Jeudi 19 mars 2020

« Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être »
Sophie Mainguy-Besmain

Les réseaux sociaux sont comme les couteaux ou la langue, ils peuvent être l’instrument du pire, de la haine, de la bêtise, du crime.

Ils peuvent être aussi, le lieu du partage de l’intelligence, de la réflexion, de la profondeur.

Comme pour le coronavirus, nous devons nous efforcer de transmettre tout ce qui aide la vie, la construction, l’intelligence, l’entraide et stopper la transmission de la bêtise et de toute la horde de ce qui détruit, divise et abaisse.

C’est au départ mon ami Yves qui m’a renvoyé vers une page facebook qui elle-même m’a renvoyé vers la page de Sophie Mainguy-Besmain qui est médecin à Toulon.

Elle a réagi à cet appel du Président Macron : « Nous sommes en guerre »

Et elle a répondu par la négative :

« NOUS NE SOMMES PAS EN GUERRE et n’avons pas à l’être…
Il est intéressant de constater combien nous ne savons envisager chaque événement qu’à travers un prisme de défense et de domination.
Les mesures décrétées hier soir par notre gouvernement sont, depuis ma sensibilité de médecin, tout à fait adaptées. En revanche, l’effet d’annonce qui l’a accompagné l’est beaucoup moins.
Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être.
Il n’y a pas besoin d’une idée systématique de lutte pour être performant.
L’ambition ferme d’un service à la vie suffit.
Il n’y a pas d’ennemi.
Il y a un autre organisme vivant en plein flux migratoire et nous devons nous arrêter afin que nos courants respectifs ne s’entrechoquent pas trop.
Nous sommes au passage piéton et le feu est rouge pour nous.
Bien sûr il y aura, à l’échelle de nos milliards d’humains, des traversées en dehors des clous et des accidents qui seront douloureux.
Ils le sont toujours.

Il faut s’y préparer.
Mais il n’y a pas de guerre.
Les formes de vie qui ne servent pas nos intérêts (et qui peut le dire ?) ne sont pas nos ennemis.
Il s’agit d’une énième occasion de réaliser que l’humain n’est pas la seule force de cette planète et qu’il doit – ô combien- parfois faire de la place aux autres.
Il n’y a aucun intérêt à le vivre sur un mode conflictuel ou concurrentiel.
Notre corps et notre immunité aiment la vérité et la PAIX.

Nous ne sommes pas en guerre et nous n’avons pas à l’être pour être efficaces.
Nous ne sommes pas mobilisés par les armes mais par l’Intelligence du vivant qui nous contraint à la pause.
Exceptionnellement nous sommes obligés de nous pousser de côté, de laisser la place.
Ce n’est pas une guerre, c’est une éducation, celle de l’humilité, de l’interrelation et de la solidarité.

Sophie Mainguy»

Cette épidémie constitue une leçon qui doit nous permettre de comprendre qu’il faut mettre des limites à notre individualisme forcené.

Non pas renoncer à la part de liberté qu’il représente, mais d’égoïsme qu’il génère.

L’entraide est plus que jamais la force dont le monde a besoin.

Et quand on parle de virus et de bactéries, on ne peut s’empêcher de penser au « microbiote intestinal humain » où des milliards d’êtres vivants et de virus collaborent, sans organisation pyramidale, pour nous aider à vivre et à digérer.

C’est vrai que dans cette connaissance du vivant, il semble hors de propos de parler de guerre, mais d’en appeler au vivant, à la coopération des ressources de vie et à l’éloignement des forces de destruction.

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Mercredi 18 mars 2020

« Factuel »
Le fact-checking par l’AFP

Dans un premier élan, j’avais voulu écrire un mot d’humour du type : « L’humour au temps du coranovirus ».

Mais la multiplication de fake news ou d’opinions erronées, me pousse plutôt à renvoyer vers le remarquable site de l’AFP qui décrypte, analyse et démonte l’ensemble de ces « infox »

Ce site s’appelle « Factuel ». Son adresse est : « https://factuel.afp.com/ »

Vous apprendrez ainsi que contrairement à ce qui a été largement diffusé sur les réseaux sociaux, le joueur de football Christiano Ronaldo n’a pas décidé de transformer ses hôtels, au Portugal, en hôpitaux pour accueillir les personnes touchées par le nouveau coronavirus. Contactée par l’AFP, la chaine d’hôtels a démenti cette information.

Bien entendu, la propagation du nouveau coronavirus suscite de nombreuses publications qui préconisent des remèdes miracles dénués de tout fondement.

Pour certains, on se demande comment des gens peuvent y croire, la crédulité de certains est sans limite.

Vous trouverez donc sur cette <page> une liste de solutions publiées ainsi que les longs démentis argumentés des journalistes de l’AFP.

Par exemple :

  • Non, boire de l’eau ne fait pas partie des mesures de prévention contre le coronavirus
  • Non, la cocaïne ne soigne pas le coronavirus
  • Non, les personnes noires ne sont pas plus résistantes au coronavirus
  • Non, la viande de bœuf n’est pas le “meilleur vaccin” contre le coronavirus
  • Les autorités sanitaires ne recommandent pas de se raser la barbe pour se protéger du coronavirus
  • Non, le gel désinfectant pour les mains ne favorise pas le cancer
  • Non, boire de l’eau toutes les 15 minutes ne protège pas du coronavirus

Etc..

Le site précise aussi le nombre de fois qu’une de ces informations a été diffusée. Il ne s’intéresse donc pas à des informations baroques confidentielles mais bien à des infox largement transmises.

Vous pouvez aussi contacter le site, par rapport à une information largement diffusée, en envoyant un message à cette adresse : factuel@afp.com

Il est aussi possible de le contacter par facebook ou twitter

Il s’agit donc ce site :


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Mardi 17 mars 2020

« L’anachronisme d’une semaine sur l’autre »
Frédéric Says

Anachronisme vient du grec, ana : en arrière et khronos : le temps.

De manière très matérielle, on parle d’anachronisme dans une œuvre artistique, littéraire, dans un film lorsqu’on y trouve une erreur de chronologie qui consiste à y placer un concept ou un objet qui n’existait pas encore à l’époque illustrée par l’œuvre. Il est courant de trouver sur internet des sites comme <celui-ci> qui dévoile des anachronismes dans des films célèbres.

Mais ce sens est assez futil et superficiel.

L’anachronisme en Histoire présente un intérêt intellectuel d’une autre profondeur.

Pendant mes études d’Histoire, je me souviens de cet avertissement d’une professeure :

« Un historien doit toujours se prémunir devant l’anachronisme »

L’anachronisme en Histoire, c’est juger, apprécier une situation historique ancienne avec les valeurs, les connaissances, les mœurs d’aujourd’hui.

L’anachronisme doit bien sûr se comprendre par rapport à des évènements qui se sont passés il y a des siècles et qu’on ne comprend pas parce qu’on n’en apprécie pas le contexte de cette époque.

L’épidémie actuelle distord tellement notre rapport au temps que l’anachronisme se dévoile en l’espace de quelques semaines.

C’est ce que dévoile Frédéric Says dans sa chronique du 16 mars.

Il rappelle que des hommes politiques qui ont demandé, dimanche, le report du second tour des municipales comme une chose évidente et qui posaient la question de l’inconscience du président d’avoir organisé le premier tour dans ces conditions, avaient eux-mêmes, une semaine avant, affirmé que cette élection devait absolument se tenir, sinon nous n’étions plus dans un état de droit.

Une semaine avait suffi pour qu’ils oublient les conditions dans lesquelles leurs propos ont été tenus et la décision a été prise.

Il cite un autre exemple, celui de Carla Bruni Sarkozy.

« On se fait la bise, c’est dingue ! » avait-elle lancé au président-directeur général de LVMH avant de lâcher : « On est de l’ancienne génération, on a peur de rien nous. […] on craint pas le coronavirus » .

Elle a été filmée. Depuis elle a été attaquée sur ce point, elle s’est excusée.

Cet épisode avait eu lieu le 28 février, soit il y a 17 jours.

Frédéric Says pose alors de question de savoir où nous en étions, nous même, le 28 février au niveau de la bise, des contacts et de la conscience du danger de ce virus qui attaque le monde d’homo sapiens ?

Les propos qu’on attribue au Christ : « Que celui qui n’a jamais péché, jette la première pierre» semblent appropriés.

Moi-même, j’écrivais le 11 mars : « La plus grande menace qui nous guette, c’est une coronapanique » :

« Certes, c’est une épidémie, certes on n’a pas de vaccin, certes on n’a pas vraiment de médicament pour guérir cette maladie du Covid19 qui a débuté en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine.

Maladie qui est provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2.

Mais quand même !

Je ne suis pas certain que nous sommes en face d’un grave danger de santé publique »

C’était, il y a 6 jours. Nous sommes dans un anachronisme accéléré.

Tout cela doit nous conduire à une grande humilité.

Frédéric Says dit :

« Le confinement doit aussi concerner les égos et les rodomontades »

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Lundi 16 mars 2020

« Le risque n’est pas individuel mais populationnel. »
Philippe Devos

Nous avons vécu un week-end étonnant.

Samedi soir Edouard Philippe a annoncé la fermeture de tous les commerces « non indispensables ».

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, interrogé sur France 2, a dit hier à 19h30 : «La situation se détériore pour nos compatriotes.».

Christian Jacob, le président de LR a été testé positif au coronavirus, la nouvelle a été connue ce dimanche. Or, ce responsable politique, parmi d’autres, a insisté pour que le premier tour des municipales ait lieu. Il qualifiait de <coup d’état> la possibilité de reporter le scrutin.

Sur son fil twitter, il a publié plusieurs photos le 13 mars, soit 2 jours avant le scrutin, dans lesquelles il s’affichait fièrement à côté des candidats LR. Comme ici, assis à côté de Rachida Dati, dans un exercice de promiscuité sociale.

Les élections municipales ont donc eu lieu. Le second tour n’aura probablement pas lieu.

Bien sûr, j’ai essayé de comprendre et de trouver des informations.

J’ai d’abord trouvé cette note américaine traduite en français et vers laquelle renvoie un article de Mediapart.

Il s’agit d’un article du 13 mars de Tomas Pueyo, un ancien de l’École centrale et de l’université de Stanford, établi en Californie. C’est un texte disposant de nombreux calculs et graphiques alarmants qui a beaucoup circulé parmi les scientifiques et dans la communauté du numérique.

Cette note qui semble très argumentée, conclut qu’il faut immédiatement appliquer « la distanciation sociale ».

Mais du point de vue pédagogique je n’ai rien trouvé de plus remarquable que cette émission de « Arrêt sur Images » qui m’a été indiquée par mon ami Anny.

Arrêt sur Images est un site payant, mais a décidé que compte tenu de la gravité de la situation, l’émission de vendredi soir consacrée au coronavirus, avec les médecins Francois Salachas, du collectif inter-hôpitaux, et Philippe Devos, intensiviste en Belgique pouvait être visionnée gratuitement.

Je vous engage à la regarder : « Coronavirus : On doit se préparer à l’ouragan ! »

Ces deux médecins sont très intéressants

Je voudrais surtout relever cette intervention de Philippe Devos. Elle répond à une question du producteur de l’émission, Daniel Schneidermann, qui après avoir montré diverses interventions de médecins, en janvier, qui minimisait la dangerosité de COVID-19 lui demandait pourquoi se sont-ils trompés ?

« En fait ce que ces gens n’ont pas compris, c’est que le risque n’est pas individuel, mais populationnel.

Si on regarde une personne 40 ans, le risque de décéder de ce virus est de 0,1%, c’est très faible.

La problématique de ce virus c’est qu’il va toucher énormément de gens et qu’il va être très agressif pour des personnes très âgées qu’il faudra prendre en réanimation et que ce phénomène va saturer nos structures de réanimation et qu’il va générer des morts indirects parce qu’on ne pourra plus soigner d’autres personnes.

Le risque, il est au niveau de la population, le virus va mettre les hôpitaux à terre, le risque individuel est faible, mais il est au niveau de la population. Et beaucoup de médecins se concentrent sur l’individu, parce qu’ils ne soignent que des individus.

Il faut avoir une réflexion au niveau épistémologique et en terme de risque de groupe pour comprendre ce qui se passe. »

Et, en effet je n’ai jamais compris de manière plus claire ce qui était en train de se passer.

Le VIH s’attaque à notre système immunitaire.

Le coronavirus s’attaque à notre système de soins en le saturant. Dès lors, le système de soins n’est plus en mesure de faire face au besoin de soins et les gens vont mourir de ce que François Salachas appelle « une mort illégitime », dans la mesure où si le patient avait pu être pris en charge de manière correcte il ne serait pas mort.

Et cela se passe de manière massive.

Vous trouverez sur cette page la démonstration que la France est en train de suivre, avec un décalage de 9 jours, la courbe d’infection et de décès de l’Italie.

Je ne reproduis pas cette courbe ici, mais je précise qu’elle est exponentielle. Ce dimanche, l’Italie a de nouveau battu son record de morts par jour, on annonçait 368 décès pour un total de plus de 1800. En France, nous en étions à un total de 127. Il y a 9 jours, le 6 mars,  l’Italie en était à 197 morts.

Ce qui explique que des journalistes français et francophones établis en Italie lancent un cri d’alarme à la lumière de ce qu’ils ont observé ces derniers jours de la progression fulgurante de la maladie :

« Journalistes en Italie pour des médias français et francophones, nous couvrons depuis le début la crise épidémique du coronavirus dans la Péninsule. Nous avons pu constater la progression fulgurante de la maladie et avons recueilli les témoignages du personnel de santé italien. Beaucoup nous font part de la situation tragique dans les hôpitaux, les services de thérapie intensive saturés, le triage des patients, ceux – les plus faibles – que l’on sacrifie faute de respirateurs artificiels suffisants.

Par conséquent, nous considérons qu’il est de notre responsabilité d’adresser un message aux autorités publiques françaises et européennes pour qu’elles prennent enfin la mesure du danger. Tous, nous observons en effet un décalage spectaculaire entre la situation à laquelle nous assistons quotidiennement dans la péninsule et le manque de préparation de l’opinion publique française à un scénario, admis par l’énorme majorité des experts scientifiques, de propagation importante, si ce n’est massive, du coronavirus. Hors d’Italie aussi, il n’y a plus de temps à perdre.

Nous estimons qu’il est de notre devoir de sensibiliser la population française. Souvent, les retours qui nous arrivent de France montrent qu’une grande partie de nos compatriotes n’a pas changé ses habitudes. Ils pensent qu’ils ne sont pas menacés, surtout lorsqu’ils sont jeunes. Or, l’Italie commence à avoir des cas critiques relevant de la réanimation dans la tranche d’âge 40-45 ans. Le cas le plus éclatant est celui de Mattia, 38 ans, sportif et pourtant à peine sorti de 18 jours de thérapie intensive. Il est le premier cas de Codogno, fin février, au coeur de la zone rouge dans le sud de la Lombardie.

Par ailleurs, certains Français n’ont pas conscience qu’en cas de pathologie grave, autre que le coronavirus, ils ne seront pas pris en charge correctement faute de places, comme c’est le cas en Italie depuis plusieurs jours. Soulignons aussi que le système sanitaire impacté aujourd’hui est celui du Nord, soit le meilleur d’Italie, un des meilleurs en Europe.

La France doit tirer les leçons de l’expérience italienne. »

Très loin, du fantasme des transhumanistes qui ne parlent que de techniques sophistiquées, d’intelligence artificielle et de big data pour soigner, nous sommes revenus à des principes simples pour éviter la catastrophe : se laver les mains et pratiquer « la distanciation sociale »

L’auteur de « Demain » Cyril Dion se désole que les français aient autant de mal d’apprivoiser ce comportement de bon sens.

Ce coronavirus nous apprend que l’individualisme doit être dépassé et que nous ne pouvons être heureux et vivre bien que si nous tenons compte de l’autre.

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Vendredi 13 mars 2020

« Le Vivant, fils de l’Éveillé »
Roman philosophique d’Ibn Tufayl

Nous avançons donc avec certitude vers un désastre économique mondial ou si tous les prochains évènements sont favorables, au moins une très grave crise.

Concernons le COVID-19, les autorités agissent avec beaucoup d’ampleur et de vigueur.

J’aime que le président Macron, contrairement à Trump, mette en avant la science et les scientifiques pour approcher de plus près le savoir actuel de l’humanité sur cette épidémie.

Pour le reste, je ne m’engagerai pas davantage dans l’expression d’un avis sur la gravité de la situation sanitaire sur laquelle je n’ai pas compétence pour me prononcer.

Je considère comme très pédagogique la mésaventure qui est arrivée à un brillant basketteur français Rudy Gobert qui joue dans le championnat américain.

Lors d’une conférence de presse, il s’est moqué du COVID-19 et par provocation il a touché tous les micros de la salle. Mais il a appris un peu plus tard qu’il était infecté du coronavirus. Et même le championnat américain (NBA) a été suspendu en raison de sa contamination.

Gobert a écrit sur les réseaux sociaux après cette expérience :

« Je veux m’excuser publiquement auprès de tous ceux que j’ai pu mettre en danger, a également écrit Gobert. À l’époque, je ne savais pas que j’étais infecté. J’ai été négligent et je n’ai pas d’excuse. J’espère que mon histoire servira d’avertissement et incitera tout le monde à prendre cela au sérieux. Je ferai tout ce que je peux pour utiliser mon expérience comme moyen d’éduquer les autres et de prévenir la propagation de ce virus. »

La solution passe donc par le civisme qui nous conduit à adopter et à appliquer toutes les mesures barrières pour nous protéger, mais aussi pour protéger les autres, si nous étions infectés sans le savoir.

Certains pourraient peut-être connaître la tentation de se retrouver dans la situation de Robin Crusoé, tout seul sur une île, loin de tout humain susceptible de les contaminer.

Lors de mon mot du jour sur l’«islamophobie » j’ai déjà évoqué la remarquable émission, du dimanche matin sur France Culture, animé par Ghaleb Bencheikh : « Questions d’Islam ».

C’est Annie qui m’a fait découvrir cette émission qui parle d’idées, de philosophie, d’Histoire, de controverses, de débats et qui est de très loin l’émission religieuse, de toutes celles produites sur France Culture, la plus riche et la plus intéressante pour celles et ceux qui ont le goût d’apprendre et de s’ouvrir l’esprit.

Et c’est grâce à cette émission que j’ai appris l’existence du philosophe andalou Ibn Tufayl (1105-1185)

Rappelons que « Robinson Crusoé » est un roman écrit par l’auteur anglais Daniel Defoe et publié en 1719.

Cette émission m’a donc appris que près de 600 ans avant, cet auteur musulman a écrit l’histoire d’un homme sur une île déserte.

Il s’agit en fait d’un roman philosophique que l’on traduit en latin par « Philosophus autodidactus », et en français par « Le Vivant, fils de l’Éveillé ». L’original en arabe est « Hayy ibn Yaqdhan » ou « Ḥayy ibn Yaqẓān ».

C’est donc l’histoire d’un homme sur une île déserte. Il s’ouvre par la supposition d’un enfant né sans père ni mère. Il est adopté par une gazelle, qui l’allaite. Il grandit, observe, réfléchit. Doué d’une intelligence supérieure, non seulement il sait ingénieusement pourvoir à tous ses besoins, mais il arrive bientôt à découvrir de lui-même, par les seules forces de son raisonnement, les notions les plus élevées que la science humaine possède sur l’univers.

Lors de l’émission du 1er mars 2020, Ghaleb Bencheikh avait invité le philosophe Jean-Baptiste Brenet qui est professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il enseigne la philosophie arabe. Jean-Baptiste Brenet vient de publier une adaptation de ce conte : « Robinson de Guadix, une adaptation de l’épître d’Ibn Tufayl, Vivant fils d’Éveillé » aux éditions Verdier (février 2020).

Kamel Daoud en a écrit la préface

Sur le site de France Culture, on lit :

« Écrit en arabe au XIIe siècle par le penseur andalou Ibn Tufayl, Vivant fils d’Éveillé est un chef-d’œuvre de la philosophie. L’épître dévoile sous la forme d’un conte les secrets de la « sagesse orientale ». Traduite en latin en 1671, elle connaîtra un immense succès dans l’Europe des lettres. Jean-Baptiste Brenet en propose ici une adaptation qui recompose le récit et donne la parole au personnage principal. Voici l’histoire d’un homme sur une île déserte, élevé sans père ni mère, qui découvre par sa raison seule la vérité de l’univers entier, puis qui rencontre un autre homme, religieux, mais sagace, venu d’une terre voisine. « Sorte de Robinson psychologique », écrivait Ernest Renan à propos du livre. Son premier auteur, Ibn Tufayl, est né à Guadix. »

Après cette émission j’ai trouvé un article de « L’Obs » du 29/02/2020 qui a eu la pertinente idée de faire dialoguer l’auteur avec le rédacteur de sa préface : Kamel Daoud.

L’article comme l’émission précisent que ce roman a été le texte arabe le plus lu dans le monde occidental après « le Coran » et « les Mille et Une Nuits », avant d’être totalement occulté, restant sous la forme de trace mémorielle pour le seul monde arabe et quelques doctes arabisants.

Kamel Daoud explique que

« Ce livre est un manifeste de liberté. Il se clôt sur un échec de « pédagogie », la radicalité de sa conclusion, mais c’est pour mieux l’exorciser. Sinon, conséquent avec son pessimisme, Ibn Tufayl n’aurait pas écrit l’histoire de Hayy. Il aurait choisi le silence et la vérité muette de l’insulaire, au lieu de revenir vers la cité avec un livre sous le bras proposé aux siècles à venir. On comprend mieux pourquoi il fut si célèbre à son époque, si connu et traduit durant le lent éveil du Moyen Age et pourquoi aujourd’hui il mérite de revenir et d’obséder. Car on ne peut plus parier sur l’invisible comme voie de salut, mais plutôt sur la liberté de le vouloir et d’aller au-delà des murs des royaumes, il reste que cette aventure est le mythe ultime de notre condition. S’y glisse une méfiance envers l’apparent, une distance prudente avec le Dogme et une empathie discrète envers ceux qui ne peuvent pas saisir l’envers cosmique de la Lettre, mais aussi la défense d’une liberté de croire et de découvrir qui restent incessibles. »

Dans cet article Jean-Baptiste Brenet précise : .-

« Sans qu’on l’ait prouvé, il est assez évident que Defoe a eu connaissance du texte d’Ibn Tufayl. Au XVIIIe siècle, d’ailleurs, plusieurs auteurs anonymes feront eux-mêmes la connexion entre le « Robinson » de Defoe et la fable du « Philosophe autodidacte. […]

Il croise à peu près tous les thèmes caractéristiques de la philosophie de l’Andalousie au XIIe siècle fondée sur Aristote, dont la modernité héritera. Cela va du développement de l’intellect, de l’ordre du savoir, de l’accès à la vérité et au « salut », jusqu’au rapport entre spéculation et « mystique », à l’accord entre philosophie et religion, ou bien à la nature politique de l’homme et au rôle social du philosophe.

Le prologue notamment est très instructif pour nous, puisqu’il dresse un bilan de la philosophie connue : on y voit passer Avicenne, Al-Farabi, Ibn Bajja, Aristote bien sûr ; mais aussi les soufis et le théologien Al-Ghazali, qu’Ibn Tufayl utilise de façon paradoxale dans un cadre philosophique. »

Et j’aime la réponse de Kamel Daoud à cette question : Ce texte, qu’a-t-il à dire au « musulman » du XXIe siècle ?

« On a ici un philosophe qui, dans un royaume, a osé réfléchir à haute voix – parce qu’écrire, c’est parler à haute voix mieux encore qu’avec sa propre voix – la question de la liberté, du salut, du bonheur, du sens, de la possibilité de sauver à la fois l’intuition et la Loi, la vision et la soumission. Ces questions se posent encore à nous aujourd’hui, et parfois de manière très violente :
Faut-il s’engager ou pas ?
Dois-je me rétracter sur mes propres convictions ou accepter l’usage du religieux au nom d’un ordre avec lequel je n’adhère plus ?
Doit-on être solidaire ou solitaire, à la fois ?
Qui est propriétaire de la religion ?
Qui a le droit d’en parler ?…

Que je sois d’accord ou pas avec lui, ce livre plaide pour la liberté de réfléchir des choses aussi fondamentales, il prêche l’individu, la singularité, le vivant et la vigilance, la possibilité de la raison. Il est nécessaire d’y revenir et de diffuser encore plus massivement des textes comme celui-ci pour prouver que penser librement la question religieuse ne date pas de maintenant mais a toujours existé, et que cela ne s’est pas toujours conclu avec des tragédies, des massacres ou des pendaisons. Et c’est d’autant plus urgent qu’il y a aujourd’hui des textes qui ont des royaumes, des principautés, des émirats derrière le dos, et qui nous font mal. Au fond, ce n’est pas nous qui revisitons ce texte, c’est lui qui vient nous revisiter, parce que c’est important. »

Je vous renvoie vers l’émission de Ghaleb Bencheikh «Questions d’islam : Le philosophe autodidacte »

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Jeudi 12 mars 2020

« Se laver les mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer germes, microbes et virus… »
Découverte d’Ignace Philippe Semmelweis

L’épidémie du Covid-19 a remis à l’honneur la discipline élémentaire et essentielle pour l’hygiène de se laver les mains.

Et ce rappel conduit au souvenir du médecin hongrois de Vienne : Ignace Philippe Semmelweis.

Plusieurs articles récents ont fait référence à cet homme essentiel qui fut rejeté par ses pairs et qui découvrit trop tôt ce que les gens de l’époque ne voulait entendre.

L’exergue du mot du jour est le titre d’un article du Monde publié le 13 février et écrit par Loïc Monjour, ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Dans cet article il écrit :

« Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1818, est peu connu. Pourtant, depuis deux siècles, la plupart des femmes à travers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.

Ses étudiants en médecine pratiquaient des autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologique, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.

Par cette seule mesure, le pourcentage de décès causés par la fièvre puerpérale s’effondra de 12 % à 3 %. Il allait révéler à ses confrères le danger que représentent ces infections que l’on appelle aujourd’hui « manuportées » et « nosocomiales » et l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique pour y parer. Mais, sans appui officiel, n’ayant pas su convaincre, peu à peu, il sombra dans la démence et mourut à 47 ans. »

Guillaume Erner dans sa chronique du 9 mars a également rendu hommage à ce précurseur :

« C’est ça l’intérêt du Covid : maintenant je peux vous demander sans passer pour un type un peu étrange si vous vous êtes lavé les mains… Lave toi les mains, ne dis pas bonjour à la dame, jette moi ce mouchoir, nous sommes tous devenus des parents, je veux dire des parents avec des gens qui ne sont manifestement pas nos enfants. Les délires les plus hygiénistes ont désormais complètement droit de cité. […]

Le Covid accompagne le retour en force d’Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien hongrois du XIX e siècle, lequel a beaucoup fait pour l’espèce humaine, en obligeant ses semblables à se laver les mains. C’est que l’on doit à Semmelweis : l’éradication de la fièvre puerpérale. Ce médecin avait découvert qu’il fallait se laver les mains après avoir procédé à une dissection de cadavre et avant de se livrer à un accouchement. Mais, hélas, le destin de Semmelweis fut d’être un Galilée du savon, je veux dire qu’il fut persécuté pour ce conseil étrange, il mourut à l’asile pour avoir suggéré à ses contemporains de se laver les mains…

Et qui pris la plume quelques années plus tard pour défendre cet homme ?

Louis Ferdinand Céline, romancier mais aussi médecin, Céline consacra sa thèse de médecine, en 1924, à la vie et à l’œuvre de Semmelweis, ce qui évidemment n’arrange pas la mémoire de Semmelweis, je m’en voudrais de franchir le point Céline avant 7 h du matin.

L’épidémie de coronavirus marque une nouvelle victoire posthume de Semmelweis : l’idée que le salut de l’espèce passe désormais non seulement par le savoir, mais aussi et surtout par le savon. »

Le Figaro a publié le 9 mars 2020 : <Ignace Philippe Semmelweis, martyr du lavage des mains>

Et, Slate a publié un article le 10 mars 2020 : <Semmelweis, le médecin hongrois qui apprit au monde à se laver les mains> qui rappelle un peu plus précisément le destin de ce médecin :

« Vienne, été 1865. Dans l’asile psychiatrique du quartier de Döbling, au nord de la capitale autrichienne, un savant hongrois rongé par la démence vit sans le savoir ses deux dernières semaines. Interné par ses amis et ses parents, Ignace Semmelweis n’est plus que rage et rancœur contre un monde abhorrant son avant-gardisme. Le personnel de l’institution répond par les coups à la violence de l’homme dont la santé mentale s’est considérablement détériorée en quelques années. Le 13 août, Semmelweis succombe à ses blessures, laissant un héritage médical seulement reconnu post-mortem. »

Et il raconte son histoire :

« Deux décennies plus tôt, le praticien budapestois réalisa la découverte qui le rendit aussi fou que célèbre. En 1847, une femme sur cinq meurt en couches de la fièvre puerpérale dans le service de l’hôpital viennois où l’obstétricien officie. La même année, un ami professeur d’anatomie décède d’une infection similaire à celle des mères après s’être coupé le doigt avec un scalpel.

Semmelweis prescrit un lavage des mains via une solution d’hypochlorite de calcium entre le travail à la morgue et l’examen des patientes. La mortalité dévisse, Ignace a vu juste, mais le corps médical niera longtemps l’évidence.

[…] Semmelweis redoutait les cercles savants de Vienne et attendra le crépuscule de son existence avant d’assumer sa trouvaille. La majorité des scientifiques de l’époque, acquis à la médecine antique, pensaient que toute maladie résulte d’un déséquilibre des quatre éléments fondamentaux (air, feu, eau, terre) imprégnant le corps humain.

Qu’à cela ne tienne, le médecin hongrois étendit ses mesures d’hygiène aux instruments sollicités pour l’accouchement et éradiqua quasiment la fièvre puerpérale. Craignant l’influence croissante du Hongrois, le professeur Johann Klein le chassa de son service en 1849.

Semmelweis demande à obtenir un poste de professeur non rémunéré en obstétrique mais n’obtiendra gain de cause qu’au bout de dix-huit mois, sans accès aux cadavres et avec l’obligation d’utiliser des mannequins. Humilié, le praticien regagne sa Budapest natale et prend la direction de la maternité de l’hôpital Szent-Rókus de Budapest.

La recette Semmelweis fait de nouveau des miracles. Entre 1851 et 1855, seules huit patientes meurent de la fièvre puerpérale sur les 933 naissances enregistrées durant la période. Le praticien devient professeur et instaure le lavage des mains dans la clinique de l’université de Pest.

Semmelweis se marie, décline une offre à Zurich, rédige une série d’articles défendant sa méthode controversée et tacle le scepticisme de ses pairs dans un ouvrage de 1861 compilant ses découvertes. Fâché par plusieurs critiques défavorables de son livre, Semmelweis attaque ses détracteurs comme Späth, Scanzoni ou Siebold en les traitant de «meutriers irresponsables» et de «sombres ignorants» via une série de lettres ouvertes amères et courroucées. Médecins et biologistes allemands, emmenés par le pathologiste Rudolf Virchow, rejettent énergiquement sa doctrine. Le début de sa descente aux enfers. […]

Sa volonté de convaincre l’ensemble de ses confrères du bien-fondé de ses théories vire à l’obsession. Semmelweis n’a plus que la fièvre puerpérale en tête. Des portraits réalisés entre 1857 et 1864 montrent un état de vieillissement avancé, la quarantaine à peine passée. Les syndrômes de la dépression nerveuse l’envahissent. Au milieu de l’année 1865, son attitude préoccupe ses collègues et ses proches. Il sombre dans l’alcoolisme, s’éloigne de plus en plus souvent de sa famille et cherche le réconfort en fréquentant des péripatéticiennes. Son comportement sexuel intrigue son épouse Mária.

Le célèbre chirurgien János Balassa, pionnier de la réanimation cardiaque et médecin traitant de Semmelweis, monte une commission recommandant son placement en établissement spécialisé. Le 30 juillet, son ancien professeur Ferdinand Ritter von Hebra, partageant dès 1847 les découvertes de Semmelweis dans une revue médicale viennoise de renom, l’attire vers l’asile où il mourra en prétendant lui faire visiter l’un de ses nouveaux instituts locaux. Comprenant le piège, Semmelweis tenta de fuir avant d’être frappé par des gardes, mis en camisole et enfermé dans une cellule sombre. »

En 2013, l’Unesco adouba le «sauveur des mères» dont l’université de médecine de Budapest porte le nom en inscrivant ses constatations sur la fièvre puerpérale au patrimoine mondial de l’humanité. Aujourd’hui, plus personne ne conteste la nécessité de se désinfecter les mains afin d’éviter la propagation des maladies. Surtout en pleine épidémie de coronavirus.

Il y a encore du travail en France. Le premier article cité donne les informations suivantes :

« Dans une étude internationale portant sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner, 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport en commun. Dans les toilettes publiques, 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire. »

En janvier 2017, un mot du jour avait déjà été consacré à « Ignace Philippe Semmelweis »

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Mercredi 11 mars 2020

« La plus grande menace qui nous guette, c’est une coronapanique »
Philippe Juvin chef de service des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou de Paris

Certes, c’est une épidémie, certes on n’a pas de vaccin, certes on n’a pas vraiment de médicament pour guérir cette maladie du Covid19 qui a débuté en décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine.

Maladie qui est provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2.

Mais quand même !

Je ne suis pas certain que nous sommes en face d’un grave danger de santé publique, mais je suis certain que nous sommes entré dans une très grave crise économique en raison des réactions très fortes des autorités pour essayer d’éviter que le virus ne pénètre sur le territoire nationale (c’est raté !), ne se propage (c’est raté aussi !) et aujourd’hui ne se propage trop vite.

Dans son émission <Mediapolis> Olivier Duhamel a passé une interview sur LCI dans laquelle : Philippe Juvin chef de service des urgences de l’hôpital Georges-Pompidou de Paris s’exprimait :

« La plus grande menace qui nous guette, c’est une coronapanique. Quand les bus ne circulent pas, les infirmières et les médecins ne peuvent peut pas venir travailler. Quand le centre 15 est submergé d’appels de gens qui ont peur qu’est ce qui se passe en pratique ? Eh bien, si vous faites un infarctus et que vous appelez les secours, vous allez devoir attendre au moins une heure avant d’avoir un médecin. Ou si vous avez un problème de crise d’asthme grave, vous n’allez pas pouvoir joindre les secours. Et là, vous êtes en vrai danger. Notre système est en train de basculer assez dangereusement vers une forme de désorganisation parce que vraiment, parfois, on en fait trop. Evidemment, on parle d’une maladie grave, mais le plus grand danger du coronavirus, c’est la désorganisation du système de soins. C’est devenu un vrai risque. »

Le magazine de l’Obs renvoie vers un article de <businessinsider> qui donne les taux de mortalité du coronavirus selon les tranches d’âge.

Ce site précise :

« Tout le monde n’est pas égal face au Covid-19. C’est ce que démontre une récente étude du Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies : le virus affecte plus gravement les personnes âgées ayant des problèmes de santé préexistants. En outre, des recherches avancent qu’environ 80 % des cas de coronavirus seraient bénins.

Pour réaliser cette étude, les données concernant plus de 44 000 patients confirmés en Chine ont été recueillies jusqu’au 11 février. Il s’agit de l’une des plus larges représentations des effets du Covid-19 sur l’homme. Ces données suggèrent que les risques de mourir de la maladie augmentent avec l’âge. L’étude ne fait état d’aucun décès chez les enfants de moins de 10 ans, qui représentent moins d’1 % des patients. Les patients âgés de 10 à 19 ans auraient autant de risques de mourir que les trentenaires.

Voici le taux de mortalité pour chaque tranche d’âge, selon l’étude :

Le risque de mortalité serait nettement plus élevé chez les patients âgés de plus de 70 ans, probablement car nombre d’entre eux ont des problèmes de santé préexistants. Les patients atteints de coronavirus et de maladies cardiaques, par exemple, auraient un taux de mortalité d’environ 10 %, selon l’étude, tandis que ceux atteints de diabète auraient un taux de mortalité d’environ 7 %. Environ trois quarts des patients chinois n’avaient pas de problèmes de santé préexistants. Le taux de mortalité pour ce groupe serait légèrement inférieur à 1 % »

Lorsque des journaux ont annoncé un quatrième mort en France du coronavirus, âgé de 92 ans, j’ai réagi sur un réseau social pour dénoncer ce que j’ai appelé une fake news ou au minimum une information très exagérée.

Dans ma vision du monde, l’information exacte est :

« Un homme de 92 ans est mort de vieillesse dans le Morbihan.
On apprend que lors des dernières heures de vie, il a été détecté positif au virus Covid19. »

C’est tout de suite moins anxiogène, mais plus proche de la réalité.

Le même site qui donne ce tableau et ces analyses, compare la mortalité du COVID-19 (3,4%) aux autres coronavirus par exemple EBOLA 40,4% sur moins de pays (9) et d’autres dont la mortalité est encore plus importante mais sur des populations infectées beaucoup moins nombreuses.

Il en est qui estime qu’il est bon de paniquer. Et c’est notamment le cas de Nassim Nicholas Taleb

Nassim Nicholas Taleb s’est fait connaître dans le monde entier avec son livre “Le Cygne noir paru en 2007. Juste avant le déclenchement de la crise des subprimes, il expliquait la fragilité des modèles utilisés dans la finance et leur aveuglement face aux événements extrêmes, imprévisibles, mais qui se produisent toujours plus souvent qu’on ne le croit. Son livre a été l’essai le plus vendu dans le monde avec 3 millions d’exemplaires. Il est en quelque sorte le spécialiste des catastrophes. J’avais consacré un mot du jour de 2014 à son autre ouvrage : « Antifragile » dans lequel il développait la thèse des objets ou des êtres antifragiles que l’adversité ou les chocs renforçaient. Cela peut d’ailleurs être le cas d’un virus qui peut dans un environnement qui lui est hostile muter et devenir plus virulent.

Taleb écrit dans <Le Point> les réactions de panique sont rationnelles, car elles empêchent le pire d’advenir. Il précise d’ailleurs que s’il faut paniquer, il vaut mieux le faire au début quand il est possible d’agir et non à la fin où il est possible que ce soit trop tard.

Guillaume Erner résume la pensée de Nassim Taleb de la manière suivante :

« Taleb, c’est le papa du Cygne noir, le cygne noir, je veux parler de l’oiseau. Je vous explique le principe : Taleb affirme que les sociétés modernes sont exposées à des évènements de probabilités faibles mais aux conséquences dévastatrices. L’exemple type, c’est le 11 septembre 2001 : un attentat de cette ampleur a peu de chances de se produire, mais s’il se produit c’est une catastrophe à tous les niveaux, humaine bien sûr, mais aussi géopolitique, économique, etc.

Et pourquoi baptiser un évènement à la probabilité faible mais aux conséquences infinies un cygne noir ? Eh bien tout simplement parce que pendant longtemps les ornithologistes ont cru que tous les cygnes étaient blancs, puis ils en ont croisé un noir, et cette découverte les a conduits à réviser leur vision de cette espèce animale.

Mais là en l’occurrence, le cygne noir, c’est un virus — le covid 19 — et pour Taleb, il est aujourd’hui absolument rationnel de paniquer. Le philosophe cite même en exemple Singapour, la cité état est susceptible de décider de fermer ses frontières en 14 minutes, et c’est admirable car, selon lui, seuls les paranoïaques, en pareil cas survivent.

D’où cette interrogation sur la rationalité de la panique. Si par rationalité, on entend bonne raison de paniquer, alors oui nous avons une bonne raison, donc ce virus nouveau, un virus mal connu, contre lequel on dispose de peu de traitements. Oui, mais dans le même temps, cette panique entraîne des conséquences dévastatrices, sur le plan économique notamment, au point de se demander, s’il n’y a pas sur réaction, et si la vraie catastrophe n’est pas causée par cette sur réaction. Autrement dit, quelle est la rationalité de l’irrationalité, est-il raisonnable de paniquer, ou la panique est-elle créée par notre comportement déraisonnable ?

Oui mais, dans le même temps, si nous ne paniquons pas et si la situation devient paniquante, on nous reprochera bientôt d’avoir été déraisonnable au point d’avoir voulu rester raisonnable… C’est cela qui est compliqué avec la déraison, c’est que l’homme a toujours de bonnes raisons d’être déraisonnable. »

Je préfère cet article de l’Obs : « pourquoi il ne faut pas s’affoler face à l’épidémie (sans la sous-estimer) » :

« Quand quelqu’un de 85 ans meurt du coronavirus, ce n’est pas le coronavirus qui le tue », mais plus souvent « les complications qui atteignent des organes qui n’étaient pas en bon état.

[…] pour le professeur français Jean-Christophe Lucet, le risque concerne avant tout les patients atteints des formes sévères de ces maladies. « Il faut être extrêmement clair » sur ce point, souligne-t-il à l’AFP.

« Le patient qui a un diabète, le patient qui a une hypertension artérielle, c’est des patients qui ne sont pas des patients à risques », rassure-t-il. « Les patients à risques, ce sont ceux qui ont des maladies cardiaques graves, des maladies respiratoires sévères, par exemple des bronchopneumathies chroniques obstructives (BPCO) avancées. »

Mais la dangerosité d’une maladie ne dépend pas seulement du taux de mortalité dans l’absolu, mais aussi de sa faculté à se répandre plus ou moins largement. « Même si seuls 3 % des cas décèdent, ça peut faire des chiffres importants si 30 % ou 60 % d’une population sont infectés », souligne le Dr Simon Cauchemez, de l’Institut Pasteur à Paris. »

Alors bien évidemment, tous les conseils d’hygiène devant l’épidémie : éviter de se serrer la main et de s’embrasser, se laver les mains fréquemment, tousser ou éternuer dans le creux de son coude ou dans un mouchoir jetable, porter un masque si on est malade…, sont judicieux et rationnel.

Mais pour le reste, par exemple l’annulation de tous les spectacles regroupant 1000 personnes ou plus qui mettent en péril la survie d’organisateurs de spectacles ainsi que des métiers et services qui sont liés à cette activité, est ce bien raisonnable ?

Il semble que la crainte des autorités soient liée au risque, dans l’hypothèse d’une propagation rapide de l’épidémie, que les hôpitaux français soient débordés et ne disposent pas des moyens pour faire face aux cas les plus graves, notamment ceux nécessitant une aide respiratoire. Ce qui aurait la double conséquence de créer une surmortalité et de faire monter davantage encore la panique dans la population. Ce mot du jour n’a pas pour vocation de nier la gravité de l’épidémie mais de s’interroger sur un vent de panique entretenu par les médias qui risquent d’être contre productif du point de vue de la santé, d’autres malades graves n’accédant plus aux soins et de l’économie qui risque de créer d’autres problèmes graves.

Le coronavirus présente cependant plusieurs potentialités :

Il a montré davantage que de longs récits notre immense dépendance par rapport à la Chine.

Quand la Chine ne produit plus, nos industries sont en panne de produits, de matériaux indispensables à leurs cycles de production.

Et si je savais ce que nos smartphones, nos voitures et nos produits hi tech devaient aux usines chinoises, j’ignorais notre dépendance à la Chine concernant les médicaments.

<80% des produits actifs des médicaments> sont fabriqués en Chine. Cette situation nous met dans une situation de fragilité extrême.

La crise du coronavirus va probablement entraîner une évolution de cette situation.

Et une autre conséquence positive du COVID-19, si elle atteint de manière conséquente les Etats-Unis ,pourrait être de contribuer à faire battre Donald Trump. D’abord parce que cela dégraderait la situation économique dont Trump veut faire un levier pour sa réélection, ensuite parce qu’il a, comme d’habitude, raconté une myriade de stupidités qui pourraient lui nuire si les faits démontrent ses erreurs.

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Mardi 10 mars 2020

« L’oursin vorace »
Anagramme de Jacques Perry-Salkow

Jacques Perry-Salkow est un génie de l’anagramme. Il a écrit un livre avec Etienne Klein « Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde » dont j’avais parlé lors du mot du jour 12 février 2015

Je rappelle qu’une anagramme (le mot est féminin) – du grec ανά, « en arrière », et γράμμα, « lettre », anagramma : « renversement de lettres » – est une construction fondée sur une figure de style qui inverse ou permute les lettres d’un mot ou d’un groupe de mots pour en extraire un sens ou un mot nouveau.

Il a donc trouvé cette anagramme.


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Lundi 9 mars 2020

« Des millions de non nées »
Dans certains pays du monde, la naissance des filles est contrariée

Ce dimanche nous étions le 8 mars. Selon l’appellation officielle de l’ONU, on célébrait « la Journée internationale des femmes ». En France, il a été décidé de l’appeler « journée internationale des droits des femmes ».

Il y a cinq ans, j’avais consacré un mot du jour sur une violence particulière exercée sur les femmes : l’interdiction de naître, < Il nait de moins en moins de femmes dans le monde >

Un article récent de <TV5 Monde> montre qu’il n’y a pas d’amélioration sur ce front :

« Ainsi le monde commence-t-il à faire face à une “carence” de femmes en âge de procréer, qui pourrait conduire à terme à des déséquilibres démographiques lourds de conséquences. D’autant que la population globale vieillit, surtout dans les pays dits développés, tout en continuant à croître – d’ici à 2050, la Terre devrait compter 9 milliards d’habitants.

La masculinisation de la population varie selon les régions du monde. C’est d’abord en Asie que la proportion de garçons a commencé à augmenter parmi les nouveau-nés au début des années 1980 – au rythme des progrès de la science et des méthodes d’analyses prénatales. Et c’est en Inde et en Chine, qui représentent à eux deux 37 % de la population mondiale, que le déséquilibre est le plus inquiétant.

Les deux pays les plus peuplés au monde souffrent d’une évidente carence de femmes. Depuis plusieurs décennies, la Chine, le pays le plus peuplé du monde, présente un « rapport de masculinité » nettement plus élevé que la moyenne – dans certaines régions, il dépasse 120 garçons pour 100 filles. Et dans de nombreuses régions de l’Inde, ce rapport est aussi nettement supérieur à 105, également depuis des décennies. En dépit d’une amélioration dans les États les plus touchés au Nord-Ouest (Pendjab, Haryana, Rajasthan), plusieurs autres États comme l’Uttar Pradesh ou le Maharashtra, autrefois épargnés, semblent aujourd’hui atteints.

Dans ces deux pays, qui comptent en tout 2,76 milliards d’habitants, il y a environ 80 millions d’hommes de plus que le nombre jugé souhaitable, et plus de la moitié d’entre eux ont moins de 20 ans. “Rien de tel ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité”, écrivait le Washington Post dans un article paru en avril 2018. »

Ce problème est aussi dans d’autres pays d’Asie, comme le Vietnam, le Népal ou le Pakistan, le nombre de garçons dépasse aussi celui des filles de plus de 10

Mais une partie de l’Europe est aussi concerné par ce phénomène :

« l’Europe orientale n’est pas en reste, même si elle pèse moins lourd dans la balance démographique. Depuis au moins 20 ans, il y naît bien plus de garçons que de filles, notamment dans le Caucase et les Balkans, où le sexe-ratio à la naissance se situe entre 110 et 117 pour 100 filles – soit davantage que la moyenne en Inde. L’Azerbaïdjan est le deuxième pays au monde après la Chine en termes de déséquilibre des sexes à la naissance. Durant la décennie 2000, on a même décompté en Arménie jusqu’à 185 garçons pour 100 filles parmi les troisièmes naissances, sans aucun doute un record mondial. En Albanie, au Kosovo, au Monténégro et en Macédoine occidentale, les niveaux avoisinent 110-111 naissances de garçons pour 100 filles, avec une redoutable régularité. »

Il est bien évident que ce niveau d’inégalité ne peut en aucune façon s’expliquer par des phénomènes naturels. Il y a intervention humaine pour arriver à un tel déséquilibre.

Pourquoi dans ces pays, les parents agissent pour diminuer les naissances de femme ?

« Les raisons de ces déséquilibres sont diverses. En Asie, plusieurs facteurs plaident en défaveur des femmes, à commencer par les coutumes, les croyances religieuses ou les considérations économiques. En Inde, mettre au monde une fille est vécu comme un risque pour la famille : destinée à se marier, elle devra remettre une dot puis se consacrera à sa belle-famille. Un garçon, au contraire, apportera aide et sécurité à ses parents. En Chine comme en Inde on préfèrera, selon sa catégorie socioprofessionnelle, investir dans un examen prénatal et choisir d’avorter plutôt que s’endetter toute une vie pour subvenir à l’éducation et au mariage d’une fille.

En Inde et au Pakistan, où il manque 5 millions de femmes, la pauvreté de nombreuses familles pousse ces dernières à préférer les garçons aux filles ; lors des mariages, la famille de l’épouse doit verser une dot à celle du marié, un coût que tous ne peuvent pas se permettre. Par ailleurs, on estime que les hommes sont plus productifs que les femmes, et en cela plus “rentables” pour les familles les plus démunies.

Il en va de même en Chine. En 1979, l’instauration de la politique de l’enfant unique, en vigueur jusqu’en 2015, ainsi que le développement progressif des techniques d’échographie ont fait beaucoup de tort au genre féminin, les parents préférant bien souvent donner naissance à un fils (les “enfants-empereurs”). Car s’il faut choisir, on garde le garçon qui, dans la tradition confucéenne, peut seul succéder aux parents et perpétuer le culte des ancêtres. »

Les techniques, la science sont mis en en œuvre pour poursuivre cette stratégie dans ces pays : privilégier la naissance de jeunes males d’homo sapiens :

« Des millions de non-nées

En 2016, le centre asiatique pour les droits de l’homme a évalué à environ 1,5 million le nombre de foetus féminins éliminés chaque année. En Chine, 35 années de politique de l’enfant unique ont causé la disparition de millions de filles par avortements sélectifs ou infanticide. Même chose pour l’Inde où ces pratiques ont considérablement réduit la population féminine, essentiellement dans le nord du pays. Difficile de naître fille en Asie.

Si, un temps, l’infanticide au féminin – la mise à mort des nouveaux-nés filles – était couramment pratiqué dans ces pays, la science a depuis progressé, rendant ce “gynécide” plus facile et contrôlable. Le développement de l’insémination artificielle permet de sélectionner avant la naissance le sexe de l’enfant. Les échographies déterminent de plus en plus tôt si le bébé à naître est un garçon ou une fille (pouvant conduire ou non à l’avortement sélectif). Or généralement, les familles, pour les raisons culturelles et/ou sociales évoquées plus haut font le choix d’avoir un ou plusieurs garçons.

La Chine et l’Inde accusent actuellement un déficit global de femmes d’environ 160 millions. Le nombre de “femmes manquantes” devrait même atteindre les 225 millions en 2025. A terme, si la proportion de filles par rapport aux garçons continue d’être aussi déséquilibrée, c’est tout un pan de la population qui ne pourra pas être renouvelé.

Des études montrent déjà que 94% des célibataires de 28 à 49 ans en Chine sont des hommes, qui pour la plupart, n’ont pas terminé leurs études secondaires. Certains craignent qu’une masculinisation trop importante de la société chinoise n’entraîne une hausse nette de la violence et du crime.

On assiste aussi à une augmentation des mariages par correspondance (mariages forcés avec des femmes venant de l’étranger), notamment en Chine. Beaucoup de Chinois se tournent vers l’étranger et notamment la Birmanie pour trouver une femme, parfois via un mariage arrangé

Pour des raisons socio-économiques, il faut aussi s’attendre à un ralentissement du taux de natalité dans les pays concernés d’ici 20 à 40 ans. D’où un vieillissement de la population et, à terme, un net ralentissement de ces économies pour l’instant très dynamiques. Parallèlement, la population devrait se féminiser, puisque l’espérance de vie des femmes est plus élevée que celle des hommes.  »

Peu à peu il y a pourtant une prise de conscience des conséquences délétères de ces choix de naissance :

Certains pays ont anticipé ces impasses en prenant des mesures. La Corée du Sud, par exemple, qui au début des années 1990, présentait l’un des sexe-ratio les plus déséquilibrés du monde (près de 1200 hommes pour 1000 femmes) l’a fait baisser jusqu’à 106 garçons pour 100 filles actuellement. Ce « retour à la normale » s’explique tant par l’amélioration du statut des femmes que par les mesures prises par le gouvernement pour enrayer les avortements sélectifs et une importante campagne de communication autour du danger d’une disproportion hommes/femmes.

Des campagnes similaires ont été lancées en Inde : devant le nombre des familles recourant à l’avortement sélectif en fonction du sexe pour choisir les garçons, le gouvernement a adopté une loi interdisant le dépistage du fœtus et ce type d’intervention. En Chine, un assouplissement de la politique de l’enfant unique, notamment dans les campagnes, pourrait amener à rétablir un semblant d’équilibre des sexes dans le pays. Cependant il faudra attendre une vingtaine d’années avant que les premiers effets de ces politiques se fassent sentir.

En Europe du Sud et Caucase, de récents efforts de compréhension du phénomène sont plus le fait d’une mobilisation internationale que d’une prise de conscience de la population, et ils n’ont pas encore débouché sur des mesures concrètes.  »

L’article propose une carte montrant le déséquilibre homme femme dans le monde

Il ne s’agit pas des naissances mais du nombre d’hommes et de femmes dans le pays.

Dans les pays qui n’interviennent pas sur le choix du sexe à la naissance, les femmes qui vivent plus longtemps que les hommes sont majoritaires.

En Russie, la situation est encore plus déséquilibrée, car il y a une surmortalité des hommes.

En Arabie Saoudite qui avec la Mauritanie est l’Etat qui compte le moins de femmes dans sa population, cette situation s’explique par le fait qu’une grande partie de la main d’œuvre est d’origine étrangère et les travailleurs migrants n’ont bien souvent pas la possibilité de faire venir leurs familles. D’où d’énormes déséquilibres statistiques, avec parfois plus de 2000 hommes pour 1000 femmes.

Et on constate que le phénomène dénoncé dans cet article se situe essentiellement en Afrique du Nord et au sud de l’Asie.

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Vendredi 6 mars 2020

« Du simple point de vue de l’équité et de la démocratie, pourquoi faudrait-il qu’il y ait indignation au-delà de l’Atlantique et résignation en deçà ? »
Robert Guédiguian, Philippe Meyer et Bertrand Tavernier

En raison des primaires démocrates, les médias parlent beaucoup des élections présidentielles américaines.

Election américaine totalement incompréhensible pour nous autres français.

En 2016, Trump a été élu alors que 65 853 514 bulletins s’étaient portés vers Hillary Clinton et que le président élu n’avait eu que 62 984 828 voix.

Si on calcule de la manière française on constate que Clinton a obtenu 51,1% et Trump 48,9%.

C’est un scandale ! Un déni de démocratie.

Mais on nous a expliqué que c’était en raison du caractère fédéral des Etats-Unis et que ce contexte rend nécessaire que chaque Etat des Etats-Unis puisse jouer un rôle suffisamment important dans cette élection et qu’il n’est donc pas possible de simplement compter les voix individuels qui donnerait un trop grand poids aux Etats peuplés et marginaliserait totalement les petits Etats.

Et c’est ainsi que les étatsuniens ont eu cette idée

  • de faire élire le président par des grands électeurs
  • que chaque Etat choisit un candidat (Dans le Maine et le Nebraska cette règle s’applique à des arrondissements de l’Etat ce qui a pour conséquence que ces deux Etats peuvent envoyer des grands électeurs de plusieurs candidats)
  • et qu’alors tous les grands électeurs de l’Etat de ce candidat participeront au collège électoral qui élira le président.

Et le point fondamental étant que le nombre de grands électeurs de chaque État tient compte du nombre d’habitants mais de manière très pondérée.

La Californie qui a voté pour Clinton compte 55 grands électeurs, le Wyoming qui a voté Trump 3.

Mais la Californie compte 39 550 000 habitants ce qui fait qu’un grand électeur vaut 719 000 habitants et le Wyoming 577 000 habitants ce qui signifie qu’un grand électeur représente 192 000 habitants. Le rapport entre ces quotients est supérieur à 3,5.

Si on calcule par rapport aux nombres de votants : En Californie 8 753 788 électeurs ont voté Clinton chaque grand électeur pèse donc 159 160 électeurs alors que dans le Wyoming Trump a eu 174 419 voix et chaque grand électeur pèse alors 58 140 électeurs, le rapport entre les deux est de 2,7.

A la fin Trump a battu Clinton 304 grands électeurs à 227.

Dans le Wisconsin 22 748 voix séparaient Trump de Clinton soit 0,82% de l’ensemble voix que les deux ont obtenus. Cet Etat a donné 10 grands électeurs à Trump.

En Floride 112 911 voix séparaient Trump de Clinton sur les 9 122 861 que les deux avaient obtenus. Cet Etat a donné 29 grands électeurs à Trump.

L’inversion de ces deux Etats aurait donné 266 grands électeurs à Clinton et 265 à Trump.

C’est un mode d’élection donc totalement incompréhensible pour un français, une telle chose ne peut pas exister dans notre pays et nos traditions !

Descartes, Rousseau et Voltaire ne l’accepteraient pas.

Vous en êtes sûr ?

Connaissez-vous la Loi n° 82-1169 du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon, dite « Loi PLM » (ça sonne mieux que PML)

Toujours en vigueur.

<Le Point> explique cette Loi.

D’abord il faut comprendre comment cela se passe dans les autres villes de France.

« Aux élections municipales, le mode de scrutin varie selon le nombre d’habitants. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, il est majoritaire.

Dans celles comptant plus de 1 000 habitants, l’élection du maire est le résultat d’un scrutin proportionnel avec prime majoritaire. C’est-à-dire que la liste arrivée en tête emporte mécaniquement la moitié des sièges. L’autre moitié est répartie à la proportionnelle entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages. »

Prenons un second tour où 3 listes s’affrontent. La liste A reçoit 40,1% des voix la B 39,9% et la C 20%.

Supposons, pour être simple que le Conseil municipal comporte 100 membres.

La prime majoritaire donne 50 sièges à la liste A.

Les 50 restants sont distribués à la proportionnelle. Donc 20 pour A, 20 pour B et 10 pour C.

La liste A a donc 70% des sièges pour 40 % des voix. C’est arithmétiquement faux mais politiquement efficace.

Passons à PLM :

« Un mécanisme électoral que l’on retrouve à Paris, Lyon et Marseille. À cette différence près que ces villes sont divisées en secteurs. Chaque secteur électoral correspond à un arrondissement de Paris ou de Lyon, mais à Marseille, on compte deux arrondissements par secteur. Cette division a été décidée en 1982 dans la loi PLM voulue par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gaston Defferre, ancien maire de Marseille.

Les élections ont lieu au sein de chaque arrondissement suivant les règles du scrutin majoritaire comme dans les communes de plus de 1 000 habitants. Les inscrits élisent leurs conseillers d’arrondissement et leurs conseillers municipaux, qui siégeront pendant six ans au conseil de la ville. Ces derniers procèdent à l’élection du premier magistrat de la ville et de ses adjoints.

Un système « à l’américaine » où le maire est élu par son conseil municipal pourvu qu’il ait remporté un nombre suffisant d’arrondissements. Si ce mode d’élection permet de dégager une majorité claire, il ne rend pas certaine la victoire de la liste ayant remporté le plus de suffrages. En effet, de très bons résultats en voix mais limités à un nombre restreint d’arrondissements ne garantissent pas d’avoir le nombre suffisant de conseillers pour être élu maire. »

C’est tout à fait, dans notre beau pays un système à l’américaine.

Le maire est élu par les « grands électeurs » des secteurs électoraux.

Et que pensez-vous qu’il arriva ?

Cette fois, <Wikipedia> nous informe :

« En 1983, Gaston Defferre est réélu maire de Marseille avec moins de voix que Jean-Claude Gaudin, mais en étant majoritaire en secteurs remportés.

En 2001, Gérard Collomb est devenu pour la première fois maire de Lyon, alors qu’il était minoritaire en voix (10 000 voix de moins que la droite), en même temps que Bertrand Delanoë devenait pour la première fois maire de Paris, en étant lui aussi minoritaire en voix (4000 voix de moins que la droite), tous les deux étant par contre majoritaires en nombre d’arrondissements gagnés et en nombre total d’élus (grands électeurs) dans l’ensemble des arrondissements.

En 2014, Anne Hidalgo est élue maire de Paris dans les mêmes conditions.

Les élections municipales de 1983, de mars 2001 et de mars 2014 ont donc montré (et confirmé) que la loi PLM avait les mêmes propriétés à Paris, Lyon et Marseille, que le mode de scrutin présidentiel aux U.S.A., qui permet à un candidat d’être élu Président des États-Unis en étant minoritaire en voix, mais majoritaire en nombre d’états gagnés et en nombre total d’élus (Grands électeurs) dans l’ensemble des états » »

Notez que cette Loi de 1982 a pleinement joué son rôle pour la première fois à Marseille. Et celui qui a profité de la Loi, le maire de Marseille et le Ministre qui a porté cette Loi, le Ministre de l’Intérieur était une seule et même personne : Gaston Defferre !

Dans un article du <JDD> Robert Guédiguian, cinéaste marseillais, Philippe Meyer, journaliste parisien, et Bertrand Tavernier, cinéaste lyonnais, demandent l’abrogation de la loi PLM, qui fixe un statut administratif particulier aux trois premières villes de France :

« Les noms circulent. Les rumeurs enflent. Les experts extravaguent. Les doutes s’insinuent. Les fèques niouzent. Les couteaux s’aiguisent. Les alliances se dessinent : dans quelques mois, les Français éliront leurs maires. Les Français, mais ni les Lyonnais, ni les Marseillais ni les Parisiens. La loi PLM (acronyme fabriqué à partir de la première lettre du nom de leurs villes) leur en enlève le droit. Elle les met dans une situation d’exception dont on ne saurait dire qu’elle fait honneur à la démocratie, puisque dans ces trois villes, le maire n’est pas élu par les citoyens au suffrage universel direct mais par un collège issu des conseils d’arrondissement.

Rappelons que cette exception qu’est la loi PLM fut établie en novembre 1982 afin de sauver le regretté Gaston Defferre en grand péril à Marseille et, de fait, elle le sauva, puisque, en 1983, bien que minoritaire en voix, il retrouva son fauteuil de maire. La droite, qui avait protesté contre cette manipulation, l’adapta à ses propres besoins et, minoritaire en voix, en ajoutant deux nouveaux secteurs, elle parvint à faire élire maire de la même ville Jean-Claude Gaudin.

Ce système, qui permit naguère l’élection de maires minoritaires, requiert à présent des majorités qualifiées pour conquérir les hôtels de ville. Selon une étude de Bernard Dolez, professeur de droit public et chercheur au CNRS, “vu le découpage actuel des trois plus grandes villes françaises, [il faut] 53 % des voix pour remporter le siège de premier magistrat à Paris, et 52 % à Lyon. Tandis qu’à Marseille, le seuil de renversement est de 53%”. Il y a donc, en France, 2.146.587 citoyens qui sont placés hors du droit électoral commun, pour ne pas dire dans un droit électoral d’exception.

On peut remarquer que cette situation est comparable terme à terme à celle qui nous indigna si fort lorsque, aux États-Unis, Al Gore, majoritaire en suffrages exprimés, fut battu par le regrettable George Bush junior, majoritaire en grands délégués, et qu’elle se répéta en 2016 en faveur du non moins regrettable Donald Trump. Certes, nous ne craignons pas que la loi PLM produise des catastrophes aussi planétaires, mais, du simple point de vue de l’équité et de la démocratie, pourquoi faudrait-il qu’il y ait indignation au-delà de l’Atlantique et résignation en deçà ?

Nous le refusons et nous demandons l’abrogation de la loi PLM. »

Et j’ajouterais, nous n’avons même pas l’excuse américaine d’être un pays fédéral qui peut justifier qu’on donne un poids accru aux petits États.

C’est tout simplement injustifiable.

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