Mardi 28 février 2017

Mardi 28 février 2017
« Je n’enseigne point, je raconte »
Michel de Montaigne
Essais – Livre III – Chapitre II <Du repentir>

Michel Serres cite souvent cette belle phrase de Montaigne.

Mais surtout il l’a met en œuvre dans sa manière d’aborder les sujets souvent complexes qu’il enseigne ou partage avec celles et ceux qui l’écoutent.

Mais je mets cette phrase en exergue, phrase que j’avais déjà citée dans le corps de deux mots du jour (vendredi 29 mai 2015 lors d’un mot du jour consacré à Bernard Maris et le jeudi 2 juin 2016 dans la série consacrée à Sapiens) pour engager une réflexion sur la technique de l’interview dans les médias.

Dans l’interview principal qui servira à alimenter la série en cours de mots du jour, Michel Serres est entretenu par une journaliste qui s’appelle Emmanuelle Dancourt et qui anime une émission sur la chaîne catholique KTO qui s’appelle <VIP Visages Inattendus de Personnalités>.

Dans cette émission, la journaliste ne se met pas en valeur mais laisse son interlocuteur, choisi parce qu’il a des réflexions à partager, parce qu’une profondeur peut s’exprimer, raconter ce qu’il a à dire et c’est ce que Michel Serres fait très bien.

Pour moi, baigné dans ma jeunesse, par Jacques Chancel dans « Radioscopie » ou Bernard Pivot dans « Apostrophes » c’est un environnement qui me convient, qui me permet d’accéder à la connaissance et à la compréhension.

Parce qu’il faut laisser aux esprits libres et féconds la capacité de raconter…

C’est de plus en plus rare.

Je sais que parmi vous il y a des supporters de Thierry Ardisson, ce journaliste toujours habillé en noir qui a conceptualisé le principe que les téléspectateurs ne pouvaient s’intéresser à un sujet sérieux que si celui-ci était entouré de deux bimbos, de nature à réveiller la libido vacillante du mâle affalé dans son fauteuil, devant sa télé. Cette vision qui s’intéresse peu, me semble t’il, à la moitié féminine de l’espèce humaine est aggravée en outre par l’apparition, au milieu de questions sérieuses, de « QAC (1) » par exemple lorsque Ardisson a demandé à Michel Rocard  qui était venu présenter ses idées politiques si « sucer était tromper ».

Thierry Ardisson dispose de clones comme Ruquier ou Fogiel qui avec plus ou moins de succès essayent d’appliquer les mêmes recettes.

Sur le point strictement économique de l’audimat, il faut dire que le succès est au rendez-vous. Pour beaucoup, cela constitue une preuve de qualité.

Bien sûr,  si on les prend pour ce qu’elles sont : de simples émissions de divertissement, il me semble qu’on peut être de cet avis. Mais si on veut vraiment apprendre ou comprendre quelque chose, ou encore se ressourcer, il vaut mieux se tourner vers des émissions comme celles d’Emmanuelle Dancourt.

D’ailleurs Thierry Ardisson, à qui je reconnais beaucoup d’intelligence, ne s’y est pas trompé puisqu’il a, pour présenter un de ses livres « Les fantôme des Tuileries », accepté de se faire interviewer par Emmanuelle Dancourt <Le 31 décembre 2016>.

Et dans cet entretien Thierry Ardisson est très intéressant et peut dire des choses qu’il ne pourrait dire ailleurs. Il a le temps de s’exprimer car il fait face à de la bienveillance et à des questions qui élèvent, non des QAC.

(1)  QAC = question à la con

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Lundi 27 février 2017

Lundi 27 février 2017
« Les gens qui nous permettent de nous ressourcer et les gens qui nous vident de notre énergie »
Réflexions personnelles pour présenter des livres et des émissions de Michel Serres

La semaine dernière, il y a eu une série de mots du jour un peu …plombant ?

J’ai même été poussé à écrire à la fin de celui qui parlait de la guerre civile globale décrit par l’indien Pankaj Mishra que je le trouvais trop pessimiste.

Il n’est pas possible, ni raisonnable de rester dans cette seule vision sombre de l’Humanité.

Je vais m’inspirer, pour les prochains mots du jour d’une interview de Michel Serres qui avait été invité pour parler de 3 de ses livres publiés ou republiés récemment :


Michel Serres que j’avais convoqué pour le 800ème mot du jour : « L’intelligence est imprévisible et mystique» pour expliquer que l’intelligence est cette faculté qui permet d’approcher un problème, une histoire sous un regard nouveau qui l’éclaire autrement, qui renouvelle notre vision.

Cela nous conduit à nous éloigner de l’actualité pour réfléchir sur notre contemporain : où en sommes-nous ? Quel passé, quelle Histoire nous a engendré ?

Vous pouvez dès à présent voir cette interview : <Michel Serres invité de KTO>

Mais aujourd’hui en préambule, je voudrais esquisser une réflexion qui s’appuie sur mon expérience de vie.

Le point initial vient du fait que lorsque j’ai regardé cette vidéo, cela m’a fait du bien. J’aime cette expression « m’a ressourcé ».

Et cela me conduit à réfléchir plus avant : nous avons tous connu et connaissons des gens, des proches auprès de qui nous arrivons à nous ressourcer. Au contraire nous connaissons des personnes, des situations qui nous vident de notre énergie, trivialement nous pompe.

C’est une chance, j’utiliserai une terminologie mystique, « une grâce » quand comme moi : dans le couple, la compagne que m’a offert la vie, est source de ressourcement.

C’est en effet une chance quand le couple est source de ressourcement ou encore les parents. Nous savons cependant que ce n’est pas toujours le cas.

En amitié aussi, il existe une telle dichotomie.

Des évènements de la vie peuvent conduire que pendant une période donnée, un ami a besoin d’énergie, de soutien et que nous sommes en capacité d’apporter cette énergie. Il se peut aussi que l’on soit dans la situation inverse où c’est nous qui avons besoin d’aide et que nous pouvons compter sur un proche pour nous apporter ce soutien.

L’expérience m’a appris que la période pendant laquelle ce déséquilibre est acceptable, est limitée.

Cela demande de la vigilance et de la lucidité, avant tout pour celui qui donne.

Au-delà, il faut savoir soit arrêter la relation déséquilibrée, soit passer la main.

Cette réflexion trouve particulièrement à s’appliquer, aujourd’hui, dans les nombreux cas où les enfants sont confrontés à des maladies dégénératives de leurs parents et où il faut trouver, en temps utile, des solutions autres que le seul dévouement affectif.

Il n’y a pas que la maladie qui conduise à se trouver dans de telles situations, il peut y avoir une expérience malheureuse ou un échec, mais aussi plus problématique la personnalité de celui qui « pompe ».

Mais ce qui me parait fondamental c’est surtout de reconnaître les personnes ou les moyens dont on dispose pour se ressourcer car il faut savoir se faire du bien, si on veut pouvoir faire du bien aux autres.

Nous voilà bien loin de l’actualité française, des présidentielles ou encore des dernières facéties de Trump.

Mais nous ne pouvons pas que nous nourrir de l’actualité, il nous faut aussi réfléchir sur la vie, sur les rencontres, sur notre humanité.

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Jeudi 30 Juin 2016

 « Histoire du silence »
Alain Corbin

Alain Corbin, né en janvier 1936 est le grand historien français « de toutes les sensibilités qui a ouvert tellement de voies neuves à [l’Histoire] et à ses curiosités » comme le décrit Jean-Noël Jeanneney lors de l’entretien où il l’avait convié pour dialoguer sur son nouvel ouvrage <Histoire du silence>.

Anne Sinclair qui l’a reçu pour le même ouvrage, décrit cet homme de 80 ans : « il a écrit sur le corps, le bruit, l’odorat, le toucher, la sexualité, la pluie ou l’arbre. »

Son ouvrage le plus célèbre jusqu’à présent était consacré aux odeurs à travers l’Histoire, plus précisément l’odorat et l’imaginaire social <Le Miasme et la Jonquille, 1982 >.

Wikipedia relate que dans ce livre [Alain Corbin] « explique que le « seuil de tolérance » aux odeurs va évoluer, notamment sous l’effet de l’émergence d’une nouvelle perception des odeurs très clivée socialement. C’est l’époque où naissent les premières théories hygiénistes qui visent à « purifier » les villes en permettant à l’eau et à l’air de mieux circuler et d’emporter avec eux détritus et miasmes. ». Ce livre savant d’Histoire a inspiré le livre <le Parfum> de Patrick Süskind, chef d’œuvre de la littérature.

Alain Corbin a donc publié en avril 2016, aux éditions Albin Michel son dernier ouvrage : <Histoire du Silence>

L’éditeur présente cet ouvrage :

« Le silence n’est pas la simple absence de bruit. Il réside en nous, dans cette citadelle intérieure que de grands écrivains, penseurs, savants, femmes et hommes de foi, ont cultivée durant des siècles. À l’heure où le bruit envahit tous les espaces, Alain Corbin revient sur l’histoire de cet âge où la parole était rare et précieuse.

Condition du recueillement, de la rêverie, de l’oraison, le silence est le lieu intime d’où la parole émerge. Les moines ont imaginé mille techniques pour l’exalter, jusqu’aux chartreux qui vivent sans parler. Philosophes et romanciers ont dit combien la nature et le monde ne sont pas distraction vaine. Une rupture s’est produite, pourtant, aux confins des années 1950, et le silence a perdu sa valeur éducative. L’hypermédiatisation du XXIe siècle nous contraint à être partie du tout plutôt que de se tenir à l’écoute de soi, modifiant la structure même de l’individu.

Redécouvrir l’école du silence, tel est l’enjeu de ce livre dont chaque citation est une invitation à la méditation, au retour sur soi. »

Cet ouvrage a fait l’objet de multiples articles dans de nombreux journaux et je vous donnerai certains liens à la fin de ce message.

Le silence est en effet de plus en plus difficile à trouver dans le monde d’aujourd’hui et il est même en train de régresser.

Lors de manifestation sportive, on remplace de plus en plus en plus la minute de silence par une minute d’applaudissements.

Mais plus généralement les bruits de la ville et aussi les machines agricoles à la campagne, ainsi que la musique, la parole omniprésente grâce à tous ces appareils, radio, télévision, baladeur etc. font que l’homme moderne a quasi exclu le silence de sa vie.

Quand on interroge Alain Corbin pourquoi ce sujet, il explique :

« J’y songeais depuis une vingtaine d’années. Je l’avais proposé comme sujet de thèse à des étudiants, mais ils n’en voulaient pas. Le silence aujourd’hui semble faire peur », s’amuse ce jeune octogénaire. Du calme des chambres à coucher à l’immensité impassible du désert […] Corbin montre que le silence a obsédé les religions, les philosophes, les aventuriers et les traités de savoir-vivre.

Par contraste, l’historien laisse aussi entendre toute l’intensité du brouhaha contemporain…

« Je n’ai fait qu’esquisser le sujet […] J’ai voulu montrer l’importance qu’avait le silence, et les richesses qu’on a peut-être perdues. J’aimerais que le lecteur s’interroge et se dise : tiens, ces gens n’étaient pas comme nous. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs, les moines, des amoureux contemplatifs, des écrivains et des adeptes de la méditation à savoir écouter le silence… »

Corbin cite aussi de nombreux grands auteurs qui parlent du silence :

Baudelaire clame la délectation que lui procure le fait d’être, le soir, enfin réfugié dans sa chambre. […]

« Enfin ! Seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelque heure, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! La tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. (…) Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. » « Le Spleen de Paris »

Marcel Proust a fait recouvrir de liège les murs de sa chambre et soudoie les ouvriers pour qu’ils ne fassent pas les travaux qu’ils devaient effectuer dans l’appartement du dessus. Plus tard, Kafka exprime le désir d’avoir une chambre d’hôtel qui lui permette « de s’isoler, de se taire, jouir du silence, écrire la nuit ».

Mallarmé, poète acoustique, voyait naître un « grand plafond silencieux » dans l’accumulation soudaine des brouillards. Chateaubriand, au milieu des ruines de Sparte, entendait les pierres qui « se taisaient » autour de lui. Et Albert Camus, à Tipasa, disait distinguer « un à un les bruits imperceptibles dont était fait le silence ».

Dans son interview à l’Express, Corbin explique :

« Aujourd’hui, il faut réussir à échapper à la peur du silence, c’est-à-dire à la peur de la solitude ».

Il a aussi cette réflexion :

« La perception de l’intolérable a changé depuis le milieu du XIXe. Ainsi du bruit dans les villes. On ne tolérerait plus aujourd’hui les forges en appartement et les essieux sur les pavés, les cloches et les chiens trop bruyants. Cela dit, le nombre de cloches n’a pas diminué, mais on ne les entend plus, car on ne les écoute plus. Ce qui me frappe, c’est qu’un même individu a des degrés de tolérance très variables: il ne supporte plus les conversations dans un avion ou dans un train, mais va s’assourdir dans une boîte de nuit. »

Finalement c’est Anne Sinclair qui semble donner le résumé le plus riche de ce livre :

« L’importance de savoir se taire. Le silence est « multiple », selon l’historien. Il peut signifier paix, bonheur, peur comme ennui. Mais il explique que chaque période a une façon de concevoir le silence. « Dans les siècles passés, le silence était une richesse, le moyen d’approfondir son Moi, de méditer, se ressourcer.

Le silence du 17e siècle était destiné à l’oraison, à l’écoute de Dieu ». Le spécialiste indique aussi que « depuis la moitié du 16e siècle, dans la société de cour, prendre la parole est un risque, se taire est plus prudent voire bénéfique. Le Roi, comme toute personne qui a le pouvoir, dit Fénelon, doit se taire. On n’imagine pas les grands de la cour parlant à tort et à travers. » S’il est important de savoir parler, il l’est encore plus de savoir se taire.

Le silence de la nature. Aujourd’hui, avec la frénésie de la ville, des communications, la nature serait-elle le dernier ancrage du silence ? Il y a du vrai, selon l’historien. « Les marcheurs des sentiers de grande randonnée, c’est le reflet du siècle précédent. Mais ils ne cherchent peut-être pas la même chose », nuance-t-il, en y voyant davantage un besoin de « déconnexion » ou d’oubli de certains bruits qui n’existaient pas auparavant. Pour autant, il ne croit pas que les villes soient plus bruyantes qu’autrefois, à l’époque des crieurs ou des ateliers dans les étages.

Les silences intermittents d’aujourd’hui. De nos jours, les bruits de fond sont partout, des magasins aux ascenseurs. Mais il existe aussi une intolérance au bruit. Par exemple, on n’accepte pas que » son voisin de TGV parle, fasse de bruit alors que c’était même de la politesse de s’adresser à son voisin auparavant. » Pour l’historien, les enfants du 21e siècle ont davantage peur du silence. « Dans ma génération, on pouvait en profiter pour rêver, imaginer ». Désormais, pense le spécialiste, les enfants « identifient le silence à l’ennui, à un arrêt du rythme. »

Le Silence de la paix et de la mort. Le silence comme reflet de l’ennui… mais aussi de la paix. Alain Corbin renvoie à la Première guerre mondiale. « Dans ce vacarme effroyable de la guerre, le silence est celui de la paix, de l’interruption brutale de la canonnade. A la fois très inquiétant et rassurant. » Ce peut être également le silence de la mort. Car la mort, c’est le silence. « Déjà, le silence de la chambre du malade est tragique. Je ne parle pas de chambre mortuaire et de la tombe… »

Le silence des silences. Et s’il doit y avoir un silence final, il y a ni plus ni moins que celui de la fin des temps. L’historien s’appuie sur un poème de Leconte de Lisle, où le vrai silence sera celui de la Terre. « Non seulement de tous ses habitants, mais aussi de sa matière même, qui en explosant deviendra poussière. » »

Voici les liens promis :

TELERAMA : Histoire du silence de la renaissance à nos jours

LE POINT : Alain Corbin : Il était une fois le silence

L’EXPRESS : Alain Corbin à l’écoute du silence

LIBERATION : Alain Corbin : les archives du silence

Et pour les amoureux de la poésie un lien vers le poème de Leconte de Lisle cité par l’historien :< La dernière vision de Leconte de Lisle>

Il me semble que ce mot du jour sur le silence est approprié pour vous annoncer que le mot du jour va se régénérer dans le silence pendant 2 mois.

Demain, j’ai prévu un mot spécial, puis s’ouvrira pour moi et ma douce compagne un mois de congé.

Mais je souhaite prolonger le silence encore un mois, parce que j’ai besoin de ce silence, de laisser reposer l’esprit, le corps et la sensibilité.

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Vendredi 17 Juin 2016

«Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde»
Abdennour Bidar

Abdennour Bidar avait été évoqué lors du mot du jour du 14 octobre 2014 : «Une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire», c’était ce qu’il écrivait dans sa <Lettre ouverte au monde musulman>

C’est dans l’émission AGORA que j’ai entendu Abdennour Bidar parler de son nouveau livre «Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde»

Et puis il y a cet entretien dans LIBE : <abdennour-bidar-J’en ai marre de parler du voile>

Avec son dernier livre, «les Tisserands», le philosophe Abdennour Bidar met en lumière ceux qui, partout en France, travaillent à la recomposition des liens d’une société atomisée. […].

Depuis qu’il a écrit sa Lettre ouverte au monde musulman, en octobre 2014, Bidar est devenu le philosophe d’une société qui se déchire autour de questions sociétales ou religieuses, ethniques ou philosophiques et qui parfois se concentre caricaturalement sur un mot, un objet agité périodiquement : le voile. Il voudrait ne plus entendre parler de ce morceau de tissu, et tente de passer à autre chose : les Tisserands. Titre de son dernier ouvrage qui paraît, logiquement, aux éditions Les liens qui libèrent. «Tisserand», le terme désigne ces citoyens qui agissent un peu partout en France pour reconstruire des relations dans une société abîmée par une crise qui n’en finit pas. A l’expression de «Cultural Creatives» (1), groupe social inventé par le sociologue américain Paul Ray et la psychologue Sherry Anderson, Abdennour Bidar préfère l’image de ces artisans qui représenteraient en France 17 % de la population.

«Qu’est-ce qui peut relier sans aliéner ? C’est précisément la vie reliée qui passe parce que j’appelle le «Triple Lien» : à soi, aux autres et à la nature. Le lien à l’autre peut se cultiver dans la totalité de nos engagements sociaux, que ce soit au sein d’associations comme Primavera que je vais voir à Uzès, que ce soit à l’école comme professeur, parents d’élève, ou élève, que ce soit au travail ou dans l’espace culturel. J’ai voulu mettre l’accent sur ceux qui retricotent ce lien social et culturel à des toutes petites échelles, avec des buts très modestes. Faire que la communauté turque ou maghrébine discute à nouveau avec les bourgeois du centre-ville. Ces gens existent partout en France : vous en tant que journalistes, le commerçant, le professeur. Tous ces gens qui s’engagent socialement à partir d’une certaine éthique du partage.»

Vous critiquez la société individualiste et pointez un «super égoïsme» ambiant. Est-ce vraiment le problème quand on constate que les sociétés arabo-musulmanes souffrent justement du peu de place accordée à la liberté individuelle ?

«C’est juste. D’un côté, il y a l’individualisme de nos sociétés et de l’autre, l’enfermement dans une idéologie religieuse. Il reste à faire le trajet vers l’émancipation de l’individu et l’affirmation de la liberté de conscience qui a comme traduction politique la démocratie ou le règne d’un pluralisme politique. Cela dit, j’ai l’impression de me retrouver entre deux extrêmes avec d’un côté des individus hyperatomisés qui doivent réinventer ce que l’on appelle du vivre ensemble, et de l’autre côté, quelque chose de commun très fort, mais qui a pour prix l’aliénation des individus. Yadh Ben Achour (2) parle de «l’orthodoxie de masse». La grande équation contemporaine est : «Comment être libre ensemble». Les liens que nous tissons entre nous doivent précisément alimenter notre liberté. C’est l’obstacle devant lequel nous sommes.»[…]

Vous êtes très sévère envers les politiques. Tous les politiques ont-ils failli ?

«Je cherche un projet de société qui porte les aspirations des peuples et je n’en vois pas. Regardez Nuit debout, il y a de l’envie et aucune proposition politique capable de représenter un horizon d’espérance, de donner un sens à la vie collective, qui exalte l’individu. Cet échec n’est pas dû à la médiocrité des hommes ou des femmes politiques, il est lié à une époque qui se trouve au bout de son histoire. On a besoin de se réalimenter.»

C’est ce que proposent les tisserands. Une vie moins atomisée, une société qui prenne conscience de l’importance des interactions et qui retrouve du sens à partir de la reconstruction des liens. Une société plus équitable, plus solidaire. Il y a dans Nuit debout cette chaleur humaine. Cela a peut-être un côté «primitif», mais c’est le signe d’une énorme frustration, de la recherche d’espace de discussion qui n’existe pas. La langue des tisserands que j’appelle du «Triple Lien» peut parler à tout le monde, tout en laissant chacun libre de la parler comme il l’entend.»

Peut-on tisser des liens avec tout le monde ?

«Je passe mon temps à batailler avec l’islam fondamentaliste. Je ne vais pas tisser des liens avec cet islam-là. Mais il faut par ailleurs tisser assez de liens qui nous mettent à l’abri de cette gangrène. Nous devons construire une nouvelle culture de la restauration face à la déchirure du monde qui se manifeste par des fractures sociales ou des guerres culturelles.»

Que pensez-vous des propos de Michel Onfray sur l’inexistence d’un Spinoza musulman ?

«Cela veut dire qu’il ne lit pas, c’est dommage. Onfray devrait arrêter de croire qu’il peut avoir un magistère intellectuel sur tout et n’importe quoi. Je veux bien qu’il soit la grande conscience de notre temps mais le chapeau est peut-être un peu large.

Je peux lui dresser une liste de penseurs musulmans, il pourrait les lire, il serait dès lors un peu mieux informé sur cette question. Nous, les penseurs musulmans libres, nous sommes ostracisés de tous côtés. Ce qui me donne la force de continuer, c’est que je vois beaucoup de musulmanes et de musulmans me dire : «Vous dites tout haut ce que nous pensons tout bas. Continuez.»

(1) Les Créatifs culturels en France, éditions Yves Michel, 2006. Ce livre reprend une étude analysant cette famille socioculturelle.

(2) Juriste tunisien, opposant à Ben Ali, il a présidé la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, mise en place après la «révolution du jasmin».

Il y a aussi cet article des Inrocks : <Abdennour Bidar : « Les propositions politiques et religieuses demandent à être complètement réinventées »>

Dans votre livre, vous écrivez que les « traditions religieuses (sont) de moins en moins adaptées au temps présent ». Pourquoi ?

«Abdennour Bidar – Qui dit religion dit système de croyances, c’est-à-dire quelque chose qui a historiquement imposé aux individus un ensemble de dogmes, de rites et une morale. C’est la première caractéristique pérenne et universelle des religions. La seconde est le caractère souvent clos de ces systèmes. Les religions ont une très forte puissance d’inclusion entre les membres de la communauté et une puissance d’exclusion des autres.

Ce sont ces deux aspects qui me semblent aujourd’hui absolument incompatibles avec les conditions de nos sociétés, de nos cultures et de nos mentalités. La civilisation contemporaine est fondée sur un très fort principe de liberté individuelle. Ainsi, l’individu est très réticent vis-à-vis de tout ce qu’il perçoit comme une vexation de sa liberté. Et ça ne s’applique pas seulement au domaine religieux. Dans nos sociétés, il y a une réelle crise de l’autorité. On a de plus en plus de mal à obéir à quelque chose d’imposé.

Ce qui se cherche aujourd’hui c’est la possibilité d’être libre ensemble. On ne prononce pas la fin du religieux mais on se demande si ça va suffire pour faire société, civilisation et sens ensemble. Car avant, chaque civilisation avait son périmètre et son espace vital. Aujourd’hui, c’est différent. Le monde est complètement connecté. On vit au quotidien avec des gens qui n’ont ni la même origine, ni la même religion, ni la même identité, ou les mêmes convictions que nous. Les frontières que trace la religion posent de plus en plus de difficultés par rapport à ces projets de vivre ensemble.

Si une personne assouvit son besoin de sens par une religion qui lui fait considérer que son système de croyance est meilleur que celui de l’autre, cela va imposer un plafond de verre à sa relation avec autrui. On se retrouve du coup cantonné à échanger de façon superficielle et extérieure.»

Mais est-ce que le collectif ne se construit pas par définition en réaction à quelque chose ? Toute mobilisation, même celle des « tisserands », n’est-elle pas condamnée à exclure ?

«La vertu de la proposition tisserande est de donner une définition très large à la notion de lien. Le problème c’est que nous sommes les fils des modernes, les fils de sociétés qui nous ont atomisés, individualisés et écartés les uns des autres. On a donc une très forte aspiration à la liberté. De plus, on a tellement vu et subi de mésaventures de  »l’être ensemble » qu’on est devenu incrédule face à la réussite d’un collectif qui ne nous fait pas entrer dans un système d’endoctrinement. En réalité, il y a une multitude de façons d’être  »tisserand ».

Pour créer un lien, il faut être deux. Si j’ai affaire à quelqu’un dont la croyance religieuse m’exclut et me dévalorise, évidemment ça ne va pas. Le lien entre nous sera alors abstrait puisqu’il n’est pas possible de s’entendre avec une personne qui ne vous reconnaît pas un droit égal à développer votre propre vision du monde. Mais si je rencontre une personne croyante mais non prosélyte, alors le partage devient possible.

La vie  »tisserande » repose sur de bonnes volontés et la tolérance. Les tisserands sont des gens qui se disent :  »Tu nourris ta vie comme tu l’entends, moi également, mais on se retrouve dans cette conviction qu’il faut développer un lien de qualité avec autrui ». Les tisserands renoncent au préjugé selon lequel on détient la vérité. C’est une sorte d’humanisme.» […]

Vous affirmez dans les Tisserands’ votre refus de la figure du maître et du directeur de conscience. Mais comment la jeunesse peut se former si elle n’est pas guidée ?

«L’école. Elle a été inventée paradoxalement à la place des maîtres. Son rôle est de mettre l’individu en situation d’être libre et autonome. L’école doit apprendre à l’individu à cultiver le lien à soi, ce que fait la philosophie par exemple, et à se questionner. Elle doit aussi lui apprendre à cultiver le lien à l’autre. En faisant ça, elle propose une pédagogie de la liberté. Grâce à cet apprentissage, on accède au fameux  »libre-ensemble » dans des espaces sociaux dans lesquels on peut discuter de questionnements existentiels et fondamentaux. C’est exactement ce que fait Nuit debout. Les assemblées comme Nuit debout sont le remède pour s’extirper de l’alternative fermée :  »soit j’ai des maitres soit je me retrouve seul ».

Il faut promouvoir et encourager tous les nouveaux espaces où l’on va se rasseoir pour discuter ensemble sur la meilleure façon de redonner du sens à nos vies. Les maîtres sont inutiles car on est dans un siècle d’irrémédiable égalité. Du moins je l’espère. On se dirige vers des sociétés où il y aura de moins en moins de relations hiérarchiques entre les hommes.»

Créer des liens à soi, aux autres et à la nature pour réparer ensemble le tissu déchiré du monde, quelle belle image !

Ce livre qui a pour ambition de relier les relieurs, me semble poursuivre un objectif nécessaire à notre temps.

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Jeudi 28 avril 2016

Jeudi 28 avril 2016
«L’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie.»
Matthew Crawford

C’est mon ami Jean-François, architecte de son métier et dijonnais de sa destinée qui a attiré mon attention sur un article de Telerama qui fait l’éloge d’un homme particulier qui a écrit un livre.

L’homme est Matthew Crawford qui est à la fois chercheur en philosophie à L’université de Virginie mais aussi réparateur de motos.

<C’est cette seconde activité qui lui a certainement inspiré son premier livre: Eloge du carburateur> Mais le sous-titre de ce livre donne une idée de quoi il parle : « Essai sur le sens et la valeur du travail »

Ce livre est décrit de la manière suivante sur le site de l’éditeur :

« Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think-tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir… un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle l’une des réflexions les plus fines sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.

Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles depuis que nous sommes entrés dans l’« économie du savoir », se révèle pauvre et déresponsabilisant. De manière très fine, à l’inverse, il restitue l’expérience de ceux qui, comme lui, s’emploient à fabriquer ou à réparer des objets – ce qu’on ne fait plus guère dans un monde où l’on ne sait plus rien faire d’autre qu’acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l’« économie du savoir ».

« Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis… »

Mais le livre dont parle TELERAMA concerne un autre sujet : « Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver »

Et l’article de Telerama explique que :

« Les technologies modernes nous sollicitent de plus en plus, et chacun semble s’en réjouir. Or, cela épuise notre faculté de penser et d’agir, estime le philosophe-mécano Matthew B. Crawford. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrivait déjà Pascal en son temps. Mais que dirait l’auteur des Pensées aujourd’hui, face à nos pauvres esprits sursaturés de stimulus technologiques, confrontés à une explosion de choix et pour lesquels préserver un minimum de concentration s’avère un harassant défi quotidien ? C’est cette crise de l’attention qu’un autre philosophe, cette fois contemporain, s’est attelé à décortiquer. […]

C’est en assurant la promotion de son [premier] best-seller que Crawford a été frappé par ce qu’il appelle « une nouvelle frontière du capitalisme ». « J’ai passé une grande partie de mon temps en voyage, dans les salles d’attente d’aéroports, et j’ai été frappé de voir combien notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. Dans les aéroports, il y a des écrans de pub partout, des haut-parleurs crachent de la musique en permanence. Même les plateaux gris sur lesquels le voyageur doit placer son bagage à main pour passer aux rayons X sont désormais recouverts de publicités… »

Le voyageur en classe affaires dispose d’une échappatoire : il peut se réfugier dans les salons privés qui lui sont réservés. « On y propose de jouir du silence comme d’un produit de luxe. Dans le salon « affaires » de Charles-de-Gaulle, pas de télévision, pas de publicité sur les murs, alors que dans le reste de l’aéroport règne la cacophonie habituelle. Il m’est venu cette terrifiante image d’un monde divisé en deux : d’un côté, ceux qui ont droit au silence et à la concentration, qui créent et bénéficient de la reconnaissance de leurs métiers ; de l’autre, ceux qui sont condamnés au bruit et subissent, sans en avoir conscience, les créations publicitaires inventées par ceux-là mêmes qui ont bénéficié du silence… On a beaucoup parlé du déclin de la classe moyenne au cours des dernières décennies ; la concentration croissante de la richesse aux mains d’une élite toujours plus exclusive a sans doute quelque chose à voir avec notre tolérance à l’égard de l’exploitation de plus en plus agressive de nos ressources attentionnelles collectives. »

Bref, il en va du monde comme des aéroports : nous avons laissé transformer notre attention en marchandise, ou en « temps de cerveau humain disponible », pour reprendre la formule de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 ; il nous faut désormais payer pour la retrouver.

On peut certes batailler, grâce à une autodiscipline de fer, pour résister à la fragmentation mentale causée par le « multitâche ». Résister par exemple devant notre désir d’aller consulter une énième fois notre boîte mail, notre fil Instagram, tout en écoutant de la musique sur Spotify et en écrivant cet article… « Mais l’autorégulation est comme un muscle, prévient Crawford. Et ce muscle s’épuise facilement. Il est impossible de le solliciter en permanence. L’autodiscipline, comme l’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie. C’est pourquoi nombre d’entre nous se sentent épuisés mentalement. »

Cela ressemble à une critique classique de l’asservissement moderne par la technologie alliée à la logique marchande. Sauf que Matthew Crawford choisit une autre lecture, bien plus provocatrice. L’épuisement provoqué par le papillonnage moderne, explique-t-il, n’est pas que le résultat de la technologie. Il témoigne d’une crise des valeurs, qui puise ses sources dans notre identité d’individu moderne. Et s’enracine dans les aspirations les plus nobles, les plus raisonnables de l’âge des Lumières. La faute à Descartes, Locke et Kant, qui ont voulu faire de nous des sujets autonomes, capables de nous libérer de l’autorité des autres — il fallait se libérer de l’action manipulatrice des rois et des prêtres. « Ils ont théorisé la personne humaine comme une entité isolée, explique Crawford, totalement indépendante par rapport au monde qui l’entoure. Et aspirant à une forme de responsabilité individuelle radicale. »

C’était, concède tout de même le philosophe dans sa relecture (radicale, elle aussi) des Lumières, une étape nécessaire, pour se libérer des entraves imposées par des autorités qui, comme disait Kant, maintenaient l’être humain dans un état de « minorité ». Mais les temps ont changé. « La cause actuelle de notre malaise, ce sont les illusions engendrées par un projet d’émancipation qui a fini par dégénérer, celui des Lumières précisément. » Obsédés par cet idéal d’autonomie que nous avons mis au cœur de nos vies, politiques, économiques, technologiques, nous sommes allés trop loin. Nous voilà enchaînés à notre volonté d’émancipation.

[…] le philosophe offre une vision alternative, et même quelques clés thérapeutiques, pour reprendre le contrôle sur nos esprits distraits. Pas question pour lui de jeter tablettes et smartphones — ce serait illusoire. Ni de s’en remettre au seul travail « sur soi ».

« L’effet combiné de ces efforts d’émancipation et de dérégulation, par les partis de gauche comme de droite, a été d’augmenter le fardeau qui pèse sur l’individu désormais voué à s’autoréguler, constate-t-il. Il suffit de jeter un œil au rayon « développement personnel » d’une librairie : le personnage central du grand récit contemporain est un être soumis à l’impératif de choisir ce qu’il veut être et de mettre en œuvre cette transformation grâce à sa volonté. Sauf qu’apparemment l’individu contemporain ne s’en sort pas très bien sur ce front, si l’on en juge par des indicateurs comme les taux d’obésité, d’endettement, de divorce, d’addictions y compris technologiques… »

Matthew Crawford préfère, en bon réparateur de motos, appeler à remettre les mains dans le cambouis. Autrement dit à

« s’investir dans une activité qui structure notre attention et nous oblige à « sortir » de nous. Le travail manuel, artisanal par exemple, l’apprentissage d’un instrument de musique ou d’une langue étrangère, la pratique du surf [NDLR : Crawford est aussi surfeur] nous contraignent par la concentration que ces activités imposent, par leurs règles internes. Ils nous confrontent aux obstacles et aux frustrations du réel. Ils nous rappellent que nous sommes des êtres « situés », constitués par notre environnement, et que c’est précisément ce qui nous nous permet d’agir et de nous épanouir ».

Bref, il s’agit de mettre en place une « écologie de l’attention » qui permette d’aller à la rencontre du monde, tel qu’il est, et de redevenir attentif à soi et aux autres — un véritable antidote au narcissisme et à l’autisme. »…

Voilà, je vais maintenant retourner à des travaux manuels, j’ai une lampe à finir…

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Jeudi 3 mars 2016

Jeudi 3 mars 2016
« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»
Zygmunt Bauman

Zygmunt Bauman est un sociologue remarquable auquel je n’ai pas encore consacré de mot du jour, alors que j’y pense depuis longtemps notamment en raison du concept fécond de « société liquide » qu’il a inventé.

Il est né à Poznań en Pologne le 19 novembre 1925 et possède la double nationalité britannique et polonaise.

Il a écrit récemment un article dans « El Pais », le grand journal espagnol, qui a pour titre : «les réseaux sociaux sont un piège»

Il écrit notamment :

« La question de l’identité a été transformée, d’un élément donné c’est devenu une tâche : vous devez créer votre propre communauté.

Mais une communauté est créée de fait, vous l’avez ou pas ; ce que les réseaux sociaux peuvent créer est un substitut. La différence entre la communauté et le réseau est que vous appartenez à la communauté, mais le réseau vous appartient à vous.

Vous pouvez ajouter des amis et vous pouvez les supprimer, vous contrôlez les personnes avec qui vous êtes en lien. […] Mais sur les réseaux c’est si facile d’ajouter ou de supprimer des amis que vous n’avez pas besoin de compétences sociales, celles que vous développez lorsque vous êtes dans la rue, ou allez au boulot etc., et rencontrez des gens avec qui vous devez avoir une interaction raisonnable. Là, vous avez à faire face aux difficultés liées à un dialogue.

Le Pape François a choisi de donner sa première interview à Eugenio Scalfari, un journaliste italien qui se revendique publiquement athée. C’était un signal : le dialogue réel ce n’est pas de parler avec des gens qui pensent comme vous. Les réseaux sociaux n’apprennent pas à dialoguer, car il est si facile d’éviter la controverse…

Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux non pas pour unir, non pas pour élargir leurs horizons, mais au contraire pour s’enfermer dans ce que j’appelle une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

Les réseaux sont très utiles, rendent des services très agréables, mais sont un piège. »

Ce que Bauman décrit se comprend parfaitement pour le F des GAFA : Facebook. Au départ Facebook c’est la communauté de mes amis. A priori, il n’est que prévu de dire qu’on aime, les fameux « like ». Il n’est pas prévu de dire qu’on n’est pas d’accord. Tout ceci illustre parfaitement le propos de Bauman, mais Facebook va encore plus loin, car il trie aussi les informations que publient « mes amis ».

Dans un mot du jour précédent, je vous ai parlé de Yann Le Cun, le génie de l’intelligence artificielle qui travaille chez facebook.  Et Le Cun explique que facebook a besoin de l’intelligence artificielle pour trier les informations pertinentes pour chaque utilisateur, sinon il serait noyé sous les informations. Bref, Facebook apporte à chaque utilisateur les informations qu’il pense intéressant pour lui et avec lesquelles il sera en phase. Non seulement on y rencontre que des amis, mais en plus on évite la controverse.

Et ceci m’amène à évoquer les moteurs de recherche et particulièrement Google. Mais comment faisait-on  avant Google pour trouver une information sur Internet ?

Au départ les informaticiens étaient influencés par leur culture papier et la logique du classement des bibliothèques

Pour trouver un livre on devait aller dans la bonne salle, dans la bonne rangée d’armoire pour finalement arriver au bon endroit.

Alors sur Internet ils avaient inventé des portails ou annuaires où il fallait désigner le domaine dans lequel on cherchait et puis de proche en proche on arrivait à trouver quelque chose.

Avant Google, il y avait Multimania, Geocities, AOL, LYCOS et Alta Vista (littéralement « vue haute » en espagnol). Alta Vista fut mis en ligne à l’adresse web altavista.digital.com en décembre 1995 et développé par des chercheurs de Digital Equipment Corporation. Il fut le plus important moteur de recherche textuelle utilisé avant l’arrivée de Google qui le détrôna.

Google arriva en 1998. Et ce fut une innovation disruptive : On pose une question à Google et Google va trouver les réponses à cette question et les restitue.

On n’est plus dans la culture papier on bascule dans la culture numérique.

En outre Google trouva le graal économique : faire de gigantesques profits avec un service gratuit.

Avouons-le ! Google est génial.

Derrière tout cela il y a de l’intelligence artificielle et évidemment des immenses bases de données où des milliards de pages internet sont indexées, ainsi qu’une puissance de traitement phénoménale.

Si vous voulez en savoir plus et améliorez vos recherches, vous pouvez aller voir cette page : https://support.google.com/websearch/answer/134479?hl=fr

Tout cela est particulièrement utile et positif. Mais, ce serait une erreur que de croire que Google vous montre l’internet tel qu’il est, de manière neutre.

Grâce à Wikipedia on en sait un peu plus sur le moteur de recherche Google.  Ainsi, on apprend que Les requêtes sont limitées à 32 mots. Seuls les 1 000 premiers résultats pertinents pour une requête sont accessibles, et ce même si les correspondances sont plus nombreuses. D’après Google, obtenir plus de 1 000 résultats entraînerait une lourde charge supplémentaire pour une demande finalement assez rare.

1000 résultats sauf si Google considère qu’il y a moins de résultats à la requête. Mille c’est énorme ! totalement disproportionné par rapport à nos capacités humaines.

Ce qui est essentiel c’est les premiers. En règle générale, l’internaute reste sur la première page de réponse, il semble même qu’il ne s’intéresse qu’aux toutes premières réponses.

Ce qui est essentiel, c’est le tri qu’opère Google.

En théorie, le tri assure que les références les plus utiles sont en premier. L’auteur de l’article de Wikipedia ajoute : «difficile à valider.»

Mis à part les ingénieurs de Google et encore je suppose qu’il ne s’agit que d’un petit nombre d’entre eux, personne ne sait comment fonctionne précisément l’algorithme de recherche et de tri.

On pourrait craindre que comme big brother, Google veut nous montrer le monde à sa façon. Comme le dit le poème d’Aragon :

« Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines. »

Eh bien, il semblerait que ce n’est pas comme cela que cela se passe.

Ce serait plutôt : « et je vois le monde à ma façon »

Et je me retrouve avec mes semblables, avec celles et ceux qui pensent comme moi !

J’ai lu sous la plume d’un journaliste : L’algorithme, selon de nombreux facteurs pas tous connus, choisit les meilleurs sites, puis, dans une proportion de 20 % environ, les personnalise selon le profil de la personne qui a fait la recherche.

Tout ceci est merveilleux, mais manque singulièrement d’altérité et de contradiction.

Car c’est la contradiction qui nous rend intelligent, soit parce qu’elle permet de nous affermir dans nos convictions, soit parce qu’elle nous permet de changer d’avis.

Un monde où, le djihadiste ne discute qu’avec les djihadistes, le catholique avec les catholiques, le gauchiste avec les gauchistes est un monde stérile, je veux dire un monde qui ne progresse pas.

Il y a une solution dans Google, ne restez pas sur la première page, allez voir les suivantes. Ou encore, utilisez aussi d’autres moteurs de recherche …

En tout cas, ces remarquables outils ne nous montrent pas un internet neutre ou tel qu’il peut se développer dans sa complexité des contenus, c’est cela que je voulais partager avec vous : un monde où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

A propos : le nom Google vient du mot Gogol, nom donné au nombre . Ce nombre a été choisi pour évoquer la capacité de Google à traiter une très grande quantité de données.

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Lundi 21 décembre 2015

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »
Albert Cohen ; « Ô vous, frères humains » (1972), entame du dernier chapitre de ce livre

Après des élections régionales qui ont montré, une fois de plus, la défiance du peuple des citoyens à l’égard des gouvernants politiques, ceux d’aujourd’hui et d’hier, une rencontre opportune entre deux hommes s’est déroulée dans le nord à Neuville-Saint-Vaast

Le premier est un Président de la république, dont la carrière s’est située à gauche et qui aspirait à une présidence normale mais qui n’arrive à émerger de la médiocrité que lorsque des évènements «anormaux» surgissent ;

Le second est un homme de droite mais qui n’a pu être élu que parce que des électeurs de gauche ont voté pour lui.

Je ne m’arrêterai pas sur cette rencontre pour répondre à des questions du type : s’agit-il d’une amorce d’une autre manière d’organiser l’échiquier politique ?

Ou encore est-ce une manœuvre politicienne ?

Je m’arrêterai à ce qui était peut-être secondaire dans l’esprit de ces deux hommes, mais qui révèle une aspiration humaniste d’une tout autre profondeur. C’est mon ami et complice Albert qui m’a fait, à l’occasion de cette commémoration, cette injonction :

«Alain, il faut faire un mot du jour sur les fraternisations de Noël 1914 »

Le sujet du mot du jour était donc décidé. Mais comment trouver l’exergue(*) introductive ?

Il y avait bien cette citation attribuée à Paul Valéry :

« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».

Mais elle avait déjà servi de mot du jour le 28/07/2014.

J’ai trouvé ce propos attribué à Confucius :

«Nous sommes frères par la nature, mais étrangers par l’éducation. » Livre des sentences – VIe s. av. J.-C.

Mais je me suis finalement arrêté sur une phrase d’Albert Cohen, l’auteur de « Belle de Seigneur» :

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »

Le propos de ce livre ne concerne pas la 1ère guerre mondiale, mais la haine entre les gens, ce qui devait aussi être le ferment de la guerre 14-18. Le livre d’Albert Cohen est autobiographique. L’année 1905, il a 10 ans, et l’épisode se passe en France. Il est l’enfant d’une famille juive et il est insouciant comme un enfant de 10 ans.

En revenant du lycée il est attiré par un camelot qui vante la marchandise qu’il vend, un détachant pour habit, et il a beaucoup de succès. Le petit Albert a quelques sous et il veut acheter ce produit pour l’offrir à sa maman. Il s’approche alors du camelot qui l’aperçoit et qui change d’attitude et pointe l’index sur lui en disant : « Toi tu es un youpin, hein ? […] je vois ça à ta gueule, tu ne manges pas du cochon hein ? Vu que les cochons se mangent pas entre eux » et il continue à déverser, sur ce jeune enfant, des torrents de haine.

L’enfant fuit, la foule rit et le livre va narrer l’errance de cet enfant et toutes les pensées qui se bousculent dans la tête de l’innocent qui s’est heurté à la haine incommensurable.

Et puis au bout de l’errance, il y a le dernier chapitre qui commence par ces mots :

«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »

La guerre 14-18 est aussi celle de la haine, de la haine qu’on a essayé d’inculquer dans l’esprit des jeunes français à l’égard des allemands qu’ils appelaient systématiquement « les sales boches » et la haine qu’on inculquait dans le cœur et l’esprit des jeunes allemands à l’égard des français.

A Noël 1914, la guerre que chacun des camps avait pensé courte, durait déjà 5 mois, <Déjà plus de 300 000 morts français> et probablement autant du côté allemand.

Ils se massacrent et ne se connaissent pas et puis… il y a Noël.

Des deux côtés on est chrétien et on connaît les mêmes airs, les mêmes chants de Noël même si la langue est différente.

Et ils sortent des tranchées et se rencontrent et s’échangent de petits cadeaux.

Christian Carrion en a fait un film : « Joyeux Noël » en 2005 et ce fut une surprise, car nos manuels d’Histoire nous avait caché ces moments de fraternité, on nous avait parlé de la haine, de l’enthousiasme des soldats pour partir à la guerre contre l’ennemi.

On nous avait parlé aussi des souffrances de la guerre et de la terrible vie dans les tranchées.
Mais qu’il y eut des moments et des lieux de la guerre où les soldats ont laissé tomber les armes pour se parler et se comporter en frères humains, de cela on ne nous avait pas parlé.

Christian Carrion raconte dans un article du Monde :

« En 1992, j’ai découvert les fraternisations de Noël 1914, dans le livre d’Yves Buffetaut, Batailles de Flandres et d’Artois (Tallandier, 1992). J’apprends que des soldats français ont applaudi un ténor bavarois le soir de Noël, que d’autres ont joué au football avec les Allemands le lendemain, qu’il y a eu des enterrements en commun dans le no man’s land, des messes en latin. »

Les «ennemis », en effet, organisèrent même un match de football de Noël 1914 à Comines-Warneton.

Bien sûr, l’état-major, des deux côtés, n’a pas du tout apprécié ces épisodes de fraternisation, la haine est indispensable si on veut que des jeunes gens s’entretuent. On envoya ces cœurs attendris vers d’autres fronts où la destinée de futurs cadavres leur était promise rapidement.

Après la fin de la guerre, ces évènements furent enfouis sous le secret. Ce n’est plus le cas depuis le film Ici vous verrez un court extrait du film «Joyeux Noël» de Christian Carrion et notamment le moment de la fraternisation

On trouve aussi des sites consacrés aux témoignages des soldats qui parlent de ces évènements.

Ici vous pourrez entendre une émission de <2000 ans d’Histoire> qui évoque ces moments où l’humanité l’a emporté, pendant un court moment, sur la sauvagerie

Des gens du Nord soutenus par les participants au film « Joyeux Noël » ont créé un site et une association pour financer le monument qui vient d’être inauguré. Christian Carrion raconte que dans les nombreux témoignages qu’il a lu pour faire son film, un témoignage l’a particulièrement ému.

C’est celui du soldat français Louis Barthas qui a vécu ces évènements, les a raconté dans une lettre qu’il a fini par cette phrase :

«Qui sait ! Peut-être un jour dans ce coin d’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entretuer malgré leur volonté ».

Et pour finir, je ne vous montrerai pas la poignée de main des deux hommes politiques, fugacement évoqué en début de message, mais la photo historique où sur le lieu de la bataille la plus meurtrière de 14-18, le Chancelier de l’Allemagne et le Président de la France se sont donnés fraternellement la main en 1984


(*) exergue du latin exergum (« espace hors d’œuvre ») = Citation placée hors-texte

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Vendredi 11 décembre 2015

Vendredi 11 décembre 2015
«Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez.»
La famille de Yannick Minvielle une des victimes du bataclan
Il n’est pas possible et pas très raisonnable d’avoir tous les jours un mot de la consistance intellectuelle de celui consacré au discours de Helmut Schmidt en décembre 2011.
Celui d’aujourd’hui à une consistance moindre en intellect, mais il est tout aussi profond pour ce qui est essentiel et donne goût à notre vie terrestre.
C’est la revue de presse de Frédéric Pommier du 5 décembre qui a cité Libération qui m’a poussé à écrire ce mot :
«Dans LIBERATION, vous lirez les remerciements de la famille de Yannick Minvielle. Il allait avoir 40 ans, et il compte parmi les victimes de la tuerie au Bataclan. Et ce sont donc ses proches qui ont rédigé quelques lignes publiées dans le journal… Ses parents, sa sœur, son frère, son petit prince de fils…
« Merci, le mot est bien faible, écrivent-ils, pour vous exprimer toute la chaleur, la douceur que vous nous avez apportées pour accompagner Yannick. Malgré les centaines, voire le millier et plus, de marques de sympathie, par votre présence, votre pensée, vos messages, vos fleurs, soyez assurés que nous avons tout vu, lu, entendu et retenu. Nous regrettons sincèrement de ne pouvoir répondre à chacun. Mais si Yannick vous a apporté du bonheur, redistribuez-l : il vous a aimé. Partagez largement cet amour et surtout, c’est important : « Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez. » »
Frédéric Pommier a fini son émission en faisant écouter la chanson chantée par la famille Chedid : <On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime dans une version live à Bercy>    <Ou ici une version enregistrée en studio>
Le Monde a décidé de publier un article sur chacune des victimes des attentats de Novembre :
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Lundi 23 novembre 2015

«Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»
François Morel

Le mot du jour d’aujourd’hui est la conclusion de l’appel, du cri, de la harangue que François Morel a lancé lors de son billet hebdomadaire du vendredi, le 20 novembre :

«Ne renoncez à rien !

Surtout pas au théâtre, aux terrasses de café, à la musique, à l’amitié, au vin rouge, aux feuilles de menthe et aux citrons verts dans les mojitos, aux promenades dans Paris, aux boutiques, aux illuminations de Noël, aux marronniers du boulevard Arago, aux librairies, aux cinémas, aux gâteaux d’anniversaire.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas au Chablis, surtout pas au Reuilly, surtout pas à l’esprit. Ne renoncez à rien ! Ni aux ponts de Paris, ni à la Tour Eiffel, ni Place de la République à la statue de Marianne […].

Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux titis, surtout pas à Bercy.

Ne renoncez à rien !

Ni à Gavroche, ni à Voltaire, ni à Rousseau, ni aux oiseaux, ni aux ruisseaux, ni à Nanterre, ni à Hugo.

Ne renoncez à rien !

Ni aux soleils couchants, ni aux collines désertes, ni aux forêts profondes, ni aux chansons de Barbara, ni à la foule des grands jours, ni à l’affluence des jours de fête, au Baiser de l’Hôtel de Ville, aux étreintes sous les portes cochères, ni aux enfants qui jouent sur les trottoirs, ni aux cyclistes, ni aux cavistes, ni aux pianistes.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas aux envies, surtout pas aux lubies, surtout pas aux folies, ni aux masques, ni aux plumes, ni aux frasques, ni aux prunes, ni aux fiasques, ni aux brunes, ni aux écrivains, ni aux éclats de voix, ni aux éclats de rires, ni aux engueulades, ni aux files d’attente, ni aux salles clairsemées, ni aux filles dévêtues, ni aux garçons poilus, ni à la révolte, ni à la joie d’être ensemble, ni au bonheur de partager, au plaisir d’aimer, ni à la légèreté, ni à l’insouciance, ni à la jeunesse, ni à la liberté.

Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»

On peut le lire, mais il faut surtout l’écouter : http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-francois-morel-ne-renoncer-a-rien

En fond sonore du billet de François Morel vous entendez la romance sans parole opus 67 N° 4 appelée « la fileuse » de Mendelssohn

Oui ne renonçons à rien !

Certes il faut se défendre avec tous les moyens dont dispose l’Etat de droit et avec les services de sécurité et de renseignement.

Certes, chacun de nous peut être atteint par un attentat de ces criminels aimant la mort, autant que nous la vie.

Mais en ayant conscience que le risque pour chacun est d’une probabilité très faible. En comparaison, nous prenons un risque beaucoup plus élevé en montant dans une voiture et pourtant nous le faisons.

Donc, oui ne renonçons à rien ! C’est leur défaite et notre victoire !

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Lundi 14/09/2015

Lundi 14/09/2015
«Alle Menschen werden Brüder;
[…]  Seid umschlungen, Millionen !
Diesen Kuß der ganzen Welt !»
Tous les hommes deviennent frères ;[..]
Soyez enlacés, millions !
Ce baiser au monde entier !
Beethoven – Schiller – Ode à la joie

Un enchantement !

Ce samedi 12 septembre, l’orchestre National de Lyon faisait sa rentrée dans l’écrin de l’auditorium de Lyon.

Léonard Slatkin, qui a donc 70 ans, a choisi la 9ème symphonie de Beethoven qui se termine par l’Ode à la joie sur un texte de Friedrich Schiller pour ce début de sa 5ème saison à Lyon.

Léonard Slatkin est un grand chef qui dirige magistralement ce chef d’œuvre.

Si vous prenez une des grandes interprétations enregistrées de cette œuvre, vous trouverez des chefs comme Furtwaengler, Toscanini, Klemperer, Karajan qui ont encore une plus grande dimension que Slatkin dans l’art de l’interprétation.

Et même si les merveilleux musiciens de l’Orchestre de Lyon forment un bel orchestre, il n’a pas la qualité de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, de Vienne, de l’Orchestre du ConcertGebow d’Amsterdam, de la Staatskapelle de Dresde ou du Chicago Symphony Orchestra.

Pourtant, je vous le dis, jamais une musique enregistrée, même écoutée dans les meilleures conditions techniques ne pourra atteindre l’émotion et la somptuosité d’une belle interprétation en direct dans une salle de concert digne de ce nom.

Et comme Slatkin est non seulement un grand chef mais aussi un show man américain, il a eu l’idée à la fin du concert de faire chanter l’ensemble du public de l’auditorium Maurice Ravel, donc 2120 personnes (il ne restait aucune place de libre) un extrait de l’ode à la joie, car on avait distribué une partition à l’entracte.

Cela ajouta à l’euphorie du concert.

Vous allez me poser la question : Mais pourquoi est-il pertinent, mis à part le fait que tu sois allé à ce concert, de parler aujourd’hui de l’ode à la joie de Schiller mise en musique par Beethoven ?

D’abord parce que lorsqu’on est passionné, le besoin de partager sa passion est irréfragable.

Ensuite parce qu’il est toujours sage d’apprendre, même des bribes de savoir, d’un passionné.

Et puis vous n’êtes pas sans savoir que l’ode à la joie sert depuis 1986 comme base à <l’hymne européen>

En raison de la multiplicité des langues de l’Union, il s’agit d’un hymne sans parole, la musique étant un langage universel.

Et cette ode est un hymne à la fraternité que Beethoven, dans sa croyance panthéiste, a offert au Monde.

La fraternité qui est aussi le troisième terme de la devise de la République française.

La fraternité que Régis Debray a expliqué si justement :

«Être fraternel, c’est faire famille avec ceux qui ne sont pas de la famille.»
(Mot du jour du 13 février 2013)

Et c’est pourquoi je trouve ce rappel pertinent en pleine crise des réfugiés.

L’ode à la joie a aussi été utilisée par Léonard Bernstein pour célébrer la chute du mur de Berlin et il a interprété cette œuvre en remplaçant le mot de « joie » par celui de « liberté ».

En français, remplacer « joie » par «liberté» pose une difficulté de syllabes et de rythme.

Mais tel n’est pas le cas en allemand où remplacer « Freude » par « Freiheit » est aisée, on pourrait aussi le remplacer par «Friede» (paix).

Voici une belle interprétation de la 9ème symphonie de Beethoven : <Chicago Symphony Orchestra – Riccardo Muti>

Et voici la 9ème utilisée comme musique d’un ballet de Maurice Béjart. <Il s’agit d’un extrait – ici le 3ème mouvement>

Voici la version de la liberté à Berlin de Bernstein <Bernstein dirige à Berlin l’ode à la Liberté>

Et voici < l’hymne européen >

Voici le texte de L’ode à la joie :

Joie ! Joie ! Belle étincelle divine,
Fille de l’Elysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Ce que la mode en vain détruit ;

Tous les hommes deviennent frères
Où ton aile nous conduit.
Si le sort comblant ton âme,
D’un ami t’a fait l’ami,
Si tu as conquis l’amour d’une noble femme,
Mêle ton exultation à la nôtre!

Viens, même si tu n’aimas qu’une heure
Qu’un seul être sous les cieux !
Mais vous que nul amour n’effleure,
En pleurant, quittez ce chœur !
Tous les êtres boivent la joie,
En pressant le sein de la nature
Tous, bons et méchants,
Suivent les roses sur ses traces,
Elle nous donne baisers et vendanges,
Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort,

L’ivresse s’empare du vermisseau,
Et le chérubin apparaît devant Dieu.
Heureux, tels les soleils qui volent
Dans le plan resplendissant des cieux,
Parcourez, frères, votre course,
Joyeux comme un héros volant à la victoire!

Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
>Ce baiser au monde entier !
Frères, au-dessus de la tente céleste
Doit régner un tendre père.
Vous prosternez-vous millions d’êtres ?
Pressens-tu ce créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus de la tente céleste,
Au-delà des étoiles il demeure nécessairement

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