « C’est du jargon, c’est de la rhétorique, ce n’est pas de la science, c’est un peu de statistiques, c’est beaucoup de psychologie et pas mal de bavardages».
J’avais relaté ce propos dans le mot du jour du mardi 13 janvier 2015, quelques jours après son assassinat lors du carnage de Charlie Hebdo.

<En mars 2016, Eloi Laurent avait été l’invité de Patrick Cohen à France Inter pour le même ouvrage>

Éloi Laurent, né en 1974 enseigne à Sciences Po. Il est aussi professeur invité à l’université Stanford ainsi qu’à Harvard. Il participe aussi à l’OFCE : Observatoire français des conjonctures économiques. Il possède donc des références sérieuses et sa parole peut être prise en considération même si elle peut et même doit être, bien sûr, contestée.

Dans le prologue de son livre « Nos mythologies économiques » il écrit notamment :

« L’économie est devenue la grammaire de la politique. […] Le politique parle de nos jours sous réserve d’une validation économique, et on le rappelle promptement à l’ordre dès que son verbe prétend s’affranchir de la tutelle du chiffre. Or cette grammaire économique n’est ni une science ni un art, mais bien plutôt une mythologie, une croyance commune en un ensemble de représentations collectives fondatrices et régulatrices jugées dignes de foi, aussi puissante que contestable.

Quelle est donc l’utilité de la mythologie économique ?

Qu’espère le politique en se soumettant à son empire?

Il croit vraisemblablement en tirer l’autorité qui, de plus en plus, lui file entre les droits. […]

Ce livre ne prétend pas rétablir la raison économique contre l’économie mythologique : il n’y a pas de vérité en économie. Il n’y a que des hypothèses en amont et des choix en aval, et, entre les deux, dans le meilleur des cas, une méthode et des instruments robustes. En revanche, il veut redonner aux lecteurs le goût du questionnement économique, dont la disparition progressive est lourde de menaces pour notre débat démocratique. »

Prologue (page 9 à 14 du livre)

Ce petit livre d’une centaine de pages, publié en février 2016, par l’éditeur : « les liens qui libèrent » est divisée en trois parties :

  • 1 – mythologie néolibérale
  • 2 – la mythologie sociale xénophobe
  • 3 – la mythologie écolo sceptique

Chacune de ces parties est encore divisée en sous chapitres. Ainsi, la « mythologie néolibérale » comprend cinq points :

  • une économie de marché dynamique repose sur une concurrence libre et non faussée
  • Il faut produire des richesses avant de les redistribuer
  • l’État doit être géré comme un ménage, l’État doit être géré comme une entreprise
  • les régimes sociaux sont financièrement insoutenables
  • les réformes structurelles visant à augmenter la compétitivité sont la clé de notre prospérité

Je développerai certains de ces points dans les prochains mots du jour.

Comme chaque fois, ces réflexions ne constituent pas la vérité, mais une vérité, un éclairage intéressant pour comprendre le monde et remettre en question le discours dominant qui prétend constituer une évidence, un consensus pour tous les gens raisonnables. Ce qu’Alain Minc a appelé « le cercle de la raison ». Ce qui aurait pour signification que tous ceux qui ne sont pas d’accord avec ce consensus sont forcément déraisonnables. Je ne conteste pas que certains discours, certains programmes politiques sont certainement déraisonnables. Mais tout ce qui remet en cause les pseudo évidences qui sont répétées à satiété par des économistes et des politiques qui prétendent à un discours de raison et d’intelligence, ne sont pas systématiquement en dehors du raisonnable et de la compréhension des forces d’intérêts qui sont à l’œuvre dans le monde aujourd’hui.

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Mardi 23 mai 2017

«Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace»
Danton

C’est le 2 septembre 1792 que Danton devant l’Assemblée Législative a prononcé ces paroles devenus célèbres.

La France révolutionnaire était très mal, attaqué de partout, Verdun était tombé aux mains des prussiens cette fois-là et Danton est monté à la tribune pour se lancer dans un discours enflammé qui finit par ces mots : «Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ». Puis, le 20 septembre 1792, avec la bataille et la victoire de Valmy sur les Prussiens, l’armée française, commandée par le général Charles-François Dumouriez, a arrêté l’invasion.

Vous en lirez davantage sur cette page de l’Assemblée Nationale : <Danton 2 septembre 1792>

Le Président de la République nouvellement élu, Emmanuel Macron s’est exclamé dans son discours au Louvre :

« Oui ce soir nous avons gagné un droit, un droit qui nous oblige. Vous avez choisi l’audace. Et cette audace nous la poursuivrons. Et chaque jour qui vient nous continuerons à la porter, parce que c’est ce que les françaises et les français attendent. Parce que c’est ce que l’Europe et le Monde attendent de nous »

Ce passage du discours, vous le retrouverez (à 14:23) dans l’émission de France 5 « C Polémique », derrière ce lien : <ICI>

Le journaliste Bruce Toussaint se tourne alors vers Jacques Attali et lui pose cette question : « Moi je dirais que c’est du Attali non ? »

Jacques Attali se défend d’abord en disant « Je n’y suis pour rien dans tout ça », puis dit sa confiance en Emmanuel Macron qui appliquera enfin les réformes dont la France a besoin et que lui-même préconise depuis si longtemps. Il pense que Macron aura cette audace et raconte comment les prédécesseurs d’Emmanuel Macron réagissaient lorsqu’il leur demandait des réformes audacieuses : « Si je fais ce que tu dis, ils vont venir me couper la tête ». Il rappelle de manière malicieuse que si aucun n’a été décapité, ils ont tous été virés par les électeurs.

En résumé Jacques Attali pense que nous sommes enfin sur la bonne voie et qu’Emmanuel Macron est l’homme de la situation.

Mais après, Bruce Toussaint donne la parole à Edgar Morin qui est également invité dans cette émission. Et Edgar Morin tient un autre discours (17:00) dont je tente ci-après de vous donner la substance :

« La question de l’audace, c’est l’audace pour qui ? Pour quoi ?

Moi je crois que c’est quelqu’un qui est capable évidemment de faire des grandes choses. […]

Ce petit bonhomme tout seul, cette sorte de Tintin a fait sauter l’énorme édifice. Il n’y est pas arrivé tout seul, dès le début il a eu d’énormes ralliements. Il est arrivé à rassembler ces ralliements hétéroclites.
La question aujourd’hui est que ce côté hétéroclite va avoir une convergence ?
Est-ce qu’il va arriver à donner une convergence à ça ?
Il sera obligé de donner une voie, un chemin qu’il n’a pas encore donné.
Il reste dans le flou, peut-être qu’il aura intérêt à rester dans le flou.
Mais à supposer qu’il ait des véritables pouvoirs après avoir passé l’obstacle des législatives…
Reste à savoir, ce pays qui souffre, il a besoin d’une nouvelle voie, ce qu’il appelle la transformation.

Nous connaissons la direction qu’il faudrait prendre. Nous savons qu’il faut réduire le pouvoir du calcul, de l’argent. Nous savons qu’il faut profiter de problèmes écologiques [à surmonter] pour redonner de la santé, de la vitalité à notre société.

Nous savons qu’il faut donner de la véritable solidarité qu’il faut insuffler par tous les moyens possibles dans un monde où domine le pour soi et l’égoïsme.
Nous savons que la France n’est pas isolée dans le monde.
Il a d’ailleurs dit que le monde attend quelque chose de la France.
Il faudrait que la France renouvelle un message comme celui que Dominique de Villepin avait adressé à l’ONU, lors du refus de participer à la guerre en Irak.
Qu’on sente que la France existe autrement qu’à la remorque des Etats-Unis. »

Voilà ce que ce vieil homme de 95 ans dit avec passion au jeune Président de 39 ans :

L’audace pour qui, pour quoi ?

Dans quel sens allons-nous ?

Sommes-nous convaincus qu’il faut faire reculer le calcul et l’argent et redonner des lettres de noblesse à la solidarité contre l’égoïsme et l’individualisme forcené ?

Bien sûr il faut des réformes de fond, on ne peut continuer comme cela.

Mais quelles sont les valeurs en œuvre ?

Je partage les interrogations d’Edgar Morin.

Je redonne le lien vers l’émission : <ICI>

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