[…] il y a fort à parier qu’une telle modernisation mettra [en France] un certain temps.»
Jeudi 30 avril 2015
[…] il y a fort à parier qu’une telle modernisation mettra [en France] un certain temps.»
La « nomophobie » contraction de l’expression anglaise « no mobile phobia » est constituée par la peur panique de se retrouver sans téléphone portable.
Après la réflexion sur l’informatique (mot du jour du 4 février), puis sur l’intelligence artificielle (mot du jour du 5 février), voici une réflexion sur un autre outil particulièrement prégnant dans notre quotidien.
Pendant un déjeuner avec une amie, Russell Clayton, doctorant à l’université du Missouri, a la surprise de voir sa convive le laisser précipitamment parce qu’elle a oublié son téléphone portable. Interloqué, il a l’idée de se pencher sur le sentiment de manque, voire de peur, qui habite certaines personnes lorsqu’elles sont séparées de ces petits objets devenus visiblement indispensables.
Dans une étude intitulée « The Impact of iPhone Separation on Cognition, Emotion and Physiology » (« L’impact de la séparation d’avec son mobile sur la cognition, l’émotion et la physiologie »), publiée le 8 janvier, Russell Clayton, doctorant à l’université du Missouri, s’étend sur cette «nomophobie » et arrive à deux conclusions :
A chaque fois que les participants aux tests ont été déconnectés, les chercheurs ont constaté une augmentation significative de l’anxiété, du rythme cardiaque, des niveaux de pression artérielle et une diminution significative de la performance aux tests : les cobayes se sentaient psychologiquement diminués.
<Ici le blog du Monde qui parle de cette étude>
Un <article> et une photo ci-après montrent tous les ravages de la portable-dépendance : on regarde son portable alors que le spectacle de la nature, juste à côté est si beau :
Pour finir, cette histoire racontée par Michel Serres qui avait offert à une petite fille de sa famille le livre « Robinson Crusoé ». Peu de temps après il lui a demandé :
« qu’as-tu pensé de ce livre ? »
Elle a alors répondu :
« Bof ! C’est ce qui arrive quand on oublie son téléphone portable ».
Michel Serres, pour ne pas remettre en cause la représentation de l’univers de sa nièce qui ne pouvait concevoir un monde sans portable, lui a expliqué « Non, non, il ne l’avait pas oublié, mais il n’y avait pas de réseau sur cette île ! »
L’ordinateur est abruti, c’est entendu, mais le portable n’aurait-il pas pour effet de rendre son utilisateur débile ?
<437>
Bill Gates n’est pas le seul à le dire, mais lui le dit de manière très abrupte :
« Vous ne réalisez pas à quel point les robots prendront votre travail. »
Il dit en toute simplicité
« De grands changements auxquels les gens et les gouvernements ne sont pas préparés arrivent sur le marché du travail. »
Lors d’un discours à Washington D.C. auprès d’un groupe de réflexion économique The American Enterprise Institute on Thursday, Bill Gates a déclaré :
« La substitution logicielle, qu’elle concerne les chauffeurs, les serveurs ou les infirmières, progresse. Sur la durée, la technologie va réduire la demande en emplois, particulièrement au bas de l’échelle des compétences. Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible. Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens »
< Ici le journal du net qui parle de ce discours>
<Le JDD vient de publier un article : Les robots vont-ils tuer la classe moyenne ?>
Les libéraux optimistes reviennent toujours à ce concept de l’économiste autrichien de la « destruction créatrice » qui désigne le processus continuellement à l’œuvre dans les économies et qui voit se produire de façon simultanée la disparition de secteurs d’activité économique conjointement à la création de nouvelles activités économiques.
Dans la vision de Joseph Schumpeter du capitalisme, l’innovation portée par les entrepreneurs est la force motrice de la croissance économique sur le long terme. Schumpeter emploie l’image d’un « ouragan perpétuel » : dans l’immédiat, il peut impliquer pour certaines entreprises présentes sur le marché une destruction de valeur spectaculaire. Le phénomène affecte tout type d’organisations mêmes les plus importantes ou celles censées jouir jusque-là d’une position apparemment forte ou dominante (y compris sous la forme d’une rente de situation ou d’un monopole).
Il est possible, c’est une hypothèse raisonnable, que nous ne soyons plus à ce stade de l’évolution libérale.
<Bernard Stiegler défend aussi ce point de vue de la fin de l’emploi>
Si cette hypothèse crédible se réalise, c’est peu dire que nous ne sommes pas sur le chemin pour nous y préparer.
Dans ce que dit Bill Gates, ce n’est pas la première partie qui me parait la plus importante : la destruction massive de l’emploi, au sens actuel de l’économie, pour les humains.
C’est la seconde partie Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens.
Aujourd’hui quand ceux qui ont le pouvoir économique ou politique parle, il parle d’un modèle qu’il ne conçoive pas de dépasser. Ce modèle où le travail donne du travail.
Où les capitalistes investissent, où l’investissement donne de l’emploi rémunéré et de la croissance qui dans un cercle vertueux permet plus ou moins à chacun de trouver sa place dans un monde essentiellement mû par la cupidité et l’appât du gain.
Mais que devient ce modèle si le ressort se casse : la croissance ne donne plus suffisamment d’emploi rémunéré pour que le plus grand nombre trouve une place dans la société économique ?
Si vous êtes courageux voici une conférence très intéressante, plus longue mais assez mal enregistrée où Bernard Stiegler développe un concept en réponse à Schumpeter : <La destruction destructrice>
<381>
On retrouve des formes semblables chez des auteurs antérieurs tels :
Je tire ce moment d’érudition de <wikipedia>
Le mot du jour aurait pu être « Passer par 7 proxy » parce que Xavier Porte cité dans le mot du jour d’hier s’est trompé ou a été abusé.
Il explique cela dans une nouvelle chronique publiée aussi sur <rue89> : Passer par sept proxies » et autres expressions
Xavier de La Porte | France Culture :
« Mercredi, j’ai dit une bêtise.
[…] j’ai évoqué l’intervention d’Edward Snowden à la conférence South By South West à Austin (Texas).
L’ancien employé de la NSA à l’origine du dévoilement du système de surveillance mis en place par les Etats-Unis s’y exprimait en visioconférence depuis la Russie où il s’est réfugié.
Et, pour montrer les précautions prises par le jeune informaticien pour que l’origine de la communication ne soit pas identifiable, j’ai repris l’information donnée par son avocat qui a dit en introduction de la conférence qu’il serait « passé par sept proxies » (« through seven proxies »).
Et tout à fait doctement, je vous ai expliqué que les proxies étaient des intermédiaires entre des machines connectées, intermédiaires permettant l’anonymisation de la communication, et que Snowden était donc passé par sept de ces intermédiaires.
Et voici qu’un peu avant 17 heures Mercredi, le site Arrêt sur Image publie sous les doigts de Vincent Coquaz un petit papier instructif.
Où l’on apprend que « passer par sept proxies » (« trough seven proxies ») est une expression, qui ne signifie pas littéralement qu’on est passé par sept proxies, mais juste qu’on a été très prudent.
Bon, déjà, en soi, c’est assez vexant. Mais ce qui est encore plus vexant, c’est que cette expression est une sorte de blague pour se moquer de ceux qui ne comprennent pas grand-chose aux technologies
et qui vont être très impressionnés par le fait qu’on puisse être passé par sept proxies. Et qu’en plus, c’est une vieille blague. Triplement vexant donc.
Même le Guardian s’est fait avoir…
Toute proportion gardée, c’est un peu comme si je vous avais expliqué en détail comment on fait passer un chameau par le chat d’une aiguille ou que je vous avais décrit précisément la route qu’il faut prendre pour se rendre à Pétaouchnok.
Je ne sais pas s’il faut en être rassuré, mais je n’ai pas été le seul à reprendre littéralement cette blague comme s’il s’agissait d’une information : Le Monde, CNN, Forbes et même le Guardian se sont fait avoir.
Une fois passée la blessure d’orgueil, que dire de cela ?
D’abord que même pour ceux que ça intéresse au quotidien, les cultures numériques conservent leur hermétisme.
C’est encore le papier d’Arrêt sur images qui nous l’apprend, cette expression est née sur 4chan. 4chan, c’est un lieu passionnant.
Une sorte d’énorme forum, entièrement anglophone, entièrement anonyme, où des internautes discutent manga, jeux vidéo, musique, mais aussi sexe et politique
(4chan est un des points de ralliement des Anonymous, ces activistes numériques).
Je vous avouerai que c’est un lieu troublant, pour moi assez exotique. Mais s’y élabore une culture numérique, à la fois en termes de pratiques (le forum, le pseudonymat), mais aussi de représentations (la grande place de la culture japonaise) et de vocabulaire.
Avec des mots, des abréviations, et des expressions donc, qui naissent sur 4chan, s’y développent, et parfois en sortent. C’est manifestement le cas de l’expression « through seven proxies ».
« Ingooglelable », « bugger »…
Mais cette expression n’a manifestement pas encore franchi le cap, elle n’est pas encore entrée dans la langue, comme nombre d’autres mots et d’autres expressions provenant d’Internet. Elle a encore moins franchi cette étape supplémentaire, et signe de notre acculturation au numérique, qui consiste à sortir de la culture numérique pour être utilisée dans d’autres contextes que celui de l’informatique et d’Internet.
Regardez comme on parle couramment de « logiciel » pour désigner un corpus idéologique en politique (la droite doit « changer son logiciel ») ; de plus en plus on reproche à quelqu’un de « troller » une réunion ou une conversation (c’est-à-dire de s’y être comporté comme un troll sur un forum internet, en pourrissant la discussion), on dit aussi de quelqu’un qui se met soudainement à raconter n’importe quoi qu’il « bug ». Et tout le monde voit très bien ce qu’on entend par là.
Il faut se rassurer, ce phénomène n’est pas limité au français. En suédois, quand une personne est discrète au point qu’on a du mal à savoir quelque chose d’elle, on dit qu’elle est « ingooglelable ». En turc, j’aime beaucoup, les jeunes disent qu’ils ont « paramétré quelqu’un » quand ils l’ont remis à sa place, qu’ils lui ont cloué le bec (« paramétrer » quelqu’un sur un réseau social, c’est en gros lui limiter l’accès à une partie de nos contenus). En turc toujours, quand quelqu’un reste sans voix ou tient des propos incompréhensibles, on dit « Error vermek », mélange de turc et d’anglais qui signifie à peu près « il affiche erreur », comme un écran d’ordinateur. »
Bref nous sommes ainsi plus savant et nous ne répéterons pas avec « assurance » une expression qui ne correspond pas à la réalité.
Nous devons ce rectificatif à Vincent, heureux destinataire de ce mot du jour, et qui veillait au grain.
Que le ciel vous tienne en joie et vous éloigne de la persévérance dans l’erreur
<258>
La reine d’Angleterre a accordé, enfin, le 24 décembre, une grâce posthume à Alan Turing, 59 ans après sa mort.
Alan Turing est resté dans l’histoire comme l’homme qui a mis au point la machine électromécanique ayant servi à « casser » le code « Enigma » utilisé par les sous-marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cette invention avait donné un avantage considérable aux Alliés face à l’Allemagne nazie.
Certains considèrent même que Turing est le père de l’informatique moderne parce qu’il est parvenu à définir les critères de l’intelligence artificielle <Voir sur ce point l’article de l’express>
Malgré son apport immense à la victoire des alliés, il a été condamné pour homosexualité. Il a été contraint à subir une castration chimique en 1952.
2 Ans plus tard, il se suicida en mangeant une pomme trempée dans le cyanure. Il semble que c’était par référence à l’Histoire de Blanche Neige qu’il aimait beaucoup.
Il avait 41 ans.
Un long moment de silence et d’ignorance du grand public sur le rôle de cet homme dans la guerre et dans la science s’en suivit.
Mais des scientifiques britanniques dont Stephan Hawking se sont mobilisés pour le faire connaître et obtenir une réhabilitation de la part du gouvernement britannique.
En 2009, celui qui était alors Premier ministre du Royaume-Uni, Gordon Brown, avait présenté publiquement les excuses du gouvernement pour le « traitement écœurant » qui avait été réservé à Alan Turing.
Cette Histoire doit nous rappeler qu’aujourd’hui encore dans le monde beaucoup de pays traitent de manière ignoble les personnes qui vivent des amours homosexuels.
La répression est le fait de pays théocratiques, d’Etats totalitaires ou même d’exactions privées non condamnées par la Justice.
Ainsi, les actes homosexuels sont passibles de peine de mort dans sept pays de nos jours :
Ces législations sont effectivement appliquées. Ils sont aussi condamnés par des châtiments physiques, ainsi que des peines d’emprisonnements dans plus de 27 pays par le monde. L’homosexualité est illégale dans plus de 100 pays dans le monde, et les homosexuels s’exposent à des procès systématiques (source Wikipedia)
Lors du débat sur le mariage pour tous, des relents d’homophobie sont réapparus en France.
Rappelons quand même que ce n’est que Le 4 août 1982 que la France dépénalisait l’homosexualité lors d’un vote de l’Assemblée Nationale obtenue par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand.
Et ce n’est qu’en 1990 que l’Organisation mondiale de la santé a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales, mettant fin à plus d’un siècle d’homophobie médicale.
<Voici un article du Figaro qui évoque aussi la grâce au mathématicien Alan Turing>
A bientôt en 2014
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