« Tant qu’une femme sur terre sera discriminée parce qu’elle est une femme, je serai féministe»
Leïla Slimani
Leïla Slimani est née en 1981 au Maroc à Rabat
L’année dernière, en 2016, elle a eu le Prix Goncourt pour « Chanson douce », l’histoire d’une nourrice parfaite, indispensable qui fait partie de la famille, mais qui peu à peu va sombrer dans la folie et la haine et va tuer les deux petits enfants dont elle s’occupe.
C’était son second roman.
Le premier, en 2014, «Dans le jardin de l’ogre » avait pour sujet l’addiction sexuelle féminine.
Elle vient de publier cette fois un essai « Sexe et Mensonges » qui décrit la vie sexuelle au Maroc, accompagné d’un roman graphique <Paroles d’honneur>.
Le journal <Les Inrocks> présente cette plongée dans l’intime au Maroc de la manière suivante :
« Il sera donc question de la vie sexuelle des femmes marocaines[…] Or, l’ennemi est avant tout un système : un Etat, une culture, une religion, les trois confondus pour imposer des lois liberticides – pas le droit de se toucher en public ou d’aller à l’hôtel pour un couple non marié, interdiction du sexe hors mariage, de l’avortement, de l’homosexualité.
Le résultat est glaçant : cadavres de bébés trouvés dans des poubelles, filles violées obligées d’épouser leur violeur, ou alors montrées du doigt et rejetées par leur clan, ou suicidées, liaisons clandestines, femmes qui ne seront jamais épousées car elles ne sont plus vierges, peur constante d’être découverts, arrêtés, culpabilité, solitude. Sans parler de la misère qui pousse les filles à se prostituer pour subvenir aux besoins de leur famille, tout en portant sur elles la honte. »
J’ai découvert cette parution parce que Leila Slimani était l’invitée de France Inter du 28 aout 2017 .
Dans cette émission elle a expliqué comment lui est venue l’idée de cet essai qui parle de la vie sexuelle au Maroc :
« C’est une question que je me posais depuis longtemps, la question de la misère sexuelle comme on le résume aujourd’hui dans les pays arabes.
Quand j’étais journaliste et que j’ai couvert les révolutions arabes, je me souviens avoir beaucoup parlé avec les jeunes en Tunisie, en Algérie, en Egypte au Maroc.
Et on parlait beaucoup de sexualité, de harcèlement sexuel. On parlait des viols pendant les manifestations. C’est un sujet qui commençait à devenir très important [pour moi] et que j’avais absolument envie d’aborder, mais je ne trouvais pas l’angle qui m’intéressait vraiment.
Et c’est en publiant mon premier roman : « Dans le jardin de l’ogre » et en allant faire la tournée au Maroc pour le présenter que j’ai rencontré des femmes qui me racontent ça.
C’est ce que j’avais envie de faire, faire entendre des voix qu’habituellement on n’entend pas. »
Beaucoup de journaux lui ont donné la parole, ainsi l’Obs : <Les femmes, le sexe et l’Islam>
Dans cet entretien elle explique un peu plus précisément ce moment déclencheur :
Quand je suis allé présenter mon premier roman au Maroc. Là, un jour, une femme s’est assise à côté de moi. Elle m’a raconté sa vie. Pour elle, j’avais probablement [dans mon roman] eu le courage d’une parole crue et franche… En tout cas, elle m’a fait confiance. Ca m’a bouleversée. Elle n’avait pas le vocabulaire pour parler de l’intime, du plaisir. Elle n’en avait sans doute jamais parlé. Je me suis dit que c’était, le plus important : donner à entendre la voix des femmes. »
Dans l’émission de France Inter, Nicolas Demorand explique qu’à la lecture de cet essai, on découvre que la sexualité des femmes n’est pas une affaire privée au Maroc. Leila Slimani répond :
« La sexualité se retrouve au carrefour de beaucoup de choses : le pouvoir de l’Etat, le pouvoir du père, du patriarcat, du foyer, c’est la question du rapport du corps de la femme avec la rue, la religion évidemment. Tout cela en fait une question très complexe.
Mais la citoyenne marocaine reste contrainte par le groupe. Elle n’est pas encore considérée comme un individu à part entière. »
« La mixité dans l’espace public reste un combat. Elle ne va pas de soi. Elle date de la fin des années 1960. […] Même si elle est un état de fait sur les lieux de travail, dans les transports, elle n’est ni véritablement défendue, ni véritablement expliquée ni par les pouvoirs publics, ni par les intellectuels, ni par les élites, ni par la société dans son ensemble. […]
La femme est encore un intrus dans l’espace public. [Certains pensent] qu’on lui fait déjà une fleur quand on lui permet de se rendre au travail, d’avoir un travail et d’avoir une vie en dehors du foyer.
Le problème, c’est que l’évolution remet en cause le pouvoir de l’homme et toute une culture qui est fondée sur la prédominance de la masculinité, de la virilité. Ce sont ces valeurs-là qui sont mis en avant. »
On constate lors de l’entretien que l’hypocrisie est un problème mais aussi la solution. Ainsi on peut faire beaucoup de choses dans le domaine sexuel, en se cachant, en ne disant rien, dans le silence et aussi en ayant la chance de ne pas se faire dénoncer par ses voisins.
Kamel Daoud avait déjà abordé ce sujet après les viols du 31 décembre 2015, évènement qui m’avait poussé à écrire une série de mots sur la violence faite aux femmes. Il a été dès lors la cible de groupes d’anti racistes ou d’individus qui considèrent qu’analyser ou décrire sans complaisance les mœurs ou les sociétés maghrébines ou arabes ne peut être analysé que comme une stigmatisation coupable et oppressante.
Fort de cette expérience, Nicolas Demorand a prédit que Leila Slimani serait attaquée comme Kamel Daoud et lui a demandée comment elle entendait se défendre :
Et à ses futurs critiques, elle dit
« Venez avec moi dans les bars de Tanger, où il n’y a que des hommes avec 2 ou 3 femmes qui sont toutes des prostituées. Regardez cette absence de mixité. Cette difficulté de vivre avec l’autre, d’accepter le désir. Des plaisirs aussi simple, j’en parlais avec Kamel Daoud, on se baladait dans Paris et on regardait les jeunes sur les quais de Seine, les jeunes couples, les garçons, les filles assis. On disait ça, ça parait banal, tout à fait normal. Mais quand vous êtes au Maroc que vous avez 17 ans ou 18 ans et que vous prenez la main de votre compagnon ou de votre compagne et qu’un policier vient et vous dit : Vous n’avez pas le droit, c’est extrêmement humiliant pour un jeune garçon ou une jeune fille. Et en plus ça vous met dans la tête que cette chose qui est très simple qui est la tendresse, qui est l’amour, qui est un des plus grands bonheurs qu’on puisse vivre dans la vie, cette chose elle est interdite, elle est sale, elle n’est pas bien. […]
Il n’y a pas de discours sur la sexualité, on vous dit « il faut vous taire »
Nicolas Demorand ne s’est pas trompé : la première à dégainer a été Houria Bouteldja, porte-parole des indigènes de la république qui a traité Leila Slimani de «Native informant» qui je pense en langage courant pourrait se traduire par « collabo ».
Dans l’entretien publié dans l’Obs, Leila Slimani cite Malek Chebel qui expliquait que la misogynie est la chose la mieux partagée du monde. Pas besoin d’être musulman pour être machiste, les religions monothéistes sont à peu près à égalité sur la misogynie. Enfin la culture islamique a aussi être été une grande culture de l’érotisme et de la célébration de l’autre.
Elle cite souvent Simone Veil notamment lorsque :
Simone Veil disait : « il suffit d’écouter les femmes. » je le dis aussi !
Et aussi quand Simone Veil stigmatisait ceux qui disaient « Et pourquoi ne pas continuer à fermer les yeux ? » et Leila Slimani d’ajouter :
Chacun devrait se poser cette question. Peut-être que notre dignité c’est aussi à ne pas continuer à fermer les yeux. Ni sur les femmes qui se font avorter à coté de nous. Ni sur les homosexuels qui se font tabasser.
C’est aussi dans cet entretien qu’elle raconte les « délires ? ou folies ? » de certains imams, elle cite l’imam Zamzami qui dit qu’on peut coucher avec sa femme jusqu’à trois heures après sa mort pour lui dire au revoir et qui préconise la masturbation comme « solution provisoire pour les jeunes musulmanes et musulmans »
C’est enfin dans ce même article qu’elle a cette formule que je partage totalement et que j’ai mis en exergue de ce mot du jour :
« Tant qu’une femme sur terre sera discriminée parce qu’elle est une femme, je serai féministe »
<Ici vous trouverez en vidéo un entretien sur le livre sur RFI>
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