Jeudi 22 juin 2017

« Un gouvernement généralement mal inspiré, face à une angoisse générale totale, a cherché la chose la plus spectaculaire qu’il pouvait mettre en place et il a décidé de mettre en place l’état d’urgence »
François Sureau

J’ai déjà évoqué l’avocat François Sureau à deux reprises :

  • Une première fois le 18 septembre 2013 : «Le Droit ne fait pas Justice.» où il expliquait qu’une de ses plus terribles expériences de justice fut lorsqu’il dut participer à une décision du Conseil d’Etat qui refusa l’asile politique à un militant basque Javier Ibarrategui qui se disait menacé de mort en Espagne. Ibarrategui retourna donc dans son pays où des groupes d’extrême droite, des anciens franquistes, l’assassinèrent comme il l’avait annoncé.
  • Une seconde fois beaucoup plus récemment, lorsqu’il plaida devant le Conseil Constitutionnel avec une éloquence et une hauteur de vue exceptionnelles contre cette idée absurde de vouloir interdire et de sanctionner la liberté d’aller sur des sites djihadistes : « La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique ». C’était le mot du jour du 13 février 2017. Pour celles et ceux qui ne sont pas convaincus qu’une telle interdiction est à la fois stupide et liberticide, il faut relire cette plaidoirie.

Cette fois, il était invité par France Culture <aux matins de France Culture> lors d’une émission consacrée aux Libertés Publiques et à l’État d’urgence.

Oui ! Parce que nous avons un vrai problème en France aujourd’hui. Un problème grave : l’état d’urgence mis en place dans la nuit des attentats du 13 novembre 2015, c’est à dire un état d’exception, est toujours en place.

Emmanuel Macron semble avoir pour projet de sortir de l’état d’urgence, en inscrivant dans l’état du Droit commun, des dispositions de l’état d’urgence. Et cela est très grave.

Il faut rappeler d’abord quelques fondamentaux sur l’état de droit, les libertés et le combat des lumières.

Voltaire avait été embastillé par la seule volonté du régent à qui il avait déplu, il n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres de cette époque. Ce fut par la suite son combat de lutter contre l’arbitraire. Mais dans le domaine du Droit et des Libertés il faut bien reconnaître que nos amis anglais ont toujours eu beaucoup d’avance sur nous. C’est eux qui en 1215, ont imposé la <Magna Carta ou Grande Charte > au Roi pour asseoir la Liberté et les Droits individuels. Et notamment ne pas entraver l’application du droit en arrêtant les hommes libres de façon arbitraire, point qui sera appelé habeas corpus. Wikipedia nous apprend que ce texte avait été précédé par la Charte des Libertés, édictée en 1100 par Henri Ier. Mais cette charte des Libertés était tombée en désuétude.

Mais que dit la Magna Carta dans son article 39 ? : « Aucun homme libre ne sera saisi, ni emprisonné ou dépossédé de ses biens, déclaré hors-la-loi, exilé ou exécuté, de quelques manières que ce soit. Nous ne le condamnerons pas non plus à l’emprisonnement sans un jugement légal de ses pairs, conforme aux lois du pays ».

Comment fait-on cela ?

Par la séparation des pouvoirs !

Wikipedia rappelle que pour l’essentiel, la séparation des pouvoirs a été théorisée par Locke et non par Montesquieu ; qui dans De l’esprit des lois conceptualise surtout la limitation du pouvoir par le pouvoir :

Revenons à des choses plus pratiques. Vous êtes dans un pays de Liberté parce que le Gouvernement et son bras armé, l’Administration et la Police ne peuvent pas débarquer chez vous selon leur bon vouloir, ne peuvent pas non plus vous arrêter s’ils le jugent utile ou vous assigner à résidence chez vous parce que cela leur parait pertinent au maintien de l’ordre. Pour faire cela, parce que cela est nécessaire parfois, ils ont besoin qu’un Juge de l’ordre judiciaire les y autorise préalablement. J’insiste sur le préalablement.

C’est justement à cela que l’Etat d’urgence s’attaque. L’administration agit sans l’autorisation du Juge. C’est une régression fondamentale.

<Un autre avocat Patrice Spinosi a expliqué sur France Inter> comment le Gouvernement s’est fait piéger par manque de clairvoyance et aussi une attitude distante par rapport aux Libertés et à l’Etat de Droit, toujours cité mais peu inspirant.

Lorsque des bandes armées ont déferlé sur notre capitale en tirant sur la foule et dans une salle de concert, il fallait agir vite. L’état d’urgence permettait de le faire et de surprendre les criminels en pleine action ou en train de vouloir continuer leur besogne macabre. Mais dans la semaine, il aurait fallu arrêter l’exception pour revenir dans le Droit commun.

Mais le Gouvernement n’a pas osé. Et plus il attendait, plus cela devenait difficile. Car imaginons un attentat juste après la fin de l’état d’urgence, le gouvernement serait vilipendé et accusé d’inconséquence.

Pourquoi, parce qu’il a essayé de faire croire que l’état d’urgence permettait d’éviter les attentats et de lutter efficacement contre les terroristes.

C’est là qu’il faut être solide et clair dans sa tête et écouter ceux qui savent, pas ceux qui font de la propagande ou de la communication. L’état d’urgence ne sert à rien pour lutter contre le terrorisme dans la durée.

Et François Sureau est un homme solide et clair :

« [En France] nous avons un problème avec la liberté qui tient au fait qu’on aurait pu choisir Montesquieu ou Voltaire. On aurait pu penser [au début de la Révolution française] qu’à l’origine de tout il y avait l’existence d’un homme libre, d’un citoyen libre, d’une personne dont il fallait garantir l’existence, le cas échéant contre l’Etat. Ce n’est pas ce que l’on a choisi. On a choisi Rousseau et le culte de la volonté générale. Il en résulte que lorsque la volonté générale s’exprime par la voix du Parlement et qu’on nous explique que la sécurité vaut tout et la liberté ne vaut rien, tout le monde est d’accord avec cette idée. C’est à dire que le culte absolu de la volonté générale tend à faire disparaître l’idéal des libertés publiques.

Cela a pour conséquence que pendant très longtemps on n’a pas contrôlé les Lois par rapport aux normes constitutionnelles et qu’il a fallu attendre 1971 d’une décision célèbre du Conseil Constitutionnel, à propos de la Liberté d’association, pour que [cette instance] accepte de contrôler la constitutionnalité de la Loi par rapport aux grands principes de la déclaration des droits. Il ne le faisait pas avant. Cela montre quelque chose d’assez profond qui montre que chez nous le combat pour les libertés publiques est toujours à reprendre parce qu’il ne rentre pas vraiment dans l’ADN politique français. […] Nous ne sommes pas un pays libéral [au sens politique de Montesquieu et Tocqueville].

Il faudra probablement que j’écrive un mot du jour sur la fameuse « Volonté générale » de Rousseau que tout étudiant de Droit apprend pendant ses études et qui a servi de fondement aux soviétiques pour considérer que les personnes qui n’étaient pas d’accord avec la volonté générale exprimé par le Parti étaient des dissidents qui sombraient dans la folie et qu’il fallait soit « rééduquer » soit « enfermer » dans des hôpitaux psychiatriques. En effet, celui qui s’oppose à la volonté générale n’est pas un opposant qui exprime une autre opinion, mais un homme qui se trompe. Mais revenons au sujet principal, le diagnostic de François Sureau sur l’état d’urgence.

François Sureau insiste beaucoup sur le fait que nous ne parlons pas ici de libéralisme économique mais politique. En France le mot libéralisme est quasi exclusivement attaché au domaine de l’économie. Il y a d’ailleurs en France une méfiance assez généralisée à l’égard du libéralisme économique qui la distingue de beaucoup de ses voisins. Mais ce n’est pas de libéralisme économique qu’il est question mais bien de politique et de liberté des citoyens qu’il s’agit à la fois de garantir et de protéger. Et surtout de protéger de l’intrusion de l’Etat.

[Cette question des droits de la personne traverse les formations politiques. Il y a tout une partie de la gauche, la gauche de type Vallsiste pour laquelle ces mots n’ont absolument aucun sens exactement comme une partie de la Droite.

C’est alors que Guillaume Erner le relance pour poser la problématique de manière claire : le terrorisme actuel ne mérite t’il pas que l’on pose un mouchoir sur un certain nombre de nos libertés individuelles pour avoir la sécurité collective.

« La vérité est tout à fait l’inverse. […]

Premier point, quand nos pères fondateurs ont posé les principes de nos droits individuels, ils ne l’ont pas fait uniquement pour les situations où tout va bien. Et au moment où nos grands penseurs expliquaient qu’on ne pouvait pas perquisitionner chez quelqu’un sans le mandat d’un juge, qui est à peu près une garantie qu’on a suspendue au moment de l’état d’urgence, on ne pouvait pas traverser la forêt de Bondy sans escorte armée. Les gens qui ont réfléchi [aux exigences] d’une société libre ne l’ont pas fait quand tout allait bien.

Second point, qui est encore plus grave, il y a là-dedans une forme d’imposture. Plutôt que de s’organiser pour que la Police soit réellement efficace à l’égard des 400 personnes qui sont réellement dangereuses, car je suis tout aussi avide de sécurité que tout le monde, pour qu’elle travaille davantage, qu’elle ait plus de moyens pour qu’on recrée par exemple les renseignements généraux, on a préféré suspendre les libertés publiques de l’ensemble des français. Et c’est cela la problématique de l’état d’urgence. […] c’est l’effet de groupes de pression de la justice et de l’administration…]

Les conséquences de l’état d’urgence c’est qu’on s’est servi de l’assignation à résidence pour contraindre des corses à rester chez eux à propos de match de foot en Corse du sud ou encore des écologistes au moment de la COP 21.

C’est cela qui est inacceptable. ! »

L’état d’urgence n’est pas efficace pour ce à quoi on prétend l’utiliser :

« Personne de sérieux ne pense que l’état d’urgence a une quelconque efficacité dans la lutte contre le terrorisme. [La Grande Bretagne n’a pas fait comme nous] Il y a eu 7000 perquisitions administratives pour 4 mises en examen]. Tout le monde sait que cela ne fonctionne pas. Simplement qu’est ce qui s’est passé ? […] Un gouvernement généralement mal inspiré, face à une angoisse générale totale, a cherché la chose la plus spectaculaire qu’il pouvait mettre en place et il a décidé de mettre en place l’état d’urgence. Maintenant, faute de pédagogie ou plutôt avec l’effet de cette pédagogie négative, la plupart des français pense que l’état d’urgence est indispensable à leur sécurité. Il n’en est absolument rien. […] et tout le monde le sait parmi les spécialistes.

On n’a jamais vu un procureur refuser d’ouvrir une enquête préliminaire. On a jamais vu un magistrat anti-terroriste refuser de délivrer un mandat de perquisition.

L’idée de confier au Préfet les missions normalement dévolues aux magistrats est une idée totalement surréaliste.

Mais les gouvernements se sont laissés enfermer dans ce piège. Pourquoi l’ont-ils fait ?

Parce que c’était commode. Parce que c’était de pauvres hommes dépassés par les évènements. »

Sureau parle de la part de nos gouvernants depuis 20 ans d’une furie normative.

« Plutôt que d’avoir un Ministre de l’Intérieur capable de négocier un compromis d’efficacité avec les syndicats de Police, on a préféré faire passer une Loi anti-terroriste par an pour réduire les libertés de tout le monde. En réalité, il n’y a plus d’Etat et c’est pour cela qu’il y a de plus en plus de Lois. La lutte anti-terroriste nécessite de redonner à l’Etat un pouvoir effectif : la recréation de renseignements généraux, une police plus efficace, une police mieux équipée. Alors cela ne se voit pas, cela ne permet pas d’aller au Parlement et de dire : j’ai fait la Loi Tartemolle ! Mais c’est certainement ce qu’il faut faire. »

Sureau donne une explication peu rassurante sur ces errements normatifs de nos gouvernants en parlant de la disparition de la culture philosophique de la classe politique.

« Quand vous regardez les débats parlementaires de la 3ème ou de la 4ème République à propos des législations d’exceptions vous constatez qu’il y avait de vrais débats. […] Il y a des gens inspirés par la philosophie des droits. Ce qui est frappant c’est que ce débat a entièrement disparu du Parlement. Il faut attendre d’être devant le Conseil constitutionnel pour le tenir. […] C’est dû au progrès incroyable de l’inculture de la philosophie juridique chez les parlementaires et probablement à une culture uniquement instrumentale dans son rapport au Droit de l’Ecole Nationale de l’Administration. [Un exemple] quand le Conseil Constitutionnel a décidé de censurer l’interdiction de consultation des sites terroristes, la décision du Conseil Constitutionnel sort à 14h, à 18h on apprend que 4 mecs se sont réunis en commission pour tenter de contourner la décision du Conseil Constitutionnel. Ceci, il y a trente ans aurait déclenché un véritable scandale public »

Et bien sûr cela ne déclencha aucun scandale.

Il me semble que c’est la 3ème fois ou la 4ème fois que je me sens conduit à citer cet avertissement, qui n’a jamais fait l’exergue d’un mot du jour, de Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis (1706-1790) : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»

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Lundi 13/02/2017

Lundi 13/02/2017
« La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique »
François Sureau devant le Conseil Constitutionnel
J’ai déjà cité plusieurs fois, sans jamais en faire l’exergue d’un mot du jour, cette sentence de Benjamin Franklin, l’un des Pères fondateurs des États-Unis (1706-1790) : « Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»
Nous sommes dans les pays occidentaux et particulièrement en France, dans cette dérive, cette faiblesse, cette lâcheté.
Heureusement il existe des contre-pouvoirs comme le conseil constitutionnel et des défenseurs de la liberté comme Maître François Sureau qui est intervenu comme avocat de la Ligue des droits de l’homme
Le texte qui avait été porté devant le Conseil Constitutionnel était l’article 412-2-5-2 du code pénal, créé par la loi du 3 juin 2016 «renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement», et  punissait «de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende» le fait de «consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes».
Et voici cette remarquable plaidoirie de Maître François Sureau que je vous engage vraiment à lire  :
« Le 20 avril 1794, le comité de salut public institua à Orange, département du Vaucluse, une commission populaire de trois membres, sorte de tribunal révolutionnaire destiné à juger les ennemis du peuple trouvés dans ces régions reculées. A peine installé, son président, Fauvety, entreprit de dénoncer à Robespierre son premier assesseur, un nommé Meilleret. On trouve cette lettre aux archives et l’on peut y lire : « Meilleret ne vaut rien comme juge, il lui faut des preuves ».
Remplacez le mot de preuves par celui d’intention, au moins dans le sens où le droit criminel l’entend depuis cinq siècles, et vous aurez à peu près l’affaire que vous avez à juger aujourd’hui. […]
C’est à ma connaissance la première fois en France qu’une démarche purement cognitive fait naître la présomption d’une intention criminelle. Le délit d’éventuelle intention terroriste dont on parle ici repose sur une double supposition. D’une part, la supposition d’un endoctrinement « radical », comme on le dit aujourd’hui ; d’autre part, la supposition que cet endoctrinement est susceptible par nature de déboucher sur un projet terroriste effectif. La notion d’acte préparatoire devient liquide, nébuleuse, subjective, et recule dans le temps. […]
Je le dis avec gravité : même l’inquisition de Bernardo Gui n’est pas allée aussi loin. Elle se fondait également sur le for interne, mais celui-ci n’était pas supposé, et sûrement pas d’aussi loin. Il fallait qu’il se soit vu traduit par des prises de position hérétiques explicites. Et d’autre part, il fallait que des manifestations tangibles de l’option hérétique aient pu être relevées par les inquisiteurs. En sens inverse, il pouvait suffire d’abjurer l’expression publique de l’opinion émise pour échapper aux poursuites.
[…], le premier ministre parlant de la « première extériorisation d’une participation active à un endoctrinement terroriste » que manifesterait la consultation. Passons sur ce langage étrange, qui cache quelque chose d’assez simple. Aucune opinion n’est demandée pour poursuivre. La simple démarche intellectuelle suffit. La consultation seule. Nous avons à l’évidence passé les bornes du raisonnable. Cette guerre de perpétuelles surprises que fut, selon Marc Bloch dont je reprends ici les termes, celle de 1940, il jugeait, avant même d’entrer en résistance, que les Français l’avaient perdue par incuriosité intellectuelle. […]
En réalité, l’incrimination en question a pour effet direct et nécessaire, et je ne parle même pas ici des chercheurs, ou des journalistes, d’empêcher radicalement, si vous me passez cet adverbe fâcheux, le citoyen d’une démocratie de se former une opinion justifiée sur l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur notre société, sur sa nature et sur ses formes. […] C’est un pan entier de la liberté de penser qui passe tout d’un coup dans l’ombre policière et répressive. Et l’on peut penser que ce naufrage est d’autant plus regrettable qu’il s’agit de combattre un fléau politique, culturel et social.
C’est là-dessus que je voudrais en finir avec le droit, par mon troisième point. Je m’en voudrais de vous infliger un cours de philosophie politique, mais je ne détesterais pas que les grands principes pussent, à cette occasion être rappelés au gouvernement.
La liberté de penser, la liberté d’opinion, et je n’aurai pas l’outrecuidance de citer la foule des grands auteurs, n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. Elles ne sont pas protégées seulement à ce titre par la déclaration que vous avez mandat d’appliquer. Elles le sont aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique, dont le premier devoir de l’Etat est de garantir le perfectionnement incessant. C’est l’éducation de l’homme à la raison politique de Kant. Et c’est ce devoir que l’Etat méconnaît ici, ruinant, sous prétexte de sécurité immédiate, ce mouvement même de la connaissance et du choix à la fin, est seul susceptible de protéger notre société du péril qui la menace. Ce n’est pas en ôtant du cerveau du citoyen, selon le mot de Tocqueville, le trouble de penser, qu’on peut espérer triompher de ceux qui précisément veulent qu’on ne pense pas. Cette question est aussi vieille que la démocratie elle-même.
Tous les auteurs l’ont vue, qu’ils se soient intéressés davantage à la liberté d’opinion ou à la qualité de la répression pénale. Tous les auteurs l’ont vue, sauf notre législateur. Comme s’il ne s’agissait pas de questions anciennes, et qu’il fallût à chaque fois réinventer le monde pour la satisfaction politique, électorale, ou d’opinion de la génération présente. Prenez Beccaria par exemple, dans son traité : « La vraie mesure des crimes est le tort qu’ils font à la nation et non l’intention du coupable (…). Celle-ci dépend des impressions causées par les objets présents et de la disposition précédente de l’âme, lesquelles varient chez tous les hommes et dans chacun d’eux selon la succession rapide des idées, des passions et des circonstances. Il serait donc alors nécessaire de rédiger un code particulier pour chaque citoyen et de nouvelles lois pour chaque crime ». Tout est dit. Il suffisait d’ouvrir les vieux livres et de réfléchir un peu.
Et devant tout cela, vous ne pourrez que constater l’indigence de la défense du gouvernement. Je ne vois pas qu’en matière de liberté de pensée, de garanties individuelles ou de formation du citoyen libre, l’on puisse remettre toute notre tradition à la discrétion d’un policier ni même d’un juge, sous prétexte de bonne foi. Et je ne vois pas non plus comment on pourrait sauver ce texte par la notion de « consultation habituelle ». Il y a des esprits lents qui ont besoin et j’en fais partie, d’y revenir longtemps pour comprendre. Tout cela n’est pas le moins du monde sérieux.
J’en viens à présent au contexte, c’est-à-dire aux excuses qu’on se donne. Car je sais bien ce qu’on dira, ce que le gouvernement dira, ce que la police dira : « Voilà bien des grands mots, et les temps sont si difficiles ». C’est une chanson souvent entendue et qui sert depuis quelques années à faire passer toutes les atteintes aux libertés : une réforme pénale par an, l’état d’urgence maintenu jusqu’à on ne sait quand, mettant notre genre de vie, pour employer un euphémisme, à la merci du moindre attentat.
Mais si les temps sont difficiles, ce que personne ne conteste, les principes dont je parle ne sont pas réductibles à […] de grands mots. Il y va de ce que nous sommes, si nous ne voulons pas finir, une loi après l’autre, par ressembler à cette Russie dont parlait Custine en disant : « J’ai senti au fond de cet exercice une volonté de fer employée à faux, et qui opprime les hommes pour se venger de ne pouvoir vaincre les choses ». Et le soupçon peut, en effet, nous traverser l’esprit qu’il est plus facile de plaire à tout le monde en passant des lois excessives qu’en réformant la police pour la rendre mieux adaptée aux nécessités de l’heure.
Les temps sont difficiles bien sûr, mais ceux de nos grands ancêtres ne l’étaient pas moins. L’idée informulée des gouvernements et des législateurs contemporains, c’est que les principes ne valent que par temps calme. C’est à l’évidence le contraire qui est vrai, et là-dessus nos prédécesseurs ne se trompaient pas. Quand Beccaria écrivait son traité célèbre dont j’ai cité tout à l’heure un passage, on ne pouvait pas traverser la forêt de Bondy sans escorte armée. Et quand, à l’inverse, le parlement meurtri par la bombe de Vaillant a fait voter des dispositions analogues dans leur nature à celles dont vous êtes saisis aujourd’hui, il a aussitôt subi l’opprobre d’avoir édicté ce que les historiens appelle encore aujourd’hui des « lois scélérates », qualificatif infamant qui dure. […]
Non, rien n’a changé. Les temps, au fond, sont toujours difficiles pour ceux qui n’aiment pas la liberté. La tristesse de ce temps ne tient pas seulement à ce climat de violence civile […] pour notre génération de citoyens. Il tient aussi à l’évidente fragilité des grands principes dans notre conscience même. Il tient à la fréquence avec laquelle il nous faut désormais rappeler ces évidences qui renferment en elles-mêmes une part de notre honneur collectif.
Les gouvernements ont cédé. Les parlements ont cédé. Personne je crois n’aurait pu, dans notre jeunesse nourrie des grands exemples et des drames du passé, imaginer qu’ils céderaient aussi facilement, par lâcheté, par inconséquence ou par calcul. Il est sûr que cela nous rendra moins sévères à l’égard de nos aînés, mais c’est une bien faible consolation.
Vous êtes, et je voudrais le dire au-delà même de l’émotion, les derniers gardiens de cet honneur et de nos libertés. Permettez-moi d’espérer que vous les défendrez encore, alors qu’elles cèdent un peu partout dans le monde et que personne, ce qui est aussi grave que le reste, ne semble en faire un drame.
Car ce qui est en jeu ici n’est pas seulement cette disposition particulière, mais cette disposition prise comme partie d’un mouvement qui s’étend et s’accélère partout, et qui chez nous a commencé voilà près de vingt ans. C’est ce mouvement lui-même qui est destructeur. « L’esclavage, disait Simone Weil dans l’un de ses derniers écrits, avilit l’homme jusqu’à s’en faire aimer ; la vérité, c’est que la liberté n’est précieuse qu’aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement ». Par la médiocrité de son inspiration, par le vague de son contenu, la disposition en cause s’oppose à cette possession effective. Il est déjà infiniment surprenant, et infiniment triste, qu’elle soit arrivée jusqu’à vous. C’est la raison pour laquelle, au nom de la Ligue des droits de l’homme, je vous demande de la déclarer contraire à la Constitution.»
Le Conseil Constitutionnel a suivi Maître Sureau et é écrit notamment : « Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. L’article 421-2-5-2 du code pénal doit donc, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs, être déclaré contraire à la Constitution. »
Vous trouverez sur Youtube cette plaidoirie : https://www.youtube.com/watch?v=i1u16BdE8tQ
Derrière ce lien sur le site du Conseil Constitutionnel vous verrez les différentes interventions pour éclairer la décision du Conseil :  http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/videos/2017/janvier/affaire-n-2016-611-qpc.148570.html
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux.»
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Mardi 21 Juin 2016

Mardi 21 Juin 2016
« Ce qui compte, ce n’est pas que le mec soit dingue, mais qu’il mette sa folie au service d’une idéologie… »
Raphael Glucksmann

Raphael Glucksmann est le fils d’André Glucksmann qui a quitté le monde des vivants 3 jours avant les attentats du 13 novembre 2015.

Il est possible de lire des choses intelligentes sur Twitter. En effet, l’exergue du mot du jour vient de twitter, car je suis un « abonné twitter » de Raphael Glucksmann.

Et ce tweet renvoie vers un message (on dit un « statut ») publié sur Facebook, car on peut aussi trouver des messages intelligents sur facebook :

Tous les salafistes ne sont pas des terroristes !

Mais l’idéologie salafiste qui classe les humains et les actes des humains entre « purs » et « impurs » donne à ces déséquilibrés violents les outils de justification pour passer à l’acte et même pour en être fiers.

J’aime beaucoup lire sur ce sujet Céline Pina qui a écrit « Silence Coupable

Céline Pina est une socialiste, ancienne élue régionale qui explique à la fois le danger devant cette idéologie radicale qui remet en cause nos fondamentaux de démocratie​, de liberté, d’égalité et du vivre ensemble et la réaction souvent molle voire la non réaction des responsables du PS. ​

Vous pouvez lire cet article où elle intervient sur le site de Marianne : « L’islamisme, ce n’est pas une invasion de barbus, c’est beaucoup plus insidieux ».

Elle n’est pas la seule à défendre cette position : Gilles Kepel dénonce aussi une « rupture salafiste de fond » qui est en arrière-plan des actes de terrorisme.

Il y a aussi, l’écrivain algérien qui a vu l’islamisme peu à peu s’imposer dans son pays : Boualem Sansal : «L’ordre islamique tente progressivement de s’installer en France. »

Cette question est très controversée en France, il y a notamment une opposition frontale entre « Gilles Kepel et Olivier Roy ». Le second parlant de l’islamisation de la radicalité et rejetant l’idée que l’islamisation salafiste soit un danger. Grosso modo il défend cette idée que certains jeunes sont radicaux et cherchent une cause pour laquelle ils peuvent trouver une raison pour tuer et se faire tuer et qu’aujourd’hui il n’y a que l’islamisme qui se trouve sur le marché…

Les tenants de la thèse d’Olivier Roy sont très nombreux dans la Gauche bien-pensante au pouvoir et universitaire comme l’a prouvé cette polémique qui a atteint cet homme remarquable qu’est Kamel Daoud.

« Ici » un article de Courrier International sur cette polémique ou cette émission de France Culture « Kamel Daoud : La polémique s’emballe »

« Ici » ce beau texte de l’écrivaine franco-tunisienne Fawzia Zouari qui défend Kamel Daoud.

D’habitude, je reste prudent dans mes analyses et j’essaie de rester à distance de points de vue opposés qui expriment un autre regard sur une même réalité. Car c’est de la richesse des regards différenciés qu’on peut le mieux approcher la compréhension de la complexité des choses.

Mais ici je ne le serais pas car je penche nettement du côté de Kepel, Céline Pina et Raphael Glucksmann, tant je pense avoir compris combien est dangereuse toute religion mise entre de mauvaises mains.

Dans mon analyse le nazisme et le communisme étaient aussi des religions, des religions sans Dieu, mais des religions car ils défendaient un dogme, une pensée qui n’acceptaient pas la contradiction et la mesure scientifique.

C’est cela même la maladie des religions qui n’acceptent pas l’altérité, pour qui celui qui n’est pas d’accord n’exprime pas une autre opinion mais se trouve dans l’erreur, dans l’impureté pour les salafistes.

Car pour que ces « criminels » puissent aller au bout de leur délire de destruction il faut qu’ils puissent s’appuyer sur une idéologie qui distingue « les vrais croyants » des « autres ».

« A partir du moment où l’autre est un Kouffar » ou un apostat, tout devient possible.

Il faut d’abord l’idéologie, comme celle des nazis qui distinguaient les aryens des sous hommes, pour que le reste devienne possible, les assassinats de masse, les camps et ces massacres d’aujourd’hui comme celui d’Orlando.

La première bataille est celle des idées et le refus des accommodements déraisonnables, pour reprendre ce concept cher à nos amis québécois !

Et si ce concept d’accommodements raisonnables vous interpelle voici plusieurs liens qui parlent de ce sujet :

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Mercredi 10 février 2016

Mercredi 10 février 2016
«Credit Sesame, l’application qui vérifie si vous êtes un bon citoyen chinois »
Invention chinoise
C’est la revue de presse de France Inter du jeudi 24 décembre qui m’ont appris l’existence de cette application.
Du point de vue sociologique il s’agit de l’introduction dans la vie réelle des méthodes et des stratégies des jeux électroniques, on parle de « gamification » de la société.
Voici ce que la journaliste Claude Guibal a raconté :
«Tout commence par un jeu, l’une de ces petites applications bêtes et rigolotes comme les réseaux sociaux en proposent en permanence. Huit géants de l’internet chinois s’y sont associés, comme Ali Baba, le rival d’Amazon, la plus grande plateforme de shopping en ligne avec ses 400 millions de clients, ou Bai-He, le Meetic chinois, ou encore la version locale de Facebook.
Ce qui est bien avec Credit Sesame, c’est son nom, c’est que pour gagner ou perdre des points, vous n’avez pas besoin vraiment de jouer. Un algorithme calcule en effet les données fournies, et cela donne un score.
Un score de bon citoyen, qui permet de voir si vous suivez bien la ligne du parti communiste.
Je m’explique: vous achetez des produits chinois, vous boostez donc la croissance du pays, donc vous gagnez des points. Vous achetez en ligne un gadget inutile importé du Japon ? Vous perdez des points.
Vous postez sur les réseaux sociaux un lien sur la chute de la bourse chinoise ? Vous perdez des points.
Vous vantez la politique sociale du gouvernement ? Vous remontez.
Une allusion à Tien An Men ? Ouille !
Pourquoi participer ? Parce que c’est chouette Credit Sesame, ça vous fait gagner plein de trucs. Des bons points et  hop! Vous avez des rabais sur les produits, des petits cadeaux. Vous bénéficiez même de facilités pour obtenir un prêt ou un visa pour voyager à l’étranger.
Mais c’est BIG Brother. Vous ne croyez pas si bien dire. Car comme on parle de réseaux sociaux, l’application fait aussi la même chose pour votre entourage, vos fréquentations. Et puisque les scores sont publics, si un ami qui tient des propos anti gouvernementaux, et c’est votre score qui baisse. Résultat, si vous ne voulez pas en pâtir, eh bien, vous allez faire vous-même la chasse à ces mauvais citoyens…
Cela vous fait peur ? C’est pas fini ! Selon la BBC, les informations de Credit Sesame – qui sont publiques, donc –  devraient être incorporées à la grande banque de données que la Chine prépare pour 2020. Elle fusionnera aussi les informations fiscales, les données personnelles, et même les amendes routières de chacun, ce qui nous donnera l’indice du parfait petit citoyen bien dans les clous. L’outil de contrôle parfait de la population. Bref, si 1984 vous faisait peur, réveillez-vous, 2016, c’est déjà demain. »
La Chine sera t’elle notre modèle pour demain ?
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Lundi 18 janvier 2016

« Daech va m’arrêter et me tuer […] ils vont me décapiter,
mais je garderai ma dignité car c’est mieux que de vivre humiliée»
Ruqia Hassan journaliste syrienne assassinée par le califat

Elle s’appelait Ruqia Hassan, elle avait 30 ans et était connue pour son franc parler contre les djihadistes de Raqqa.

Depuis la fin de l’été, elle est la cinquième journaliste syrienne (connue à ce jour) tuée par l’organisation extrémiste dont elle dénonçait quotidiennement les exactions – et selon certains, probablement la première femme reporter assassinée par Daech.

D’après les témoignages émanant des réseaux sociaux, la jeune rebelle était une kurde syrienne de Raqqa, diplômée de philosophie à l’Université d’Alep. Quand l’organisation de État islamique imposa sa loi à Raqqa, en 2014, cette révolutionnaire anti-Assad de la première heure avait refusé de quitter sa ville.

Sous le pseudonyme de « Nissan Ibrahim », elle avait alors fait le courageux choix de raconter, notamment via Twitter et Facebook, le quotidien des habitants sous Daech. Sa mort remonte vraisemblablement à septembre, mais la nouvelle de son assassinat n’a commencé à circuler que ce week-end [du 3 janvier 2016].

Selon plusieurs media de l’opposition syrienne en langue arabe, l’EI aurait informé, en fin de semaine dernière, sa famille de son exécution pour « espionnage ».

« Même si la date exacte de sa mort demeure méconnue, l’activité de Hassan sur les réseaux sociaux s’est brutalement interrompue le 21 juillet 2015. Entre juillet et décembre, Hassan a disparu de la ville de Raqqa. »,

[…] Sous son compte Twitter, Abu Mohammed – un internaute connu pour être le fondateur du groupe « Raqqa est égorgée en silence » – a reproduit les derniers écrits que la jeune femme avait publiés sur Facebook :

«Là, je suis à Raqqa. J’ai reçu des menaces de mort. Et quand Daech va m’arrêter et me tuer, c’est OK parce qu’ils vont me décapiter, mais je garderai ma dignité car c’est mieux que de vivre humiliée par l’EI».

C’est le journal « Le Figaro » qui raconte cette histoire : <Ruqia Hassan une journaliste exécutée par l’état islamique>

Cette information vous a peut-être échappé.

Il est vrai qu’elle était en compétition avec la commémoration des attentats de Charlie et surtout de deux autres informations d’une grande importance : Michel Platini a renoncé à se présenter à la tête de la FIFA et Zinedine Zidane a été nommé entraîneur du Real de Madrid.

Mais cette information me conduit surtout à deux réflexions

La première est qu’aujourd’hui dans notre société, il apparait que la valeur suprême est la vie, la mort apparait comme un scandale. Même quand un militaire, dont la mort semble être un risque du métier, meurt, toute la nation est figée et en compassion devant ce fait inacceptable !

Un courant de pensée occidentale, « le transhumanisme » soutenu par Google et d’autres géants du Web tente même de mettre fin à la mort.

Il n’en a pas toujours été ainsi dans notre civilisation.

Et cette manière de penser n’est pas généralisée sur la planète. Aujourd’hui des fous de Dieu, pour réaliser les noirs desseins de leurs gourous, sacrifient leurs vies dans des attentats meurtriers. Mais, il existe aussi d’autres femmes et hommes, parce qu’ils croient en des valeurs supérieures qui acceptent de risquer leur vie et de la sacrifier. « Plutôt mourir que vivre humiliée ».

Tel était le cas de Ruqia Hassan qui voulait informer le Monde de ce qui se passe dans la capitale du califat auto-proclamé.

La vie était certainement importante à ces yeux, mais elle n’était pas la valeur suprême.

Ils existaient des valeurs qui méritaient qu’on meure pour elles.

La seconde est celle de comparer la vie et les actes de cette femme avec ceux de ces jeunes filles qui vivent dans le même pays que nous et qui font exactement la démarche inverse.

L’express nous apprend qu’«un djihadiste français sur trois, sur le sol syrien ou irakien, est une femme. En effet, sur les 600 Français partis grossir les rangs de l’organisation Etat Islamique, les services de renseignements tricolores recensaient 220 femmes en décembre 2015, contre 164 en septembre 2015. Leur part est passée de 10% du contingent français en 2013 à 35% fin 2015, toujours selon France Info. La part de femmes converties à l’islam parmi elles est aussi plus importante que celle des hommes convertis (un tiers contre un sixième). »

Bien sûr tout n’est pas parfait dans notre pays, mais on y vit libre, surtout si on compare à Raqqa, on est soigné presque gratuitement quand on est malade, on peut dire à peu près ce que l’on veut, on peut danser, chanter, boire de l’alcool ou ne pas boire et tant de choses…

Et ces filles choisissent l’asservissement, le rôle d’épouse soumise et reproductrice de mâles violents et psycho-rigides.

Le plus simple et probablement le plus rassurant est de dire qu’elles sont folles et déséquilibrées.

Comme il est rassurant, dans nos réflexions, de considérer que le jeune adolescent de religion musulmane qui a attaqué et voulu tuer un autre homme qui portait la kippa est un fou, un déséquilibré.

J’ai peur que ces explications simples et « occidentalement convenable » ne suffisent pas à analyser ces actes qui directement ou indirectement constituent des actes de sauvagerie et de destruction.

Il existe bien des dogmes et des doctrines qui sont suffisamment attirantes aux yeux de ces jeunes pour les pousser à emprunter les chemins de la violence et du chaos.

Le nom et le destin de Ruqia Hassan sont très présents sur le Web. Voici quelques-uns des sites qui parlent de ce sujet :

http://www.huffingtonpost.fr/2016/01/07/ruqia-hassan-femme-journaliste-execute-daech

http://www.theguardian.com/world/2016/jan/13/ruqia-hassan-killed-for-telling-truth-about-isis-facebook

http://journaldesgrandesecoles.com/la-jeune-journaliste-syrienne-ruqia-hassan-executee-par-daesh/

http://femmesdumaroc.com/actualite/daech-execute-la-journaliste-syrienne-ruqia-hassan-25411

http://www.humanite.fr/une-journaliste-kurde-assassinee-par-daech-594936

Pour finir ce mot du jour, je fais appel à Camus et à cet extrait de l’homme révolté :

« La mesure n’est pas le contraire de la révolte. C’est la révolte qui est la mesure, qui l’ordonne, la défend et la recrée à travers l’histoire et ses désordres. L’origine même de cette valeur nous garantit qu’elle ne peut être que déchirée. La mesure, née de la révolte, ne peut se vivre que par la révolte. Elle est un conflit constant, perpétuellement suscité et maîtrisé par l’intelligence. Elle ne triomphe ni de l’impossible ni de l’abîme. Elle s’équilibre à eux. Quoi que nous fassions, la démesure gardera toujours sa place dans le cœur de l’homme, à l’endroit de la solitude. Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde ; elle est de les combattre en nous-même et dans les autres.»

Vous trouverez cette réflexion ainsi que bien d’autres sur cette magnifique page de France Culture où cette radio a fait appel à ses formidables archives pour laisser parler des hommes de réflexion et de sagesse -Castoriadis, Camus, Krishnamurti, Michaud et Baudrillard – :

<C’est ici>

Nous portons tous en nous nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde ; elle est de les combattre en nous-même et dans les autres.
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Mercredi 29 avril 2015

« la première liberté, c’est la sécurité (?).
Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »
Pierre Mauroy, Mars 1981 (donc avant la victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981)

L’expression complète de Mauroy est

« Pour la droite, la première liberté, c’est la sécurité. Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »

Sous le titre <« La sécurité est la première des libertés. » Ou l’inverse ?> Rue 89 a publié, le 23/04/2015, un article dont je cite ci-après quelques extraits :

« En 1981, quand Alain Peyrefitte faisait de la sécurité la première des libertés, Pierre Mauroy inversait la proposition. Depuis, la gauche, à commencer par Manuel Valls, a adopté cette posture hier affichée par le FN.

De la bouche d’un gaulliste à celle d’un Premier ministre socialiste. En passant par une affiche de Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen dans les bras, pour les régionales en Paca, en 1992. « La sécurité, première des libertés » est une formule qui a fait du chemin, avant d’être reprise par Manuel Valls le 13 avril, dans l’hémicycle, pour défendre le controversé projet de loi sur le renseignement. […]

Associée à la droite et l’extrême droite jusqu’aux années 90, l’expression n’est aujourd’hui plus du tout discriminante et constitue, comme le notait Libération en 2013 après une sortie d’Estrosi sur le sujet, « un poncif du débat public » depuis vingt ans. […]   ainsi, au gaulliste Alain Peyrefitte, qui répète que « la sécurité est la première des libertés » lors de l’examen de sa loi « Sécurité et Liberté », le socialiste Pierre Mauroy rétorque, en mars 1981 : « Pour la droite, la première liberté, c’est la sécurité. Nous inversons la proposition : pour nous, la première sécurité est la liberté. »

La loi portée par Peyrefitte, alors garde des Sceaux, comprenait, selon ses détracteurs, 95 fois le mot « sécurité » et 5 fois le mot « liberté ». Ce débat – passionné – est généralement utilisé pour dater le début du débat « sécuritaire ». Ce mot entre d’ailleurs dans le vocabulaire au début des années 80. A l’époque, la gauche, vent debout contre la droite « liberticide », demande son abrogation lorsqu’elle arrive au pouvoir. C’était un engagement de campagne de Mitterrand (n° 52).

Là, comme dans tant d’autres domaines, la frontière entre la droite et les socialistes va tendre à s’estomper.

[…] la déclaration de politique générale de Jospin, le 19 juin 1997,  affirmait : « La sécurité, garante de la liberté, est un droit fondamental de la personne humaine. » […]

Pour justifier cette pirouette sémantique, la gauche fait appel à la fameuse Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, texte révolutionnaire s’il en est, qui fait figurer la « sûreté » parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme dans son article 2 : « Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »

Mais sécurité n’est pas sûreté. L’ancien ministre de la Justice socialiste Robert Badinter le rappelle dans un entretien au Monde, en janvier 2004 : « Ce qui est consacré dans la Déclaration des droits de l’homme, c’est la sûreté, c’est-à-dire l’assurance, pour le citoyen, que le pouvoir de l’Etat ne s’exercera pas sur lui de façon arbitraire et excessive. Le droit à la sûreté, c’est la garantie des libertés individuelles du citoyen. »

[…] Bref, pas très malin pour les socialistes. D’ailleurs, les meilleures critiques de la formule, ce sont eux-mêmes, les socialistes. Ainsi, Jean-Jacques Urvoas, président PS de la commission des Lois, a un jour (lointain) écrit sur son blog : « C’est l’occasion pour moi de dire que je ne comprends pas le slogan répété à satiété selon lequel « la sécurité serait la première des libertés ». […] Si je suis de gauche, c’est d’abord parce que je veux vivre dans un pays libre ! […] Et s’il faut conjuguer la sécurité avec notre devise républicaine, alors affirmons que  » la sécurité est la garantie de l’égalité « . Voilà le combat historique de la gauche ! »

[…] Manuel Valls lui-même, dans son livre « Sécurité : la gauche peut tout changer » (éditions du Moment), sorti en avril 2011, écrivait que « l’opposition affichée systématiquement entre sécurité et liberté [lui paraissait] toujours un peu creuse. » Tout en moquant : « Ceux qui tentent d’échapper à ce piège idéologique en affirmant, rapidement, que la sécurité est la première des libertés. »

Je trouve cet article particulièrement rafraichissant dans ses rappels historiques et aussi dans sa capacité à mettre nos gouvernants face à leurs incohérences et contradictions.

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Mardi 08 octobre 2013

Mardi 08 octobre 2013
« Qu’ai-je fait ?…
J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.»
Anna Politkovskaïa
Anna Politkovskaïa a été assassinée à Moscou le 7 octobre 2006 à 48 ans.
On a retrouvé son corps criblé de balles dans le hall de son immeuble le matin à Moscou.
Un pistolet Makarov 9mm, arme préférée des exécuteurs russes, a été retrouvé près de son immeuble.
C’était une journaliste russe et une militante des droits de l’homme connue pour son opposition à la politique du président Vladimir Poutine, sa couverture du conflit tchétchène et ses critiques virulentes envers les autorités de la république caucasienne.
Qu’ai-je fait ? » se demandait-elle, dans un texte retrouvé sur son ordinateur après sa mort, en rappelant que son exigence de vérité la condamnait à travailler comme « clandestine » et elle avait ajouté
« J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin ».

Hier constituait le 7ème anniversaire de cet acte dont on ne connaîtra probablement jamais le(s) vrai(s) commanditaire(s)

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Mardi 07 mai 2013

« Ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre »
John Steinbeck « Lune Noire »

Nous fêtons la défaite de l’Allemagne nazi le 8 mai.

Cette date est la conséquence de la volonté de l’URSS de faire signer la capitulation allemande à Berlin.

Mais la véritable capitulation des autorités nazi a eu lieu le 7 mai 1945 à 2h41 du matin à Reims, l’acte de reddition de l’armée allemande étant signé par le général Jodl.

Pour l’anniversaire de la défaite de la barbarie nazi je cite la conclusion du livre de John Steinbeck : « Lune Noire » :

« Un sifflement strident hurla du côté de la mine. Une rafale de vent pulvérisa de la neige sur les fenêtres. Orden joua avec sa médaille et déclara d’une voix sourde :
– Vous voyez, colonel, on ne peut rien y changer. Vous serez écrasés et expulsés. Les gens n’aiment pas être conquis, colonel, et donc ils ne le seront pas.
Les hommes libres ne déclenchent pas la guerre, mais lorsqu’elle est déclenchée, ils peuvent se battre jusqu’à la victoire.
Les hommes en troupeau, soumis à un Führer, en sont incapables, et donc ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles et les hommes libres qui gagnent la guerre. Vous découvrirez qu’il en est ainsi, colonel.
Lanser se redressa avec raideur. »

Lune noire (The Moon Is Down) est un roman de John Steinbeck écrit en 1942, il décrit une petite ville occupée par une armée étrangère.

Les habitants se mobilisent peu à peu pour faire comprendre aux occupants qu’ils ne sont pas les bienvenus. Ceux-ci ressentent le rejet de la part des autochtones et commencent à craindre pour leur vie. Les actes de sabotage se multiplient et finalement certains occupants viennent individuellement supplier les habitants de les épargner.

La force de cette œuvre est de montrer que même dans une situation d’occupation, l’individu peut rester libre s’il est en accord avec sa conscience.

Les occupants quant à eux sont aliénés au régime auquel ils obéissent.

À la fin de l’histoire, les occupants, cernés par les explosions provoquées par la résistance qui s’est organisée dans la ville, prennent le maire en otage.

Le titre est inspiré d’un dialogue de Macbeth.

Au début du deuxième acte Banquo et Fleance rencontrent Macbeth qui est sur le point d’assassiner Duncan.

Banquo demande à son fils :

« How goes the night, boy? » (Où en sommes-nous de la nuit, mon garçon ?), celui-ci répond: « The moon is down; I have not heard the clock. » (La lune est couchée ; je n’ai point entendu sonner l’heure.). »

La citation suggère que les ténèbres ne vont pas tarder à s’abattre sur le royaume.

Par analogie, Steinbeck voulait montrer que l’Allemagne nazie faisait descendre sur l’Europe des ténèbres similaires.

L’ouvrage est traduit et publié clandestinement dans la plupart des pays européens occupés. (France, Editions de Minuit).

Il est traduit en Allemand par Humanitas Verlag à Zurich et le groupe du Schauspielhaus (composé en partie d’Allemands, communistes et antifascistes ayant fui l’Allemagne dans les années 1930, comme Wolfgang Langhoff) de cette ville le joue à presque deux cents reprises.

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