Jeudi 24 juin 2021

« En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché »
Rapport de l’institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance)

Je continue donc modestement à essayer de comprendre comment fonctionne Amazon et les conséquences de l’addiction consumériste qu’Amazon a su capter.

J’essaye d’éviter la posture morale qui me semble inappropriée et contreproductive. La posture morale s’appuie sur un récit qui dicte le bien et le mal. En tant que telle, elle est toujours contestable, car d’autres peuvent avoir une conception différente du bien et du mal.

Dans cette quête que je poursuis j’aime me référer à cette formule pénétrante de Bossuet :

«Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.»

Nul besoin d’être croyant pour comprendre la sagesse de ce propos.

Aujourd’hui je vais partager principalement un article d’opinion publié en 2018 par le site en ligne « AOC » dont j’ai déjà parlé et dont je suis abonné : « Amazon ou la menace proliférante de la loi de la jungle ».
C’est un article écrit par Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française qui a traduit et diffusé un rapport d’un institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance) : < Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes.>
En voici <la traduction française>.

Ce rapport de l’ILSR vise à contribuer à une prise de conscience du grand public ainsi que des responsables politiques, ces derniers étant appelés à réguler l’emprise d’Amazon avant que les dégâts économiques, sociaux, sociétaux et culturels ne soient irréversibles :

« C’est notre modèle de société en tant que tel, notre relation au travail, nos libertés individuelles, notre capacité à vivre ensemble, qui se trouvent menacés par la stratégie tentaculaire d’Amazon. Face à un tel enjeu, les réactions semblent bien timides quand elles ne se teintent pas d’une fascination pour la réussite commerciale foudroyante de cette multinationale américaine.  »

Quatre types de menaces sont identifiées.

  1. Une menace pour l’économie
  2. Une menace pour le travail et pour l’emploi
  3. Une menace pour nos libertés
  4. Une menace pour nos territoires

1 une menace pour l’économie

Le rapport de l’ILSR montre comment Amazon menace l’économie par son expansion tentaculaire dans des dizaines de secteurs, sa quête de monopole, la manière dont il étrangle les PME, à commencer par celles qui sont présentes sur sa market-place, ou encore sa politique d’évasion fiscale qui fausse la concurrence et réduit les ressources fiscales pour les territoires où il réalise ses ventes.

« Par la puissance de sa market-place, de ses infrastructures logistiques et de son service de stockage de données (Amazon Web Services), Amazon a dorénavant la faculté de fixer les conditions d’accès au marché pour des milliers d’entreprises dont il est par ailleurs le premier concurrent. Il scrute l’activité des entreprises qu’il héberge et, pour les plus profitables, s’approprie leur connaissance du métier et du produit avant de les racheter à vil prix ou de les concurrencer par des prix imbattables. Le PDG d’une entreprise américaine de jouets illustre cette dépendance en déclarant : « Nous nous sommes rendu compte que nous étions fichus si nous allions sur la market-place d’Amazon et fichus aussi si nous n’y allions pas. »

En France la société Casino joue à ce jeu dangereux : < L’idylle entre Amazon et Casino suit son cours >

« La domination du marché par Amazon atteint, aux États-Unis, des proportions hors normes. L’entreprise de Jeff Bezos y capte en effet la moitié des achats en ligne, certainement les deux tiers à l’horizon 2020. Elle possède des dizaines de filiales : sites e-commerce, livres audio, téléphonie mobile, transport, plateforme de streaming pour jeux en ligne, textile, chaussures, piles à combustible, caméras de surveillance, bases de données, statistiques et « data mining », distribution alimentaire… La moitié des Américains qui vont sur le net pour y faire des achats démarrent dorénavant directement leurs recherches sur Amazon. Plus d’un foyer américain sur deux est abonné à son programme Prime. En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché ». »

Cette quête monopolistique est alimentée par la capacité à mener, à long terme, une stratégie de vente à perte financée par des investisseurs éblouis et acceptant les pertes comme autant de promesses d’écrasement des marchés au profit de leur champion.

Il semble qu’un esprit de résistance se lève en France. Un article du 17 mars 2021 de « Capital » nous informe qu'<Amazon enregistre une forte baisse de sa part de marché en France> :

« Conséquence de la crise sanitaire liée au Covid-19, les ventes en ligne séduisent de plus en plus les Français. Selon des statistiques dévoilées par Kantar, la vente en ligne ne cesse de progresser, tirée vers le haut par les leaders du marché, à commencer par Amazon. Mais pour le géant du commerce en ligne qui continue de caracoler en tête avec 19% de part de marché, la croissance est bien moins rapide que prévue, analyse Kantar, à savoir que la société de Jeff Bezos perd trois points en 2020. Sa part de marché était en effet de 22% en 2019.

2 Une menace pour le travail et pour l’emploi

La première menace a déjà été largement abordée et concerne les conditions de travail et la pression qu’Amazon exerce sur ces salariés. Autant que possible, Amazon cherche à s’exonérer de ses obligations sociales.

La seconde est celle sur le nombre d’emplois, par la robotisation :

« Le fabricant de robots Kiva, [est devenu] l’un des leaders mondiaux sur ce marché. 45 000 de ces robots sont aujourd’hui produits par Kiva au service exclusif d’Amazon. Ils viennent d’être déployés dans les entrepôts français. Le nombre de nouveaux robots croît plus rapidement (+ 50 % en deux ans) que celui des embauches de salariés. Une étude du MIT, publiée en mars 2017, estime que chaque robot introduit sur le marché du travail détruit six emplois et entraîne une baisse du salaire moyen sur le marché du travail du fait d’une demande accrue de postes. Sur cette base, Amazon aurait déjà détruit près de 300 000 emplois dans le monde, soit autant que le nombre de ses salariés ! »

Mais la destruction d’emplois se trouve aussi dans la concurrence :

« À cela il faut ajouter les dizaines ou centaines de milliers d’emplois détruits chez les concurrents d’Amazon terrassés par sa politique de dumping financée par une capitalisation hors normes. Cette politique prédatrice ne touche pas seulement de grandes chaînes concurrentes mais également des commerçants indépendants dont la présence est essentielle à la vitalité économique et sociale des territoires, et particulièrement des centres-villes que l’expansion d’Amazon contribue à désertifier. »

3°Une menace pour nos libertés

Amazon stocke des milliards de données sur des serveurs que l’entreprise maîtrise exclusivement :

« Amazon est l’un des leaders du stockage de données. Amazon Web Services, dont tout le monde, de Netflix à la CIA, est client, contrôle le tiers de la capacité mondiale de cloud computing, soit plus que Microsoft, IBM et Google combinés…

Il exploite, par ailleurs, l’inépuisable réserve de données personnelles que lui apporte une connaissance fine de nos habitudes d’achat. S’il s’en est servi jusqu’à présent pour se développer sur différents marchés et pour pousser ses propres produits, il pourra, demain, grâce à cette connaissance millimétrique de nos habitudes et de nos goûts, aux possibilités de l’intelligence artificielle sur laquelle il investit massivement et à l’introduction, au cœur de notre vie quotidienne, des appareils connectés qu’il développe, non plus seulement connaître nos choix, mais nous les dicter ! »

4° Une menace pour nos territoires

Amazon par son poids économique financier est capable d’imposer aux territoires des ristournes fiscales et même des subventions pour s’installer.

Je fais juste un pas de côté, pour faire ce constat, en dehors de toute leçon morale, le poids économique et financier d’Amazon provient exclusivement des millions de clients fascinés par la facilité, la rapidité, le confort de l’acte de consommation qui part d’un simple clic pour arriver quasi immédiatement dans la bulle intime de son lieu de vie.

Le rapport dit en effet :

« L’ILSR démontre néanmoins que le réseau logistique d’Amazon a été bâti largement grâce à des subventions publiques, le montant de ces aides dépassant, selon le rapport, les bénéfices d’Amazon depuis l’origine. En France également, les implantations des entrepôts d’Amazon bénéficient systématiquement de soutiens financiers de la part des collectivités locales.

Le même rapport rappelle que 108 000 commerces indépendants ont disparu aux États-Unis durant les quinze dernières années. Si ce déclin a de nombreuses causes, les études montrent qu’Amazon en est, de loin, la principale.

La dévitalisation de nos quartiers, de nos centres-villes, appauvrit l’économie locale, déplace ou supprime des emplois et, au final, nuit gravement à notre capacité d’organiser et d’animer notre vie collective grâce au travail et aux actions éducatives, sociales, culturelles que développent nos communautés. »

Dans l’esprit de résistance française, la place du livre, notamment grâce au prix unique et au réseau de libraires, constitue encore une place forte. « L’Express » dans un article de novembre 2020 <La filière du livre repense sa résistance face à Amazon> explique :

« D’après le Syndicat national de l’édition, [Amazon] réalise en temps normal 50% des ventes en ligne, estimation grossière, ce qui représenterait 10 à 15% des ventes totales. Le Syndicat de la librairie française pense qu’Amazon capte « plus de la moitié » des ventes en ligne et environ 10% au total.

Les confinements, qui ont contraint les librairies à fermer, ont amené la filière à revoir sa stratégie face à la multinationale.

Elle s’est concentrée sur la communication. Ecrivains, jurys littéraires et même responsables politiques ont multiplié les appels à aider les libraires, autorisés à vendre des ouvrages précommandés (« click and collect »). »

Bien sûr les temps ont été difficiles pendant le confinement et sont restés compliquée après. Mais le modèle tient encore :

« Pour autant, le modèle de la librairie en France est bon. C’est le premier secteur qui a subi l’arrivée d’Amazon et alors qu’on taxait les libraires de ringards, rétifs à la numérisation, ils se sont bien armés. L’enjeu est de faire venir du monde en magasin par des outils numériques, et ils y travaillent », ajoute l’auteur d’un «Eloge du magasin» paru en janvier. […]

Nous ne voulons pas remplacer les conseils d’un ou d’une libraire par ceux d’un algorithme, ni collaborer à un système qui met en danger la chaîne du livre par une concurrence féroce et déloyale », détaillent-ils. »

Mais au pays du prix unique du livre, la concurrence se joue sur les frais d’expédition, systématiquement fixés à 0,01 euro chez Amazon.

Cette problématique des frais d’envoi est développée dans un <article du 21 mai 2021> : Le gouvernement veut imposer partout sur internet un même prix, frais de port inclus, pour tous les livres neufs.

Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française et directrice générale de la librairie Martelle à Amiens explique :

« Même si les libraires sont présents de longue date sur Internet, le développement de leur site est freiné par la politique de dumping des grandes plateformes comme Amazon. Quand Amazon facture un centime d’euro pour expédier un livre, il en coûte pour le même envoi, en moyenne 6,50 euros au libraire

Et si le libraire répercute ces frais d’expédition à son client, il le perd au profit d’Amazon. Et si le libraire prend en charge les frais d’expédition, il perd de l’argent à chaque fois qu’il expédie un livre. C’est une situation intenable pour libraires et puis, il faut noter qu’il n’y a que sur le livre qu’Amazon offre la quasi-gratuité de l’expédition sans minimum d’achat. Ça prouve qu’il existe de la part de cette société une volonté délibérée d’attaquer les libraires indépendants et d’attaquer aussi de manière détournée le prix unique du livre. »

L’illusion de la gratuité est d’une grande perversité, elle cache toujours un coût que quelqu’un doit payer. Quelquefois c’est même le climat et la biodiversité qui paie :

« Le sujet qui est actuellement en discussion prévoit plutôt une tarification minimale, ce qui obligerait Amazon à ne plus facturer un centime d’euro, mais peut-être quatre, cinq euros ou trois euros, ça rétablirait l’équilibre. Ça permettrait aussi de remettre dans le jeu le vrai prix d’un transport, quel qu’il soit, du livre ou d’autre chose. Le fait [pour Amazon] de facturer un centime d’euro donne aux clients l’impression que ça ne coûte rien, ni à l’environnement ni à son porte-monnaie. Eh bien, c’est faux. »

« Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. » Bossuet

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Jeudi 17 juin 2021

« Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. »
Mounar Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du Numérique de 2017 à 2019

Mounir Mahjoubi s’exprime ainsi dans « Le UN » déjà évoqué, lors d’un entretien essentiellement consacré à l’optimisation fiscale que pratique la firme de Seattle. Il insiste sur le fait que c’est par volonté d’éviter l’impôt qu’Amazon a cherché à minimiser voire effacer les bénéfices :

« Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. Pendant vingt ans, l’entreprise a réinvesti ses revenus de manière à présenter en permanence une situation de déficit, mais ceux-ci sont aujourd’hui tellement importants que c’est devenu impossible »

Mais au-delà de la vision fiscale, Amazon n’a pas cherché à faire des bénéficies à court terme. Amazon a commencé son activité en 1995 et a attendu presque 10 ans pour avoir ses premiers bénéfices.

Nous lisons dans article de 2004 de « L’EXPRESS » : <Amazon enfin rentable> :

« C’est un évènement pour le groupe. Pour la première fois depuis sa création en 1995, Amazon.com affiche un bénéfice net sur l’année entière. Le leader mondial du commerce électronique a réalisé un bénéfice net  »

Jeff Bezos a créé une entreprise qui a fait des pertes pendant 10 ans, sans perdre la confiance de ses actionnaires.

Il est même aller plus loin : il n’a jamais payé de dividendes à ses actionnaires.

<Pourquoi Amazon ne paie pas de dividendes ?> :

« Les marchés ont des attentes différentes des différentes entreprises. Les investisseurs dans les industries matures, les banques et les entreprises de services publics s’attendent à ce qu’ils partagent la plupart de leurs bénéfices sous forme de paiements aux actionnaires – sous forme de dividendes ou de rachats.

Cependant, les investisseurs ont des attentes différentes des entreprises à forte croissance, en particulier dans le secteur de la technologie. […] Jeff Bezos n’a pas été un fan des dividendes et des rachats d’actions. Bien qu’Amazon ait procédé à des rachats d’actions dans le passé, ils sont assez faibles compte tenu de la taille de l’entreprise. Au lieu de cela, Bezos s’est penché sur les acquisitions et la croissance. Amazon dépense énormément en croissance sur certains marchés internationaux comme l’Inde. »

Jeff Bezos est indiscutablement un génie et Amazon est une entreprise qui a emmené la perfection logistique à un niveau inégalé.

C’est le contraire d’un homme d’affaire qui a une vision à court terme. Pour lui, c’est le long terme qui est essentiel. Il construit ainsi, année après année, la croissance de son entreprise par des investissements gigantesques.

Les actionnaires et les marchés ont continué à lui faire une totale confiance. Ainsi les actionnaires ont pu bénéficier de l’augmentation du cours de l’action.

« Bien qu’Amazon ne verse actuellement pas de dividende, l’appréciation du cours de son action a plus que compensé l’absence de dividende. »

Il a pendant longtemps eu un autre problème de rentabilité : Cela coute cher de livrer chaque client, où qu’il soit dans un délai record et avec un cout concurrentiel. Au démarrage les pertes liées à l’activité de livraison d’Amazon étaient très importantes. C’est alors qu’« Andrew Jassy » qui venaient d’entrer à Amazon a eu une idée remarquable. Pour organiser les commandes, les livraisons et aussi la logistique des entrepôt, Amazon avait besoin de serveurs numériques considérables. Il fallait donc les acquérir et les installer dans des fermes à serveurs. Alors à moins de frais on pouvait augmenter la taille de ses serveurs.

<Challenge> explique :

« Né en 1968 dans une famille aisée de New York, Andrew Jassy fait ses études à Harvard avant de rejoindre Amazon en 1997, trois ans après sa création. C’est alors une simple librairie en ligne qui perd de l’argent. Qu’importe, il rejoint l’équipe et comprend vite que la clé de la réussite passe par la technologie.

Les serveurs qu’Amazon installe un peu partout pour gérer les commandes en ligne coûtent un argent fou. Comment réduire les coûts ?

Andrew Jassy propose de les rentabiliser en les louant et en vendant des services en ligne aux entreprises. C’est ainsi que naît en 2003 Amazon Web Services (AWS), dont Andrew Jassy devient directeur général en 2016. L’activité cloud est la plus rentable du groupe, pesant près des deux tiers du résultat net pour 20 % du chiffre d’affaires. »

<Les Echos> dans un article de 2020 le confirme :

« A ce propos, c’est sur AWS, la filiale « dans les nuages », que repose la rentabilité du groupe. Au début des années 2000, Jeff Bezos, le PDG, a compris que les entreprises voudraient déléguer le stockage de leurs données au lieu d’avoir leurs serveurs dans leurs locaux. C’était trop cher, trop peu efficace et pas assez flexible. En développant sa propre technologie, Amazon a pu proposer ce type de services. Il est ainsi devenu l’un des leaders mondiaux du cloud. Cette activité prospère aide à financer le développement de l’e-commerce, une activité à faible marge et qui perd de l’argent à l’international. »

Et quand Jeff Bezos décide de prendre du recul, c’est Andy Jassy qu’il choisit comme remplaçant.

<Jeff Bezos passera le flambeau à Andy Jassy (AWS)> :

« Or l’homme d’affaires a bien d’autres projets en cours. C’est d’ailleurs la raison invoquée pour expliquer qu’il va quitter son poste de CEO d’Amazon. La transition aura lieu au cours du troisième trimestre de l’année, après quoi il restera toujours présent comme président exécutif du conseil d’administration.

« Je disposerai du temps et de l’énergie dont j’ai besoin pour me concentrer sur Day One Fund, le Bezos Earth Fund, Blue Origin, Washington Post et mes autres passions ». « Je n’ai jamais eu autant d’énergie et il ne s’agit pas de prendre ma retraite », prévient Jeff Bezos (57 ans) dans sa lettre. »

Jeff Bezos a donc d’autres projets que travailler uniquement à la croissance d’Amazon. Mais il faut reconnaître ses talents de visionnaire et aussi ses capacités d’entrainement pour croire en une entreprise qui ne faisait pas de bénéfices pendant 10 ans puis en a réalisé grâce à une activité annexe.

Mais maintenant il faut qu’Amazon apprenne à gérer ses bénéficies et peut être à payer des impôts dans les États dans lesquels il réalise ses chiffres d’affaires.

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Mardi 15 juin 2021

«Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents.»
Message initial de Jeff Bezos pour recruter pour son entreprise

Jeff Bezos a donc créé Amazon  et mis en ligne «  La plus grande librairie du monde » en 1995.

E,t il en a fait, en une vingtaine d’années, une entreprise à tout vendre.

Un journaliste américain à Bloomberg, Brad Stone avait publié en 2013 un livre enquête sur cette aventure « The Everything Store ». ce livre a été traduit en français et publié en 2014 : « Amazon : la boutique à tout vendre »

Vous pouvez acheter ce livre sur Amazon, mais le lien que je donne est vers la librairie Decitre.

Le journal « Les Echos » avait publié un article <le 30 mai 2014> de la journaliste Isabelle Lesniak qui parle de ce livre. Elle avait elle-même mené une enquête sur Amazon

Au début ses idées vont se développer à New York. Il va rencontrer une entreprise financière Desco et un homme Shaw avec qui il va apprendre l’organisation et échanger des idées et élaborer des stratégies disruptives.

« Tout a commencé avec une idée. Et cette idée flottait dans l’air de la société Desco (D. E. Shaw & Co.), sise à New York… Ce fonds spéculatif avait été créé en 1988 par un ancien professeur d’informatique de l’université de Columbia, David E. Shaw. Sa grande idée était d’exploiter les ordinateurs et des formules mathématiques complexes dans le marché de la finance à grande échelle. (…) Desco n’avait rien d’une société typique de Wall Street. Shaw ne recrutait pas des financiers mais des mathématiciens et des experts scientifiques, de préférence avec un CV hors norme et des références académiques indéniables.

(…) Bezos, alors âgé de 29 ans, commençait déjà à se dégarnir. Son visage un peu pâle et creusé était typique d’un « accro » au travail. Durant les sept années qu’il avait passées à Wall Street, il en avait impressionné plus d’un par sa vive intelligence et sa détermination sans faille. [Après Princeton] il avait, en 1988, rejoint la firme financière Bankers Trust, mais ne s’y était pas plu. A la fin de l’année 1990, il se préparait à quitter Wall Street lorsqu’un chasseur de têtes le convainquit de venir voir les dirigeants d’une firme financière « pas comme les autres ».

(…) C’est grâce à Desco que Bezos développa un grand nombre des caractéristiques distinctives que les employés d’Amazon retrouveront plus tard. Discipliné, précis, il notait constamment des idées sur un carnet qu’il transportait en permanence, de peur qu’elles ne s’envolent. (…) Quelle que soit la situation, Bezos procédait « analytiquement ». Célibataire à cette époque, il entreprit de suivre des cours de danse de salon, ayant calculé que cela améliorerait ses chances de rencontrer ce qu’il appelait des femmes « n + ». (…) Shaw et Bezos caressaient l’idée de développer une boutique « où l’on trouverait de tout ». De nombreux cadres estimaient qu’il serait aisé de mettre en ligne un magasin de ce genre. Pourtant, l’idée n’avait pas semblée réaliste à Bezos – du moins dans les premiers temps. Il avait donc commencé par établir une liste de vingt rayons potentiels : fournitures de bureau, logiciels, vêtements, musique… Il lui apparut alors que le plus approprié était celui des livres. C’est un article totalement standard ; chaque exemplaire étant identique à un autre, les acheteurs savent pertinemment ce qu’ils vont recevoir. A cette époque, aux Etats-Unis, deux distributeurs principaux se partageaient le marché. Les démarches en étaient considérablement simplifiées. Et il existait trois millions de livres en circulation dans le monde. »

Mais ce n’est pas avec Shaw qu’il va développer le concept qui le rendra célèbre et riche. Entre temps il a rencontré et épousé en 1992 MacKenzie.

En 2019 leur divorce sera classé comme le plus cher de l’Histoire, mais les records sont faits pour être battus.

Avec MacKenzie il se rend à Seattle pour monter sa librairie en ligne.

<Seattle> est la plus grande ville (750 000 habitants en 2018) située dans l’Etat de Washington, c’est à dire au nord-ouest des Etats-Unis et au Nord de la Californie.

Cette ville était alors le siège de Boeing et d’autres entreprises de haute technologie comme Microsoft et Google.

Cette ville offre à la fois de nombreux diplômés en informatique et des taxes moindres qu’à New York ou en Californie. Wikipedia affirme qu’au départ les Bezos ont pu débuter grâce à un investissement des parents de Jeff à hauteur de 245 573 dollars.

Et ils vont se lancer, l’article d’Isabelle Lesniak
cite un message du 21 août 1994 sur le forum Usenet :

« Start-up bien capitalisée cherche des programmeurs C/C++ et Unix extrêmement talentueux. Objectif : aider au développement d’un système pionnier de commerce sur Internet. Vous devez avoir acquis une expérience dans la conception et la mise en place de systèmes larges et comple xes (mais aussi faciles à faire évoluer). Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents. Attendez-vous à travailler avec des collègues talentueux, motivés, sérieux et intéressants. »

Bref les meilleurs d’entre les meilleurs.

Jeff et MacKenzie vont beaucoup hésiter sur le nom à donner à la plus grande librairie du monde. Vous trouverez dans l’article les différentes tentatives. Mais finalement Amazon va être choisi en référence au fleuve mais aussi parce que le mot commençait par A et qu’à cette époque, la plupart des annuaires classaient les sites par ordre alphabétique.

Au départ c’était un « truc » d’informaticiens pour les informaticiens mais pas que :

« Très vite, il apparut que la clientèle était particulière. Les premiers utilisateurs commandaient des manuels d’informatique, des bandes dessinées de la série Dilbert, des livres sur des instruments de musique anciens et des guides de sexologie. La première année, le best-seller fut un manuel de Lincoln D. Stein expliquant comme créer un site Web. Certaines commandes provenaient de soldats américains dont les troupes étaient stationnées hors du continent. Un habitant de l’Ohio écrivit pour dire qu’il vivait à 75 kilomètres de la librairie la plus proche et qu’Amazon.com était un don du ciel. Un employé de l’Observatoire européen austral au Chili avait commandé un livre de Carl Sagan – apparemment à titre de test ; il dut être satisfait car, peu après, il repassa commande de plusieurs douzaines d’exemplaires du même livre. Amazon découvrait ainsi ce phénomène que l’on appelle la « longue traîne » : le grand nombre d’articles rares qui séduisent un petit nombre de gens. »

Pour arriver à créer cette société unique, performante et rigoureuse, il crée une culture d’entreprise que je qualifierai d’absolue et exclusive :

« Peu à peu, le PDG aux cheveux clairsemés, au rire perçant et au comportement agité dévoilait sa vraie nature aux employés. Il se révélait bien plus têtu que ce qu’ils avaient perçu au départ. Il supposait de manière présomptueuse qu’ils seraient constamment prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes et sans la moindre réserve.

(…) Bezos était déterminé à insuffler dans sa société une culture particulière : celle des économies à tout crin. Les bureaux construits à partir de portes et les contributions minimales aux frais de parking en faisaient partie. Au premier étage du nouveau bâtiment, un stand de café distribuait des cartes de fidélité permettant aux clients d’obtenir une boisson gratuite au dixième achat. Jeff Bezos, qui était alors multi-millionnaire, insistait pourtant pour se faire poinçonner sa carte de fidélité. Parfois quand même, il offrait la boisson gratuite qu’il avait récoltée à un collègue.

(…) Un grand nombre d’employés rechignaient à accepter le rythme de travail insensé. Or Jeff Bezos les sollicitait de plus en plus fortement, en organisant des réunions le week-end, en instituant un club de cadres qui se réunissait le samedi matin et en répétant souvent son credo : travailler dur, longtemps, avec intelligence. De ce fait, Amazon était mal perçue par les familles. Certains cadres, qui désiraient avoir des enfants, quittèrent alors la société. »

Il attend de ses employés que leur but de vie soit la réussite de l’entreprise :

« (…) Lors d’une réunion restée mémorable, une salariée demanda à Jeff Bezos quand Amazon établirait un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il le prit très mal : « La raison pour laquelle nous sommes ici est d’accomplir notre tâche. C’est la priorité numéro 1, l’ADN d’Amazon. Si vous ne pouvez pas vous y dévouer corps et âme, alors peut-être n’êtes-vous pas à votre place. » »

De manière générale, Jeff Bezos impose un management inventif et exigeant :

« Bezos présenta sa nouvelle grande idée aux principaux cadres : toute l’entreprise allait se restructurer autour de ce qu’il appelait les « équipes à deux pizzas ». Les employés seraient organisés en groupes autonomes de moins de dix personnes – suffisamment petits pour que, lorsqu’ils travailleraient tard, les membres puissent être nourris avec deux pizzas. Ces équipes seraient « lâchées » sur les plus gros problèmes d’Amazon. Elles seraient en compétition mutuelle en matière de ressources et parfois, dupliqueraient leurs efforts, reproduisant les réalités darwiniennes de survie dans la nature. »

La gestion du temps et le refus des pertes de temps constituent un impératif. Mais il y a un autre point que je trouve intéressant dans la communication, c’est la volonté du PDG d’obliger ses collaborateurs d’exprimer les idées par des phrases et des arguments :

« L’autre changement était assez unique dans l’histoire des entreprises. Jusqu’à présent, les employés avaient utilisé les logiciels Powerpoint et Excel de Microsoft pour présenter leurs idées lors de meetings. Bezos estimait que cette méthode dissimulait une façon de penser paresseuse. Il annonça que de tels logiciels ne seraient plus utilisés. Chacun devrait écrire sa présentation en prose. En dépit des résistances internes, il insista sur ce point. Il voulait que les gens prennent le temps d’exprimer leurs pensées de façon convaincante.

(…) Les présentations en prose étaient distribuées et chacun les lisait durant une bonne quinzaine de minutes. Au départ, il n’y avait pas de limite pour ces documents, ce qui pouvait amener à produire des exposés de soixante pages. Donc, très vite, un décret supplémentaire fut édicté, imposant un maximum de six pages (…). »

Et il a ensuite poussé cette rigueur jusqu’à la synthèse permettant de convaincre le client :

« Chaque fois qu’une nouvelle fonction ou qu’un nouveau produit était proposé, l’exposé devait prendre la forme d’un communiqué de presse. Le but était d’amener les employés à développer un argumentaire de vente. Bezos ne croyait pas possible de prendre une bonne décision quant à un produit ou une fonction si l’on ne savait pas précisément comment le communiquer au monde – ni ce que le vénéré client en penserait. »

Il peut aussi être très désagréable avec ses employés :

« Bien qu’il puisse se montrer charmant et plein d’humour en public, Bezos était capable en interne de descendre en flammes un subalterne. Il était enclin à des colères mémorables. Un collègue qui échouait à satisfaire les standards qu’il avait fixés était en mesure d’en déclencher une. Il était alors capable d’hyperboles et d’une rare cruauté. Il pouvait décocher des phrases appelées à demeurer dans les annales internes : (…) « Je suis désolé, ai-je pris mes pilules pour la stupidité aujourd’hui ? » « Est-ce qu’il faut que j’aille chercher le certificat qui spécifie que je suis le PDG afin que vous cessiez de me défier là-dessus ? » « Êtes-vous paresseux ou juste incompétent ? »

L’empathie pour son personnel n’est pas le point fort de cet homme qui prône la philanthropie. Son obsession est le consommateur.:

« (…) Certains employés d’Amazon avancent la théorie que Bezos, tout comme Steve Jobs, Bill Gates ou Larry Ellison (NdT : cofondateur d’Oracle), manque d’une certaine empathie et qu’en conséquence, il traite ses employés comme des ressources jetables, sans prendre en compte leurs contributions à l’entreprise. Ils reconnaissent également que Bezos est avant tout absorbé par l’amélioration des performances et du service client, ce qui rend secondaire les problèmes personnels. »

Dans sa lettre aux actionnaires d’avril 2021 cité par « Le Un », ainsi parlait Jeff Bezos :

« Dans la lettre aux actionnaires d’Amazon de 1997, notre toute première, j’évoquais notre espoir de créer une « entreprise durable » qui réinventerait ce que signifie servir les clients en libérant la puissance d’Internet. […] Nous avons parcouru un long chemin depuis lors et nous travaillons plus que jamais pour servir et ravir nos clients. L’année dernière, nous avons embauché 500 000 personnes et employons désormais directement 1,3 millions de personnes dans le monde. Nous comptons plus de 200 millions de membres Prime dans le monde. Plus de 1,9 million de petites et moyennes entreprises vendent dans notre magasin. […] Amazon Web Services sert des millions de clients et a généré un chiffre d’affaires de 50 milliards de dollars en 2020. En chemin, nous avons créé 1600 milliards de dollars de richesses pour les actionnaires »

Il faut rendre justice à cet homme qui a réalisé quelque chose d’extraordinaire, remarquable pour les consommateurs et les actionnaires.

Je pose une question : est ce que ce sont ces deux fonctions d’homo sapiens qu’il est intelligent de prioriser ?

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Lundi 14 juin 2021

« Amazon nous veut-il du bien ? »
Question posée par LE UN

Depuis longtemps, j’avais l’envie de faire une série de mots du jour sur Amazon, cette entreprise qui a pour ambition de tout vendre à tout le monde et son patron Jeff Bezos que le magazine Forbes classe première fortune mondiale en 2020.

L’actualité me donne des éléments pour aborder ce sujet.

La pandémie a donné une importance considérable aux achats en ligne et évidemment Amazon a dû en profiter largement.

Pour la première fois, une partie des matchs de Roland-Garros n’a pas pu être regardée gratuitement à la télévision. Les matchs en session de nuit, était accessible uniquement en ligne, sur Amazon Prime Video. A priori, il semble que cette évolution ait été couronnée de succès : <Les indications montrent qu’on a eu un très beau démarrage>

Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Amazon Prime Video a aussi mis la main sur 80% de la Ligue 1 et la Ligue 2 de football français provoquant <l’ire de Canal +>. Je peux résumer cette histoire simplement : profitant de sa force capitalistique mondiale, Amazon peut payer plus cher pour un service qu’il vendra moins cher que des diffuseurs locaux. Il faut comprendre que l’abonnement Amazon Prime vidéo est inclus dans l’abonnement Amazon Prime que tout bon client d’Amazon a souscrit puisqu’il lui assure une meilleure et plus rapide livraison des colis qu’il attend avec impatience.

Nous venons d’apprendre que samedi 12 juin, un riche et heureux gagnant a payé, 28 millions de dollars aux enchères pour accompagner le fondateur d’Amazon dans le premier vol de tourisme spatial de la société Blue Origin. Outre le prix de cette place, le vainqueur devra verser 6% de commission à la maison d’enchères RR Auction.  Jeff Bezos avait annoncé début juin qu’il ferait partie du premier vol habité dans la fusée New Shepard avec son frère et le gagnant d’une enchère pour un troisième siège. Il y aura même un quatrième passager comme l’annonce cet <article du monde> de ce dimanche

Jeff Bezos, va quitter son poste de patron d’Amazon en juillet, pour s’occuper de ces voyages spatiaux et d’autres œuvres. Il gardera ses actions et un œil attentif sur son œuvre.

Et puis « LE UN » a publié un numéro consacré à cette entreprise avec pour titre : « Amazon nous veut-il du bien ? »

Titre inspirant et aussi quelques articles qui permettent de se poser des questions. Car il est important de se poser des questions.

Pour ce premier article de la série, je voudrais simplement rappeler ou apprendre à celles et ceux qui ne le savent pas, l’origine et le développement de cette machine commerciale et surtout logistique.

Jeff Bezos est né le 12 janvier 1964 dans le Nouveau Mexique aux Etats-Unis. <Wikipedia> nous raconte son histoire

Son nom de naissance fut Jeffrey Jorgensen car il est le fils de Ted Jorgensen et Jacklyn Gise.

Au moment de sa naissance, ses parents sont tous deux lycéens : son père vient d’avoir 18 ans tandis que sa mère en a 16. Son père l’abandonne à sa naissance et se remarie un an plus tard. Sa mère fait ensuite la connaissance de Miguel Bezos, un immigré cubain installé aux États-Unis depuis l’âge de quinze ans. Elle l’épouse en avril 1968, et celui-ci adopte Jeff peu de temps après, qui dès lors porte son nom, et l’élève comme son propre fils.

Il semble que le jeune Jeff présentait quelques dons et un très haut QI. Il est diplômé de la prestigieuse université de Princeton en 1986 avec un Bachelor of Arts and Science en sciences de l’informatique.

Il commence à travailler dans plusieurs entreprises financières de Wall Street.

Et en 1994, alors âgé de trente ans, il crée Amazon qui est à l’origine une librairie en ligne.

Il raconte :

« J’ai appris que l’utilisation du web augmentait de 2 300 % par an. Je n’avais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et l’idée de créer une librairie en ligne avec des millions de titres — quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique – m’enthousiasmait vraiment. »

Le nom d’«Amazon» qui a pour objectif de devenir la plus grande librairie du monde s’inspire évidemment de l’« Amazone » qui est le plus grand fleuve de la planète

Je reprends alors la chronologie que « Le Un » appelle repères et dont je reprends les principaux.

1995 : Le site Amazon.com est officiellement mis en ligne avec le slogan « La plus grande librairie du Monde »

1997 : Amazon fait son entrée en bourse

2000 : Le logo s’accompagne d’une flèche dessinant un sourire. Si voulez connaitre l’évolution du logo d’Amazon vous pouvez aller sur ce site <Logo d’Amazon>

2005 : Un abonnement annuel baptisé « Prime » est proposé aux clients qui souhaitent recevoir leur colis plus rapidement.

2006 : L’entreprise commercialise son service d’hébergement dans le « Cloud » sa branche la plus rentable à ce jour. Nous y reviendrons. Mais notons que c’est le patron de cette branche : « Amazon Web Services (AWS) » Andrew Jassy qui va prendre la succession de Jeff Bezos.

2007 : Le premier centre de distribution de colis en France ouvre ses portes dans le Loiret.

2017 : Amazon achète la chaîne de magasins Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars

2021 Rachat de l’emblématique studio de cinéma Metro Goldwyn Mayer pour 8,45 milliards de dollars. Si voulez connaître les films qui tombent ainsi dans le panier d’Amazon <voici la liste>. James Bond en fait partie.

Il faut aussi ajouter à cette emprise du fleuve qui déborde de son lit, les acquisitions et investissements personnels de Jeff Bezos :

2000 : Création de Blue Origin, entreprise vouée au tourisme spatial dans laquelle Bezos investit un milliard par an

2013 : Le Washington Post acheté pour 250 millions de dollars

Il a aussi investi dans Unity Biotechnology qui est une start-up qui travaille sur la lutte contre le vieillissement et dans Grail et Juno Therapeutics start-up qui se concentrent sur la détection du cancer.

Et puis aussi des investissements qui peuvent apparaître comme éthique  :

Bezos Day One Fund : une fondation pour l’aide aux sans-abri et à l’éducation dans laquelle Bezos a investi 2 milliards de dollars.
Bezos Earth Fund : un centre pour la lutte contre le changement climatique auquel Bezos a promis 10 milliards de dollars.

Voilà une introduction sous forme de liste.

<1577>

Mardi 2 mars 2021

« Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin. »
Hubert Vedrine

Aujourd’hui, je voudrais partager les échanges très intéressants qu’ont tenu les invités d’Emilie Aubry dans son émission «l’Esprit Public», sur la situation sanitaire, les vaccins et la question de nos libertés et des contraintes que nous acceptons ou que nous accepterons pour vivre dans un monde qui nous paraîtra plus acceptable  : <En finir avec le virus : un choix politique ? >. Cette partie de l’émission a duré 30 minutes.

Les invités étaient Hubert Védrine, Sylvie Kauffmann, Dominique Reynié et Aurélie Filippetti.

Beaucoup de questions ont été abordées notamment les difficultés des campagnes de vaccination et la comparaison des performances entre les différents États, ainsi que l’inégalité planétaire devant la vaccination.

Deux points de vue m’ont particulièrement interpellé :

  • Le premier porté par Hubert Védrine sur la prouesse d’avoir été capable de découvrir des vaccins en quelques mois et l’organisation qui a permis cela.
  • Le second point concerne nos libertés et a été avancé par Dominique Reynié.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un questionnement, non d’une quelconque vérité qui serait révélée.

La question de l’échec de l’institut Pasteur a été évoquée et Hubert Védrine a enchaîné ainsi :

« L’échec de Pasteur évoque quelque chose qui m’amène à douter de l’objectif de bien public mondial pour les vaccins que beaucoup évoque.
Cet objectif, je ne peux pas le contester, c’est une très noble aspiration, très justifiée sur un plan humanitaire et planétaire.

Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin.
Si c’était un bien public mondial, je ne sais pas qui aurait financé la recherche, je ne sais pas qui aurait décidé, je ne sais pas qui aurait produit et qui aurait distribué.
C’est la compétition capitalistique, c’est l’excitation de l’investissement et il faut le reconnaître la décision énorme de Trump en matière de financement de recherche. »

Ce questionnement évidemment heurte ma zone de confort qui croit en la capacité de coopérer des humains et de se dévouer pour les causes humanitaires.

Mon expérience de presque 40 ans de fonctionnaire de l’État français me conduit cependant à reconnaître que l’administration et la force publique ont beaucoup de mal avec l’innovation.

Quand il s’agit de réaliser des procédures connues et des pratiques qui existent déjà, la bureaucratie est capable d’efficacité et de se mobiliser.

Mais ce qui s’est passé là est tout autre.

D’ailleurs le premier vaccin, n’a pas bénéficié de l’apport d’argent public dans la phase de recherche et de réalisation :

Sur ce <site> on lit

«  Entre autres exemples, on y trouve la trace des financements accordés à Johnson & Johnson en mars. Puis à Moderna en avril ou encore les 1,2 milliard de dollars accordés à AstraZeneca. Mais aucune trace de Pfizer. Jusqu’au 22 juillet. Date à laquelle cette entreprise a bel et bien noué un accord avec les Etats-Unis. Non pas pour la recherche et le développement du vaccin mais uniquement pour sa distribution. « Le gouvernement américain a passé une commande initiale de 100 millions de doses pour 1,95 milliard de dollars et pourrait acquérir jusqu’à 500 millions de doses additionnelles »

C’est une entreprise capitalistique qui a lancé sa puissance de financement vers une entreprise innovante en qui elle avait confiance :

« C’est cette entreprise qui a parié sur le laboratoire allemand BioNtech. Et qui l’a financé. « En gros, je leur ai ouvert mon carnet de chèque pour qu’ils ne puissent se soucier que des défis scientifiques, et de rien d’autre » avait ainsi expliqué le PDG de l’entreprise, Albert Bourla. Interrogé en septembre dernier par CBS, il précisait qu’il voulait par cette méthode « libérer » ses chercheurs « de toute bureaucratie ». Tout en gardant sa société « hors de la politique ».

Pfizer a injecté lui-même des sommes astronomiques dans le projet porté par BioNTech. Le laboratoire « recevra un paiement initial de 185 millions de dollars, dont environ 113 millions de dollars en prise de participation, et pourra par la suite recevoir des paiements d’étape, jusqu’à 563 millions de dollars, soit un montant total potentiel de 748 millions de dollars », faisait savoir l’entreprise dans un communiqué. Car c’est ce laboratoire allemand qui possède la technologie novatrice de l’ARN messager (ARNm). Celle qui présente notamment l’avantage de pouvoir être développée rapidement, sans croissance cellulaire, et qui est au cœur du fonctionnement de ce candidat vaccin contre le Covid-19. On est bien dans un partenariat porté par des intérêts privés. Qui ont d’ailleurs permis au couple à la tête de cette PME d’environ 1.500 employés de faire leur entrée dans le classement des 100 Allemands les plus riches.

La recherche de ce nouveau vaccin prometteur a donc essentiellement été payée par son partenaire américain, qui collabore avec BioNTech sur les vaccins contre la grippe depuis 20108. L’Allemagne a toutefois elle aussi mis la main au porte-monnaie. Mais assez tardivement. Berlin a débloqué une aide totale de 375 millions d’euros pour ce groupe le 15 septembre dernier, après que celui-ci avait sollicité le gouvernement en juillet afin d’accélérer les capacités de fabrication et le développement du vaccin sur le marché national. »

Une administration publique a beaucoup de mal à lâcher autant d’argent en se fondant uniquement sur une question de confiance et de pari.

Ce que ces entreprises ont été capables de faire est unique dans l’histoire de l’humanité. Jamais on n’a su mettre au point un vaccin avec un tel taux de réussite en si peu de temps.

Mais pour ce faire il a fallu un financement gigantesque. Évidemment il y a eu une part considérable de financement public mais qui a suivi des financements privés. Et l’ensemble de l’élaboration des vaccins a été à l’initiative de partenaires privés, réactifs, extrêmement agiles.

Le journal <Les Echos> donne un peu plus de précisions sur le sujet du financement.

La bureaucratie ne permet pas cette réactivité. Or l’administration publique n’a pas su inventer, jusqu’à présent, un autre mode d’organisation que la bureaucratie

C’est pourquoi j’ai peur que Hubert Védrine ait raison.

Le second point concerne notre demande d’efficacité et notre capacité à accepter des contraintes de plus en plus fortes sur nos libertés pour retrouver des marges de manœuvre qui tourne beaucoup autour de la consommation même si dans nos propos ce sont le plus souvent des objectifs plus nobles que nous désignons.

Dominique Reynié a tenu ce discours :

« La question de l’efficacité se pose

La crise est planétaire et globale. Cela peut être très long et ce temps-là est un temps de mutation des systèmes démocratiques. Il fait de nos démocraties des régimes un peu plus autoritaires qu’ils ne l’étaient ». […]

La Chine se pose en modèle, avec un pouvoir plus contraignant et un contrôle beaucoup plus fort sur le comportement de ses administrés.

A quoi sommes-nous prêt pour revenir à la vie d’avant ? »

Et Dominique Reynié pointe le doigt sur ce que cela signifie pour beaucoup : une vie de consommateur, non une vie de citoyen. C’est une grande différence :

« Et nous comme nous sommes tous pris dans ces confinements et couvre-feu.
Dans une situation comme la nôtre aujourd’hui, on est en train de réviser, chacune mentalement peut s’observer à le faire, à la baisse nos exigences de liberté.
On veut des marges pas forcément des libertés.

Le risque qu’on se résolve à dire qu’avec nos grandes libertés, on ne va pas y arriver alors choisissons un régime politique dans lequel on aura plus de marge mais moins de liberté substantielle.

On acceptera de présenter son carnet de vaccination, « son QR code » pour aller au concert, on va consommer, on va se balader, on ira au restaurant, on ira en vacances, au moins on aura cette liberté-là, qui n’est pas une liberté substantielle.
C’est ce que les chinois offrent à leurs administrés.
La liberté politique, la vraie liberté on nous demandera d’en faire le deuil, pour bénéficier de cette liberté de consommateur. »

Et Sylvie Kaufmann ajouta :

« Je me souviens que c’est une question que nous avions abordé il y a quelques mois, la question des QR code.
Et Émilie vous m’aviez demandé alors :  est qu’on va faire comme les chinois, montrer notre QR code pour aller au restaurant ?

Moi j’ai dit non, bien sûr parce qu’on ne va pas faire comme les chinois.

Et puis quelques mois plus tard, on s’aperçoit qu’on en débat sérieusement et cela devient une hypothèse plus que plausible. »

Pour celles et ceux qui ignoreraient d’où sort cette idée de QR code, vous trouverez des explications dans ces articles de journaux : « Le Monde » <TousAntiCovid : vers des QR codes dans certains lieux publics à risque>, « L’indépendant » <Vers un QR code pour aller au restaurant ?>

Des questions dérangeantes mais nécessaire pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe.

Je vous invite à écouter cette émission : <En finir avec le virus : un choix politique ?>

<1535>

Lundi 28 septembre 2020

«Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique»
Livre de Stéphane Foucart, Stéphane Horel et de Sylvain Laurens

Entre les croyances et la Science, je suis résolument du côté de la science. Et je le reste !

La croyance, surtout dans le cadre des religions monothéistes, pense détenir la vérité et la réponse à toutes les questions.

La Science c’est le doute, le règne de l’incertitude, la capacité cependant d’écarter ce qui est faux et de trouver des réponses partielles aux questions. Réponses partielles qui cependant ont permis des progrès techniques extraordinaires et notamment de rallonger la vie des humains, comme de lutter très souvent contre la douleur, ce qui n’était pas possible dans les siècles d’avant le XXème. Michel Serres a expliqué plusieurs fois qu’on ne pouvait rien comprendre à la doctrine du « dolorisme » qui était omniprésente dans la religion chrétienne, si on ne se rendait pas compte combien nos ancêtres souffraient au quotidien sans disposer des médicaments ou des moyens médicaux pour l’empêcher.

Evidemment, il est possible que nous soyons un peu désemparé quand le docteur en physique, Laurent Toubiana, chercheur à l’Inserm, où il dirige l’équipe SCEPID (Système Complexes et Epidémiologie) au sein du LIMICS (Laboratoire d’informatique Médicale et d’Ingénierie des Connaissances) affirme que <la pandémie est terminée>, alors que d’autres affirment que la propagation virologique du SRAS V2 est très inquiétante et qu’il est nécessaire de prendre des mesures contraignantes pour la freiner.

Dans son service Checknews, Libération fait appel à d’autres scientifiques pour contester les arguments de ce chercheur : < Sur quoi se fonde l’épidémiologiste Laurent Toubiana pour affirmer que «l’épidémie est terminée» ? >.

Dans le fond ce débat est normal, il est sain.

S’il vous choque c’est que probablement et sans le savoir vous êtes encore très influencés par la religion dont vous êtes issue et qui vous a fait croire, jusque dans vos recoins les plus intimes, que non seulement la vérité existait et qu’en outre il existait des humains qui étaient capable de vous la révéler.

Vous avez simplement remplacé « Dieu » par la « Science ».

Or cela n’a rien à voir.

Dans la Science le savoir est limité et l’incertitude grande.

Et je rappelle toujours cette phrase de Rachid Benzine qui explique cela :

« Le contraire du savoir ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

Mais pour que la Science joue ce rôle éminent que je pourrai décrire par des mots simples comme : « ça oui ! ça c’est peut-être possible ! ça ce n’est probablement pas vrai ! ça c’est faux et surtout, surtout ça je ne le sais pas », il faut qu’elle soit éthique.

C’est-à-dire que le scientifique parle en toute liberté par rapport aux expérimentations et aux études qu’il a menées ou qu’il a pu lire parce qu’elles ont été décrites dans des revues scientifiques rigoureuses contrôlées par des comités de lecteurs qui le sont autant.

Or il y a un problème et ce problème c’est l’argent. L’argent qui corrompt.

Un livre vient de sortir. Je ne sais pas s’il donne toutes les clés, mais il est intéressant qu’il pose le problème et qu’il donne des exemples de ce qu’il prétend.

Ce livre est l’œuvre de Stéphane Foucart, journaliste d’investigation, chargé de la couverture des sciences au sein du journal Le Monde, en particulier des sciences de l’environnement et des sciences de la Terre, de Stéphane Horel également collaboratrice du Monde, ayant réalisé plusieurs enquêtes sur les conflits d’intérêts et les lobbys et Sylvain Laurens, sociologue, maître de conférences à l’EHESS.

Le titre de ce livre édité par les éditions de la Découverte et paru le 24 septembre est « Les gardiens de la raison – Enquête sur la désinformation scientifique »

La première fois que j’ai entendu parlé de ce livre c’est dans l’émission <L’instant M du 24 septembre> de Sonia Devillers dans laquelle les deux journalistes du Monde étaient invités.

Cette émission qui s’est donnée pour titre : « Désinformation scientifique : quand la raison est instrumentalisée par des intérêts privés » explique que l’enquête des journalistes analyse les nouvelles stratégies de lobbying pour peser dans le débat scientifique et médiatique.

Et Sonia Devillers a présenté l’ouvrage ainsi :

« Les auteurs criblent tous les canaux, toutes les voies et les voix qu’empruntent les lobbys de l’industrie pour battre en brèche le principe de précaution et disqualifier les combats pour la santé ou l’environnement. Et ce, au nom de la science. Au nom de la « bonne » science, celle qui n’entraverait en rien le progrès. Traduire : qui n’entraverait en rien la loi du marché. Quels sont ces canaux ? Des maisons d’édition, des journaux, des radios, des chaines de télé et une myriade de blogs, comptes Twitter ou chaînes Youtube. Ainsi que des agences de relations publiques qui fabriquent des arguments scientifiques tout prêts pour journalistes paresseux ou simplement ignorants. Ce livre est dense, précis, fouillé, très polémique, édifiant et passionnant. »

Le journal <L’Humanité> ne tarit pas d’éloges :

« Dans cet ouvrage remarquable, les journalistes Stéphane Foucart et Stéphane Horel démasquent, avec le sociologue Sylvain Laurens, les discours et démarches au service des intérêts privés. Ou comment la science et la raison sont désormais instrumentalisées par un camp réactionnaire. Un travail d’un intérêt public.

Le discours rationaliste est aujourd’hui mis à mal par des acteurs scientifiques et médiatiques qui, prétendant s’appuyer sur les principes de la science, défendent principalement les intérêts des industriels. La remarquable enquête de Stéphane Foucart et Stéphane Horel, deux journalistes, et d’un sociologue, Sylvain Laurens, à propos de ces pseudo-rationalistes met en exergue les logiques argumentatives et les tactiques politiques à l’œuvre dans cette vaste entreprise de désinformation. »

Leur journal « Le Monde » publie bien sûr un article sur ce livre : <C’est la possibilité même de la diffusion de la vérité scientifique auprès du plus grand nombre qui se trouve désormais attaquée.>.

L’article rappelle d’abord ce que l’on sait désormais sur l’industrie du tabac :

« Les procès faits à l’industrie du tabac à la fin des années 1990 ont permis la mise en ligne de millions de documents confidentiels révélant les stratégies de leurs cabinets de relations publiques. Ironie de l’histoire, c’est l’important travail de sensibilisation de l’opinion publique et de diffusion de ces informations par des chercheurs, des ONG et des journalistes qui a précipité la mutation et l’accélération des formes de manipulation de la science par le secteur privé. L’industrie s’est adaptée à cette vague de scandales et de documentation de ses actes. Ce que nous explorons dans ce livre, en somme, ce sont les nouvelles frontières du lobbying et les degrés insoupçonnés de raffinement qu’atteignent désormais les stratégies des firmes pour défendre leurs intérêts en instrumentalisant le savoir. »

La stratégie est de s’appuyer sur des scientifiques ou des personnes qui se prétendent scientifiques pour accuser d’obscurantisme tous ceux qui entraveraient les intérêts des puissantes firmes et écarter toute critique de leurs actions et produits :

« L’enjeu consiste maintenant à prendre position dans l’espace de la médiation scientifique, dans ces lieux où l’on fait la promotion de la science et de son esprit auprès des citoyens, parfois avec l’aide des pouvoirs publics. Prendre position, mais aussi possession. Les arguments de l’industrie étaient parés des atours de la science, ils sont maintenant dissimulés derrière une défense de la science comme bien commun. Chacun a entendu ces affirmations dans le débat public : être contre les pesticides dans leurs usages actuels, interroger certains usages des biotechnologies, critiquer l’industrie du nucléaire, c’est être « contre la science », c’est verser dans l' »obscurantisme ». La stratégie des marchands de pétrole, de plastique, de pesticides et d’alcool consiste désormais à dire ce qu’est la « bonne » science. De ce fait, nous n’assistons plus seulement à un dévoiement de l’expertise scientifique, mais à un détournement plus profond des logiques mêmes de fonctionnement d’un espace public reposant sur un idéal de vérité. »

L’article est plus précis :

« Les firmes s’emploient à faire passer leur matériau de lobbying scientifique pour l’état de la science. Elles veulent voir leurs études validées, agrémentées d’un coup de tampon officiel. Voire financées sur fonds publics. Mais elles ont aussi besoin de disséminer leurs informations et de recruter des défenseurs, parfois à leur insu. […] Mais ceux qui relaient les messages des firmes et de leurs consultants n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils font. Et c’est justement là l’une de ces nouvelles stratégies furtives concoctées par le marketing digital. Pour certaines agences spécialisées dans la manipulation des réseaux sociaux, le nouvel horizon du lobbying scientifique est le citoyen ordinaire, le micro-influencer, comme dit le jargon du métier. Transformé en « relais de terrain », il diffuse des argumentaires conçus et façonnés par d’autres. […]

La description de ces phénomènes risque de choquer des engagements sincères, de heurter ceux qui donnent de leur temps pour faire progresser l’idéal scientifique auprès de différents publics. Car les simples amateurs de science, aussi, sont enrôlés dans cette entreprise de propagande. Dans l’écosytème de la tromperie modern style, la cible privilégiée des influenceurs n’est plus seulement le ministre ou le haut fonctionnaire de la Commission européenne, mais le professeur de biologie de collège, animateur d’un « caféscience », ou l’agronome éclairé, passeur de savoir sur son blog. Ayant pris conscience que leur monde était désormais traversé par ces ruses retorses, certains se plaignent de la récupération de leurs idées à des fins mercantiles. Ainsi, des animateurs de chaînes YouTube ou de blogs scientifiques ont déjà eu la mauvaise surprise de voir leurs logos repris sur des plaquettes de think tanks financés par le secteur privé. »

« Libération » consacre aussi plusieurs articles à ce livre

<La science perd-elle la raison ?> évoque les

« «rationalistes», une petite communauté d’acteurs du monde de la science peu connue du grand public mais dont les luttes internes peuvent avoir des répercussions dans la vie des Français. Il suffit pour mesurer le niveau de tensions de voir le cyclone de réactions qu’a fait naître, avant même sa parution, le livre des journalistes du Monde Stéphane Foucart et Stéphane Horel et du sociologue Sylvain Laurens»

Un autre dans lequel intervient Sylvain Laurens qui affirme : «Le rationalisme est devenu un combat pour le droit de dire des choses fausses»

Un dernier « La fabrique du doute » qui révèle que l’une des cibles du livre est le sociologue Gérald Bronner qui intervient dans beaucoup de médias que j’écoute et qui se veut, en effet, le pourfendeur de l’obscurantisme.

Grâce à Wikipedia on peut aussi lire la défense des personnes attaquées :

« [Stéphane Foucart] met en cause des personnalités faisant la promotion de la rationalité, comme le sociologue Gérald Bronner, le physicien Jean Bricmont, le politologue Virginie Tournay, le psycholinguiste Franck Ramus, le biologiste Marcel Kuntz, le journaliste Laurent Dauré ou encore le Youtubeur Thomas C. Durand. Ces derniers, dans leurs réponses (cf. liens ci-après) pointent les inexactitudes dont selon eux est truffé ce livre, présenté comme une enquête d’investigation, ce qui les amène à s’interroger sur sa réelle compétence journalistique ainsi que sur sa déontologie. »

Voici les liens donnés par Wikipedia :

« Des journalistes du Monde et un sociologue attaquent Jean Bricmont dans un livre : il répond »  sur Le Média pour Tous, 22 septembre 2020

« Un nouveau journalisme : de l’insinuation à l’inquisition. »  sur VIRGINIE TOURNAY, 23 septembre 2020

« Les champions de l’intox » sur Ramus méninges, 19 septembre 2020

Marcel Kuntz, « Merci aux auteurs du livre Les Gardiens de la Raison » sur OGM : environnement, santé et politique

« La RAISON n’est pas un trophée – réponse à Foucart, Horel & Laurens », sur La Menace Théoriste, 12 septembre 2020

« Les naufrageurs de la raison (et de la gauche) : réponse à Foucart, Horel et Laurens » , sur Ruptures, 23 septembre 2020

Ce livre me semble poser des problématiques très salutaires. L’exemple du lobbying de l’industrie du tabac dont on connait aujourd’hui l’histoire montre la réalité de cette menace de l’utilisation de « pseudos connaissance scientifiques » pour défendre des intérêts uniquement industriels et financiers.

Bien entendu, il n’est pas davantage possible de prendre pour vérité certaine toutes les affirmations de ce livre et il faut aussi lire la parole de la défense.

La science n’est jamais le domaine des certitudes.

<1462>

Mardi 30 juin 2020

«Toute la panoplie des instruments que la doxa libérale a longtemps décriée doit continuer à être mobilisée pour lutter contre la crise.»
Daniel Cohen

Daniel Cohen rédige de petites chroniques dans l’Obs comme celle qu’il a publiée le 26 juin 2020 : <Guérir ces maladies du capitalisme révélées par le Covid-19>

Daniel Cohen écrit :

« La montée irrépressible du chômage et des faillites d’entreprises gronde comme un orage qui avance. »

Cet article du 9 juin < les dégâts du virus sur l’emploi> nous donne déjà un petit aperçu de l’orage.

Et Daniel Cohen de poser cette question :

« Comment un choc, somme toute limité à deux mois de vacance de l’activité, peut-il produire un tel cataclysme ?  »

La réponse est dans l’immense fragilité du capitalisme.

Gaël Giraud l’avait déjà expliqué : « Avec cette pandémie, la fragilité de notre système nous explose à la figure », c’était le mot du jour du 7 avril 2020.

Guérir du Covid consiste donc à essayer de réparer ses faiblesses.

Et il pose ainsi le constat :

« Si la France était une personne unique, un « agent représentatif » comme les économistes aiment parfois à penser les nations, la crise serait simple à décrire : atteinte par une maladie imprévue, elle a peu travaillé et peu consommé, passant deux mois à se soigner. Le seul coût rémanent serait le déficit des paiements vis-à-vis du reste du monde, qui mesure le solde des dépenses qu’elle n’a pu couvrir par ses ventes à autrui. Les chiffres disponibles estiment, pour le mois d’avril, un déficit commercial en légère hausse de 1,8 milliard. La France a importé plus de masques et exporté moins d’avions… Le reste de l’ajustement peut s’interpréter comme un jeu à somme nulle entre Français. Si nous étions capables d’agir de manière solidaire, coordonnée, le coût de la crise serait totalement négligeable. »

Si nous étions capables d’agir de manière solidaire…par la coopération. Le système centré en premier sur la compétition montre ici toute sa limite.

Bien sûr, les grandes firmes du numérique continuent à pleinement profiter même de la pandémie.

Le mot du jour du 8 avril 2020 avait déjà donné la parole à Daniel Cohen : « La crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique »

Et il a réitéré cette thèse, début juin, dans WE demain : « On dirait que cette crise a été faite pour les GAFAM »

Enfin il faut être plus précis que cela, l’économiste distingue à l’intérieur des GAFAM

« Les gagnants, on les connaît : ce sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook Amazon, Microsoft) et les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), en réalité moins ceux qui dépendent de la publicité – qui s’est effondrée –, comme Google, que ceux qui ont réinventé le commerce en ligne, comme Amazon. On a le sentiment que cette crise a été faite pour eux : la distanciation sociale condamne toutes les activités où le client et le prestataire sont en vis-à-vis, du commerce traditionnel à la santé ou à l’éducation.

L’objectif du numérique, c’est de réduire les contacts, avec toujours l’obsession de réduire les coûts, d’économiser sur les relations de face-à-face. C’était déjà le rêve du monde bancaire : plus besoin d’agence, de banquier, de cartes puisque tout est dématérialisé. Même chose pour Amazon : pourquoi aller dans une librairie, dans un commerce, faire la queue, alors qu’on peut tout vous apporter chez vous ?…

Idem pour Netflix : pourquoi aller au cinéma, alors qu’une salle représente un coût énorme, et reste sous-utilisée en dehors des soirées et des week-ends ?

L’économie numérique vise à réduire les coûts de tous ces lieux de contact qui font le sel de la civilisation urbaine. Voyez encore les transports en commun : ça peut paraître absurde quand ils sont bondés, mais prendre un bus et traverser une ville fait partie de ces moments de détente dont on prend pleinement conscience quand on ne les a plus et que l’on est enchaîné à des réunions en ligne.

C’est tout ça que l’économie numérique veut affronter. Les grands gagnants sont bien les GAFAM. D’ailleurs, Jeff Bezos est le seul milliardaire qui s’est enrichi pendant la crise. »

Il faudra donc ajouter NETFLIX aux gagnants et probablement au GAFAM

Pour le commun des mortels, les préoccupations immédiates sont plus prosaïques

« Mais les loyers doivent être payés, les traites honorées. Les inégalités traversant la société créent des phénomènes irréversibles, qui laissent des traces durables sur le corps social. Quand une firme fait faillite ou qu’un salarié est licencié, c’est comme un arbre qu’on abat. La défaillance des uns n’est pas compensée par la bonne santé (relative) des autres. »

Daniel Cohen montre une autre fragilité du système, celle d’être incapable de se poser mais d’être toujours dans l’anticipation de ce qui doit arriver de sorte le plus souvent de créer ce que l’on a craint :

« La seconde fragilité du capitalisme est son extrême sensibilité à l’égard du futur. Si les firmes pensent que la situation va s’aggraver, les embauches ralentissent et la situation s’aggrave vraiment : les crises peuvent être autoréalisatrices. C’est l’une des différences majeures avec les lois de la physique. En économie, l’anticipation d’un événement peut suffire à le déclencher. L’incertitude liée à la crise sanitaire est d’une autre nature mais tout aussi radicale : on ne sait quel modèle utiliser pour appréhender son évolution. […] Tant que ces questions n’auront pas de réponses, les entreprises resteront attentistes, et aucune ne prendra le risque de recruter. C’est pour cette raison que le flux normal d’entrée et sortie du marché du travail est désormais bloqué et le chômage en train d’exploser. »

Daniel Cohen esquisse des idées et des actions à mener. Elles ne sont pas dans la panoplie du parfait libéral.

« La montée des inégalités et la peur de l’incertitude sont les deux maladies que les politiques publiques doivent guérir. Eviter les licenciements, soutenir les secteurs les plus menacés, maintenir le revenu des personnes en difficulté : toute la panoplie des instruments que la doxa libérale a longtemps décriée doit continuer à être mobilisée pour lutter contre la crise. Une contribution exceptionnelle permettant de payer les loyers des victimes de la crise pourrait être aussi envisagée.

Il faut également réfléchir à des mécanismes innovants, adaptés à l’incertitude du moment. L’économiste Joseph Stiglitz proposait ainsi d’inventer des contrats contingents à l’évolution du virus. Par exemple : vous achetez un appartement à crédit mais le contrat prévoit une clause qui retarde les échéances en fonction de la pandémie. Le coût du report du paiement (pas l’échéance elle-même) serait pris en charge par l’Etat. Une indemnisation plus généreuse du chômage pourrait également être accordée, en alignant le retour à la normale à l’évolution de la situation du marché de l’emploi. Une crise aussi extraordinaire que celle que nous connaissons exige des idées nouvelles. »

Il faut, en effet, des idées nouvelles.

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Mardi 24 juin 2020

«Requiem pour Wolf Musique, institution de la vie musicale européenne depuis près de deux siècles.»
Titre du Figaro annonçant la fermeture de ce magasin de musique de Strasbourg

C’était une institution strasbourgeoise de 195 ans, située 24 rue de la Mésange. C’est-à-dire la rue qui relie la Place de Broglie où se trouve l’Hôtel de ville et l’Opéra du Rhin et la Rue des Arcades qui permet d’atteindre, en deux pas, la Place Kléber. Nous sommes dans l’hyper centre de Strasbourg.

Cette institution était un magasin de musique : « Wolf Musique » l’un des plus anciens magasins de musique de France.

Ce magasin a été fondé en 1825 par Seeligman Wolf, négociant juif dont la famille venait d’Allemagne.

Mais en 1825, Strasbourg était française et la France était dans cette période que l’on appelait « La Restauration ». Charles X venait de succéder à son frère, Louis XVIII décédé en septembre 1824.

Strasbourg va devenir allemand entre 1870 et 1918.

C’est pendant cette période, qu’en 1905 c’est passé un évènement qui faisait, encore de nos jours, la fierté de ce magasin :

C’est <Le Figaro> qui le raconte le plus précisément :

« Mais sa légende, c’est à deux compositeurs qu’il la doit. Dix ans plus tard, à l’été 1905, Richard Strauss et Gustav Mahler se retrouveront dans sa boutique. Là, au milieu des instruments, Strauss s’accompagnant lui-même au piano, lui fera lecture, en chantant, de son opéra Salomé tout juste achevé. Alma Mahler, épouse du chef et compositeur, témoignera de la réaction enthousiaste de ce dernier en même temps que de l’excitation du moment : « Nous arrivâmes au passage de la Danse des sept voiles. « Ça, je ne l’ai pas encore écrit », dit Strauss, et il continua à jouer, après ce grand vide, jusqu’à la fin. Mahler suggéra : « N’est-il pas dangereux de laisser de côté la danse, et de l’écrire plus tard quand on n’est plus dans l’atmosphère du travail ? » Alors Strauss se mit à rire de son rire frivole : « ça, j’en fais mon affaire ! » » Quelques semaines plus tard, à tête reposée, Mahler lui-même exprimera par écrit à Strauss, encore grisé par l’émotion :

« C’est votre sommet. Oui, je prétends que rien de ce que vous avez écrit jusqu’à présent ne peut se comparer à cela…» »

Wolf Musique était une véritable institution pour tout le monde musical français et une bonne partie du monde musicale d’outre-Rhin.

La boutique avait commencé, en 1825, par vendre des partitions, au début du XXème siècle des instruments s’y ajoutèrent.

Lazare Wolf, fils du fondateur, eu l’idée d’ajouter à son activité de vente, l’organisation de concerts.

Et c’est ainsi que les plus grands musiciens se sont retrouvés dans le magasin ou liés d’une manière ou d’une autre à l’institution. Richard Strauss et Gustav Mahler qui dirigèrent des concerts de leurs œuvres à Strasbourg dans des concerts organisés par Wolf Musique furent les plus grands. Mais on peut aussi citer Hans von Bülow, Furtwaengler, Klemperer et Charles Münch le régional de l’étape.

Après les années 1950, le magasin vendit aussi des disques et du matériel Hifi. Lors des 3 années que j’ai passées à Strasbourg entre 1976 et 1979, j’y allais régulièrement pour les disques. Je me souviens même d’y avoir acheté les 9 symphonies de Beethoven par Klemperer. La FNAC est arrivée à Strasbourg en 1978, Wolf a pu résister 10 ans pendant lesquels il a encore vendu des disques.

Le séisme provoqué par l’arrivée des grandes surfaces contraint Wolf Musique à se recentrer sur la vente d’instruments de musique et de partitions.

Wolf Musique créa aussi le célèbre Festival de Musique de Strasbourg.

La première édition eut lieu en 1932 avec le Philharmonique de Berlin sous la direction de Furtwängler. Wolf musique continua à participer à l’organisation de ce festival jusqu’en 2013. En 2014 le festival s’arrêta suite au dépôt de bilan de la Société des Amis de la Musique de Strasbourg… Dépôt de bilan annonciateur de celui de Wolf Musique, six années plus tard : fragilisé comme de nombreux professionnels du secteur par la montée en puissance d’internet, la vente en ligne puis par la baisse de clientèle liée aux attentats de 2015, qui ont amené les autorités à renforcer les mesures de sécurité autour du marché de Noël et à boucler une partie du centre-ville.

La pandémie lui aura donné le coup de grâce. Wolf Musique, n’a pas survécu à la crise économique liée au coronavirus, la boutique a baissé son rideau définitivement samedi 13 juin 2020.

Le magasin comptait encore 6 salariés. Dans les années 1960, Wolf Musique connaissait son âge d’or avec 49 employés répartis dans 9 boutiques

Cette fermeture n’est pas passée inaperçue, les sites et journaux ont donné un écho à cet évènement :

France Musique : <A Strasbourg, fermeture de Wolf, l’un des plus anciens magasins de musique de France>

Le Figaro <Requiem pour Wolf Musique, institution de la vie musicale européenne depuis près de deux siècles>

Le Parisien : <Strasbourg : Wolf, le plus vieux magasin de musique de province, tire le rideau>

Le Monde : <A Strasbourg, Wolf, institution du monde de la musique, fait entendre ses dernières notes>

Cette faillite, rendue inéluctable par la perte de son chiffre d’affaires liée au Covid-19, n’est pas un cas isolé. Il vient s’ajouter à une liste hélas grandissante de vénérables lieux de culture et de musique, victimes un peu partout dans le monde des conséquences économiques du coronavirus.

Le Figaro écrit :

« C’est ainsi que l’on a appris, il y a quarante-huit heures, la fermeture du plus ancien disquaire de Manhattan, à New York : Record Mart, fondé en 1958. Le mois dernier, c’était aussi le choc pour de nombreux mélomanes et musiciens néerlandais, qui découvraient que Hampe & Berkel, la plus ancienne boutique d’instruments et partitions d’Amsterdam, venait de mettre définitivement la clef sous la porte, après 178 ans de bons et loyaux services. »

Le monde de la musique et plus généralement de la culture est terriblement impacté par cette crise économique.

Souvent des institutions étaient déjà fragilisées en raison de l’évolution des modes de consommation, le COVID-19 a été dans ces cas l’épreuve de trop..

D’autres commerces aussi sont impactées.

Que deviendront nos villes quand un nombre de plus en plus important de commerces fermeront leurs portes et leurs vitrines ?

On me dit qu’Amazon va bien…

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Jeudi 11 juin 2020

«L’idée même d’un système désigné sous le terme d’«économie» est un concept relativement récent. Il aurait été incompréhensible pour Luther, Shakespeare ou Voltaire»
David Graeber

Nous avons donc appuyé sur le bouton « Stop » de l’économie pour nous confiner., L’épidémiologiste, Martin Blachier, a expliqué dans l’émission « C en l’air de France > que c’était l’arme atomique pour lutter contre le virus.

Cette émission qui reprenant les informations de l’OMS nous annonce que si en Europe la pandémie est en recul, sur le plan mondial elle s’aggrave. Les États-Unis restent très touchés, l’Amérique du sud, l’Inde, l’Iran constatent une aggravation. Dimanche dernier le 7 juin a constitué, dans le monde, le bilan le plus élevé concernant les nouveaux cas de contamination.

Désormais, en Europe et aussi aux Etats-Unis il est surtout question de relancer l’Économie.

Jean-François de Dijon a attiré mon attention sur une tribune publiée le 27 mai dans Libération : <David Graeber : vers une «bullshit economy»>

David Graeber a été cité deux fois dans le mot du jour, sans en être le sujet principal :

  • La première fois, c’était le 4 novembre 2013. Cet article était consacré à la dette et plus précisément au concept allemand « Die Schuld » qui utilise le même mot pour désigner la dette et la faute ou la culpabilité.
  • La seconde fois, c’était beaucoup plus récemment le 21 mars 2019, dans lequel il était question des « Juicers », c’est-à-dire ces personnes qui sont chargées de chercher et de recharger électriquement les trottinettes qui encombrent les trottoirs de nos villes.

En fait, David Graber anthropologue américain a écrit un livre sur chacun de ces sujets.

Le premier consacré à la dette : « Dette : 5000 ans d’Histoire » publié en 2013, le second consacré au « Bullshit job » publié en 2018 et dont la traduction française la plus immédiate pourrait être : « Les emplois à la con ».

Il reprend donc le terme de « bullshit » dans sa tribune pour l’appliquer à l’économie, l’économie qu’on veut relancer. Il explique d’abord que le terme économie est un concept récent qui date du XIXème siècle :

« Bien que cette notion soit aujourd’hui considérée comme un fait naturel, l’idée même d’un système désigné sous le terme d’«économie» est un concept relativement récent. Il aurait été incompréhensible pour Luther, Shakespeare ou Voltaire. Peu à peu, la société a accepté son existence, mais la réalité qu’il recouvre est restée mouvante. Ainsi, lorsque le terme d’«économie politique» est entré dans l’usage courant, au début du XIXe siècle, l’idée qu’il désignait était très proche de l’«écologie» (sa cousine étymologique) : les deux termes s’appliquaient à des systèmes dont on considérait qu’ils se régulaient d’eux-mêmes, et qui, tant qu’ils conservaient leur équilibre naturel, produisaient un surcroît de richesse – profits, croissance, nature abondante… – dont les humains pouvaient jouir sans limite. »

Il applique dès lors sa méthode d’analyse toujours décapante aux boulots générés par l’économie en s’appuyant sur quelques leçons tirées du confinement :

« Mais il semble que nous ayons atteint un stade où l’économie désigne non pas un mécanisme censé pourvoir aux besoins humains ou même à leurs désirs, mais majoritairement à ce petit surplus, la cerise sur le gâteau : ce qui naît de l’augmentation du PIB. Pourtant, le confinement nous l’a assez montré : ce n’est que de la poudre aux yeux. Pour le dire autrement, nous avons atteint le point où l’économie n’est qu’un vaste nom de code pour une bullshit economy, une «économie à la con» : elle produit de l’excès, mais non un excès glorifié pour sa propre superfluité, comme l’aristocratie aurait pu le faire jadis – un excès cultivé avec violence et présenté comme le royaume de la nécessité, de l’«utilité», de la «productivité», bref, d’un réalisme froid et forcené.

Or ce qu’on nous sommes en train de faire repartir en «relançant l’économie», c’est précisément ce secteur à la con où des managers supervisent d’autres managers, le monde des consultants en RH et du télémarketing, des chefs de marques, des doyens supérieurs et autres vice-présidents du développement créatif (secondés par leur cohorte d’assistants), le monde des administrateurs d’écoles et d’hôpitaux, ceux et celles qu’on paie grassement pour «designer» les visuels des magazines dédiés à la «culture» en papier glacé de ces entreprises dont les cols-bleus à effectif réduit et en perpétuelle surchauffe sont forcés de s’atteler à des monceaux de paperasserie superflue. Tous ces gens dont le boulot, en somme, consiste à vous convaincre que leur boulot ne relève pas de l’aberration pure et simple. Dans l’univers corporate, nombreux sont les employés qui n’ont pas attendu le début du confinement pour être intimement convaincus qu’ils n’apportaient rien à la société. Aujourd’hui, travaillant presque tous à domicile, ils sont bien obligés de regarder la réalité en face : la partie nécessaire de leur travail quotidien est pliée en un quart d’heure ; mieux, les tâches qui doivent impérativement être effectuées sur place – attendu qu’elles existent – le sont beaucoup plus efficacement en leur absence. Un coin du voile a été levé, et les appels à « faire repartir l’économie» dominent dans le chœur de nos politiques, terrifiés à l’idée que le voile pourrait se lever pour de bon si on tarde trop à venir le baisser. »

Je pense qu’il doit être possible de nuancer son propos. Toutefois, certaines de ses diatribes trouvent quand même quelque écho dans notre vécu. Non ?

Il continue résolument en impliquant la classe politique et le monde de la financiarisation :

« Cette question est d’une importance cruciale pour la classe politique en particulier, car c’est fondamentalement une question de pouvoir. Tous ces bataillons de larbins, de gratte-papier et de rafistoleurs professionnels, je crois qu’il faut les voir comme la version contemporaine du serviteur féodal. Leur existence est la conséquence logique de la financiarisation, ce système où les bénéfices de l’entreprise découlent non pas de la production ou même de la commercialisation de biens quelconques, mais d’une alliance toujours plus forte entre les bureaucraties entrepreneuriales et gouvernementales, créées pour produire de la dette privée et devenant de plus en plus nébuleuses à mesure qu’elles s’imbriquent. »

Et il donne un exemple, sans préciser dans quel pays cette histoire a eu lieu. Mais là aussi notre expérience nous conduit à croire crédible ce récit :

« Pour donner un exemple concret de ce système : récemment, une amie artiste s’est mise à fabriquer des masques en quantité industrielle pour les offrir à celles et ceux qui travaillent en première ligne. Et voilà qu’elle reçoit un communiqué en vertu duquel il lui est interdit de distribuer des masques, même gratuitement, sans avoir préalablement souscrit à une licence très onéreuse. Une demande à laquelle personne ne pourrait satisfaire sans emprunter ; ainsi, on ne demande pas seulement à l’individu de commercialiser son opération, mais aussi de fournir à l’appareil financier sa part de toutes les recettes futures. N’importe quel système fonctionnant sur le principe d’une simple extraction de fonds serait ainsi censé redistribuer au moins une part du gâteau pour gagner la loyauté d’une certaine partie de la population – ici, en l’occurrence, les classes managériales. D’où les boulots à la con. »

Il exprime cette idée qu’il partage avec d’autres comme Bruno Latour :

« Il est évident que nous nous porterions mieux si de nombreux emplois mis entre parenthèses étaient bientôt rétablis ; mais il y en a peut-être davantage encore que l’on aurait tout intérêt à ne pas voir revenir – à plus forte raison si nous voulons éviter la catastrophe climatique absolue. (Songeons un peu à la masse de CO2 recrachée dans l’atmosphère et au nombre d’espèces animales éradiquées pour toujours, à seule fin d’alimenter la vanité de ces bureaucrates qui, plutôt que de laisser leurs laquais travailler de chez eux, préfèrent les garder sous la main en haut de leurs tours scintillantes.) »

On peut cependant rétorquer que ces boulots donnent des emplois et des revenus. Et que trouver d’autres voies permettant à ces personnes de trouver des sources de revenus n’est peut-être ni évident, ni immédiat.

Il s’attaque alors à un autre « totem » de l’économie actuelle : « la productivité »

Si tout cela ne nous semble pas criant de vérité, si nous ne nous questionnons pas plus que ça sur le bien-fondé de la relance de l’économie, c’est parce qu’on nous a habitués à penser les économies à l’aune de cette vieille catégorie du XXe siècle, la fameuse «productivité». […] On sait aussi que les stocks de frigos, de blousons en cuir, de cartouches d’imprimantes et autres produits d’entretien ne se réapprovisionneront pas tout seuls. Mais si la crise actuelle nous a permis de tirer un constat, c’est bien que seule une infime partie de l’emploi, même le plus indispensable, est véritablement « productive » au sens classique – à savoir qu’elle produit un objet physique qui n’existait pas auparavant. Et la plupart des emplois « essentiels » sont en fait une déclinaison de la chaîne du soin : s’occuper de quelqu’un, soigner un malade, enseigner à des élèves, déplacer, réparer, nettoyer et protéger des objets, pourvoir aux besoins d’autres êtres ou leur garantir les conditions dans lesquelles ils peuvent s’épanouir. Ainsi, les gens commencent à se rendre compte que notre système de compensation est éminemment pervers, car plus on travaille pour soigner les autres ou les enrichir de quelque manière que ce soit, moins on est susceptible d’être payé.

Ce que l’on perçoit moins, c’est à quel point le culte de la productivité, dont la principale raison d’être est de justifier ce système, a atteint un point où il se grippe lui-même. Tout doit être productif : aux Etats-Unis, le bureau des statistiques de la Réserve fédérale [la Banque centrale américaine] va jusqu’à mesurer la « productivité » de l’immobilier ! Où l’on voit bien que le terme n’est qu’un euphémisme désignant en réalité les « bénéfices ». Mais les chiffres émanant de cet organisme montrent aussi que la productivité des secteurs de l’éducation et de la santé est en berne. Il suffit de faire quelques recherches pour constater que les secteurs du soin sont précisément ceux qui sont le plus submergés par des mers, des océans de paperasse ayant pour but ultime de traduire des résultats qualitatifs en données quantitatives, lesquelles pourront ensuite être intégrées à des tableaux Excel, afin de prouver que ce travail a une quelconque valeur productive – en faisant évidemment obstacle à l’enseignement, à l’accompagnement ou aux soins bien réels. »

Sa conclusion est un appel au vivant, à prendre soins les uns des autres et de repenser les indicateurs qui doivent guider notre activité.

On comprend alors que les exhortations à relancer l’économie ne sont que des incitations à risquer notre vie pour permettre aux comptables de retrouver le chemin de leur box. C’est pure folie. Si l’économie peut avoir un sens réel et tangible, ce doit être celui-ci : les moyens grâce auxquels les êtres humains pourront prendre soin les uns des autres, et rester vivants, dans tous les sens du terme. Qu’exigerait cette nouvelle définition de l’économie ? De quels indicateurs aurait-elle besoin ? Ou faudrait-il renoncer définitivement à tous les indicateurs ? Si la chose s’avère impossible, si ce concept est déjà trop saturé d’hypothèses fallacieuses, nous serions bien inspirés de nous souvenir qu’avant-hier, l’économie n’existait pas. Peut-être que cette idée a fait son temps.

 On peut ne pas être d’accord avec toutes ses assertions, mais on ne peut nier que son analyse est revitalisante et pose questions

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Mardi 9 juin 2020

«En envoyant simplement de la nourriture et des vêtements à ces personnes, nous soulageons sans doute notre conscience mais nous les privons de ce que tout un chacun aspire : avoir un travail, gagner de l’argent, décrocher diverses opportunités d’apprendre, aller à l’école et ainsi de suite. Nous n’entendons pas les véritables besoins de ces gens-là.»
Leilah Janah, fondatrice de Samasource association visant à donner des emplois dans le numérique à des personnes pauvres et défavorisées

En février de cette année, attiré par la Une du Point « Trump : l’Homme qu’il fallait prendre au sérieux », j’ai acheté l’hebdomadaire.

La lecture de l’article consacré à « l’agent orange » comme l’appelle Spike Lee ne m’a pas beaucoup inspiré.

Mais après les évènements qui se passent actuellement aux États-Unis je suis revenu vers ce numéro pour réexaminer la question.

Il n’y a pas grand-chose à en tirer, l’homme est vulgaire, peu cultivé, adepte des rapports de force, très égocentrique, ayant un rapport lointain avec la vérité.

Certains lui trouvent un certain sens politique, capable de comprendre une grande partie des électeurs, de les flatter et grâce à sa démagogie d’obtenir leur vote.

Mais pour ce faire, il est capable de dire n’importe quoi et surtout privilégie toujours le court terme en se moquant éperdument de ce qui peut arriver plus tard.

En pratique, il en appelle toujours aux instincts les plus bas, les plus égoïstes, les plus cupides qu’on peut trouver dans l’âme humaine.

Mais en parcourant ce numéro je suis tombé sur un tout petit article qui a attiré mon attention.

Le titre de cet article était : « Le dernier message de Leila Janah »

« Connaissez-vous Tolbi ? Il s’agit d’un objet connecté mis au point par un groupe d’élèves ingénieurs de l’École supérieure polytechnique de Dakar. Doté d’un capteur d’hygrométrie, il est capable de renseigner sur le besoin d’arrosage des plantes de manière extrêmement localisée, permettant de précieuses économies d’eau.

Il est accessible via un téléphone basique et s’adresse à des personnes qui ne savent pas forcément lire et écrire grâce à la transmission d’informations dans les langues locales, comme le wolof. […]

Utiliser l’intelligence artificielle pour aider les plus pauvres à s’en sortir : c’est ce qui a motivé tout au long de sa vie Leila Janah. Cette femme américaine d’origine indienne a créé Samasource, qui compte quelque 11 000 salariés et a noué des partenariats avec des entreprises comme Walmart, General Motors ou Microsoft. »

Pour une fois Wikipedia ne donne, pour l’instant, aucune information sur cette jeune femme. Je veux dire le Wikipedia en français, la version anglaise, lui consacre bien <un article>

Je suis abonné au Monde et à Libération. J’ai donc cherché un article sur cette femme dans ces deux quotidiens. Ni l’un, ni l’autre n’a jamais parlé de cette jeune femme, fille d’immigrés indiens, installée aux Etats-Unis.

Enfin, j’ai trouvé un article sur une page annexe du site de l’Obs datant de novembre 2016 : <Leila Janah le visage du caritatif nouvelle génération>

« Leila Janah, avec son association à but non lucratif Sama, assume pleinement son côté startuppeuse et une communication décomplexée. Au Kenya ou en Ouganda, elle vient en aide à des populations défavorisées en les formant aux métiers du Web. […]

En 2008, elle a fondé Samasource, une association à but non lucratif qui vise à former des personnes au Kenya aux métiers du Web et ainsi leur donner accès à des emplois qui ne nécessitent pas d’être localisés dans la Silicon Valley. […] « J’ai passé presque une décennie de ma vie à travailler d’abord comme professeur d’anglais, puis comme traductrice et chercheuse, et, par-dessus tout, comme une idéaliste. Je suis devenue très cynique par rapport au mouvement contre la pauvreté : tout le monde semblait voir les pauvres comme fondamentalement dans le besoin, comme des consommateurs passifs […], mais jamais comme des producteurs. […] »

En cherchant un peu plus, j’ai aussi trouvé un article d’avril 2017 du magazine « Usbek & Rica » qui poursuit l’objectif d’«explorer le futur » : <Leila Janah : l’économie numérique peut sortir des milliers de gens de la pauvreté> :

« On appelle ça l’« impact sourcing » : la démarche consiste à faire appel à une main d’œuvre issue de milieux défavorisés, dans l’idée de marier économie marchande et économie d’entraide. En 2005, diplômée d’Harvard et alors consultante en sous-traitance, Leila Janah visite un call-center de Bombay et réalise que seule la classe moyenne a la possibilité d’y travailler. Quid des milliers d’habitants des bidonvilles ?

Convaincue que la réponse à la pauvreté ne peut être que l’emploi, elle crée Samasource – « sama » signifie « égal » en sanscrit – une ONG via laquelle elle emploie des personnes vivant sous le seuil de pauvreté afin qu’ils fournissent des services numériques à de grandes entreprises comme Google, Microsoft ou LinkedIn.»

Dans cet entretien elle explique avoir été inspirée par Muhammad Yunus le créateur de la micro-finance et prix Nobel de la paix en 2006.

«Ma vision était de créer une entreprise qui embaucherait et paierait des personnes à très bas revenus afin de les sortir de la pauvreté directement grâce à l’économie numérique. L’idée était d’appliquer à la sous-traitance ce que Muhammad Yunus a fait pour le secteur bancaire. En constatant que le système financier excluait complètement les plus pauvres, qui n’avaient pas besoin de gros crédits mais n’avaient aucun moyen d’avoir accès à du capital, Yunus a créé la micro-finance, et cela me fascinait. Je me suis demandée si on pouvait faire la même chose pour le numérique : décomposer les projets numériques en petites tâches et apprendre aux gens à les réaliser. Grâce au micro-travail, nous avons employé plus de 8 000 personnes. Et comme chacune de ces personnes subvient aux besoins de quatre autres personnes, nous avons sorti 35 000 personnes de la pauvreté. »

Elle répond à la question de la sous-traitance qui aux yeux de certains constituent un dévoiement des circuits économiques, en expliquant que si les objectifs sont éthiques ces processus sont positifs :

« La sous-traitance est inévitable. Contrairement à ce que peuvent faire croire certains politiciens qui en ont fait un gros mot, comme Trump ou d’autres. En 2017, on sous-traite tout. Les matériaux des chaises sur lesquelles nous sommes assises proviennent du monde entier, l’ordinateur que vous utilisez n’a rien de français, tout est sous-traité. En revanche, il faut se demander : est-ce que les biens sont produits de façon équitable ? Est ce que les gens qui les fabriquent sont payés correctement ? Par correctement, j’entends : est-ce qu’ils gagnent un salaire décent ? Au Kenya, ce n’est pas très compliqué de payer quelqu’un à un salaire décent même si ça coûte évidemment plus cher que de les payer au plus bas salaire possible comme le font beaucoup d’entreprises. Mais je suis convaincue qu’en payant mieux ses salariés, on les fidélise et on construit une entreprise qui aura plus de valeur sur le long terme. […] Au Kenya par exemple, je crois pouvoir dire que nous sommes le meilleur employeur du pays. Nos employés nous le disent. Nous offrons trois repas par jour, les transports domicile-bureau, payons les heures supplémentaires, les congés maladie, les congés maternité… Nous rendons public sur notre site, tous les trois mois, le bilan de notre impact social. Nous savons qu’en moyenne nos employés augmentent leurs revenus de 400 % après avoir travaillé avec nous. »

Enfin j’ai encore trouvé un article de « Forbes » qui décrit la personnalité et la démarche de Leila Janah : <Leila Janah : Des racines et des ailes> :

« Fondatrice de Samasource et LXMI, l’entrepreneure Leila Janah a peaufiné, au gré de ses pérégrinations, une manière totalement novatrice d’aborder les thématiques de l’humanitaire et du caritatif engoncées dans un modèle sclérosé, en rendant aux populations les plus vulnérables les clés de leur destin via le digital. […]

« En envoyant simplement de la nourriture et des vêtements à ces personnes, nous soulageons sans doute notre conscience mais nous les privons de ce que tout un chacun aspire : avoir un travail, gagner de l’argent, décrocher diverses opportunités d’apprendre, aller à l’école et ainsi de suite. Nous n’entendons pas les véritables besoins de ces gens-là ». Le constat est implacable de lucidité, et, forte de ce postulat, Leila Janah s’évertue à faire bouger les lignes dans le domaine des aides internationales en redonnant aux principaux concernés la maîtrise de leur existence. Objectif affiché : les extirper de cette position attentiste en étant essentiellement tributaire du bon vouloir des pouvoirs publics locaux. Et c’est peu dire que la sémillante entrepreneure, née à New York il y a 34 ans, maîtrise son sujet, elle qui, dès les prémices, s’est battue pour réussir. « J’ai été acceptée à Harvard mais ma famille ne disposait pas de suffisamment de ressources pour subvenir à mes besoins à l’université et j’ai dû, comme beaucoup, travailler en dehors de mes heures de cours pour pouvoir payer mes études. J’avais trois jobs différents à cette époque », souligne la jeune femme.

Au-delà de son cas personnel sans commune mesure par rapport à ce qu’elle va découvrir tout au long de ses moult périples, Leila Janah a déjà à cœur de s’intéresser aux autres et à la manière dont ils vivent. Elle est ainsi rapidement sensibilisée aux problématiques de l’humanitaire – et confrontée à leurs limites – lors d’un voyage d’un mois dans un village reculé du Ghana, avant justement de rejoindre Harvard. Une révélation. « Cela m’a vraiment aidé à être sûre de ce que je voulais faire plus tard ». Et déjà, les premières interrogations commencent à poindre. « Je me demandais pourquoi cette communauté était si pauvre alors que tout le monde travaillait dur dans les fermes et les champs. Certains d’entre eux allaient vendre de petits objets et de la nourriture au bord de la route. Ils avaient instauré un petit système de commerce à leur échelle, sauf que personne ne gagnait plus de 2$ par jour ». Mais la dignité de ses hommes et de ses femmes suscite l’admiration de Leila Janah. « C’était particulièrement désarçonnant de voir ces gens vivre dans de telles conditions, tout en étant heureux, souriants, et accueillants ». […]

Mais si la frustration est immense, Leila Janah n’est pas une femme à demeurer et à se complaire dans le constat d’urgence. Elle se met rapidement en quête de solutions et laboure de nombreuses terres de réflexion pour tenter de trouver – à son échelle – des alternatives aux solutions humanitaires dites classiques. « J’ai donc décidé d’étudier l’économie du développement pour pouvoir véritablement comprendre le problème. Pourquoi, par exemple, les gens sont si pauvres alors qu’ils sont résolument demandeurs d’un travail et ne ménagent pas leur peine ? Ou encore : quel impact a eu le colonialisme sur le seuil de pauvreté de ces pays ? À ce stade, je ne pouvais plus ignorer ces questions, il fallait que je trouve les réponses ». Or, aucune d’entre elles ne se trouvent dans la quiétude et le confort américains, et « la réalité du terrain » rattrape Leila Janah qui a, chevillée au corps – et au cœur -, cette volonté indéfectible de comprendre. « À partir de là, je passais tous mes étés à faire des stages en Afrique ou en Asie pour essayer d’aborder et d’apprécier, sous différents angles, la globalité du problème. Je travaillais avec des ONG d’autres organismes humanitaires, puis j’ai commencé à travailler pour La Banque Mondiale ». […]

« Quand les gens commencent à gagner de l’argent, ils réinvestissent le fruit de leur travail à une échelle locale, surtout les femmes. Elles investissent, en effet, près de 90% de leurs potentiels bénéfices dans leur famille et leur communauté, l’éducation de leurs enfants, la nourriture, et ainsi de suite. La meilleure stratégie de développement que les aides internationales peuvent fournir est de donner un travail à ces femmes afin qu’elles puissent gagner de l’argent, et les laisser le gérer comme elles l’entendent », diagnostique Leila Janah. Samasource est sur rampe de lancement et sortira finalement de terre en 2007. L’idée est simple : alors que les « produits physiques » peuvent rencontrer une multitude de problèmes, notamment d’acheminement, la « matière digitale » s’affranchit, de facto, de ce genre de considérations. « Tout ce dont vous avez besoin c’est d’électricité pour avoir une connexion internet, et même cela, nous pouvons l’obtenir grâce à l’énergie solaire. Ce qu’on ne peut pas faire avec des structures physiques, nous le faisons avec le digital ». […]

La réussite de Samasource n’est pas une fin en soi et déjà Leila Janah fourmille de projets. Sa seconde aventure entrepreneuriale baptisée LXMI, une gamme de produits et de crèmes de soins haute gamme, reprenant peu ou prou les codes de Samasource, mais dans le domaine du cosmétique et de la beauté, l’accapare également. « LXMI est présent dans tous les Sephora américains (300 magasins + Internet), et nous sommes la première marque de cosmétique engagée dans le développement durable. Le but est de créer un produit de luxe bio et issu du commerce équitable, avec une esthétique très travaillée ». L’entrepreneure s’attelle également à l’écriture d’un livre attendu dans toutes les librairies américaines le 12 septembre prochain et intitulé « Give Work » qui relatera justement ses pérégrinations et reviendra par le menu sur l’aventure Samasource et LXMI. Celle qui, sur les réseaux sociaux, se géolocalise à « San Francisco ou dans une valise » n’a pas fini d’arpenter le globe. Toujours au service des autres. »

Alors pour revenir à l’article du Point : « Le dernier message de Leila Janah »

Ce dernier message fut un tweet en novembre 2019 :

Il y a onze ans, quand je me suis lancée en voulant utiliser l’intelligence artificielle pour aider les Africains avec de grandes entreprises, tout le monde croyait que j’allais échouer ».

C’était son dernier message parce que cette femme brillante, pleine d’énergie, engagé dans le monde tel qu’il est mais pour aider à faire grandir les valeurs auxquelles elle était attachée, a quitté la communauté des vivants, à l’âge de 37 ans, le 24 janvier 2020.

Elle souffrait du sarcome épithélioïde, une forme rare de cancer qui lui avait été diagnostiquée en avril 2019

En septembre 2019 elle a publié sur Instagram une photo sur laquelle elle n’avait plus de cheveux, mais toujours ce regard plein de lumière. Elle remerciait les personnes qui lui ont écrit de doux messages.

Le site informatique « Dailygeekshow » lui a rendu hommage : « C’était une femme brillante qui a rendu le monde meilleur »

« Leila Janah était une brillante entrepreneuse de la Silicon Valley. Elle a fondé Samasource en 2008 qui « fournit des données de formation de haute qualité et la validation des principales technologies d’IA (intelligence artificielle) au monde.  Leila a dirigé un mouvement mondial de sourcing d’impact et a été une championne de la durabilité environnementale et de l’élimination de la pauvreté dans le monde. Elle a été la fondatrice et PDG de trois organisations, toutes ayant pour mission commune de « donner du travail » : Samasource, un leader technologique mondial à but lucratif dans les données de formation pour l’IA ; LXMI, une entreprise de soins de la peau biologiques et équitables ; et Samaschool, un organisme à but non lucratif axé sur la requalification de la nouvelle économie. […]

Leila Janah et sa société sont parvenues à fournir un travail raisonnablement rémunéré à plus de 50 000 personnes. Elle avait d’ailleurs raconté l’histoire de Vanessa Lucky Kanyi, une Kenyane qui travaillait avant pour seulement 1 $ par jour, ce qui n’était réellement pas assez pour vivre. Samasource lui a offert la possibilité de travailler en tant qu’assistante virtuelle pour un client canadien et en tant que leader au sein de la société. Vanessa Lucky Kanyi a finalement décidé d’étudier aux États-Unis et a obtenu une bourse d’études au Santa Monica Community College où elle a pu étudier l’ingénierie. Cette Kenyane est donc parvenue à se reconstruire grâce à l’aide précieuse et au travail acharné de Leila Janah.

Motivée et ambitieuse, elle a toujours montré à quel point il est important de « cultiver son propre jardin« , autrement dit d’identifier ses propres valeurs et passions et d’y remédier à chaque fois que le monde autour de nous devient accablant. « Si vous ne respectez pas vos propres valeurs, eh bien, devinez quoi ? Tout ce qui précède ce moment est terminé, et tout ce qui se trouve après ce moment n’est pas encore écrit dans la grande histoire de votre vie, et vous êtes le seul auteur et arbitre de ce qui se passe dans votre jardin. Il n’y a aucune excuse ; il ne peut y avoir d’amertume envers un monde injuste, car dans votre jardin, il n’y a que de la beauté, de la lumière et du bien, fécondés par les décisions que vous choisissez de prendre» , a-t-elle notamment affirmé. »

Sur le site qui lui était consacré : https://www.leilajanah.com/ et qui a été fermé depuis, on trouvait cette photo en page d’accueil