Mardi 29 mai 2018

« Mai 68 : De Gaulle contre Georges Pompidou »
Analyse du pouvoir politique en France en mai 68

Le mouvement de mai va prendre un tour dramatique le 29 mai 1968. Le Général de Gaulle va quitter le territoire français, sans informer personne et notamment pas son premier Ministre Georges Pompidou qui ne saura donc pas, pendant plusieurs heures, où se trouve le Président de la République.

Le général De Gaulle a quitté l’Élysée mercredi 29 mai à 11 heures 15 après avoir soudainement ajourné le conseil des ministres. À Georges Pompidou, le président de la République a expliqué qu’il partait à Colombey-les-deux-églises. À 14 heures, Bernard Tricot, secrétaire général de la Présidence, a appris au Premier ministre que le Général ne se trouvait pas dans sa maison de famille en Haute-Marne. Tous ses proches collaborateurs ignoraient où il était parti. La disparition du chef de l’État a suscité de la surprise et de la panique au sein de son entourage.

Maintenant nous savons, il était à Baden Baden, dans le quartier général de l’armée Française en Allemagne. Armée qui était sous le commandement du Général Massu. A son arrivée le gouvernement allemand n’était pas non plus au courant.

C’était un acte extrêmement grave. Le Général de Gaulle en est conscient et évoque sa déchéance possible.

Georges Pompidou ne lui pardonnera jamais cet acte de « non confiance » ou de « fuite ».

Le matin du 29 mai, De Gaulle avait fait venir à l’Élysée le général Alain de Boissieu qui était aussi son gendre et lui a fait cet aveu :

« Le peuple français n’a pas besoin de De Gaulle à sa tête … Je vais me retirer à Colombey… »

Et à 11h30, la DS présidentielle franchit, au fond du parc, la grille du Coq et ne sort donc pas par la porte principale au 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Elle file vers l’héliport d’Issy les Moulineaux et il est prévu que son fils : Philippe de Gaulle les rejoigne. Tante Yvonne, la discrète épouse murmure : « Cela ressemble à la fuite de Varennes… »

L’hélicoptère atterrit dans la résidence occupée par le Général Massu à 14h50.

Dans un livre publié en 2016 par La journaliste Christine Clerc: « Le tombeur du Général » dans lequel elle mélange fiction (un entretien imaginaire entre Cohn Bendit et De Gaulle) et la réalité historique, fait ce récit :

« A Matignon, Pompidou, jusque-là si calme est décomposé. Certes il connaît depuis longtemps les coups de blues du Général et sa tentation périodique du départ. Combien de fois Madame de Gaulle lui a-t-elle confié ses inquiétudes pour la santé de son mari. Mais en pleine crise politique et sociale, ce mercredi 29 mai, alors que la CGT et le PC prévoient pour le lendemain une manifestation géante dans le but d’affirmer leur prépondérance, son départ serait une véritable catastrophe. […] son retrait le placerait, lui, le Premier ministre, dans une situation constitutionnelle inextricable : verra-t-on le président du Sénat, Gaston Monnerville, qui n’a cessé de combattre le régime, assurer l’intérim ?  […] De toutes parts, y compris au sein du gouvernement, des voix s’élèvent depuis plusieurs jours que l’on fasse appel à celui qui régla naguère le problème indochinois : Pierre Mendès France.»

Aujourd’hui nous disposons de divers témoignages, ainsi celui de l’entourage de Georges Pompidou :

« On est dans le salon avec Claude Pompidou et son fils Alain, ce 29 mai, à l’heure du café, lorsque le Premier ministre sort, « blême », de son bureau et lâche : « Le général de Gaulle a disparu, on a perdu sa trace. » »

Dans un article de l’Express du 8 mai 2008, l’amiral Flohic qui était en 1968 capitaine et aide de camp du Général et qui a accompagné la famille présidentielle a fait un récit « de cette escapade ». C’est lui qui révèle que le but réel du voyage a été caché jusqu’au dernier moment. Et c’est le capitaine Flohic qui raconte qu’une fois arrivée c’est lui qui téléphone au Général Massu. Récit amusant :

« – Nous sommes là !
– Qui nous ?
– Le Général et Mme De Gaulle.
– Laisse-moi 5 mn, je faisais la sieste à poil sur mon lit »

On saura plus tard qu’il avait reçu la veille le maréchal Kochevoï, commandant des troupes soviétiques en RDA. LA soirée avait été plutôt arrosée ! […]

Le président apostrophe Massu : « Tout est foutu ! » […]

A 15h20. Le chef de l’Etat m’interpelle : « Que va-t-il se passer maintenant en France, le Conseil constitutionnel va constater ma déchéance »

Et puis De Gaulle discute en tête à tête avec Massu et à 16 heures, le capitaine Flohic constate :

« Je trouve un homme transformé, ragaillardi. Il avait pris sa résolution. L’intervention de Massu s’est révélée déterminante. Il le confirmera quelque temps plus tard lors d’un déjeuner, s’adressant à Mme Massu : « C’est la Providence qui a placé votre mari sur mon chemin. »

La suite est connue. Il repart à 16h30 et cette fois va à Colombey. Dès qu’il arrive il téléphone enfin à Pompidou pour l’avertir de convoquer le Conseil des ministres le lendemain donc le jeudi.

Le lendemain matin, le 30 mai Pompidou présente sa démission à De Gaulle qui la refuse.

<Le Monde relate : >

« Quand Pompidou arrive à l’Elysée, ce jeudi 30 mai à 14 h 30, sa grande lassitude le dispute à la déception. Il n’a toujours pas digéré les événements des vingt-quatre dernières heures. […]

Tenu à l’écart de cette initiative prise sous le sceau du secret le plus absolu, duquel même la garde rapprochée du chef de l’Etat a été exclue, il estime que le Général a commis une erreur. Partir ainsi, dans un pays étranger, pour chercher conseil auprès d’un autre général, Massu en l’occurrence, alors que la nation traverse une période d’instabilité profonde, constitue, selon lui, un risque majeur, explique-t-il à ses proches.

Ce différend entre le chef de l’exécutif et celui qu’il a désigné pour diriger sa majorité n’est pas le premier. Dix jours auparavant, les deux hommes s’étaient déjà montrés en désaccord sur la manière de répondre aux manifestations.

Le 19 mai, à son retour de Roumanie, où il a séjourné du 14 au 18, de Gaulle a convoqué Pompidou à l’Elysée, ainsi que Pierre Messmer, ministre des armées, Georges Gorse, ministre de l’information, Christian Fouchet, ministre de l’intérieur, et Maurice Grimaud, préfet de police de Paris. Dans un bloc-notes qu’il tient de manière quasi quotidienne, ce dernier livre un compte rendu de cette réunion. « Pompidou veut prendre la parole mais le général la lui coupe : « Ce qui se passe a assez duré. Cette fois, c’est la chienlit et l’anarchie. Ça n’est pas tolérable. Il faut que ça cesse. J’ai pris mes décisions. On évacue aujourd’hui l’Odéon et demain la Sorbonne. » » Dans la salle, quelques voix tentent de faire entendre la difficulté de l’entreprise. Bien que le Général refuse de les prendre en compte, l’ordre ne sera pas suivi d’effet. Ni le préfet ni Pompidou ne sont partisans de la manière forte.

[…] Le premier ministre cherche une sortie pacifique. Il pense que la surenchère des étudiants joue contre eux. Il sait que leur intransigeance inquiète les syndicats, surtout la CGT. Dans cette période d’agitation extrême, la centrale de Georges Séguy craint d’être débordée sur sa gauche. Elle aussi cherche une issue. Ces derniers jours, des contacts officieux, mais de plus en plus fréquents, sont établis entre les responsables de la CGT et les représentants de Matignon.

D’un côté comme de l’autre, on prépare la négociation de Grenelle à l’abri des regards. C’est dans ce contexte — entre le 18 et le 20 mai, la date exacte reste introuvable — qu’Henri Krasucki, numéro deux de la CGT, et Jacques Chirac se retrouvent en tête à tête à Paris, dans un lieu discret — le cabinet d’un avocat communiste.

Quand, en 1977, Chirac livre dans Paris Match sa version de ce tête-à-tête — il parle d’une chambre de bonne et d’une planque clandestine —, Krasucki s’en amuse. Avec sa gouaille inimitable, le dirigeant de la CGT décrit le jeune Chirac en « homme fébrile et angoissé » à l’idée de se rendre dans un endroit qui lui était inconnu. En vérité, et cet épisode rocambolesque l’illustre, durant toute la période de Mai 68, les ponts n’ont jamais été rompus entre le gouvernement et les syndicats. « Nous étions tous en relation avec nos interlocuteurs habituels », se souvient Edouard Balladur. […]

Blessé par l’épisode de la veille, Pompidou le rejoint en début d’après-midi. Sa lettre de démission en poche, le voici devant le Général. « Si vous partez, je pars aussi. Vous restez ! », rétorque celui-ci. De Gaulle n’a pas l’intention de sacrifier son premier ministre. A ses yeux, ce n’est pas le moment de fléchir. Le pays a besoin que s’exprime l’autorité de l’État. Le peuple veut en finir avec ce désordre. Le message vaut pour l’opinion, mais aussi pour ceux qui, dans l’entourage du chef de l’État — responsables militaires, hauts fonctionnaires et dirigeants de la droite —, douteraient de sa détermination. Il montre à Pompidou la déclaration qu’il s’apprête à faire à la radio. « Je ne me retirerai pas. Je ne changerai pas le premier ministre… » Il appelle à l’ordre et annonce la convocation d’un référendum sur la participation. […]

L’idée de ce référendum lui a été suggérée par Bernard Ducamin, l’un de ses conseillers, qui travaille au secrétariat général de l’Élysée sous l’autorité du fidèle Bernard Tricot.

Comme le révèle le livre 68, les archives du pouvoir (L’Iconoclaste, 304 p., 25 €), dès la mi-mai, Bernard Ducamin considère que l’exécutif a perdu suffisamment de temps. « Le tableau de la situation est sombre, écrit-il dans une note confidentielle qu’il remet à Bernard Tricot. […] Toutes les conditions objectives d’un drame sont réunies. » Et le haut fonctionnaire de recommander un remaniement ministériel, une reprise en main policière et l’organisation d’un référendum.

Mauvaise idée, selon Pompidou. Pour lui, ce référendum est un piège. Il n’en veut pas et le dit au Général. Le premier ministre plaide pour la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation de nouvelles élections législatives dans la foulée. De Gaulle accepte. Aux yeux de Pompidou, cette décision a le mérite de satisfaire tout le monde : la gauche, qui réclame la démission du gouvernement ; les syndicats, qui ont rejeté ses propositions ; et les Français, qui souhaitent que tout ça se termine. »

Encore une fois, Pompidou fait fléchir De Gaulle et arrive à le convaincre de convoquer de nouvelles élections législatives et non de faire un référendum sur la participation dont Pompidou ne veut pas. Il est en effet beaucoup plus à droite que De Gaulle.

L’histoire retiendra que Pompidou par son calme ainsi que le préfet de police «  Maurice Grimaud » ont évité des violences inutiles et surtout des morts et des blessés graves. De Gaulle aurait voulu une manière forte.

Cette Histoire est probablement vraie en partie.

Mais Pierre Mendés France dans l’émission Apostrophes du 23 janvier 1976, apporte de petites nuances. Le 27 mai 1968, s’était tenu le fameux meeting de la gauche non communiste au stade de Charléty. Et Mendés France était venu mais beaucoup s’étonnèrent qu’il n’y prenne pas la parole. Dans ce court extrait il explique à la fois la désunion de la Gauche, raison pour laquelle il ne trouvait aucun intérêt à parler devant la foule et il raconte autre chose : la raison de sa présence. Il avait appris, car ses réseaux au niveau du pouvoir étaient très présents, que dans l’entourage du premier ministre on voulait employer la méthode forte, brutale pour cette fois réprimer violemment les étudiants et les jeunes et lui avec son prestige avait la volonté d’éviter cela par sa présence. Il est vrai qu’il reconnait que l’échec à ce moment-là des négociations de Grenelle avait conduit les tenants de la manière forte à revenir à la modération.

Les syndicats avaient donné leur accord à Pompidou, mais le 27 mai Georges Séguy, secrétaire général de la CGT n’avait pas obtenu l’adhésion des ouvriers de Renault à Boulogne Billancourt qui trouvaient les avancées sociales insuffisantes.

Et cela est à rapprocher du témoignage d’Edouard Balladur sur France Inter que j’ai évoqué lors du mot du jour du 22 mai 2018….

On apprend que Pompidou n’était pas tant adepte de la méthode douce, mais qu’il était convaincu que la méthode forte contre les étudiants conduirait à la mobilisation de l’opinion publique contre le gouvernement.

Il a donc poursuivi une stratégie simple : attendre que le mouvement lasse l’opinion publique et faire diverger les intérêts des ouvriers et les revendications des étudiants. Si les accords de Grenelle avaient été concluants dès le 27 mai 1968, il n’aurait probablement eu aucun scrupule à essayer d’employer la manière forte à Charléty.

Tel ne fut pas le cas

Le 30 mai le Général prend la parole à la radio :

« J’ai envisagé depuis vingt-quatre heures toutes les éventualités. J’ai pris des résolutions. Je ne me retirerai pas. Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale. »

Immédiatement, des centaines de milliers de gaullistes remontent les Champs-Elysées vers la place de l’Étoile derrière Michel Debré et Malraux.

Le 1er juin, Georges Séguy écrit dans « l’Humanité » :

« La CGT n’entend gêner en rien le déroulement » des élections législatives fixées par de Gaulle à la fin du mois ».

Elle choisit ainsi avec le parti communiste résolument le parti de De Gaulle contre les anarchistes trotskystes et maoïstes que l’une et l’autre détestent. Il est vrai aussi que la France profonde est devenu lasse des perturbations et va prouver par son vote le retour à la normalité du pouvoir gaulliste et au-delà : il s’agira d’un triomphe.

La manifestation gaulliste du 30 mai et l’organisation des élections législatives les 23 et 30 juin sonneront la fin de Mai 68.

Mais Pompidou et De Gaulle ne sont plus sur la même ligne.

Pompidou démissionne, De Gaulle nomme Maurice Couve de Murville.

Georges Pompidou, lors d’un voyage à Rome en janvier 1969 déclarera :

« Ce n’est un mystère pour personne que je serai candidat à une élection à la présidence de la République quand il y en aura une, mais je ne suis pas du tout pressé ».

Il ira ainsi toujours plus loin dans la rupture.

En parallèle, une sordide affaire Markovic mettant en cause son épouse Claude augmentera encore son ressentiment car il ne trouvera pas le soutien qu’il aurait attendu de l’homme qu’il avait fidèlement servi pendant tant d’années.

De Gaulle tombera comme un fruit mur, comme une conséquence de mai 68 par le référendum du 27 avril 1969, moins d’un an après.

Et Georges Pompidou fut élu triomphalement Président de la République le 15 juin 1969 avec 58,21 % des suffrages exprimés. Il avait quitté son poste de premier ministre le 10 juillet 1968, moins d’un an avant !

Son opposant était un centriste, le président du Sénat Alain Poher. La Gauche ne fut même pas représentée au second tour.

Mai 68 fut le naufrage de la Gauche et le triomphe de Georges Pompidou contre la Gauche et finalement contre le Général de Gaulle.

Patrick Rotman avait produit un documentaire sur ce 29 mai <De Gaulle disparaît>

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Mardi 22 mai 2018

« L’imagination au pouvoir »
Jean-Paul Sartre

Le 20 mai 1968, Le Nouvel Observateur sort un numéro spécial consacré au débat ouvert par les événements qui secouent le pays.

Et il demande à Jean-Paul Sartre d’interviewer Daniel Cohn-Bendit. L’Obs a republié une partie de cette interview derrière <ce lien>. Vous pouvez avoir accès à l’intégralité de l’entretien si vous êtes abonnés.

Il n’est pas évident de se rendre compte ce que représentait Jean-Paul Sartre à ce moment-là. Aujourd’hui on débat des confrontations entre Xavier Niel et Martin Bouygues.

A cette époque il existait aussi des entrepreneurs français dont les fils sont toujours actifs, preuve que l’aristocratie du capital fonctionne bien, ils avaient pour nom Lagardère mais Jean-Luc non Arnaud, Bouygues mais Francis pas Martin ou encore Dassault mais Marcel pas Serge. Mais on les entendait peu, ils savaient être discret.

En revanche on parlait de la rivalité entre Jean-Paul Sartre et Raymond Aron.

Jean-Paul Sartre avait beaucoup de disciples, beaucoup plus que Raymond Aron et il était une sorte de « gourou incontournable ». A l’époque, certains préféraient avoir tort avec Sartre que raison avec Aron.

Il semble que c’était justement le patron du Nouvel Obs, Jean Daniel, à qui on doit cette phrase qu’on cite aujourd’hui comme le comble de la stupidité. C’est Claude Roy qui dans un article de 1968 a écrit : « Jean Daniel me disait : J’ai toujours préféré avoir tort avec Sartre plutôt que raison avec Aron »

Sartre était un monument.

Il semblerait selon diverses sources ou <ici> que le Général de Gaulle aurait répondu à certains de ses collaborateurs qui proposaient d’arrêter Sartre en raison de son action en 1968 : « On n’arrête pas Voltaire ». Je ne suis pas sur que cette phrase ait bien été prononcée, mais le fait qu’on la pense plausible montre la stature qu’avait ce philosophe à ce moment.

Et le nouvel observateur trouve donc pertinent de donner l’occasion à Cohn-Bendit de s’exprimer face à lui.

La question de Jean-Paul Sartre est simple : les gens comprennent que le mouvement des enragés du 22 mars veulent tout casser mais s’interrogent sur ce qu’ils voudraient construire après démolition.

Et Dany le Rouge de répondre :

«  Evidemment! Tout le monde serait rassuré, Pompidou le premier, si nous fondions un parti en annonçant: «Tous ces gens-là sont maintenant à nous. Voilà nos objectifs et voici comment nous comptons les atteindre…». On saurait à qui l’on a affaire et on pourrait trouver la parade.

La pensée est élaborée on veut bien mettre le bordel mais au-delà il faut rester dans l’ambigüité. On en revient au mot du Cardinal de Retz que François Mitterrand aimait répéter : « Nul ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens ».

« La force de notre mouvement, c’est justement qu’il s’appuie sur une spontanéité «incontrôlable», qu’il donne l’élan sans chercher à canaliser, à utiliser à son profit l’action qu’il a déclenchée. Aujourd’hui, pour nous, il y a évidemment deux solutions. La première consiste à réunir cinq personnes ayant une bonne formation politique et à leur demander de rédiger un programme, de formuler des revendications immédiates qui paraîtront solides et de dire: «Voici la position du mouvement étudiant, faites-en ce que vous voulez!» C’est la mauvaise. La seconde consiste à essayer de faire comprendre la situation non pas à la totalité des étudiants ni même à la totalité des manifestants, mais à un grand nombre d’entre eux. Pour cela, il faut éviter de créer tout de suite une organisation, de définir un programme, qui seraient inévitablement paralysants. La seule chance du mouvement, c’est justement ce désordre qui permet aux gens de parler librement et qui peut déboucher sur une certaine forme d’auto-organisation. Par exemple, il faut maintenant renoncer aux meetings à grand spectacle et arriver à former des groupes de travail et d’action. C’est ce que nous essayons de faire à Nanterre.

Mais la parole ayant été tout à coup libérée à Paris, il faut d’abord que les gens s’expriment. Ils disent des choses confuses, vagues, souvent inintéressantes parce qu’on les a dites cent fois, mais ça leur permet, après avoir dit tout cela, de se poser la question: «Et alors?» C’est cela qui est important, que le plus grand nombre possible d’étudiants se disent: «Et alors?» Ensuite seulement, on pourra parler de programme et de structuration. Nous poser dès aujourd’hui la question: «Qu’allez-vous faire pour les examens?», c’est vouloir noyer le poisson, saboter le mouvement, interrompre la dynamique. Les examens auront lieu et nous ferons des propositions, mais qu’on nous laisse un peu de temps. Il faut d’abord parler, réfléchir, chercher des formules nouvelles. Nous les trouverons. Pas aujourd’hui. (…) »

Il y a donc libération de la parole, mais et c’est Raymond Aron qui a trouvé cette formule : « Une révolution introuvable »

Et le grand philosophe de conclure par une autre formule qui symbolisera Mai 68 : « L’imagination au pouvoir » et il donnera l’injonction suivante aux étudiants : « Ne renoncez pas »

«  Ce qu’il y a d’intéressant dans votre action, c’est qu’elle met l’imagination au pouvoir. Vous avez une imagination limitée comme tout le monde, mais vous avez beaucoup plus d’idées que vos aînés. Nous, nous avons été faits de telle sorte que nous avons une idée précise de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. […] Vous, vous avez une imagination beaucoup plus riche, et les formules qu’on lit sur les murs de la Sorbonne le prouvent. Quelque chose est sorti de vous, qui étonne, qui bouscule, qui renie tout ce qui a fait de notre société ce qu’elle est aujourd’hui. C’est ce que j’appellerai l’extension du champ des possibles. N’y renoncez pas. »

Aujourd’hui Romain Goupil (lors de l’entretien avec Daniel Cohn Bendit à France Inter déjà cité) prétend que dès cette époque Cohn-Bendit ne croyait pas à la révolution et appelait ce mouvement « une révolte culturelle ».

C’est-à-dire non pas un changement de régime politique mais une nouvelle culture qui était justement symbolisé par la libération de la parole et l’inventivité des slogans dont on se souvient encore aujourd’hui.

<Sur le site du Monde, des journalistes ont essayé d’en faire la liste>

En tout cas, ce positionnement du mouvement étudiant, en dehors de l’opposition du Parti Communiste qui était très puissant encore et qui considérait les trotskystes, maoïstes et anarchistes qui menaient la révolte comme des ennemis pires que le Général de Gaulle ou Pompidou, ne pouvait pas non plus rencontrer l’adhésion du mouvement ouvrier en grève. Les ouvriers souhaitaient des évolutions concrètes concernant leurs salaires et leurs conditions de travail. Ce qu’ils vont obtenir, en partie, à l’issue des négociations de Grenelle.

Edouard Balladur qui était un des principaux conseillers de Pompidou, le premier ministre, a raconté dans un livre <L’arbre de mai> et l’a répété lorsqu’il fut interrogé par France Culture <Le 4 mai 2018> : Pompidou n’avait qu’une stratégie pour obtenir la fin du mouvement et rétablir l’ordre au profit de sa majorité : diviser et séparer le mouvement étudiant du mouvement ouvrier.

Ce qu’il a magnifiquement réussi, et le mouvement étudiant l’a grandement aidé.

Ce fut, en effet une révolution introuvable.

Une fois de plus Raymond Aron et Jean-Paul Sartre n’était pas dans le même camp.

Et en 1968, le 22 mai, dix millions de salariés ne travaillent pas (en grève ou empêchés de travailler).
Le 21 mai, Daniel Cohn Bendit avait été frappé en tant que ressortissant étranger par un arrêté d’expulsion du ministre de l’Intérieur ; il en est informé alors qu’il se trouve à Francfort

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Lundi 14 mai 2018

« Mai 68 dans le Monde »
Butinages autour de mai 68

J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans la rédaction d’une série de mots du jour sur mai 68.

En mai 68, je n’avais pas encore dix ans, je n’ai aucun souvenir dans ma mémoire de ce moment, sauf peut-être la tentative de Daniel Cohn Bendit de revenir en France après son expulsion, parce qu’il a essayé de le faire au poste frontière de la Brême d’or qui se situait à 2 km de ma maison familiale.

Par la suite je n’ai jamais été intéressé par cette pseudo-révolution.

C’est pourquoi quand Michelle nous a rendu visite vers le 22 mars et m’a suggéré: «  j’espère que tu vas nous faire des mots du jour sur mai 68. » j’ai simplement répondu que ce n’était pas prévu..

Cependant c’est un sujet qui semble beaucoup occuper les médias.

Plus étonnant, le Président Macron s’est posé la question de commémorer cet évènement !

L’Obs nous apprend que Daniel Cohn Bendit et un de ses vieux complices du mouvement de mai 68, Romain Goupil s’entretiennent régulièrement avec le Président :

« Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, Cohn-Bendit et Goupil, que certains surnomment « le couple Dany » tant ils sont inséparables, sont des interlocuteurs réguliers du président. « Ils font partie des capteurs que le président aime voir », dit un de ses proches. »

Et c’est donc, toujours d’après l’Obs que par SMS, le président de la République a testé l’idée auprès du tandem : « Commémorer officiellement Mai-68 ?  »

Et Dany le rouge devenu Dany le vert a immédiatement répondu, aussi par sms :

« Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Rien à cirer ! »

C’est aussi simple et direct que cela…

Depuis quelques années, les présidents de la république semblent être très concernés par le mouvement de mai 68.

C’est le Figaro qui écrit :

« Une chose est sûre: il y a un avant et un après Mai 68. »

Et de rappeler que Nicolas Sarkozy, dans un discours de campagne, en 2007, voulait «liquider l’héritage de Mai 68», responsable d’un «relativisme intellectuel et moral», qui avait introduit «le cynisme dans la société et dans la politique», «liquidé l’école de Jules Ferry» ou encore «abaissé le niveau moral de la politique».

Et l’antépénultième président, au jour d’aujourd’hui, ajoutait :

«Les héritiers de mai 68 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid».

Le précédent président, en 2012, prenait évidemment une position inverse et revendiquait l’héritage de Mai 68. Dans un discours, François Hollande avait salué :

«Les piétons de Mai 68, qui marchaient la tête dans les étoiles et avaient compris qu’il fallait changer».

Une chose est certaine, ce sujet continue à déchainer les passions, 50 ans après. C’est toujours le Figaro qui cite Henri Guaino :

«Ces enfants gâtés [qui étaient sur les barricades et qui voulaient] «une société sans hiérarchie et avaient accouché d’un monde de l’argent fou et de la cupidité».

Ce même article cite Alain Duhamel qui rappelle une scène qu’on croirait tirée d’un western lorsque Jacques Chirac rencontre Henri Krasucky, syndicaliste CGT, pour préparer le sommet syndical et se rend dans une chambre de bonne avec un revolver dans la poche. Il confie aussi que Pompidou, le jour de la rencontre historique rue de Grenelle, avait demandé à Balladur de bien vérifier que les portes ne soient pas fermées à clef pour éviter d’être pris en otages.

Finalement j’ai pensé qu’il pouvait être intéressant de faire quelques recherches et butinages pour devenir un peu plus savant sur ce sujet.

Et dès qu’on s’intéresse à ce sujet, on constate que ce mouvement étudiant qui a par la suite entraîné des mouvements ouvriers et des grèves n’a pas été limité à la France en 1968. Dans d’autres parties du monde ce mouvement a pu avoir lieu d’autres mois de l’année et aussi présenter des caractéristiques différentes. Mais force est de constater que ce mouvement qui a fait vaciller le pouvoir en France a eu des échos dans d’autres parties du monde.

En quelques minutes ce <petit documentaire> est très pédagogique

A Berlin, les étudiants protestent contre la guerre du Viet Nam et demandent une réforme de l’université et un assouplissement de la société allemande. Le démarrage est plus violent. Le 11 avril 1968 un homme tente d’assassiner Rudi Dutschke qui est le leader le plus connu du mouvement étudiant, il fut très gravement atteint. Rudi Dutschke mourra en 1979 des séquelles neurologiques de cette tentative d’assassinat.

L’Express dans un article du 1er mai 2008 fait remonter en Allemagne, Mai 68 au 2 juin 1967.

C’est le 2 juin 1967 que Mai 68 a commencé en Allemagne. Ce soir-là, des étudiants se rassemblent devant l’opéra de Berlin-Ouest, pour protester contre la visite officielle du chah d’Iran. Accompagné de sa femme, celui-ci assiste en effet à une représentation de La Flûte enchantée, lorsque, peu après 20 heures, les forces de l’ordre chargent les manifestants. Un étudiant de 26 ans, Benno Ohnesorg, tombe sous la balle d’un policier. La photo du jeune homme, allongé à terre, les yeux fermés, a fait le tour du monde. A ses côtés, une jeune femme accroupie lui a glissé son sac en tissu sous la nuque. Ses yeux à elle expriment la colère et semblent chercher de l’aide. Le cliché est devenu aussi célèbre que celui du sourire de Daniel Cohn-Bendit défiant les CRS français, mais la version allemande de la rébellion étudiante est nettement plus dramatique que la version française.

Tous ceux qui avaient participé à la manifestation du 2 juin 1967 racontent avoir été profondément choqués de voir un étudiant «descendu» en toute impunité (le policier sera acquitté) alors qu’il n’avait rien fait d’autre que de protester pacifiquement. Ils vont dès lors s’engager en masse dans l’action politique, à l’image de la jeune femme accroupie sur la photo, Friederike Hausmann, qui déclare aujourd’hui: «A partir de ce jour-là, je ne me suis pas politisée: je me suis radicalisée.» La mort de Benno Ohnesorg, puis en avril 1968, l’attentat contre le leader étudiant Rudi Dutschke (il mourra des suites de cette agression en 1979) vont en effet marquer le début d’une confrontation sociale qui tournera à l’hystérie collective et culminera dix ans plus tard avec la vague terroriste de l’ «automne allemand»

L’article de l’Express a pour titre « Génération Baader ».

Le mouvement de révolte s’abimera dans le sang quelques années plus tard.

A l’époque, la série « Holocauste » n’avait pas encore été produite et vue par les allemands. Ce sera le cas 10 ans plus tard. L’Allemagne ne s’était pas encore plongé dans son histoire macabre et des jeunes s’interrogeaient sur ce que leurs pères et leurs grands-pères avaient fait 25 ans auparavant. J’ai appris récemment que « Hans Martin Schleier », le président du syndicat des patrons allemands en 1977, dont j’avais appris l’existence parce que le 5 septembre 1977, la fraction Armée rouge d’Andreas Baader l’avait enlevé à Cologne puis assassiné, que cet homme donc avait été le bras droit de Heydrich en Tchécoslovaquie et qu’il a ainsi fait partie des responsables de la politique d’extermination en Tchécoslovaquie occupée.

Et dans les autres pays, en Italie, les étudiants demandent la réforme de l’enseignement. En Espagne, les étudiants manifestent contre le régime de Franco, parce qu’en 1968 l’Espagne était une dictature. La dictature réagissant avec les moyens dictatoriaux, créant par exemple une police secrète à l’Université.

Aux Etats-Unis, les étudiants sont surtout engagés contre la guerre au Viet-Nam mais aussi contre le racisme omniprésent.

En Tchécoslovaquie, les étudiants veulent faire tomber le stalinisme qui survit à la mort de Staline.

C’est ce qu’on appellera le printemps de Prague qui débute le 5 janvier 1968, avec l’arrivée au pouvoir du réformateur Alexander Dubček et s’achève le 21 août 1968 avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie.

Les étudiants participent ardemment à ce mouvement.

Jan Palach, jeune étudiant de 20 ans s’immolera par le feu sur la place Venceslas à Prague le 16 janvier 1969.et mourra le 19 janvier 1969. Il deviendra le symbole du désespoir de la jeunesse tchécoslovaque.

Un mémorial sera réalisé sur les lieux de son sacrifice.

Au Japon, les étudiants protestent contre l’emprise des Etats-Unis sur la politique japonaise. La lutte est violente entre les étudiants et les forces de l’ordre. Presque partout dans le monde la police est plus brutale que la police française. Le mouvement s’achèvera au Japon en janvier 1969 après une dernière évacuation de masse d’une université par plus de 8000 policiers.

Au Brésil, il y a aussi une dictature, comme en Espagne, elle a débuté en 1964. Ils protestent contre les violences policières. Lors d’une manifestation, le 28 mars 1968, la police tire et tue des étudiants. Cette répression envenime encore la révolte étudiante comme la répression de la dictature qui n’aura jamais été aussi dure qu’à la fin de 1968.

Au Mexique, la jeunesse demande la démocratisation du pays. Mexico va accueillir les jeux olympiques de 1968. L’armée va là aussi réprimer violemment les étudiants et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’agitation lorsque les jeux s’ouvrent le 12 octobre. Ainsi le 2 octobre, une manifestation vire au massacre : la fusillade dure 2 heures contre une foule désarmée. Ce sera le bilan le plus désastreux, au niveau humain, de l’ensemble des mouvements étudiants dans le monde.

Je vous redonne le lien vers ce petit documentaire : <Mai 68 dans le monde>

Si vous voulez savoir ce qui s’est passé, en France, le 14 mai 1968, vous avez cette page de l’Obs qui <donne les éléments pour être incollable sur mai 1968>,
A Sud-Aviation Nantes, les ouvriers séquestrent le directeur dès le 14 mai, imités le lendemain par ceux de Renault-Cléon. Les occupations s’étendent très vite : Dès le soir du 14 mai, un millier d’étudiants nantais rejoignent Sud-Aviation et y passent la nuit en discussions avec les ouvriers. Leurs camarades de Caen font de même le 24 mai à Radiotechnique, Moulinex et Citroën. Sur de nombreux piquets de grève comme dans des facultés occupées s’ébauchent entre ouvriers et étudiants des rapprochements spontanés qui ne sont pas toujours bien vus par les syndicats.

<1068>

Mercredi 18 avril 2018

« Je n’ai pas d’amis »
Le président de la République, Emmanuel Macron, pendant l’interview du Palais de Chaillot

Et Jean-Jacques Bourdin, parlant de l’évasion fiscale avec verve lança au Président de la République c’est « ce que fait votre ami Bernard Arnault ».

Le chef de l’Etat n’a pas aimé cette allégation et l’a coupé aussitôt :

« Pardon, moi, je n’ai pas d’amis, M. Bourdin. De là où je suis, je n’ai pas d’amis. »

Et, il a ajouté

« Vous savez, les insinuations dans la vie, ce n’est pas une bonne chose. »

Et Jean-Jacques Bourdin a alors répondu :

« Ce ne sont pas des insinuations »

Et encore quelques échanges aigres doux vont se poursuivre en raison de cette affirmation qui a déplu au Président de la République.

« Je n’ai pas d’amis »

Est-ce là un sujet personnel, intime, lié à la personnalité d’Emmanuel Macron ?

En septembre 2017, l’écrivain Philippe Besson publie « Un personnage de roman », récit intime de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron qu’il connaît et pour qui il avoue une sympathie certaine.

Pour présenter son livre il avait été invité par Léa Salamé à France Inter .lors de son émission du 8 septembre 2017.

Et dans cette émission il a dit ceci :

« Il n’a pas d’ami, très peu d’ami. Il a du mal avec l’intimité, il est intime avec très peu de gens, et il cite souvent cette phrase de Diderot, qui est une façon de prendre de la distance : « Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime. » Il est dans l’impossibilité de dire les choses. Et puis parce que sans doute, l’essentiel se joue dans l’intimité familiale. Ce sur quoi il se replie, c’est son épouse, sa famille. Et c’est là que l’essentiel se joue, l’intimité est là, la fragilité aussi. » »

Même si cette description peut être intéressante montrant ainsi des fêlures de l’humain ce n’est évidemment pas cet aspect qui nous intéresse.

D’ailleurs dans la réponse d’Emmanuel Macron, il y a une autre proposition dans la même phrase :

« De là où je suis, je n’ai pas d’amis. »

De là où il est… donc en tant que Président de la République …

En serait-il de même des Présidents de la République que des Etats, dont le Général de Gaulle disait :

« Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. »

J’aimerai à croire ou à espérer que le Président de la République n’a pas que des intérêts mais a plutôt l’intérêt général chevillé au cœur et à l’esprit quand il propose, agit et décide.

Guillaume Erner a consacré son billet d’humeur du 16 avril 2018 à cette privation présidentielle d’amis :

« Une vraie rupture avec les présidents précédents.

Vous savez que chacun de nos présidents pourrait se caractériser par son rapport à l’amitié : François Mitterrand avait des amitiés très encombrantes, je pense bien évidemment à René Bousquet, et une règle, ne jamais renier ses amis. Jacques Chirac n’avait lui que des amis parmi ses compatriotes, donnant l’impression qu’il était toujours l’heure de l’anisette. Nicolas Sarkozy a parfois donné l’impression qu’il aurait aimé avoir 40 amis, avec un 40 comme CAC 40. François Hollande a eu cinq ans pour faire le plan de table du PS, l’art de la synthèse étant de conserver tous ses amis. Et Emmanuel Macron, lui, donc, n’aurait pas d’amis.

Une manière bien entendu de dire que l’on est inaccessible au conflit d’amitié, que l’on est le président de tous, et l’ami de personne, mais aussi une manière d’évoquer la solitude du pouvoir, celui qui isole et esseule. A moins, à moins qu’il y ait une manière encore plus noire d’entendre cet aveu, une manière de dire «  je n’ai pas d’amis, je n’ai que des obligés, je n’ai que des courtisans ». »

Peut-être, est-ce la lucidité d’Emmanuel Macron de comprendre qu’il est surtout entouré de courtisans.

Mais il pourrait aussi avoir des amis qui ont des intérêts et sur lesquels il aurait pu compter pour arriver là où il est et qui sauront aussi être là le jour où il ne sera plus Président de la République et vu son jeune âge cherchera d’autres occupations ?

Le Huffington Post tente de répondre de manière factuelle à cette question : Existe-t-il des raisons objectives permettant de penser que Bernard Arnault et Emmanuel Macron sont amis, non pas amis de cœur ce qui ne nous regarderait pas, mais amis d’intérêts ?

« Si le chef de l’État n’est pas un « intime » du milliardaire, il existe plusieurs éléments de rapprochement entre les deux. Dans l’entre-deux-tours de la présidentielle dans Les Echos, journal dont il est propriétaire, Bernard Arnault avait publié une tribune pour appeler, comme d’autres, à voter Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Dans ce billet, le milliardaire saluait « un programme de liberté et de stimulation du succès économique ». Un programme « bâti sur la conviction que l’entreprise privée constitue le seul levier efficace de création durable, saine et massive d’emplois en France », louait-il sans pour autant mettre en avant d’éventuels liens personnels avec le futur président de la République. »

Le Huffington Post cite ensuite un article du journal Capital du mois d’avril 2017.

« Entre les Arnault et les Macron, c’est peut-être une longue amitié qui commence. Elle a démarré au lycée privé Franklin, dans le XVI e arrondissement de Paris, où Brigitte fut la prof de français de Frédéric et Jean. Puis la Picarde a sympathisé avec Delphine lors d’un déjeuner à New York à l’été 2014, accompagnées de leurs conjoints respectifs, Emmanuel et Xavier (Niel). Depuis, l’épouse du candidat à la présidentielle porte du Vuitton à chacune de ses sorties officielles ».

Alors là il faut décrypter pour que le commun des mortels se retrouve dans ces liens croisés et ces familles :

Delphine, est Delphine Arnault fille de Bernard, né en 1975. Elle est diplômée de l’EDHEC Business School, à Lille et de la London School of Economics, elle a travaillé, à ses débuts, pour le cabinet de conseil en stratégie McKinsey & Company. Elle rejoint, en 2000, le groupe LVMH fondé par son père. Depuis 2013 elle est directrice générale adjointe de Louis Vuitton. Elle est la compagne de Xavier Niel, une fille est née dans ce couple en 2012.

Frédéric et Jean sont ses frères ou plus précisément ses demi-frères car issues du second mariage de son père. Je suis un peu gêné que mon mot du jour devienne brusquement une chronique mondaine. Je n’avais pas imaginé cela.

Le huffington Post poursuit :

« Il y a quelques jours à peine, lors de l’assemblée générale annuelle des actionnaires du groupe de luxe réunie au Carrousel du Louvre le 12 avril, Bernard Arnault ne s’en est pas caché. « Nous sommes très fiers d’habiller la première dame », a-t-il lancé, précisant que « aucun impact commercial » n’était constaté depuis cette collaboration.

Ces informations n’ont pas été démenties par l’Elysée même si, là encore, elles ne constituent pas une preuve d’une amitié directe entre le fondateur du géant du luxe et le chef de l’Etat. »

Ce journal ne peut donc conclure que prudemment et sans certitude.

Il serait éthique que le président de la république n’ait pas des amis qui ont des intérêts à défendre face à l’État.

J’espère que c’est le cas.

Pouvons-nous le croire ?

<1059>

Mardi 17 avril 2018

«  La convergence des luttes »
Réflexions sur ce concept manié par certains aujourd’hui en France

Dans un article qui n’est qu’à l’état d’ébauche, Wikipedia donne comme définition : « La convergence des luttes est une démarche syndicale en usage dans le syndicalisme de lutte, mais aussi parfois dans le monde associatif militant, qui tend à faire converger dans un mouvement social commun des luttes différentes mais proches. »

Le mouvement Nuit debout a créé un site Convergences des luttes : http://convergencedesluttes.fr/, mais ce site semble bloquer à la date du 20 avril 2016. Il est vrai que « Nuit Debout » avait beaucoup utilisé ce slogan de la convergence des luttes.

Sur un autre site créé par un mouvement appelé Pôle de Renaissance Communiste en France. La page d’accueil de ce site réagit à l’édito politique de Thomas Legrand sur France Inter du 3 avril 2018 :

« Sur France inter ce matin Thomas Legrand s’inquiète de la convergence des luttes qui montent … décrète son illusion et préconise au pouvoir enfin … de la pédagogie en mettant l’accent sur ce qu’il n’y aurait pas de commun entre :

Les cheminots qui veulent garder leur statut, des hospitaliers qui n’arrivent pas à soigner leurs patients … les employés de la grande distribution, les retraités qui craignent pour leur pouvoir d’achat … les étudiants qui ne veulent pas de sélection »

Mais ce qu’ignore ou feint d’ignorer l’éditorialiste au quotidien c’est que la diversité des effets et des situations est le résultat diversifié d’une même politique.

Cette politique et celle de ceux qui l’ont précédé consistant à privilégier les privilégiés, à désorganiser les services publics, à remettre en cause TOUS les conquis de la Libération sous le mensonge récurrent de la nécessité de la « réforme » et de la modernisation, de l’adaptation à la mondialisation …

Mais il arrive toujours un moment où les mensonges craquent et où les efforts de « pédagogie » des classes dominantes échouent comme les épaves et les détritus sur les rivages de nos plages.

Et que la question d’une autre politique, d’un autre pouvoir, d’autres forces dirigeantes … soit posée ! »

Une autre politique ! Oui mais laquelle ?

Ce même jour, le 3 avril, l’autre radio du service public, les matins de France Culture avaient pris comme sujet de débat : « La convergence des luttes : un rêve général ? »

Le sociologue, invité par Guillaume Erner, Manuel Cervera Marzal avait résumé dans une phrase le malaise d’aujourd’hui :

« Quand on parle de réforme aujourd’hui, on parle en réalité de contre-réforme : il s’agit de revenir sur des acquis sociaux. »

Sommes-nous dans un moment de convergences des luttes, comme en mai 68 où les ouvriers ont rejoint les étudiants dans un mouvement où les revendications sociales ont rejoint les revendications sociétales et de libération des mœurs et des idées ?

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, n’y croit pas. Le journal Libération publie un article : Laurent Berger: «je ne crois pas à la convergence des luttes». Il s’oppose sur ce point avec la CGT :

«Je ne crois pas à la convergence des luttes», a déclaré le patron de la CFDT sur RMC et BFMTV, soulignant qu’il s’agissait d’un «point de désaccord» avec la CGT.

Dans l’autre camp, celui qu’on appellerait dans un langage bienveillant, le partenaire gouvernemental on n’y croit pas non plus :

Cette fois il faut lire le Figaro ou le Journal du dimanche pour entendre l’avis d’Agnès Buzyn :

« La ministre de la Santé balaie dans une interview au Journal du dimanche le scénario d’une « convergence des luttes », au moment où s’exprime le mécontentement des retraités, des cheminots et des fonctionnaires face aux choix du gouvernement. »

Dans l’interview du Palais de Chaillot de dimanche, Emmanuel Macron a utilisé une autre terminologie : « La coagulation des mécontentements » pour préciser qu’il n’y croit pas non plus.

Nous disposons d’un gouvernement d’experts, du moins il se présente ainsi, c’est pourquoi le Point fait appel à des « experts » de l’analyse politique et sociologique pour en arriver à la conclusion :

« La « convergence des luttes »: on n’y est pas encore ».

Dans le corps de l’article, l’hebdomadaire est plus prudent et substitue au terme « expert » le terme « spécialiste » :

« D’abord, il faudrait un objectif politique commun comme faire tomber le gouvernement. Or, personne dans les syndicats n’a cette vision », souligne le politologue Philippe Braud. Ensuite, selon lui, il n’y a pas de « figure charismatique » qui incarne la mobilisation. Enfin, il rappelle la désunion syndicale. […]

Selon l’historienne Danièle Tartakowsky, « la convergence » est « avant tout un slogan pour cristalliser des espoirs et le symptôme de l’absence de stratégie unifiante ».[…]

De son côté, le politologue Jean-Marie Pernot se montre « moins catégorique » sur l’impossibilité d’une « convergence » des luttes, une « stratégie syndicale qui a du sens ». Il rappelle qu’en 1995 aussi, personne ne croyait à l’émergence d’un « grand mouvement ». « Or, les rancœurs sociales aujourd’hui sont très grandes et il y a une vie propre à ces mouvements de mobilisation que les syndicats ne maîtrisent pas », explique-t-il. […]

Quant à créer un éventuel mouvement d’entraînement, c’est celui des cheminots qui est considéré comme « stratégique » par les trois spécialistes. . […]

« Les cheminots sont sur le devant de la scène. Il faudrait vraiment qu’ils gagnent pour que les autres fronts prennent de l’ampleur », affirme Philippe Braud.

Toutefois, il se montre pessimiste sur ce scénario, estimant qu’il y a un « alignement des planètes en faveur de l’acceptation des réformes » par le grand public. « Le taux de soutien aux grévistes est faible alors qu’en France d’habitude, les gens soutiennent majoritairement les mouvements sociaux », ajoute-t-il. »

La convergence des luttes !

Si nous essayons de reprendre un peu de hauteur et d’essayer de comprendre ce qui se passe, que peut-on dire ?

Une phrase de Thomas Legrand dans son édito précité ouvre une piste de réflexion :

« Ces mécontentements ne dessinent pas un modèle alternatif cohérent »

Et il ajoute une phrase tout aussi importante :

« Il peut naître un front du refus. »

Dit plus simplement cela signifie que les NON peuvent s’ajouter pour bloquer le système mais que pour pouvoir s’inscrire dans la durée et dans une organisation viable et pérenne, il faut se mettre d’accord sur un OUI.

Alors évidemment on peut partir de la réflexion de Manuel Cervera Marzal : « Quand on parle de réforme aujourd’hui, […] il s’agit de revenir sur des acquis sociaux. »

Exprimé ainsi, il semble que l’essentiel du problème provienne d’une volonté explicite de ce que les militants de gauche pourraient appeler, « des forces du capital » de rogner toujours davantage les droits, les acquis, les protections des salariés.

Il s’agit évidemment d’un des aspects du problème : l’omnipotence du capitalisme financier sur l’économie mondiale, le refus des plus riches et notamment des grandes multinationales de participer à l’effort commun pour préserver L’État social.

Mais il faut comprendre qu’une grande partie du monde ne veut pas de cet État social. Que la plus grande part de celles et ceux qui participent à la révolution de la Silicon Valley sont des Libertariens qui fustigent l’interventionnisme de L’État.

J’ai découvert tout récemment Ayn Rand qui est une Philosophe, scénariste et romancière américaine d’origine russe, juive athée(1905-1982) qui a écrit La Grève ou La Révolte d’Atlas (titre original en anglais : Atlas Shrugged, littéralement : « Atlas haussa les épaules »). Selon une étude de la bibliothèque du Congrès américain et du Book of the month club menée dans les années 1990, ce livre est aux États-Unis le livre le plus influent sur les sondés, après la Bible. Il a été publié en 1957 aux États-Unis. Elle y développe sa pensée critique de la démocratie sociale interventionniste en envisageant ce que deviendrait le monde si ceux qui le font avancer, les « hommes de l’esprit », décidaient de se retirer : en l’absence de ceux qui soutiennent le monde (tel le légendaire titan grec Atlas), la société s’écroule.

C’était le livre de chevet de Ronald Reagan et de ses principaux conseillers, c’est encore cette pensée qui irrigue les détenteurs du pouvoir dans les entreprises américaines numériques qui dominent le monde. Mais j’y reviendrais dans d’autres mots du jour.

Mais bien au-delà de cette réalité du monde dans laquelle la pensée individualiste est extrêmement puissante, la conservation des acquis sociaux se heurtent à bien d’autres contraintes :

Nos acquis sociaux occidentaux ont reposé pour une grande part sur l’exploitation de nos pays et de nos entreprises sur le reste du monde. J’avais consacré le mot du jour du 21 février 2017 au politologue Zaki Laïdi qui avait cette formule : «La mondialisation c’est la fin de la rente que l’Occident avait sur le monde depuis la révolution industrielle.». Nous ne sommes plus dans cette position avantageuse, dont nous ne devrions d’ailleurs pas être fiers, mais plutôt dans une position beaucoup plus compliquée pour nous de la concurrence avec le reste du monde.

Dans ce contexte quel est notre OUI ?

C’est une question qui me préoccupe depuis longtemps et qui me plonge dans un océan de perplexité, notamment quand je discute avec certains collègues, voisins, connaissances ou que j’entends par voie de presse ou de réseaux sociaux s’exprimer car j’ai le sentiment qu’il y a beaucoup d’illusions et de contradictions dans ce qui est espéré et exprimé.

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J’ai acquis une conviction, c’est que si des idées comme celles que défend Mélenchon arrivaient au pouvoir, nous serions conduits à une alternative :

  • La première serait qu’au bout de très peu de temps, il suivrait la voie d’Alexis Tsipras et son parti grec SYRIZA c’est-à-dire qu’il renoncerait à son programme et se soumettrait aux diktats des puissances financières ;
  • La seconde serait qu’il ne soumette pas, et mette en œuvre contre vents et marées son programme qui déplairait donc très fort aux puissances financières et mondialisées.

Dans cette seconde hypothèse et pendant longtemps, tous les français qui resteraient en France perdraient énormément de pouvoir d’achat. Il y a des denrées indispensables comme le pétrole dont la France ne dispose pas, d’autres biens services qu’elle ne sait plus faire surtout pas au coût que lui offre la mondialisation.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’alternative, mais la politique qui conduirait à réaliser une politique en France totalement décalée avec l’économie mondiale ne conduit pas à une augmentation du pouvoir d’achat. Le prétendre est un mensonge, le croire est une naïveté.

L’alternative crédible est plutôt dans ce cas celle que propose un homme comme Pierre Rahbi : « Vers la sobriété heureuse » pensée qu’il développe aussi lors de sa conférence à l’université de Lyon 3 dont je vous donne le <lien>.

Dans ce type de société, vous vivez sans doute plus sainement, mieux en harmonie avec la nature, mais vous consommez beaucoup moins. Moins de produits de toute sorte, moins de services achetés, moins de voyages, moins de soins etc. La société française y est-elle prête ?

J’entends surtout : « On veut plus de pouvoir d’achat ! ».

Bien sûr que ce n’est pas la consommation qui rend heureux ou alors quelques minutes simplement et encore ce n’est pas du bonheur, plutôt du plaisir ou de la satisfaction.

Mais sortir de cette société de consommation et de concurrence demande une révolution personnelle et sociétale.

Je ne crois pas qu’on soit prêt à cette révolution, ou qu’il y a suffisamment de volontaires pour créer cela au niveau d’un pays.

Et cela pose d’autres questions :

  • Comment payer les dépenses de santé de plus en plus onéreuses ?
  • Comment payer les retraites dans une société de plus en plus vieille ?
  • Comment payer les études des enfants, alors que là aussi cela coute de plus en plus cher surtout s’il faut faire un passage à l’étranger ?

Et puis il existe un certain nombre de nos concitoyens qui seraient viscéralement contre ce type d’évolution et qui irait mener leurs affaires ailleurs, les destinations ne manquent pas.

Ajouter les « Non » ne suffit pas il faut se retrouver sur un « Oui »

Et encore faut-il penser que ce serait une évolution franco française, alors que le reste du monde continuerait sa course folle vers la consommation et le progrès technique. Au moins aussi longtemps que la nature et la terre ne disent stop à ce désir de démiurge.

<1058>

Lundi 16 avril 2018

« Mais sans la confiance du peuple, aucun Etat ne saurait tenir ! »
Confucius

Peut-être que certains pensaient que je réagirais aujourd’hui à l’entretien d’hier entre le Président de la République avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin. Entretien qui a été tenu au Palais de Chaillot où fut proclamée, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Je ne le ferai pas !

Quoi que …

Je vais aujourd’hui vous parler de l’émission du 5 avril 2018 «du Grain à moudre» d’Hervé Gardette qui posait cette question surprenante : «Platon, Confucius : qu’ont-ils encore à nous dire ?»

Platon (né −428/−427 et mort en −348/−347 à Athènes) est probablement le plus célèbre philosophe de la Grèce classique, au temps de la démocratie athénienne. Il est un élément central de la pensée occidentale et a marqué l’Histoire de la Philosophie

Confucius n’est pas de notre culture. Il a vécu un siècle avant Platon (né – 551 et mort en – 479), plus précisément d’après ces dates, toujours sujets à caution à cette époque, il serait mort environ 50 ans avant la naissance de Platon. Confucius est évidemment le philosophe chinois le plus connu. Selon beaucoup, il est le personnage historique qui a le plus marqué la civilisation chinoise, et est considéré comme le premier « éducateur » de la Chine. Son enseignement a donné naissance au confucianisme, doctrine politique et sociale érigée en religion d’État dès la dynastie Han et qui ne fut officiellement bannie que dans la Chine communiste et maoïste du XXe siècle.

Mais, dans la Chine contemporaine, post maoïste, on observe un retour massif vers Confucius comme l’explique Anne Cheng, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France

Je pense que le journaliste, Hervé Gardette, a eu l’idée de cette émission en raison du livre que vient de publier, l’un des deux invités de l’émission : Roger-Pol Droit. Son livre a pour titre : « Et si Platon revenait »

Ce livre est présenté ainsi :

« Platon observe nos smartphones, croise nos migrants, découvre les attentats terroristes, scrute nos dirigeants politiques. Roger-Pol Droit lui fait rencontrer Teddy Riner, Bob Dylan, Thomas Pesquet, l’emmène à la COP 21, au MacDo, à Pôle Emploi, au Mémorial de la Shoah, l’incite à visionner House of Cards, à écouter Emmanuel Macron et Donald Trump. Entre autres. Pour jouer ? Evidemment. Mais pas seulement.
Cette promenade dans notre actualité du père fondateur de la philosophie permet de découvrir des traits essentiels de sa pensée, en expérimentant des écarts entre nous et lui, en testant ce qu’il comprendrait aisément, ou pas du tout. Finalement, ce périple montre ce que Platon nous indique d’essentiel, que nous ne verrions pas sans lui. »

Dans l’émission Roger Pol Droit, revisite la célèbre allégorie de la caverne exposée par Platon dans le Livre VII de La République :

« Si Platon revient et qu’il voit nos smartphones, il pensera que c’est la caverne portable. »

C’est donc cette proposition de Roger Pol Droit de tenter de regarder le monde contemporain à travers le regard de Platon, du moins le regard de Platon revisité par Roger Pol Droit qui a été à l’origine de cette émission..

Selon la présentation de Roger Pol Droit, Platon est quand même un penseur problématique en cela qu’il se méfie énormément de la démocratie et qu’il prône l’émergence d’un homme nouveau, comme certains régimes totalitaires ont voulu réaliser cette utopie assez perverse selon les leçons de l’Histoire.

Roger Pol Droit explique que Platon a vécu un traumatisme dans sa vie : il a assisté à la condamnation à mort par la démocratie athénienne, de son maître, de celui qu’il respectait et aimait plus que tout au monde, l’homme qu’il considérait comme le plus sage : Socrate. Platon a tiré comme conséquence qu’un régime qui arrive à un tel résultat ne peut pas être bon. Il a donc cherché à trouver d’autres voies.

L’intelligence d’Hervé Gardette a été d’inviter à côté de cette vision de Platon qui prône un « homme nouveau », le grand penseur chinois « Confucius » qui lui ne suit pas cette voie et préfère s’inscrire dans la réalité et la tradition.

Pour ce faire, Anne Cheng déjà évoqué au début de l’article a été le second invité de l’émission.

Anne Cheng qui a publié en 1997 : « Histoire de la pensée chinoise » au Seuil s’était notamment fait remarquer par une traduction, accompagnée d’une introduction et de notes pour présenter la Pensée de Confucius : «Entretiens de Confucius» .

Lors de cette émission passionnante, Anne Cheng m’a appris que le rapprochement entre Confucius et Socrate était beaucoup plus judicieux qe celui avec Platon, car le grand sage chinois n’a jamais rien écrit, ce sont ses disciples qui ont recueilli ses pensées.

Lors de l’émission, c’est la pensée de Confucius qui m’a paru la plus féconde et peut être même la plus adaptée au monde moderne.

Par exemple quand Anne Cheng dit :

« Pour Confucius l’important c’est de ne jamais oublier que nous sommes humains. »

C’est quand même une belle idée à l’époque des transhumanistes ou de ces gouvernants publics et privés qui croient que l’homme se résume à un homo économicus.

Mais ce que je voudrai surtout partager avec vous, c’est un petit extrait des entretiens de Confucius qu’Hervé Gardette a cité : Un homme Zigong pose des questions à Confucius :

« Zigong – Qu’est-ce que gouverner ?

Le Maître – C’est veiller à ce que le peuple ait assez de vivres, assez d’armes et s’assurer de sa confiance.

Zigong – Et s’il fallait se passer d’une de ces trois choses, laquelle serait-ce ?

Le Maître – Les armes.

Zigong – Et des deux autres, laquelle serait-ce ?

Le Maître – Les vivres. De tout temps, les hommes sont sujets à la mort. Mais sans la confiance du peuple, Aucun État ne saurait tenir

Anne Cheng a dit sa satisfaction d’avoir cité cet extrait qui lui paraît particulièrement important et elle a ajouté :

« Je regrette que les hommes politiques d’aujourd’hui ne lisent pas davantage Confucius. Il leur apprendrait à mieux comprendre les priorités. »

« Sans la confiance du peuple… »

Je vous propose d’écouter cette émission très intéressante : « Platon, Confucius : qu’ont-ils encore à nous dire ? »

Je finirai par une autre citation de Confucius, cité dans un autre entretien par Anne Cheng :

« Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions. Confucius »

<1057>

Jeudi 15 mars 2018

« Cela va de toute façon craquer. Je pense qu’on va aller un jour vers une catastrophe sociale ! »
Sylviane Agacinski

Olivier Besancenot était l’invité de Ruquier dans l’émission « On n’est pas couché » du 3 mars 2018.

Comme souvent, il a été très brillant !

Il a répété cette phrase qui me semble plein de justesse :

« Le comble du comble, c’est qu’on vit dans un monde où ceux qui gagnent 150 000 € par mois en exploitant les autres arrivent à convaincre ceux qui vivent avec 1 500 que la cause de leur problème sont ceux qui vivent avec 2 000 ou avec 500 »

Vous pouvez retrouver tout l’entretien derrière ce <Lien>

Mais ce n’est pas de son intervention que je voudrais parler aujourd’hui mais de celle de la philosophe Sylviane Agacinski ;

Sylviane Agacinski est née en 1945. Elle fut un moment proche de Jacques Derrida. Elle a enseigné à l’École des hautes études en sciences sociales de 1991 à 2010.

Même si ce détail est peu important, je note qu’elle a fait ses études au lycée Juliette-Récamier de Lyon et passé sa licence de philosophie à l’université de Lyon.

Elle est très active actuellement sur un sujet d’importance : la lutte contre la marchandisation du corps des femmes et la gratuité du don d’organe.

Elle vient de publier, au Seuil un livre : « Le tiers-corps – Réflexions sur le don d’organes »

Telerama a consacré un article à ce livre « Le don d’organes solidaire et gratuit est la seule option pour éviter la marchandisation du corps »

Outre « On n’est pas couché » elle avait été invitée sur France Inter : « Personne ne va vendre l’un de ses reins s’il n’est pas dans une grande misère » et sur France Culture à l’émission <La Grande Table> du 9 mars 2018 où elle avait notamment dit :

« Le don est un élan, un geste par essence non commercial et qui peut ne pas être payé en retour. La réciprocité n’est pas un automatisme. Dans le cas du don d’organes, elle est indirecte, car le donneur rend ce qu’il a reçu par ailleurs de la société. »

Mais le point central de ce que je veux partager aujourd’hui, c’est son intervention vers la fin de l’entretien des chroniqueurs de Ruquier avec Olivier Besancenot.

Laurent Ruquier l’interpelle et lui demande ce qu’elle pense de ce que dit Olivier Besancenot. (Cela commence à 29:30) <Je redonne le Lien>

« Je suis très touché par ce discours.

D’abord, on vient de fermer la Poste à côté de chez moi, je sais que dans les villages c’est une catastrophe quand la Poste disparait.
Et avant qu’elle ferme il y a de plus en plus de machines.

J’avais une banque, il y avait plein d’employés, on avait des rendez-vous facilement.
Maintenant on se trouve dans un petit hall de gare affreux avec 4 machines et une employé et on fait la queue pour obtenir quelque chose.

Ce n’est pas toujours plus pour l’usager, c’est toujours moins.
C’est aussi toujours moins pour les gens qui travaillent. Ce n’est pas toujours plus.

C’est un discours qui me touche […]

Vous parlez justement sur la sécurité du travail. Je regardais à la télévision différents reportages.
J’ai vu des choses…
On nous donne parfois l’Allemagne en modèle, on s’aperçoit que pour arriver à avoir autour de 1000 euros ou un peu plus, des millions d’allemands ont 2 ou 3 jobs.
Ils se lèvent très tôt le matin et se couche très tard le soir, ils ont 3 emplois pour en arriver là.
Après on va dire, oui mais ils ont moins de chômage que nous.
Oui mais à quel prix, ils ont moins de chômage ?

J’ai vu un autre reportage sur les « Work campers » aux Etats-Unis.
Il y a des industries qui ferment, ce ne sont pas les politiques qui sont en cause c’est le système capitaliste et la logique du profit à tout prix.
Ce sont des travailleurs endettés qui vendent leurs maisons et achètent un camping-car. Ce ne sont pas les plus déshérités.
Ces gens vont sillonner l’Amérique avec leur camping-car pour ce que certains vont appeler la mobilité, la fluidité et ils vont d’une ville à l’autre chercher du travail.
Un couple, le dernier travail qu’on leur propose c’est un travail de 12 heures par jour, 7 jours consécutifs pour ramasser les betteraves. [..]

Nous sommes quand même effarés, il y a là une telle abolition des droits élémentaires que chacun essaye de sauver sa peau comme il peut. C’est une catastrophe. [..]

Il y a derrière tout cela aussi l’Europe, les institutions européennes, l’ouverture au marché, l’Europe est l’ensemble le plus ouvert au marché et à la concurrence, il y a la mondialisation.

Alors qu’est-ce que vous voulez que les politiques fassent ?

  • Ou ils suivent la logique économique telle qu’elle est
  • Ou ils essayent de lutter avec des gens qui se raccrochent désespérément à leurs dernières [elle ne finit pas cette phrase et ajoute] de toute façon cela ne pourra pas tenir.

Je sens une impuissance du politique dans l’histoire

Normalement on devrait penser que l’économie est au service des êtres humains, ce n’est pas le cas.
Ce sont les humains qui sont tous au service de l’économie, c’est-à-dire au service des profits du capitalisme financier qui pressent, qui pressent pour plus de taux de profit.

Cela va de toute façon craquer.
Je pense qu’on va aller un jour vers une catastrophe sociale.et là ça sautera. »

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas Sylviane Agacinski a épousé Lionel Jospin en 1994 …

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Mercredi 14 mars 2018

« Qu’est-il arrivé à la gauche européenne ?»
Jan Rovny

Il y a 18 ans nous étions l’an 2000.

  • La France était gouvernée par le Parti socialiste et Lionel Jospin qui était premier ministre. Lors des dernières élections du 1er juin en 1997, le Parti Socialiste avait obtenu 38,05%.
  • En Grande Bretagne, le pouvoir était exercé par le Parti Travailliste de Tony Blair vainqueur des élections du 1er mai 1997, avec 43,2% des voix
  • En Allemagne, le pouvoir était exercé par le SPD. Le Chancelier était Gerhard Schröder il avait gagné les élections fédérales du 27 septembre 1998, avec 40,9% en battant le mythique Helmut Kohl et son CDU.
  • En Italie, la coalition au pouvoir était le centre gauche de Romano Prodi élu le 21 avril 1996 avec 43,39% des voix. Il est vrai que dès le 13 mai 2001 Silvio Berlusconi et sa « Maison des Libertés » battaient la coalition social-démocrate.
  • En Espagne c’était la droite qui était au pouvoir, le premier ministre était José Maria Aznar. Il avait battu le dirigeant historique du Parti Social Ouvrier Espagnol Felipe Gonzalez qui avait quand même obtenu 37,63% aux élections du 3 mars 1996.
  • Et en Grèce, c’était le Parti socialiste le PASOK qui avait remporté les élections du 9 avril 2000 avec 43,79% des voix. Il faisait l’objet d’une reconduction.

Aujourd’hui, en Espagne la droite est toujours au pouvoir et dans tous les autres pays les partis sociaux-démocrates ont perdu le pouvoir, sauf en Allemagne où ils sont partenaires de la Droite qui gouverne.

La chute la plus impressionnante est celle du PASOK grec qui est passé de 43,79% à 6,28% aux dernières élections remportées par Syriza. La France est quand même très proche passant de 38,05% à un peu plus de 8% en 2017.

Il y a 18 ans, la social-démocratie gouvernait donc la grande majorité des pays européens, elle est aujourd’hui en recul voire en effondrement partout.

Pourquoi ?

Philippe Meyer cite souvent l’ancien secrétaire général de FO André Bergeron qui disait : « Pour négocier il faut qu’il y ait du grain à moudre ». Et il semble bien que dans le cadre de la mondialisation, du libre-échange, de la liberté de circulation des capitaux, il n’y ait plus grande matière à négocier. Du moins c’est l’idée qui s’est imposée à la sociale démocratie. Des partis plus à gauche que les sociaux-démocrates contestent absolument cette idée : ils pensent qu’il y a toujours du grain à moudre. Le seul Parti se réclamant de cette mouvance, le Parti Syriza de Grèce qui est arrivé au pouvoir, a au bout de quelques mois cédé pour revenir à l’orthodoxie où il n’y a pas de grain à moudre.

Brice Couturier qui continue ses rubriques qui s’intéressent à ce que des penseurs et des journalistes d’autres pays que la France pensent et écrivent a consacré une émission le 9 mars à cette question <La sociale démocratie se meurt>

Et a posé cette question : Où est passée la social-démocratie, qui faisait partie du code génétique de la plupart de nos nations européennes ?

Il complète d’abord le panorama que j’ai dressé ci-avant par d’autres exemples sur la même période :

  • Le Parti social-démocrate Tchèque est passé de 30 à 7 %
  • Les sociaux-démocrates néerlandais, de 15 à 5 %.

Tous ces faits doivent rassurer mes amis socialistes : Le PS français n’est pas seul à avoir des problèmes et la chute de la social-démocratie n’est pas une question française, mais une question européenne.

Pour essayer de donner un éclairage, Brice Couturier cite Jan Rovny, un politologue d’origine tchèque, formé au Canada et aux Etats-Unis, qui enseigne également à Science Po.

Il a publié une étude intitulée «What happened to Europe’s left ? » c’est-à-dire « Qu’est-il arrivé à la gauche européenne » et qui a été mise en mise en ligne sur le site de la London School of Economics le 22/02/2018. Et que pouvez lire dans son intégralité si vous êtes familier avec la langue de Shakespeare et que vous cliquez sur ce <Lien>.

Brice Couturier résume cette étude de la manière suivante :

« Jan Rovny observe en premier lieu que cette baisse tendancielle s’est s’accélérée. Les résultats des élections de 2017 ont enregistré là où elles ont eu lieu un véritable effondrement. Il s’agit donc bien d’un processus et il est général.

La première cause qui vient à l’esprit, c’est la crise de 2008. Mais comment expliquer que cette crise, due aux dérèglements de la finance, et présentée parfois – on s’en souvient – comme « la crise finale du capitalisme » – ait bénéficié plus souvent aux populistes de droite que de gauche ?

L’électorat de la gauche n’a pas tant basculé vers d’autres partis qu’il ne s’est « volatilisé ».

Certes, il y a eu des transferts d’allégeance vers l’extrême-droite ou la gauche radicale, mais les partis socialistes et sociaux-démocrates ont surtout vu leurs électorats naturels fondre comme neige au soleil. »

La première cause évoquée par le politologue tchèque est l’évolution de la classe ouvrière en raison des évolutions technologiques

Les vraies causes, selon Jan Rovny, sont à chercher, en effet, du côté des changements technologiques.

La classe ouvrière, qui constituait le socle électoral des partis de gauche, a énormément diminué en nombre. La contre-culture ouvrière, à travers laquelle les travailleurs prenaient conscience de leur identité et de leur force transformatrice, a disparu.

L’ancienne classe ouvrière a été remplacée par un précariat de travailleurs peu qualifiés, affectés aux emplois de services – restauration, nettoyage, surveillance, transports.

Cette classe nouvelle, issue en grande partie de l’immigration, a peu de moyens d’organisation et pas d’appartenance politique fixe.

La seconde idée peut être résumée par ce constat contradictoire : la gauche a été victime de son succès et de l’émancipation qui ont conduit à un plus grand individualisme.

Ensuite, c’est le succès de la gauche qui a paradoxalement entraîné sa propre disparition. Les gens se sont émancipés – y compris des cadres structurels de la gauche…
L’accès généralisé aux études supérieures, couplé avec les possibilités d’information offertes par les nouvelles technologies, a provoqué une individualisation de la société.
Les partis de gauche ont tenté de coller à l’aspiration à de nouveaux droits individuels, épousant le désir d’autonomie et de mobilité des jeunes générations diplômées.
Ce faisant, ils sont devenus des partis de classes moyennes en ascension.
Convertis au social-libéralisme et appuyés sur le noyau dur électoral de la fonction publique, ils ont abandonné les classes populaires aux populistes, qui leur promettent « protection économique et traditionalisme culturel ».

Mais en fin de compte jan Rovny revient sur une dichotomie qui me semble fondamentale : une économie entièrement tourné au bénéfice des consommateurs et au détriment des producteurs. C’est pourquoi la mondialisation a provoqué une fracture entre « cosmopolites » et « traditionalistes ».

Les partis de gauche ont accompagné un autre processus dont ils sont devenus les victimes, la mondialisation. Le « transnationalisme », expression préférée par Jan Rovny, a remplacé les travailleurs et les produits locaux par – je cite « des alternatives moins coûteuses ». Cela a, certes, bénéficié aux consommateurs, mais au détriment des producteurs, victimes de la concurrence étrangère dans les secteurs exposés.
Le transnationalisme est en outre un phénomène culturel. D’un côté, il permet aux classes favorisées de voyager à une échelle sans précédent, tant pour leurs affaires que pour le tourisme. Les familles transculturelles vivent dans un monde riche de potentialités multiples dont ils peuvent faire bénéficier leurs enfants.
Mais ceux dont les ressources sont limitées vivent « dans un monde défini par des frontières nationales, des mœurs spécifiques, une seule langue. » chez eux, l’arrivée massive de migrants, culturellement différents, aggrave le sentiment d’aliénation.

Du coup, les sociétés se divisent dorénavant en « cosmopolites », favorables à l’ouverture des frontières et à la liberté des échanges et « traditionnalistes », favorables au protectionnisme et au respect des souverainetés. La vieille alliance entre les cadres et intellectuels, d’une part et la classe ouvrière, de l’autre, alliance sur laquelle reposaient les partis de gauche, est fracturée.
L’ancien clivage, qui opposait la gauche et le droite, est supplanté par d’autres, fondées sur des critères ethniques et culturels, ou encore entre habitants des métropoles et des périphéries.
Les partis de gauche sont mal équipés pour y faire face.

Pour ma part je pense, en outre que cette fracture remonte de plus en plus dans les couches sociales de la classe moyenne : je veux parler de ce phénomène que le bénéfice tiré des prix bas de la consommation ne compensent plus ce qui est perdu en tant que producteur pour toutes ces personnes. Ce phénomène me semble toucher de plus en plus de gens.

On comprend bien que derrière tout cela se pose la question du libre-échange.

Mais mettre fin au libre-échange, même en partie, cela aurait pour conséquence de pénaliser le consommateur, les prix seront plus élevés et certains produits ne seront plus accessibles.

Il n’est pas certain que le plus grand nombre sera en accord avec cette perspective.

PS : Jean-Philippe a ajouté un commentaire très intéressant que je conseille à chaque lecteur d’aller consulter.

<1036>

Mardi 13 mars 2018

« Les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! »
Nicolas Sarkozy lors d’une conférence à Abu Dhabi

Hier, j’opposais la démocratie allemande à ce que nous vivions en France.

Soyons juste, au regard de l’Histoire l’apport à la démocratie libérale de l’Allemagne n’est pas déterminante.

Le pays qui est à la source de la démocratie libérale moderne est indiscutablement la Grande Bretagne, puis les Etats-Unis ont aussi fait leur part.

La France a également joué son rôle mais beaucoup plus par la parole, les concepts, les déclarations, les idées que par la froide réalité des faits.

Si on remonte à 1780, jamais ni aux Etats-Unis, ni en Grande Bretagne, il n’y a eu le régime de terreur de la Convention, ni un Napoléon Ier, ni un Napoléon III, ni un Charles X, ni bien sûr un Pétain. Et aujourd’hui encore notre système démocratique est largement inachevé : manquant de contre-pouvoir, beaucoup trop centré sur le Président et sa cour de l’Elysée.

Mais si on parle de L’Allemagne : Avant 1945, la démocratie est inexistante et, lors de la petite période de la République de Weimar, vacillante et surtout conduisant au mal absolu.

La démocratie allemande actuelle a été imposée par les alliés et notamment les Etats-Unis. Mais depuis, ayant appris de leur terrible Histoire, les allemands ont peu à peu construit un système démocratique assez exemplaire, en tout cas beaucoup plus que le système français où il y en a encore qui discute de l’intérêt du non cumul des mandats ou de la limitation du nombre de mandats successifs…

Mais pour toujours parler de la démocratie, j’ai lu des articles qui relataient des propos de l’ancien Président de la République, qui puisant dans son expérience accepte des emplois de conférencier dans le monde.

Il a donc été invité par les Émirats arabes unis il y a une semaine pour tenir une conférence dans laquelle il était question des différents leaders politiques mondiaux actuels et de la…fragilité ? des démocraties.

Vous trouverez derrière <ce lien un article du Point sur la conférence tenue par le président Nicolas Sarkozy à Abu Dhabi> :

L’ancien président de la République participait donc à la conférence « Abu Dhabi Ideas Week-End », samedi 3 mars 2018, et a tenu un discours de près d’une heure devant environ 150 personnes.

Des journalistes notamment du Monde se sont procurés l’enregistrement audio de son intervention, axée sur les grandes problématiques du monde.

La vision de Nicolas Sarkozy met en avant le rôle prépondérant de la Russie et de la Chine. Il développe aussi son point de vue sur les démocraties, menacées, selon lui par manque de grands leaders.

Pour Nicolas Sarkozy, les grands leaders du monde actuel ne sont pas les dirigeants des démocraties.

« Quels sont les grands leaders du monde aujourd’hui ?

Le président Xi, le président Poutine – on peut être d’accord ou pas, mais c’est un leader –, le grand prince Mohammed Ben Salman [d’Arabie saoudite].
Et que seraient aujourd’hui les Emirats sans le leadership de MBZ [Mohammed Ben Zayed] ? »

Il donne les raisons pour lesquelles, selon lui, les démocraties ne parviennent plus à dégager des grands leaders :

« Quel est le problème des démocraties ? demande l’ancien président. C’est que les démocraties ont pu devenir des démocraties avec de grands leaders : de Gaulle, Churchill…

Mais les démocraties détruisent tous les leaderships. C’est un grand sujet, ce n’est pas un sujet anecdotique ! […]
Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ?
C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. »

Puis il oppose le grand leader et le leader populiste. Il m’étonne un peu quand il prétend que le dirigeant actuel de la Hongrie n’est pas populiste. Voilà ce qu’il dit :

« D’abord pour moi, M. Orban en Hongrie [le premier ministre], c’est pas un populiste. Mais là où il y a un grand leader, il n’y a pas de populisme !

Où est le populisme en Chine ? Où est le populisme ici ? Où est le populisme en Russie ? Où est le populisme en Arabie saoudite ?

Si le grand leader quitte la table, les leaders populistes prennent la place. Parce que la polémique ne détruit pas le leader populiste, la polémique détruit le leader démocratique. »

Et enfin, encore plus surprenant il défend l’idée du mandat prolongé du président chinois Xi Jinping, certains disent « mandat à vie ». C’est d’autant plus étonnant que c’est lui qui a œuvré, en France, pour que le Président de la République ne puisse être réélu qu’une seule fois pour une présidence donc limitée à 10 ans :

« Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez. Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit : « Dix ans, c’est pas assez », au président américain qui a en vérité deux ans. Mais qui parierait beaucoup sur la réélection de Trump ?

Ce matin, j’ai rencontré le prince héritier MBZ. Est-ce que vous croyez qu’on construit un pays comme ça, en deux ans ? Ici, en cinquante ans, vous avez construit un des pays les plus modernes qui soient. La question du leadership est centrale. La réussite du modèle émirien est sans doute l’exemple le plus important pour nous, pour l’ensemble du monde.

J’ai été le chef de l’Etat qui a signé le contrat du Louvre à Abou Dhabi. J’y ai mis toute mon énergie. MBZ y a mis toute sa vision. On a mis dix ans ! En allant vite ! Sauf que MBZ est toujours là… Et moi ça fait six ans que je suis parti. »

Le concept du mandat à vie fait aussi rêver Donald Trump comme le raconte le journal « Les Echos ». « Il est président à vie, président à vie. Il est formidable », a lancé Donald Trump face à ses partisans lors d’une levée de fonds en Floride.

Le président américain faisait référence à l’annonce dimanche dernier, de la fin de la limitation du nombre de mandats présidentiels en Chine et il a ajouté :

« Vous voyez, il a été capable de le faire. Je pense que c’est super. Peut-être que nous devrions tenter le coup, un de ces jours ».

Quelle horrible perspective : Donald Trump, président à vie !

Mais pour revenir au propos de Nicolas Sarkozy …

On ne peut qu’être d’accord avec son constat que pour faire bouger un pays, il faut une vision à long terme.
Je pense que sur ce point il n’y a pas débat.

Evidemment que dans les pays non démocratiques, avec donc des dictateurs (je trouve, dans ce cas, le terme de leader inapproprié) une vision à long terme est plus facile à mettre en œuvre.

Mais est-ce que le sort des citoyens de ces pays non démocratiques est enviable ? Y a-t-il moins de corruption ? Moins d’inégalité ? Plus de bonheur et de joie ? Plus de vie ?

Alors le problème est-il celui du leadership qu’on « dézingue » sans cesse dans les pays démocratiques ?

Je vais reprendre l’exemple de l’Allemagne depuis 1945. Il y a eu des chanceliers sérieux et respectables, mais était-ce des leaders dans le sens évoqué par Nicolas Sarkozy ?

Je ne pense pas, je pense qu’il y avait une classe politique de qualité et même s’il y avait des alternances, un parti ne passait pas son temps à détruire ce qu’avait fait son prédécesseur, surtout pour des motifs idéologiques. Il y avait une certaine continuité sur les problèmes fondamentaux, rendant ainsi possible une vision à long terme.

Plus que jamais je ne crois pas un seul instant, surtout dans le monde aujourd’hui, au besoin d’un chef omnipotent qui sait tout ou presque et qui décide de tout.

Je crois dans le besoin d’un travail en équipe, dans l’écoute et l’enrichissement mutuel. Bien sûr il faut à un moment qu’une femme ou qu’un homme (à dessein je l’écris dans ce sens) qui porte le programme, le travail de l’équipe. Mais ce rôle doit être précaire, l’intelligence du projet et de l’organisation se trouve justement dans la capacité de pouvoir remplacer assez facilement le leader par un autre membre de l’équipe. Et c’est excessivement dangereux pour l’équilibre des pouvoirs et même la santé mentale du leader précaire de se croire indispensable et irremplaçable.

Le fait qu’on a du mal à remplacer le leader ou même qu’on ne voit pas qui pourrait remplacer le leader est révélateur, selon moi, d’un grave problème.

La continuité se trouve dans l’équipe pas dans le leader à qui il peut arriver tant de choses, la mort par exemple.

Par ailleurs, l’idée que le leader puisse être remplacé par sa fille, son fils ou son épouse est elle aussi totalement incongrue, vestige d’une époque monarchique ou féodale qui n’a plus aucune pertinence aujourd’hui. L’idée que dans une équipe, la personne la plus appropriée pour succéder au leader est un de ses enfants n’a jamais pu être prouvée par la génétique et constituent certainement une insulte aux probabilités sur la répartition des compétences entre les gens.

Voici donc ce que m’inspirent ces propos de l’ancien président dont je partage le diagnostic, mais dont je récuse absolument la thérapie.

Je m’inscris tout simplement dans l’héritage de Mendès-France. Je vous renvoie à l’un des mots du jour consacré à ce grand visionnaire : <Celui du 1er octobre 2015>

<1035>

Lundi 12 mars 2018

«Die GroKo »
Nom de la coalition CDU-CSU et SPD qui va gouverner l’Allemagne après l’accord obtenu

Nos amis allemands ne m’ont pas trahi.

J’avais lors du mot du jour du Lundi 25 septembre 2017 posé cet acte de foi :

« Personne n’imagine un seul instant qu’il ne sera pas possible de créer une coalition. Pour ma part, je suis persuadé que si en fin de compte cela s’avère très compliqué, le SPD reviendra sur sa décision de ne pas participer à la coalition.
Car en Allemagne, les politiques considèrent toujours qu’il faut préférer l’intérêt du pays à l’intérêt de son parti. »

Et c’est ce qui vient de se passer !

Pour celles et ceux qui ne suivent pas précisément la vie politique allemande, un rappel des faits, pour les autres vous pouvez sauter ce paragraphe.

Lors des dernières élections législatives allemandes, la liste CDU-CSU d’Angela Merkel arrivée en tête a recueilli 33 33% (pour comparer Emmanuel Macron a obtenu au premier tour des présidentielles 24 %).

Quand on représente 33% du corps électoral en Allemagne on ne peut pas gouverner seul, il faut donc réaliser une coalition.

Les socialistes, c’est-à-dire SPD, sont en coalition avec le CDU-CSU depuis 2013 sous la direction de la chancelière Merkel, il l’était déjà de 2005 à 2009 qui fut le premier mandat de Merkel. Les résultats du SPD depuis dégringolent lors de chaque élection. Après les élections du 24 septembre, le SPD a décidé de ne pas entrer dans une nouvelle coalition qu’il jugeait contre-productive du point de vue de son audience électorale.

Merkel s’est donc tourné vers deux autres partis : les Ecologistes et le parti libéral (FDP). En Allemagne les partis ont des couleurs (CDU noir, Ecologistes vert, FDP (jaune), SPD (rouge) et les coalitions prennent le nom des couleurs.

Ainsi la coalition que tentait Merkel était Noir, Jaune et Vert qu’on désigne sous le nom de coalition jamaïcaine puisque ce sont les trois couleurs du drapeau de la Jamaïque.

A ce stade, les partis allemands négocient pour se mettre d’accord sur un programme de gouvernement comme je l’expliquais dans le précédent mot du jour

Et les libéraux finalement ont dit Non et ont arrêté de négocier. «  Il est préférable de ne pas gouverner que de mal gouverner  », a déclaré à la presse à Berlin, le président des Libéraux du FDP Christian Lindner, fin novembre, après deux mois de négociations.

Et comme je l’avais intuitivement prévu : je suis persuadé que si en fin de compte cela s’avère très compliqué, le SPD reviendra sur sa décision de ne pas participer à la coalition. Le SPD est bien revenu sur son refus de négocier.

Et c’est là qu’il faut suivre et comprendre ce que c’est qu’une vraie démocratie, pour nous autres français qui avons l’habitude de donner les clés à un homme et ensuite de voter ou de s’abstenir pour que l’homme qui a les clés puissent disposer d’une assemblée avec une majorité absolue dévouée à le satisfaire.

  • Donc le SPD est d’abord revenu vers ses militants pour obtenir le droit de négocier.
  • Puis ils ont négocié pendant 3 mois (décembre – février) pour parvenir à un programme de gouvernement qu’ils vont fidèlement mettre en œuvre ;
  • Et Angela Merkel est revenu vers les 1000 délégués du CDU pour obtenir leur approbation, sans laquelle elle ne pouvait faire la coalition. Et, la CDU a approuvé.
  • Pour le SPD ce fut encore plus compliqué, il fallait que les militants du SPD votent et acceptent cette coalition. Ce que les militants du SPD ont fait. Le SPD a annoncé que le « oui » l’a emporté à plus de 66% et 78,4% des 463.000 membres du parti ont participé au vote.

C’est ainsi que fonctionne les vraies démocraties libérales : un parti est élu sur un programme. S’il a la majorité absolue, il met en œuvre son programme. Si ce n’est pas le cas des partis ayant ensemble la majorité absolue négocient pour élaborer un programme à partir de leurs programmes respectifs en accordant une priorité au programme arrivé en tête. Et en plus, on revient vers les représentants et les militants pour avaliser l’accord de gouvernement.

En France cela ne marche pas ainsi, il y a des élections présidentielles, puis une succession d’évènements étranges pour finalement parvenir à ce que les 24% des électeurs puissent imposer leur politique aux 76% restants. Bien sûr, vous me direz : les français sont complices, personne ne les obligeait à donner la majorité absolue aux députés présentés par l’homme qui a obtenu moins d’un quart des voix.

Alain Duhamel, affirme que le peuple français est querelleur et qu’un système comme celui des allemands, c’est-à-dire un système vraiment démocratique ne peut pas fonctionner. Selon lui, il nous faut un régime quasi bonapartiste, un césarisme, bref les institutions de la Vème République.

C’est ce qu’il a écrit avec Edouard Balladur dans un livre à la gloire de la 5ème République : « Grandeur et décadence de la Vème République » et qu’il a réaffirmé dans cette émission de RTL.

Je me permets de ne pas être d’accord et de préférer un régime vraiment démocratique, même s’il faut du temps pour se mettre d’accord sur un programme de gouvernement.

En principe cette coalition devrait avoir pour nom « la coalition noir rouge », mais les allemands, s’agissant des deux partis les plus importants, ceux qui ont donné tous les chanceliers à l’Allemagne depuis la guerre, préfèrent parler de la « Große Koalition » c’est-à-dire « Grande Coalition » ce qui donne en abrégé « GroKo »

La Groko va permettre à Angela Merkel d’entamer un quatrième mandat à la tête du gouvernement : elle devrait être formellement élue chancelière par les députés mi-mars.

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