Jeudi 15 septembre 2016

« Va, vis et deviens Français. »
Ahmed Meguini

Dans le mot du jour d’hier, la petite Mariam, originaire du Tchad, posait cette question et on sent l’importance qu’elle y accordait :

Madame, est ce que vous vous sentez française ?  Qu’est-ce que vous avez fait pour devenir française ?

La France est vraiment un curieux pays, voici que le gouvernement met en place une «Fondation pour l’Islam en France» et y met à la tête un ancien ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement.

Ceci constitue une double incongruité. D’abord, je crois qu’aucun autre Etat démocratique et défenseur des libertés ne penserait faire créer par son gouvernement une institution pour une communauté. Et puis…Mais nul besoin de conceptualiser, imaginons que le gouvernement mette autoritairement à la tête d’une association juive, un catholique ou à la tête d’une association catholique, une personne d’origine musulmane…

J’ai écouté sur ce sujet, une émission très intéressante : <France Culture – Du grain à moudre les musulmans français ont-ils besoin d’être représentés ?>
De cette émission, outre la dénonciation de l’incongruité, il ressort surtout que « le musulman » et même « le musulman français » n’existe pas.

Il existe des musulmans et même beaucoup de personnes dont les parents étaient de confession musulmane et qui n’ont plus qu’un rapport très faible avec la religion.

Et je voudrais partager avec vous un témoignage trouvé sur le site de la règle du jeu : http://laregledujeu.org/2015/02/06/19074/va-vis-et-deviens-francais/

Je vous en donne de très larges extraits :

« Je m’appelle Ahmed et je ne suis pas Musulman. Habituellement, comme tous les athées, je le tais. D’abord parce que c’est intime, l’athéisme est une solitude et la solitude ça ne se partage pas. Il y a une autre raison : j’ai souvent eu peur de froisser mes ex- coreligionnaires. Pour un grand nombre de Musulmans, je suis ce qu’il y a de pire : un apostat. Dans la plupart des pays musulmans, je risquerais la mort pour cela.

Je suis un citoyen français et je n’ai pas d’autre identité à défendre que celle qui a permis mon émancipation. Je suis libre de croire ou de ne pas croire et pourtant, pour ma sécurité, jusqu’à aujourd’hui, j’ai cru bon de ne pas exposer ma non–foi.

Cette lâcheté, que j’assume comme telle, n’est plus permise aujourd’hui. En nous attaquant et en nous tuant, les assassins ont révélé une terrible faille sismique. Elle n’était pas nouvelle mais, comme vous, je me mentais à moi-même.

[…]

Je réponds à leur question : « l’Islam est-il compatible avec la République ? » en disant simplement que c’est la République qui ne sera jamais compatible avec l’Islam, comme avec n’importe quelle autre religion. C’est pourquoi il y a plus d’un siècle, nous avons assigné Dieu à résidence. Parce que c’est le concept même de Dieu qui n’a pas sa place dans la République. Je ne vois pas, je ne fréquente pas et je ne parle pas à des Musulmans, à des Catholiques et à des Juifs, et ça n’arrivera jamais.

Je ne reconnais que mes concitoyens, et qu’ils croient aux extra-terrestres ou à un homme qui change l’eau en vin, cela ne m’intéresse absolument pas. À ceux qui en réponse aux actes de terrorisme souhaitent débattre de l’Islam, je les invites à entamer au plus vite un cursus en théologie islamique, mais laissez-moi ma France !

Celle où je dois pourvoir vivre sans Dieu et sans me faire insulter dans ma non-foi. Frappez la République à coups de tête pour y enter en tant que Musulman, Catholique, Protestant, Bouddhiste ou Juif. Frappez encore, frappez plus fort et nous verrons bien qui de votre tête ou de la République cèdera en premier. Même si nous, Républicains laïcs, étions demain pris de panique, terrorisés par nos ennemis et prêts à tout céder, nous ne le pourrions même pas. Cette idée de liberté et de justice qui s’est affutée à travers le temps ne nous appartient pas, elle nous dépasse, un peu comme votre Dieu. La laïcité, c’est ce que nous avons trouvé de mieux pour vous permettre de vivre vos croyances tout en admettant la primauté des lois de la République sur vos lois divines. D’autres pays n’ont pas laissé ce choix à leur population. Les uns interdisent la religion, d’autres la rendent obligatoire. Si vous ne comprenez pas en quoi la laïcité vous protège, je ne vous l’expliquerai pas, je vous opposerai la loi, parce qu’elle me protège moi aussi. Si vous voulez comprendre, je vous invite à vous rendre dans une bibliothèque.

Je n’ai pas d’autre choix que d’engager un combat, que je promets féroce, contre ceux qui préfèrent s’adresser aux Musulmans plutôt qu’à leurs concitoyens. Comme d’autres, j’ai consacré toute ma vie d’adulte à devenir et à être admis en tant que Français. Je suis de la première génération à être né en France. Sur mon acte de naissance, il est écrit « père soudeur » et « mère femme de ménage », comprenez : « T’es plutôt mal barré dans la vie ». Aujourd’hui je suis père, chef d’entreprise et j’ai une vie relativement confortable. À l’école, j’ai fait le minimum, j’ai terminé mon parcours scolaire crashé dans une voie de garage au milieu d’un BEP grotesque. Cet enseignement minimum obligatoire m’a offert une barque et une paire de rames. Alors j’ai ramé, j’ai ramé la nuit et j’ai ramé le jour, scrutant inlassablement l’horizon à la recherche d’une terre, la France. […]

Je voulais devenir Français, parce que dans mon esprit, j’étais d’ici ; parce que contrairement à beaucoup de Français qui ont les mêmes origines que moi, mon père est enterré ici et c’est ici que je finirai ma vie. Mais je ne savais pas ce que ça voulait dire, être Français. J’ai dû inventer, me jeter loin de moi, de ce que je croyais savoir. J’ai par exemple porté l’uniforme, je me disais qu’ainsi on ne pouvait pas penser que j’étais autre chose qu’un Français. Si je ne savais toujours pas ce que ça voulait dire au moins j’en avais l’air. Adolescent, j’étais jeune sapeur-pompier, je m’exerçais à des manœuvres incendie, au secourisme. À peine majeur, je suis devenu sapeur-pompier volontaire. Et puis il y a eu l’armée, je voulais absolument partir en opération à Sarajevo. Je pensais qu’en servant la France dans un pays en guerre, j’aurais alors un argument de poids à opposer à ceux qui pouvaient douter de mon attachement à mon pays. Le seul moyen de partir en opération extérieure dans mon régiment était de s’engager, je me suis donc engagé. Un mois plus tard, j’étais en territoire bosniaque et je regardais fièrement l’écusson tricolore sur mon épaule. Je m’appliquais sans le savoir ce mot de Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour ton pays ».

Oui, il a été sinueux ce chemin vers la France qui me fit faire un détour par la case prison. Arrêté dans une manifestation et condamné à tort pour violence sur agent des forces publiques, j’ai été incarcéré trois mois dans une maison d’arrêt alsacienne. Ce que j’y ai vu m’a profondément bouleversé. La première fois que j’ai vu une promenade, j’ai été choqué de n’y voir que « des Arabes et Noirs ». Je les regardais tourner en rond, ils étaient là, rassemblés, les pérégrins pérégrinaient. J’ai été très en colère, j’aurais pu sortir de là fou de haine si je n’avais pas eu le soutien de milliers de militants, de Français qui avaient pris fait et cause pour moi. Ils m’ont aidé à comprendre que la France c’est aussi une ambition qui appartient à ceux qui la défendent et comme dans les mariages, il n’y a pas que des jours heureux. Eh oui, bien souvent j’ai eu l’impression d’aimer la France comme un mari cocu.

Souvent je repense à cette promenade de prison comme la manifestation la plus évidente de notre échec. L’échec d’un pays tout entier, où chacun a sa part de responsabilité. L’État, bien sûr, mais aussi certains employeurs qui quand ils ne pratiquent pas ouvertement la discrimination à l’embauche, font preuve de peu de créativité. De nos préjugés, à chacun de nous, d’avoir cru que la police et la prison étaient la réponse à tout, faisant semblant d’oublier que les détenus ont vocation à sortir, et souvent, plus en colère encore que quand ils y sont entrés. C’est aussi l’échec des familles de ces prisonniers, et des prisonniers eux-mêmes, qui doivent assumer leur part de responsabilité.

Nous ne sortirons pas de cette impasse si chacun ne fait son autocritique. Si nous retombons dans ce débat stérile de la xénophobie à géométrie communautaire variable, l’auto-flagellation d’un côté et les revendications victimaires de l’autre. Nous serons condamnés à la guerre de tous contre tous. […]

Il faut encourager la prise de parole à l’initiative de ceux qui adhèrent pleinement aux valeurs de la République et qui se taisent aujourd’hui. Il faut réduire la capacité de nuisance de ceux qui ont le génie de la division, qui nous accablent en nous faisant éternellement le coup de la victime. Pour cela nous devons savoir être nous-mêmes, apprendre à être sereins et implacables avec nos valeurs. Cessons cet autodénigrement permanent. À être trop vigilant quant à notre propre xénophobie, on en devient un xénophobe bienveillant. Je rencontre parfois des gens qui ne m’aiment pas parce qu’ils n’aiment pas les Arabes et je ne peux rien y faire. Mais le pire pour moi, c’est de rencontrer des gens qui m’aiment bien parce qu’ils aiment bien les Arabes. La xénophobie bienveillante, qui au nom de la tolérance me voit, comme les autres, comme un Arabe. Alors pour me faire plaisir, pour être gentil avec moi, ils veulent discuter de la place que l’Arabe, maintenant le Musulman, mérite. Je vous le dis ici : je n’ai pas besoin de vous, par pitié arrêtez de vouloir m’aider. Je me suis fait une belle place de Français dans mon pays, grâce à mon pays et grâce à ma brave mère qui m’a élevé du mieux qu’elle a pu avant de me laisser partir avec pour seule consigne : « Va, vis et deviens Français. »»

Ce témoignage qui me semble être très équilibré entre les efforts nécessaires des uns et l’ouverture des autres, rappelle aussi qu’il existe encore des lieux où ne pas croire reste un combat.

Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, je souligne que l’exergue fait référence à «Va, vis et deviens » qui est le titre d’un film magnifique réalisé par Radu Mihaileanu (2005) et qui parle de l’intégration en Israël d’un enfant d’Ethiopie.

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Mercredi 14 septembre 2016

«U.P.E.A.A.
Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants »
Acronyme que seule l’Éducation Nationale Française est capable d’inventer

Il faut bien savoir être un peu léger parfois, quoique…

Dans ce cas, il suffit de faire un tour dans l’univers de la créativité de l’Education Nationale pour s’amuser et aussi se dire : Peut-on être pédagogue, c’est-à-dire selon ma définition rendre simple des choses complexes, quand on se complaît dans un tel vocabulaire ?

Rappelons qu’« allophone » a pour définition : « Personne qui parle une langue autre que celle(s) de la majorité. ».

Bref il s’agit ici d’une « classe à destination d’immigrés qui ne parlent pas le français ».

On pourrait même dire « classe à destination d’immigrés allophones », car le terme allophone est précis et signifie exactement ce de quoi on parle. Il ne s’agit pas de faire l’éloge d’une langue pauvre et de ne pas utiliser des termes précis et appropriés.

Ce qui est en cause ici et qui constitue la novlangue des technocrates ce n’est pas l’utilisation du mot « allophone » mais bien son association avec « unité pédagogique » et surtout « élèves arrivants ».

En outre si on lit rapidement l’acronyme d’« UPEAA », on entend « duper » qui a lien étroit avec tromperie.

J’ai appris l’existence des « UPEAA » grâce à cet article : <Madame vous avez fait quoi pour devenir francaise ?>

Cet article présente un autre intérêt : celui du témoignage d’une française d’origine vietnamienne : Doan Bui, journaliste qui a été invitée à retourner dans son ancien collège « Berthelot » au Mans où elle a rencontré des élèves migrants originaires de Syrie, du Kosovo, du Tchad.

Je cite quelques extraits de ce reportage :

« Fin avril, je suis donc retournée en classe, et j’ai vu mes « successeurs »… Cette fois, c’est moi qui étais au tableau.

Avec cette double casquette : journaliste à « l’Obs » et fille de migrants (ou plutôt l’inverse). […]

Erza, blonde aux yeux bleus, est kosovare (elle dit « albanaise » sur sa page Facebook), Aminata vient de Mauritanie, « où il y a la guerre », Rama de Syrie, Nawele d’Italie et de Tunisie, Mariam ou Jamilati du Tchad.

Derrière leurs grands sourires, elles traînent avec elles des histoires d’exils et de déchirements parfois terribles, et pourtant, quand on les voit, impossible de les distinguer de leurs camarades.

Ce ne sont pas des « migrantes ». Juste des ados, qui se taquinent, pensent à l’avenir, à l’amour, et pouffent quand elles évoquent les garçons.

Zain, 15 ans, est gêné quand les filles l’appellent pour poser. Il est plus timide. Il attendra la pause goûter pour me raconter son histoire. Zain est un Mineur Isolé étranger, un « MIE ». « Je viens d’Islamabad. Mes parents m’ont envoyé en France. A l’aéroport, j’étais tout seul. Mais j’ai rencontré un autre Pakistanais. Il m’a conseillé d’aller à Laval où il connaissait des gens. J’ai été dans un foyer, dans l’Aide Sociale, c’était le nom. Et puis après, je suis arrivé au Mans. […]

Zain est « très sociable » me disent ses professeurs. Scolarisé en troisième, il commence à se débrouiller. Derrière lui, souriant et mutique, Yannick, un autre « MIE » vient d’Angola. Hanh Baillat, professeur de Français : On a d’autres MIE qui sont arrivés cette semaine. L’éducateur ne savait rien d’eux, à part qu’ils ont été trouvés à Paris, qu’ils seraient originaires d’Egypte. Ils ne parlent pas un mot de français, pas un mot d’anglais. Ils sont « NSA », comme on dit. « Non scolarisés antérieurement »

Mais ça n’a pas l’air de lui faire peur à Hanh. Elle me désigne ainsi Aminata, vive comme du vif argent, qui est arrivée de Mauritanie, il y a moins d’un an. « Elle était NSA aussi, au départ, pour lui apprendre le français, on travaillait avec des images. » Aminata parle si bien français qu’on croirait qu’elle l’a appris depuis toute petite. En Mauritanie, par exemple. Aminata s’exclame : « Ah non, je n’ai pas appris le français là-bas !!!
L’école en Mauritanie, c’était pas bien. Ici, en France, tout est mieux. Même le froid, je m’y suis habituée. » […]

Qui se sent venir à 100% d’un endroit ? » demande Françoise Leclaire, qui a lancé le projet auprès des élèves de l’UEPAA. Personne ne lève le doigt…

Sur les murs, des cartes où sont épinglés tous les pays d’où viennent les enfants, leurs parents, leurs grands-parents. […]

Mariam, du Tchad, qui a également habité à Moscou, est très tracassée par ce que ça veut dire « devenir français » :

« Madame, est ce que vous vous sentez française ?  Qu’est-ce que vous avez fait pour devenir française ? »

Hum… Qu’est-ce que j’ai fait pour devenir française ?
Moi qui suis née française (enfin presque, naturalisée à deux ans), j’ai toujours eu l’impression d’être française.
A cause des livres peut être : je me rêvais en petite fille modèle, façon Comtesse de Ségur. »

Voilà au-delà d’apprendre quelques acronymes amusants ou débiles, cet article parle d’enfants, de déchirures, de guerres, d’exil et de cette difficile quête : « devenir français »

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Mardi 6 septembre 2016

Mardi 6 septembre 2016
«Avant de réussir une grande carrière politique, Michel Rocard a été un audacieux militant anticolonialiste»
Pierre Joxe
Dans le combat Mitterrand/Rocard, Pierre Joxe avait clairement choisi le camp de Mitterrand. Dans son livre «Si la gauche savait», Rocard écrit qu’il faisait partie de la «la garde noire» de Mitterrand, ailleurs il dit qu’il faisait partie de «mes tueurs»  que Mitterrand voulait absolument nommer au gouvernement dirigé par Rocard au poste stratégique de l’Intérieur pour le surveiller voire plus. Mitterrand voulait se débarrasser de Rocard et il avait dit à ses amis qui depuis l’ont répété, par exemple Ambroise Roux, qu’il fallait « lever l’hypothèque Rocard ».
Pourtant à la fin de sa vie Rocard a exprimé cet avis nuancé sur Pierre Joxe : «Un drôle de zèbre, Joxe… Un ultra du mitterrandisme avec, en même temps, une énorme distance. Il est très cynique, mais il a beaucoup d’humour. Nous sommes très copains !»
Mais Pierre Joxe est aussi issu d’une grande famille politique : son père Louis Joxe fut un grand résistant, ministre de De Gaulle et principal négociateur des accords d’Évian ayant abouti à l’indépendance de l’Algérie… Et c’est justement pour son comportement et l’action de Michel Rocard lors de la guerre d’Algérie qu’il lui a rendu hommage :
«A l’annonce de la mort de Michel Rocard, la plupart des réactions exprimées par les hommes politiques au pouvoir – et par ceux qui espèrent les remplacer bientôt – ont été assez souvent purement politiques ou politiciennes. A gauche, l’éloge est de règle. A droite, l’estime est générale. Mais deux aspects de la personnalité de Michel Rocard semblent s’être volatilisés : avant de réussir une grande carrière politique, il a été un audacieux militant anticolonialiste et un talentueux serviteur de l’Etat.
Il lui fallut de l’audace, en 1959 pour rédiger son Rapport sur les camps de regroupement en Algérie. Il fallait du talent en 1965, pour être nommé  secrétaire général de la Commission des comptes et des budgets économiques de la Nation.
Je peux en témoigner.
Quand je suis arrivé en Algérie en 1959,  jeune militant anticolonialiste d’une UNEF mobilisée contre la sale guerre coloniale, le prestige de Rocard était immense parmi nous. C’était comme un grand frère, dont on était fier.
Car il avait rédigé
[…] un rapport impitoyable sur les « camps » dits « de regroupement » que les « pouvoirs spéciaux » de l’époque avaient permis à l’Armée française, hélas, de multiplier à travers l’Algérie, conduisant à la famine plus d’un million de paysans et à la mort des centaines d’enfants chaque jour…
Le rapport Rocard « fuita » dans la presse. L’Assemblée nationale s’émut. Le Premier ministre Debré hurla au « complot communiste ». Rocard fut menacé de révocation, mais protégé par plusieurs ministres dont le Garde des sceaux Michelet et mon propre père, Louis Joxe.
Quand j’arrivai alors à mon tour à Alger,  les officiers dévoyés qui allaient sombrer dans les putschs deux ans plus tard me dirent, avant de m’envoyer au loin, dans le désert : « … Alors vous voulez soutenir les hors la loi, les fellaghas, comme votre ami Rocard…? »  
Je leur répondis, protégé par mes galons d’officier, par mon statut d’énarque – et assurément par la présence de mon père Louis Joxe au gouvernement : « C’est vous qui vous mettez « hors la loi » en couvrant, en ne dénonçant pas les crimes commis, les tortures, les exécutions sommaires et les mechtas incendiées. » J’ignorais alors que ces futurs putschistes allaient tenter un jour d’abattre l’avion  officiel où mon père se trouvait…
En Janvier 1960, rappelé à Alger du fond du Sahara après le virage de
De Gaulle vers « l’autodétermination » et juste avant la première tentative de putsch – l’ « affaire des barricades » –, j’ai pu mesurer encore davantage le courage et le mérite de Rocard. Il avait reçu mission d’inspecter et décrire ces camps où croupissait 10% des paysans algériens, ne l’oublions jamais !
Il lui avait fallu une sacrée dose d’audace pour arpenter l’Algérie en civil – ce jeune inspecteur des finances –, noter tout ce qu’il voyait, rédiger en bonne et due forme et dénoncer froidement, sèchement, ce qui aux garçons de notre génération était une insupportable tâche sur l’honneur de la France. Nous qui avions vu dans notre enfance revenir d’Allemagne par milliers les prisonniers et les déportés dans les gares parisiennes, nous étions indignés par ces camps.
Car en 1960 encore, étant alors un des officiers de la sécurité militaire chargé d’enquêter à travers l’Algérie, d’Est en Ouest, sur les infractions, sur ceux qui  désobéissaient aux ordres d’un De Gaulle enfin converti à l’« autodétermination » qui allait devenir l’indépendance, j’ai pu visiter découvrir et dénoncer à mon tour des camps qu’on ne fermait pas ; des camps que l’on développait ; de nouveaux camps… Quelle honte, quelle colère nous animait, nous surtout, fils de patriotes résistants ! […]
Michel Rocard, et beaucoup d’autres serviteurs de l’Etat, nous avons été conduits à la politique par nécessité civique. Non pour gagner notre pain, mais pour être en accord avec notre conscience, nos idées, nos espoirs.
Les exemples contemporains de programmes électoraux trahis, oubliés ou reniés, de politiciens avides de pouvoir, mais non d’action, « pantouflant » au besoin en cas d’échec électoral pour revenir à la chasse aux mandats quand l’occasion se présente, tout cela est à l’opposé de ce qui anima, parmi d’autres, un Rocard dont beaucoup aujourd’hui encensent la statue mais tournent le dos à son exemple en détruisant des conquêtes sociales pour s’assurer d’incertaines « victoires » politiciennes, contre leur camp, contre notre histoire, contre un peuple qui n’a jamais aimé être trahi.»
Comme le dit justement Joxe, beaucoup se réclament de Rocard. Beaucoup pensent qu’en fin de compte ce sont ses idées qui auraient gagné à gauche et seraient au pouvoir. Mais c’est oublier que Michel Rocard a toujours voulu d’abord lutter contre les inégalités sociales et affermir les conquêtes sociales. La confiance régulée dans les marchés n’était que le moyen parce qu’il avait compris que l’économie administrée n’était pas efficace.
Mais pour revenir à la guerre d’Algérie, Michel Rocard avait clairement choisi son camp, celui de l’éthique, des droits de l’homme et bien sûr le combat anticolonial. Je ne me lasserai pas de rappeler que François Mitterrand était, à cette époque, dans l’autre camp.

Mardi 2 février 2016

Mardi 2 février 2016
« La vie naturellement est une vallée de larmes
C’est aussi une vallée de roses.»
Jean d’Ormesson

La première fois que j’ai entendu parler de Jean d’Ormesson c’était par Jean Ferrat en 1975, dans la chanson « un air de liberté »

«Ah monsieur d’Ormesson
Vous osez déclarer
Qu’un air de liberté
Flottait sur Saigon
Avant que cette ville s’appelle Ville Ho-Chi-Minh»

Depuis, beaucoup d’eau est passé sous les ponts et le communisme ne fait plus rêver grand monde.

Aujourd’hui on se dit que D’Ormesson, qui était à l’époque Rédacteur en chef du Figaro, avait peut-être raison.

Jean d’Ormesson est désormais un vieil homme de 90 ans, plein de facétie et d’intelligence avec une immense culture.

Quand dans l’émission de Ruquier, il glisse à Manuel Valls qui tente de défendre la déchéance de nationalité :

«Je me demande s’il n’y a pas une ombre d’enfumage.»

On ne peut qu’être séduit.

Il a dit aussi : «M. Valls vous vous êtes droitisé». C’est un jugement qu’il faut prendre avec intérêt pour un homme qui sait ce que «droite» veut dire.

Il vient de publier en 2016 un nouveau livre «Je dirai malgré tout que cette vie fut belle».

Pour parler de ce livre il avait été invité à France 2 par Laurent Delahousse.

Dans cet entretien il a ces remarques :

«J’ai longtemps passé pour un écrivain du bonheur.
Après avoir vu et entendu tout ce qui a été dit pendant ce journal, il est très difficile d’être un écrivain du bonheur.
Je sais très bien que le monde est cruel, il est dur. Que les gens sont malheureux. Ils sont malheureux en France, ils sont malheureux dans le monde entier.
Je ne crois pas qu’il faut rire toujours, qu’il faut ricaner. Mais prendre avec une certaine gaieté même les catastrophes. Même les catastrophes…
La vie naturellement est une vallée de larmes, c’est aussi une vallée de roses.
C’est indiscernable.
C’est une fête
Et c’est un désastre.»

Même Mélenchon dit beaucoup de bien de cet homme.

Et pour revenir à Ferrat, Jean d’Ormesson partage avec lui une passion pour Louis Aragon

Et le titre de son dernier ouvrage  «Je dirai malgré tout que cette vie fut belle» comme d’ailleurs son ouvrage de 2010 «C’est une chose étrange à la fin que le monde» et celui de 2013: «Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit» sont tous  extraits du même poème d’Aragon :

« Que la vie en vaut la peine
C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes.
Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent. Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent des voix.
D’autres qui referont comme moi le voyage
D’autres qui souriront d’un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D’autres qui lèveront les yeux vers les nuages.
II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
II y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant.
C’est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.
Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine
Et la mer à nos soifs n’est qu’un commencement.
Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l’échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d’être et d’avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.
Malgré la guerre et l’injustice et l’insomnie
Où l’on porte rongeant votre cœur ce renard
L’amertume et Dieu sait si je l’ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.
Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu’on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu’on aime et de ce qu’on croit un martyre.
Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu’ils font.
Malgré l’âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L’entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.
La cruauté générale et les saloperies
Qu’on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu’on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d’une injure ou d’un cri.
Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu’on voulait pourtant ce qu’on voulait
De toute sa croyance imbécile à l’azur.
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. »

Louis ARAGON
Les yeux et la mémoire – Chant II – 1954


Il faut bien des moments de poésie

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Vendredi 15 Janvier 2016

«J’ai toujours été orienté par la modernité»
Pierre Boulez (1925-2016)

Pierre Boulez est mort le 5 janvier 2016.

Ce début d’année a été marqué par beaucoup de décès d’artistes célèbres. Cette accumulation a même eu pour conséquence que le compte twitter du président de la république est devenu un journal d’avis de décès, à force d’hommages.

Pour ma part, je ne saurai avoir un avis, un minimum original, que sur Pierre Boulez.

Pour moi, c’est d’abord un souvenir de 1987, je venais d’arriver à Paris pour travailler au Ministère des Finances.

Je m’étais abonné aux concerts de l’Orchestre de Paris, salle Pleyel.

A mon premier concert, Daniel Barenboim dirigeait l’orchestre. J’étais loin d’être convaincu, je ne trouvais pas l’orchestre très bon, ni d’ailleurs l’acoustique de Pleyel.

Et puis, moins d’une semaine plus tard, le même orchestre, la même salle et Boulez qui dirigeait Petrouchka de Stravinsky.

Je me souviens d’être allé à ce concert très fatigué et ma crainte de m’endormir. Dès les premières mesures j’ai été subjugué, un orchestre fabuleux, précis, dont le son remplissait la salle. Une expérience unique.

Mon frère qui avait joué sous sa direction à l’Opéra de Paris, m’avait confié que l’Orchestre de l’Opéra avait répété et joué le sacre du printemps de Stravinski avec lui. Expérience remarquable, mais c’est surtout la suite qui est intéressante :

« Lorsque nous jouions, par la suite, le sacre avec un autre chef, il n’arrivait pas à nous faire jouer le sacre autrement que de la façon avec laquelle Boulez nous avait appris à l’interpréter. »

C’est justement par l’interprétation du Sacre du Printemps de Stravinsky que Pierre Boulez fut découvert par le Tout-Paris mélomane. C’est à lui qu’il fut demandé, le 18 juin 1963, de diriger cette œuvre au Théâtre des Champs Elysées avec l’Orchestre National de l’ORTF.

Le critique musical du Monde Jacques Lonchampt écrivit alors cet article dithyrambique : <Un grand chef d’orchestre : Pierre Boulez >

« Quel beau spectacle nous a donné Boulez ! Très droit, ramassé sur lui-même, toujours prêt à bondir mais dompté, la tête vigoureuse un peu écrasée sur l’encolure, il dirige sans baguette avec des gestes d’une pureté vraiment lumineuse, non pas en pétrisseur de glaise, mais avec une sorte de perfection, comme un vol d’oiseau dans ses vastes mouvements planants ou ses plus fines arabesques. Les doigts sont expressifs comme dans une étude de Durer ou de Léonard, et tantôt s’écartent en dégradé, le pouce et l’index se touchant en forme d’anneau, tantôt se rassemblant, la main très droite, coupante à la verticale, ou bien à l’horizontale pacifiante et protectrice.

En tout cela, pas l’ombre de contorsion, de cabotinage ou de recherche de l’effet ; c’est la beauté ferme du geste parfaitement harmonisé à sa fonction. La magie de l’art de Boulez est une poésie de l’exactitude, informée par une science extrême et une extrême sensibilité, où la subtilité et la force de la polyrythmie, les progressions et les ruptures dynamiques, et au suprême degré l’équilibre et le mélange des timbres, se recomposent comme par miracle dans une vision tantôt apollinienne, tantôt dionysiaque, et toujours vivante. »

Tel était Pierre Boulez un homme avec une autorité et une personnalité hors norme.

Un extraordinaire interprète de Stravinsky, de Bartok, de la nouvelle école de Vienne, de Debussy, de Ravel et aussi de Wagner et de Mahler.

Mais comme Gustav Mahler, ce n’est pas cet aspect de son art qui lui était le plus cher.

Lui se vivait, avant tout, comme compositeur, un compositeur à la pointe de la modernité. L’exergue du mot du jour est cité par <Par le site de France Culture>

Il était né à Monbrison à 40 km de Saint Etienne et à 100 km de Lyon.

Il était entré en mathématiques supérieures aux Lazaristes de Lyon, mais avait rapidement quitté cette voie pour aller apprendre la musique à Paris. Et dans la musique qu’il a défendu et créé, les mathématiques n’étaient jamais très loin.

Il a été dans un courant musical dont il est devenu le chef de file. Pour ces compositeurs, les mathématiques, l’intellect, les expériences sonores étaient premiers.

Et ces gens-là, dont Boulez considéraient que tous ceux qui n’étaient pas dans cette réflexion et dans cette recherche étaient dans l’erreur.

Ainsi Boulez n’a jamais interprété ni dit des choses positives sur les deux compositeurs que je considère comme les plus grands du XXème siècle à savoir Benjamin Britten et Dimitri Chostakovitch.

Par exemple en 1989, Pierre Boulez déclarait (dans des propos recueillis par la revue Diapason) :

« Quant à Chostakovitch, l’ombre de Mahler pèse lourdement sur lui, ce qui n’arrange rien. Je ne pense pas du tout qu’il y ait actuellement nécessité d’un retour vers la tonalité. Faire du pseudo-Mahler, est-ce bien nécessaire ? Ce qui est fait et bien fait, pourquoi le refaire dans l’inactualité et l’amoindrissement ? ».

Et même la musique de son maître Messiaen ne trouvait pas grâce à ses oreilles, il a traité sa TurangalîlaSymphonie (1946-1948) de « musique de bordel ».

Messiaen qui était un homme plus bienveillant a dit de lui :

« Lorsqu’il entra dans la classe pour la première fois, il était très gentil. Mais il devint bientôt en colère contre le monde entier. »

Il détestait aussi le compositeur André Jolivet, <Jacques Drillon rapporte> que son ire débordait même sur la femme de ce compositeur à qui il a dit :

« Madame, avec un chapeau comme le vôtre, on ne parle pas, on pète. »

Le même Drillon raconte aussi son humour : ainsi le percussionniste de son ensemble, arrivé en retard à la répétition parce qu’il ne s’était pas réveillé, donne son premier coup de timbale, et crève la peau de l’instrument. Boulez :

« Si je comprends bien, toi, tu n’as pas le sommeil réparateur ! »

Il avait synthétisé son attitude en affirmant : «préférer une bonne polémique avec les épées et les sabres qu’une espèce de politesse de convenance»

C’était ainsi un polémiste qui pouvait traiter les autres avec un souverain mépris, ce qui lui a créé bien des inimitiés.

André Malraux a nommé directeur de la musique Marcel Landowski, alors que Pierre Boulez considérait que ce poste lui revenait de droit.

Mais il ne faut pas s’arrêter à cet aspect de sa personnalité qui je pense s’était beaucoup adouci avec l’âge qui n’est pas toujours un naufrage.

C’était aussi un homme très intelligent, d’une très grande culture, un pédagogue et un bâtisseur.

Il a créé l’IRCAM, l’ensemble intercontemporain et c’est grâce à son impulsion que la cité de la musique et il y a peu de temps la Philharmonie de Paris ont été bâtis.

Selon de nombreux témoignages, il savait être très bienveillant et disponible pour tous ceux qui acceptaient d’entrer dans son monde.

C’était aussi un perfectionniste qui plutôt que de multiplier les œuvres, revenait sans cesse sur celle qu’il avait déjà écrite pour les modifier et les approfondir.

Comme j’étais en congé, j’ai écouté la musique de Boulez, je n’en avais jamais écouté autant.

Et finalement on peut y trouver du plaisir.

J’ai particulièrement aimé une œuvre assez courte (8mn) pour 7 violoncelles « Messagesquisse » dont vous trouverez une interprétation étonnante <ICI>.

Et puis <Vous trouverez enregistré à la Philharmonie de Paris le 11 juin 2015 et joué par l’Ensemble intercontemporain une de ses œuvres majeures REPONS>

Au premier rang se trouve la lumineuse flûtiste Emmanuelle Ophèle qui fut notre voisine lorsque nous habitions Montreuil sous-bois. Alors que je lui concédais mon peu de goût pour la musique de Boulez et de ses épigones, elle me répétait ce conseil :

« Alain, il faut que tu viennes nous écouter en live, l’expérience est alors complètement différente ».

Je n’ai pas suivi ce conseil, aujourd’hui je le regrette.

Quoi qu’il en soit Pierre Boulez restera un musicien et une référence incontournable de la musique même si la voie qu’il a creusée a peut-être mené vers une impasse.

<Pour finir je vous donne ce lien vers le final de l’Oiseau de feu avec la Philharmonie de Vienne où vous admirerez la gestuelle sobre et d’une précision absolue du maître qui dirigeait toujours sans baguette>

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Lundi 30 novembre 2015

« Enterrer les morts et réparer les vivants. »
Anton Tchekov – Platonov

Le président de la république, lors de son discours, aux invalides en hommage aux victimes du 13 novembre, a eu cette phrase :

« Nous rassemblerons nos forces pour apaiser les douleurs et après avoir enterré les morts, il nous reviendra de réparer les vivants ».

Cette formule « réparer les vivants » a, dans un premier temps, évoqué un ouvrage récent de Maylis de Kerangal qui retrace le parcours du cœur d’un jeune homme décédé le matin dans un accident de voiture, cœur qui sera transplanté dans la journée.

Le sujet principal du livre étant « le cœur » qui va du mort au vivant.

Mais l’origine de cette phrase se trouve dans une pièce de théâtre d’Anton Tchekhov « Platonov » qu’il a écrit à l’âge de 18 ans et qui n’a jamais été joué de son vivant. Wikipedia nous apprend que cette pièce a été retrouvée en 1921, alors qu’il était mort depuis 17 ans.

C’est une réponse à une question :

« Que faire Nicolas ? »

Et la réplique :

« Enterrer les morts et réparer les vivants. ».

C’est le chemin que doit emprunter toute personne qui est dans le deuil, qu’il s’agisse d’un deuil personnel intime de sa mère, de son père, de l’être aimé ou pire d’un enfant.

C’est bien sûr aussi ce qu’il faut faire quand une collectivité, comme la nôtre, est frappée par le deuil. François Hollande a su le dire.

Et il a fini son hommage par une autre phrase qui fait écho à l’Histoire. Lors de son fabuleux discours pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin, André Malraux avait lancé :

« Jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n’avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France…».

Aux Invalides, la conclusion de François Hollande

« Malgré les larmes, cette génération est aujourd’hui devenue le visage de la France. »

Ce fut, en effet un discours de qualité, j’ai été ému.

Mais, il n’en reste pas moins que François Hollande, n’est pas un orateur du niveau d’André Malraux ni même plus récemment de François Mitterrand. Il y a la voix, le ton, les hésitations qui ont été cependant moins fréquentes lors de ce discours.

Mais j’ai compris quelque chose, grâce à ce discours, qui fut son meilleur. Il abuse souvent de la répétition.

Il commence par une belle introduction :

« C’est parce qu’ils étaient la vie qu’ils ont été tués. C’est parce qu’ils étaient la France qu’ils ont été abattus. C’est parce qu’ils étaient la liberté qu’ils ont été massacrés. »

Dans cette accumulation, il ne se répète pas, chaque phrase dit autre chose de la même réalité. En cela, il y a un crescendo qui révèle de la force dans le discours.

Mais quand il dit :

« C’est cette harmonie qu’ils voulaient casser, briser ». Briser n’apporte rien à casser et réciproquement.

Plus loin il dit :

« Que veulent les terroristes ? Nous diviser, nous opposer, nous jeter les uns contre les autres. »

Dans ces deux cas il aurait été beaucoup plus fort de dire simplement « C’est cette harmonie qu’ils voulaient briser » et « Les terroristes veulent nous jeter les uns contre les autres. »

C’est parce que ce discours était très bon et émouvant que j’ai pu comprendre cela.

Il s’agit de sa marque de fabrique, l’utilisation de plusieurs termes pour dire la même chose. J’interprète cela comme la révélation que cet homme ne sait pas choisir. Il ne sait pas décider, aller à l’essentiel, sélectionner le meilleur mot entre « casser » et « briser », alors il prend les deux.

Vous allez me répondre, mais comme chef de guerre, il sait décider !

Peut-être.

Mais sommes-nous vraiment en guerre ?

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Lundi 23 novembre 2015

«Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»
François Morel

Le mot du jour d’aujourd’hui est la conclusion de l’appel, du cri, de la harangue que François Morel a lancé lors de son billet hebdomadaire du vendredi, le 20 novembre :

«Ne renoncez à rien !

Surtout pas au théâtre, aux terrasses de café, à la musique, à l’amitié, au vin rouge, aux feuilles de menthe et aux citrons verts dans les mojitos, aux promenades dans Paris, aux boutiques, aux illuminations de Noël, aux marronniers du boulevard Arago, aux librairies, aux cinémas, aux gâteaux d’anniversaire.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas au Chablis, surtout pas au Reuilly, surtout pas à l’esprit. Ne renoncez à rien ! Ni aux ponts de Paris, ni à la Tour Eiffel, ni Place de la République à la statue de Marianne […].

Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux titis, surtout pas à Bercy.

Ne renoncez à rien !

Ni à Gavroche, ni à Voltaire, ni à Rousseau, ni aux oiseaux, ni aux ruisseaux, ni à Nanterre, ni à Hugo.

Ne renoncez à rien !

Ni aux soleils couchants, ni aux collines désertes, ni aux forêts profondes, ni aux chansons de Barbara, ni à la foule des grands jours, ni à l’affluence des jours de fête, au Baiser de l’Hôtel de Ville, aux étreintes sous les portes cochères, ni aux enfants qui jouent sur les trottoirs, ni aux cyclistes, ni aux cavistes, ni aux pianistes.

Ne renoncez à rien !

Surtout pas aux envies, surtout pas aux lubies, surtout pas aux folies, ni aux masques, ni aux plumes, ni aux frasques, ni aux prunes, ni aux fiasques, ni aux brunes, ni aux écrivains, ni aux éclats de voix, ni aux éclats de rires, ni aux engueulades, ni aux files d’attente, ni aux salles clairsemées, ni aux filles dévêtues, ni aux garçons poilus, ni à la révolte, ni à la joie d’être ensemble, ni au bonheur de partager, au plaisir d’aimer, ni à la légèreté, ni à l’insouciance, ni à la jeunesse, ni à la liberté.

Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien ! Ne renoncez à rien !

Surtout pas à Paris, surtout pas aux amis, surtout pas à la vie.»

On peut le lire, mais il faut surtout l’écouter : http://www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-francois-morel-ne-renoncer-a-rien

En fond sonore du billet de François Morel vous entendez la romance sans parole opus 67 N° 4 appelée « la fileuse » de Mendelssohn

Oui ne renonçons à rien !

Certes il faut se défendre avec tous les moyens dont dispose l’Etat de droit et avec les services de sécurité et de renseignement.

Certes, chacun de nous peut être atteint par un attentat de ces criminels aimant la mort, autant que nous la vie.

Mais en ayant conscience que le risque pour chacun est d’une probabilité très faible. En comparaison, nous prenons un risque beaucoup plus élevé en montant dans une voiture et pourtant nous le faisons.

Donc, oui ne renonçons à rien ! C’est leur défaite et notre victoire !

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Vendredi, le 06/11/2015

Vendredi, le 06/11/2015
«  je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des « voilées ». Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Une maman de Chatou qui cherche une baby Sitter à une fille voilée qui postule pour ce travail Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 197 à 200, 8 juillet 2013
Le texte de l’annonce disait : «Urgent : maman parfaite mais surbookée cherche garde pour ses deux p’tits loups pendant l’été. Prolongation possible si atomes crochus.» L’adresse est à Chatou et, avant même d’être arrivée, Rim a averti les deux copines qui l’accompagnent : «C’est un coin perdu avec que des Français. » Dans le RER, on devise paisiblement des nouveaux parfums de glace chez
Haagen-Dazs et d’un DVD de Gad Elmaleh.
Il est convenu que les copines attendent devant la résidence, pendant que Rim se présente au rendez-vous. Quand elle ouvre, la « maman-parfaite-mais-surbookée» pousse un cri : « Mon Dieu !» Elle recule de deux pas.
«Je vous avais prévenue au téléphone que je portais le foulard, soupire Rim.
– Je n’avais pas réalisé. Je croyais que c’était juste un petit bandana.»
Sabrina est vêtue d’un jilbeb, robe noire tout en drapé tombant jusqu’au sol, manches longues et voile marron qui ne laisse voir que l’ovale du visage. Elle l’a acheté 37 euros dans son magasin préféré au métro Couronnes.
« Je suis opé tout de suite », poursuit Rim, comme si de rien n’était. La maman parfaite tente de reprendre ses esprits : «C’est-à-dire ?»
« Opérationnelle. Je ne fume pas, je ne bois pas, je travaille pendant les congés des Français, Noël, le 14-Juillet, et même le dimanche si vous voulez. »
La maman surbookée est déjà en train de rabattre la porte : « Je suis confuse, mais je n’assume pas par rapport aux voisines. »
En bas, les trois copines n’ont pas l’air surpris. Elles sont en jilbeb, elles aussi. Rim a été la première à le porter, il y a quatre ans. « Pas de ça à la maison ! », s’est fâché son père. Il l’a prévenue qu’il ne sortirait plus avec elle dans la rue. « On va croire que c’est moi qui t’oblige. D’ailleurs, ils le disent à la télé, c’est contre la liberté de la femme. Pourquoi il a fallu que ça m’arrive à moi ? »[…]
Elle était encore en terminale à l’époque où elle l’a mis, le genre bonne élève qui en veut. Le proviseur l’avait d’abord exclue, puis convoquée pour un compromis : les robes longues, d’accord, mais achetées dans les magasins style H & M. Et pas de foulard. Sa mère pleurait à côté d’elle à l’entretien. « On a voulu lui donner toutes les chances, celles qu’on n’a pas eues nous-mêmes. Et voilà, elle se bloque toute seule. »[…]
Les copines remontent jusqu’aux Champs-Elysées, temps gris et déprimant. «Il était bien payé, en plus, ce boulot à Chatou », râle Sabrina. Fatoumata boude, elle voudrait rentrer dans le quartier, vers La Courneuve. « Là-bas, on est tranquilles, on n’est pas obligées de se promener à trois pour se donner du courage. »
Le portable de Rim sonne. Dans l’appareil, une voix dit : « Vous ne pouvez pas l’enlever, rien que pour l’été ? » C’est la «maman-parfaite-mais-surbookée».
«Imaginez que je le retire…, lance Rim, en raccrochant.
– Je te tue», rigole Fatoumata.
[…] Sabrina devient nostalgique. Elle y buvait des coups quand elle travaillait dans le quartier, assistante de direction. Aujourd’hui, elle rêve encore de ce boulot, de la vie qu’elle s’était créée, aller à droite à gauche, faire les magasins, rigoler. A la fois, elle avait toujours cette impression de devoir jouer un rôle. La religion avait commencé à la travailler, mettre le foulard aussi. Elle s’est lancée, c’était un lundi matin, elle s’en souvient.
A l’entrée de la boîte, on ne veut pas lui ouvrir. Elle répète dans l’Interphone : «Je suis salariée.» Elle entend répondre la standardiste, avec qui elle déjeune tous les jours : «Madame, il n’y a personne comme vous ici.» Elle donne les numéros de postes de sa hiérarchie, arrive à l’accueil, où elle est à nouveau bloquée. «Je ne peux pas prendre seule la responsabilité de vous laisser entrer. Il faut qu’un chef vienne voir.» La directrice du personnel arrive, Sabrina remonte avec elle le long couloir vitré. Dans les bureaux, les gens s’arrêtent de travailler pour la regarder passer, bouche bée.
Elle veut hurler : « C’est moi Sabrina. J’ai mis un voile, mais je suis toujours la même ! » Pas un son ne sort et, en même temps, elle sent monter en elle une sensation intense et inconnue, celle d’être devenue extralucide et de voir pour la première fois les gens « en vrai », avec tout ce qu’ils pensaient d’elle sans oser le lui dire. Elle aperçoit Georges, son boss au bout du couloir. Se croit sauvée : elle a toujours été sa chouchou. Il dit : «Je ne te voyais pas comme ça. » Elle le déçoit, elle le sent, et c’est ce qui lui fait le plus mal. Le lendemain, elle envoie sa démission.
 
Fatoumata commande un deuxième Coca light. « Pour nous, il n’y a que des boulots de garde d’enfants. » Sabrina est partie se remaquiller. Le téléphone de Rim sonne à nouveau. « Ecoutez, je vais vous prendre. Depuis ce matin, je n’ai vu défiler que des « voilées ». Finalement, vous êtes la moins pire ! »
Ainsi se termine les 5 reportages que j’ai choisis arbitrairement dans ce livre où Florence Aubenas raconte simplement les gens, en ne jugeant pas et plutôt avec bienveillance.
Il y a les dogmes, des théories, de grandes évolutions économiques, des indicateurs, des politiques ou des non politiques (laisser faire) économiques et puis il y a les gens qui n’ont pas les clés, qui ont peut être fait des mauvais choix, mais qui pour la plupart sont surtout nés au mauvais endroit, au mauvais moment et dans un milieu qui n’a pas les clés, pas les réseaux. Pourtant la plupart de ces personnes ne se plaignent pas, elles cherchent à s’en sortir, comme elles peuvent…

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Jeudi, le 05/11/2015

Jeudi, le 05/11/2015
« un pays de gosses qui font des gosses »
Florence Aubenas
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 225 à 228, 17 février 2014
 Sa première visite dans les bourgades de la Thiérache l’a sidéré, « un choc visuel », dit-il. Pourtant, Franck Audin est né ici, ou pas très loin, à Saint-Quentin, 40 km vers le Nord. Il a voyagé aussi, des missions humanitaires dans des contrées déchirées. Pourtant, dans ces rues de brique et d’ardoise, il ne parvient pas à détourner les yeux de ces filles, si jeunes, si nombreuses, la sortie de l’école, croirait-on, si chacune ne poussait un landau avec un bébé : la traversée d’un pays de gosses qui font des gosses. Bien sûr, Audin a la sale impression de basculer dans la caricature, lui qui fédère les centres sociaux de l’Aisne.
Déjà, la région de la Thiérache, collée à la frontière belge, se remet à peine d’avoir été baptisée « Chômeurland », avec ses 17,9 % de sans-emploi. Et voilà les « grossesses précoces », comme disent les institutions, deux fois plus nombreuses qu’ailleurs. Au début, on parlait de « problème ».
On évite maintenant. « Problème pour qui ? La plupart de ces jeunes filles disent désirer avoir un enfant », explique Véronique Thuez, infirmière et conseillère au rectorat d’Amiens.
[…] En fait, elles étaient quatre au collège à accoucher cette année-là. Les autres ont abandonné l’école. « De toute façon, un diplôme, ça ne veut plus rien dire », proteste une autre, deux couettes nouées haut sur la tête, comme sa toute petite fille. Sa voisine hausse les épaules : « Même les patrons n’en veulent plus, d’un CAP : on serait trop cher payées. »[…]
A la protection maternelle et infantile, Mademoiselle Couettes, 17 ans, a pris de haut les questions au sujet du père : « On a droit à sa vie privée, comme les stars, pas vrai ? » Elle compte vivre « en famille ». Avec le papa ?
Ça rigole franchement par-dessus les frites. Non, Mademoiselle Couette veut dire « vivre avec [ses] parents à [elle] »
[…]
« A une époque, les filles comme nous devaient se cacher, la honte », reprend la brune au tatouage. Les autres écarquillent les yeux. « Aujourd’hui, c’est l’inverse : on compte pour quelque chose quand on a un enfant. » Elle a été étonnée de toucher de l’argent pour sa fille. « Je savais qu’on en recevait, mais pas autant. » Ce n’est pas la fortune, bien sûr, mais une « sécurité ». « L’avenir », s’enflamme sa voisine, remuant les draps de son fils comme on tisonne. « Un enfant, c’est déjà ça, toujours quelque chose qu’on a », dit-elle […]

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Mercredi, le 04/11/2015

Mercredi, le 04/11/2015
« C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts.»
Une employée de l’office d’HLM à une locataire qui se présente avec des loyers impayés
Dans « En France  » de Florence Aubenas, pages 42 à 45, 20 mai 2013
[…], pour les loyers impayés de son T3, Cassandra s’est résolue à aller à l’office HLM, « comme tout le monde ». Bouboulette l’accompagne. Depuis qu’il a pu s’offrir le permis de conduire, on le croirait promu nouveau chef de toute la famille. L’événement a été fêté, presque autant que son diplôme d’instituteur l’an dernier.
A l’office HLM, une brune enjouée avec un chignon les reçoit sous des photos de la région, la Normandie pittoresque […]
Cassandra en vient au but. Elle n’arrive plus à payer son loyer.
« On va regarder ensemble votre budget », reprend l’employée en souriant.
Cassandra commence par le « poste numéro un », les factures, « qu’on est obligé de payer, sinon ils vous coupent tout de suite » : le téléphone portable et Internet. « Sans ça, on est mort : surtout mon mari, en recherche d’emploi. » Il était commercial et « bricole dans l’informatique en attendant mieux ».
Autrement dit, il achète des sacs imitation Vuitton en Chine sur le Net et les revend en France sur le site Le Bon Coin. « Au black », précise Cassandra. Elle n’y voit aucun mal, au contraire. « Vous préféreriez qu’il ne fasse rien ? On a un fils. »
Ensuite, vient le remboursement de trois crédits à la consommation pour un frigo, un scooter d’occasion et un home-cinéma (« On doit bien se faire plaisir parfois », glisse Bouboulette, qui prend des notes). Là aussi, il faut payer, et très vite. Les boîtes de crédit ne lâchent jamais. Ils vous mettent des pénalités féroces. Ils scotchent des autocollants humiliants sur votre boîte aux lettres. Ils vous harcèlent devant l’école ou au boulot. Ils vous attaquent au tribunal. C’est l’obligation numéro deux.
[…] Après seulement, en troisième position, arrive la nourriture, surtout par la carte de crédit de l’hypermarché local. Cassandra l’a obtenue sans difficulté : elle y travaille le week-end et en nocturne. « Je fais des affaires, la baguette coûte 35 centimes, il n’y a plus personne chez le boulanger où elle est à 80. »
[…]  « Pour le reste, je vous mentirais en disant que je n’ai pas de dettes. » Le gaz et l’électricité, par exemple. « Mais là, ils comprennent. Ils patientent, pas comme les organismes de crédit. » Et pas comme les opérateurs de téléphonie, non plus.  » Le public, quand même, c’est politique, analyse Bouboulette. L’Etat ne peut pas se permettre de couper et de laisser des familles normales sans courant. »
Et pour les loyers de l’appartement ? Cassandra devient toute rouge. Elle risque : « C’est pareil, non ? On ne met pas dehors les gens comme nous ? »
L’employée la coupe, toujours souriante : « C’est vrai, on est le dernier crédit sans intérêts. »
Et soudain, Bouboulette et Cassandra pensent à leurs parents, pour qui le toit et la lumière étaient sacrés, les priorités à honorer par-dessus tout, pour les enfants et les voisins. Tout s’est inversé, cul par-dessus tête.

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