Jeudi 12 octobre 2017

«Le Syndrome du bien-être»,
Carl Cederström et André Spicer,

« Le syndrome du bien-être » est un livre de Carl Cederström et André Spicer qui a été publié, traduit de l’anglais, aux éditions de l’Echappée.

A priori ce livre et les questions qu’ils posent prennent plutôt à rebrousse-poil beaucoup de thèmes que j’ai évoqués lors de mes mots du jour.

En effet, je suis plutôt sensible à privilégier le bien-être, une alimentation saine et une hygiène de vie susceptibles d’avoir des conséquences bénéfiques sur notre santé, notre espérance de vie et une vieillesse aussi sereine que possible avant que notre corps se retrouve dans son destin de la finitude.

Mais il est fécond d’entendre et d’essayer de comprendre des points de vue divergents. Cette méthode que j’ai appelée prosaïquement « tourner autour du pot » pour examiner le pot sous tous ces aspects.

Tournons donc autour du pot du « bien-être » avec Carl Cedestrom et André Spicer.

Les révélations commencent toujours par une expérience fondatrice. Nous savons que Paul Claudel a eu la révélation de la Foi chrétienne un soir de Noël alors qu’il assistait à une messe dans notre Notre Dame de Paris.

Carl Cederström raconte sa révélation de ce que j’appellerai « le côté obscur du bien-être » dans le récit suivant :

« Un beau matin, Carl Cederström allume tranquillement sa cigarette en attendant le bus. Assise sur un banc voisin, son petit chien tenu en laisse, une dame l’apostrophe en lui reprochant d’intoxiquer son animal de compagnie avec sa fumée. Pour le chercheur suédois, enseignant à la Stockholm Business School et spécialisé dans l’étude du contrôle social et de la souffrance au travail, c’en est trop. Ses voisins sont antitabac, ses amis désertent l’heure de l’apéro pour aller au fitness et ses collègues mangent sans gluten tout en méditant»

A partir de ce moment fondateur il va s’interroger avec son confrère André Spicer, professeur à la prestigieuse Cass Business School, à Londres sur ce qu’il estime être un «culte du bien-être».

Le journal suisse Le Temps développe l’analyse suivante :

« L’ouvrage part d’un constat quelque peu commun: notre société a érigé la santé au rang de valeur primordiale. Il vaudrait mieux arrêter de fumer, diminuer sa consommation d’alcool, manger cinq fruits et légumes par jour, éviter les graisses et cuisiner des aliments sains riches en vitamines. Il faut aussi faire du sport, car c’est bon pour la forme, pour l’équilibre et contre le stress. L’image d’une personne saine et mince qui fait son jogging tous les matins est érigée en modèle, et tous ceux qui n’atteindraient pas cet idéal, notamment les obèses, sont soupçonnés de manquer d’hygiène, d’être paresseux, voire incapables de se prendre en main.

Si, en soi, être en forme et bien dans son corps est un objectif louable, les deux auteurs montrent que la tendance a dégénéré en une forme d’injonction morale dont il devient très difficile de se libérer.

Aux Etats-Unis, une douzaine d’universités font désormais signer à leurs étudiants des «contrats de bien-être», dans lesquels ils s’engagent à avoir une hygiène de vie impeccable.

Rassurant pour leurs parents, sans aucun doute. Mais dommage pour ces jeunes gens muselés, car ce sont bien les erreurs qui forment la jeunesse, rappelle Carl Cederström.

Sur le site de Libération Virginie Ballet a publié un article « Le bien-être fait suer »

Elle précise que les auteurs ne sont pas des illuminés qui ne se préoccupent pas de leur santé :

« Evidemment, il n’y a aucun mal à être en bonne santé. Ce qui coince selon eux ? «S’occuper de son bien-être est devenu une obligation morale qui s’impose à chacun d’entre nous.» Il y aurait même une «logique à l’œuvre partout, dictant aussi bien notre façon de travailler et de vivre, que d’étudier et de faire l’amour.» Au secours, les gourous du bonheur prolifèrent, et ils pourraient bien faire des dégâts, avertissent les auteurs. »

Le site slate.fr publie un article sur le même sujet : Pour être heureux oubliez vous !  » .

Il va plus loin dans l’analyse de la problématique qui tend à démontrer que le culte de la poursuite du bien-être est un déclencheur d’angoisse :

Pour les auteurs du Syndrome du bien-être, le meilleur indice que celui-ci n’est plus une option personnelle mais s’est mué en morale se lit d’ailleurs dans la culpabilité attachée aux comportements «déviants». Ce n’est plus la sexualité qui fait l’objet de réprobations et fait naître la culpabilité, mais plutôt les atteintes au capital physique comme le fait de fumer, de boire, de manger gras ou sucré, de ne pas faire d’exercice ou d’être confronté à des idées négatives alors qu’on devrait se sentir bien, s’aimer soi-même et être à l’écoute de ses émotions…

Carl Cedeström et André Spicer s’inquiètent, à la suite d’une longue lignée d’auteurs critiques des dérives de l’individualisme radical, d’un paradoxe apparent de la recherche frénétique de l’état de bien-être: «loin de produire les effets bénéfiques vantés tous azimuts», cet investissement dans notre moi profond «provoque un sentiment de mal-être et participe du repli sur soi.

[…] Le syndrome du bien-être résulte pour une grande part de la croyance selon laquelle nous sommes des individus autonomes, forts et résolus, qui devons-nous efforcer de nous perfectionner sans relâche. Or c’est précisément le fait d’entretenir cette croyance qui entraîne l’émergence de sentiments de culpabilité et d’angoisse.»

Un étrange phénomène de rétroaction s’est mis en marche: l’anxiété augmente à mesure que les professionnels censés nous en débarrasser se multiplient. Rien de surprenant dans la mesure où la mécanique de la quête du bien-être et de ses médiateurs consiste à rendre le client, le lecteur, l’auditeur, le coaché ou le patient «responsable de son propre bonheur» et donc, comme mécaniquement, de son échec à y parvenir.

«Le revers de la médaille est que celui-ci doit dorénavant se sentir coupable chaque fois qu’un problème survient dans sa vie: rupture amoureuse, perte d’emploi ou maladie grave. Accéder au bonheur relèverait donc d’un choix: le nôtre, et, par extension, engagerait notre responsabilité. Par ce qu’elle comporte de déplaisant, une telle prise de conscience ne peut que faire naître un sentiment d’intense anxiété chez l’individu.»

A ce stade, je suis modérément convaincu. Pour ma part je trouve intelligent d’en appeler à la responsabilité des individus pour s’occuper de leur santé et de ce que j’appellerais leur « paix intérieure ». Je vois trop dans mon expérience de vie cette facilité utilisée par beaucoup de désigner des boucs émissaires pour expliquer toutes leurs difficultés et expériences négatives, sans jamais interroger leur propre responsabilité.

C’est pourquoi dans la vie personnelle, je suis assez rétif devant les développements de ces deux intellectuels.

En revanche, quand ils évoquent le monde de l’entreprise et concluent, sous l’apparence de la modernité, au triomphe sans partage du néo-libéralisme je deviens beaucoup plus réceptif à leurs arguments :

Libération explique :

« Et puis il y a surtout ces entreprises, de plus en plus nombreuses, qui s’immiscent dans la santé de leurs salariés, et où est récemment apparue la fonction de «directeur du bonheur» (le service public fédéral de la sécurité sociale belge dispose par exemple de l’une de ces créatures). Près de la moitié des boîtes américaines de plus de 50 salariés disposeraient ainsi d’un programme pour l’hygiène de vie des employés. Ainsi, chez Google, on pratique la méditation depuis la fin des années 90 lors d’ateliers baptisés «search inside yourself» («cherchez à l’intérieur de vous»). Certaines cantines font appel à des chefs spécialistes de la nourriture saine. »

Et le journal « Le Temps » évoque :

Tout en poussant les salariés à travailler le plus possible, dans des conditions de plus en plus précaires, les firmes leur proposent des séances de méditation en pleine conscience afin de se détendre, ou leur installent des tapis de course au bureau, pour pianoter sur l’écran tout en perdant des calories. Cette tendance gagne depuis plusieurs années les bords du Léman, où les multinationales encouragent leurs salariés à manger des légumes et pratiquer régulièrement du sport.

Une hypocrisie totale, expliquent Carl Cederström et André Spicer, qui n’hésitent pas à en référer à Orwell pour décrire ce monde où l’homme doit être le plus performant possible, tout en gardant le sourire. Pour une raison simple: «Un travailleur heureux est un travailleur plus productif»!

En Angleterre, l’entreprise suédoise de poids lourds Scania surveille les constantes vitales de ses employés 24h/24. Ceux-ci sont pénalisés s’ils ne font pas assez d’exercice et si leur système cardiovasculaire est un peu à la traîne. Il y a quelques jours, la société d’assurance américaine Aetna annonçait fièrement offrir des bracelets connectés Fitbit à ses salariés. «S’ils prouvent qu’ils enchaînent 20 nuits de 7 heures de sommeil ou plus, nous leur offrirons 25 dollars par nuit, plafonnés à 500 dollars par an», a déclaré son PDG Mark Bertolini.

[…] Le fonds d’investissement américain GLG Partners a mis en place un programme qui analyse les heures de sommeil ou l’alimentation de ses traders. Le syndicat des enseignants de Chicago soumet ses membres à un suivi personnalisé les contraignant à surveiller leur cholestérol et à pratiquer une activité sportive, sous peine de quoi ils doivent payer une amende de 600 dollars…»

Libération précise concernant le fond d’investissement :

Ce hedge fund (fonds d’investissement spéculatif) qui a mis au point un programme pour surveiller de près le sommeil et les assiettes de ses traders. En cas d’anomalie ou de performances moyennes, des séances de coaching leur sont proposées. «Actuellement, si nous nous maintenons en bonne santé, c’est parce que nous associons cela à tout un tas d’autres qualités, comme être un bon employé, dynamique, explique Cederström. On attend de nous que nous mettions à profit chaque moment pour être plus productifs, et que nous prétendions y éprouver du plaisir.»

L’article de Slate montre la supercherie de cette démarche à l’intérieur des entreprises dans un marché de l’emploi de plus en plus précarisé.

Si cet égoïsme pouvait au moins les rendre heureux, on pourrait en discuter. Selon les chasseurs de mythes du «syndrome du bien-être», il n’en est rien. Et pour cause. Ce n’est pas parce qu’on décide de devenir indifférent aux pressions du monde extérieur que celui-ci nous laisse tranquille en retour. C’est pourquoi vouloir gérer le mal-être au travail par la pratique de la méditation, comme cela est encouragé dans certaines entreprises, risque d’entraîner de grandes désillusions. Ces méthodes «ne traite[nt] jamais le stress, l’angoisse ou la dépression comme des troubles résultant de [notre] cadre de travail […] Si nous éprouvons du stress parce que nous croulons sous le travail, ou si nous ne sommes pas rassurés quant à l’issue du prochain plan de restructuration de notre entreprise, nous n’avons qu’à chasser toutes nos pensées négatives, respirer profondément et nous concentrer sur nous-mêmes. Et le tour est joué !», moquent-ils à propos des guides de conduite de développement personnel, qui placent l’individu souverain et sa volonté toute puissante au centre de la vie sociale.

Cette évolution est d’autant plus cynique que, plus le marché du travail se précarise, plus il semble que le «jargon positif» qui valorise l’authenticité, la créativité et l’individualité au travail se popularise dans les entreprises, les cabinets de recrutement, les livres de management sur le bonheur et même les agences de recherche d’emploi. Plus vulnérable que jamais sur un marché incertain ou le travail est en rareté, les salariés doivent «dissimuler leurs peurs et renvoyer en permanence une image positive d’eux-mêmes.»

Et puis, il y a une autre dérive dans cette quête « néo libérale » du bien-être, c’est que l’Etat abandonne de plus en plus la santé publique aux entreprises privées et cette dérive a pour conséquence de creuser de plus en plus la faille entre les riches qui peuvent se payer les outils du bien-être alors que les autres en sont privés toujours davantage :

« Une idéologie très dangereuse, insiste Carl Cederström au téléphone. «Car dire cela, c’est oublier que la santé est avant tout une affaire publique et politique, explique le chercheur. Toutes les études montrent que les classes défavorisées ont moins la possibilité de manger sainement. En stigmatisant les obèses, l’Etat ne joue pas son rôle. De même, faire croire aux chômeurs qu’ils peuvent trouver du travail en mincissant, en faisant un joli CV et en suivant des formations contre le stress est un mensonge. La vérité, c’est que l’industrie du bien-être est encore un domaine réservé aux riches.» Et de qualifier de «stupide» le projet du républicain Paul Ryan, aux Etats-Unis, qui proposait aux pauvres d’engager des coachs de vie en contrepartie des aides sociales. »

Slate en revient à une analyse marxiste des auteurs :

En bons marxistes, les auteurs voient dans cet investissement du corps et ce repli sur soi «des solutions séduisantes et auxquelles de plus en plus de gens ont recours pour ne plus avoir à se préoccuper du monde qui les entoure.» Le syndrome du bien-être serait l’autre nom de l’effondrement des espoirs collectifs de changement social, un tournant associé aux désillusions politiques et au refuge dans les pratiques new age de la génération des années 1970.

«Pendant ce temps, qu’advient-il du reste de la population –sous-entendu celle qui ne peut pas se payer le luxe de boire des smoothies frais tous les matins, de faire appel aux services d’un coach minceur ou de prendre des cours particuliers de yoga?»

[…] «Le syndrome du bien-être ne fera que renforcer le fossé entre riches et pauvres, avertit Cederström. Tous ces nouveaux produits sains, ces retraites de yoga, sont destinés aux riches, qui sont plus prompts à être déjà en bonne santé.»

En conclusion, Carl Cederström estime :

«Le monde se porterait mieux sans ces gourous du bonheur [qui] font fortune sur le malheur des autres».

Et l’article du Temps poursuit :

Loin d’être un livre léger, Le Syndrome du bien-être dresse au fil des pages un constat glaçant. Mis sous pression, l’individu se sent coupable s’il ne parvient pas à dompter son corps. Pour les deux chercheurs, le culte de la santé tient de l’ultralibéralisme: l’homme est seul responsable de son état – sous-entendu de ses performances. S’il échoue à mincir, à courir, à se muscler et à faire du yoga, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

[…] S’ils n’étaient pas réels, ces exemples pourraient bien passer pour de la science-fiction. Les auteurs sont implacables: «Surveiller sa vie comme s’il s’agissait d’une véritable entreprise correspond en tout point de vue à la mentalité de l’agent idéal du néolibéralisme.»

[…]Carl Cederström voit-il une solution à la dérive du bien-être? «Il faut juste que ça s’arrête, conclut-il.

Si vous voyez un coach dans votre entreprise vanter les effets de la psychologie positive, dites-lui que c’est du n’importe quoi.» La «quête paranoïaque du bonheur» est une fausse piste.

Encore un long mot du jour mais qui me semble fécond car il illustre, comme je l’ai écrit au début de ce mot, « le côté obscur de la chose ». Le monde n’est pas écrit en blanc et noir, rien n’est simple et certainement pas l’injonction du bien être qu’on nous assène dans le monde professionnel et probablement aussi dans notre vie personnelle.

J’ai tiré le contenu de ce mot du jour de ces trois articles :

https://www.letemps.ch/societe/2016/10/26/sois-bien-taistoi?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article

http://next.liberation.fr/culture-next/2016/05/18/le-bien-etre-fait-suer_1453485

http://www.slate.fr/story/118467/etre-heureux-oubliez-vous

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Mercredi 4 octobre 2017

« Un geste de domination insensé. »
Charles Dantzig décrivant Emmanuel Macron tapotant la joue de Gérard Collomb

J’espère que vous êtes convaincu, après les réflexions de Pascal Picq d’hier, que nous sommes proches des singes et combien dans notre comportement et dans nos attitudes ce fond animal surgit, notamment dans les relations politiques.

Si vous observez le comportement de Donald Trump à travers ce prisme, du singe mâle alpha qui veut montrer sa domination, par exemple par la manière dont il sert la main de ses interlocuteurs et qu’il les tire vers lui, cela en devient même caricatural.

Emmanuel Macron a été loué de sa manière dont il a serré la main de Trump et a su montrer son refus de la domination. Deux singes n’auraient pas fait autrement.

Yann Barthès avait présenté la première visite de Justin Trudeau à Donald Trump. Vous trouverez cette épisode derrière ce lien : <Visite de Justin Trudeau à Donald Trump>

Vous pouvez aller immédiatement à 1:45 et vous verrez le mâle alpha des singes humains du Canada bondir sur le mâle alpha des singes humains des Etats-Unis pour s’emparer de sa main de manière virile et lui montrer qu’il n’accepte pas sa domination animale.,

Charles Dantzig est un écrivain français qui fait paraître en octobre 2017 un livre : « Traité des gestes » (Grasset).

Il était invité le 29 septembre de l’émission la Grande Table : <Pour la beauté du geste avec Charles Dantzig>

Il a évoqué deux gestes.

Le premier est un geste de soumission.

Lors de la présentation du nouveau Pape François, Charles Danzig a vu un jeune prêtre s’approcher du nouveau Pape et délicatement lui épousseter l’épaule, car il venait de voir une poussière sur l’habit papal. Puis le jeune prêtre s’est retiré avec un sourire extatique de courtisan.

Le second geste est celui que j’ai mis en exergue et que vous avez vu si vous avez regardé l’investiture d’Emmanuel Macron.

Charles Danzig le raconte ainsi :

«Après avoir prononcé son discours, il s’approche de Gérard Collomb, de 30 ans son aîné et lui tapote la joue.
Un geste de domination insensé, alors qu’Emmanuel Macron est un homme bien élevé qui connait les bonnes manières.
Il a montré ainsi par ce geste de domination qui était le chef.»


Nous sommes toujours dans une similitude de comportement avec des chimpanzés qui font de la politique !

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Vendredi 15 septembre 2017

« Un homme imaginaire montre le sexisme »
Penelope Gazin et Kate Dwyer

Depuis le début de la semaine j’ai parlé de la manière dont les mâles de l’espèce homo sapiens considéraient et traitaient les femelles de l’espèce.

Hier, j’ai évoqué le futur d’homo sapiens tel que l’imagine ou le prédit Harari en essayant de comprendre où vont nous mener les projets et le « progrès » annoncés par les sociétés qui ont les plus grands moyens financiers et les plus remarquables intelligences humaines pour réaliser (ou essayer de réaliser) leurs rêves.

Aujourd’hui je vais simplement vous relater une histoire qui concerne des femmes entrepreneuses dans la silicon valley confrontées à la bêtise masculine. Car la silicon valley accueille peut être beaucoup d’intelligence, mais l’intelligence ne semble pas suffisante pour éviter le sexisme.

Cette histoire est racontée dans le journal « Le Parisien » du 2 septembre.

L’année dernière, Penelope Gazin et Kate Dwyer lancent Witchsy, un site internet permettant d’acheter des objets d’arts produits par de petits créateurs, à mi-chemin entre objets mignons et créations gores. Un an après, l’entreprise fonctionne bien, a vendu pour 200 000 dollars de marchandise et les deux jeunes femmes annoncent même des profits

Malgré cette réussite, elles sont toujours confrontées aux mêmes comportements sexistes : manque de considération, réponses irrespectueuses et tardives, remarques condescendantes… Le plus souvent de la part de collaborateurs masculins. Une situation profondément désagréable entravant l’évolution de leur entreprise.

Alors elles ont une idée : s’inventer de toutes pièces un troisième co-fondateur masculin. Un homme virtuel en quelque sorte.

Baptisé Keith Mann, ce membre imaginaire de l’entreprise est utilisé par Kate Dwyer et Penelope Gazin pour communiquer par e-mail. Il leur suffit de se faire passer pour lui. Une technique aux résultats flagrants : «C’était le jour et la nuit. Il pouvait s’écouler des jours avant que j’ai une réponse. Keith, lui, n’avait pas seulement une réponse rapidement mais on lui demandait s’il avait besoin de quelque chose d’autre ou d’aide à propos de quoi que ce soit» a expliqué Kate Dwyer, déplorant le sexisme de leurs collaborateurs : «On a compris que personne ne nous prenait au sérieux et qu’ils pensaient tous que nous étions idiotes».

Au fil du temps, les réponses toujours aussi sympathiques et efficaces poussent les deux jeunes femmes à poursuivre leur stratagème. Pour rendre le personnage plus crédible, elles inventent une vie et une histoire à Keith Mann : «Le genre à jouer au football à l’université, marié à sa femme depuis cinq ans et impatient de devenir père»

Vous pouvez lire cette histoire avec plus de détails dans l’article du Parisien <Lassées du sexisme, elles inventent un co-fondateur masculin à leur entreprise>

Finalement, malgré toute la modernité, nous n’avons finalement pas tellement évolué depuis l’époque victorienne anglaise où Charlotte Brontë pour que son chef d’œuvre « Jane Eyre» puisse être publié en 1847 et surtout reconnu, était obligée de cacher sa féminité sous le pseudonyme masculin de Currer Bell.

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Lundi 11 septembre 2017

« La politique du mâle »
Kate Millett

Kate Millett vient de mourir, le 6 septembre 2017 à Paris, où elle était venue fêter son anniversaire, avec sa femme, la photojournaliste Sophie Keir. Elle était née le 14 septembre 1934 dans le Minnesota.

Dans la première partie de sa vie, elle avait été mariée à un sculpteur japonais Fumio Yoshimura pendant 20 ans (1965-1985).

Pour ceux et surtout celles qui pensent que le progrès va suivre son cours que l’égalité réelle entre la femme et l’homme dans nos sociétés modernes n’est qu’une question d’un peu de patience encore ou que le droit de la femme de disposer librement de son corps et notamment de pratiquer l’avortement lorsqu’elle le juge nécessaire est acquis: Libération cite un constat que cette grande féministe avait fait, il y a quelques années, pour son pays, les Etats-Unis :

 «Rien n’a changé dans ce pays depuis vingt ans, le féminisme n’apporte plus rien dans la vie quotidienne. Et les Américaines risquent toujours de perdre le droit à l’avortement.»

Kate Millett est une des grandes féministes américaines qui a fait avancer les droits des femmes en dénonçant avec force et perspicacité les traditions, les évidences et aussi les théories de certains pseudo scientifiques qui essayaient de cacher, derrière un rideau de fumée conceptuelle, la banalité de leur combat médiocre pour préserver le patriarcat et la domination des mâles.

Dans ce registre, le docteur Sigmund Freud fut une cible particulièrement prisée par Kate Millett.

L’Obs dans son article d’hommage qu’il a intitulé <Kate Millett la grande féministe qui remettait Freud à sa place> la cite :

« Selon elle, en affirmant que le destin psychologique de la femme est irrémédiablement lié à son «envie de pénis», Freud n’a fait que «rationaliser l’odieuse relation entre les sexes, ratifier la répartition des rôles et valider les différences de son tempérament». Et de trancher: S’il est extrêmement regrettable que Freud ait choisi […] de se concentrer sur les distorsions de la subjectivité infantile, son analyse aurait pu cependant présenter un intérêt considérable s’il avait été assez objectif pour reconnaître que la femme naît femme dans une culture dominée par les hommes, portée à étendre ses valeurs jusqu’au domaine de l’anatomie elle-même et capable, par conséquent, d’investir les phénomènes biologiques d’une force symbolique.»

Son grand ouvrage qui la rendit mondialement célèbre fut écrit en 1970 et avait pour titre original : «  Sexual Politics », traduit en français et publié en 1971 sous le titre « La politique du mâle »

« La Politique du Mâle » fut d’abord sa thèse à l’Université de Columbia avant de devenir un livre. Son idée principale est que la relation entre les sexes est avant tout une question politique et par voie de conséquence une question de pouvoir et d’organisation sociétale pour préserver le pouvoir mâle.

L’Obs l’avait rencontrée à l’occasion de la sortie française de son livre en 1971 et elle avait résumé ainsi la situation :

« Chaque petit garçon est élevé dans l’idée qu’il peut, s’il a du mérite et de la chance, devenir président des Etats-Unis. Pour les petites filles, le but proposé, c’est d’être élue Miss America. […]
Je me suis crue obligée de parler haut. Je craignais que personne n’écoute. Mais je n’ai fait que mettre en batterie un vieux cliché: le monde appartient aux hommes.»

Dois-je rappeler que les américains malgré leur racisme latent sont parvenus à élire un homme noir à la Présidence, mais pas une femme. Ils ont préféré Donald Trump !

C’est encore cet ouvrage que l’Obs a cité dans le numéro contenant aussi le «Manifeste des 343 salopes» cité dans le Mot du jour de vendredi dernier.

C’est ainsi que l’hebdomadaire cita le jugement sévère de Kate Millett contre Freud, déjà évoqué en début d’article.

Et en continuant à citer son propos sur Freud, le journal écrivait :

« Plus loin, elle critique l’idée selon laquelle l’enfantement trouve également sa base dans le désir de pénis.

Donner le jour finit par devenir une prérogative masculine, puisque le bébé n’est que le substitut du pénis. La femme se fait battre à son propre jeu, celui de la reproduction, le seul que la théorie freudienne lui recommande.»

Ainsi, «donnerait-elle naissance à tout un orphelinat, que ce serait encore autant de petits godemichés.»

Kate Millett remet le psychanalyste autrichien à sa place avec une démonstration implacable :

Il semble que les filles fassent connaissance de la suprématie masculine bien avant d’avoir vu le pénis de leur frère. Elle est si bien intégrée à leur culture, si présente dans le favoritisme de l’école et de la famille, dans l’image que leur présentent de chaque sexe les médias, la religion, tous les modèles du monde adulte perçus par elle, que l’associer à un organe génital du garçon ne leur apporterait rien de plus, puisqu’elles ont déjà appris mille autre signes de différence sexuelle. Devant tant de preuves concrètes de la situation supérieure qui est faite au mâle et sentant de toutes parts le peu de cas que l’on fait d’elles, les filles envient, non le pénis lui-même, mais les prétentions sociales auxquelles le pénis autorise.»

Libération, comme les autres journaux, lui a consacré également un article dont je cite un extrait ci-après :

« Kate Millett a commencé à s’intéresser au féminisme quand elle a découvert le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir pendant ses études à Oxford, «une révélation» (le Monde du 2 avril 1971). Son Sexual Politics, traduit sous le titre la Politique du mâle au printemps 1971 chez Stock, suit d’une poignée d’années l’essai de Betty Friedan la Femme mystifiée (1964), qui analysait comment les bénéficiaires de la société de consommation, les magazines féminins et la publicité, ont recréé une nouvelle mystique de la femme au foyer.

Dans les semaines qui suivent la parution de Sex Pol aux Etats-Unis, Kate Millett se retrouve propulsée sur le devant de la scène. Son essai mêle l’analyse littéraire à la sociologie, la psychologie, l’anthropologie et définit les objectifs du mouvement féministe. C’est une critique du patriarcat dans la société et la littérature occidentale qui pointe le sexisme de romanciers modernes comme DH Lawrence, Henry Miller et Norman Mailer. «Etre femme ou être homme, écrit-elle, c’est appartenir à deux cultures différentes.» Pour elle, l’explosion de la famille traditionnelle permettra de dynamiter l’oppression politique et culturelle fondée sur le sexe. «Notre mouvement s’étend non seulement dans les universités mais aussi dans les classes moyennes et chez les femmes au foyer, mais il est vrai que nous avons des difficultés à toucher les milieux ruraux et ouvriers», expliquait notamment la porte-parole du mouvement féministe en 1971 au Monde. »

Si vous êtes à l’aise avec l’anglais vous pouvez également aller sur <son site personnel>

Son combat doit continuer et même si sous nos latitudes la situation s’est améliorée, une régression est possible et puis il reste tant à faire dans tant de pays dans le monde.

Le mot du jour du 9 septembre 2014 citait la journaliste Annick Cojean :

« C’est juste pas de chance d’être une femme dans la plupart des pays du Monde »

Puisse toutes les femmes de nos pays et tous les hommes respectables garder cette réalité présente dans leurs esprits.


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Lundi 4 septembre 2017

« « Gracias a la vida           Merci à la vie
Que me ha dado tanto    Qui m’a tant donné
Me ha dado el sonido      Elle m’a donné le son
Y el abecedario                Et l’alphabet
Con él las palabras           Avec lui les mots» »
Violeta Parra

C’est la rentrée !

« Gracias à la vida » est une chanson d’amour souvent chanté par Mercedes Sosa la célèbre chanteuse argentine ou par Joan Baez la chanteuse américaine à la voix de velours. Et même une fois <par les deux>.

Mais cette chanson a été écrite et mise en musique par Violeta Parra, une immense chanteuse chilienne. Une de ses dernières chansons. Elle l’a enregistrée sur son dernier album en 1966. Le 5 février 1967, à quarante-neuf ans, et après plusieurs tentatives ratées, Violeta Parra met fin à ses jours. <Un billet sur un autre blog parle de cette magnifique chanson et de son auteure>

Quel lien entre l’école et cette chanson ?

Dans la 3ème strophe, l’auteur remercie la vie d’avoir donné le « son » pour parler, « l’alphabet » pour écrire et « les mots » pour s’exprimer. Et c’est la première mission de l’école apprendre à s’exprimer, à réfléchir, à s’interroger grâce aux mots.

Oui ; merci à la vie de nous avoir donné cela et de nous avoir donné l’école.

Quelquefois quand mes enfants trouvaient qu’aller à l’école était bien embêtant et contraignant, je leur répétais que le contraire de l’école n’était pas le jeu, mais le travail. Le travail des enfants qui existe encore dans trop de pays dans le monde. L’école permet d’émanciper les enfants, de les libérer, de leur permettre de se construire.

Ce n’est pas moi mais Véronique Decker, directrice de l’école Marie Curie de Bobigny qui a fait ce lien, à la fin de l’émission de France Culture de ce samedi dans laquelle elle était invitée pour parler de la rentrée scolaire.

Dans cette émission elle a notamment exprimé la chose suivante :

« J’ai un regard très critique sur tous ces zigzags.
Je suis directrice de cette école depuis 2000, cela fait 17 ans que je suis là.
En 17 ans j’ai tout vu, tout vécu, et chaque fois il a fallu s’adapter à des procédures qui n’ont jamais de durée :
On a eu des emplois jeunes, on a eu des auxiliaires de vie scolaire, on a eu des emplois de vie scolaire, on a eu des assistantes d’éducation.
Un 31 août on m’a dit d’annoncer aux assistantes d’éducation que leurs contrats n’étaient pas renouvelés, il y a quelques années. On avait 4 personnes qui nous aidaient dans l’école et du jour au lendemain plus personne.
A un moment j’ai eu une secrétaire, à un moment je n’ai plus eu de secrétaire, à un moment j’ai eu une secrétaire, à un autre moment je n’ai plus eu de secrétaire, et là j’en ai une. Tout va bien !
Ce qui est usant c’est qu’on a le sentiment que beaucoup d’argent parfois est dépensé pour faire des annonces qui ne sont pas celles de nos demandes. »

Elle insiste, par exemple, sur le fait qu’il n’y a presque plus de médecins scolaires en Seine Saint Denis qui est pourtant le département où probablement il serait le plus nécessaire d’en avoir.

Je vous conseille d’écouter <cette émission> où elle exprime très simplement et très pédagogiquement les problèmes auxquels l’école doit faire face et la manière « hors sol » avec laquelle les technocrates lancent des idées et des réformes qui ne répondent pas aux questions qui se posent.

Véronique Decker est une militante de l’école Freinet. Elle a écrit deux livres : « Trop classe ! Enseigner dans le 9-3 » en 2016 et « L’école du peuple » en 2017.

Vous trouverez derrière <Ce lien> un article sur le premier de ces livres et un entretien avec Véronique Decker qui dit notamment :

« Chaque école Freinet a sa particularité et son histoire. Ce qui nous caractérise c’est qu’on a monté cette école Freinet sans aucune aide. Par exemple, sans aide au mouvement particulière. On a fait une école ordinaire qui fonctionne selon les règles du mouvement ordinaire. Du coup il n’y a pas que des militants Freinet dans l’école. Les gens disent qu’on est une école Freinet . Mais nous on préfère parler d’une école avec des militants Freinet. Ce sont des enseignants militants qui ont choisi de venir enseigner là. Ce qu’on partage ce n’est pas tant des techniques Freinet que des valeurs morales. »

Plus loin dans cet article elle explique :

« Je vois le plancher social s’effondrer à la hauteur des enfants.  Nous voyons des choses qu’on n’imaginait pas possible il y quelques années. Par exemple, des enfants qui ont faim. Des familles en errance. On a des enfants qui démarrent un CP dans le Tarn et Garonne, puis partent chez une tante à Lille. Puis vont dans le 93 pour 3 mois. A la fin de l’année, l’enfant a fait des bouts de CP mais il ne sait rien. Il y a 10 ans des parents à la rue avec 5 enfants auraient obtenu un logement passerelle en raison des 5 enfants. Maintenant ces enfants déscolarisés de fait ne déclenchent plus des services sociaux qui d’ailleurs sont submergés.

Il ya 10 ans on rencontrait les assistantes sociales tous les trimestres et on leur adressait des enfants. Maintenant il faut des semaines pour avoir un rendez vous et elles n’ont plus rien dans les mains. Les gens sont en train de se replier physiquement et psychiquement. Et dans nos écoles on voit émerger des pathologies et des souffrances dont les enfants sont les premières victimes.

On a essayé de médiatiser cela en vain. Mais on se heurte à l’indifférence et au repli. Chacun pense qu’il peut s’en sortir seul. J’ai l’impression que la guerre arrive. Qu’on va vers le désastre. Rien n’est fait pour nous sauver. Ce n’est pas l’ascenseur social qui est en panne mais le plancher social qui est troué. »

Elle explique cependant qu’il reste encore de belles journées

« On les  appelle des « moments champagne ». Ce sont ces moments où les enfants progressent. Par exemple, le dernier moment que j’ai vécu c’était à un moment où je devais faire face à deux absences d’enseignants non remplacées. J’ai installé les enfants dans le préau devant mon bureau et je leur ai donné un test départemental à faire. Sans professeurs ils se sont entraidés. Je les regardais et je voyais une ruche bruissante, avec des enfants appliqués. L’ambiance était très sympathique Freinet c’est ça pour moi : que les enfants apprennent sans avoir besoin d’un policier pour les contraindre. Qu’ils soient conscients des enjeux. Ils ont fait la tache. C’était une vraie victoire. Champagne ! »

<Slate a consacré un article au second ouvrage « L’école du Peuple »>. Le titre de cet article : « Une enseignante extraordinaire raconte ce que les enfants et les familles vivent aujourd’hui »

<Médiapart a aussi consacré un article à cet ouvrage> (mais il faut être abonné)

Et Le Monde lui a consacré dans sa série « Ceux qui font » un article qu’il a intitulé « Véronique Decker, enseignante de combat »

Cet article débute ainsi :

« Mais où puise-t-elle toute cette énergie ? Véronique Decker, 63 ans, peut virevolter sur une paire de rollers pour la répétition de la fête de fin d’année en répondant au téléphone à une mère d’élève au sujet d’une absence puis, sans transition, raccrocher et reprendre sa leçon de géométrie improvisée afin d’expliquer au gamin de CM2 (cours moyen supérieur) qui l’écoute comment bien positionner ses pieds. Elle avance une réponse : « Directrice d’école, c’est être multitâches. » Et après un court instant : « Et avoir la capacité en permanence de passer d’une chose à l’autre. » Elle complétera plus tard : « C’est aussi monter des procédures sans cesse, qui s’effondrent sans arrêt. » Avant d’ajouter, avec un geste de la main : « C’est super varié comme métier. Elle rit, désigne un nuage, puis un autre. Chaque matin, tu ne sais jamais par quel côté les ennuis vont arriver ! » Le ton est donné. Véronique Decker est ainsi, elle donne le tournis. »

Cette femme, au terme de sa carrière qui voit et décrit la misère sociale de ses élèves, les problèmes de l’école reste une femme pleine d’énergie et de courage pour affronter la réalité, faire bouger les choses.

Et elle s’émeut devant cette chanson de gratitude : « Gracias à la vida »

<Derrière ce lien vous entendrez Violetta Parra chanter Gracias à la visa>

Il me semble que malgré Mercedes Sosa, malgré Joan Baez, c’est l’interprétation la plus bouleversante.

Voici le texte intégral de la chanson et sa traduction trouvée sur le site suivant ;

<http://www.paroles-musique.com>

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me dio dos luceros
Que cuando los abro
Perfecto distingo
Lo negro del blanco
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Y en las multitudes
El hombre que yo amo.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado el oído
Que en todo su ancho
Graba noche y día
Grillos y canarios
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos
Y la voz tan tierna de mi bien amado.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado el sonido
Y el abecedario
Con él las palabras
Que pienso y declaro
« madre, amigo, hermano »
Y luz alumbrando la ruta del alma del que estoy amando

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado la marcha
De mis pies cansados
Con ellos anduve
Ciudades y charcos
Playas y desiertos, montañas y llanos

Y la casa tuya, tu calle y tu patio.

Gracias a la vida
Que ma ha dado tanto
Me dio el corazón
Que agita su marco
Cuando miro el fruto
Del cerebro humano
Cuando miro el bueno tan lejos del malo
Cuando miro el fondo de tus ojos claros.

Gracias a la vida
Que me ha dado tanto
Me ha dado las risas
Y me ha dado el llanto
Así yo distingo
Dicha de quebranto
Los dos materiales que forman mi canto
El canto de todos que es el mismo canto
El canto de todos que es mi propio canto

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné deux étoiles
Et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement
Le noir du blanc
Et en haut du ciel son fond étoilé
Et parmi la multitude
L’homme que j’aime

Merci à la vie
Qui m’a tant donné

Elle m’a donné l’ouïe
Qui dans toute son amplitude
Enregistre nuit et jour
grillons et canaris
Marteaux, turbines, aboiements, averses
Et la voix si tendre de mon bien-aimé

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné le son
Et l’alphabet
Avec lui les mots
Que je pense et déclare
 »mère, ami, frère »
et lumière qui éclaire le chemin de l’âme de celui que j’aime

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné la marche
De mes pieds fatigués
Avec eux j’ai parcouru
des villes et des flaques d’eau
des plages et des déserts, des montagnes et des plaines
Et ta maison, ta rue et ta cour

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné un cœur
Qui vibre
Quand je regarde le fruit
Du cerveau humain
Quand je regarde le bien si éloigné du mal
Quand je regarde le fond de tes yeux clairs

Merci à la vie
Qui m’a tant donné
Elle m’a donné le rire
Et elle m’a donné les pleurs
Ainsi je le distingue
bonheur et déchirement
les deux matériaux qui composent mon chant
et votre chant à vous qui est le même chant
et le chant de tous qui est mon propre chant.

<920>

Jeudi 31 août 2017

« Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure. »
Marin de Viry

Pour continuer la réflexion sur le tourisme de masse, je partage avec vous cet article du Figaro < Marin de Viry: «Comment le tourisme de masse a tué le voyage»>

Le Figaro nous apprend que Marin de Viry est écrivain et critique littéraire et qu’il est l’auteur d’un essai sur le tourisme de masse: <Tous touristes (Café Voltaire, Flammarion, 2010)>.

Probablement qu’il est rassurant de considérer que son propos est provocateur. Il peut aussi être accusé d’élitisme, car selon lui tant qu’un petit nombre d’aristocrates pouvaient s’adonner à ce loisir, les choses étaient acceptables. Ce serait donc les conquêtes sociales qui seraient en cause.

Son regard me semble quand même intéressant : il reparle du divertissement pascalien et bien sûr, en creux, du paraître et de la superficialité.

Marin de Viry explique notamment :

« Le tourisme n’a plus rien à voir avec ses racines. Quand il est né au XVIIIe siècle, c’était l’expérience personnelle d’un homme de «condition», un voyage initiatique au cours duquel il devait confronter son honneur – c’est-à-dire le petit nombre de principes qui lui avaient été inculqués – à des mondes qui n’étaient pas les siens. Il s’agissait de voir justement si ces principes résisteraient, s’ils étaient universels. Un moyen d’atteindre l’âge d’homme, en somme. Le voyage, c’était alors le risque, les accidents, les rencontres, les sidérations, autant de modalités d’un choc attendu, espéré, entre le spectacle du monde et la façon dont l’individu avait conçu ce monde à l’intérieur de sa culture originelle.

Au XIXe, tout change: le bourgeois veut se raccrocher à l’aristocrate du XVIIIe à travers le voyage, qui devient alors une forme de mimétisme statutaire. Le bourgeois du XIXe siècle voyage pour pouvoir dire «j’y étais». C’est ce qui fait dire à Flaubert lorsqu’il voyage avec Maxime Du Camp en Égypte: mais qu’est-ce que je fais ici ? […]

Avec l’époque contemporaine, on a une totale rupture du tourisme avec ses racines intellectuelles. Même chez ceux qui aujourd’hui veulent renouer avec le voyage, pour s’opposer au tourisme de masse, il n’y a plus de profonde résonance, de profond besoin, car le monde est connu, et le perfectionnement de leur personne ne passe plus forcément par le voyage. Là où le voyage était un besoin, au XVIIIe, pour devenir un homme, se former, parachever son âme et son intelligence, il devient quelque chose de statutaire au XIXe, puis une simple façon de «s’éclater» aujourd’hui. C’est devenu une modalité de la fête permanente, laquelle est devenue banale. Le monde est ennuyeux parce qu’il est le réceptacle de la fête, devenue banale. »

A la question, dans notre monde globalisé, est-il encore possible de voyager? Il répond :

«Toute la question est de savoir s’il reste des destinations ouvertes à la curiosité. Or, plus elles sont organisées, balisées par le marketing touristique de la destination, moins elles sont ouvertes à la curiosité. […]

Je vais être néo-marxiste, mais je crois que c’est le salariat, plus que la démocratisation, qui change tout. Les congés payés font partie du deal entre celui qui a besoin de la force de travail et celui qui la fournit. À quoi s’ajoute la festivisation, qui est d’abord la haine de la vie quotidienne. Et il est convenu que la destination doit être la plus exotique possible, car la banalité de la vie quotidienne, du travail, est à fuir absolument. Au fur et à mesure de l’expansion du monde occidental, la fête se substitue à la banalité, et la banalité devient un repoussoir. Il n’y a pas d’idée plus hostile à la modernité que le pain quotidien.

Autour de ce deal s’organise une industrie qui prend les gens comme ils sont, individualisés, atomisés, incultes, pas curieux, désirant vivre dans le régime de la distraction, au sens pascalien du terme, c’est-à-dire le désir d’être hors de soi. Le tourisme contemporain est l’accomplissement du divertissement pascalien, c’est-à-dire le désir d’être hors de soi plutôt que celui de s’accomplir. […]

Il nous donne, selon lui, le nom de l’inventeur du tourisme de masse, un puritain et en déduit le côté religieux du tourisme :

« C’est Thomas Cook qui invente le tourisme de masse. Cet entrepreneur de confession baptiste organise, en juillet 1841 le premier voyage collectif en train, à un shilling par tête de Leiceister à Loughborough, pour 500 militants d’une ligue de vertu antialcoolique. C’est la première fois qu’on rassemble des gens dans une gare, qu’on les compte, qu’on vérifie s’ils sont bien sur la liste, qu’on déroule un programme. Les racines religieuses puritaines ne sont pas anodines. Il y a comme un air de pèlerinage, de communion collective, dans le tourisme de masse. Le tourisme est très religieux. Et il y a en effet quelque chose de sacré au fait de pouvoir disposer de la géographie du monde pour sortir de soi. S’éclater à Cuba, c’est une messe ! »

Marin de Viry devient alors plus philosophe dans ses réflexions. J’en ai extrait l’exergue de ce mot du jour. Exergue qui aurait aussi pu être : « L’industrie du tourisme ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu’ils payent pour le plaisir. »

«Nous sommes dans la culture de l’éclate, de la distraction permanente, sans aucune possibilité de retour sur soi. Le monde moderne est une «conspiration contre toute espèce de vie intérieure», écrivait Bernanos. Je crois que le tourisme est une des modalités de destruction de la vie intérieure.

Prenons l’exemple du «syndrome de Stendhal». Stendhal s’est senti mal à force de voir trop de belles choses à Rome et à Florence. Trop de beauté crée un état de sidération, puis de délire confusionnel: en Italie, on est souvent submergé par le superflu. C’est l’expérience limite de la vie intérieure: la beauté vous fait perdre la raison. C’est exactement le contraire que vise l’industrie touristique, qui cherche à vendre la beauté par appartements, en petites doses sécables d’effusions esthétiques marchandisées. Elle ne veut pas que ses clients abdiquent leur raison devant la beauté, mais qu’ils payent pour le plaisir. Immense différence. »

Le journaliste se réfère alors à Michel Houellebecq qui décrit une France muséale, paradis touristique, vaste hôtel pour touristes chinois pour demander si c’est le destin de la France ?

«[…] Je ne suis pas totalement dégoûté par le scénario de Houellebecq. C’est une France apaisée, bucolique. On retournerait tous à la campagne pour accueillir des cohortes d’Asiatiques et de Californiens. On leur expliquerait ce qu’est une église romane, une cathédrale, une mairie de la IIIème République, un beffroi. Ce serait abandonner notre destin pour se lover dans un scénario tendanciel dégradé mais agréablement aménagé, et nous deviendrions un pays vitrifié plutôt qu’un pays vivant. Nous aurions été détruits par la mondialisation, mais notre capital culturel nous sauverait de l’humiliation totale: on nous garantirait des places de médiateurs culturels sur le marché mondial. Si on pense que Dieu n’a pas voulu la France, ou que l’histoire n’a pas besoin de nous, on peut trouver ça acceptable. »

C’est un avis ! Il bouscule un peu, c’est en cela qu’il peut être utile.

<918>

Mercredi 30 août 2017

« Le tourisme de masse »
Conséquence de la démocratisation des congés et de l’augmentation du niveau de vie dans le monde.

Un des moyens les plus commodes pour occuper son temps libre et notamment les vacances est de faire du tourisme.

Le tourisme est désormais une industrie extrêmement importante au niveau mondial et pour certains pays la première.

<Cet article du Parisien> nous apprend qu’en 2016, le nombre de touristes a progressé de 4% au niveau mondial, atteignant 1,2 milliard de visiteurs, grâce à la croissance du nombre de voyageurs provenant d’Asie (+8%).

L’Europe reste la région du monde la plus visitée, avec 620 millions de touristes, mais le nombre de visiteurs y a moins progressé (+2%) que l’année précédente en raison des craintes liées à la sécurité dans certains pays. Mais les résultats européens sont « très mitigés », certaines destinations ayant « un taux de croissance à deux chiffres et d’autres un taux plat » précise l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT).

Et en 2017, le tourisme mondial devrait continuer à croître de 3 à 4%, estime l’OMT. Le tourisme représente 10% du PIB mondial, 7% du commerce international et 30% des exportations de services, selon l’OMT. Un emploi sur 11 dans le monde provient du tourisme, si l’on tient compte des emplois directs, indirects et induits.

En France, le tourisme générait 7,1 % du PIB en 2015.

C’est donc une très bonne activité : elle donne de l’emploi, elle est a priori pacifique, elle permet de connaître d’autres pays autrement qu’en les envahissant par la guerre. Les allemands sont ainsi infiniment plus sympathiques depuis qu’ils viennent avec leur deutsch mark et maintenant leurs euros plutôt qu’avec leurs panzers.

Mais il y a pourtant un problème : le tourisme de masse.

  • Peut-être que les destinations qui en valent la peine sont limitées. C’est une hypothèse.
  • Le mimétisme constitue cependant un axe fort du comportement des humains qui aiment bien faire ce que font leurs voisins.
  • Et puis, il faut accueillir les touristes et donc les industries touristiques investissent à cette fin. Et lorsqu’ils ont créé les infrastructures adéquates, ils font ce qu’il faut pour rentabiliser leurs investissements et inciter les vacanciers à venir. Et cela marche bien. Ce qui a pour conséquence d’envoyer de plus en plus de vacanciers dans les endroits où les infrastructures se sont déployées en grand nombre.

Toujours est-il que ce tourisme de masse pose beaucoup de soucis notamment aux autochtones qui ne se gênent pour le dire, pour protester et même pour manifester leur hostilité aux vacanciers, à Barcelone, à Venise, au Portugal.

Le Monde explique ainsi que <l’Espagne dit son ras le bol du tourisme de masse> :

Le journal montre par exemple un graffiti au parc Güell, à Barcelone, le 10 août :

« Touriste : ton voyage de luxe, ma misère quotidienne »

Puis pose la question :

« L’Espagne est-elle atteinte de « tourismophobie » ? Alors que leur pays s’apprête à battre de nouveaux records – il a déjà accueilli plus de 36 millions de visiteurs (11,6 % de plus qu’en 2016) et devrait dépasser les 80 millions avant la fin de l’année –, les Espagnols s’interrogent sur les méfaits induits par un secteur qui représente 11,2 % du produit intérieur brut (PIB) et qui fait vivre 2,5 millions de personnes. »

Il faut dire que certains vacanciers sont particulièrement atteints du syndrome : « Pour occuper mon temps libre, je fais n’importe quoi »

« L’hôpital universitaire de Palma de Majorque, Son Espases, est ainsi devenu une référence mondiale dans une spécialité assez particulière : soigner des vacanciers blessés lors d’un balconing, une pratique qui consiste à sauter d’un balcon à un autre, ou dans une piscine. Le profil des quarante-six personnes soignées par l’établissement entre 2010 et 2015 ? D’après un rapport publié en mars : jeune (environ 24 ans), majoritairement britannique (60,8 %) et complètement ivre.

Dernière victime en date, un Irlandais de 27 ans qui s’est jeté de sa chambre d’hôtel de San Antonio (Ibiza) début juillet. Le balconing aurait déjà causé la mort de trois touristes à Majorque depuis le début de l’été, selon les autorités locales.

Il y a aussi les booze cruises (les « croisières arrosées ») pour lesquelles on peut embarquer depuis la plage de Magaluf (Majorque) et qui offrent trois heures de musique et de boissons non-stop sur des bateaux bondés pour 55 euros… »

Alors il y a des réactions et une saine colère !

« Fin juillet, quatre personnes encagoulées ont subitement obligé un bus touristique de Barcelone à s’arrêter : elles ont crevé les pneus du véhicule avant de peindre sur son pare-brise le slogan « Le tourisme tue les quartiers ». L’attaque a été revendiquée par le collectif Arran, le mouvement de jeunesse du parti d’extrême gauche indépendantiste CUP.

Ses militants dénoncent « un modèle de tourisme qui génère des bénéfices pour très peu de personnes et aggrave les conditions de vie de la majorité ». Ils ont aussi lancé des confettis aux clients d’un restaurant du port de Palma de Majorque et collé des centaines de stickers sur des véhicules de location contre le « tourisme qui tue Majorque ». »

Et si cette industrie donne de l’emploi, il s’agit surtout de jobs de m… :

« Le secteur emploie 13 % de la population active en Espagne, et jusqu’à 20 % en Catalogne. Mais il requiert surtout une main-d’œuvre peu chère et temporaire, donnant l’impression d’un « pays de serveurs » comme le dénonce régulièrement la presse ibérique. « La précarisation des emplois touristiques est de plus en plus problématique », affirme un rapport de l’université Loyola Andalucia publié en avril. »

Dans la même veine, le journal <Sud-Ouest> publie un article : « Stop au tourisme massif, nous voulons des quartiers pour vivre ! ».

Et la <Dépêche>, le journal de Toulouse explique que les capacités d’accueil espagnoles frisent la cote d’alerte et notamment que le phénomène Airbnb fait flamber le prix du mètre carré pour les habitants locaux qui ont de plus en plus de difficultés pour se loger et notamment loger les jeunes qui quittent la maison parentale.

<Le Journal La Croix essaye d’esquisser des solutions> : aux Baux de Provence, au Portugal, en Corse, en Ligurie. Les solutions préconisées peuvent se résumer : étaler la saison de tourisme, encadrer strictement la circulation automobile, développer des circuits contraignants et des transports en commun compétitifs, mettre en place des interdictions.

Certaines initiatives sont à souligner ainsi à Lisbonne :

«Le mur est peint en jaune. D’une couleur commune à Lisbonne, il passerait totalement inaperçu si un petit panneau d’interdiction original n’attirait l’attention des passants. « Pipi ici, non ! », lit-on sur le bandeau qui barre le petit personnage en train de se soulager. « Nous avons fait recouvrir le mur d’enceinte du centre de santé de notre quartier d’une peinture hydrofuge. Le liquide retourne dans les jambes de l’impétrant. C’est très efficace », expose calmement [une fonctionnaire de la ville] »

Le journal évoque aussi les villages des Cinque Terre, en Ligurie où des générations de paysans ont façonné les versants montagneux pour cultiver la terre en terrasses où sont plantées vignes, oliviers et citronniers. Toutes les terrasses sont soutenues par des murets en pierre sèche qui constituent le trait identitaire des Cinque Terre. Depuis son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco en 1997, ce lieu est visité chaque année par plus de 2 millions de vacanciers. Le tourisme est devenu la première source de revenus, avec tous les risques que cela engendre pour l’environnement et les activités traditionnelles. Un responsable exprime clairement la contradiction de ce type de tourisme :  « C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue parce que le tourisme amène prospérité et dégradation […]. Le vrai désarroi des autochtones c’est la masse de croisiéristes qui n’ont pas le sens de l’écologie. Mais grâce au soutien des communes nous sommes les premiers en Italie à avoir pris des mesures originales pour préserver un site fragile. »

J’ai également écouté avec intérêt une émission de France Culture qui m’a paru équilibrée entre la dénonciation de dérives insupportables et la préservation d’une industrie soucieuse de maîtrise et de bien être pour tous : <Faut-il réguler le tourisme de masse ?>

Pour répondre à cette question, l’émission avait invité Josette Sicsic, directrice de l’observatoire Touriscopie et rédactrice en chef du journal mensuel Touriscopie et Jean Viard, sociologue et directeur de recherches au CNRS au CEVIPOF.

La réponse courte à la question, faut-il réguler, étant bien sûr : OUI. Car sinon on donnera raison à Jean Mistler  :

«Le tourisme est l’industrie qui consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux, dans des endroits qui seraient mieux sans eux »

Mais n’est ce pas déjà le cas dans les lieux où le tourisme de masse explose ?

<917>

Mardi 29 août 2017

« Le Ministre du temps libre »
Création éphémère de François Mitterrand lors de son accession au pouvoir.

Le temps libre constitue une question sérieuse.

En 1981, quand François Mitterrand est élu président, nous sommes alors dans le monde de l’utopie et du rêve, il crée un Ministère du temps libre. Le Ministre qui héritera de ce poste s’appelait André Henry. C’était un ancien instituteur né en 1934 dans les Vosges qui fut responsable syndical d’abord dans le Syndicat national des instituteurs, puis dans la Fédération de l’Éducation nationale.

Ce Ministère avait sous sa responsabilité deux secrétaires d’état : l’un chargé de la Jeunesse et des Sports et l’autre du Tourisme.

Résumons, il y a d’abord « du temps libre » et puis des conséquences : « Le sport » et le « tourisme ».

Tout ceci ne durera pas. En mars 1983, Mitterrand et son premier Ministre Pierre Mauroy décident d’un plan de rigueur, l’économie française n’a pas su faire face à l’utopie et aux rêves dans un monde ouvert et surtout aux désirs infinis de consommation pour l’essentiel de produits venant de l’étranger.

En avril 1983, le ministère du temps libre était supprimé. Il existe pourtant encore une trace de ce ministère éphémère : c’est celui des chèques vacances qui ont été créés à ce moment là. Toutefois, sa suppression ne peut qu’apparaître judicieuse à notre regard libertaire : que l’Etat songe à  organiser notre temps libre ne peut que nous heurter !

Cependant avec ou sans ministère, le temps libre reste une vraie question.

Que faisons-nous de notre temps libre ?

Parce que nous en avons beaucoup.

J’avais déjà consacré le mot du jour du 4 septembre 2014 à ce sujet : « Nous vivons dans une société du temps libre »

Je donnais la parole au sociologue Jean Viard qui nous expliquait qu’en 1914, un homme vivait en moyenne 500.000 heures, il dormait 200 000 heures, il travaillait 200 000 heures et il lui restait 100 000 heures pour faire autre chose. 
En 1914, il disposait donc de 20% de temps libre à occuper. A cette époque, les activités religieuses occupaient encore une grande place dans ce temps disponible.

Aujourd’hui, nous vivons en moyenne 700 000 heures (80 ans) et nous travaillons (si nous avons un emploi) 63 000 heures. On travaille donc à peu près 10% de notre vie. Les européens travaillent de 10 à 12%, les américains travaillent plutôt 16%. Désormais nos activités religieuses et peut être même spirituelles me semblent assez limitées dans le temps.

C’est très compliqué d’occuper autant de temps, surtout si on ne suit pas le conseil de Pascal que j’ai cité lors du mot du jour consacré au « divertissement Pascalien » : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ».

Alors il faut jouer, regarder la télévision, surfer sur internet, jardiner, voyager, visiter, bref s’occuper l’esprit pour qu’il y ait toujours quelque chose qui chasse l’ennui.

Et puis, dans les rencontres il faut pouvoir dire quelque chose après « bonjour ».

Pour beaucoup, le redémarrage de la Ligue 1 constitue une aubaine : les derniers résultats de l’OL, de l’OM ou du PSG, l’arrivée de tel ou tel joueur contre un prix exorbitant quel que soit son art de manipuler un ballon de cuir constituent un moyen commode de lutter contre le silence.

Mais raconter ses vacances est aussi un excellent sujet qui peut être échangé assez facilement, avec quasi n’importe qui et sans trop d’implication personnelle.

Sujet de conversation donc idéal.

<916>

Lundi 26 juin 2017

« Le vitiligo »
Maladie de la peau qui a fait l’objet d’une journée mondiale ce dimanche 25 juin

<Ce dimanche, il avait été décidé d’organiser une journée mondiale du vitiligo>

C’est le fait d’avoir entendu cette information qui m’a incité à m’intéresser à ce sujet.

Le <site doctossimo> explique qu’il s’agit d’une maladie de peau qui se caractérise par des zones dépigmentées plus ou moins étendues. Ce site précise qu’elle est connue depuis la nuit des temps.

C’est une maladie qui est analysée par les froids techniciens de la médecine comme bégnine sur le plan médical. Mais ce que ces techniciens feignent d’ignorer c’est l’aspect humain notamment dans sa relation à autrui, dans le paraître qu’on peut dénoncer philosophiquement, mais qui est pourtant si important dans la vie en société.

C’est toujours le site doctossimo qui explique que le vitiligo peut conduire à une détresse psychologique sévère et doit, à ce titre, bénéficier d’une prise en charge adaptée :

« Le vitiligo se manifeste par des plaques blanches correspondant à des zones de peau où les cellules fabriquant la mélanine – à l’origine de la pigmentation de la peau – ont disparu. Ces plaques n’ont pas d’autre spécificité : elles ne démangent pas ou très rarement, elles ne sont ni douloureuses, ni contagieuses. Pourtant, ces simples taches décolorées suffisent à provoquer le dégoût, voire le rejet. Mary, atteinte à l’âge de 8 ans, en a particulièrement souffert quand elle était enfant. « A l’époque, il y a 30 ans, on connaissait encore mal cette maladie, que l’on associait à la gale. Pendant des années, j’ai été rejetée, même par mes anciens amis ; ils pensaient que cela pouvait être contagieux et refusaient de m’approcher.»

Une <association française du vitiligo> a été créée avec pour objet d’informer des nouveaux traitements, mais aussi de créer un groupe capable de faire pression pour que cette maladie soit davantage prise en considération et aussi permettre à celles et ceux qui en sont victimes d’être en lien avec d’autres qui poursuivent le même combat.

Le journal <20 Minutes> a écrit un article à l’occasion de la journée mondiale :

« N’avez-vous jamais eu l’impression que l’on vous dévisageait ? Pour ceux qui vivent avec le vitiligo, cette impression est une réalité souvent pesante. Le vitiligo, tout le monde connaît sans vraiment savoir ce que c’est. Ce n’est pourtant pas une maladie rare. En France, entre 900.000 et 1,2 million de personnes vivent avec le vitiligo. Il s’agit d’« une maladie qui entraîne une disparition des mélanocytes de la peau, les cellules responsables de la pigmentation de l’épiderme, faisant apparaître sur le corps des taches blanches »

Pour ceux qui vivent avec le vitiligo, regards insistants et remarques désagréables ne sont pas faciles à supporter. […] Son vitiligo, Amandine, étudiante en licence de communication à Mulhouse, vit avec depuis l’âge de 2 ans. De larges taches dépigmentées parcourent une grande partie de son corps, qu’elle a longtemps caché. « Traverser l’enfance et l’adolescence a été très difficile, se souvient la jeune femme de 21 ans. Etre ado n’est déjà pas simple, mais quand vous y ajoutez les regards incessants, les moqueries et les réflexions déplacées, ça a été très difficile à vivre : j’éprouvais un grand mal-être et j’en avais marre de ne pas vivre comme tout le monde », se souvient-elle. A l’époque, rien n’aurait pu convaincre Amandine de porter autre chose que des vêtements très couvrants. Pantalon et pull à manches longues, sa garde-robe restait la même par tous les temps.

« Certains ne pratiquent aucun sport, d’autres sont dans un désarroi tel qu’ils sombrent dans la dépression, voire le suicide », ajoute Jean-Marie Meurant. Pour Amandine, le vitiligo est devenu une « obsession ». « Je ne suis pas allée à la piscine avant l’âge de 15 ans et dans le bus, je m’asseyais en posant les mains sur mes jambes, paumes en l’air, pour ne pas que l’on voie les taches sur le dos de mes mains ». Une époque difficile à vivre pour elle et son entourage, en particulier son grand-père, atteint lui aussi de cette maladie génétique.

Jusqu’au jour où, à 18 ans, la jeune femme a décidé qu’elle ne voulait plus vivre de cette manière. « J’ai voulu changer, être plus ouverte sur l’extérieur et m’accepter comme j’étais ». C’est alors qu’elle a rejoint l’association, où elle a fait la connaissance d’autres membres, atteints comme elle de vitiligo. Pour favoriser l’acceptation de la maladie, l’AFV propose régulièrement des ateliers de maquillage correcteur à ses adhérents. Objectif : se sentir plus à l’aise dans son corps, mais aussi « rompre l’isolement qu’entraîne le vitiligo », insiste Jean-Marie Meurant. »

Il existe de belles initiatives pour aider à changer le regard, ainsi <Un photographe sublime la beauté des personnes atteintes par le vitiligo> :

« Pour lutter contre les préjugés, le photographe australien Brock Elbank a choisi de réaliser une série de portraits autour du vitiligo. Interrogé par le site I-D, l’un de ses modèles explique : « certaines personnes ont des physiques plus singuliers que d’autres, en ayant des cheveux différents, des marques sur leur corps, ou bien des taches de rousseur… Mais dans tous les cas, chaque personne est unique. Pour s’accepter, il ne faut pas nécessairement avoir quelque chose d’aussi visible que le vitiligo. Aimez tout ce que vous avez ! La beauté est un mélange de qualités qui vous rendent unique, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. » »

Comprendre le monde, c’est aussi comprendre les autres dans leurs beautés, leurs créativités mais aussi leurs combats et leurs difficultés.

Comprendre, c’est permettre de changer notre regard.

Je trouvais pertinent de partager ces réflexions.

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Lundi 19 juin 2017

« Le baccalauréat »
Premier diplôme universitaire en France

Quand on regarde le taux d’abstention ce dimanche au deuxième tour des élections législatives, force est de constater que ces élections ne constituaient pas une préoccupation essentielle des français.

Il est clair, que ces derniers jours, la principale préoccupation des familles françaises ayant des enfants entre 15 et 18 ans, est le Baccalauréat dont les épreuves écrites sont en cours.

Il n’y a pas encore eu de mot du jour sur le baccalauréat, je vais donc tenter de combler cette lacune.

Quand on fait une recherche sur internet on tombe assez vite sur ce document : http://media.education.gouv.fr/file/200_ans_du_bac/42/3/200_ans_du_bac_28423.pdf qui date de 2008 et qui prétend que le baccalauréat avait 200 ans cette année-là.

Parce que cet opuscule prend comme date d’origine le décret du 17 mars 1808 qui organise l’Université impériale. Donc c’est encore une création de l’ère napoléonienne, comme le code civil, la légion d’honneur et tout ce qui compte dans notre bonne vieille France. Ce document nous apprend aussi qu’il y a eu 31 lauréats lors de la première session.

Mais si vous consultez Wikipédia vous avez une autre version qui nous emmène plus loin dans l’Histoire  : les premiers baccalauréats datent en France du XIIIe siècle avec l’apparition de l’Université de Paris. Il s’agit dès cette époque, et c’est encore le cas aujourd’hui, du premier grade universitaire.

Mais d’où vient ce mot : « Baccalauréat » ? Quel est l’étymologie ?

C’est bien sûr du latin. La concaténation des deux mots « bacca » et « laureatus » c’est-à-dire « baie de laurier » ou « orné de laurier ». Comme Jules César dans Astérix qui couvre sa tête d’une couronne de lauriers.

Il faut reconnaître que Goscinny respecte l’Histoire, lors du <triomphe romain> le général vainqueur et plus tard l’empereur portent bien une couronne de lauriers.

Le baccalauréat constitue donc un triomphe.

Mais on lit aussi que « baccalauréat » pourrait venir de l’altération du bas-latin bachalariatus, désignant un chevalier débutant. Ce n’est plus le triomphe qui est au centre mais une sorte de cérémonie initiatique pour les jeunes pour entrer dans la vie adulte.

Vous trouverez ces éléments comme d’autres dans un extrait du Dictionnaire de l’Académie française, huitième édition, 1932-1935 publié sur Internet

Parmi ces autres précisions vous trouvez par exemple cette réflexion : « En France on prend le baccalauréat pour en finir avec ses études, on fait sa première communion pour en finir avec la religion, on se marie pour en finir avec l’amour. » — (Ernest Bersot, Études et discours (1868-1878), (1879) p. 138)

Le document précité et qui parle des 200 ans du baccalauréat donne les précisions suivantes : Durant l’essentiel du XIXème siècle et au début du XXème siècle, le baccalauréat connaît de multiples réformes, mais son développement reste limité et réservé à une élite restreinte, admise dans un enseignement secondaire payant. Il faudra attendre 1861 pour qu’il y ait enfin une bachelière. Elle s’appelait : Julie-Victoire Daubié et c’est l’Académie de Lyon qui lui a accordé ce diplôme. Les filles ne recevront un enseignement secondaire identique à celui des garçons que dans les années 1920, un peu avant que l’ouverture sociale ne soit rendue possible par la gratuité des études secondaires (années 1930).

Quand les chiffres parlent du baccalauréat, il est souvent question du taux de réussite toujours très élevé. Mais ce qui me parait pertinent de mesurer c’est la proportion de bacheliers sur une génération.

Elle était de 3% en 1945 et était monté à 25 % en 1975 (Annie a eu son bac cette année-là et moi l’année suivante en 1976.)

C’était en 1985, le ministre de l’éducation était Jean-Pierre Chevènement que l’objectif de 80 % d’une génération au niveau du baccalauréat était promis pour l’année 2000. Pour ce faire, on crée le bac professionnel en 1987 qui fait bondir le nombre de bacheliers d’une génération. La « massification du lycée » dure dix ans. Mais à partir de 1995, le nombre de candidats au bac cesse d’augmenter, et la proportion de bacheliers dans une génération stagne autour de 62 %. Puis un pallier est franchi en 2009, celui des « 65 % » (65,5 % en 2009, 65,3 % en 2010) et en 2011 un bond de 6 points porte cette proportion à 71,6 %.

Je tire toutes ces informations de <cet article> du Monde.

Et ce site de <L’Education nationale> nous apprend que la part des bacheliers dans une génération est montée à 77,7 % en 2015 et de 78,6 % en 2016.

16 ans après l’an 2000, l’objectif de 80 % d’une génération n’est toujours pas atteint.

Mais à mon sens, le baccalauréat pose bien d’autres questions que nous avons connues en tant que lycéen et plus tard de parents.

Qu’est-ce que ce remue-ménage qui mobilise les salles de classes comme les professeurs des lycées pendant toute la seconde quinzaine de juin, fermant en réalité les établissement pour les classes non concernées par cet examen et amputant l’année scolaire déjà particulièrement court et dense en France ?

Qu’est-ce que c’est que ce leurre d’une première sélection universitaire en juin, alors que la véritable sélection se passe en début année et sur les résultats du premier trimestre et de l’année de première pour l’entrée dans les classes préparatoires des grandes écoles qui sont aujourd’hui encore la filière de l’excellence essentiellement pour les enfants des classes privilégiées ?

Enfin, cette promesse de 80% d’une génération au niveau du bac était aussi une promesse d’amélioration des métiers et des salaires de toute cette partie de la génération qui faisait l’effort de continuer les études. Et c’est le contraire qui s’est réalisé : la multiplication des boulots « débiles » (j’essaie ce mot pour éviter celui de boulots de merde) et une diminution assez générale des salaires perçus par les jeunes. Ce problème n’est pas que français, mais il montre aussi en France, quand on le place en regard de cet objectif de 80%, de l’échec des politiques à créer les conditions de l’amélioration de la société dans son ensemble.

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