Jeudi 3 mars 2016

Jeudi 3 mars 2016
« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»
Zygmunt Bauman

Zygmunt Bauman est un sociologue remarquable auquel je n’ai pas encore consacré de mot du jour, alors que j’y pense depuis longtemps notamment en raison du concept fécond de « société liquide » qu’il a inventé.

Il est né à Poznań en Pologne le 19 novembre 1925 et possède la double nationalité britannique et polonaise.

Il a écrit récemment un article dans « El Pais », le grand journal espagnol, qui a pour titre : «les réseaux sociaux sont un piège»

Il écrit notamment :

« La question de l’identité a été transformée, d’un élément donné c’est devenu une tâche : vous devez créer votre propre communauté.

Mais une communauté est créée de fait, vous l’avez ou pas ; ce que les réseaux sociaux peuvent créer est un substitut. La différence entre la communauté et le réseau est que vous appartenez à la communauté, mais le réseau vous appartient à vous.

Vous pouvez ajouter des amis et vous pouvez les supprimer, vous contrôlez les personnes avec qui vous êtes en lien. […] Mais sur les réseaux c’est si facile d’ajouter ou de supprimer des amis que vous n’avez pas besoin de compétences sociales, celles que vous développez lorsque vous êtes dans la rue, ou allez au boulot etc., et rencontrez des gens avec qui vous devez avoir une interaction raisonnable. Là, vous avez à faire face aux difficultés liées à un dialogue.

Le Pape François a choisi de donner sa première interview à Eugenio Scalfari, un journaliste italien qui se revendique publiquement athée. C’était un signal : le dialogue réel ce n’est pas de parler avec des gens qui pensent comme vous. Les réseaux sociaux n’apprennent pas à dialoguer, car il est si facile d’éviter la controverse…

Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux non pas pour unir, non pas pour élargir leurs horizons, mais au contraire pour s’enfermer dans ce que j’appelle une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

Les réseaux sont très utiles, rendent des services très agréables, mais sont un piège. »

Ce que Bauman décrit se comprend parfaitement pour le F des GAFA : Facebook. Au départ Facebook c’est la communauté de mes amis. A priori, il n’est que prévu de dire qu’on aime, les fameux « like ». Il n’est pas prévu de dire qu’on n’est pas d’accord. Tout ceci illustre parfaitement le propos de Bauman, mais Facebook va encore plus loin, car il trie aussi les informations que publient « mes amis ».

Dans un mot du jour précédent, je vous ai parlé de Yann Le Cun, le génie de l’intelligence artificielle qui travaille chez facebook.  Et Le Cun explique que facebook a besoin de l’intelligence artificielle pour trier les informations pertinentes pour chaque utilisateur, sinon il serait noyé sous les informations. Bref, Facebook apporte à chaque utilisateur les informations qu’il pense intéressant pour lui et avec lesquelles il sera en phase. Non seulement on y rencontre que des amis, mais en plus on évite la controverse.

Et ceci m’amène à évoquer les moteurs de recherche et particulièrement Google. Mais comment faisait-on  avant Google pour trouver une information sur Internet ?

Au départ les informaticiens étaient influencés par leur culture papier et la logique du classement des bibliothèques

Pour trouver un livre on devait aller dans la bonne salle, dans la bonne rangée d’armoire pour finalement arriver au bon endroit.

Alors sur Internet ils avaient inventé des portails ou annuaires où il fallait désigner le domaine dans lequel on cherchait et puis de proche en proche on arrivait à trouver quelque chose.

Avant Google, il y avait Multimania, Geocities, AOL, LYCOS et Alta Vista (littéralement « vue haute » en espagnol). Alta Vista fut mis en ligne à l’adresse web altavista.digital.com en décembre 1995 et développé par des chercheurs de Digital Equipment Corporation. Il fut le plus important moteur de recherche textuelle utilisé avant l’arrivée de Google qui le détrôna.

Google arriva en 1998. Et ce fut une innovation disruptive : On pose une question à Google et Google va trouver les réponses à cette question et les restitue.

On n’est plus dans la culture papier on bascule dans la culture numérique.

En outre Google trouva le graal économique : faire de gigantesques profits avec un service gratuit.

Avouons-le ! Google est génial.

Derrière tout cela il y a de l’intelligence artificielle et évidemment des immenses bases de données où des milliards de pages internet sont indexées, ainsi qu’une puissance de traitement phénoménale.

Si vous voulez en savoir plus et améliorez vos recherches, vous pouvez aller voir cette page : https://support.google.com/websearch/answer/134479?hl=fr

Tout cela est particulièrement utile et positif. Mais, ce serait une erreur que de croire que Google vous montre l’internet tel qu’il est, de manière neutre.

Grâce à Wikipedia on en sait un peu plus sur le moteur de recherche Google.  Ainsi, on apprend que Les requêtes sont limitées à 32 mots. Seuls les 1 000 premiers résultats pertinents pour une requête sont accessibles, et ce même si les correspondances sont plus nombreuses. D’après Google, obtenir plus de 1 000 résultats entraînerait une lourde charge supplémentaire pour une demande finalement assez rare.

1000 résultats sauf si Google considère qu’il y a moins de résultats à la requête. Mille c’est énorme ! totalement disproportionné par rapport à nos capacités humaines.

Ce qui est essentiel c’est les premiers. En règle générale, l’internaute reste sur la première page de réponse, il semble même qu’il ne s’intéresse qu’aux toutes premières réponses.

Ce qui est essentiel, c’est le tri qu’opère Google.

En théorie, le tri assure que les références les plus utiles sont en premier. L’auteur de l’article de Wikipedia ajoute : «difficile à valider.»

Mis à part les ingénieurs de Google et encore je suppose qu’il ne s’agit que d’un petit nombre d’entre eux, personne ne sait comment fonctionne précisément l’algorithme de recherche et de tri.

On pourrait craindre que comme big brother, Google veut nous montrer le monde à sa façon. Comme le dit le poème d’Aragon :

« Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines. »

Eh bien, il semblerait que ce n’est pas comme cela que cela se passe.

Ce serait plutôt : « et je vois le monde à ma façon »

Et je me retrouve avec mes semblables, avec celles et ceux qui pensent comme moi !

J’ai lu sous la plume d’un journaliste : L’algorithme, selon de nombreux facteurs pas tous connus, choisit les meilleurs sites, puis, dans une proportion de 20 % environ, les personnalise selon le profil de la personne qui a fait la recherche.

Tout ceci est merveilleux, mais manque singulièrement d’altérité et de contradiction.

Car c’est la contradiction qui nous rend intelligent, soit parce qu’elle permet de nous affermir dans nos convictions, soit parce qu’elle nous permet de changer d’avis.

Un monde où, le djihadiste ne discute qu’avec les djihadistes, le catholique avec les catholiques, le gauchiste avec les gauchistes est un monde stérile, je veux dire un monde qui ne progresse pas.

Il y a une solution dans Google, ne restez pas sur la première page, allez voir les suivantes. Ou encore, utilisez aussi d’autres moteurs de recherche …

En tout cas, ces remarquables outils ne nous montrent pas un internet neutre ou tel qu’il peut se développer dans sa complexité des contenus, c’est cela que je voulais partager avec vous : un monde où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

A propos : le nom Google vient du mot Gogol, nom donné au nombre . Ce nombre a été choisi pour évoquer la capacité de Google à traiter une très grande quantité de données.

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Mercredi 24 Juin 2015

«Après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. »
Olivier Ertzschied, enseignant chercheur

Xavier de La Porte nous apprend qu’« A partir du mois juillet, Amazon rétribuera ses auteurs (c’est-à-dire ceux qui ne passent pas par une maison d’édition mais s’autopublient en ligne sur le site) à la page lue.»

Olivier Ertzschied, sur son blog Affordance, envisage les implications de cette évolution, qui touchent aussi bien un modèle économique (celui de l’édition classique) que l’écriture (si on est payé à la page lue, autant faire en sorte que le lecteur ait envie de la tourner).

J’ai trouvé ce développement sur Rue89 : <Amazon : ce qu’implique le paiement des auteurs à la page lue>

« Imaginez un monde dans lequel les auteurs (tous les auteurs : BD, romans, polars, science, essais, etc.) seraient rémunérés non plus de manière forfaitaire en fonction du nombre de ventes mais en fonction du nombre de pages lues. Ou plus exactement, toucheraient une micro-rémunération à chaque fois qu’un lecteur lirait une des pages de leur œuvre. […] »

Amazon, qui, dans le cadre de la lecture numérique sur sa tablette Kindle, dispose d’une volumétrie de données considérable et considérablement détaillée sur notre activité de « lecteur », souhaite mettre en place le modèle disruptif suivant :

« Plutôt que de payer les auteurs pour chaque livre, Amazon commencera bientôt à payer les auteurs en fonction du nombre de pages lues – non pas en fonction du nombre de pages téléchargées mais du nombre de pages affichées à l’écran suffisamment longtemps pour pouvoir supposer avoir été lues. »

L’impact sur la littérature même pourrait être considérable comme le souligne l’article de The Atlantic :

« Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d’écriture : un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les « cliffhangers » et le suspense au-dessus de tous les autres « genres ». Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés » (« hooked »), même si cela se fait au détriment de l’emphase, de la nuance et de la complexité. »

Pour l’instant – et on comprend bien pourquoi –, ce type de rémunération ne s’appliquera qu’aux auteurs « auto-édités » par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing. Et de jouer sur la corde incitative pour amener de plus en plus d’auteurs à se séparer de maisons d’édition « classiques » au profit d’une contractualisation directe avec Amazon. Classique et éternel (à l’échelle du numérique en tout cas) processus de désintermédiation. […]

Mais plus que cela, Amazon ouvre ici une boîte de Pandore dans laquelle il serait très étonnant que Google (avec l’écosystème Google Books) et Apple (avec iTunes) ne tentent pas à leur tour de s’engouffrer. […]

En ne payant plus les auteurs en fonction du nombre de pages écrites mais du nombre de pages lues, et les algorithmes et autres DRM et dispositifs propriétaires (d’Amazon) étant les seuls à pouvoir disposer des outils de mesure permettant ce fonctionnement, les auteurs se trouvent à leur tour en situation de travailler « pour » les algorithmes, à la manière de journaliers guettant la notification sur smartphone du nombre de pages lues de leurs ouvrages chaque jour. […]

La question est de savoir ce que deviennent les auteurs de ces livres avec un modèle de rémunération à la page lue, comment ils s’adapteront et adapteront leur production littéraire à ce nouveau modèle, tout autant porteur de nouvelles opportunités que de risques considérables. La question est aussi de savoir de quel nouveau sentiment de toute puissance – ou de culpabilité – se sentira investi le lecteur dans le cadre d’un système de rémunération à la page des auteurs, se trouvant pris dans les rets d’un nouveau « petit actionnariat » de la lecture. […]

Une chose est sûre, après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. […]

Le modèle de rémunération des auteurs à la page lue transforme l’activité de lecture pour en faire un « indicateur », une « variable » permettant toutes les spéculations mais aussi tous les détournements.

Après avoir cassé ce droit fondamental qui est celui de la confidentialité de l’acte de lecture, Amazon s’apprête désormais à le monétiser. Pop économie et salariat algorithmique. Et toujours ces secteurs – celui de la langue –, toujours ces moments – celui de la lecture – que l’on pensait préservés de la sphère marchande et qui s’y trouvent systématiquement soumis et aliénés. Plus aucun espace-temps, pas même celui du jeu, qui ne fonctionne comme un système de remise à la tâche, qui ne soit un cheval de Troie marketing ou un salariat algorithmique à peine masqué.

<Ici un article publié sur le Monde sur ce sujet>

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Jeudi 30 avril 2015

«Une Américaine a récemment convoqué son mari à une audience relative à leur divorce par Facebook.
[…] il y a fort à parier qu’une telle modernisation mettra [en France] un certain temps.»
Stella Bisseuil
Pour finir la semaine, un mot du jour un peu plus léger que les précédents.
Le progrès fait rage et le futur ne manque pas d’avenir disait Philippe Meyer.
Parmi les peuples les plus modernes, les états-uniens inventeurs du chewing gum, du coca cola et du hamburger.
Voici les faits : Ne disposant pas de son adresse postale, l’épouse n’avait pas d’autres solutions de contacter son mari que d’utiliser la messagerie facebook. La justice américaine a reconnu la conformité de cette convocation.
En principe, les convocations en justice, même outre-Atlantique, doivent respecter un certain formalisme, car les conséquences peuvent être graves.
Mais ici, le mari n’avait aucune adresse officielle et n’était pas joignable sauf… via les réseaux sociaux. Un message Facebook portant à sa connaissance ladite convocation a été jugé valable, et la procédure en divorce a pu se dérouler normalement. Les juges américains ont ainsi fait preuve d’un certain pragmatisme.
S’il existe des lois relatives aux conditions de forme des convocations en justice, c’est pour s’assurer que le justiciable a bien été informé de la procédure engagée à son encontre. Mais si un compte Facebook le permet, le but est atteint ! Bien sûr, on peut supposer que, dans ce cas, le juge a pu vérifier que le mari en question avait bien lu le message, ce qui ne semble possible que s’il y a apporté une réponse, s’il l’a commenté ou si l’accusé de réception « Vu » a été apposé à la fin du message.
Serait-ce possible en France ? est la question que se pose Stella Bisseuil, avocate.
«Nous ne faisons pas preuve du même pragmatisme que les anglo-saxons. Nous sommes un pays de droit écrit, et les lois peuvent être modifiées par le Parlement ou le gouvernement. Nos textes actuels prévoient que les convocations en justice doivent être faites, selon les cas, par lettre recommandée ou citation d’huissier, ce qui suppose bien sûr que l’on connaisse l’adresse de son adversaire…
Dans les autres cas, il faudrait pouvoir utiliser les réseaux sociaux, qui, souvent, restent actifs même quand les personnes n’ont plus de domicile connu. Mais nos textes actuels ne le prévoient pas …
[…]
Mais, il suffit de voir le sort réservé aux préconisations pratiques que font chaque année les plus hauts magistrats (notamment dans les rapports annuels de la Cour de cassation et du Conseil d’État – comme la cour des Comptes dans d’autres domaines) sur des questions de ce type, des textes à moderniser, ou à rendre compatibles ou cohérents les uns avec les autres… pour vérifier, chaque fois, qu’aucune d’entre elles pratiquement n’est suivie d’effet. Alors si la haute magistrature n’est pas écoutée par le gouvernement, les justiciables ne le seront certainement pas plus.
Ainsi, il y a fort à parier qu’une telle modernisation mettra chez nous… un certain temps.»
Bref, la modernité reste un combat en France
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Mardi 10 février 2015

« La nomophobie »
Phobie des temps modernes

La « nomophobie » contraction de l’expression anglaise « no mobile phobia » est constituée par la peur panique de se retrouver sans téléphone portable.

Après la réflexion sur l’informatique (mot du jour du 4 février), puis sur l’intelligence artificielle (mot du jour du 5 février), voici une réflexion sur un autre outil particulièrement prégnant dans notre quotidien.

Pendant un déjeuner avec une amie, Russell Clayton, doctorant à l’université du Missouri, a la surprise de voir sa convive le laisser précipitamment parce qu’elle a oublié son téléphone portable. Interloqué, il a l’idée de se pencher sur le sentiment de manque, voire de peur, qui habite certaines personnes lorsqu’elles sont séparées de ces petits objets devenus visiblement indispensables.

Dans une étude intitulée « The Impact of iPhone Separation on Cognition, Emotion and Physiology » (« L’impact de la séparation d’avec son mobile sur la cognition, l’émotion et la physiologie »), publiée le 8 janvier, Russell Clayton, doctorant à l’université du Missouri, s’étend sur cette «nomophobie » et arrive à deux conclusions :

  • Le téléphone portable est devenu « une extension de nous-même », à la manière du sonar de certains animaux, si bien qu’on peut parler d’ «iSelf », de « soi connecté ».
  • Privé de son mobile, la personne souffrant de « nomophobie » a l’impression d’avoir perdu une part d’elle-même, et cela « peut avoir un impact négatif sur ses performances mentales ».

A chaque fois que les participants aux tests ont été déconnectés, les chercheurs ont constaté une augmentation significative de l’anxiété, du rythme cardiaque, des niveaux de pression artérielle et une diminution significative de la performance aux tests : les cobayes se sentaient psychologiquement diminués.

<Ici le blog du Monde qui parle de cette étude>

Un <article> et une photo ci-après montrent tous les ravages de la portable-dépendance : on regarde son portable alors que le spectacle de la nature, juste à côté est si beau :

Pour finir, cette histoire racontée par Michel Serres qui avait offert à une petite fille de sa famille le livre « Robinson Crusoé ». Peu de temps après il lui a demandé :

« qu’as-tu pensé de ce livre ? »

Elle a alors répondu :

« Bof ! C’est ce qui arrive quand on oublie son téléphone portable ».

Michel Serres, pour ne pas remettre en cause la représentation de l’univers de sa nièce qui ne pouvait concevoir un monde sans portable, lui a expliqué « Non, non, il ne l’avait pas oublié, mais il n’y avait pas de réseau sur cette île ! »

L’ordinateur est abruti, c’est entendu, mais le portable n’aurait-il pas pour effet de rendre son utilisateur débile ?

 

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Mercredi 29 octobre 2014

« Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible.
Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens ».
Bill Gates
Fondateur de Microsoft

Bill Gates n’est pas le seul à le dire, mais lui le dit de manière très abrupte :

« Vous ne réalisez pas à quel point les robots prendront votre travail. »

Il dit en toute simplicité

« De grands changements auxquels les gens et les gouvernements ne sont pas préparés arrivent sur le marché du travail. »

Lors d’un discours à Washington D.C. auprès d’un groupe de réflexion économique The American Enterprise Institute on Thursday, Bill Gates a déclaré :

« La substitution logicielle, qu’elle concerne les chauffeurs, les serveurs ou les infirmières, progresse. Sur la durée, la technologie va réduire la demande en emplois, particulièrement au bas de l’échelle des compétences. Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible. Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens »

< Ici le journal du net qui parle de ce discours>

<Le JDD vient de publier un article : Les robots vont-ils tuer la classe moyenne ?>

<BFM TV sur le même sujet>

Les libéraux optimistes reviennent toujours à ce concept de l’économiste autrichien de la « destruction créatrice » qui désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.

Dans la vision de Joseph Schumpeter du capitalisme, l’innovation portée par les entrepreneurs est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Schumpeter emploie l’image d’un « ouragan perpétuel » : dans l’immédiat, il peut impliquer pour certaines entreprises présentes sur le marché une destruction de valeur spectaculaire. Le phénomène affecte tout type d’organisations mêmes les plus importantes ou celles censées jouir jusque-là d’une position apparemment forte ou dominante (y compris sous la forme d’une rente de situation ou d’un monopole).

Il est possible, c’est une hypothèse raisonnable, que nous ne soyons plus à ce stade de l’évolution libérale.

<Bernard Stiegler défend aussi ce point de vue de la fin de l’emploi>

Si cette hypothèse crédible se réalise, c’est peu dire que nous ne sommes pas sur le chemin pour nous y préparer.

Dans ce que dit Bill Gates, ce n’est pas la première partie qui me parait la plus importante : la destruction massive de l’emploi, au sens actuel de l’économie,  pour les humains.

C’est la seconde partie Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens.

Aujourd’hui quand ceux qui ont le pouvoir économique ou politique parle, il parle d’un modèle qu’il ne conçoive pas de dépasser. Ce modèle où le travail donne du travail.

Où les capitalistes  investissent, où l’investissement donne de l’emploi rémunéré et de la croissance qui dans un cercle vertueux permet plus ou moins à chacun de trouver sa place dans un monde essentiellement mû par la cupidité et l’appât du gain.

Mais que devient ce modèle si le ressort se casse : la croissance ne donne plus suffisamment d’emploi rémunéré pour que le plus grand nombre trouve une place dans la société économique ?

Si vous êtes courageux voici une conférence très intéressante, plus longue mais assez mal enregistrée où Bernard Stiegler développe un concept en réponse à Schumpeter  : <La destruction destructrice>

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Vendredi 14 mars 2014

« »Errare humanum est, perseverare diabolicum »
« L’erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique »»
Citation parfois attribuée à Sénèque, mais probablement de manière impropre.

On retrouve des formes semblables chez des auteurs antérieurs tels :

  • Tite Live (Storie, VIII, 35) « Venia dignus est humanus error » (littéralement : « Chaque erreur humaine mérite le pardon ») ;
  • Cicéron « Cuiusvis est errare: nullius nisi insipientis, in errore perseverare » (littéralement : « L’erreur est une chose commune ; seul l’ignorant persévère dans l’erreur »).
  • Une autre forme assez proche fut publiée par Augustin d’Hipponedans Sermons (164, 14) : « Humanum fuit errare, diabolicum est per animositatem in errore manere » (littéralement : « Commettre des erreurs est le propre de l’humain, mais il est diabolique de persister dans l’erreur par orgueil »).

Je tire ce moment d’érudition de <wikipedia>

Le mot du jour aurait pu être « Passer par 7 proxy » parce que Xavier Porte cité dans le mot du jour d’hier s’est trompé ou a été abusé.

Il explique cela dans une nouvelle chronique publiée aussi sur <rue89> :  Passer par sept proxies » et autres expressions

Xavier de La Porte | France Culture :

« Mercredi, j’ai dit une bêtise.

[…] j’ai évoqué l’intervention d’Edward Snowden à la conférence South By South West à Austin (Texas).

L’ancien employé de la NSA à l’origine du dévoilement du système de surveillance mis en place par les Etats-Unis s’y exprimait en visioconférence depuis la Russie où il s’est réfugié.

Et, pour montrer les précautions prises par le jeune informaticien pour que l’origine de la communication ne soit pas identifiable, j’ai repris l’information donnée par son avocat qui a dit en introduction de la conférence qu’il serait « passé par sept proxies » (« through seven proxies »).

Et tout à fait doctement, je vous ai expliqué que les proxies étaient des intermédiaires entre des machines connectées, intermédiaires permettant l’anonymisation de la communication, et que Snowden était donc passé par sept de ces intermédiaires.

Et voici qu’un peu avant 17 heures Mercredi, le site Arrêt sur Image publie sous les doigts de Vincent Coquaz un petit papier instructif.

Où l’on apprend que « passer par sept proxies » (« trough seven proxies ») est une expression, qui ne signifie pas littéralement qu’on est passé par sept proxies, mais juste qu’on a été très prudent.

 Bon, déjà, en soi, c’est assez vexant. Mais ce qui est encore plus vexant, c’est que cette expression est une sorte de blague pour se moquer de ceux qui ne comprennent pas grand-chose aux technologies

et qui vont être très impressionnés par le fait qu’on puisse être passé par sept proxies. Et qu’en plus, c’est une vieille blague. Triplement vexant donc.

Même le Guardian s’est fait avoir…

Toute proportion gardée, c’est un peu comme si je vous avais expliqué en détail comment on fait passer un chameau par le chat d’une aiguille ou que je vous avais décrit précisément la route qu’il faut prendre pour se rendre à Pétaouchnok.

Je ne sais pas s’il faut en être rassuré, mais je n’ai pas été le seul à reprendre littéralement cette blague comme s’il s’agissait d’une information : Le Monde, CNN, Forbes et même le Guardian se sont fait avoir.

Une fois passée la blessure d’orgueil, que dire de cela ?

D’abord que même pour ceux que ça intéresse au quotidien, les cultures numériques conservent leur hermétisme.

 C’est encore le papier d’Arrêt sur images qui nous l’apprend, cette expression est née sur 4chan. 4chan, c’est un lieu passionnant.

Une sorte d’énorme forum, entièrement anglophone, entièrement anonyme, où des internautes discutent manga, jeux vidéo, musique, mais aussi sexe et politique

(4chan est un des points de ralliement des Anonymous, ces activistes numériques).

Je vous avouerai que c’est un lieu troublant, pour moi assez exotique. Mais s’y élabore une culture numérique, à la fois en termes de pratiques (le forum, le pseudonymat), mais aussi de représentations (la grande place de la culture japonaise) et de vocabulaire.

Avec des mots, des abréviations, et des expressions donc, qui naissent sur 4chan, s’y développent, et parfois en sortent. C’est manifestement le cas de l’expression « through seven proxies ».

« Ingooglelable », « bugger »…

Mais cette expression n’a manifestement pas encore franchi le cap, elle n’est pas encore entrée dans la langue, comme nombre d’autres mots et d’autres expressions provenant d’Internet. Elle a encore moins franchi cette étape supplémentaire, et signe de notre acculturation au numérique, qui consiste à sortir de la culture numérique pour être utilisée dans d’autres contextes que celui de l’informatique et d’Internet.

Regardez comme on parle couramment de « logiciel » pour désigner un corpus idéologique en politique (la droite doit « changer son logiciel ») ; de plus en plus on reproche à quelqu’un de « troller » une réunion ou une conversation (c’est-à-dire de s’y être comporté comme un troll sur un forum internet, en pourrissant la discussion), on dit aussi de quelqu’un qui se met soudainement à raconter n’importe quoi qu’il « bug ». Et tout le monde voit très bien ce qu’on entend par là.

Il faut se rassurer, ce phénomène n’est pas limité au français. En suédois, quand une personne est discrète au point qu’on a du mal à savoir quelque chose d’elle, on dit qu’elle est « ingooglelable ». En turc, j’aime beaucoup, les jeunes disent qu’ils ont « paramétré quelqu’un » quand ils l’ont remis à sa place, qu’ils lui ont cloué le bec (« paramétrer » quelqu’un sur un réseau social, c’est en gros lui limiter l’accès à une partie de nos contenus). En turc toujours, quand quelqu’un reste sans voix ou tient des propos incompréhensibles, on dit « Error vermek », mélange de turc et d’anglais qui signifie à peu près « il affiche erreur », comme un écran d’ordinateur. »

Bref nous sommes ainsi plus savant et nous ne répéterons pas avec « assurance » une expression qui ne correspond pas à la réalité.

Nous devons ce rectificatif à Vincent, heureux destinataire de ce mot du jour, et qui veillait au grain.

Que le ciel vous tienne en joie et vous éloigne de la persévérance dans l’erreur

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Mardi 31/12/2013

Mardi 31/12/2013
«Son apport a été décisif pour briser le code Enigma, contribuer à mettre fin à la guerre et sauver des milliers des vies
Sa vie a plus tard été assombrie par sa condamnation pour homosexualité,
condamnation que nous considérerions aujourd’hui comme injuste et discriminatoire, et qui est désormais annulée.»
Chris Grayling Ministre de la Justice britannique à propos du mathématicien de génie Alan Turing

La reine d’Angleterre a accordé, enfin, le 24 décembre, une grâce posthume à Alan Turing, 59 ans après sa mort.

Alan Turing est resté dans l’histoire comme l’homme qui a mis au point la machine électromécanique ayant servi à « casser » le code « Enigma » utilisé par les sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

Cette invention avait donné un avantage considérable aux Alliés face à l’Allemagne nazie.

Certains considèrent même que Turing est le père de l’informatique moderne parce qu’il est parvenu à définir les critères de l’intelligence artificielle <Voir sur ce point l’article de l’express>

Malgré son apport immense à la victoire des alliés, il a été condamné pour homosexualité. Il a été contraint à subir une castration chimique en 1952.

2 Ans plus tard, il se suicida en mangeant une pomme trempée dans le cyanure. Il semble que c’était par référence à l’Histoire de Blanche Neige qu’il aimait beaucoup.

Il avait 41 ans.

Un long moment de silence et d’ignorance du grand public sur le rôle de cet homme dans la guerre et dans la science s’en suivit.

Mais des scientifiques britanniques dont Stephan Hawking se sont mobilisés pour le faire connaître et obtenir une réhabilitation de la part du gouvernement britannique.

En 2009, celui qui était alors Premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, avait présenté publiquement les excuses du gouvernement pour le « traitement écœurant » qui avait été réservé à Alan Turing.

Cette Histoire doit nous rappeler qu’aujourd’hui encore dans le monde beaucoup de pays traitent de manière ignoble les personnes qui vivent des amours homosexuels.

La répression est le fait de pays théocratiques, d’Etats totalitaires ou même d’exactions privées non condamnées par la Justice.

Ainsi, les actes homosexuels sont passibles de peine de mort dans sept pays de nos jours :

  • Afghanistan,
  • Arabie saoudite,
  • Iran,
  • Nigeria,
  • Mauritanie,
  • Soudan
  • Yémen.

Ces législations sont effectivement appliquées. Ils sont aussi condamnés par des châtiments physiques, ainsi que des peines d’emprisonnements dans plus de 27 pays par le monde. L’homosexualité est illégale dans plus de 100 pays dans le monde, et les homosexuels s’exposent à des procès systématiques (source Wikipedia)

Lors du débat sur le mariage pour tous, des relents d’homophobie sont réapparus en France.

Rappelons quand même que ce n’est que Le 4 août 1982 que la France dépénalisait l’homosexualité lors d’un vote de l’Assemblée Nationale obtenue par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand.

Et ce n’est qu’en 1990 que l’Organisation mondiale de la santé a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales, mettant fin à plus d’un siècle d’homophobie médicale.

<Voici un article du Figaro qui évoque aussi la grâce au mathématicien Alan Turing>

A bientôt en 2014

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