Jeudi 17 mai 2018

« Mai 1968 et le sexe »
Butinage et réflexions sur mai 68

Mai 68 en France est aussi une histoire qui parle de sexe… surtout de sexe ?

L’obs le rappelle : « et tout commença par une histoire d’accès aux chambres des filles »

Le livre de Ludivine Bantigny « 1968. De grands soirs en petits matins » (Seuil, 2018) rapporte même que dès la fin de l’année universitaire 1967 des résidences universitaires sont occupées à Nanterre et à Lyon parce que les étudiants protestent contre le règlement intérieur qui interdit les visites des garçons chez les filles.

Le Monde rappelle cette même réalité : « La mixité à la cité U, premier combat de Mai 68 »

A cette époque la majorité était à 21 ans, les étudiants étaient donc en grande partie des mineurs. Par ailleurs le poids des traditions et de la morale religieuse toujours très présente même si la Foi l’était moins entraînait que le sujet du sexe était tabou, refoulé, contraint.

Le premier esclandre de Daniel Cohn Bendit est selon les médias son interpellation du Ministre de l’Education nationale. L’article de l’Obs précité donne le détail de l’échange :

A Nanterre, cette année 1968 commence par l’épisode de la piscine. Le 8 janvier 1968, lors de l’inauguration d’installations sportives à Nanterre, le ministre de la Jeunesse et des Sports François Missoffe et un étudiant en sociologie (il aura 23 ans début avril), Daniel Cohn-Bendit, échangent des propos acerbes.

Daniel Cohn-Bendit : « Monsieur le ministre, j’ai lu votre Livre blanc sur la jeunesse. En 300 pages, il n’y a pas un seul mot sur les problèmes sexuels des jeunes. »

Puis, le ministre : « Avec la tête que vous avez, vous connaissez sûrement des problèmes de cet ordre. Je ne saurais trop vous conseiller de plonger dans la piscine. »

Daniel Cohn-Bendit : « Voilà une réponse digne des Jeunesses hitlériennes. »

Cet échange vaut au jeune anarchiste de comparaître devant la commission spéciale d’expulsion de la Préfecture de Police, le samedi 17 février. Il est menacé d’expulsion du territoire français «pour avoir tenu des propos offensants à l’égard de M. Missoffe, lors de l’inauguration de la piscine de Nanterre, et pour avoir fait de l’agitation politique dans un mouvement anarchiste à la faculté», rapporte «le Monde» (17 février 1968).

Finalement cette polémique va se calmer :

Cohn-Bendit a envoyé à Missoffe une lettre « lui exposant qu’il n’avait pas eu l’intention de l’insulter personnellement et expliquant le sens de la réflexion qu’il lui avait faite au sujet du Livre blanc sur la jeunesse. En réponse, le ministre lui a écrit qu’il ne retenait pas l’incident et l’a invité à venir le voir afin d’avoir avec lui une discussion générale sur la jeunesse. »

La procédure d’expulsion, initiée par le doyen de l’université, Pierre Grappin, n’aboutira pas (c’est à la suite des événements du printemps qu’il sera frappé, le 21 mai, par un arrêté d’expulsion, qui ne sera levé que fin 1978).

Alors bien sûr mai 68 fut l’explosion de la libération sexuelle. « Jouissons sans entraves », « Faites l’amour pas la guerre », les slogans libertaires fleurissent sur les murs.

Le site <Sciences Humaines> écrit :

« Les spécialistes s’accordent pour faire démarrer la « révolution sexuelle » au milieu des années 60. La première génération du baby-boom va bientôt avoir 20ans. Dans tous les pays occidentaux, on constate des évolutions convergentes.

Le corps féminin se dévoile. Les minijupes font leur apparition en 1965, tandis que les premiers seins nus se montrent au cinéma. La pilule contraceptive mise en circulation en 1960 aux Etats-Unis arrive en Europe en 1967. A la radio, dans les magazines féminins, on parle plus librement des relations hommes/femmes. La littérature sulfureuse d’Henry Miller et d’Anaïs Nin circule partout. On commence à percevoir une nette augmentation des divorces et l’essor de l’union libre.

Mai 1968 précipite ce mouvement. Le temps est à la contestation de l’ordre bourgeois et patriarcal. Le mouvement hippie, apparu sur la côte Ouest des Etats-Unis à la fin des années 60, se répand en Europe. Les slogans « Faites l’amour pas la guerre », « Peace and Love », « Jouissons sans entrave » s’affichent sur les murs des universités. Les ouvrages de Wilhelm Reich ( La Révolution sexuelle ) et d’Herbert Marcuse ( Eros et civilisation ) deviennent des manifestes. Des communautés libertaires expérimentent la promiscuité sexuelle et l’amour libre. »

Tout ne commença pas en Mai 68. Ainsi, date très importante : 19 décembre 1967, adoption de la loi Neuwirth qui autorise l’usage des contraceptifs, et notamment la contraception orale. Nommée d’après Lucien Neuwirth, le député gaulliste qui la proposa, cette loi vient abroger celle de 31 juillet 1920 qui interdisait non seulement toute contraception, mais jusqu’à l’information sur les moyens contraceptifs. Promulguée le 28 décembre 1967, son application sera cependant lente, les décrets ne paraissant qu’entre 1969 et 1972.

Michel Bozon sociologue, directeur de recherche à l’INED affirme cependant :

« Pour autant, la sexualité ne sera pas une préoccupation centrale de la révolte étudiante et ouvrière du printemps 1968. « Jouir sans entraves », le célèbre slogan des situationnistes et libertaires de Nanterre, décrivait en réalité l’aspiration à un mode de vie plus intense, plutôt qu’il n’évoquait une sexualité débridée. Il faudra attendre quelques années après les événements pour que s’installe le discours sur une « libération sexuelle liée à Mai-68 ».

Cette notion de « libération » correspond assurément au vécu de certaines personnes. Mais pas à celui de tout le monde : dans son fameux Rapport sur le comportement sexuel des Français paru en 1972, Pierre Simon, auteur de la première enquête nationale sur la sexualité, ne mentionne en effet ni Mai-68 ni la notion de libération. On peut difficilement affirmer que les transformations de la sexualité dont nous sommes aujourd’hui les témoins prennent leur source dans les bouleversements de Mai-68. »

Cette nuance peut être entendue mais il n’en reste pas moins que Mai 68 a lancé un mouvement de libération du corps du plaisir et donc de la sexualité.

J’ai beaucoup apprécié ce film aigre doux qui parle de ce moment « La parenthèse enchantée », période où tout semblait devenir simple mais sans l’être vraiment. L’expression est de Françoise Giroud. Elle désigne cette brève période, les années 70, où le bonheur – et le plaisir – semblait possible. Après la pilule et avant le sida. Et il faudra revenir sur ce mouvement en y intégrant le regard des femmes.

Mais aujourd’hui je vais développer un autre aspect de cette histoire : la face noire de mai 68.

J’ai déjà écrit que je n’avais pas vécu mai 68 et que je n’en gardais aucun souvenir personnel. Il y a pourtant un aveuglement que je me reproche et que j’ai déjà développé dans un mot du jour ancien et dont je parlerai à la fin de celui-ci. Et je fais un lien direct entre ce vécu et la morale issue de mai 1968.

L’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteur de l’<Histoire de la pédophilie> lance cette accusation « L’apologie de la pédophilie, face noire de Mai-68 » :

« Mai-68 avait appelé à la libération des corps. Mais la « révolution sexuelle » proprement dite sera l’œuvre de la décennie 1970. Le réexamen incessant, sous un angle résolument politique, de la sexualité et du droit qui la gouverne aura pour effet de bousculer les a priori et de faire vaciller le conformisme.

Une partie de la presse se met alors à dénoncer les tabous, explorer les silences de l’intimité et interroger les sexualités dites alternatives. Dans le paysage politico-culturel qui se dessine, la notion même de déviance est niée ; et bientôt la parole est donnée à une revendication nouvelle : la pédophilie.

A l’orée des années 1970, les défenseurs de la pédophilie s’arriment au militantisme homosexuel et spécialement au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), fondé en 1971, qui combat tout à la fois l’oppression des homosexuels et appelle à la reconnaissance des « sexualités autres ». Ce « cousinage » est favorisé par le Code pénal et ses dispositions discriminatoires qui punissent les rapports homosexuels en-deçà de 21 ans, tout en permettant les rapports hétérosexuels dès 15 ans. Michel Foucault, qui participe aux travaux de la commission de révision du Code pénal, n’hésite pas à signer une pétition invitant à tenir compte du consentement des mineurs. Il réfléchira même à la possibilité de supprimer toute infraction sexuelle du Code.

Si le mouvement homosexuel, notamment sous l’impulsion des féministes, se désolidarise rapidement des voix pédophiles, un petit nombre d’intellectuels médiatisés continuent de défendre la « cause » dans les colonnes de « Libération », très en pointe, et, dans une moindre mesure, du Monde. Leur plaidoirie se poursuit autour de trois axes empruntés partiellement au fonds de l’antipsychiatrie. Le premier, cher à l’écrivain Gabriel Matzneff, invoque l' »amour des enfants » et le rôle positif que peut jouer une « initiation » sexuelle et intellectuelle dans une éducation bien conçue.

L’éros enfant ou adolescent est placé sous les auspices d’une esthétique et d’une éthique héritées de la pédérastie de la Grèce antique. Le second axe s’appuie sur l’idée d’une altérité radicale de l’enfant qui reste à comprendre et à aimer convenablement, loin des figures naturalistes de la doxa. Tel est en substance le propos de « Co-ire. Album systématique de l’enfance », publié en mai 1976 par le philosophe René Schérer et le fondateur du Fhar, Guy Hocquenghem. Pour les auteurs, l’enfant est celui qui « est fait pour être enlevé […], sa petitesse, sa faiblesse, sa joliesse y invitent », mais aussi celui dont la liberté et l’autonomie sont impossibles.

Les catégories à partir desquelles penser la relation adulte-enfant doivent donc au minimum être repensées. Le troisième axe de la défense pédophile insiste plus directement sur la menace que la sexualité des enfants fait peser sur l’institution familiale. Effrayante, elle est castrée au prix d’un abus de pouvoir scandaleux.

L’écrivain Tony Duvert (prix Médicis 1973) met violemment en cause l’éducation répressive qui brime les désirs et les pulsions des enfants au nom des droits exclusifs de la famille ; il dénonce la prééminence de mères castratrices et le « matriarcat qui domine l’impubère ». »

Doan Bui journaliste qui a reçu le prix Albert-Londres 2013 a écrit dans l’Obs : < Libérer le plaisir de l’enfant», disaient-ils… >

« C’était il y a quarante ans, avant que le mot « pédophile » ne devienne synonyme de « monstre ». De nombreux intellectuels militaient pour autoriser les rapports sexuels avec les plus jeunes. Alors que le débat sur le consentement des mineurs resurgit, retour sur une folle dérive sociétale et culturelle.

[…] Si je suis solidaire de Polanski ? S’il ne s’agit que de relations sexuelles avec mineur, de coït buccal et de sodomie, bien sûr ! » C’est ainsi que feu Jean-Louis Bory, écrivain et critique de cinéma réputé, répondait au « Quotidien de Paris » en 1977 quand on l’interrogeait sur le cinéaste, accusé d’avoir violé Samantha, 13 ans. La presse, unanime à l’époque, plaignait Roman Polanski, « victime du puritanisme américain », en conspuant les parents et la jeune fille, « tout sauf une oie blanche ».[…]

En 1977, l’affaire ne suscite pas l’ombre d’une controverse en France, y compris chez les féministes. Ni quand le cinéaste fuit en France, en 1978, ni quand sort « Tess » l’année suivante, acclamé par la critique, avec la toute jeune Nastassja Kinski, laquelle avait 15 ans quand elle rencontra le cinéaste et qu’il devint son amant.

Martine Storti, militante féministe, était journaliste à « Libération » dans ces années-là. « C’est fou, mais je n’ai aucun souvenir de cette affaire, que j’ai découverte en 2009, quand Polanski a été arrêté en Suisse. » Elle poursuit :

« A l’époque, nous, les féministes, étions sur d’autres combats : la pilule, la criminalisation du viol, pour qu’il soit jugé aux assises… Là-dessus, on se faisait insulter et traiter de réacs. ‘Libé’, c’était quand même un journal de mecs. »

Dans ses pages cinéma, « Libération » consacra juste un petit article à l’affaire : « Au cinéma, les enfants sont là pour séduire les adultes. » C’est la ligne du journal de ces années-là, qui publie des articles titrés : « Centre aéré : je continuerai à jouir avec des impubères si tel est mon plaisir et si tel est le leur » ; des caricatures pour choquer le bourgeois : « Apprenons l’amour à nos enfants », avec le dessin d’une gamine faisant une fellation à un adulte ; ou encore le plaidoyer de Jacques D., incarcéré pour « attentat à la pudeur sur mineur », expliquant que « l’enfant est capable d’aimer sexuellement » et qu’il a la « satisfaction d’être agréable à celui qui le sodomise ».

[…] On comprendrait peut-être les raisons du culte voué à feu David Hamilton. Le photographe (accusé depuis de viols sur mineures) est alors une vedette qui vend ses calendriers par millions. Le magazine « Vogue Homme » le sollicite pour un dossier de couverture mettant en scène des adolescentes peu vêtues, puis récidive en commandant une série plus « réaliste » sur les adolescentes à Polanski, d’où la fameuse séance avec la jeune Samantha.

[…] Brooke Shields fait la une du magazine « Photo », elle a 10 ans, est nue, maquillée, sort du bain. Deux ans plus tard, elle joue une prostituée dans « la Petite », de Louis Malle. Irina Ionesco, elle, fait prendre à sa fille, Eva, des poses pornographiques, dès ses 5 ans. Eva Ionesco l’a narré dans un film et dans « Innocence », magnifique roman autobiographique paru à l’automne. Elle raconte sa mère lui demandant d’écarter les jambes devant l’objectif, vendant les clichés à des clients émoustillés, comme l’écrivain Alain Robbe-Grillet, connu pour son goût des fillettes (il écrivit d’ailleurs le texte du premier livre d’Hamilton, « Rêves de jeunes filles »). Il offrira un stylo Montblanc à Eva pour la convaincre de jouer nue dans son film. »

Etc., je vous invite à lire l’article de Doan Bui, vous lirez aussi des propos de Gabriel Matzneff, de Leo Ferré, Aragon, Beauvoir, Barthes, Ponge, Michel Foucault, Guy Hocquenghem, et tant d’autres…

Et puis il y a Daniel Cohn-Bendit qui a été accusé lors d’un débat politique par François Bayrou d’avoir défendu la pédophilie dans un ouvrage ancien. L’Obs a publié des <Extraits de ce livre>

« Dans son livre « Le Grand Bazar », publié en 1975 chez Belfond, Daniel Cohn-Bendit évoque son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants « alternatif » à Francfort :

« Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : ‘Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses ?’ Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même ». « J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi  » ».

Plus tard, Daniel Cohn-Bendit, a démenti tout acte pédophile et soutenu que ses écrits reflétaient l’esprit de l’époque de « provocation contre le bourgeois ». « Ce qui est écrit dans « Le grand bazar » n’est « pas une réalité », mais « un condensé de faits observés », avait déclaré Daniel Cohn-Bendit. «J’ai raconté ça par pure provocation, pour épater le bourgeois » (…) et « sachant ce que je sais aujourd’hui des abus sexuels, j’ai des remords d’avoir écrit tout cela ».

Récemment, j’ai trouvé cette petite vidéo, dans laquelle Daniel Cohn-Bendit est invité par Bernard Pivot dans apostrophes, probablement que là aussi il veut «épater le bourgeois», en l’occurrence Paul Guth qui est en face de lui et il dit : «La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique, faut être honnête. J’ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu érotico-maniaque… ». Je ne voudrai pas accabler Daniel Cohn-Bendit qui a bien changé depuis, mais nous pouvons constater qu’après mai 68 on pouvait tenir de tels propos dans des émissions culturelles de l’ORTF….

Et j’en reviens au mot du jour ancien dans lequel j’avais utilisé comme exergue ce mot de Raymond Aron, à propos du génocide des juifs par les nazis : « Je l’ai su, Mais je ne l’ai pas cru. Et parce que je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su. ». Dans ce mot du jour j’ai raconté que je connaissais les responsables de l’École en bateau et que j’avais lu le livre qu’avait écrit le fondateur. Dans ce livre, la pédophilie était décrite mais je n’ai pas su la voir et la comprendre parce que l’esprit du temps issu de ces excès de mai 68 nous avait aveuglés, m’avait aveuglé et perverti mon sens du jugement.

Tout ceci ne signifie pas que la libération des mœurs issue de mai 68 ne doit pas être vue de manière positive, mais je trouve l’expression « La face noire » pertinente sur ce sujet où la perversion de certains hommes a pu non seulement s’exprimer sans tabou mais aussi le faire en le justifiant par des théories de libération pernicieuses et dévoyées. Car si la pédophilie s’inscrit dans la nuit des temps, il y eut dans le mouvement de 68 des intellectuels qui exprimaient des théories qui la justifiait et même l’encourageait.

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Mercredi 16 mai 2018

« Mai 1968 et la guerre du Viet Nam»
Poursuite du butinage de mai

Dans le mot du jour de lundi, j’avais précisé qu’en Allemagne et bien sûr aux Etats-Unis, les étudiants manifestaient d’abord contre la guerre du Viet-Nam.

Mais la France et le mai 68 sont aussi liés étroitement à la guerre du Viet Nam.

Tout le monde l’écrit aujourd’hui : « Mai 68 a commencé le 22 mars à l’Université de Nanterre».

Il faut même remonter au 20 mars 1968, lorsqu’à l’appel du Comité Vietnam, 200 à 300 personnes brisent les vitrines d’une agence parisienne d’American Express. Plusieurs manifestants, dont Xavier Langlade (futur dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire), étudiant très populaire à Nanterre, sont arrêtés.

Les étudiants de Nanterre veulent les faire libérer. C’est alors que le 22 mars, aucune libération n’étant survenue, entre 400 et 500 personnes se retrouvent à 17 heures pour une AG.

Et c’est Paris-Match qui raconte la suite :

« Plutôt que d’occuper l’habituel bâtiment de sociologie, il est décidé, «pour démontrer [leur] volonté de lutter contre la répression», dixit Daniel Cohn-Bendit, déjà à la manœuvre, de s’installer dans une salle interdite, celle des conseils d’université, au 8e étage de la tour centrale du campus. «J’avais participé à la tentative d’occupation de la Sorbonne en 1964, se souvient Prisca Bachelet, une participante. Ça avait échoué, et pourtant ça avait été tellement préparé! Ce 22 mars, il y avait un rapport à la parole, à l’action et à la décision radicalement nouveau, qu’on devait beaucoup aux anarchistes et aux libertaires comme Jean-Pierre Duteuil ou Daniel Cohn-Bendit. Les gens parlaient librement. Pour moi qui avais l’habitude des groupements politiques et syndicaux, c’était extraordinaire.» Une partie des présents s’attelle à l’écriture de ce qui deviendra le «manifeste des 142», qui appelle à une journée de réflexion la semaine suivante. La séance se termine à 1h20 après une «Internationale» chantée le poing levé. Et l’on se quitte sans savoir que le germe de mai vient d’être planté.

Le mouvement du 22 mars se transforme en une plateforme construite par l’action et emmenée par ceux qu’on appelle les «enragés». Pour la première fois, les groupuscules gauchistes réussissent à dépasser leurs divergences. »

Le premier acte de mai 68 avait pour objet de faire libérer des étudiants qui ont été arrêtés suite à une manifestation contre la guerre du Viet Nam.

Nous sommes en pleine guerre froide, pour les Etats-Unis il s’agit d’empêcher l’expansion communiste. Le Nord Viet Nam est communiste mais le Sud Viet Nam se trouve sous la protection américaine car sinon il ne pourrait résister aux assauts des troupes du Nord Viet Nam et de la guérilla locale qui ont pour nom « Le Viet Cong ». Pour les Etats-Unis c’est avant tout un combat politique.

Mais pour les vietnamiens communistes, le combat est aussi nationaliste il faut chasser les troupes d’occupation.

A l’occasion de la mort du célèbre général vietnamien GIAP, j’avais lors d’un mot du jour de 2013 rapporté cet entretien qu’avait dévoilé le général GIAP, lui-même lors d’une interview de l’Humanité :

« Une autre fois, j’étais à Moscou pour demander une aide renforcée et j’ai eu une réunion avec l’ensemble du bureau politique. Kossyguine m’a alors interpellé :  » Camarade Giap, vous me parlez de vaincre les Américains. Je me permets de vous demander combien d’escadrilles d’avions à réaction avez-vous et combien, eux, en ont-ils ?  »  » Malgré le grand décalage des forces militaires, ai-je répondu, je peux vous dire que si nous nous battons à la russe nous ne pouvons pas tenir deux heures. Mais nous nous battrons à la vietnamienne et nous vaincrons.  »

Et c’est ce qu’ils ont fait. L’Amérique s’est vraiment engagé dans cette guerre à partir de 1961 quand le président John F. Kennedy envoya plus de 15 000 conseillers militaires. Mais la présence des Etats-Unis est antérieure. En 1998, le gouvernement fédéral des États-Unis détermine que les militaires américains tombés après le 1er novembre 1955 — date de la création du premier groupe de conseillers militaires américains au Sud Viêt Nam — peuvent être considérés comme morts durant la guerre du Viêt Nam.

Et Lyndon Johnson qui succéda à Kennedy après son assassinat le 22 novembre 1963 en sa qualité de vice-président, fut contraint à encore augmenter l’effort de guerre. Il terminera la présidence de Kennedy, puis sera élu sur son propre nom, l’emportant largement à l’élection présidentielle de 1964. 1968 est année d’élection présidentielle aux Etats-Unis et Lyndon Johnson peut et veut se représenter, mais il en sera empêché en raison de la guerre du Viet Nam .

Terrible année 1968 aux Etats-Unis, pendant laquelle d’abord Martin Luther King fut assassiné le 4 avril 1968 à Memphis et puis ce fut le tour de Robert F. Kennedy, le 6 juin 1968 alors qu’il venait de remporter la primaire de Californie, ce qui faisait alors de lui le candidat le plus probable du parti démocrate.

Jamais l’engagement américain n’a été aussi fort qu’au Vietnam en 1968. Les GI’s débarquent par vagues entières pour atteindre le chiffre record de 500 000 soldats

Le président Johnson annonça son renoncement lors d’un discours le 31 mars 1968, discours dans lequel il annonce également l’arrêt immédiat et sans condition des raids au Viêt Nam et appelle Hô Chi Minh à négocier la paix.

Car en janvier 1968, avait commencé l’offensive du Tết. Le gouvernement américain avait promis la « lumière au bout du tunnel » et la victoire.

Mais le 30 janvier 1968, l’ennemi, supposé être sur le point de s’effondrer, lança l’offensive du Tết en combinant les forces du Front national de libération du Sud Viêt Nam (ou Việt Cộng) et de l’Armée populaire vietnamienne. L’offensive commence prématurément le 30 janvier 1968, un jour avant la nouvelle année lunaire, le Têt. Le 31 janvier, 80 000 soldats communistes attaquent plus de 100 villes à travers le pays dans la plus grande opération militaire conduite à ce point de la guerre

Le général Giap, mobilisa la quasi-totalité de ses effectifs dans la bataille.

Les buts poursuivis étaient le soulèvement de la population sud-vietnamienne contre la République du Viêt Nam, démontrer que les déclarations américaines selon lesquelles la situation s’améliorait étaient fausses, et dévier la pression militaire pesant sur les campagnes vers les villes sud-vietnamiennes.

Du point de vue militaire, cette offensive, la première guerre ouverte à grande échelle des communistes, fut un échec. Face à la puissance de feu américaine, ils furent massacrés, et il leur fallut deux ans pour reconstituer leurs forces. Mais du point de vue politique, ce fut une victoire. Aux États-Unis, on prit soudain conscience de la force des communistes du Sud. Une grande majorité d’Américains eut le sentiment d’avoir été trompée et la victoire semblait désormais impossible. Le 29 février 1968 le secrétaire à la Défense, Robert Macnamara, démissionna.

9 jours avant les vietnamiens avaient engagé un autre front la bataille de Khe Sanh qui fut la plus longue de la guerre du Viet Nam.

La population américaine perdit la foi en la victoire.

En outre, les médias commençaient à montrer des images et des exactions des soldats américains excédés et devenant fous.

C’est aussi en 1968, le 16 mars 1968 qu’eut lieu le massacre de Mỹ Lai, en plus de ne pas parvenir à gagner la guerre, l’Amérique était en train de perdre son âme. Les jeunes d’Amérique, comme les jeunes des autres pays occidentaux ne pouvaient qu’être révoltés par cette guerre sale devenu incompréhensible.

Ici un journal de Cleveland relate cette tuerie et montre aux américains une photo de la réalité : des civils massacrés.

Depuis le Viet Nam, les occidentaux n’ont plus vraiment pu gagner de guerres, de ces guerres que l’on dit asymétriques.

La plus grande armée du monde peut encore gagner des batailles contre des armées régulières comme celle d’Irak, mais elle ne peut plus gagner la guerre car les politiques n’arrivent plus à gagner la paix.

Contre l’Allemagne nazi et contre le Japon impérialiste, les alliés y étaient parvenus. Depuis ils n’y arrivent plus.

En 1968, ce fut Nixon qui gagna les élections et ce fut lui aidé par Henry Kissinger qui se résolut à arrêter cette guerre par les Accords de paix de Paris en 1973. Mais ce ne fut pas la paix mais simplement le retrait militaire américain.

La guerre continua et se termina en 1975 par la victoire totale du Nord Viet-Nam.

La guerre du Viet Nam hantait les nuits des soldats américains et révoltait la jeunesse du monde entier.

Le secrétaire d’état à la défense, lors de la guerre du Viet Nam, Robert McNamara écrivit un livre « Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons »

On peut y lire cet aveu :

« Nous, membres des administrations Kennedy et Johnson parties prenantes aux décisions sur le Vietnam, avons agi selon ce que nous pensions être les principes et les traditions de notre pays. Nous avons pris nos décisions à la lumière de ces valeurs. Pourtant, nous avons eu tort. Terriblement tort.»

Dans cet ouvrage Mac Namara révèle aussi que de 1965 à 1968, l’opération Rolling Thunder (tonnerre roulant), nom de la campagne de bombardement va « déverser sur le Vietnam plus de bombes qu’on n’en avait lâché sur toute l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale »

Cette guerre aura coûté la vie à plus de 58.000 soldats américains, 250 000 morts sud-vietnamiens et 1 300 000 morts nord vietnamiens. Je ne commente pas. Quelquefois, rarement, les chiffres parlent d’eux mêmes.

Les manifestations contre la guerre du Viet nam fut un grand catalyseur des colères étudiantes en 1968.

L’historien Laurent Jalabert écrivit en 1997 un article sur ce sujet : « Aux origines de la génération 1968 : Les étudiants français et la guerre du Vietnam » que vous pourrez lire <Ici>.

Et en France le 16 mai 1968 les grèves s’étendent dans le mouvement ouvrier : chez Renault à Flins, à Billancourt, au Mans et à Sandouville, à la manufacture d’armes de Bayonne, chez Kleber-Colombes et Rhône-Poulenc à Elbeuf, chez Dresser-Dujardin au Havre, chez Unelec à Orléans. Et à Renault-Billancourt, le cortège venu du Quartier latin trouve porte close, la CGT voulant éviter tout risque de « provocation ». Les ouvriers et les étudiants manifestent, mais pas ensemble !

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Mardi 15 mai 2018

« Ce qui s’est passé en 1968 dans le monde, en dehors de mai 68 »
Poursuite du butinage et des réflexions autour de mai 1968

Le mot du jour d’hier avait vocation à montrer que le mai 1968 des étudiants et de la jeunesse, n’étaient pas que français. Il était aussi allemand, italien, espagnol, brésilien, tchécoslovaque, brésilien, mexicain.

Mais que se passait-il d’autres en 1968 qui n’était pas le mouvement de mai 68 ?

Il y avait la guerre du Viet-Nam, mais j’y reviendrai par un article spécifique.

En 1968, au Stanford Research Institue de Californie, dans le cadre de la première vidéo conférence de l’histoire, L’ingénieur Douglas C Engelbart exhibe un petit cube en bois. Le public, médusé, découvre un boitier capable de déplacer un pointeur sur l’écran de l’ordinateur. L’aïeul de la souris allait révolutionner l’usage de l’informatique.

Grâce à cette photo, vous voyez à quoi cela ressemblait. <Le mot du jour du 5 juillet 2013>, célébrait cette invention car 2 jours avant Douglas Engelbart était mort à l’âge de 88 ans

En février 1968, Grenoble accueillait les jeux Olympiques d’hiver, car à cette époque les jeux olympiques d’Hiver et d’été avaient lieu la même année Olympique. La fin de l’année 1968 verrait les jeux olympiques d’été de Mexico.

Lors de ces jeux Jean-Claude Killy gagna les trois médailles d’or en descente, slalom spécial et slalom géant. Mais ces jeux comptaient 10 disciplines et 35 épreuves. Lors des derniers jeux d’hiver, ceux de 2018 à Pyeongchang en Corée du Sud, il y eut 15 disciplines et 102 épreuves. Constatant une certaine inflation permettant probablement un meilleur business.

Pour les esprits curieux vous saurez que la dernière année olympique qui rassembla les jeux d’hiver et d’été fut 1992 où les jeux d’hiver eurent lieu à Albertville et les jeux d’été à Barcelone.

C’est aussi en 1968, en plein pendant les évènements, le 12 mai 1968 que le Père Boulogne 57 ans, religieux, se voit greffer le cœur d’un jeune douanier décédé. C’est la première transplantation de cœur en France. La première dans le monde fut réalisée par le professeur Christian Barnard en décembre 1967 en Afrique du Sud. Le 6 janvier ce sera au tour du Professeur Norman Shumway à Stanford en Californie de pratiquer la première greffe du cœur aux Etats-Unis.

L’opération en France avait été dirigée par le Professeur Charles Dubost et le cœur greffé du Père Boulogne battra pendant dix-sept mois et 5 jours.

Comment ne pas parler du « Concorde ». L’avion est présenté officiellement, le 11 décembre 1967. Il est ensuite présenté à la population toulousaine le 28 janvier 1968. Le premier vol d’essai de Concorde 001 eut lieu au-dessus de Toulouse, le 2 mars 1969

Et puis peu avant Noël 1968, la NASA envoie Apollo 8 faire le tour de la lune. Six mois plus tard, Neil Armstrong posera le premier pied humain sur le satellite de la terre, lors de la mission Apollo 11. Elle avait été précédé par Apollo 7 (11 octobre 1968 – 22 octobre 1968) qui fut la première mission habitée du programme Apollo. Ce fut également la première mission américaine à envoyer une équipe de trois hommes dans l’espace et la première mission à diffuser des images pour la télévision.

Nous étions, en effet, en pleine conquête spatiale. Mon butinage d’aujourd’hui nous rappelle à quel rythme très soutenu cette mission avançait, car avant Apollo 11, il y eut encore deux autres fusées qui seront lancées, en quelques mois.

Si maintenant on s’intéresse aux œuvres de l’esprit :

Le 8 mai 1968, Marguerite Yourcenar publie « L’Œuvre au Noir » livre dans lequel elle crée un personnage fictif du XVIème siècle : Zénon auquel, selon l’express du 10 juin 1968 qui présente cet ouvrage, l’écrivaine a prêté les traits d’Erasme, de Léonard, de Paracelse, de Michel Servet, Campanella. Comme eux, il lutte contre la bêtise, la routine et les préjugés.

L’express du 22 juillet 1968 nous apprend que le grand écrivain Albert Cohen publie le troisième volet de sa trilogie consacrée aux Solal : « Belle du Seigneur »

L’express du 16 décembre 1968 annonce la traduction et la parution en français de « Sexus » d’Henry Miller, censuré neuf ans durant. L’article de l’Express donne la parole à Henry Miller : « Le sujet de mes livres, ce n’est pas le sexe, c’est la libération de soi » mais le journal de Servan Schreiber et Françoise Giroud ajoute : « Sexus contient les pages les plus scabreuses d’un auteur qui a franchi depuis longtemps le mur de la pornographie.

Au cinéma on trouve les sorties suivantes :

  • 8 mars 1968 : Le bon, la brute et le truand de Sergio Leone ;
  • 17 mars 1968 : La mariée était en noir de François Truffaut avec Jeanne Moreau
  • 1er avril 1968, le bal des vampires de Roman Polanski avec dans le rôle principal son épouse Sharon Tate qui sera assassinée l’année suivante
  • 4 septembre 1968, le Lauréat qui révèle Dustin Hoffman et célèbre les amours post-adolescents (L’express du 9 septembre 1968)

Et surtout

  • Le 27 septembre 1968 : 2001 Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick dans lequel l’intelligence artificielle du robot qui avait pour nom « Hal » tentait de ne pas se faire débrancher par l’homme qui venait de constater qu’il était en train de prendre des décisions contraires aux intérêts des humains.

Et puis il y a d’autres choses qui se passent dans le monde qui sont moins réjouissantes :

D’abord la révolution culturelle en Chine.

Le 8 août 1966, le comité central du parti communiste chinois avait émis un projet de loi (sans doute rédigé par Mao) concernant les « décisions sur la grande révolution culturelle prolétarienne ». Ce texte constitue une forme de charte de la Révolution culturelle. La révolution culturelle, un moment d’une violence inouïe, chaotique atteindra son apogée en 1968.

Parmi ceux ont fait mai 1968 en France, il y avait un nombre important de maoïstes ou du moins des gens qui exprimaient une grande sympathie pour Mao. La Gauche Prolétarienne était une des structures qui regroupaient ces militants : Benny Lévy, Alain Geismar, Serge July, Gérard Miller, Marin Karmitz, André Glucksmann, Daniel Rondeau, Olivier Roy etc.

<Dans cet article : L’enfant et les gardes rouges> il est question de Xu Xing qui vit cette période à 12 ans, séparé des siens et qui est devenu écrivain et réalisateur. Il raconte la violence dont il a été témoin :

« La violence était partout Surtout entre 1966 et 1968. Tous les jours, des maisons étaient mises à sac. Lui est trop petit pour être visé par les Gardes rouges. Et sa famille, envoyée à la campagne, échappe à l’acharnement des petits soldats de Mao. Mais ma voisine a été battue à mort ou presque se souvient-il. Elle était propriétaire, dans ma ruelle d’une grande cour. La porte était toujours fermée et elle ne se mélait pas aux voisins. Un jour, un groupe de gardes rouges est entré. Tout à coup, on a entendu un cri terrifiant et ils ont fait sortir cette vieille femme, à laquelle ils avaient coupé les cheveux n’importe comment. Ils l’ont jetée dans un triporteur et, debout, les gardes rouges la frappaient avec une ceinture en cuir. Son corps était couvert de sang…Ses cris je m’en souviens encore ».

L’autre drame, outre le Viet Nam, dans le monde en 1968 était la famine au Biafra

Il s’agit d’une guerre civile entre ethnies au Nigeria dont l’origine plonge à la fois dans les frontières artificielles et les antagonismes qui ont été provoqués par les colonisateurs européens. L’ethnie des ibos, catholiques avaient longtemps été privilégiés par les blancs. Au début de l’indépendance du Nigéria, cette ethnie tenait plutôt les leviers du pouvoir, mais minoritaire elle va bientôt être rejetée et faire l’objet de massacres par les populations du nord, musulmanes, les Haoussas et les Fulanis. La population Ibos se retranche alors dans sa région d’origine qui va devenir le Biafra et va tenter par les armes d’obtenir son indépendance. Mais le Biafra dirigé par un chef intransigeant et rigide : le colonel Ojukwu lâché par les occidentaux et les autres pays africains qui ne veulent pas remettre en cause les frontières de l’Afrique, encerclé et soumis à un blocus par les troupes nigérianes fédérales beaucoup plus nombreuses, va d’abord mourir de faim avant que la rébellion ne s’écroule. Un article d’un journal suisse essaye d’expliquer la complexité de ce conflit et l’utilisation de la famine comme ultime arme de communication du colonel Ojukwu pour essayer d’obtenir l’indépendance.

Les images sont insoutenables. Il suffit de chercher sur un moteur de recherche « famine Biafra » pour en trouver de nombreuses.

C’est lors de ce conflit que les premières organisations humanitaires vont naître, des médecins dont Bernard Kouchner le plus médiatique d’entre eux vont d’abord sous l’égide de la Croix Rouge se rendre sur ce territoire où agonise un peuple et en réaction créer « médecins sans frontières » puis d’autres ONG analogues.

Voilà ce qui se passait dans le monde en 1968 pendant que les étudiants français écrivaient des slogans sur les murs comme : « Sous les pavés, la plage ». Il est vrai que Romain Goupil avec Daniel Cohn-Bendit, invité par France Inter, hier le 14 mai,  pour leur film, présenté à Cannes, «la traversée» et présentant la France d’aujourd’hui, a transformé ce slogan au cours de l’émission en disant : « Sous les pavés, les sages ». Car il reconnaissait qu’en 1968 il était sectaire, bolchevique et gauchiste. Ce documentaire sera diffusé le 21 mai à 20h50 sur France 5.

 

 

A Paris, le 15 mai 1968, le Théâtre de l’Odéon est occupé.

 

 

 

 

 

<1069>

Lundi 14 mai 2018

« Mai 68 dans le Monde »
Butinages autour de mai 68

J’ai longtemps hésité avant de me lancer dans la rédaction d’une série de mots du jour sur mai 68.

En mai 68, je n’avais pas encore dix ans, je n’ai aucun souvenir dans ma mémoire de ce moment, sauf peut-être la tentative de Daniel Cohn Bendit de revenir en France après son expulsion, parce qu’il a essayé de le faire au poste frontière de la Brême d’or qui se situait à 2 km de ma maison familiale.

Par la suite je n’ai jamais été intéressé par cette pseudo-révolution.

C’est pourquoi quand Michelle nous a rendu visite vers le 22 mars et m’a suggéré: «  j’espère que tu vas nous faire des mots du jour sur mai 68. » j’ai simplement répondu que ce n’était pas prévu..

Cependant c’est un sujet qui semble beaucoup occuper les médias.

Plus étonnant, le Président Macron s’est posé la question de commémorer cet évènement !

L’Obs nous apprend que Daniel Cohn Bendit et un de ses vieux complices du mouvement de mai 68, Romain Goupil s’entretiennent régulièrement avec le Président :

« Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, Cohn-Bendit et Goupil, que certains surnomment « le couple Dany » tant ils sont inséparables, sont des interlocuteurs réguliers du président. « Ils font partie des capteurs que le président aime voir », dit un de ses proches. »

Et c’est donc, toujours d’après l’Obs que par SMS, le président de la République a testé l’idée auprès du tandem : « Commémorer officiellement Mai-68 ?  »

Et Dany le rouge devenu Dany le vert a immédiatement répondu, aussi par sms :

« Qu’est-ce que c’est que cette idée ? Rien à cirer ! »

C’est aussi simple et direct que cela…

Depuis quelques années, les présidents de la république semblent être très concernés par le mouvement de mai 68.

C’est le Figaro qui écrit :

« Une chose est sûre: il y a un avant et un après Mai 68. »

Et de rappeler que Nicolas Sarkozy, dans un discours de campagne, en 2007, voulait «liquider l’héritage de Mai 68», responsable d’un «relativisme intellectuel et moral», qui avait introduit «le cynisme dans la société et dans la politique», «liquidé l’école de Jules Ferry» ou encore «abaissé le niveau moral de la politique».

Et l’antépénultième président, au jour d’aujourd’hui, ajoutait :

«Les héritiers de mai 68 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre le beau et le laid».

Le précédent président, en 2012, prenait évidemment une position inverse et revendiquait l’héritage de Mai 68. Dans un discours, François Hollande avait salué :

«Les piétons de Mai 68, qui marchaient la tête dans les étoiles et avaient compris qu’il fallait changer».

Une chose est certaine, ce sujet continue à déchainer les passions, 50 ans après. C’est toujours le Figaro qui cite Henri Guaino :

«Ces enfants gâtés [qui étaient sur les barricades et qui voulaient] «une société sans hiérarchie et avaient accouché d’un monde de l’argent fou et de la cupidité».

Ce même article cite Alain Duhamel qui rappelle une scène qu’on croirait tirée d’un western lorsque Jacques Chirac rencontre Henri Krasucky, syndicaliste CGT, pour préparer le sommet syndical et se rend dans une chambre de bonne avec un revolver dans la poche. Il confie aussi que Pompidou, le jour de la rencontre historique rue de Grenelle, avait demandé à Balladur de bien vérifier que les portes ne soient pas fermées à clef pour éviter d’être pris en otages.

Finalement j’ai pensé qu’il pouvait être intéressant de faire quelques recherches et butinages pour devenir un peu plus savant sur ce sujet.

Et dès qu’on s’intéresse à ce sujet, on constate que ce mouvement étudiant qui a par la suite entraîné des mouvements ouvriers et des grèves n’a pas été limité à la France en 1968. Dans d’autres parties du monde ce mouvement a pu avoir lieu d’autres mois de l’année et aussi présenter des caractéristiques différentes. Mais force est de constater que ce mouvement qui a fait vaciller le pouvoir en France a eu des échos dans d’autres parties du monde.

En quelques minutes ce <petit documentaire> est très pédagogique

A Berlin, les étudiants protestent contre la guerre du Viet Nam et demandent une réforme de l’université et un assouplissement de la société allemande. Le démarrage est plus violent. Le 11 avril 1968 un homme tente d’assassiner Rudi Dutschke qui est le leader le plus connu du mouvement étudiant, il fut très gravement atteint. Rudi Dutschke mourra en 1979 des séquelles neurologiques de cette tentative d’assassinat.

L’Express dans un article du 1er mai 2008 fait remonter en Allemagne, Mai 68 au 2 juin 1967.

C’est le 2 juin 1967 que Mai 68 a commencé en Allemagne. Ce soir-là, des étudiants se rassemblent devant l’opéra de Berlin-Ouest, pour protester contre la visite officielle du chah d’Iran. Accompagné de sa femme, celui-ci assiste en effet à une représentation de La Flûte enchantée, lorsque, peu après 20 heures, les forces de l’ordre chargent les manifestants. Un étudiant de 26 ans, Benno Ohnesorg, tombe sous la balle d’un policier. La photo du jeune homme, allongé à terre, les yeux fermés, a fait le tour du monde. A ses côtés, une jeune femme accroupie lui a glissé son sac en tissu sous la nuque. Ses yeux à elle expriment la colère et semblent chercher de l’aide. Le cliché est devenu aussi célèbre que celui du sourire de Daniel Cohn-Bendit défiant les CRS français, mais la version allemande de la rébellion étudiante est nettement plus dramatique que la version française.

Tous ceux qui avaient participé à la manifestation du 2 juin 1967 racontent avoir été profondément choqués de voir un étudiant «descendu» en toute impunité (le policier sera acquitté) alors qu’il n’avait rien fait d’autre que de protester pacifiquement. Ils vont dès lors s’engager en masse dans l’action politique, à l’image de la jeune femme accroupie sur la photo, Friederike Hausmann, qui déclare aujourd’hui: «A partir de ce jour-là, je ne me suis pas politisée: je me suis radicalisée.» La mort de Benno Ohnesorg, puis en avril 1968, l’attentat contre le leader étudiant Rudi Dutschke (il mourra des suites de cette agression en 1979) vont en effet marquer le début d’une confrontation sociale qui tournera à l’hystérie collective et culminera dix ans plus tard avec la vague terroriste de l’ «automne allemand»

L’article de l’Express a pour titre « Génération Baader ».

Le mouvement de révolte s’abimera dans le sang quelques années plus tard.

A l’époque, la série « Holocauste » n’avait pas encore été produite et vue par les allemands. Ce sera le cas 10 ans plus tard. L’Allemagne ne s’était pas encore plongé dans son histoire macabre et des jeunes s’interrogeaient sur ce que leurs pères et leurs grands-pères avaient fait 25 ans auparavant. J’ai appris récemment que « Hans Martin Schleier », le président du syndicat des patrons allemands en 1977, dont j’avais appris l’existence parce que le 5 septembre 1977, la fraction Armée rouge d’Andreas Baader l’avait enlevé à Cologne puis assassiné, que cet homme donc avait été le bras droit de Heydrich en Tchécoslovaquie et qu’il a ainsi fait partie des responsables de la politique d’extermination en Tchécoslovaquie occupée.

Et dans les autres pays, en Italie, les étudiants demandent la réforme de l’enseignement. En Espagne, les étudiants manifestent contre le régime de Franco, parce qu’en 1968 l’Espagne était une dictature. La dictature réagissant avec les moyens dictatoriaux, créant par exemple une police secrète à l’Université.

Aux Etats-Unis, les étudiants sont surtout engagés contre la guerre au Viet-Nam mais aussi contre le racisme omniprésent.

En Tchécoslovaquie, les étudiants veulent faire tomber le stalinisme qui survit à la mort de Staline.

C’est ce qu’on appellera le printemps de Prague qui débute le 5 janvier 1968, avec l’arrivée au pouvoir du réformateur Alexander Dubček et s’achève le 21 août 1968 avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie.

Les étudiants participent ardemment à ce mouvement.

Jan Palach, jeune étudiant de 20 ans s’immolera par le feu sur la place Venceslas à Prague le 16 janvier 1969.et mourra le 19 janvier 1969. Il deviendra le symbole du désespoir de la jeunesse tchécoslovaque.

Un mémorial sera réalisé sur les lieux de son sacrifice.

Au Japon, les étudiants protestent contre l’emprise des Etats-Unis sur la politique japonaise. La lutte est violente entre les étudiants et les forces de l’ordre. Presque partout dans le monde la police est plus brutale que la police française. Le mouvement s’achèvera au Japon en janvier 1969 après une dernière évacuation de masse d’une université par plus de 8000 policiers.

Au Brésil, il y a aussi une dictature, comme en Espagne, elle a débuté en 1964. Ils protestent contre les violences policières. Lors d’une manifestation, le 28 mars 1968, la police tire et tue des étudiants. Cette répression envenime encore la révolte étudiante comme la répression de la dictature qui n’aura jamais été aussi dure qu’à la fin de 1968.

Au Mexique, la jeunesse demande la démocratisation du pays. Mexico va accueillir les jeux olympiques de 1968. L’armée va là aussi réprimer violemment les étudiants et faire en sorte qu’il n’y ait plus d’agitation lorsque les jeux s’ouvrent le 12 octobre. Ainsi le 2 octobre, une manifestation vire au massacre : la fusillade dure 2 heures contre une foule désarmée. Ce sera le bilan le plus désastreux, au niveau humain, de l’ensemble des mouvements étudiants dans le monde.

Je vous redonne le lien vers ce petit documentaire : <Mai 68 dans le monde>

Si vous voulez savoir ce qui s’est passé, en France, le 14 mai 1968, vous avez cette page de l’Obs qui <donne les éléments pour être incollable sur mai 1968>,
A Sud-Aviation Nantes, les ouvriers séquestrent le directeur dès le 14 mai, imités le lendemain par ceux de Renault-Cléon. Les occupations s’étendent très vite : Dès le soir du 14 mai, un millier d’étudiants nantais rejoignent Sud-Aviation et y passent la nuit en discussions avec les ouvriers. Leurs camarades de Caen font de même le 24 mai à Radiotechnique, Moulinex et Citroën. Sur de nombreux piquets de grève comme dans des facultés occupées s’ébauchent entre ouvriers et étudiants des rapprochements spontanés qui ne sont pas toujours bien vus par les syndicats.

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Vendredi 13 avril 2018

« Ni vues ni connues »
Collectif Georgette Sand

Vendredi dernier, le mot du jour évoquait Hedy Lamarr, cette femme remarquable à la fois actrice et inventrice dont on reconnait aujourd’hui la qualité d’inventeur puisque le Wifi et le GPS utilise son invention.

Hedy Lamarr fait partie des 75 femmes dont traite le livre « Ni Vues ni connues » qui a été écrit par un collectif de femmes qui a pris pour nom Georgette Sand.

Ce livre a été publié en 2017.

Ce collectif dispose d’un site : http://www.georgettesand.org/

Mais ils ont aussi publié sur la plate-forme Tumblr des pages qu’ils ont appelées les invisibilisées : http://invisibilisees.tumblr.com/ qu’ils présentent ainsi :

« Les femmes d’exception ne sont pas au Panthéon, rarement dans les livres d’histoire, peu souvent dans les mémoires. Désormais elles ont leur tumblr. Le collectif Georgette Sand souhaite imposer une légitimité qui découle des compétences et non de la perpétuation de l’endogamie. « À en croire nos manuels scolaires aujourd’hui : une société dans laquelle plus de 90 % des citoyens et des citoyennes seraient des hommes. Une société dans laquelle les grandes découvertes, l’art, la philosophie, les mathématiques seraient des domaines réservés aux garçons. Une société dans laquelle nous apprendrions que des métiers sont dédiés aux femmes et d’autres aux hommes, ou que les femmes sont avant tout des «femmes de…» avant d’être des individus à part entière. Est-ce là le message que nous voulons transmettre ? Sommes-nous mêmes conscient-e-s que ces représentations vont à l’encontre de l’égalité entre les femmes et les hommes qui est pourtant une valeur de l’école républicaine ?  » (Extrait du guide du Centre Hubertine Auclert « Faire des manuels scolaires »). »

Le site Terra Fémina a publié un article dans lequel des représentantes des 21 auteures du livre « Ni vues ni connues » ont pu s’exprimer :

« Terrafemina : Comment avez-vous sélectionné les 75 femmes dont vous avez tiré le portrait ?

Elody Croullebois & Sophie Janinet : Cela a été un travail de longue haleine. Nous avions déjà toute une liste de femmes sur le Tumblr Les Invisibilisées que nous avons créé en 2015, mais nous n’avons pas cessé d’en découvrir d’autres au fur et à mesure de nos recherches. Il fallait déterminer qui avait ou non sa place dans la sélection finale. C’était très dur de faire ce choix. Nous avions toutes des héroïnes qui nous tenaient particulièrement à cœur et que nous voulions raconter, réhabiliter à tout prix. Il y a eu pas mal de discussions passionnées. Et c’était sans fin, elles sont tellement nombreuses à mériter de retrouver la notoriété qu’on leur a volé. Nous avons donc arbitré pour avoir un panel suffisamment large de profils, origines et époques afin de montrer l’étendue du problème de l’invisibilisation. Renoncer à certaines nous a coûté mais au final, nous sommes heureuses des choix qui ont été faits. »

Elles parlent de mécanismes d’invisibilisation qui reviennent toujours :

«  Au fur et à mesure que nous nous intéressions à ce phénomène, nous avons découvert des mécanismes récurrents dans l’histoire de ces femmes. Les hommes de leurs vie avaient souvent un rôle dans leur invisibilisation, ce besoin irrépressible de les abaisser à un niveau inférieur au leur, de les maintenir dans l’ombre coûte que coûte. Certains l’ont fait ouvertement, sans complexe, parce que les codes de la société leur donnaient raison, d’autres ont été plus subtiles, voire même inconscients de ce qu’ils étaient en train de faire. Pour d’autres, c’est l’État ou la religion qui ont joué ce rôle d’effacement. A cause de cela, de grandes femmes n’ont pas eu le destin et la reconnaissance auquel leur talent leur donnait droit. Et même les plus bravaches d’entre elles, qui se sont battues jusqu’à obtenir cette reconnaissance, l’ont perdu dès qu’elles n’étaient plus là pour se défendre. Prenez un manuel scolaire et vous aurez l’impression qu’il n’y a eu aucune femme reine, résistante ou politique qui a tout fait basculer à un moment donné de l’histoire avec un grand H. C’est pourtant bien le cas. Il est temps de le rappeler. »

Ainsi on pourrait évoquer <Rosalind Franklin> dont on sait aujourd’hui qu’elle eut une place prépondérante dans la découverte de l’ADN mais ce fut ses trois collègues masculins qui obtinrent le prix Nobel de médecine en octobre 1962 : James Watson, Maurice Wilkins et Francis Crick. Cette découverte n’aurait pu se faire sans les clichés de diffraction aux rayons X effectués par Rosalind Franklin et communiqués à son insu à Watson par Wilkins.

Pour en savoir plus et entendre raconter cette histoire vous pouvez écouter l’émission de France de Culture du 5 avril 2018 <La Méthode scientifique >. Sur la page de l’émission vous verrez une copie du fameux cliché 51B avec cette légende :  «En octobre 1962, le prix Nobel de médecine est remis à trois hommes : Francis CRICK, James WATSON et Maurice WILKINS, « pour leurs découvertes sur la structure moléculaire des acides nucléiques et sa signification pour la transmission de l’information pour la matière vivante » – c’est-à-dire pour avoir mise au jour la structure en double hélice de l’ADN, et ce, en grande partie grâce à un cliché : le cliché 51, obtenu par diffraction de rayons X. Or l’histoire montrera que ce cliché n’a été pris par aucun de ces trois hommes, mais par une femme, Rosalind FRANKLIN, morte 4 ans plus tôt et dont le travail a été pillé, en toute impunité.» Elle est décédée le 16 avril 1958, à 37 ans, d’un cancer de l’ovaire, probablement lié à la surexposition aux radiations lors de ses recherches. Ce lundi 16 avril, ce seront les 60 ans de sa mort.

La gloire de certains hommes est passé par des chemins obscurs souvent en niant le rôle des femmes et parfois, comme dans ce cas, en les spoliant.

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Jeudi 29 mars 2018

« Carême »
Période de jeûne et d’abstinence de quarante jours

Pour tous ceux qui ont une culture religieuse chrétienne « le temps de carême » est bien connu. Mais pour les autres ?

Le plus simple serait, semble t’il, de comparer : Le carême est le ramadan des chrétiens.

Mais comment dire ou écrire cela, aujourd’hui en France …

  • Certains réagiront de manière sereine :il faut bien expliquer les choses avec des notions actuelles, des références connues !
  • D’autres seront effarés, scandalisés : Comment peut-on, en terre chrétienne, définir un des moments forts du calendrier chrétien par une référence islamique !

Alors parlons de Carême, sans faire référence à l’Islam.

Nous sommes Jeudi 29 mars 2018, dimanche ce sera Pâques et donc demain nous serons vendredi saint, jour férié en Allemagne, dans les pays protestants et en Alsace Moselle.

Le jour précédent Vendredi Saint est aussi saint. Nous sommes donc Jeudi Saint, dernier jour de Carême comme le dit le site des Évêques de France.

Ce qui contredit ce site et même le journal « La Croix » et beaucoup d’autres sites qui prétendent que Carême s’arrête le dimanche de Pâques.

Nous savons donc que le carême finit Jeudi Saint, mais quand commence t’il ?

Cette année, selon le site des évêques de France, Carême a commencé le 14 février. A quoi correspondait ce 14 février ?

Dans l’année liturgique chrétienne, c’est le Mercredi des Cendres. Le Mercredi des cendres, premier jour du Carême, est marqué par l’imposition des cendres : le prêtre dépose un peu de cendres sur le front de chaque fidèle.

C’est encore le site des Évêques de France qui donne des explications sur la symbolique des cendres:

« On trouve déjà le symbolisme des cendres dans l’Ancien Testament. Il évoque globalement la représentation du péché et la fragilité de l’être. On peut y lire que quand l’homme se recouvre de cendres, c’est qu’il veut montrer à Dieu qu’il reconnaît ses fautes. Par voie de conséquence, il demande à Dieu le pardon de ses péchés : il fait pénitence.

[…] La cendre est appliquée sur le front pour nous appeler plus clairement encore à la conversion, précisément par le chemin de l’humilité. La cendre, c’est ce qui reste quand le feu a détruit la matière dont il s’est emparé. Quand on constate qu’il y a des cendres, c’est qu’apparemment il ne reste plus rien de ce que le feu a détruit. C’est l’image de notre pauvreté. Mais les cendres peuvent aussi fertiliser la terre et la vie peut renaître sous les cendres. »

Avant mercredi des cendres, il y a mardi gras. Mardi gras est une période festive, qui marque la fin de la « semaine des sept jours gras ». La semaine des sept jours gras qui, elle, termine la période Carnaval. Carnaval qui est un emprunt à l’italien carnevale ou carnevalo. Il a pour origine carnelevare, un mot latin formé de carne « viande » et levare « enlever ». Mais je ferais probablement un mot du jour sur carnaval.

Ici ce qui est important c’est de faire le lien entre la nourriture grasse et la viande jusqu’à mardi gras qui est le summum de cette période et auquel succède le Mercredi des cendres et le carême, où les chrétiens sont invités à « manger maigre » en s’abstenant de viande.


Carême a commencé le 14 février et se termine donc aujourd’hui le Jeudi 29 mars 2018. Si vous comptez le nombre de jours vous aboutirez à 44 jours. Pourtant, il est écrit partout que le Carême dure 40 jours.

Mais, si on en revient au site de référence des Évêques nous pouvons lire :

La durée du Carême – quarante jours sans compter les dimanches – fait en particulier référence aux quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise ; elle renvoie aussi aux quarante jours passés par le Christ au désert entre son baptême et le début de sa vie publique. Ce chiffre de quarante symbolise les temps de préparation à de nouveaux commencements.

Nous comprenons donc qu’il faut enlever les dimanches. Seulement vous constaterez que pendant cette période il y a 6 dimanches. 44 – 6 donne 38, nous ne sommes toujours pas à 40.

Fernand Braudel disait : «en Histoire les choses sont toujours vraies à peu près», probablement qu’en religion il en va de même.

Pourquoi Quarante ? Comme l’explique le site des évêques cette durée fait référence aux quarante jours où Jésus serait resté dans le désert pour résister aux tentations de Satan. C’est ainsi que l’histoire chrétienne le raconte. Et ce chiffre quarante fait lui-même référence à un autre épisode mythique de l’histoire biblique : les quarante années passées au désert par le peuple d’Israël entre sa sortie d’Égypte et son entrée en terre promise.

Rappelons que la Pâque juive, «  Pessa’h », célèbre justement l’Exode des juifs hors d’Égypte. Or le Christ serait venu à Jérusalem pour fêter la Pâque Juive et c’est ainsi qu’il aurait institué la « Sainte Cène » où il a partagé le pain et le vin avec ses disciples. Cet épisode se serait passé Jeudi Saint. Léonard de Vinci a immortalisé ce « moment culte » comme on dirait aujourd’hui. Il me semble que cette expression est particulièrement appropriée pour ce que De Vinci a peint.

Cette peinture murale a été réalisée de 1495 à 1498 pour le réfectoire du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie à Milan et était une commande de Ludovic Sforza, Duc de Milan.

Les chrétiens reprendront le terme de Pâque pour célébrer la « résurrection du Christ » qui constitue le centre de leur croyance et de leur Foi.

Mais le sujet principal de ce mot du jour est « Carême ».

Le site savant Lexilogos précise :

Le carême vient du latin quadragesima (dies) : quarantième (jour). En ancien français, on écrivait quaresme. On devrait même plutôt dire : la carême, comme l’italien quaresima et l’espagnol cuaresma. Autrefois, on employait aussi le terme de (sainte) quarantaine pour désigner le carême.

C’est un calque du grec ecclésiastique : τεσσαρακοστή (tessarakostè). Si le carême évoque à l’origine le 40e jour avant Pâques , il s’oppose à la Pentecôte qui évoque le 50e jour après Pâques. La Pentecôte vient du grec ancien πεντηκοστή (pentèkostè) : cinquantième (jour).

Nous apprenons qu’il faut dire : « la Carême » et que carême a une racine latine qui signifie quarante. Constatons aussi que le polygone à quatre côtés s’appelle un carré. Alors que celui à cinq côtés est un pentagone, et que donc Pentecôte vient de la même racine et signifie cinquante.

Selon Wikipedia le catholicisme a institué la carême au IVème siècle.

Et si nous revenons à la première comparaison problématique entre le ramadan et la carême, le journal « La Croix » pose explicitement la question : Le (la) carême est-il le ramadan des chrétiens ?

Et y répond négativement de la manière suivante :

« Disons-le tout de suite, carême et ramadan sont des réalités différentes qui, pour l’essentiel, ne peuvent être comparées. Le ramadan n’est pas le carême des musulmans et le carême n’est pas le ramadan des chrétiens. Dans la tradition chrétienne, le carême désigne les quarante jours de préparation à la fête de Pâques. Il s’inspire du temps que Jésus a passé au désert pour se préparer à sa mission. (Matthieu 4, 2). Pour vivre ce temps, l’Église propose aux chrétiens trois moyens pour se garder disponibles envers Dieu et les autres : la prière, le jeûne et l’aumône.

Si le carême chrétien est jeûne et privations, aumône et prière, il n’est pas simple obéissance à une loi « promulguée par Dieu dans sa sagesse ». Il est un temps de marche vers un objectif précis : la Résurrection de Jésus. Dans le carême, il y a une démarche personnelle de conversion individuelle (se tourner vers) et un mouvement collectif de l’ensemble des chrétiens en vue de l’édification du Corps du Christ qui est l’Église.

Le ramadan est le 9e mois de l’année musulmane, année lunaire comportant 11 ou 12 jours de moins que l’année solaire. Le jeûne rituel du mois de ramadan, quatrième pilier de l’Islam, fut décrété deux ans après l’Hégire. C’est au cours de ce mois que la tradition musulmane fixe la transmission du Coran à Muhammad par l’ange Gabriel. Globalement, le jeûne du mois de ramadan consiste à s’abstenir de toute nourriture et boisson, de relations sexuelles et à ne pas fumer du lever au coucher du soleil. La validité du jeûne exige un état de pureté légale. Parmi les anniversaires de la vie du Prophète célébrés au cours du mois de ramadan, la 27e nuit est le plus important.

On y commémore la Nuit du Destin, nuit solennelle au cours de laquelle le Coran est descendu parmi les hommes. « Elle est meilleure que mille mois » et « elle est un Salut jusqu’au lever de l’aurore » (Q. 97, 3.5.). Temps de partage, le mois de ramadan l’est à double titre. Pendant la journée, celui qui possède partage le sort du pauvre en se privant. Pendant la nuit et lors de la fête de la rupture du jeûne, il doit veiller à ce que son voisin pauvre ait le nécessaire pour rompre le jeûne. Si le jeûne du ramadan est obéissance à la Loi que Dieu a donnée à l’humanité dans sa sagesse et un temps de partage, il est aussi un moyen de purification et de lutte contre les convoitises. »

Ce n’est donc pas la même chose, il en reste pas moins qu’il s’agit dans les deux cas d’un exercice spirituel pendant lequel le croyant doit s’abstenir de faire des choses que son corps et sa chair désirent.

Résumons : nous sommes jeudi saint, jour de la Sainte Cène, j’ai donc opportunément ajouté une photo du chef d’œuvre de Léonard de Vinci.

Jeudi Saint étant aussi la fin de la Carême, il paraissait donc pertinent de consacrer un mot du jour à ce terme.

Enfin, étant donné mes racines mosellanes, j’ai été habitué à ce que vendredi saint soit férié, je m’octroie donc une trêve pascale.

Le prochain mot du jour sera publié mardi 3 avril, après lundi de Pâques.

<1047>

Vendredi 9 mars 2018

« Doudou et Zizi »
Deux maires de Lyon, ayant dirigé la ville pendant plus de 70 ans !

Il s’agit du dernier article consacré à Lyon et inspiré par les émissions que la Fabrique de l’Histoire a consacré à la capitale des Gaules.

Normalement ce mot devrait être consacré à la dernière émission : <1562, Lyon capitale protestante>

Quelques mots sur ce point d’histoire toutefois. Lyon est une ville catholique. Jamais la ville, ni la province qui l’entourait : le Lyonnais n’ont été dirigé par un Prince, un Duc, un Comte. Lyon était dirigé par l’Église et l’autorité était celui de l’Archevêque de Lyon. Mais en pleine guerre de religion, dans la nuit du 29 au 30 avril 1562, les protestants s’emparent militairement de Lyon. C’est notamment un chef de guerre protestant : le baron des Adrets qui imposa un pouvoir brutal jusqu’au 15 juin 1563. Tout ceci peut être approfondi en écoutant l’émission précitée.

Mais pour ce dernier article j’ai préféré, sur un mode plus léger, évoquer des maires de Lyon.

L’idée initiale est venue de la lecture d’un article de Slate consacré à la dernière campagne municipale où l’actuel Ministre de l’intérieur a conservé son mandat de maire de Lyon. C’était un article politique très sérieux qui essayait de démontrer que Lyon voulait être dirigé au centre pas forcément par un centriste.

Mais c’est un paragraphe qui a attiré mon attention et m’a révélé l’existence de Doudou et Zizi ! Slate donnait la parole à un historien Bruno Benoît qui disait à propos de Gérard Collomb :

« recueillant les fruits d’une popularité qui, remarque Bruno Benoît, lui vaut le rare privilège de se voir attribuer un surnom tout en finesse par les Lyonnais: après «Doudou» pour Edouard Herriot, puis «Zizi» pour Louis Pradel, c’est «Gégé» qui devrait être réélu fin mars pour un troisième mandat

Ma fréquentation des socialistes à partir de 2003, m’avait appris que certains d’entre eux disait « Gégé » en parlant du maire de Lyon, une impression de connivence était immédiatement perceptible avec l’édile, une sorte d’affection presque… quoique dans le monde politique les intérêts personnels ne laissent guère de place à l’affection toujours précaire et susceptible d’être révoquée.

Mais cet article m’apprenait que c’était un privilège des maires de Lyon au long cours d’avoir un « surnom ». Et je vais donc m’intéresser à « Doudou » et « Zizi ».

Pour ma part je trouve ces surnoms plutôt ridicules que « tout en finesse ».

Edouard Herriot a été maire de Lyon de 1905 jusqu’à sa mort en 1957. Pour être précis, il fut révoqué par le gouvernement de Vichy le 20 septembre 1940 et ne redevint maire qu’à la fin de la guerre le 18 mai 1945.

Louis Pradel lui succéda. Il fallait désigner un intérimaire à la mort de Doudou, il était l’adjoint aux sports et aux beaux-arts. On raconte que les principaux ténors politiques du conseil municipal n’arrivant pas à se mettre d’accord, il fut choisit car il ne faisait d’ombre à personne et qu’il pourrait être facilement manipulé. Tel ne fut pas le cas, il s’imposa et resta lui aussi maire jusqu’à sa mort.

A sa mort, Francisque Collomb.un de ses adjoints lui succède. Mais à partir de là ce fut plus compliqué : Francisque Collomb nomma Michel Noir comme 1er adjoint. Et Michel Noir se présenta contre lui et le battit aux élections de 1989. Michel Noir fut lui-même écarté pour des raisons d’affaires judiciaires. A contre cœur Raymond Barre vint lui succéder. Raymond Barre qui en affirmant que « Gérard Collomb serait un excellent maire de Lyon » saborda son camp politique. Et depuis grâce à « Gégé » la vie politique lyonnaise est redevenue stable et prévisible.

Mais mon sujet est Doudou et Zizi. L’amplitude de leur règne est donc de 1905 à 1976, soit 72 ans quasi ¾ du XXème siècle. C’est quelque chose 72 ans !

Les dernières années d’Edouard Herriot ont été des années de stagnation, le vieux maire n’entreprenant plus grand-chose.

Louis Pradel lui succédant engagea toute une série de travaux, pour les partisans il fut un bâtisseur, pour ses opposants il fut un « massacreur urbain » pour tous il était « Zizi le béton »

Il s’en moquait lui-même. : Aux municipales de 1965, les gaullistes présentèrent contre lui Maurice Herzog. Maurice Herzog était né à Lyon en 1919, il était le ministre de la Jeunesse et des Sports mais sa célébrité venait surtout de son exploit d’avoir été le premier européen à avoir vaincu l’Annapurna le 3 juin 1950. Cet exploit fut largement médiatisé, depuis plusieurs proches dont sa fille ont remis en cause sa légende. Mais en 1965, il était auréolé de la lumière de son exploit et du soutien de Gaulle. Mais il n’impressionna pas Pradel qui déclara : « On m’appelle « Zizi », c’est sympathique mais lui, c’est un « Zozo » qui n’a pas sa place ici ».

En 1965, Zizi créa son propre parti, le P.R.A.D.E.L. : « pour la réalisation active des espérances lyonnaises », et investit, sous cette étiquette, une liste dans chacun des arrondissements. Il gagna, dès le premier tour, la totalité des arrondissements. Zozo, dépité, s’en alla et devint maire de Chamonix en 1968 et le resta jusqu’en 1977. Il y avait donc de la place en Rhône Alpes pour Zizi et pour Zozo.

Donc Zizi est parti à New York, il fut émerveillé et revint à Lyon avec de belles idées : « il faut pouvoir traverser Lyon sans aucun feu rouge ». Il ordonna donc la traversée du centre de Lyon par l’autoroute Paris-Marseille, grâce au tunnel de Fourvière et au centre d’échange multimodal de Perrache, surnommé le plat de nouilles, en raison des nombreux tunnels (autoroute, métro, bus) qui s’y croisent. C’est aujourd’hui sa réalisation la plus contestée, qualifiée de connerie du siècle par Michel Noir, maire de Lyon de 1989 à 1995.

Je ne montre pas ce que lPerrache est devenu, mais une image de la Gare de Perrache telle qu’elle a été conçue. Lors du mot du jour précédent j’avais écrit qu’elle était inspirée de l’architecture du Palais impérial prévu pour Napoléon et jamais construit.

Par ailleurs et sans être exhaustif, Lyon doit à Zizi le béton :

  • Le développement du tout-à-l’égout et assainissement des vieux quartiers ;
  • En tant que Président des Hospices Civils de Lyon, les Hôpitaux de Neurologie et de Cardiologie ;
  • Installation à Lyon du Centre international de recherche sur le cancer
  • Un Palais des Congrès jouxtant la roseraie du Parc de la Tête d’Or, inaugurée avec la Princesse Grace de Monaco (Annie me fait justement remarquer que ce palais a été détruit lors de la construction de la Cité internationale par Renzo Piano. Elle le sait d’autant plus qu’à l’époque de sa démolition elle travaillait dans le cabinet Piano) ;
  • Le quartier de la Duchère ;
  • Le quartier de La Part-Dieu, sur les 35 ha d’une ancienne caserne de cavalerie, quartier destiné à attirer des centres de décision, incluant un centre commercial et la nouvelle Bibliothèque municipale de Lyon ;
  • Le développement du métro de Lyon et après les travaux de la ligne A, la rue de la République et la rue Victor Hugo ne furent pas rendues à la circulation automobile, pour devenir les premières rues piétonnes de Lyon, ce qui peut relativiser sa passion de la voiture.

Atteint d’un cancer, il meurt quelques mois avant la mise en service du métro.

Zizi est resté concentré sur son mandat local, affirmant et respectant sa parole de ne jamais prétendre à un poste de ministre ou des responsabilités nationales.

Tel ne fut pas le cas de Doudou, l’inoubliable inventeur de cette formule :

« La politique, c’est comme l’andouillette. Ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. »

Après avoir été élu Maire de Lyon en 1905, il devient sénateur en 1912 et embrasse ainsi une carrière politique nationale qui fait de lui l’un des principaux représentants du parti Radical.

<Ce site parle de tous les maires de Lyon> (D’ailleurs vous trouverez une photo de Gérard Collomb jeune assez étonnante)

Et concernant Doudou, il dit les choses suivantes :

« Il s’engage dans l’affaire Dreyfus aux côtés d’Émile Zola et Anatole France, et fonde la section lyonnaise de la Ligue des droits de l’homme. Il s’affirme comme un orateur exceptionnel.

Le 12 décembre 1916, il obtient son premier poste ministériel comme Ministre des Travaux publics, des Transports et du Ravitaillement, […]

En 1924, Il est appelé [une première fois] à la présidence du Conseil […],.

Fervent défenseur de la laïcité, il veut alors introduire les lois laïques en Alsace-Lorraine et rompre les relations diplomatiques avec le Vatican mais il est désavoué par le Conseil d’État et la résistance populaire sur le premier point et se heurte à l’opposition du Sénat et au risque de velléités indépendantistes locales sur le second. »

Sous la IIIème République il est Président du Conseil des ministres à trois reprises, c’est une figure du Cartel des gauches, coalition gouvernementale et parlementaire des années 1920,  il présida aussi la Chambre des députés, sous la IIIe République, et même l’Assemblée nationale, sous la IVe République.

Bref, il est une des personnalités principales de la IIIème république.

Georges Clemenceau aura sur lui ce trait ironique :

« Le Vésuve se borne souvent à fumer sa pipe comme Herriot, tout en ayant sur celui-ci l’avantage de se faire parfois oublier ».

Le site précité raconte aussi un épisode où Doudou manquera manifestement de jugement :

« À l’invitation de Staline, Édouard Herriot se rend en 1933 à Moscou. Ce voyage s’inscrit dans la tentative de rapprochement franco-soviétique qui débouchera sur le pacte franco-soviétique de 1935. À cette occasion, Herriot visite l’Ukraine où sévit alors une famine dramatique. Abusé par la propagande soviétique et les figurants se dressant sur son passage, Édouard Herriot ne se rend pas compte de la famine qui sévit dans le pays et déclare n’avoir vu que « des jardins potagers de kolkhozes admirablement irrigués et cultivés […]. Lorsque l’on soutient que l’Ukraine est dévastée par la famine, permettez-moi de hausser les épaules. », dans son récit de voyage publié l’année suivante, « Orient »

Après la guerre, il est même élu membre de l’Académie française le 5 décembre 1946.

En tant que maire de Lyon, il a marqué durablement la ville de Lyon. Beaucoup de son empreinte de bâtisseur est lié à sa relation avec l’architecte lyonnais : Tony Garnier. A eux deux, ils vont marquer le territoire de la ville par la réalisation de grands équipements : les abattoirs et le marché aux bestiaux de Gerland (1913-1928), l’hôpital de Grange-Blanche (1914-1933), le stade municipal de Gerland (1913-1926), la salle des fêtes de la Croix-Rousse (1934) et surtout la construction d’un nouveau quartier : les Etats-Unis (1920-1935).

Mais en 1935, il décide de la démolition de l’hôpital de la Charité pour y faire construire un grand Hôtel des postes, dans le plus pure style stalinien. Montrant une absence totale de souci de sauvegarde du patrimoine.

<L’hôpital de la Charité> est un hôpital historique construit à partir de 1617.

Ce fut un personnage considérable mais qui probablement resta trop longtemps sur le devant de la scène et ne sut pas se retirer à temps

Il avait aussi la magie de la formule . J’en citerai deux :

« C’est à Nice que j’ai lu à la devanture d’un restaurant du Vieux-Nice : Restaurant Ouvrier – Cuisine bourgeoise. C’est bien le programme de certains de mes amis socialistes ».

« Le Sénat est une assemblée d’hommes à idées fixes, heureusement corrigée par une abondante mortalité. »

Le lecteur curieux et attentif posera cependant la question mais pourquoi les a-t-on appelé Doudou et Zizi ?

Pour Doudou c’est simple, c’est la syllabe d’Edouard, répété deux fois.

Mais pour Zizi ?

Je compte sur vous pour trouver des hypothèses…

<1033>

Jeudi 8 mars 2018

« Lyon fit la guerre à la Liberté ; Lyon n’est plus»
Décret de la Convention du 12 octobre 1793

La révolution française fut très cruelle pour Lyon, surtout en 1793.

Si vous regardez de manière attentive la carte des départements de l’ancienne Région Rhône-Alpes, une anomalie saute tout de suite aux yeux.

La Loire et le Rhône ne ressemblent pas aux autres départements, ils sont plus petits. On dirait même qu’ils sont chacun la moitié d’un département comme l’Ain, l’Isère ou les Savoies.

Et c’est vrai, à l’origine Le Rhône-et-Loire fut l’un des 83 départements créés à la Révolution française, le 4 mars 1790 en application de la loi du 22 décembre 1789, à partir du territoire de la Généralité de Lyon elle-même constituée des anciennes provinces du Lyonnais, du Beaujolais et du Forez.

Mais ce département fut divisé en deux pour punir Lyon qui avait eu la mauvaise idée de chasser les montagnards et de prendre le parti des girondins, alors qu’à Paris les montagnards de Robespierre étaient en train de vaincre les Girondins.

Rappelons que les Girondins avaient pour nom Vergniaud, Brissot, Roland et Condorcet.

En face les montagnards s’appelaient Robespierre, Danton, Marat, Saint Just.

Les premiers qui attaquèrent, furent d’abord les Girondins qui, pour cause de dénonciations calomnieuses, firent décréter l’arrestation de Marat par la Convention nationale le 13 avril 1793 ; mais celui-ci fut acquitté par le Tribunal criminel extraordinaire et regagna l’Assemblée triomphalement le 24 avril 1793.

Ce fut le début du déclin des girondins.

Deux articles de Wikipedia détaillent les évènements lyonnais : <Lyon sous la Révolution> et <Soulèvement de Lyon contre la Convention nationale>

Au début de la révolution les lyonnais sont très favorables à celle-ci.

Nous pouvons lire dans Wikipedia :

« En 1789, Lyon est avec Paris la seule agglomération à dépasser de façon certaine les 100 000 habitants. Ville de banque, de négoce et de manufactures, elle vit surtout de la soierie, qui occupe un tiers de la population. Mais la France est alors plongée dans une crise économique très grave, et cette industrie est en crise. Selon Arthur Young, agronome britannique qui visite la ville en décembre, 20 000 personnes vivent de la charité et souffrent de la disette, et les couches populaires sont confrontées à la misère. […] Le peuple de la ville espère que les États généraux de 1789 vont supprimer les droits d’octroi, établis par l’oligarchie marchande pour acquitter le loyer des emprunts sans imposer les propriétés. Toutefois, la nouvelle municipalité issue des élections maintient l’octroi. Cette mesure provoque une nouvelle émeute, qui contraint les édiles à reculer ; mais l’Assemblée constituante rétablit provisoirement les barrières. Cette décision déclenche une nouvelle émeute, accompagnée du pillage des maisons des plus riches et de la demande de la taxation des denrées de première nécessité. »

Par la suite ce sont plutôt des modérés ou des monarchistes constitutionnels qui détiennent le pouvoir à Lyon.

En fin de compte l’affrontement à Lyon se fera entre le girondin Roland et ses partisans restés à Lyon et le montagnard Marie Joseph Chalier.

Roland ou plus précisément « Jean-Marie Roland de La Platière » est né le 18 février 1734 à Thizy, dans le Beaujolais.il occupe le poste d’inspecteur des manufactures à Lyon, lorsqu’éclate la Révolution. Il est le mari de la célèbre Madame Roland qui a pour prénom Manon et sera guillotiné en 1793 à Paris. Son mari se suicidera deux jours après.

Roland est élu en 1790 au conseil général de la commune de la ville de Lyon, qui l’envoie à Paris l’année suivante. Dans la capitale, il se fait connaître grâce notamment à Manon qui reçoit tous les hommes influents. Il deviendra ministre de l’intérieur du gouvernement girondin en mars 1792, toujours grâce à l’influence de son épouse.

A Lyon se sont ses amis girondins qui se succèdent comme maire de Lyon, ils ont pour nom Vitet, Nivière-Chol, Gilibert.

Mais tous ces maires sont contestés par Marie Joseph Chalier et ses alliés.

Chalier se bat pour une révolution sociale mais c’est un extrémisme brutal. Son partisan Bertrand accède enfin à la mairie de Lyon le 9 mars 1793.

Le pouvoir des Chaliers va durer 80 jours. Le 29 mai, une assemblée des sections réunie à l’Arsenal décide de renverser la municipalité. Dans la nuit, les « Chalier » sont arrêtés. Le juge Ampère (père du physicien André-Marie Ampère) est désigné pour instruire le procès de Joseph Chalier et de ses amis.

Chalier est condamné à mort le 16 juillet et guillotiné le lendemain.

La Convention montagnarde décide d’envoyer une armée à Lyon qui bombardera la ville et fera son siège du 9 août au 9 octobre 1793, date de la reddition.

La répression sera féroce.

La convention produira son célèbre décret du 12 octobre 1793.

Dont je donne les principaux passages :

« La ville de Lyon sera détruite, tout ce qui fut habité par le riche sera démoli […]

Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République.

La réunion des maisons conservées portera désormais le nom de ville affranchie.

Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne avec cette inscription :
 Lyon fit la guerre à la Liberté ; Lyon n’est plus. »

Toutefois, ce décret ne fut que modérément appliqué. Le 26 octobre, on commença la démolition des Façades de la place Bellecour. Bonaparte, Premier Consul, en ordonnera la reconstruction en 1800, et viendra en poser la première pierre.

Parallèlement quelques appellations révolutionnaires furent imposées : à l’instar de la ville de Lyon devenue Ville-Affranchie, divers quartiers, places et rues sont rebaptisés. C’est ainsi que le quartier Bellecour devient le « Canton de la Fédération » ou « Canton Égalité », la place Bellecour devient « place de la Fédération » ou « place de l’Égalité », le quartier de La Croix-Rousse devient « Commune-Chalier », le quartier de l’Hôtel-Dieu devient « Canton-sans-Culotte », le quartier de la Halle aux Blés devient « Canton Chalier »

Mais le 14 pluviôse an III (2 février 1795), la Convention d’après Thermidor suspend l’application du terrible décret et restitue à la Ville ses droits et son nom.

En revanche, la partition du département de Rhône et Loire qui fut officialisée par l’approbation de la Convention nationale le mardi 19 novembre 1793 ne fut, lui, jamais remis en question. Ainsi Saint Etienne est une préfecture au même titre que Lyon.

Le plus terrible fut cependant les exécutions en masse par la guillotine et des fusillades

La Convention décide la formation d’une « Commission extraordinaire » de cinq membres chargée de « punir militairement et sans délai les criminels contre-révolutionnaires de Lyon ».

Cette « Commission révolutionnaire extraordinaire » qui siège du 30 novembre 1793 au 6 avril 1794, présidée par le général Parein, décide d’emblée de substituer des mitraillades collectives aux fusillades individuelles et à la guillotine. Les 4 et 5 décembre, 60, puis 208 ou 209 condamnés sont tués par trois pièces de canon chargées à mitraille dans la plaine des Brotteaux, près de la grange de Part-Dieu.

La responsabilité de ces massacres a été imputée non seulement à la Commission Parein, mais aussi aux représentants Collot d’Herbois et Fouché, nommés le mois précédent.

Pour commémorer ces massacres dans la plaine des Brotteaux, des lyonnais ont instauré un mémorial dans la crypte de la chapelle sainte Croix des Brotteaux (147 rue Créqui, Lyon 6)

Près de 2000 personnes ont ainsi été exécutées selon ces diverses « méthodes » révolutionnaires

Vous trouverez derrière ce lien une vidéo présentant <La crypte des Brotteaux> , monument et ossuaire à la mémoire des victimes de la répression de 1793 à Lyon.

Edouard Herriot, le maire de Lyon de la première moitié du XXème siècle a écrit un livre d’Histoire, « Lyon n’est plus » en 3 tomes :

  • Tome 1 « Jacobins et les modérés »
  • Tome 2 « le siège »
  • Tome 3 « la répression ».

On peut comprendre qu’après de tels épisodes, une certaine tension puisse exister entre Paris et Lyon.

Par la suite Napoléon Bonaparte a apporté du baume au cœur des lyonnais.

Ce site <Napoléon et Lyon> raconte cette histoire.

Il existait par exemple le projet de construire un palais impérial sur la Presqu’ile. Il paraitrait que les plans de la gare de Perrache ont été inspirés par ceux du projet de palais impérial de Napoléon.

En revenant de l’ile d’Elbe, Napoléon a fait une dernière fois halte dans l’ex ville affranchie et a écrit ce mot que vous pouvez retrouver au Musée Gadagne et aussi sur le site précité :

« Lyonnais je vous aime »
Cet écrit date du 13 mars 1815.

La 3ème émission de la fabrique de l’Histoire consacrée à Lyon portait sur ce sujet et avait pour titre : <Lyon n’est plus>

<1032>

Mercredi 7 mars 2018

« Morand et Perrache »
Deux urbanistes lyonnais du XVIIIème siècle qui ont joué un immense rôle dans l’évolution de la ville de Lyon

Je choisis cette semaine de consacrer 5 mots à la ville que j’habite, Lyon. Limiter ce défi à 5 articles nécessite des choix arbitraires.

Les deux premiers articles se situaient à l’époque romaine, celui d’aujourd’hui nous amène au XVIIIème siècle, juste avant la révolution française.

L’empire romain s’est effondré au IVème siècle. Les aqueducs romains qui alimentaient la colline Fourvière se sont abimés, les habitants sont descendus de la colline pour s’installer au bord de Saône.

Ils vont créer un quartier qu’on appelle aujourd’hui « Le vieux Lyon » qui est le quartier renaissance le plus étendu d’Europe après Venise.

Avant cela, il y a eu l’Europe carolingienne, avec la tentative de Charlemagne de recréer un empire. Ses successeurs vont par le « Traité de Verdun de 843 » partager cet empire en 3 parties.

L’aîné, Lothaire, va obtenir les territoires du centre qui vont s’appeler la Lotharingie, racine de la Lorraine qui est ma région natale. Sur la carte que je joins, il est écrit « Lothringen » nom allemand de la Lorraine. Vous voyez que Lyon se trouve en Lotharingie, au même titre que Metz et Milan et la capitale de Charlemagne « Aix la Chapelle ».

Aix la Chapelle, lors d’une discussion j’ai compris que pour certains, c’était forcément une ville française à cause du nom. C’est absolument faux, Aix la Chapelle c’est « Aachen », une ville allemande. La capitale de Charlemagne est une ville allemande !

Dans le traité de Verdun, la France ou plutôt l’embryon de la France est confié à Charles le Chauve.

Pendant longtemps Lyon sera ville du Saint empire romain germanique.

C’est en 1312, sous Philippe le Bel que Lyon devint française.

Avant de parler des deux urbanistes qui ont métamorphosé la ville de Lyon, il est encore nécessaire de donner quelques précisions.

Lyon a été construit sur un confluent. Il semble d’ailleurs que peu de grandes métropoles disposent ainsi, en leur sein, d’un confluent de deux grands fleuves. Il n’y aurait aucun autre cas en Europe et un seul autre cas aux Etats-Unis pour la ville de Pittsburgh. Je remercie par avance le lecteur qui infirmera cette affirmation pour faire progresser ma connaissance.

Toutefois, même si Lyon se trouve sur le site d’un confluent, il faut comprendre que dans l’Histoire, les deux fleuves n’ont pas le même statut. Le fleuve de Lyon est « la Saône ». Pendant longtemps le Rhône constituait la frontière de Lyon et du Lyonnais. Après que Lyon soit devenu française, la rive gauche du Rhône, l’est du lyonnais était territoire du Dauphiné, c’est-à-dire la terre donnée en apanage à l’héritier du trône de France : le dauphin.

Un seul pont sur le Rhône à la hauteur de Lyon permettait d’entrer dans le lyonnais, le pont de la Guillotière mais qui pendant longtemps était simplement : « Le pont ». Aujourd’hui encore si vous lisez sur un plan de Lyon, la place Gabriel Péri juste avant le Pont de la Guillotière, les « vrais » lyonnais continuent à désigner cet endroit comme « La Place du Pont ».

Dans la suite de cet article, il sera question plusieurs fois du « Consulat ». Il faut savoir que le Consulat de Lyon est une institution qui détient le pouvoir municipal à Lyon entre 1320 et 1790. Issu de la volonté de la bourgeoisie lyonnaise au XIIIe siècle d’imiter de nombreuses villes d’Europe qui obtiennent de larges privilèges de gestion, le consulat ne naitra effectivement qu’après de longues décennies de lutte contre le seigneur ecclésiastique de la ville, l’archevêque, en 1320.

La source de ce qui va suivre se trouve pour l’essentiel dans le catalogue de l’exposition « Lyon sur le divan » déjà évoqué ce lundi.

Je vais donc évoquer deux personnages emblématiques qui ont contribué à la métamorphose de la cité : Jean–Antoine Morand et Antoine-Michel Perrache.

Mais avant ces deux visionnaires, il faut évoquer Soufflot qui avant Paris avait œuvré sur Lyon.

Catalogue pages 33-36 :

« C’est Jacques Germain Soufflot (1713–1780) qui tient le rôle essentiel dans une certaine normalisation de la production architecturale lyonnaise. Originaire de Bourgogne, il effectue deux séjours à Lyon à partir de 1738 qui orientent sa carrière et son succès auprès des instances de la monarchie. Les aménagements du palais de l’archevêché, le couvent des Chartreux, l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu (1741–1749) avec la monumentale façade sur le Rhône et l’élévation du dôme, le rehaussement et agrandissement de la Loge du change (1750), le théâtre (1754–1756), constituent un répertoire diversifié d’édifices publics, dont on ne retrouvera d’équivalent à Lyon qu’au XXe siècle, avec l’œuvre de Tony Garnier. […]

La dimension urbaine des réalisations lyonnaises de Soufflot attire l’attention à commencer par l’Hôtel-Dieu dont la façade démesurée (400 m, 51 travées à arcades), inachevée du vivant de l’architecte, accompagne la démolition de la fortification du Rhône (1738–1778). […]

Si Soufflot, après 1755, poursuit sa carrière à Paris et restera plutôt célèbre pour la mise en chantier de la basilique de la montagne Sainte-Geneviève, futur Panthéon, son impact sur l’urbanisme lyonnais est donc considérable.

Catalogue page 37

« Parmi les proches de Soufflot, on trouve Jean–Antoine Morand (1727–1794) grand nom de l’urbanisme lyonnais. Cet artiste et décorateur, plus qu’architecte, est le premier développeur des terrains des Brotteaux, demeurés inondables et coupés de la ville historique par le Rhône, fleuve alors très large et dangereux que l’on ne franchit que par un seul pont, celui de la Guillotière.

Le projet ambitieux que Morand présente au consulat en 1764 ne se limite pas à la rive gauche du Rhône, bien que la demande initiale émane des recteurs de l’Hôtel-Dieu qui désirent lotir leurs terrain. Publié en 1766 il prétend « donner à la ville une forme circulaire, la seule capable de faire une ville d’une vaste étendue, en même temps qu’elle rapproche tous les citoyens les uns des autres et qu’elle rend leurs besoins moins onéreux ».

J’ai reproduit ce plan circulaire dans cet article. En haut à droite, sur la rive gauche du Rhône vous voyez, un quartier d’immeubles figurés en rose, avec des rues à angle droit : cela correspond à l’aménagement du terrain des Brotteaux. La place, près du Rhône est l’actuel Place Lyautey et le pont qui est le second pont sur le Rhône (le premier étant celui plus bas : le Pont de la Guillotière) s’appelle aujourd’hui le pont Morand.

Voici donc l’idéal de la cité imaginé par Morand : Une ville circulaire avec des rues qui se coupent à angle droit. Les rues qui se coupent à angle droit constituent encore largement la réalité de Lyon.

Le centre du cercle est tracé à partir de l’église Saint–Nizier, au cœur du quartier le plus dense de Lyon, précise le catalogue cité.

« Le projet de plan général de la ville de Lyon et de son agrandissement en forme circulaire, exceptionnel dans l’histoire de l’urbanisme français. Il peut être considéré comme le premier plan général de Lyon, puisqu’il ancre l’histoire de la planification lyonnaise mieux que celle de toute autre ville du royaume dans le siècle et les idéaux des lumières. Même si le plan Morand est combattu par les échevins et par l’Hôtel-Dieu propriétaire d’une grande partie des terrains de la rive gauche et jaloux de ses prérogatives sur les droits de péage, la société par actions créée en 1770 réussit, grâce à l’appui du roi, à construire un second pont sur le Rhône (inauguré en 1775) pont en bois à péage, face à la rue Puits-Gaillot qui va prendre le nom de son créateur [Morand]. »

Catalogue page 41

« Mais l’affaire s’enlise car elle bute autant sur les réticences de l’Hôtel-Dieu à vendre ses terrains que sur celles de l’élite lyonnaise à franchir la barrière du Rhône. Morand qui a acheté un lot en 1765 s’y installe avec son épouse, mais ils y restent seuls. Leur maison est bientôt vendue à l’une des nouvelles loges maçonniques de Lyon.

Le projet va pourtant se réaliser, mais plus tard. Morand ne sera plus là pour le voir. Car :

Morand, guillotiné en 1794, ne verra pas le développement de son quartier, qui interviendra plus tard, à partir de la seconde décennie du siècle suivant.

L’exergue du jour mais face-à-face Morand et Perrache. Les lyonnais et ceux qui passent par Lyon associent ce nom avec « la gare Perrache » gare historique de Lyon. Perrache est le contemporain de Morand, il est né un an avant, en 1726. Il ne sera pas guillotiné, puisqu’il meurt bien avant la révolution, en 1779. Je redonne la parole au catalogue de l’exposition Lyon sur le divan (page 42)

« Alors que le plan Morand est paralysé, le sculpteur et dessinateur Perrache se fait lui aussi entrepreneur, en présentant en 1766 aux notables municipaux un autre projet d’extension urbaine, le plan pour la partie méridionale de Lyon, dont l’objet principal est de reporter le confluent jusqu’à la Mulatière en y rattachant l’île Mogniat, qu’avait acheté le consulat en 1735. »

Rappelons où nous en sommes. A la création de Lugdunum, le confluent se trouvait en bas de la colline de la croix rousse. Au sud de la colline, au milieu du Rhône augmenté de la Saône, se trouvait l’île de Canabae. Cette île par l’action humaine et les fluctuations du Rhône va être rattachée à la terre et à la colline de la Croix Rousse pour devenir la célèbre presqu’ile de Lyon.

Au moment du plan de Perrache, le confluent du Rhône et de la Saône se situe au niveau de la magnifique basilique d’Ainay.

Sur le plan de Perrache, vous voyez en vert l’île Mogniat qui va donc être englobée par les aménagements de Perrache, ce qui aura pour conséquence de porter le confluent jusqu’à sa situation actuelle, c’est-à-dire au nord-est de la commune de Mulatière. Aujourd’hui le Pont de la Mulatière relie la Presquile à la commune du même nom.

« Les travaux envisagés par Perrache demeurent colossaux, car c’est une véritable reconfiguration du site fluvial avec endiguement des fleuves qui est proposé. «

Perrache imagine même une voie appelée la chaussée du Languedoc ou chaussée Perrache qui emprunte l’axe qui sera, deux siècles plus tard, celui de l’autoroute A7

Catalogue page 44-45

« Perrache essuie d’abord un refus face à l’immensité de la tâche prévue. Mais il présente un second plan en 1769, finalement accepté, après passage par Paris pour y trouver des appuis. Le 13 octobre 1770, un arrêt du conseil d’État autorise Perrache à entreprendre les travaux. […] Il souhaite construire dans la partie nord un « quartier neuf » pour les ouvriers obligés de vivre dans des logements insalubres en ville, et leur promet de respirer « l’air le plus pur ». Sur les rives du Rhône et de la Saône dans la « presqu’île Perrache » au sud, il prévoit des ateliers de manufacture, des terrains pour les chantiers, un grand bâtiment contenant des moulins et des greniers ; enfin, une promenade et un jardin public fermé « comme celui des Tuileries » […]

Comme son concurrent Morand, Perrache semble avoir vu trop grand, et le développement du projet ne se fera, là aussi, qu’après l’épisode révolutionnaire. Faute de financement municipal, il crée en 1771 une compagnie par action d’une vingtaine d’associés (dont Soufflot), la compagnie des associés aux travaux du Midi de Lyon. […]

Perrache a cinq années pour mener à bien son ambitieux projet. Mais il meurt en 1779, des années avant sa réalisation. Sa sœur hérite du projet, mais les difficultés s’accumulent, notamment à cause des crues; celle de la Saône provoque l’écroulement du pont de la Mulatière en 1783, quelques mois après sa construction. Le chantier est un tel gouffre financier que le roi vient à la rescousse en échange des terrains, qui seront repris par les associés à la faveur des troubles révolutionnaires. La révolution marque un temps d’arrêt. […]

Le quartier ne se développera que dans les années qui suivent l’empire, malgré la permanence de la compagnie du Midi dédiée aux travaux après la mort de Perrache, et malgré aussi l’intérêt personnel de Napoléon pour le site et le zèle de son préfet a y créer un palais impérial. […]

C’est au XIXe siècle que le quartier participe pleinement à l’aventure industrielle de Lyon à partir des nouveaux programmes d’aménagement des maires de Lyon, le baron Rambaud (1818-1826) puis Jean de Lacroix–Laval (1826–1830) qui fait dresser le plan définitif, approuvé par une ordonnance royale en 1828.

Pour conclure ce mot du jour consacré à ces deux visionnaires qui ont beaucoup marqué la ville de Lyon je voudrais partager la conclusion du catalogue de l’exposition : « les métamorphoses d’une ville » que je préfère aux spéculations psychanalytiques : « Lyon sur le divan » :

« Les points communs des deux propositions, Perrache et Morand, attirent l’attention. Emblématique d’une volonté d’anticiper et de rationaliser l’extension de la ville, elles prétendent faire sauter deux verrous du site lyonnais. D’initiative privée, elles sont concurrentes pour capter les bénéfices de l’essor urbain. […]

Mais elles marquent aussi une profonde rupture dans les habitudes d’un urbanisme dominé par des améliorations ponctuelles, négociées au jour le jour et à contenu plus architectural qu’urbanistique. La mémoire lyonnaise, finalement bienveillante à l’égard de ces deux urbanistes avant la lettre, n’en garde pas le souvenir d’échecs, ni même de projets utopiques, dispendieux ou démesurés, mais plutôt l’idée qu’une anticipation raisonnée n’est jamais perdue, et que le développement spectaculaire du XIXème siècle n’en aura été que mieux préparé. . […]

Enfin, les deux opérations révèlent l’intrication des acteurs à l’origine des changements urbains : la municipalité, le créateur du projet, une compagnie financière, et, quand la situation est bloquée localement, des appuis parisiens jusqu’au roi. Les projets lyonnais sont ainsi placés dès cette époque au cœur d’enjeux nationaux. »

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Mardi 6 mars 2018

« Les Arêtes de Poisson »
Galeries mystérieuses situées sous la colline de la Croix Rousse

La ville de Lyon est connue pour son quartier renaissance, « Le vieux Lyon », ses célèbres « traboules » qui ont d’ailleurs donné le verbe lyonnais « trabouler » qui signifie traverser un quartier en empruntant une traboule, ou plus simplement et par extension traverser un quartier.

Lyon est aussi connue pour sa gastronomie et ses célèbres « bouchons lyonnais ».

Elle est enfin célèbre parce qu’elle est ville de foire, et qu’elle a eu le privilège à partir de 1463 par décision de Louis XI d’en organiser 4 par an, qu’elle a été un des principaux centres d’imprimerie d’Europe et un lieu du travail de la soie avec les canuts.

Mais elle n’est pas connue pour les « arêtes de poisson ».

Or la deuxième émission de la Fabrique de l’Histoire, évoquée hier a été intégralement consacrée à ces galeries étonnantes : « Les arêtes de poisson : un mystère sous la Croix Rousse »

Je vous conseille vivement d’écouter ce documentaire qui est très sérieux contrairement à de nombreuses spéculations ésotériques qui sont élaborées par des passionnés qui recherchent des pistes mystiques ou soupçonnent le complot.

Evidemment si vous faites partie de celles et ceux qui espèrent que tout mystère trouve toujours sa solution à la fin du film ou de la série, vous allez être surpris : On ignore quasi tout et on ne sait presque rien.

Les arêtes de poisson, sont un réseau de galeries souterraines de Lyon composé d’une galerie principale et trente-quatre galeries latérales, partant du Rhône et creusé sous la Croix Rousse.

La galerie principale mesure 156 mètres de long et se situe 25 m sous la surface ; de celle-ci partent 16 galeries latérales mesurant 30 m chacune, ce qui donne à l’ensemble une forme d’arêtes de poisson. Une seconde galerie se trouve 8 m sous la principale, sans artères latérales. Ces constructions partent du Rhône et s’étendent jusqu’à la rue Magneval.

L’accès et la construction des galeries se faisaient par les puits alentours ; ceux-ci servaient également pour l’évacuation de matériaux du creusement.

Ce réseau souterrain est composé de galeries d’une longueur totale de 1,4 km : 960 mètres pour les arêtes, 312 m pour les galeries principales, 144 m de galeries supplémentaires placées sous la rive du Rhône ; seize puits menant à ces galeries ont été recensés, ajoutant 480 m de longueur au réseau. Les galeries ont toutes 2,2 m de haut et 1,9 m de large.

Pour les archéologues du service archéologique de la ville de Lyon

« [l]’homogénéité de la maçonnerie comme l’absence de trace de reprise montrent que le réseau en arêtes de poisson forme un ensemble architectural cohérent qui, de la rive du Rhône au plateau de la Croix-Rousse, relève d’une seule et même campagne de construction. »

En 2011, le Lyonnais Walid Nazim publie un livre et depuis réalise de nombreuses conférences en émettant l’hypothèse que ces galeries auraient dû servir aux templiers pour cacher leur fameux trésor.

Il a créé un site : http://aretesdepoisson.free.fr/ pour valoriser son livre, ses hypothèses et aussi pour éviter que le creusement du second tuyau du tunnel de Croix Rousse n’abime ces galeries.

Georges Combe autre lyonnais a fait un film qu’il a appelé « Les souterrains du temps » et pour lequel il a aussi créé un site :

Pour introduire le sujet, il écrit :

« Le monde des Anciens, le Temple de Salomon, le souvenir du Graal, l’ombre des Templiers, la magie du « Songe de Poliphile », l’esprit de la Renaissance et les mystères de la franc-maçonnerie.

Un voyage dans le temps où le monde se perçoit sous d’autres dimensions !

Ces souterrains s’ouvrent sur une nouvelle conception de notre univers, sur la physique de demain, sur les ressources insoupçonnées de la conscience, sur une approche différente des mondes antiques. »

C’est, en effet, une pensée très ouverte vers d’autres vérités et une vision mystique voire magique.

En 2013, la ville de Lyon a décidé de faire procéder à une datation au carbone 14 réalisées en plusieurs points par deux laboratoires distincts. Le service d’archéologie de la ville de Lyon a publié les résultats qui ont révélé une origine antique : « Sur les quatre échantillons analysés, trois datent du changement d’ère et le dernier du IIIe ou IVe siècle av. J.-C. ». Des graffitis à consonance latine ont par ailleurs été retrouvés dans le mortier.

Donc ces galeries datent de l’époque antique peut être tout début de la présence romaine sur le site, voire avant la présence romaine.

Sur ce site Anne Pariente, la directrice du service archéologie de la ville de Lyon qui est aussi invitée dans l’émission de France Culture fait un constat humble :

« On ne sait absolument pas à quoi servaient ces souterrains. Des galeries aussi étonnantes, on en trouve au Proche-Orient, mais de cette structure-là, nulle part ».

Mais tous ces mystères attisent les thèses complotistes, car les défenseurs de ces thèses ne comprennent pas que la ville mette aussi peu en œuvre pour valoriser cette structure unique et trouver des hypothèses crédibles sur son utilité.

Pour des raisons de sécurité, ce réseau souterrain est interdit au public par la ville de Lyon depuis 1989 ce qui génère de nouvelles thèses complotistes.

A priori, ces galeries ont été redécouvertes en 1959, lors d’un l’affaissement de rue à la rue des Fantasques, ce qui leur vaut parfois le nom de réseau des Fantasques. À partir de 1959, des travaux de confortement y ont lieu, les galeries sont bétonnées par endroit, et 4 à 5 m3 d’ossements sont découverts en 1959.

Il semble donc que ces galeries aient pu servir, en partie, de catacombes.

Mais le service archéologique de la ville de Lyon évoque une première redécouverte des arêtes en 1651 due à un fontainier lors du creusement de la galerie d’alimentation de la fontaine de l’hôtel de Ville

Il m’apparaît que le plus rationnel est de dire qu’on ne sait pas. Le Monde a publié un article « Lyon s’étrangle autour des arêtes de poisson. » dans lequel il écrit :

« La conception des « arêtes de poisson » est unique au monde. Deux tunnels centraux sont superposés, parsemés de puits et de salles voûtées, à partir desquels partent perpendiculairement trente-deux galeries de trente mètres de longueur, parfaitement identiques. La date de construction reste incertaine et la fonction inexpliquée. Dans une ville à forte culture ésotérique, les « arêtes de poisson » agissent comme une caisse de résonance, mêlant arguments scientifiques, théories historiques variées, fantasmes personnels, dans une joyeuse liberté de penser, sans oublier un enjeu archéologique majeur, peu exploré, voire menacé. […]

Les galeries voûtées, plongées dans un profond silence, donnent une impression de cathédrale. Les pierres calcaires, au teint jaunâtre, importées de carrières probablement situées en Saône-et-Loire, sont soigneusement jointées à la chaux vive. Les tunnels sont de dimensions régulières de bout en bout : 1,90 m de largeur, 2,20 m de hauteur.

Au début des années 1960, les galeries sont bétonnées à certains endroits, probablement nettoyées, vidées d’indices précieux et interdites d’accès. L’heure n’est pas à la curiosité archéologique. A Lyon, les collines sont instables ; les autorités gardent en mémoire la catastrophe de Fourvière, avec quarante morts dus à un glissement de terrain, en 1930. Mis à part quelques visites clandestines, le site des « arêtes » sombre dans l’oubli. […]

Un autre événement pourrait nourrir le débat. La ville de Lyon prévoit de transformer d’ici à 2019 l’église Saint-Bernard en « centre d’affaires et de détente ». Inachevée, fermée en raison de l’instabilité du terrain, désacralisée, cette église a été construite à l’aplomb des arêtes de poisson.

Un puits s’ouvre exactement sous sa nef. Il est question d’y aménager trente-deux espaces de bureaux. Trente-deux, le nombre des galeries mystérieuses. Les défenseurs des arêtes de poisson y voient un mauvais présage. Celui d’une logique économique qui oublierait en chemin l’imaginaire et la richesse d’un lieu trop longtemps ignoré. »

En 2013, le service d’archéologie qui venait d’obtenir les résultats de la datation au carbone 14 a publié ce rapport détaillé et rationnel : <Dossier Archéologie janvier 2013 – arêtes de poisson>

Et puis je redonne le lien vers l’émission de la Fabrique de l’Histoire : « Les arêtes de poisson : un mystère sous la Croix Rousse »

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