Mercredi 11 décembre 2019

« Une île »
Michèle Bernard-Requin

Aujourd’hui, je ne ferais aucun commentaire, je n’ajouterai rien.

Ma seule action sera de relayer un article publié le 09/12/2019 sur « Le Point » : <La déclaration d’amour de Michèle Bernard-Requin>

Michèle Bernard-Requin, magistrate exemplaire, a rassemblé ses dernières forces pour écrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l’hôpital Sainte-Perrine.

Voici un texte poignant, bouleversant, qui tirera les larmes même aux plus insensibles d’entre nous. Des lignes que Michèle Bernard-Requin nous envoie depuis l’hôpital Sainte-Perrine à Paris, où elle se trouve, selon ses mots, « en fin de vie ». Michèle Bernard-Requin est une des grandes figures du monde judiciaire. Elle fut tour à tour avocate puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d’assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite.

Auteur de plusieurs livres, elle intervient de temps à autre dans les médias et tient depuis 2017 une chronique régulière sur le site du Point dans laquelle elle explique avec clarté, talent et conviction comment fonctionne la justice et pourquoi, parfois, cette institution dysfonctionne. Aujourd’hui, c’est un tout autre cri d’alarme qu’elle pousse dans un « petit et ultime texte pour aider les « unités de soins palliatifs » », a-t-elle tenu à préciser dans ce mail envoyé par sa fille dimanche 8 décembre au matin. Un texte que nous publions tel quel en respectant sa ponctuation, ses sauts de ligne, son titre évidemment. JB.

« UNE ÎLE

Vous voyez d’abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.
La justice, ici, n’a pas eu son mot à dire pour moi.
La loi Leonetti est plus claire en effet que l’on se l’imagine et ma volonté s’exprime aujourd’hui sans ambiguïté.
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.
Il ne s’agit pas d’euthanasie bien sûr mais d’acharnement, si le cœur, si les reins, si l’hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d’acharnement.
Ici, c’est la paix.
Ça s’appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.
« Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
C’est une île, un îlet, quelques arbres.
C’est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d’aller, là-bas, vivre ensemble ».
C’est « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans » (« Spleen ») Baudelaire
Voilà, je touche, en effet, aujourd’hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c’est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.
Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu’ils n’en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d’avoir l’humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu’à l’aide-soignant et l’élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d’abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense.
À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m’arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».
Il faut comprendre que le rapport à l’humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c’était sa richesse, hospitalière, c’était extraordinaire, un regard croisé, à l’heure où tout se déshumanise, à l’heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu’à travers des procédures dématérialisées, à l’heure où le médecin n’examine parfois son patient qu’à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.
Le soignant qui échange le regard.
Eh oui, ici, c’est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n’aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l’escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l’épaule.
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l’ordinaire de tous.
C’est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.
Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s’enlise dramatiquement.
J’apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l’obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d’autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d’essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.
Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s’appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c’était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c’est extraordinaire.
J’ai oublié l’essentiel, c’est l’amour, l’amour des proches, l’amour des autres, l’amour de ceux que l’on croyait beaucoup plus loin de vous, l’amour des soignants, l’amour des visiteurs et des sourires.
Faites que cette humanité persiste ! C’est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.
La France et ses tumultes, nous en avons assez.
Nous savons tous parfaitement qu’il faut penser aux plus démunis.
Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l’essentiel du mouvement : l’amour. »


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Jeudi 14 novembre 2019

« Ce que [Jessye Norman] projetait, silencieuse et face à nous, était si intense que l’assistance a fondu en larmes »
Bob Wilson

Jessye Norman est décédée le 30 septembre, je lui ai consacré le mot du jour 2 octobre 2019.

Le magazine de musique « Diapason » de Novembre a publié un beau dossier à l’«adieu à Jessye Norman »

Ce dossier retrace son parcours et parle aussi de sa foi religieuse.

Mais ce que je voudrais partager aujourd’hui c’est le témoignage que le grand metteur en scène Bob Wilson a donné au Los Angeles Times et que Diapason a reproduit.

Robert Wilson est metteur en scène et plasticien. Il a suivi des études de peinture et d’architecture.

Il a souvent mis en scène des spectacles de Jessye Norman.

Par exemple, en 1982 «GREAT DAY IN THE MORNING» et en 2001, il avait mis en scène, au Théâtre du Châtelet, un spectacle consacré au « Voyage d’hiver » de Schubert.

Et voilà ce que narre Bob Wilson :

« Au moment des attentats du 11 septembre, nous donnions Le Voyage d’Hiver au Châtelet. Le lendemain du drame, Jessye m’appelle pour me dire qu’elle avait pleuré toute la nuit et n’aurait pas la force de chanter. Je lui ai répondu «  Mais Jessye, c’est justement pour cela que tu dois chanter. Nous avons besoin d’entendre ta voix ».

Elle l’a fait.

Et bien sûr, à un moment, l’émotion l’a submergée , elle s’est arrêtée, demeurant immobile.

Elle ne chantait plus, ne bougeait plus, restait juste debout. Je ne connais personne d’autre qui aurait pu faire ça.

Ce qu’elle projetait, silencieuse et face à nous, était si intense que l’assistance a fondu en larmes.

Cela dura dix minutes. Dix minutes ! Son silence était plus puissant encore que son chant.»

Et il raconte une autre anecdote.

« Dès notre rencontre, au début des années 1970, j’ai été fasciné par elle. Elle a toujours compris son propre génie d’actrice […]. Il se nourrrisait de son exigence morale profonde, de sa révolte devant toute forme d’inégalité. Je me souviens avoir passé une nuit entière avec elle dans un commissariat, car elle avait vu des policiers arrêter dans la rue un homme noir qu’elle ne connaissait pas, mais voulait être certaine qu’il ne serait victime d’aucune discrimination ou mauvais traitement !

Elle l’a attendu jusqu’au matin. »

Jessye Norman, telle qu’en elle-même immense, sensible et généreuse.

Mais on ne peut finir un mot du jour sur Jessye Norman, sans un moment de chant.

Je n’ai pas trouvé d’extrait du spectacle du Voyage d’Hiver. Elle n’a d’ailleurs pas enregistré ce cycle de Schubert.

Mais écoutez donc ce bijou de moins de 2 minutes : « Zueignung » de Richard Strauss.

En voici les paroles et la traduction

Zueignung

Dédicace

Ja, du weißt es, teure Seele,
Daß ich fern von dir mich quäle,
Liebe macht die Herzen krank,
Habe Dank.

Oui tu le sais précieuse amie,
Que loin de toi, je me tourmente.
L’amour fait souffrir les cœurs
Sois remerciée.

Hielt ich nicht, der Freiheit Zecher,
Hoch den Amethysten-Becher,
Und du segnetest den Trank,
Habe Dank

Un jour assoiffé de liberté,
J’ai levé le gobelet d’améthyste
et tu as béni mon breuvage
Sois remerciée.

Und beschworst darin die Bösen,
Bis ich, was ich nie gewesen,
Heilig an das Herz dir sank,
Habe Dank.

Tu as conjuré le mal,
Et j’ai osé ce que je n’avais jamais osé,
Saintement je me suis reposé sur ton cœur,
Sois remerciée

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Mardi 12 novembre 2019

« J’ai une richesse incroyable, celle d’être la fille d’étrangers et en même temps d’être française. »
Ariane Ascaride, à la Mostra de Venise après avoir reçu le prix de la meilleure interprétation féminine pour « Gloria Mundi » de Robert Guédiguian

Ariane Ascaride est une actrice pleine de sensibilité et de talents. Fille d’immigrés italiens, elle est née en 1954 à Marseille.

Elle a surtout tourné ses films avec son mari, également né à Marseille, le réalisateur d’origine arménienne : Robert Guédigian

D’ailleurs les films de Guédigian sont presque toujours joués par le même noyau d’acteurs, Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin.

Ces trois acteurs jouaient dans le premier film de Guédigian que nous avons vu avec Annie : « Marius et Jeannette » qui avait reçu le César du Meilleur film en 1998.

Film admirable, à hauteur d’homme qui se situe dans le quartier de l’Estaque à Marseille. Il raconte la rencontre de deux représentants des « gens d’en bas » si on reprend les concepts utilisés aujourd’hui.

Nous en avons vu d’autres toujours avec grand plaisir, car ils expriment la profondeur des sentiments et la vie des gens, des vrais gens.

Depuis, nous allons peu au cinéma mais nous avons encore vu en 2006, « Le voyage en Arménie » dans lequel Robert Guédigian évoque la terre de ses ancêtres.

Beaucoup de films de Guédigian et d’Ariane Ascaride se passent à Marseille, mais ils habitent depuis longtemps à Montreuil-sous-bois, la ville de Georges Méliès, qu’Annie, Alexis, Natacha et moi avons aussi habité avec bonheur de 1991 à 2002.

Un nouveau film va donc sortir le 27 novembre 2019 : « Gloria Mundi »

Ce film a été présenté à la Mostra de Venise et Ariane Ascaride a eu le prix d’interprétation féminine.

Quand on reçoit un prix, on fait un discours.

Le discours d’Ariane Ascaride fut bref et poignant :

« Je suis la petite-fille d’immigrants italiens qui un jour ont pris le bateau pour tenter leur chance pour fuir la misère.

Ils sont finalement arrivés à Marseille, et c’est là que je suis née.

Ce prix me donne la possibilité de retrouver mes racines et c’est très important.

J’ai une richesse incroyable, celle d’être la fille d’étrangers et en même temps d’être française.

Sachez-le c’est très important d’avoir une, deux, trois cultures pour vivre dans ce monde.

Je dédie ce prix à tous ceux qui reposent pour l’éternité au fond de la Méditerranée. »

Vous trouverez derrière <ce lien> le discours en italien sans sous-titrage et pour avoir le discours sous-titré il faut aller sur la <page facebook de Robert Guédiguian>.

<France Info> dédie un article à lire sur ce prix et Ariane Ascaride.

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Jeudi 7 novembre 2019

« Certaines personnes […] trouvent plaisir dans l’attente. Pour cela il faut posséder un esprit philosophique porté à l’espérance »
Sylvain Tesson parlant de Vincent Munier

Pour que le beau livre de Sylvain Tesson existât, il fallut d’abord un artiste qui le précéda et l’emmena avec lui : Vincent Munier.

Vincent Munier a un site sur lequel, il montre les photos qu’il réalise et dont il fait par la suite des livres : http://vincentmunier.com/indexflash.html

Vincent Munier et Sylvain Tesson

Sylvain Tesson écrit :

« Munier, lui rendait ses devoirs à la splendeur et à elle seule. Il célébrait la grâce du loup, l’élégance de la grue, la perfection de l’ours. Ses photos appartenaient à l’art, pas à la mathématique. » page 40&41

Sur ce site vous trouverez des photos magnifiques comme ce loup :

Pour accompagner ces photos réalisées dans l’attente et le silence, j’ai souhaité mettre en exergue une phrase de Sylvain Tesson dans son livre que je remets dans son contexte (page 23):

« L’affût est un pari : on part vers les bêtes, on risque l’échec. Certaines personnes ne s’en formalisent pas et trouvent plaisir dans l’attente. Pour cela il faut posséder un esprit philosophique porté à l’espérance. »

Parce qu’il faut savoir faire silence, attendre.

Sylvain Tesson avant son aventure avec Vincent Munier n’était pas de ce genre.

Il suivait plutôt cette règle qu’il écrit ironiquement page 17 :

« L’ennui court moins vite qu’un homme pressé »

Mais à la fin de son livre et de l’expérience partagée avec le photographe amoureux de la nature, il révélait (page 161)

« J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde »

Mais Vincent Munier dans sa quête de l’inaccessible et du monde sauvage exprime une crainte :

« Depuis 30 ans, je balade mes objectifs pour tenter de montrer le beau (…) à la recherche d’endroits où la nature n’a pas été maîtrisée, gérée. En France, parfois je suffoque. [Au Tibet], si haut, on se sent respirer. Mais je vis le paradoxe de montrer des endroits non anthropisés, où il peut y avoir un tourisme qui pourrait porter préjudice à ces animaux. Je suis en mutation à ce niveau-là, je réduis mes voyages pour essayer d’être cohérent. »

Il avoue par ailleurs qu’on peut aussi regarder la nature dans les Vosges.

Car en effet, le monde sauvage n’a pas besoin de l’homme. L’homme qui par sa démographie et son désir inexorable de croissance augmente sans cesse son emprise sur la terre, faisant reculer le territoire des autres espèces qui disparaissent par une <extinction de masse dont le rythme s’accélère>.

Lorsque le dernier hectare de vie sauvage aura été éradiqué pour installer des humains ou leurs œuvres, je ne donne pas cher de la durée de survie qui restera à homo sapiens. Et cela arrivera bien avant le dernier hectare, si nous ne savons nous arrêter à temps et fixer des limites à nos désirs insatiables.

Sylvain Tesson entreprend une réflexion sur les hommes qui sont sortis des grottes :

« La grotte dans laquelle je venais de rentrer avec Léo avait été occupée. […] Les grottes avaient constitué la géographie matricielle de l’humanité dans ses lamentables débuts. Chacune avait abrité des hôtes jusqu’à ce que l’élan néolithique sonne la sortie de d’abri. L’homme s’était alors dispersé, avait fertilisé les limons, domestiqué les troupeaux, inventé un Dieu unique et commencé la coupe réglée de la Terre pour parvenir, dix mille ans plus tard, à l’accomplissement de la civilisation : l’embouteillage et l’obésité. On pourrait modifier la pensée B139 de Pascal : – « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repose dans une chambre » – et trouver que le malheur du monde débuta quand le premier homme sortit de la première grotte » (pages 135 & 136)

Je ne partage pas ces propos désabusés. Je suis heureux que l’homme soit sorti de la grotte, parce que sinon il n’y aurait pas eu Jean-Sébastien Bach, William Shakespeare, Léonard de Vinci, Pasteur et tant d’autres que l’humanité s’honore de compter parmi les siens.

Mais la raison devrait nous inciter à méditer cette parole qu’on attribue à Géronimo, le chef amérindien :

« Quand le dernier arbre aura été abattu, la dernière rivière empoisonnée et le dernier poisson péché, alors l’homme s’apercevra que l’argent ne se mange pas. »

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Jeudi 3 octobre 2019

« Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir. »
Richard Béliveau

Richard Béliveau est un docteur en biochimie et un chercheur en cancérologie. Il est canadien.

Je l’ai découvert grâce à David Servan-Schreiber qui lui faisait une grande confiance concernant l’alimentation.

Car Richard Béliveau prétend que l’alimentation constitue une véritable arme pour tenir le cancer à distance et quand il est là, l’alimentation peut aider aussi, même si cela est compliqué.

Mais quand j’attaquerai la seconde partie de ma série sur l’alimentation, je reviendrai vers les propositions du docteur canadien.

Il s’intéresse aussi à un autre sujet. Sujet avec lequel les derniers mots du jour ont, plusieurs fois, été confrontés : la mort.

Et il a écrit un livre, qui comme ceux pour l’alimentation est co-rédigé par le docteur Denis Gingras et dont le titre est « La Mort : Mieux la comprendre et moins la craindre pour mieux célébrer la vie ». Ce livre a été publié en 2010

J’ai trouvé un site canadien qui l’a interviewé à propos de ce livre. Cet entretien m’a beaucoup touché car dans des mots simples, il dit des choses essentielles sur la mort et donc sur la vie.

La mort pour beaucoup constitue un tabou. Une réalité qu’on cherche à fuir par tous les moyens. La suractivité en étant le moyen le plus usité.

Très humblement, je ne crois pas qu’il faut fuir ainsi, car la mort a beaucoup de choses à nous dire sur la vie et le docteur Béliveau essaie de nous aider dans ce sens.

L’ouvrage lui-même, selon ce que j’en comprends car je ne l’ai pas lu, explique les processus biologiques liés à la mort, les différentes causes de mort, et expose des conceptions historiques, culturelles et spirituelles de la mort. Il explore la biologie et les limites de la vie, les rituels de la mort et les craintes qui lui sont associées et décrit les phénomènes entourant la perte de la vie. Le livre est illustré par des copies d’œuvre de l’art, peintures et sculptures offrant diverses représentations de la mort.

L’entretien du docteur Béliveau que j’ai lu se trouve derrière <ce lien>

Il explique pourquoi il a souhaité aborder ce sujet :

« Lorsqu’on s’oriente vers la recherche, c’est pour trouver des solutions à des problèmes non résolus, et le cancer est le tueur numéro un dans les pays industrialisés, dont le Canada. C’est une maladie terrible qui détruit des vies, qui détruit des espoirs et c’est le type de maladie qui illustre parfaitement le paradoxe de la vie. Quand on travaille sur le cancer, on est toujours à la très mince frontière entre la vie et la mort, parce qu’on doit développer des médicaments qui tuent une forme de vie – la vie des cellules cancéreuses – tout en épargnant les cellules saines voisines. Un chercheur en oncologie navigue perpétuellement sur cette mince frontière qui sépare la vie de la mort. Or, dans mon travail, je suis nécessairement en contact avec des gens très malades qui meurent. Et ce contact avec la mort est quelque chose qui exerce beaucoup d’influence. La détresse, la sérénité, ou encore les questionnements existentiels des gens deviennent vôtres, parce qu’ils sont les vôtres. »

Prendre conscience que la vie est quelque chose d’extraordinaire comme l’écrit <Damasio>.

« Ce qui m’attriste, c’est de penser qu’il y a des gens qui meurent sans avoir vécu à leur pleine mesure, sans avoir pris conscience que la vie était quelque chose d’absolument extraordinaire. »

Et il donne cette évidence que la pensée de la mort, m’aide à mieux vivre.

« la mort ne me fait pas peur, je dirais même qu’elle me fascine. Comme être humain, je sais que je vais mourir. Et la pensée de la mort m’aide à mieux vivre. Ça m’aide à donner une perspective, à relativiser les problèmes qui m’agressent au quotidien. »

La mort est devenue un tabou dans notre société qui essaye de l’éviter sauf pendant quelques rares moments, souvent avant une cérémonie funèbre..

Richard Béliveau pratique les arts martiaux et il est passionné par la culture japonaise qui, selon lui, ne connaît pas ce tabou de la mort.

« Je déteste les tabous, quels qu’ils soient. Un chercheur n’aime pas les tabous. Un chercheur est un défonceur de portes. C’est un explorateur de l’inconnu; il fait changer les idées, il provoque des réflexions. »

Il considère que sa réflexion sur la mort et la continuation de son combat pour la vie et contre le cancer :

« Pour moi, c’est la continuité de ce que j’ai fait toute ma vie. Je travaille contre la mort depuis le début. Il m’est juste apparu comme une conséquence inéluctable d’en parler. Une fois qu’on a décidé de se prendre en main, qu’on ne fume pas, qu’on fait de l’exercice, qu’on mange bien, qu’on reste mince et qu’on se tient loin de la bouffe industrielle, quand on a fait tout ce qu’on pouvait faire dans son quotidien pour prendre soin de sa vie, quelle peur nous reste-t-il ? La peur de mourir… Les gens qui sont confrontés à la mort se posent des questions. Comment meurt-on du cancer ? d’une maladie cardio-vasculaire ? [etc…] Je crois que s’il y a une façon de transcender notre peur de la mort, c’est en la comprenant, et en la comprenant au point d’en rire. Parce que tout le monde passe par le même chas d’aiguille en fin de compte. Donc la logique pour moi était de vaincre cette peur-là, d’en parler, d’en parler, d’en parler et d’en parler. Plusieurs perceptions de la mort viennent du cinéma, et toutes ces perceptions sont fausses. On a banalisé la mort, on en a fait un jeu d’arcade, alors que c’est un événement très intime, très personnel, très angoissant.

Selon le Dalaï-lama, « Les gens vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir et ils meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu. » Ça résume très bien mon dernier livre.

Et il conteste qu’aborder la mort de front soit une marque de pessimisme ou de négation de la vie. Bien au contraire :

«  Les gens les plus vivants que j’ai connus dans ma vie étaient confrontés à la mort sur une base régulière. Ils prenaient conscience de l’aspect précieux de la vie. On ne peut pas savourer la vie si on ne pense pas à la mort. C’est toujours la comparaison entre deux choses qui permet de les mettre en perspective. Des gens m’ont dit avoir commencé à vivre quand ils ont reçu un diagnostic de cancer. C’est aberrant de penser à ça, mais c’est la réalité. Si tous les êtres humains se levaient le matin en se disant que le soir ils pourraient être morts, on ne vivrait pas de la même façon. On conduirait moins vite sur les autoroutes, on serait plus patient avec les autres, on serait plus tolérant avec soi-même. Plutôt que de cacher la mort, la nier, la fuir ou la dénigrer comme on le fait, je pense qu’il y a une réflexion à faire là-dessus. C’est l’ignorance qui tue. L’ignorance de ce qui nous arrive est le facteur principal de stress, alors pour moi, comprendre la mort est capital. »

Et avant de mourir, il faut vivre et avoir une démarche responsable de santé, comme celle d’être acteur de sa guérison quand on est malade en s’inscrivant dans le temps long et la persévérance :

«  On veut tout, tout de suite. On achète des objets dont on n’a pas besoin avec de l’argent que nous n’avons pas. Alors imaginez, nous, on arrive en prévention en disant « faites quelque chose maintenant qui va vous payer plus tard. » On est à contre-courant. Mais en même temps, beaucoup répondent à notre message. C’est faux de penser que les gens sont stupides et qu’ils ne changent pas; 70 % sont ouverts, curieux et prêts à changer. Sur la rue, des hommes bedonnants me disent avoir acheté leur première bouteille d’huile d’olive ou avoir goûté à de la grenade pour la première fois de leur vie. […] Nous sommes, en grande partie, responsables de notre santé !

Il n’y a pas de bouton de remise à zéro dans la vie ! On ne peut pas appuyer dessus et effacer les 30 dernières années.

Arrêtez de penser que vous pouvez fumer, ne pas faire de sport, être trop gras et mal manger pendant 50 ans sans problème. C’est un train de vie qui vous amène chez le médecin. Et là, vite guérissez-moi docteur ! Je ne veux pas que ça fasse mal, je ne veux pas d’effets secondaires, et je veux que ça prenne trois semaines. La responsabilité individuelle pour moi c’est important, il faut se prendre en main. »

Et je finis de le citer par ce constat si dur et si vrai que j’ai choisi comme exergue :

« On est surprotégé de façon hallucinante et pour moi, la façon la plus flagrante de le réaliser, c’est lorsqu’on est confronté à la mort. Parce que la mort, c’est la solitude, et la solitude est une expérience de confrontation à soi-même. Malheureusement, pour beaucoup de gens, la seule fois dans leur vie où ils seront face à eux-mêmes, c’est au moment de mourir.  »

Ce n’est pas morbide de penser à la mort, à sa mort. C’est une leçon de vie qui fait qu’on aborde la vie autrement et dans la vie, sa santé aussi.

Le mot du jour se met en pause ce vendredi et lundi.

Mon frère et son épouse nous font l’honneur de nous rendre visite.

Et je veux me rendre pleinement disponible pour être là dans l’échange et dans la vie.

Je ne pourrai donc pas rédiger de mot du jour qui reviendra normalement mardi 8 octobre.

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Mercredi 2 octobre 2019

« Stand Up Straight and Sing
Tiens-toi droite et chante ! »
Jessye Norman, titre de son autobiographie

Bien sûr, il y eut le 14 juillet 1989 et Jessye Norman habillée d’une robe tricolore qui prêtait sa voix, Place de la Concorde, pour chanter la marseillaise, une marseillaise pleine de passion, pleine de force.

Depuis l’annonce de la mort de la chanteuse à la voix somptueuse, ce moment a souvent été rappelé et montré.

Mais mon souvenir est antérieur.

Il date d’une époque où la télévision donnait la possibilité à Jacques Chancel d’utiliser la première partie de la soirée pour faire une longue émission consacrée à une seule artiste souvent de musique classique comme Jessye Norman. Il s’agissait du <Grand Echiquier>. Je crois que l’émission eut lieu en 1984

Et Jessye Norman avait demandé à Jacques Chancel de diffuser un extrait du discours « I have a dream » de Martin Luther King, la fin de ce discours.

Alors, Jessye Norman s’est levé et dès que la voix de Martin Luther King s’est tue, elle a chanté « Amazing grace », a capella.

Moment d’émotion et de grâce.

<Une video existe> qui retranscrit cet instant unique

Tous les fibres de son être étaient en phase avec le pasteur noir qui avait lutté contre le racisme et la ségrégation.

Elle est née dans l’état de Géorgie un des principaux états confédérés lors de la guerre de sécession. La ségrégation raciale y était toujours présente au moment de la naissance de la future cantatrice, en 1945 dans la ville d’Augusta.

Ses parents militaient au sein de l’organisation NAACP pour les droits des Afro-Américains,

Dans son livre « Tiens toi droite et chante » publiée en 2014 sous le titre original « Stand Up Straight and Sing », une phrase que lui répétait sa mère, elle écrit :

« J’ai découvert la discrimination raciale et le système américain de l’apartheid bien avant d’entrer à l’école […] Mes parents, profondément engagés dans le mouvement en faveur des droits civiques (…), n’hésitaient pas à nous dire la vérité sur la ségrégation. »

Le racisme apparaît dans sa vie à l’âge de cinq ans, lorsqu’elle souhaite s’asseoir dans un bus et qu’elle découvre les places réservées aux « Colored people ». Au cours de sa carrière, le racisme a imprimé sa marque indélébile :

Et c’est en chantant dans l’église que Jessye Norman s’initie aux « « spirituals » au sein de la communauté noire. Elle décrochera une bourse d’étude à l’université Howard, établissement fondé à Washington pour accueillir les étudiants noirs en pleine ségrégation.

Elle raconte que plus récemment :

« Il n’y pas si longtemps, j’attendais dans un hall d’hôtel en Floride que la pluie cesse de tomber. Un employé a appelé la sécurité pour s’assurer que j’étais bien cliente. C’est ce que j’appelle du racisme ordinaire… »

Le musicologue Alain Pâris a rapporté qu’elle lui a dit qu’ elle a appris très jeune le piano «par amour du chant» et le chant «par amour de la vie».

Et en 2014 elle disait à la radio américaine NPR :

« Je ne me souviens pas d’un moment dans ma vie, où je n’ai pas été en train d’essayer de chanter ».

Quand elle ouvrait la bouche , son visage rayonnait et une voix somptueuse pleine d’émotion vous saisissait et vous faisait vibrer jusqu’au plus profond de votre âme.

Il faut voir et surtout entendre cette vidéo dans laquelle elle chante la mort de Didon du « Didon et Enée » de Henry Purcell : < When I am laid in earth>

Peut on trouver plus beau ?

André Tubeuf écrit : « La voix, nourrie par un souffle à sa taille, était inépuisable de nuances, d’émotion, de profondeur. »

Car elle avait un corps imposant, je dirais généreux comme ses interprétations.

Je ne l’ai vu qu’une fois en concert en 78 au Palais des Congrès et de la musique à Strasbourg. J’avais le sentiment qu’elle était très à l’aise dans son corps. Elle utilisait tout pour interpréter, sa voix chatoyante, ses bras, son expression de visage et l’ensemble de son corps.

Emmanuelle Giuliani écrit dans le journal <La Croix>

« Hors normes en effet, sa stature de déesse, imposante, majestueuse, qu’elle parait d’atours d’une somptueuse élégance ; son beau visage comme sculpté dans l’ébène, illuminé par un sourire flamboyant ; l’aisance avec laquelle, d’un mouvement de la main ou d’une inflexion de la nuque, elle donnait vie à une reine antique selon Rameau, à une Bohémienne fatale magnifiée par Bizet, à une amoureuse mythique chantée par Richard Strauss. Mais exceptionnelle, avant tout, cette voix voluptueuse, profonde, pulpeuse, capable d’emplir tout un théâtre d’un seul murmure avant d’en faire trembler les murs tant elle recelait de puissance sonore. »

Cet article nous apprend aussi que la fameuse marseillaise du bicentenaire a été chantée bénévolement :

« Je chante gratuitement ; c’est ma contribution à la France […] La Marseillaise, je la sais par cœur depuis que je suis toute petite. Et la Révolution, dont il faut remercier les Français, appartient au monde entier. »

Dans la vidéo de la mort de Didon, on la voit, à la fin, parler allemand.

Elle dit

«Ich leb’ allein in meinem Himmel,
In meinem Lieben, in meinem Lied. …
Schöner gibst nicht »

« Je vis seul dans mon ciel,
Dans mon amour, dans mon chant »

Et elle ajoute : «Il ne peut exister plus beau »

Les deux premiers vers qu’elle cite sont les derniers du lied de Gustav Mahler « Ich bin der Welt abhanden gekommen » Je suis perdu pour le monde qui fait partie du cycle des Rückert Lieder.

Elle chante ce lied dans <cette video>

L’article de la Croix précise cependant que si chez elle tout semblait extraordinaire, elle se plaisait à répéter que sa vie de diva exigeait de respecter une routine quotidienne où le travail tenait la première place, le yoga, la natation et la méditation un rôle essentiel.

Dans Paris-match elle déclare :

« Un concert de deux heures, c’est trois mois de préparation. Sur scène, je veux prendre du plaisir et en donner au public. La condition sine qua non, c’est le travail. Si on trouve ça trop astreignant, il faut faire autre chose. Moi, j’ai toujours adoré travailler. »

Toni Morrison, prix Nobel de littérature (1993), qui a quitté la communauté des vivants, en août dernier, disait :

« La beauté et le pouvoir, la singularité de la voix de Jessye Norman : je ne me souviens pas d’autre chose de semblable […] Je dois dire que parfois, lorsque j’entends votre voix, cela me brise le cœur. Mais à chaque fois, lorsque j’entends votre voix, cela soigne mon âme ».

Le Monde écrivait en 2006 pour son incarnation de Judith dans le Barbe bleue de Bartok :

« L’entrée de Jessye Norman est déjà un spectacle en soi. La cantatrice porte une luxuriance d’étoffe lourde et craquante d’un vert émeraude intense – la robe de Judith, la dernière femme de Barbe-Bleue. Magnifique de présence irradiante et de beauté lumineuse. Ce qui suit ressemble musicalement à de la magie pure. »

Elle était généreuse et engagé socialement : elle a fondé dans sa ville natale la Jessye Norman School of the Arts pour soutenir de jeunes artistes socialement défavorisés

Elle disait :

« J’espère inspirer aux gens, aux artistes, musiciens ou autres, le désir d’aller au-delà d’eux-mêmes, au-delà de leurs professions. Nous devons nous assurer d’agir au sein de nos communautés pour soutenir ceux qui en ont besoin. Il s’agit d’un devoir : c’est le prix à payer pour être un être humain. »

Et puis il faut peut être revenir à l’origine au spirituals.

Comme ici où elle chante <Give me Jesus>

Et là elle s’associe à Kathleen Battle pour chanter <Certainly, Lord>

Et si vous avez le temps le concert avec Kathleen Battle est en ligne en entier : <Spirituals in Concert, Jessye Norman & Kathleen Battle, Carnegie Hall>

C’est une reine du chant et une femme admirable qui nous a quitté !

<1281>

Jeudi 26 septembre 2019

« Puissance de la douceur »
Anne Dufourmantelle

J’avais prévu de consacrer le mot d’aujourd’hui au livre de Pierre-Henri Castel « Le mal qui vient » que j’ai lu pendant ces vacances.

J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. Alors j’en parlerai plus tard, ou pas.

Alors je vais partager une petite vidéo (5 mn) que j’ai trouvée par hasard pendant ces vacances : <Anne Dufourmantelle – Puissance de la douceur>

« La puissance de la douceur » est un livre qu’Anne Dufourmantelle a écrit et publié en juin 2013

Après avoir partagé la vidéo avec Annie, elle a immédiatement souhaité l’acheter et a commencé à le lire depuis peu.

J’avais entendu parler de cette psychanalyste et philosophe, en raison des circonstances de son décès, mais je ne l’avais pas encore approché.

Tous les médias avaient, en effet, parlé de sa mort tragique, le 21 juillet 2017, sur la plage de Pampelonne, près de Ramatuelle (Var), en portant secours à deux enfants dont le fils d’un de ses amis âgé de 13 ans, qui était en train de se noyer. Ces enfants étaient allés se baigner alors qu’il y avait un très fort vent et des vagues, avec drapeau orange puis rouge. Au cours de ce sauvetage, elle a succombé à un arrêt cardiaque car elle souffrait d’une faiblesse cardiaque. Son action n’avait pas été vaine parce que des sauveteurs sont intervenus et ont sauvé les deux enfants.

Anne Dufourmantelle avait 53 ans.

Elle était aussi chroniqueuse à Libération. Libération lui avait rendu hommage dans son <numéro du 23 juillet 2017> :

« Douceur, c’est le premier mot qui vient à l’esprit quand on pense à Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, décédée tragiquement ce 21 juillet après-midi […] «Quand il y a réellement un danger auquel il faut faire face […], il y a une incitation à l’action très forte, au dévouement, au surpassement de soi», nous confiait en 2015 celle qui faisait l’Éloge du risque. […]

Notre peine est immense car Anne Dufourmantelle était chroniqueuse à Libération, mais c’était surtout une amie. On se souvient de la douceur de sa voix, inquiète, quand elle nous appelait chaque mois pour savoir si sa chronique était à la hauteur de nos attentes. Et elle l’était. Depuis deux ans dans nos colonnes, comme dans l’ensemble de son travail, Anne Dufourmantelle, spinoziste, questionnait le rapport entre la fatalité et la liberté, ce qui fait qu’une vie s’ouvre à la liberté malgré les conditionnements, les fidélités, les obéissances. […] Ses mots, son intelligence, sa douceur nous manqueront, parce qu’ils nous aidaient à prendre le risque de s’ouvrir à l’autre et au monde. »

<Le Monde> rapportait

« A la question « Peut-on vivre sans prendre de risque ? », elle avait répondu : «  La vie tout entière est risque. Vivre sans prendre de risque n’est pas vraiment vivre. C’est être à demi-vivant, sous anesthésie spirituelle. (…) Le risque commence dans les plus petits détails et gestes de la vie. Sortir de ses gonds, de ses habitudes, c’est déjà un risque. C’est se laisser altérer, c’est rencontrer l’altérité dans chaque événement. » »

Elle avait consacré un ouvrage au risque « Éloge du risque »

Et l’Obs ajoutait :

« Dans «La Femme et le sacrifice», elle montrait en quoi «la féminité a partie liée depuis très longtemps avec le sacrifice» à travers le récit des vies d’héroïnes mythologiques comme Antigone ou Iphigénie, mais aussi à travers des existences de femmes anonymes, les femmes «d’à côté».

Interrogée au sujet cette notion de sacrifice sur France Culture, elle expliquait notamment que «le mouvement du sacrifice est aussi un aller vers la vie». En 2011, elle publiait «Éloge du risque», livre dans lequel on pouvait lire ces mots: «Risquer sa vie est l’une des plus belles expressions de la langue française.» «

La revue Psychologies lui avait également consacré un bel hommage : <Anne Dufourmantelle, une lumière s’éteint>

Mais revenons à « la puissance de la douceur ».

Dans le monde de la compétition et de la performance la douceur est souvent assimilée à de la faiblesse ou de la mièvrerie. On préconise même l’agressivité dans l’action. La douceur suppose la reconnaissance de la vulnérabilité de ce qui est approché, touché, caressé. Pour Anne Dufourmantelle la douceur est une puissance !

La « Puissance de la douceur » débute ainsi :

« La douceur est une énigme. Incluse dans un double mouvement d’accueil et de don, elle apparaît à la lisière des passages que naissance et mort signent. Parce qu’elle a ses degrés d’intensité, parce qu’elle a une force symbolique et un pouvoir de transformation sur les êtres et les choses, elle est une puissance.

Une personne, une pierre, une pensée, un geste, une couleur… peuvent faire preuve de douceur. Comment en approcher la singularité ? Son approche est risquée pour qui désire la cerner. A bien des égards elle a la noblesse farouche d’une bête sauvage. Il semble qu’il en aille ainsi de quelques autres espèces rares. L’innocence, le courage, l’émerveillement, la vulnérabilité, en marge des concepts arraisonnés par la grande histoire de la pensée sont eux aussi regardés d’un œil inquiet par la philosophie »

L’auteure a mis en exergue de son livre cette phrase de l’empereur stoïcien Marc Aurèle

« La douceur est invincible ».

La Revue <Muze> explique : .

« Car si l’on y réfléchit bien, et si l’on se reporte un instant à ses souvenirs d’enfance, on retrouvera cette force insaisissable, ce pouvoir de persuasion et d’enchantement, ce mouvement d’accueil et de don à la fois, cette langue intime qui s’adresse tout autant à l’esprit et au corps. La douceur tisse autour de l’enfant un halo de sens informulé mais pénétrant, dans une constante réciprocité qu’illustre au mieux l’image du petit endormi, qui nous renvoie nous-mêmes à cet abandon initial dont nous provenons. De cet échange muet, nous conservons à jamais la trace, celle de toutes les métamorphoses, dans les moments de fragile incertitude où nous développons nos potentialités.

« Si la douceur était un geste, elle serait caresse » imagine l’auteure »

La douceur anime une collection de sentiments où gravitent mansuétude et amour, indulgence et pardon, harmonie ou pitié, soin et souci de l’autre – ce que les anglo-saxons ont nommé le « care » comme l’a rapporté Nancy Fraser que j’ai citée ce mardi.

Le soin a toujours été associé à la douceur, qui même si elle ne suffit pas à guérir, si elle ne s’autorise d’aucun pouvoir ni savoir, ajoute au soin une relation de compassion qui revient à souffrir avec l’autre, à reconnaître par là-même sa propre vulnérabilité, mais à éprouver la souffrance d’autrui en se gardant d’y céder, de manière à porter secours.

Sans avoir fini l’ouvrage, Annie est enchantée de ce qu’elle lit.

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Lundi 16 septembre 2019

« Homo sapiens 2019 »
Réflexions sur les voies qu’emprunte notre espèce humaine actuellement

Le mot du jour s’est mis en pause le 12 juillet 2019 en honorant les héros humanistes contemporains qui sauvent des vies humaines en méditerranée. Particulièrement trois d’entre eux, 2 femmes et un homme, tous les trois allemands :

  • Carola Rackete
  • Pia Klemp
  • Klaus Vogel

Depuis lors Pia Klemp a publié un livre sur ces sauvetages. Un livre sous forme de roman, rédigé en allemand et non encore traduit en français : «  Lass uns mit den Toten tanzen ». Titre qu’on peut traduire par « Laissez-nous danser avec les morts ». ARTE l’a évoqué. Elle a aussi refusé le 20 août 2019 une décoration que voulait lui donner la maire de Paris Anne Hidalgo parce qu’elle n’est pas d’accord avec la politique migratoire de la capitale françaises.

Quand à Carola Rackete elle a publié une tribune dans le Guardian le 4 septembre 2019 où elle fait le lien entre les migrations et la crise climatique :

« Dans des situations dans lesquelles les gens luttent déjà pour survivre, la crise climatique intensifie la pression, que ce soit par la montée du niveau de la mer, les pénuries d’eau, les dégâts des tempêtes ou les mauvaises récoltes. »

Que s’est-il donc passé depuis le 12 juillet 2019 de fondamental ?

Bien que notre Président de la République s’y soit manifesté particulièrement à son avantage, personne ne peut raisonnablement affirmer que « Le G7 de Biarritz » entre dans la catégorie des choses fondamentales.

Peut-être que la révolte de Hong Kong qui continue bien que nos grands média en parlent moins. Révolte contre la mise au pas de plus en plus autoritaire du pouvoir central de Pékin.

Si ce combat de David contre Goliath parait plus important que le G7, il n’est toujours pas fondamental au regard de notre espèce.

D’autres évènements politiques se sont déroulés :

  • Matteo Salvini a provoqué, début août, une crise gouvernementale en Italie en réclamant des législatives anticipées et réclamant les « pleins pouvoirs » comme jadis Mussolini. Pour l’instant, une coalition hétéroclite a pu freiner momentanément ses ambitions.
  • Boris Johnson a été élu à la tête du Parti conservateur le 23 juillet 2019 et est devenu par voie de conséquence Premier Ministre britannique. Il a apporté avec lui encore plus de confusion sur le Brexit et a abimé par ses outrances encore un peu plus l’image de la démocratie, comme le fait l’homme d’affaires et animateur de télévision pathétique que les américains ont mis à leur tête. Le second dit d’ailleurs beaucoup de bien, pour l’instant, du premier.
  • En France, Emmanuel Macron continue à tenter de réformer la France, notamment par une ambitieuse réforme des retraites.

Mais tous ces évènements qui nous impactent tous à court terme ne sont pas fondamentaux au regard du temps long et de notre espèce : homo sapiens.

Un article du Monde nous apprend que le patron de Tesla Elon Musk et Neuralink ont présenté leur prototype d’implants cérébraux pour aider à communiquer avec des machines le mardi 16 juillet 2019. C’est la promesse de l’homme augmenté.

Je cite :

« Un implant discret et indolore, permettant au cerveau de communiquer directement avec des machines ou des interfaces numériques : c’est le projet, en partie concrétisé, qu’a présenté mardi 16 juillet Neuralink, la société financée à hauteur de 100 millions de dollars par Elon Musk (Tesla, SpaceX).

L’entreprise a détaillé pour la première fois, lors d’une conférence de presse diffusée en direct sur Youtube, le fonctionnement de son prototype d’interface se branchant directement sur le cerveau. Il devrait prendre, à terme, la forme d’un petit boîtier connecté sans fil directement au cerveau.

L’une des possibilités offertes par ces technologies et discutées pendant la conférence Neuralink qui s’est déroulée à San Francisco : la possibilité, pour des personnes paralysées, auxquelles on aurait réussi à implanter ce dispositif en creusant des trous dans leur crâne, de pouvoir contrôler par la pensée leur smartphone ou leur ordinateur. A terme, Neuralink espère que des millions de personnes pourront disposer d’un cerveau augmenté, selon un article de Bloomberg, qui reprend l’une des déclarations d’Elon Musk lors de la conférence : « au bout du compte, nous parviendrons à une symbiose entre le cerveau et l’intelligence artificielle. »

Mais les prototypes présentés le 16 juillet, qui semblent sortis de classiques de la science-fiction (et ont été comparés par certains internautes à un épisode de la série Black Mirror), sont encore loin d’être aboutis. Ils n’ont ainsi pas encore passé le stade des tests humains, mais seulement celui de premiers tests effectués sur des rats. Elon Musk a également laissé entendre, lors de sa conférence, que des tests avaient été effectués sur des singes avec succès.

[…]

Neuralink espère pouvoir débuter des tests sur des humains d’ici à la fin de 2020. Mais Neuralink a reconnu n’avoir pas encore démarré les démarches auprès de la Food and Drugs Administration (FDA), compétente aux Etats-Unis pour la régulation des dispositifs médicaux. Le processus pour obtenir un agrément pour ce type de dispositifs est « long et compliqué », a reconnu la société. »

C’est toujours la promesse d’améliorer la santé et les handicaps des humains touchés par le malheur qui sert à justifier ces recherches et inventions, mais quel monde nous prépare cette promesse de l’homme augmenté, l’homme relié à la machine ?

Il en va de même pour la perspective de créer des « chimères », c’est-à-dire des animaux qui portent des cellules humaines.

Cette fois c’est le Figaro qui nous apprend que :

« Le 24 juillet, le gouvernement japonais a approuvé un projet de recherche visant à créer des chimères homme-animal puis à les implanter dans l’utérus d’animaux de laboratoire. Une première au Japon. Ces travaux, dirigés par le Pr Hiromitsu Nakauchi, chercheur à l’université de Tokyo et à l’université de Stanford (États-Unis), ont pour objectif de fabriquer des organes humains dans des animaux en vue de réaliser des greffes. »

On apprend d’ailleurs que ces expériences qui sont pour l’instant au stade des recherches fondamentales existent déjà dans d’autres pays, comme la France d’ailleurs. Une de nos grandes chercheuses en biologie qui travaille au CNRS, Nicole Le Douarin vient de publier un livre : «les secrets de la vie». Elle a été invitée à l’émission de <la Grande Table du 12/09/2019>. Pour elle, ces recherches restent fécondes et éthiquement soutenables. Elle s’inquiète au contraire de la :

«panique générale qui s’exerce, […] une espèce de doute vis-à-vis des scientifiques, vis-a-vis de l’avancée des sciences.»

Mais on comprend bien qu’on attaque là quelque chose de fondamental qui touche l’éthique et que homo sapiens continue à penser que l’animal est un simple objet dont la fonction principale est d’être utilisée par lui pour son plaisir, ses besoins et ses fantasmes.

Elon Musk veut fonder une colonie humaine sur Mars. Il croit la théorie de l’effondrement de la civilisation humaine possible, sinon certaine. C’est pourquoi il envisage et travaille dans ce sens avec son entreprise Space X pour créer une colonie d’humains sur mars. Une petite élite d’humain pourra ainsi être sauvée. Il a tweeté le 16 août 2019 son idée de faire exploser des bombes atomiques sur mars. Cette idée il l’avait déjà développée en 2015, mais on croyait qu’il y avait renoncé. Il pense être capable de créer un effet de serre susceptible de faire réchauffer la température de mars qui en moyenne est de -63°C.

L’effet de serre est bien réel sur terre. Cet été, la France a battu son record absolu de chaleur. C’est 46 degrés Celsius qui ont été atteints le 28 juin à Vérargues (Hérault), lors de la première vague de canicule . La seconde vague a vu Paris battre son record de chaleur, en atteignant 42,6°C.

Il n’est pas encore scientifiquement prouvé que l’augmentation des fréquences et de la force des ouragans soit directement liée au réchauffement climatique, certains l’affirment cependant.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres qui s’est rendu aux Bahamas, durement touchés par l’ouragan Dorian semble adhérer à cette thèse.

Les destructions ont été d’une telle ampleur que pour deux des îles : Grand Bahama et surtout Abaco, les survivants ont dû quitter leur île.

Le secrétaire général de l’ONU a ainsi visité des îles quasiment désertes. Il a déclaré à des journalistes de France Inter :

« J’ai vu de nombreuses inondations, tremblements de terre, des ouragans et leurs conséquences un peu partout dans le monde, et je dois dire que le niveau de destruction ici, c’est du jamais vu. »

Et il a ajouté :

« Si nous ne la respectons pas, la Nature nous frappe violemment ».

La BBC a publié sur son site des images de l’île d’Abaco.

Voici certains projets, idées et conséquences des actes d’homo sapiens en 2019.

<1269>

Vendredi 12 juillet 2019

« Celui qui sauve un seul homme est considéré comme ayant sauvé tous les hommes »
Coran, Sourate V verset 32, dans la traduction de Malek Chebel

C’est le Président Barack Obama, lors de son fameux <Discours du Caire> tenu le 4 juin 2009 à l’Université du Caire qui a rappelé ce verset du Coran :

« Le Saint Coran nous enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière,
Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !»

Et j’ai lu dans diverses sources que dans le Talmud il en va de même : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière ». (Traité Sanhedrin, chapitre 5, Mishna 5).

Je n’ai pas trouvé l’équivalent dans la littérature chrétienne, mais cela m’a peut-être échappé.

Carola Rackete

Le magazine allemand « Der Spiegel » a mis son portrait à la Une de son journal le 6 juillet et lui a donné pour surnom : « Captain Europe »

Elle était la capitaine du navire « Sea Watch 3 » qui a forcé le barrage et l’ordre de Matteo Salvini, pour accoster à Lampedusa, le 29 juin 2019,  et faire débarquer les migrants en détresse sur la terre ferme, dans un port, comme le prévoit les règles internationales de la navigation.

Libération dans un article du <30 juin 2019> raconte :

« L’Allemande qui a accosté de force samedi à Lampedusa avec une quarantaine de migrants a été arrêtée par les autorités italiennes. »


Elle a été libérée depuis par une décision de la Justice italienne.

« Quelques jours avant d’accoster à Lampedusa, elle avait dit au Spiegel : «Si nous ne sommes pas acquittés par un tribunal, nous le serons dans les livres d’histoire.» […] Les autorités italiennes lui reprochent notamment d’avoir tenté une manœuvre dangereuse contre la vedette des douanes qui voulait l’empêcher d’accoster. Elle risque jusqu’à dix ans de prison pour «résistance ou violence envers un navire de guerre».

«Ce n’était pas un acte de violence, seulement de désobéissance, a expliqué Carola Rackete dimanche au Corriere della Sera. Mon objectif était seulement d’amener à terre des personnes épuisées et désespérées. J’avais peur.» «Après dix-sept jours en mer et soixante heures en face du port, tout le monde était épuisé, explique à Libération Chris Grodotzki de Sea Watch. L’équipage se relayait vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de surveiller les passagers pour les empêcher de se suicider.» »

Ce qui est marquant ici, c’est l’affrontement de deux groupes irréconciliables :

Carola Rackete a débarqué sur l’île italienne sous un mélange d’applaudissements et d’éructations haineuses : «Les menottes !» «Honte !» «J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres». Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, s’est réjoui de l’arrestation. «Prison pour ceux qui ont risqué de tuer des militaires italiens, mise sous séquestre du navire pirate, maxi-amende aux ONG, éloignement de tous les immigrés à bord, désolé pour les « complices » de gauche. Justice est faite, on ne fera pas marche arrière !»

Si l’extrême droite italienne la qualifie de «criminelle», Carola Rackete suscite l’admiration en Allemagne. Celle que le Tagespiegel surnomme «l’Antigone de Kiel» est née tout près de ce port en bordure de la mer Baltique il y a trente et un ans.

«J’ai la peau blanche, j’ai grandi dans un pays riche, j’ai le bon passeport, j’ai pu faire trois universités différentes et j’ai fini mes études à 23 ans. Je vois comme une obligation morale d’aider les gens qui n’ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi», avait-elle expliqué à la Repubblica. Avant de rejoindre Sea Watch il y a quatre ans, elle a participé à des expéditions pour l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, et pour Greenpeace. […]

Les politiques allemands ont donc fini par réagir. Samedi, le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), déclarait : «Sauver des vies est un devoir humanitaire. Le sauvetage en mer ne devrait pas être criminalisé. La justice italienne doit désormais clarifier rapidement ces accusations.» «Une phrase typique de diplomate allemand timoré, commente Chris Grodotzki de Sea Watch. Nous avons demandé un millier de fois à Heiko Maas de prendre position sur le sauvetage en mer, sans succès jusqu’ici.» Dimanche, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, affirmait dans une interview télévisée : «Celui qui sauve des vies ne peut pas être un criminel.»

Les 42 migrants du Sea Watch 3 ont donc fini par débarquer à Lampedusa. Ils devraient être répartis entre cinq pays : la France, l’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg et la Finlande. Ceux-là ne seront pas morts en Méditerranée, où 17 900 personnes ont péri entre 2014 et 2018 selon un récent rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et où demeurent toujours engloutis les restes de 12 000 personnes. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Pia Klemp

Pia Klemp est aussi une jeune allemande qui était la capitaine d’un navire qui a sauvé des migrants.

Elle est toujours en prison, elle risque 20 ans de prison après avoir sauvé des migrants de la noyade.

C’est Frédéric Pommier qui en a parlé lors <d’une chronique> diffusé sur France Inter le 14 juin 2019

Elle est accusée du délit suivant : « aide et complicité à l’immigration illégale ». Une pétition a été lancée pour la soutenir

Frédéric Pommier explique ;

« C’est une femme dont la peau blonde est parsemée de tatouages d’inspiration japonaise : des montagnes sur une épaule, un goéland sur l’autre, des fleurs, des poissons… Un long maquereau nage sur l’un de ses tibias… Son corps est un tableau, comme un carnet de voyage… Mais ce n’est pas pour ces gravures colorées que les médias nous ont parlé d’elle ces derniers jours. Pas non plus pour sa formation de biologiste, mais pour ses fonctions de capitaine, car Pia Klemp – c’est son nom – est capitaine de bateau.

C’est au sein de l’organisation Sea Shepherd qu’elle a tout d’abord travaillé.Une ONG de défense des océans, dont la maxime est une citation de Victor Hugo.

« Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie, il faut l’action. »

Phrase tirée des Misérables. Un appel à la lutte et, dans le cas présent, la lutte pour la préservation des écosystèmes marins. Premier engagement de cette trentenaire née à Bonn en 1983.

C’est pour ça que j’ai appris à diriger un navire, pour ça que j’ai appris à diriger un équipage. La petite sortie du dimanche à la voile, ce n’est pas pour moi.

Sympathisante de la gauche radicale allemande, Pia Klemp a mené des expéditions dans les eaux de l’archipel nippon où, avec d’autres, elle est allée batailler contre les pêcheurs de baleines. Des centaines de cétacés harponnés chaque année… Massacre qui, là-bas, va d’ailleurs redevenir légal en juillet… Puis, après les rorquals, la jeune activiste a décidé de porter assistance aux hommes, espèce qui, elle aussi, parfois, mérite d’être protégée.

On est en 2016, et Pia Klemp se met au service d’autres ONG. Cette fois en Méditerranée, devenue, depuis le début de la guerre en Syrie, le plus grand cimetière d’Europe.

Aux commandes de deux bateaux humanitaires, elle participe au sauvetage de plus d’un millier de naufragés, en perdition sur des canots pneumatiques

Elle a sauvé des vies, des femmes, des ados, des enfants mais, suite à cela, elle est sous la menace d’un procès en Italie. […]

Calcul simple : 1 000 vies sauvées, amende de 15 millions d’euros . […]

Pour sa défense, elle invoque le droit maritime international, qui impose de porter secours à toute personne en détresse. C’est aussi ce qu’évoquent ceux qui la soutiennent. Une pétition en ligne a été lancée pour exiger l’abandon des charges qui pèsent sur elle… Elle a déjà recueilli plus de 100.000 signatures, et une photo accompagne le texte, celle d’un petit corps gisant sur une plage de Turquie ; le cliché tristement célèbre du petit Alan Kurdi, mort noyé à l’âge de trois ans, alors qu’il fuyait avec sa famille la guerre en Syrie.

C’était en 2015, et il était devenu le symbole de ces désespérés qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre une Europe qui ne sait les accueillir. Pia Klemp, elle, est devenue un autre symbole.

Elle est le nouveau visage de ceux que l’on accuse de délit de solidarité

Sur les réseaux sociaux, certains écrivent qu’elle aurait dû reconduire les naufragés de l’autre côté de la mer et que oui, elle mérite la taule !

Non. Elle mérite notre respect.

Cette femme aux tatouages d’inspiration japonaise fait honneur à l’humanité. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Klaus Vogel

Klaus Vogel est aussi allemand, un peu moins jeune que ses deux compatriotes. En octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération humanitaire Mare Nostrum, chargée de porter secours aux migrants en Méditerranée. Klaus Vogel est alors capitaine dans la marine marchande. Il démissionne et crée avec Sophie Beau, en mai 2015, l’association <SOS Méditerranée> qui a pour ‘objectif d’affréter un bateau pour ne pas laisser des hommes et des femmes mourir aux portes de l’Europe. Ce bateau est l’Aquarius. Il écrira un livre qui raconte cette aventure : «Tous sont vivants»

C’est encore Frédéric Pommier qui en parle si justement et si simplement. <La revue de presse est de 2017>

« Il s’appelle Klaus Vogel, il a 60 ans, il est Allemand et pendant des années, il a fait le même cauchemar : un homme à la mer à qui il tend la main.

Son regard est empli d’effroi, mais impossible de l’agripper, sa main ne cesse de glisser et il n’est que le premier d’une longue farandole de naufragés désespérés qui tentent de flotter. Puis les plus éloignés disparaissent progressivement. « Je n’ai pas pu attraper le premier, et finalement ils sont tous morts », raconte Klaus Vogel dans les colonnes de SOCIETY.

C’est il y a 25 ans que, pour la première fois, il a fait ce cauchemar-là. A l’époque, il est lieutenant sur un cargo et la veille, son capitaine a refusé de prendre la route qu’il avait tracée – la route pourtant la plus rapide, la route pourtant la plus logique.

Mais non, il n’avait pas voulu, au motif qu’elle passait près des côtes du Vietnam et qu’ils risquaient donc de croiser des boat people en détresse. Klaus a donc obéi, tracé un autre itinéraire. Puis le soir même, il faisait le cauchemar de l’homme à la mer à qui il tend la main.

C’est le cauchemar de la mauvaise conscience

« J’étais prêt à participer à des sauvetages, et l’équipage aussi je crois, et c’est simplement par souci économique qu’on a fait un détour : au moins, on était sûr de ne pas croiser un boat people en difficulté qui nous aurait retardé. Mais, poursuit-il, cette idée de perdre du temps, et donc de l’argent parce que l’on sauve des hommes, du point de vue moral, c’est incompréhensible.
On ne perd pas du temps dès lors qu’on gagne des vies ! »

Lui en a gagné, des vies. Il a sauvé des milliers de vies.

Et c’est pour cette raison que le quinzomadaire dresse son portrait sur trois pages. Décidant de faire le boulot dont l’Europe et les politiques se sont, en somme, lavé les mains, l’ancien responsable de la marine marchande a fondé, il y a deux ans, SOS MEDITERRANEE. Une ONG dont le patrouilleur baptisé L’Aquarius, vient en aide à ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais côté de la mer.

L’Aquarius a déjà récupéré près de 20.000 naufragés au large des côtes libyennes, et depuis ces missions de sauvetage, Klaus Vogel ne fait plus le cauchemar qui l’a hanté durant plus de 30 ans. Plus de cauchemar, mais ce sont les témoignages des rescapés qui l’empêchent désormais de dormir. Il a donc décidé de passer le relais. Il a transmis à d’autres les rennes de l’ONG et de son projet Aquarius. « Pour moi, aller plus loin serait aller trop loin », dit-il.

Et l’on songe alors à cette parole du Coran qui, du reste, est également un proverbe juif : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Libération lui avait également consacré un article le 5 juin 2017 : « Klaus Vogel, cœur en stock » :

« Pas à pas, tenace et organisé, Vogel jette son dévolu sur un patrouilleur de 77 mètres. Depuis un an et demi, Aquarius a accompli 100 opérations de sauvetage et a récupéré 18 000 naufragés. Voici quelques jours, 1 000 personnes se sont hissées à bord, bien au-delà des capacités autorisées. Mais comment faire autrement, quand la flotte marchande se tient prudemment à distance de ces parages où se noie la misère du monde, et que les navires de guerre sont tenus de contenir le flux plutôt que venir au secours de ceux qu’emporte le vent noir de l’histoire immédiate ?

Initiateur de l’ONG SOS Méditerranée, le marin a dirigé les premières campagnes comme maître à bord. Depuis, il est le porte-voix et le glaneur de fonds de l’association.[…]

Pour pouvoir mener à bien une mission dont il ne tire aucun revenu, Vogel a créé une petite boîte de conseil. Il intervient auprès d’une association qui fait du coaching pour demandeurs d’emploi et leur explique comment il a réussi à mettre à flot sa structure maritime. De l’intérêt serpentin qu’il y a à se mordre la queue… Karin, sa femme de toujours, est infirmière. Leurs 4 enfants sont adultes. Récemment, ils ont vendu la grande maison de Göttingen et se sont installés à Berlin. Ils se promettaient des évolutions seniors de préretraités prêts à tout et intéressés par beaucoup. Et puis, SOS Méditerranée a tout bouleversé. Il ne sait trop de quoi demain sera fait. Si la caisse de bord sonne le creux, il pourra toujours retrouver un commandement au long cours. Il aime le large, moins l’éloignement qu’il impose. Et puis, il y a les vagues d’actualité qui se fracassent, et l’urgence en exigence. »

Après avoir perdu son pavillon et avoir été harcelé, immobilisé par les autorités maritimes, la justice italienne a demandé le placement sous séquestre du navire, SOS Méditerranée et ses partenaires ont annoncé en décembre 2018, renoncer à continuer d’utiliser <L’Aquarius>,.


Les Inrocks lui ont également consacré un article : « Un héros de notre temps : Klaus Vogel, capitaine au long cours au secours des migrants »

La question de la migration n’est pas chose simple. Elle ne peut pas être résumé à des tableaux de chiffres qui pour les uns disent qu’il y a peu de migration et que nous n’avons aucune peine à l’intégrer et qui pour les autres prétendent qu’un grand remplacement est en marche.

Mais on ne peut pas laisser mourir des enfants, des femmes et des hommes qui sont en train de se noyer dans la mer.

C’est aux États de réaliser cette mission.

Ils ont renoncé et c’est des femmes et des hommes qui se sont levés pour aller en mer réaliser ce devoir premier de l’humanité : empêcher les humains de mourir.

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Le mot du jour se met au repos et au silence pour la trêve estivale. Il reviendra, si tout va bien, dans la seconde moitié du mois de septembre.

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Mercredi 3 juillet 2019

« Les animaux non humains ont la bouche en avant pour manger, le propre de l’homme est le retrait de la bouche »
Michel Serres

Nous étions donc restés hier sur cette belle réflexion du talmudiste :

« Manger, c’est penser. On parle et on mange par le même organe qui est un trou qui est la bouche.
C’est curieux symboliquement que ce qu’on fait rentrer est la nourriture et ce qui en ressort c’est la parole.»

La bouche qui permet de se nourrir, la bouche qui nous offre la parole pour l’échange.

L’émission suivante avait pour invité Michel Serres : <De quoi manger est-il le nom ?>

Et j’ai déjà rapporté qu’à la question posée par le titre de l’émission, le philosophe a répondu :

« Je crois que manger est une activité triple

Elle est Biologique d’abord et vital qui est la survivance

Deuxièmement, c’est une activité sociale, politique et éthique parfois puisque cela pose des questions de circulation des vivres, de spéculation etc…

Et puis c’est aussi un acte religieux, sacré »

Hier nous avions insisté sur le côté sacré et aujourd’hui nous allons nous intéresser à la biologie.

Et Michel Serres de rappeler que:

«Manger concerne les animaux, pour les végétaux c’est différent. Les animaux sont hétérotrophes et les végétaux sont autotrophes.»

Cette première phrase déjà réclame des explications.

Un organisme « autotrophe » est un organisme capable de générer sa propre matière organique à partir d’éléments minéraux. Il utilise pour cela l’énergie lumineuse soit par photosynthèse, soit par chimiosynthèse chez quelques espèces.

L’autotrophie se limite aux végétaux chlorophylliens, aux cyanobactéries et à quelques bactéries. Le plus souvent, l’énergie lumineuse sert à la synthèse de glucides à partir de dioxyde de carbone et d’eau. Les cellules végétales disposent d’organites particuliers, les chloroplastes. Ceux-ci contiennent la chlorophylle et sont ainsi nécessaires aux processus d’autotrophie. »

Le terme « hétérotrophe» qualifie un organisme incapable de synthétiser lui-même ses composants et qui recourt donc à des sources de matières organiques exogènes. Ce mode de nutrition est caractéristique de tous les êtres vivants qui ne sont ni des végétaux chlorophylliens, ni des cyanobactéries, ni certaines espèces bactériennes capables de photosynthèse ou de chimiosynthèse, ceux-ci étant autotrophes. Autrement dit, les animaux, les champignons, quelques plantes, les protozoaires et l’essentiel des procaryotes sont hétérotrophes.

Vous qui me lisez et moi qui écrit nous sommes hétérotrophes, et que dans l’ordre de la biologie nous avons besoin de matières organiques exogènes, c’est-à-dire qui se trouvent à l’extérieur de nous.

Cette connaissance scientifique rend encore plus problématique la prétention de celles et ceux qui entendent se nourrir de « prana »

En effet, lors de la journée de pause du 20 juin 2019 j’avais évoqué ces personnes qui prétendent qu’on peut vivre sans manger.

Ces gens prétendent devenir « pranique » et d’être en capacité de vivre sans manger et sans boire ou avec très peu de solide et de liquide.

Une de ces vidéos se trouve derrière ce lien : <Se nourrir de prana>. Dans ce film vous verrez un homme qui s’appelle Gabriel Lesquoy qui affirme que depuis 2012, il ne se nourrirait plus qu’avec de la lumière. Il concède manger de temps à autre un morceau de chocolat.

<Il y a aussi cet extrait d’un documentaire du nom de Lumière>

Et puis une interview d’un homme du nom de « Henri Monfort » qui dit ne plus se nourrir d’aliment solide depuis 2002 et qui parle d’une période de transition de 21 jours nécessaires pour entrer dans un « état pranique ».

Le pranisme a aussi pour nom L’inédie ou le respirianisme.

Pour l’instant, aucune expérience scientifique sérieuse et encadrée n’a pu valider la véracité de ces pratiques. Et dans la connaissance scientifique actuelle, l’hypothèse la plus vraisemblable reste que nous sommes hétérotrophes. Car rappelons que la science, contrairement à la religion, ne connait pas le concept de vérité mais celui de réfutation. Une hypothèse scientifique reste vraie jusqu’au moment où une expérience ou plusieurs la réfutent. Je ne peux donc croire au pranisme sauf à ce que des expériences rigoureuses établissent que les humains peuvent devenir autotrophes.

Manger est donc le propre de l’animal. Et qu’est-ce qu’un animal ?

Michel Serres continue

« Animal, cela veut dire animé. Les animaux courent, ils se déplacent.

Ils se déplacent pourquoi ?
1° Pour attraper leurs proies
2° Pour éviter d’être mangé
3° Pour être à distance de leurs propres excréments, c’est-à-dire le résultat de manger.
4° Pour trouver un partenaire sexuel. […]

J’ai toujours été fasciné par les poissons.

Le poisson a une forme effilée, hydrodynamique, composée d’une arête centrale et une queue qui le dirige comme un gouvernail.

Mais tout est orienté vers la bouche.

Vous voyez le poisson qui ouvre la bouche et quels que soient les évènements c’est la bouche qui est en avant.

Donc, c’est un appareil de locomotion fait pour manger !

La bouche est en avant !

Et une fois que j’ai été fasciné par le poisson, je me suis dit, mais voyons les boas c’est la même chose.

[…] et les autres animaux.

Les quadrupèdes quand ils sont à quatre pattes, ont aussi la bouche en avant.

Les oiseaux, aussi ils ont les pattes et les ailes pour la locomotion et le bec est en avant, quand ils volent.

Les animaux courent ou volent pour manger.

Un animal ne peut être animé que s’il a de la nourriture énergétique pour qu’il puisse conserver sa chaleur.

Et nous les humains ?

Les animaux ont un pôle nord pour manger, Mais pour nous humains, la bouche n’est pas seulement faite pour manger, elle est faite pour parler, pour chanter, pour aimer. Chez nous la bouche est multifonction. […]

Je ne suis pas naturaliste, mais j’ai l’intuition que quand nous étions à quatre pattes, la bouche aussi était en avant pour manger.

Et comme nous nous voulons faire autre chose avec la bouche que simplement de manger, nous nous sommes mis debout.

Et la bouche n’est plus en avant. […]

Il y a une preuve de cela extraordinaire !

C’est que l’angle facial par rapport aux primates a évolué, homo habilis et notre autre ancêtres sont prognathes : la bouche est encore en avant.

Et nous au fur à mesure que nous nous mettons debout le prognathisme s’efface et l’angle facial ne fait que croitre.

Et ainsi le propre de l’homme est le retrait de la bouche.

Et ainsi les animaux comme les pigeons, les moutons et les vaches broutent tout le temps sauf pendant la rumination.

Et nous les humains nous avons le privilège de ne pas manger tout le temps. »

C’est ainsi que l’homme a créé les repas, c’est la dimension sociale.

Mais revenons aux détails techniques qu’énoncent Michel Serres.

Le « prognathisme » (du grec pro, « avant » et gnathos, « mâchoire ») est une configuration faciale selon laquelle une des deux mâchoires est plus saillante que l’autre vue de profil par rapport à la verticale du front et du nez.

L’angle facial est la mesure qui permet d’évaluer le prognathisme.

L’angle facial est une mesure qui permet d’évaluer le prognathisme d’un crâne, c’est-à-dire la projection plus ou moins avancée des mâchoires et de la face.

C’est l’angle aigu formé par les deux droites (OP) et (MN), avec :

  • O point le plus bas de l’orbite oculaire;
  • P point le plus haut du trou auditif;
  • M point le plus proéminent de l’os maxillaire supérieur entre les alvéoles des deux incisives supérieures centrales;
  • N rencontre de la suture des os nasaux et de l’os frontal.

Toutes ces précisions sont tirées de Wikipedia.

Or l’évolution de l’espèce humaine a justement pour caractéristique une augmentation de l’angle facial et un prognathisme de moins en moins marqué.

Si on aborde ce sujet d’une manière chiffrée on a ces évolutions

  • Homo habilis : 65 à 68°
  • Homo erectus : 75 à 81°
  • Homo neanderthalensis : 71 à 89°
  • Homo sapiens : 82 à 88°

Sur le site de l’Université de Picardie et sur cette page <La lignée humaine> on trouve ce schéma évolutif.

Et Michel Serres de faire l’hypothèse que c’est peut-être le destin de la bouche qui nous a mis debout. Mais c’est aussi peut être parce que l’homme s’est mis debout que la bouche est devenue cet organe multifonction et que nos capacités cognitives se sont développées.

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