« La haine des juifs »
Réflexions sur une abomination qui remonte à la nuit des temps et subsiste dans nos sociétés modernes
Ils ont osé ! :
- Peindre des croix gammées sur le visage peint de Simone Veil !
- Couper les arbres en mémoire d’Ilan Halimi !
- Marquer le graffiti « Juden » sur un magasin de l’enseigne Bagelstein sur l’île Saint-Louis !
Le ministère de l’Intérieur a mesuré 74 % d’augmentation des actes antisémites en 2018, en France.
Je trouve plus percutant et plus juste de parler de la « haine des juifs ».
Mais plutôt que de m’étendre sur les chiffres et l’argumentation par les nombres, je m’arrêterai d’abord sur un certain nombre d’actes sordides et révélateurs de la haine et de l’incommensurable bêtise de certains.
Ainsi ces croix gammées, couvrant le visage de Simone Veil.
Des croix gammées ! Le symbole des nazis eux qui ont industrialisé la haine des juifs et sont allés le plus loin dans l’abject et la déshumanisation des comportements.
Les nazis qui ont assassiné le père, la mère et le frère de Simone Veil et l’ont martyrisé dans les camps de la honte de la race humaine.
Il n’y a pas de justification, pas d’explication possible devant de tels actes de méchanceté absolue.
Simone Veil qui après ce qu’elle avait vécu, avait comme réponse mené le combat de la réconciliation avec l’Allemagne et la construction européenne.
Elle qui écrivait dans son livre « Une Vie » :
« Venus de tous les continents, croyants et non-croyants, nous appartenons tous à la même planète, à la communauté des hommes. Nous devons être vigilants, et la défendre non seulement contre les forces de la nature qui la menacent, mais encore davantage contre la folie des hommes. »
Et que dire de la profanation du site et des arbres qui avaient été plantées en mémoire d’Ilan Halimi.
Ilan Halimi avait été attiré en 2006 dans un guet-apens par le gang des barbares dirigé par Youssouf Fofana. Il a été séquestré et torturé pendant 24 jours parce qu’il était juif et parce que les « juifs sont riches » et que ces criminels espéraient pouvoir toucher une rançon. Mais ce crime a été encore plus odieux par des tortures infligées uniquement par la haine des juifs que ces malades portaient dans leur esprit malade.
Les parents d’Ilan Halimi n’étaient pas riches. Et même s’ils avaient été riches, rien ne peut justifier cette barbarie, ces actes d’inhumanité.
Même la mort n’a pas arrêté la bêtise et haine de s’acharner.
Une stèle avait été érigée dans un parc de Bagneux en 2011. Une première fois profanée en 2015 et réhabilitée. Elle a été une seconde fois souillée en 2017 couverte d’une croix gammée, le slogan « libérez Fofana » et le nom « Hitler » étant inscrits sur la stèle.
Et en février 2019, deux arbres qui avaient été plantés, en 2007 et 2016, en son honneur ont été retrouvés coupés.
Ces arbres se trouvaient sur le site, le long de la voie ferrée, à quelques mètres de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois, où son corps nu, torturé, brûlé, avait été découvert par une conductrice un matin de février 2006.
Comment appeler cette persistance dans la vilenie et la bassesse ?
Seule la haine peut permettre d’apporter un début de compréhension à l’incompréhensible.
Il n’y a rien de rationnel dans cela.
Certains esprits ose mettre ces actes en regard avec la politique condamnable de l’Etat d’Israël à l’égard des palestiniens.
Ces deux actes décrits ci-avant n’ont rien à voir avec cette justification.
Rien !
Pas plus d’ailleurs que le mot « Juden » écrit sur la devanture d’un magasin de l’enseigne Bagelstein.
Les croix gammées, le mot « Juden », la référence à Hitler, toutes ces références font appel à l’imaginaire nazi
Comme cette photo des années noires en Allemagne, où apparaît le mot « juden » pour dire plus précisément « Allemand, défendez-vous, n’achetez pas chez les juifs »
Ces références ne peuvent que signifier dans ces esprits malsains qu’il faut continuer l’œuvre des nazis à savoir la destruction des juifs.
La « haine des juifs », l’antisémitisme comme on l’appelle communément est un racisme, mais il est plus que cela. Le « Juif » est le bouc émissaire premier qu’on a désigné dans nos sociétés.
Quand un malheur arrivait dans un village, il fallait trouver un coupable et systématiquement la population chrétienne se retournait vers l’« autre » et le désignait comme le responsable.
Des centaines d’écrits et de témoignages racontent de tels faits.
L’accusation de meurtres rituels qui aurait été commis par les juifs était particulièrement répandue, comme ce récit : <Accusation de meurtre rituel contre les juifs d’Uzès>.
Ou en encore cette <Accusation de meurtre rituel à Metz en 1670>
Il y a aussi ce livre de Pierre Hebey <Les disparus de Damas – Deux histoires de meurtre rituel > qui relate un évènement qui s’est passé en Syrie en 1840 et dans lequel un représentant du gouvernement français a joué un rôle considérable :
« Le 21 février 1840, le père Thomas, religieux d’origine sarde résidant depuis de nombreuses années à Damas, ainsi que son serviteur disparaissent. Aussitôt les Chrétiens de la ville accusent les Juifs d’avoir » immolé » le religieux afin de recueillir son sang. Ce drame se produit moins de quatre mois après l’arrivée du premier consul de France en Syrie, le comte Ulysse de Ratti-Menton. Or un traité franco-turc de 1740 reconnaît aux diplomates français un droit de protection sur les catholiques de l’Empire ottoman. Le nouvel arrivé en profite pour mener l’enquête concernant ces disparitions. Sa conviction, dès les premières heures, est établie : les coupables sont les membres d’une famille juive de notables. Avec la police du Pacha, il va s’attacher à le démontrer. Le consul, que les méthodes d’interrogatoire orientales ne rebutent pas, bouclera son instruction en quelques semaines. Ses conclusions devront forcément déboucher sur des exécutions. Les communautés juives de France et d’Angleterre -alors que leurs pays sont au bord du conflit- décideront d’envoyer deux hommes pour sauver de prétendus coupables dont l’innocence paraît évidente. Henri Heine, en poste à Paris pour La Gazette d’Augsbourg, consacrera plusieurs articles à l’Affaire de Damas. Dès le 7 mai 1840, révolté par ce qu’il a pu apprendre, il écrit : » … tandis que nous rions et oublions… le bourreau exerce la torture et, martyrisé sur le chevalet de la question, le Juif de Damas avoue… ».
Et pour la suite de cette affaire vous pouvez lire ce <petit article>
Vous pourrez lire cet article de Wikipedia : <Accusation de meurtre rituel contre les Juifs>
La foule haineuse les accusera aussi d’empoisonner l’eau des puits et de tous les complots qui puissent s’imaginer.
Je n’entends pas multiplier les exemples qui sont nombreux à en avoir la nausée.
L’historienne Annette Wierworka <invitée de Léa Salamé sur France Inter le 19 février> distingue 3 types d’antisémitisme en France :
- L’antisémitisme populaire qui se révèle chaque fois qu’il y a des moments de fièvre, comme l’épisode actuel des gilets jaunes. Cet antisémitisme est celui qui s’inscrit dans l’image du juif, maître de la Finance internationale, influençant tous les pouvoirs et adepte du complot dans lequel les juifs seraient les tireurs de ficelle…
- L’antisémitisme d’extrême droite, identitaire, qui reproche au juif d’être « cosmopolite » un intrus dans la nation, d’être non assimilable, toujours soupçonné de toutes les traîtrises. C’est évidemment cet antisémitisme qui était à l’œuvre lors de l’affaire Dreyfus et pendant la dernière guerre.
- L’antisémitisme gaucho-islamiste, antisémitisme de l’extrême gauche qui prend ses racines et ses prétextes dans le conflit israélo-palestinien en prétendant que n’importe quel juif dans le monde est forcément en accord avec la politique du gouvernement d’Israël et plus que cela responsable de la politique d’Israël.
Annette Wierworka ne cite pas une autre face de l’antisémitisme chrétien, celui du peuple déicide, puisque selon les Évangiles, ce sont des juifs qui ont réclamé aux romains de mettre à mort le Christ. Si l’on accepte de prendre au sérieux le récit des évangiles, cette accusation ne tient pas d’abord parce que ce n’est pas le peuple juif qui a demandé la mort de Jésus mais une partie de l’aristocratie de Judée et détenteur du pouvoir religieux qui ne représentait qu’une petite minorité au sein du peuple juif. Et ensuite et surtout pour une raison de fond que des non chrétiens et des non croyants ne peuvent pas comprendre, mais une raison qui doit illuminer des croyants de la Foi chrétienne : Le récit de la rédemption incarnée par le Christ qui est mort, plus exactement qui a été sacrifié pour « laver les péchés du monde » impliquait qu’il devait être crucifié pour pouvoir réaliser le cœur de la foi chrétienne. Dans « cette logique » il s’agissait d’un « plan divin » dans lequel le petit nombre de juifs qui ont participé à la mise en œuvre de ce sacrifice n’étaient que des acteurs inconscients d’un grand dessein qui les dépassait. J’ai bien précisé que les non croyants auraient de grandes difficultés de comprendre mon argumentaire…
Toujours est-il qu’il a fallu attendre le concile de Vatican 2 (1962-1965) pour que l’Église catholique rompe solennellement avec la notion de «peuple déicide» et avec l’antijudaïsme séculaire de l’Église. Ce n’est pas si vieux 1962, je vivais déjà. Et c’est encore plus récemment, en 2011, que le pape Benoit XVI dans un de ses écrits reprend le premier argument que j’ai soulevé ci-avant, c’est-à-dire de la responsabilité d’un petit nombre d’aristocrates <Slate> consacre un article à ce sujet :
« Le pape Benoît XVI publie, mercredi 9 mars, le deuxième tome de son livre Jésus de Nazareth dans lequel il traite en particulier de la Passion et de la mort de Jésus-Christ. Non seulement il reprend le récit évangélique de cet événement central de la foi chrétienne, mais il en propose une relecture qui exonère explicitement les juifs de toute responsabilité dans la mort de Jésus. L’expression «les juifs», associée dans les Évangiles et les écrits des Pères de l’Église à la Passion du Christ, «n’indique en aucune manière le peuple d’Israël comme tel et elle a encore moins un caractère raciste», écrit le pape. Elle désigne certains «aristocrates du peuple», mais certainement pas l’ensemble des juifs. »
Concernant l’antisémitisme d’extrême droite on pensait que la seconde guerre mondiale l’avait définitivement anéanti. On cite souvent la phrase, sorti de son contexte, de Georges Bernanos : « Hitler a déshonoré à jamais le mot antisémitisme ». J’avais déjà, dans un mot du jour précédent, cité la tribune de Philippe Lançon, l’auteur du « Lambeau » qui a resitué la phrase de Bernanos dans l’ensemble du propos qu’il avait écrit alors et qui évite de le classer dans la case antisémites. <Libération – le 2 septembre 2008>
Il reste cependant qu’on pensait que plus personne n’oserait exprimer cette haine anti-juive.
Sauf peut-être le général De Gaulle qui après la guerre des six jours, en 1967, a eu cette déclaration surprenante qui plonge ses racines dans le vieil antisémitisme de droite :
« …Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem… »
Raymond Aron a alors pris la plume et a eu le glaive vengeur et estimé que le général de Gaulle avait solennellement réhabilité l’antisémitisme.
« Aucun homme d’Etat occidental n’avait parlé des juifs dans ce style, ne les avait caractérisés comme « peuple » par deux adjectifs, nous les connaissons tous, ils appartiennent à Drumont, à Maurras »
Pages 50 & 51 de l’ouvrage « Essais sur la condition juive contemporaine » qui réunit les textes de Raymond Aron sur ce sujet et qui occupe aussi une place de choix dans ma bibliothèque.
Pourtant quand le cimetière juif de Carpentras fut profané en 1990, il y eut des <manifestations importantes> pour condamner cet acte parce que tout le monde pensait que cet acte venait des mouvances de l’extrême droite. Ce qui se révéla d’ailleurs faux.
Mais quand en 2012, le criminel djihadiste dont je ne cite pas le nom à dessein après avoir assassiné deux militaires s’est introduit dans une école juive et je laisse <Le Monde> continuer :
« Vers 8 heures, un homme armé sur un scooter de grosse puissance gare son engin devant l’école juive Ozar-Hatorah dans un quartier résidentiel tout proche du centre de Toulouse. Il ouvre le feu avec un pistolet-mitrailleur, qui s’enraye, puis une arme de calibre 11,43, la même qui a servi pour tuer les parachutistes. Il tue Jonathan Sandler, 30 ans, professeur de religion juive, et ses deux fils Arieh, 5 ans, et Gabriel, 3 ans, qui attendaient ensemble le ramassage scolaire. Il poursuit dans la cour une fillette de huit ans, Myriam Monsonego, la rattrape et l’abat d’une balle dans la tête. Il blesse un adolescent de 17 ans, puis s’enfuit en deux-roues. »
Il n’y eut aucune manifestation, hormis des membres de la communauté juive.
Rien !
Le silence, l’indifférence.
Cette fois l’antisémitisme est celui désigné par Wierworka sous le nom « gaucho-islamiste ».
Des enfants !
Responsable !
Aujourd’hui un ignoble personnage comme Alain Soral réalise la conjonction entre les deux antisémitismes d’extrême droite et du gaucho-islamisme. Écoutez à ce propos l’émission <Le Grain à moudre du vendredi 15 février : < Antisémitisme, antiparlementarisme : comme un air de fascisme ?>
Non, « la haine des juifs » n’est pas comparable au racisme, au colonialisme à l’esclavagisme qui sont tous des fractures de l’humanisme qu’il faut combattre et dénoncer, bien sûr.
Mais la haine des juifs apportent en plus cette idée abjecte, ignoble qu’ils sont un peu coupables de ce qui leur arrive. Même les enfants sont coupables.
Moi je crois que le plus comparable avec cette attitude est celle à l’égard des femmes, des femmes violées à qui des hommes vont dire de manière aussi ignoble qu’elles l’ont bien cherché…
Cette disposition pathologique et nauséabonde a même saisi ce centriste pataud, aimant s’endormir à l’Assemblée après un bon repas, celui que Giscard avait désigné comme le plus grand économiste de France et qu’il avait aussi nommé premier Ministre.
Raymond Barre avait eu, en 1980, après l’attentat de la rue Copernic contre une synagogue, ce propos qui avait une première fois fait la synthèse entre l’antisémitisme d’extrême droite et de l’extrême gauche :
Raymond BARRE se déclare « plein d’indignation » à l’égard de cet attentat « odieux » :
« qui voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic »
Non, il ne s’agit pas de propos maladroits.
Cela vient de loin, d’idées et d’une corruption de l’esprit et des valeurs profondément ancrée. C’est cela l’antisémitisme :
- 1° Les juifs doivent être distingués des français
- 2° Les juifs ne peuvent pas être innocents
Pourquoi cette haine ?
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