Jeudi 16 mai 2019

« La 10ème symphonie »
Dimitri Chostakovich

J’ai déjà évoqué Dimitri Chostakovitch et une de ses grandes œuvres :  l’opéra «Lady Macbeth du district de Mzensk».

C’était le mot du jour du lundi 1 février 2016.

Je racontais ses démêlés avec le pouvoir stalinien et Staline lui-même.

Pendant la guerre, la composition de la 7ème Symphonie « Léningrad » puis de la « Huitième », deux œuvres épiques et célébrant l’héroïsme et le courage du peuple soviétique l’avait fait rentrer en grâce auprès du dictateur et de ses affidés.

Il finit ce cycle des symphonies de guerre, par sa neuvième créée le 5 novembre 1945 à Leningrad. Staline voulait une musique flamboyante célébrant la victoire de l’armée rouge et une œuvre dédiée à sa gloire personnelle. Mais Chostakovitch fit tout autre chose, une œuvre légère, traduisant un soulagement de la fin de la guerre et de la souffrance. Une musique manifestement non militariste.

Chostakovitch fut de nouveau écarté de tout poste officiel, on ne joua plus ses œuvres et il craignait toujours d’être envoyé au goulag.

Artistiquement, il fut condamné pour «formalisme» par Jdanov, président de l’Union des Compositeurs

Et il fallut attendre la mort de Staline, pour qu’enfin il puisse faire exécuter ce chef d’œuvre qu’est la dixième symphonie.

La dixième symphonie se compose de quatre mouvements.

Le plus connu est le deuxième mouvement. Une course à l’abime qui ne s’arrête pas d’une violence sans pareil. Il dure entre 4 et 5 minutes.

Voici par exemple une interprétation de ce mouvement par l’orchestre du Concert Gebouw d’Amsterdam sou la direction d’Andris Nelson : <C’est Ici>

Mais cette version par un remarquable chef et un orchestre superlatif est bien trop sage à mon goût.

Beaucoup plus mal enregistré, voici une version plus convaincante dans l’esprit par <Gustavo Dudamel dirigeant le Simón Bolivar Youth Orchestra of Venezuela>

Peut-être que certains seront sensibles à cette <version présentée comme du heavy métal>. Ce n’est absolument pas mon cas.

A tout prendre, je préfère cette version dansée par <Beyonce>. Au moins elle n’abime pas la musique du chef d’œuvre de Chostakovitch. Bien que selon moi, cette danse n’apporte rien à la musique qui se suffit à elle-même.

Si vous voulez entendre cette musique dans sa démesure et sa violence, il faut écouter <cet enregistrement de Karajan> au sommet de son art avec son orchestre berlinois.

Ce mouvement est un cri de colère et de rage contre Staline.

Dans ses Mémoires, Chostakovitch a écrit :

« Il est difficile de dessiner l’image d’un homme politique mais ici j’ai rendu son dû à Staline ; avec moi il a trouvé chaussure à son pied. On ne peut guère me reprocher d’éviter un phénomène repoussant de notre réalité ».

Il a dit aussi que c’était un « portrait au vitriol de Staline ». Pour approfondir vous pourrez lire <cet article>

Mais cette symphonie ne se résume pas à son deuxième mouvement, elle s’ouvre par un long premier mouvement qui s’apparente à une marche funèbre, peut-être en l’honneur des victimes du dictateur. Elle s’achève de manière tonitruante comme un chant de victoire après nous avoir bousculés dans tous les méandres de l’émotion.

Samedi 27 avril, nous sommes allés, avec Annie, à l’auditorium de Lyon pour écouter une interprétation de ce monument.

Je ne savais rien du chef qui allait diriger.

Quand j’ai commencé à lire le programme je compris que le chef d’orchestre était particulièrement jeune : 23 ans.

J’étais un peu inquiet : n’était-ce pas un peu jeune pour s’attaquer à une telle œuvre ?

Je demandais par texto à mon ami Bertrand : «Connais-tu Klaus Mäkelä ?»

La réponse fut négative.

J’étais un peu rassuré, il venait d’être nommé directeur de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo. Les norvégiens sont des gens sérieux et l’Orchestre Philharmonique d’Oslo a toujours accueilli des directeurs qui allaient devenir les meilleurs par la suite.

Et…

Ce fut une révélation. Ce jeune chef finlandais est remarquable et je pus renvoyer un message à Bertrand :

« Tu en entendras parler c’est un chef exceptionnel. Surtout à son âge »

Une interprétation ébouriffante, maîtrisée et profondément vécue.

Depuis je me suis intéressé à ce jeune chef qui est aussi un violoncelliste de très haut niveau.

Il dispose bien sûr d’un site : <Klaus Mäkelä>

On y lit cette critique de Classique News du 14/12/2018, après un concert avec l’orchestre du Capitole de Toulouse :

« Klaus Mäkelä, jeune maestro superlatif – Le génie n’attend pas le nombre des années

Parmi les chefs invités par l’Orchestre du Capitole, il y en a de toutes sortes. Ce n’est pas fréquent qu’un chef aussi jeune, 23 ans , fasse une impression aussi consensuelle et évidente sur d’autres qualités que la jeunesse. Le très jeune chef finlandais Klaus Mäkelä est déjà un très grand chef.

Les génies de la baguette sont rares et les plus audacieux ont su se l’attacher. Qu’apporte ce chef de si génial ? Une autorité bienveillante et naturelle, des gestes très clairs et dont la souplesse révèle une belle musicalité. Cet artiste est également un violoncelliste de grand talent ! La précision de la mise en place, la clarté des plans sont sidérantes. Il encourage l’orchestre et ne le bride pas. Il faut dire que l’Orchestre du Capitole atteint un niveau d’excellence qui permet à un chef musicien d’atteindre de suite des sommets.

Après l’entracte, le chef dirige avec un réel plaisir communicatif la pièce de Stravinski qu’il préfère, Petrouchka. Il faut reconnaître que son interprétation est marquée par une confiance absolue et une solidité remarquable. Rien ne vient ternir une énergie invincible. L’orchestre du Capitole répond comme un seul à cette direction précise et le résultat est particulièrement lumineux et même éclatant. Chaque instrumentiste est parfait. »

Ce texte est très proche de ce que j’ai vécu le 27 avril.

Quelquefois grâce à la toile, d’heureux hasards peuvent être rencontrés.

Vous trouverez derrière ce lien : <Klaus Mäkelä qui dirige la 10ème de Chostakovitch avec the Gothenburg Symphony>

Pour les impatients, le deuxième mouvement commence à 25 :40.

Et quand il joue au violoncelle, c’est très bon aussi : <un extrait du concerto de Dvorak>

Le talent n’attend pas les années.

Un bien belle rencontre.

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Mercredi 20 février 2019

« La symphonie N°8 « des Mille » de Mahler [entonne] une hymne à la sacralité de l’univers. »
Louise Boisselier

« Sa symphonie des Mille englobe vers et mélodies pour entonner, avec toute la force de ses effets démesurés, une hymne à la sacralité de l’univers. »… C’est ainsi que Louise Boisselier conclut la présentation de la 8ème symphonie de Mahler dans le livret qui accompagnait le concert auquel nous avons assisté ce dimanche à la Philharmonie de Paris avec Annie et Florence.

Expérience unique, fabuleuse et totale.

Mais comment en parler ?

La musique, la symphonie « des Mille » de Gustav Mahler, cela peut s’écouter, se vivre, se vibrer mais cela ne peut pas s’écrire, il n’y a pas de mots pour le raconter !

Alors ?

Je vais pourtant le tenter, par approches successives, en superposant les angles de vue et d’appréciation.

Vous pouvez avoir une première approche et un reflet de ce que nous avons vécu en écoutant et regardant sur le site de la Philharmonie de Paris, l’enregistrement du concert qui restera en ligne pendant 6 mois.

Vous trouverez cette vidéo derrière ce lien : <Concert du 17 février 2019>


La première approche est certainement à trouver dans l’Histoire de la Musique Occidentale.

Je me souviens de cet historien arabe qui a dit un jour, lors d’une émission : « la civilisation occidentale ne peut se prévaloir d’aucune supériorité sur les autres civilisations, ni sur les valeurs, ni sur la politique, ni sur la littératur, ni sur l’architecture, ni sur les arts graphiques, il n’y a qu’un domaine où elle n’a pas d’équivalent : Aucune civilisation n’a généré de Bach, de Mozart, de Beethoven.»

Car c’est une longue histoire qui remonte au moyen âge, passe par la renaissance, par Machaut, De Lassus, Monteverdi, Bach, Haydn. Et à chaque époque, les musiciens ont approfondi ce que leurs prédécesseurs ont appris et ont continué à créer.

Parmi les différentes formes musicales l’une est apparue assez tardivement : la symphonie. Ce n’est, en effet, que dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle, en pleine période de classicisme que le genre s’est stabilisé.

C’est Joseph Haydn, appelé le « père de la symphonie » qui a fixé sa structure. Mozart y a ajouté son génie.

Puis il y eut Beethoven qui impressionna tous les successeurs et finit son œuvre symphonique par la 9ème qui se finissait par un chœur : le célèbre « ode à la joie ».

Après, il y en eut beaucoup d’autres : Berlioz, Schumann, Brahms, Bruckner, Dvorak etc.

Et puis, il y eut Mahler

Et Mahler dans sa 8ème symphonie, va aller jusqu’aux limites du possible avec un orchestre gigantesque, un orgue, un piano, 2 chœurs adultes, un chœur d’enfant et 8 solistes vocaux.

En se fondant dans la tradition, en y ajoutant son propre génie mélodique et son immense science de l’orchestre il va créer une œuvre d’une ampleur gigantesque, aboutissement de l’histoire de la symphonie occidentale.

Les musicologues puristes vous diront qu’Arnold Schoenberg a encore élargi l’orchestre, par rapport à cette œuvre, pour ses « Gurre Lieder ». Mais avec le déploiement vocal et choral, rien ne surpasse en puissance, la 8ème symphonie de Mahler.

La seconde approche doit probablement partir de l’Histoire de Gustav Mahler lui-même.

Après la 8ème symphonie, il écrira encore 3 œuvres : la 9ème, le Chant de la terre, et des fragments de la 10ème symphonie. Ces 3 œuvres seront créées au concert après le décès de Gustav Mahler

La 8ème sera la dernière qui sera jouée, en concert, du vivant du compositeur et Gustav Mahler dirigeait sa création à Munich, avec l’Orchestre Philharmonique de Munich, le même qui a interprété la symphonie au concert de ce dimanche à Paris.

L’effectif que dirigea Mahler à cette occasion mobilisait 1030 interprètes. L’imprésario chargé de la promotion de ce concert, Emil Gutman, y trouva l’inspiration pour appeler cette symphonie par le surnom de « Symphonie des Mille » qu’il inscrivit sur les affiches publicitaires.

Gustav Mahler marqua sa désapprobation pour ce titre qu’il trouva trop publicitaire. Il a trouvé cette campagne « extravagante » digne de « Barnum et Bailey » célèbre et immense cirque assurant un show jamais connu jusque-là, à la fin du XIXème siècle.

Ce nom restera cependant pour la postérité, même si aujourd’hui le nombre d’interprètes ne dépasse plus 500, à Paris ils étaient un peu plus de 350.

Il faut aussi reconnaître que la campagne publicitaire fonctionna très bien. <Ce site> rapporte :

« 19 heures 30, Munich, le 12 septembre 1910. Tout en verre et en acier, l’immense et nouvelle salle de concert de l’Exposition Internationale est déjà pleine à craquer. Trois mille quatre cents auditeurs y sont entassés devant huit cent cinquante choristes habillés de noir et de blanc (cinq cents adultes et trois cent cinquante enfants) qui ont pris place sur l’immense estrade aménagée pour l’occasion, serrés autour de l’orchestre, l’un des plus vastes jamais réunis depuis la création du célèbre Requiem de Berlioz, en l’occurrence cent quarante-six musiciens, auxquels s’ajoutent les huit solistes vocaux, plus huit trompettes et trois trombones à l’autre bout de la salle.

C’est la première impatiemment attendue de la Huitième Symphonie de Mahler. Dans la salle on reconnaît un grand nombre de visages célèbres. Outre la famille régnante de Bavière au grand complet, il y a aussi quelques princes de l’art contemporain, les compositeurs Richard Strauss, Max Reger, Camille Saint-Saens, Alfredo Casella, les écrivains Gerhard Hauptmann, Stefan Zweig, Emil Ludwig, Hermann Bahr et Arthur Schnitzler, les chefs d’orchestre Bruno Walter, Oskar Fried et Franz Schalk, le metteur en scène le plus illustre du moment Max Reinhardt, etc. etc.  »

J’ai lu que Georges Clemenceau était également présent.

Ce fut un triomphe !

Le seul vrai triomphe de Gustav Mahler en tant que compositeur. Compositeur qui aujourd’hui est le plus joué par les plus grands orchestres symphoniques du Monde, il était reconnu comme le plus grand chef d’orchestre vivant mais était vilipendé comme compositeur : on l’accusait de réaliser un amalgame des œuvres des grands compositeurs qu’il dirigeait plutôt que de créer une œuvre spécifique.

On a écrit que Claude Debussy a ostensiblement quitté la salle au plein milieu de l’exécution de la première symphonie de Mahler. Aujourd’hui des spécialistes de Debussy prétendent que ce n’est pas possible car son savoir vivre l’en aurait empêché. C’est pourtant ce que l’on a écrit.

Le temps a fait son œuvre, aujourd’hui plus personne ne discute son génie.

Le grand spécialiste de Gustav Mahler, Henry-Louis de La Grange écrit :

« La création munichoise de la Huitième Symphonie devait être suivie d’un des plus grands triomphes de l’histoire de la musique. Le génie incomparable avec lequel Mahler a équilibré les masses sonores, la richesse évidente de l’invention mélodique, à partir d’un nombre très limité de cellules, la splendeur des deux codas, ne pouvaient manquer de fasciner son public. Ce jour-là, Mahler qui venait tout juste d’atteindre cinquante ans et dont la carrière entière n’avait été qu’une suite presque ininterrompue d’échecs et de demi-succès, fut littéralement sidéré de voir la salle entière hurler, trépigner et applaudir avec transport dans un délire collectif de quelque vingt minutes. Les enfants du chœur, en particulier, à qui il n’avait cessé de prodiguer conseils et attentions pendant les répétitions, n’en finissaient plus d’applaudir, ni d’agiter leur mouchoir ou leur partition. Pour lui, ils représentaient cet avenir qu’il sentait bien lui échapper. A la fin du deuxième concert, lorsqu’ils se précipitèrent tous ensemble à l’avant de la galerie qui leur était réservée pour lui donner des fleurs et lui serrer la main, lorsqu’ils hurlèrent à tue-tête: « Vive Mahler! Notre Mahler! », lorsque le compositeur eût reçu d’eux la seule couronne de lauriers, il ne put retenir ses larmes. Plus tard, une phalange d’admirateurs déchaînés l’attendra à l’extérieur de la salle pour continuer de l’acclamer. Il aura peine à se frayer un passage jusqu’à son automobile, d’où il devra encore remercier du geste cette foule exaltée qui ne peut se résigner à le voir disparaître.

Ce soir-là, tous les témoins ont noté la pâleur extrême de Mahler (si magnifiquement décrit par Thomas Mann sous le nom d’Aschenbach dans Mort à Venise). Rien, sauf peut-être ce teint cireux, ne peut alors laisser pressentir la fin prochaine. Pourtant, un témoin anonyme, et qui ne lui a jamais adressé la parole, saura bien lire l’avenir sur ce visage étrange. C’était un « jeune artiste » qui, pendant les acclamations, confie au critique viennois Richard Specht : « Cet homme mourra bientôt. Regardez ces yeux ! Ce n’est pas le regard d’un triomphateur qui marche vers de nouvelles victoires. C’est celui d’un homme qui sent déjà le poids de la mort sur son épaule. »

Et en effet, Gustav Mahler décéda le 18 mai 1911, soit 8 mois après la création de la « symphonie des Mille ».

La troisième approche est celle de considérer l’œuvre en elle-même.

Mahler écrivit dans une lettre du 18 août 1906 à Willem Mengelberg
le directeur musical de l’orchestre du Concert-Gebouw d’Amsterdam :

«C’est ce que j’ai fait de plus grand jusqu’ici. Et de si singulier, par la forme et le contenu, qu’il est impossible d’en parler par lettre. Imaginez que l’univers se mette à résonner! Ce ne sont plus des voix humaines, mais des planètes et des soleils qui gravitent »

De façon formelle, cette œuvre est divisée en deux parties :

Une première qui est une hymne religieuse du moyen âge : « Veni Creator Spiritus » qui en appelle à la Pentecôte et à la venue de l’Esprit créateur.

Et une seconde qui occupe les 2/3 de la durée de l’œuvre qui est la mise en musique du Second Faust de Goethe. Une œuvre littéraire emblématique du génie allemand. Moi je prétends que Goethe devait être sous l’effet de certaines drogues pour écrire de tels textes. Par exemple :

« Et pleine d’amour dans son vacarme
La masse d’eau se précipite dans l’abîme,
Destinée aussi à arroser la vallée ;
L’éclair, qui frappe de son feu
Pour purifier l’atmosphère
Qui porte en son sein poison et vapeur ;
Ce sont des messagers de l’amour, ils proclament
Que ce qui crée sans cesse nous entoure.
Que mon être intérieur s’y enflamme aussi,
Où mon esprit, confus et froid,
Agonise, prisonnier de mes sens affaiblis,
Attaché dans des chaînes douloureuses.
ô Dieu ! apaise mes pensées,
éclaire mon cœur qui est dans le besoin ! »

Annie, plus habituée aux textes ésotériques y trouve davantage de sens.

En résumé, Faust a fait beaucoup de bêtises sous l’influence de Méphistophélès. Puisque Faust a vendu son âme au diable pour vivre une seconde jeunesse. A la fin il devrait aller en enfer selon les standards religieux, mais Marguerite qui l’aimait le sauve par des prières.

Et Faust se trouvera donc après sa mort dans la félicité et ce que Mahler a mis en musique est la fin de ce second Faust.

Musique sublime qui magnifie ce texte étonnant.

Vous trouverez derrière ce lien : <L’humanité perpétuée> une analyse savante de cette scène finale de Faust.

J’ai trouvé une présentation assez humoristique et décalée d’un musicien qui poursuivait le projet  déraisonnable et exaltant de monter cette œuvre avec des chœurs amateurs de Bourg en Bresse : <Première Partie> et <Seconde Partie>

Vous trouverez une analyse plus classique derrière ce <lien> :

La quatrième approche est celle d’essayer de décrire comment on peut recevoir une telle œuvre dans une magnifique salle de concert et avec de remarquables interprètes.

Bien sûr je ne suis capable que d’essayer en toute humilité de tenter de décrire mon propre ressenti.

Un jour j’ai appris qu’il existait des concerts, mais peut-on appeler cela des concerts ?, dans lesquels on se rend avec des boules Quies. Pour moi cela reste un mystère : Peut-on aller voir des peintures dans un musée avec un bandeau noir sur les yeux ?

Mais quand un orchestre de 120 musiciens avec un orgue et plus de 200 choristes jouent et chantent à pleine puissance, le volume en décibels est très important. Mais il n’y a aucune saturation que de la plénitude, du souffle. La salle se remplit de son, les fibres les plus intimes du corps vibrent et l’émotion submerge.

Le grand chef d’orchestre roumain Sergiu Celibidache, disait quand on vient me voir à la fin d’un concert en me disant c’était magnifique ! C’était sublime ! Cela ne m’inspire pas beaucoup. Mais quand on me dit : cela m’a fait du bien, alors je pense que le concert était bon.

Récemment j’ai échangé avec mon ami Gérald qui est aux portes de la retraite et qui me disait son désir de remplir le reste de sa vie encore de quelques beaux voyages. Pour ma part c’est un absolu d’avoir pu vivre en concert cette œuvre unique qui est jouée rarement, en raison des moyens qu’il faut mettre en œuvre pour l’interpréter. Pour moi, c’est aussi un voyage, un voyage au pays de l’émotion.

Les derniers vers de Goethe mis en musique par Mahler sont :

« L’indescriptible
Est ici réalisé ;
L’éternel féminin
nous entraîne vers les cieux. »

Vous pouvez donc écouter et voir une vidéo de ce concert sur le site de la Philharmonie : <Concert du 17 février 2019>. Bien sûr ce n’est qu’un reflet de ce qui se vit en concert, dans la salle.

Pour faire une comparaison, pour les amoureux du voyage, c’est comme une belle photo des pyramides de Gizeh ou du Taj Mahal.


Pour les enregistrements audio de cette symphonie, je propose deux versions

La version de Georg Solti avec l’orchestre de Chicago et la version de Giuseppe Sinopoli avec le Philharmonia de Londres


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Lundi 28 janvier 2019

«Si je n’apprends plus rien, je suis mort. »
Clint Eastwood

Chers amis, chers lecteurs réguliers ou occasionnels du mot du jour,

J’ai longtemps hésité avant d’écrire ce mot du jour.

Je garde en mémoire cette réponse de Jacques Brel à un journaliste qui lui demandait de parler de sa vie personnelle :

« Mais cela ne présente aucun intérêt. Cela n’intéresse personne.
Ce n’est pas poli. Cela ne se fait pas !»

Le mot du jour est un lieu de partage de réflexions, d’émotions, d’humour et surtout de questionnements.

Mais l’écriture va devenir un peu plus compliquée dans les prochaines semaines, prochains mois. Et je voudrais en quelques phrases en dire le contexte.

Il ne va pas s’arrêter, car j’ai besoin de cette discipline d’écrire et tenter de partager tous les jours un sujet d’intérêt qui peut toucher ou faire réfléchir.

Vous savez que je me méfie du seul récit des faits : «L’homme médiocre parle des personnes, L’homme moyen parle des faits, L’homme de culture parle des idées ».

Ce mot du jour je l’avais cependant complété quelques jours plus tard, lors de l’article consacré à Barbara : « Barbara me rappelle que j’ai oublié le plus important :
L’homme de cœur et en l’occurrence la femme de cœur parle de la vie et de l’amour. »

Il faut cependant que je commence par quelques faits :

En novembre 2011, j’ai été opéré d’un cancer de la prostate, solution la plus raisonnable pour un cancer détecté précocement à un âge où il pouvait se développer rapidement. La promesse était une guérison.

Ce ne fut pas le cas, il y eut récidive en 2013.

Bien que ce cancer fût détecté précocement et que tout au long de ces années j’ai été suivi consciencieusement, l’attente dont j’ai parlé lundi dernier a conduit au diagnostic que cette maladie avait muté en un cancer des os avec des métastases au niveau des vertèbres. Le langage technique désignera cette situation sous le nom de : « cancer au stade 4 » qui constitue l’avant dernière étape, celle dans laquelle la médecine occidentale sait encore freiner et ralentir la progression de la maladie sans laisser la moindre perspective de guérison.

Il me faut donc faire face à une maladie plus grave. Je vais le faire avec détermination, calme et en étant pleinement acteur de ce combat honorable, comme l’avait appelé François Mitterrand.

Les faits s’arrêtent là.

Mais être acteur signifie aussi lire beaucoup d’articles ou de livres qui donnent des informations, consacrer du temps pour se soigner et accompagner le soin par des temps de silence et d’activités physiques.

Le temps n’étant pas extensible, il me faudra consacrer moins de temps à mon travail professionnel, mais aussi au temps consacré à rédiger le mot du jour.

En aucun cas, le mot du jour ne va se transformer en bulletin de ma santé, ni en lieu d’échanges sur ce sujet.

Si dans mes lectures ou découvertes consacrées à la santé, j’ai le sentiment que telle information, article ou livre mériteraient d’être partagé, je le ferais.

Mais je continuerai à m’intéresser à tous les autres domaines qui m’ont occupé jusqu’ici et même au-delà.

Car je veux continuer à interroger, apprendre, comprendre et expliquer.

Probablement, au moins dans un premier temps, je rédigerai moins les mots du jour en allant plus vite vers le lien qui a inspiré ma réflexion et le désir du partage.

Je renverrai aussi parfois à des articles déjà écrits qui me semblent mériter un rappel. J’écrirai aussi probablement plus souvent des mots du jour consacré à la musique que j’écoute pour me faire du bien et dont je pourrai partager les bienfaits.

Et s’il n’y a vraiment pas de temps, il y aura des jours de pause.

Je me suis résolu à expliquer le contexte dans lequel cette aventure du mot du jour va continuer, il me semblait que cet exercice de transparence était utile.

Et avant notre finitude que j’entends repousser jusqu’aux limites du possible, il faut vivre tous les jours jusqu’à ce moment et continuer à apprendre sur tous les plans, parce qu’apprendre c’est la vie.

Et les grandes épreuves permettent d’apprendre beaucoup.

Comme exergue, j’ai choisi une parole du grand artiste américain qui a accordé un entretien au journal « Le Monde » à l’occasion de la sortie de son dernier film : Rencontre avec Clint Eastwood. Cet article a été publié le 23 janvier 2019.

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Lundi 21 janvier 2019

« Celui qui attend est comme un arbre avec ses deux oiseaux, solitude et silence. »
Christian Bobin

Dans un premier temps, j’avais eu l’intention d’utiliser simplement : « L’attente » comme exergue de ce mot du jour.

Mais je suis tombé sur un poème de Christian Bobin qui m’a paru donné plus de profondeur et de force à ce que je souhaitais partager aujourd’hui, après une pause d’un mois.

C’est Christophe André qui m’avait fait découvrir cet écrivain né en 1951. Et c’est une citation de Christian Bobin que j’avais utilisée lors du mot du jour du « Jeudi 18 mai 2017» pour terminer la série de mots du jour consacré à l’émission « 3 minutes à méditer » qu’avait réalisée Christophe André :

« Pour qu’une chose se termine, il faut qu’une autre chose commence –
et les commencements, c’est impossible à voir»

L’attente est l’état de celui qui attend ou le temps pendant lequel on attend.

C’est un état qui pour beaucoup devient rapidement insupportable tant la société nous presse vers l’immédiateté : tout, n’importe quoi, tout de suite, donc sans l’attente.

Dès qu’une esquisse d’envie nous touche, surtout dans le domaine de la consommation, il suffit d’aller vers nos outils numériques et de commander sur les sites marchands en ligne.

J’ai appris récemment que pour l’instant Amazon réalise une marge infime dans son métier de commerce en ligne et cela notamment en raison de sa stratégie de vouloir livrer tous ses clients dans des délais extrêmement contraints.

Pourtant la vie est constituée de beaucoup d’attentes.

Quand on est enfant, on attend de devenir grand.

Avant l’enfant, il faut la naissance c’est encore une attente, qui est calibrée, il faut neuf mois à quelques jours près.

On attend une rencontre, un rendez-vous, sa première expérience sexuelle, son premier job et tant d’autres choses.

Ce site attribue à Jules Renard la citation suivante :

« Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d’attente. »

Car le mot « attente » peut aussi avoir le sens de l’espérance ou de l’espoir. C’est le cas dans les expressions suivantes :

  • Cet enfant a répondu à l’attente qu’on avait de lui.
  • Il a rempli notre attente.

Pendant ses années d’études on attend, aussi notamment les résultats des examens. Dans ce cas l’attente est en effet espérance.

Et puis, il en est d’autres examens dont on attend les résultats.

Je me souviens avoir vu ce très beau film : « Cléo de 5 à 7 » d’Agnès Varda avec dans le rôle principal Corinne Marchand.

L’action se déroule à Paris, près de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Cléo, une jeune et belle chanteuse plutôt frivole, craint d’être atteinte d’un cancer. Il est 17 heures et elle doit récupérer les résultats de ses examens médicaux dans 2 heures. Pour tromper sa peur, elle cherche un soutien dans son entourage. Elle va se heurter à l’incrédulité voire à l’indifférence et mesurer la vacuité de son existence. Elle va finalement trouver le réconfort auprès d’un inconnu à l’issue de son errance angoissée dans Paris. Le film est constitué par ce temps de deux heures d’attentes

Télérama écrit :

«  La jolie chanteuse (métier de Cléo) égocentrée et narcissique des premières scènes cède peu à peu la place à une autre femme, non plus objet mais sujet, qui regarde, qui écoute, qui se laisse enfin atteindre par les autres. C’est l’histoire inoubliable d’une transfiguration. »

Un film à voir et à revoir.

Je me trouvais dans la salle d’attente de la médecine nucléaire de Villeurbanne qui dispose d’un équipement très performant pour ausculter le corps humain.

Une femme très agitée est entrée. Elle avait mon âge.

Nous avons échangé des paroles, j’ai compris qu’elle était là non pour elle, mais parce qu’elle attendait sa fille de 25 ans.

Son attente n’était pas espérance, mais inquiétude

Nous avons échangé peu de paroles, mais l’échange se fait aussi par le regard, par l’attitude corporelle, par le silence.

Car le silence peut être habité, la solitude peut percevoir l’empathie.

Et l’empathie fait du bien à celui qui accepte de la recevoir.

Mais l’empathie fait aussi du bien à celui qui donne.

Et le don de l’empathie est probablement plus fort encore quand celui qui le donne se trouve lui-même dans la solitude et le silence.

L’exergue est extrait de ce poème qui se trouve dans «L’autre visage» publié aux Éditions Lettres Vives en 1991, aux pages 52 et 53 :

Celui qui attend

Celui qui attend est comme un arbre
avec ses deux oiseaux, Solitude et Silence.
Il ne commande pas à son attente.
Il bouge au gré du vent,
docile à ce qui s’approche,
souriant à ce qui s’éloigne.
Celui qui attend,
nous l’appelons le « tout comblé »
car dans l’attente,
le commencement est comme la fin,
la fleur est comme le fruit,
le temps comme l’éternel.

Christian Bobin

Un site que j’aime beaucoup, https://www.espritsnomades.net, parce qu’on y trouve de belles pages sur la musique classique et la littérature, a consacré une page à Christian Bobin : <Christian Bobin, notre part manquante>

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Vendredi 21 décembre 2018

« Bientôt Pâques »
Ma grand-mère maternelle, dès que les fêtes de fin d’année étaient terminées

Il est temps d’arrêter de parler des affaires du monde et de la France, puisque le moment des fêtes de fin d’année débute.

C’est un moment de cadeaux, d’échanges, de repas.

Pour Annie et moi, il s’agit aussi du moment de faire les gâteaux de Noël alsaciens.

Et quand je pense gâteau, je pense à ma grand-mère maternelle dont le nom de Naissance était Franziska Kordonowski.

Elle était polonaise et se disait polonaise, bien que le jour de sa naissance le 15/06/1898, la Pologne n’existait pas, ou n’existait plus ou ne réexistait pas encore.

Un matin, alors que je sortais du métro et que je me demandais quel mot du jour je pourrais bien trouver pour clore cette année 2018, avant la trêve de Noël, le regard doux et bienveillant de ma grand-mère m’est apparu.

Et je me suis souvenu qu’elle disait toujours, à peine les fêtes de fin d’année achevées : « et maintenant, bientôt Pâques »

Bien sûr, le lendemain du lundi de Pâques, elle disait de même : « Et maintenant, bientôt Noël ».

Pour cette femme chrétienne et croyante, l’année était rythmée par les fêtes religieuses et on allait de l’une à l’autre, dans un mouvement cyclique.

Jusqu’au moment où arrivé à un certain âge, on commence à se poser la question : est-ce que je vivrais encore la prochaine fête ?

Nous savons que ces fêtes religieuses ont épousé des fêtes païennes plus anciennes qui justement ponctuaient les saisons.

Le mot du jour du 23 décembre 2016 évoquait justement cette origine païenne de la fête de Noël :

L’empereur Aurélien (270-275), au milieu des divinités multiples qu’honorait le peuple romain, a assuré une place particulière à une divinité solaire : <Sol Invictus> (latin pour « Soleil invaincu »). Il proclame « le Soleil invaincu » patron principal de l’Empire romain et fait du 25 décembre, le jour du solstice d’hiver donc, une fête officielle appelée le « jour de naissance du Soleil » (du latin dies natalis solis invicti).

Parce qu’en effet, ce n’est pas un hasard que Noël se situe à quelques jours du solstice d’hiver. Solstice d’hiver qui a lieu précisément aujourd’hui, le 21 décembre 2018.

D’ailleurs depuis de nombreux siècles, cette fête se situe juste après le solstice d’hiver, lorsque le temps de la nuit commence à refluer devant le jour.

Et Pâques, dans sa formulation même évoque la saison. Je l’avais noté dans un mot du jour non consacré à Pâques, mais à la chanson de Craonne qu’il est bon de rappeler en cette fin d’année commémorative des 100 ans du 11 novembre 1918.

En effet, chaque année les chrétiens fêtent la «résurrection du Christ» le premier dimanche qui suit la première pleine Lune après l’équinoxe de Printemps.

Le printemps qui est bien sûr la saison de la renaissance de la nature.

Et donc, « Bientôt pâques » au moment de Noël pourrait aussi se dire « Bientôt le printemps » au moment de l’hiver.

L’expression « Bientôt pâques » d’une vieille dame de plus de 80 ans, peut aussi s’analyser comme la relativité du temps.

Einstein nous a appris que le temps absolu n’existe pas, il n’existe que des temps relatifs.

Ainsi quand on calcule la durée qui sépare l’hiver et le printemps on trouve environ 90 jours.

Dès lors pour un enfant de 6 ans qui a donc vécu 2 192 jours, cette durée de 90 jours représente 4,11% de son temps passé sur terre.

Pour un jeune homme de 20 ans cela représente 1,23%, et pour une dame de 85 ans qui a vécu 31 046 jours, cela représente 0,29% c’est-à-dire un temps relatif 14 fois plus réduit que celui de l’enfant de 6 ans.

Il apparait donc bien normal que pour cette dame de 85 ans, la période qui sépare l’une et l’autre fête apparaisse très courte dans son échelle de temps.

Pour finir ce mot avec un peu d’ivresse…

Chrystelle est une lectrice du mot du jour et quand elle a vu cette bouteille lors d’un repas convivial auquel elle a participé, elle a immédiatement pris une photo et a pensé à me l’envoyer.

Je ne vais pas la garder pour moi, je la partage donc avec tous ceux qui voudront bien lire ce mot du jour.

Le mot du jour ou the word of the day se met donc en congé pendant quelques temps.

Il reviendra en janvier, à une date qui reste à préciser.

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Lundi 17 décembre 2018

« Strasbourg »
Une ville chère à mon cœur et à celui d’Annie, une ville aujourd’hui meurtrie

Strasbourg est une de ces villes qui a une âme. Je l’ai rencontrée au sortir du bac pour commencer mes études supérieures dans cette grande ville de l’est de la France.

Mes études dans les classes préparatoires aux grandes écoles au Lycée Kléber, se sont mal passées et ont fini par un échec.

Mais j’ai toujours continué à aimer cette ville.

Annie est venue aussi faire des études à Strasbourg, un an avant et elles se sont terminées, après mon départ, par un succès.

Chaque fois que nous y retournons, nous sommes heureux, émus et émerveillés par la beauté de cette ville.

Les Romains sont arrivés en Alsace en 58 av. J.-C. C’est sous la direction de Jules César que les romains sont intervenus en Gaule, à partir de cette date en 58 avant JC.

Cette intervention qui sera couronnée par la bataille décisive de la guerre des Gaules en 52 av. JC, le siège d’Alésia qui voit la défaite d’une coalition de peuples gaulois menée par Vercingétorix face à l’armée romaine de Jules César..

Finalement Wikipédia, nous apprend que le frère de Tibère, deuxième empereur romain après Auguste le fils adoptif de César, Nero Claudius Drusus fait construire sur le site de Strasbourg en 12 avant JC sur l’emplacement d’une forteresse gauloise, une ville qui s’appellera Argentoratum.

En l’appelant ainsi les romains n’ont fait que latiniser le nom celte de la forteresse gauloise Argentorate.

Rappelons que Strasbourg se trouve sur la rive gauche du Rhin, fleuve qui a souvent joué le rôle de frontière.

Lors de l’expansion de l’empire romain qui s’est étendu à la Germanie au IIe et IIIe siècles, Argentoratum va servir de base de repli pour les troupes romaines installées en Germanie. Mais en 260, les légions quittent définitivement la Germanie et Strasbourg redevient une ville frontière.

Et en 355, la ville est saccagée par des germains qui ont pour nom les « Alamans ».

Et il faut savoir que le nom français donné au pays voisin : « Allemagne » vient du latin « Alemannia » qui signifie le pays des Alamans.

Mais la réalité de nos voisins est complexe puisqu’en allemand ce pays est appelé Deutschland, en anglais Germany et en polonais Niemcy.

Une autre tribu germaine, « les Teutons » est aussi utilisée, en particulier en italien où « tedesco » signifie « allemand ».

Strasbourg va avoir un destin compliqué entre l’Allemagne et la France.

Mais avant cette dispute, ce sont les Huns d’Attila qui vont complétement détruire la ville en 451.

C’est un autre peuple germain « Les francs », qui je le rappelle sont autant nos ancêtres que les gaulois, qui au début du VIe siècle vont reconstruire la ville, sous le nom de Stratae burgus (le bourg de la route). Et Stratae burgus va devenir Strasbourg.

Le christianisme va bien sûr jouer un rôle considérable dans le développement de la ville. Comme pour Lyon, la ville sera essentiellement gouverné par la puissance épiscopale. Wikipedia nous apprend que sous l’impulsion de l’évêque Arbogast de Strasbourg, une première cathédrale et un couvent sont édifiés dès le VIème siècle.

Par la suite vous savez que Charlemagne va tenter de recréer un empire chrétien. Il sera couronné empereur par le Pape en l’an 800. Charlemagne qui est un empereur français comme nous l’apprennent les livres d’Histoire de France. Mais les livres d’Histoire

allemande le désignent comme un empereur germanique donc allemand. Pour départager les deux, il faut se rappeler que la capitale de Charlemagne est Aachen, ville allemande, même si les livres d’Histoire français continuent à la désigner sous le nom d’Aix la Chapelle.

Ceci est très important pour Strasbourg puisque après que le fils de Charlemagne Louis le Pieux lui ait succédé sur le trône de l’Empire, les trois petits fils vont se partager l’empire.

Et c’est alors qu’eut lieu le « Serment de Strasbourg » le jour de la Saint Valentin, le 14 février 842. L’aîné des 3 frères Lothaire avait l’ambition de jouer un rôle primordial dans la succession de son père. Mais les deux autres frères n’étaient pas d’accord et c’est par le serment de Strasbourg qu’une alliance militaire est signée entre Charles le Chauve et Louis le Germanique, contre leur frère aîné, Lothaire Ier.

Ce serment est fondamental à plusieurs titres.

Le premier c’est que la Lotharingie qui occupait une place centrale va être absorbée par les ces deux voisins à l’ouest va émerger la France et à l’est les pays allemands.

Le second c’est que Louis le Germanique prononce son serment en langue romane pour être compris des soldats de Charles le Chauve, et Charles le Chauve récite le sien en langue tudesque pour qu’il soit entendu des soldats de Louis.

Le texte en roman des Serments a une portée philologique et symbolique essentielle, puisqu’il constitue, pour ainsi dire, « l’acte de naissance de la langue française ».

Jusqu’alors ce type de texte était rédigé en latin.

Mais il est important de savoir qu’en 1493, Strasbourg est proclamée ville libre impériale par Charles IV. Ce qui en fait indiscutablement une ville allemande.

Strasbourg qui sera d’ailleurs un centre important de la réforme initiée par Martin Luther.

Mais comme je l’avais écrit lors des mots du jour sur Luther, avant la réforme il fallut inventer l’imprimerie, pour imprimer des livres et d’abord la bible en langue comprise par tous.

Cette invention est le fait Johannes Gutenberg qui est né à Mayence mais qui s’est installé à Strasbourg en 1434 et Strasbourg va devenir un des plus grands centre d’imprimerie d’Europe.

Cependant Wikipedia précise que :

« Gutenberg est retourné à Mayence entre 1444 et 1448 ce qui fait qu’on ignore exactement où a été finalisée cette invention majeure. Toujours est-il que Strasbourg devient très vite un des grands centres de l’imprimerie, puisque dès la fin du XVe siècle la ville compte une dizaine d’ateliers d’imprimerie, notamment la prestigieuse officine des Grüninger. De fait, Strasbourg va attirer nombre d’intellectuels et d’artistes. Sculpteurs, architectes, orfèvres, peintres, horlogers, la ville excelle dans de nombreux domaines. Strasbourg était une ville très influente d’où son statut très spécial et unique de « ville libre » elle produisait sa propre monnaie avec un commerce développé et grâce à sa situation géographique pouvait exporter et importer des produits. »

Une des principales places de Strasbourg a d’ailleurs été nommée du nom de l’inventeur de l’imprimerie.

Dans la suite Strasbourg va devenir un centre de la réforme puisque dès 1519, les thèses de Martin Luther seront affichées aux portes de la cathédrale et les dirigeants de la ville, notamment Jacques Sturm, sont favorables à ce changement. La ville adopte la Réforme en 1525 et devient protestante en 1532 avec l’adhésion à la confession d’Augsbourg.

Mais il va s’en suivre une période de grands conflits religieux qui va notamment donner lieu à la terrible guerre de trente ans. Guerre qui va s’achever par les paix de Westphalie signés le 24 octobre 1648

Ces traités vont conduire qu’une partie de l’Alsace sera rattachée à la France, mais Strasbourg demeure ville libre impériale.

La ville est sortie épargnée par la guerre mais est affaiblie, et l’empire germanique vaincu ne peut lui apporter d’aide.

Et c’est ainsi que le 28 septembre 1681, la ville est assiégée par une armée commandée par Louis XIV. La ville se rend deux jours plus tard et sera rattachée au royaume de France avec l’Alsace tout entière.

Strasbourg redevient ville frontière et abrite environ 6 000 soldats français, basés pour la plupart à la citadelle de Vauban dont les travaux ont débuté dès 1682 et dont on voit toujours les traces dans la ville actuelle.

En 1704, un prince de la famille Rohan devient évêque de la ville. La famille conservera le pouvoir épiscopal jusqu’en 1790 et fera construire le fameux palais des Rohan situé tout près de la cathédrale, sur les rives de l’Ill.

Durant toute cette période, même si le catholicisme va se développer, la ville reste majoritairement protestante.

Une autre institution fondamentale de Strasbourg sera son Université. Strasbourg aura été et reste un immense centre universitaire international.

Et un des plus célèbres étudiants de cette université sera Goethe.

Après la guerre 14-18 et le retour de Strasbourg en France, l’Université de Strasbourg fera l’objet de toutes les attentions du gouvernement français qui y enverra ses plus grands professeurs. Il faut savoir que c’est à Strasbourg en 1929 que fut créée la prestigieuse revue historique « les Annales » par ses deux fondateurs Marc Bloch et Lucien Febvre, tous deux professeurs à l’Université de Strasbourg. Revue qui donnera naissance au courant appelé l’école des Annales.

L’Histoire plus récente de Strasbourg est connue comme son rôle de ville du Parlement de l’Union européenne et du siège du Conseil de l’Europe.

Mais il faut rappeler que lors de la période révolutionnaire, la population strasbourgeoise se soulève. Le 21 juillet 1789, l’hôtel de ville est saccagé. Et c’est le 26 avril 1792 que Rouget de l’Isle compose à la demande du maire de Strasbourg, un chant pour l’armée du Rhin sans se douter qu’il deviendra un symbole de la Révolution française en devenant La Marseillaise.
La Marseillaise fut créée à Strasbourg.

Après avoir accueilli le serment de Strasbourg qui est historiquement le premier document officiel en langue française, avoir été le lieu de la création de l’hymne national montre combien la ville de Strasbourg est importante pour la France, elle qui fut si longuement disputée par les deux entités issues de la dislocation de l’empire de Charlemagne.

Beaucoup des précisions historiques de ce mot du jour sont issues de Wikipedia.

Les photos qui agrémentent ce mot du jour ont toutes été réalisées par mes soins lors de notre visite à Strasbourg en avril 2018.


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Lundi 3 décembre 2018

« Grigory Sokolov »
Un pianiste exceptionnel

Annie et moi sommes allés, comme chaque année, au concert que donne annuellement Grigory Sokolov à Lyon.

Cette année c’était le 8 novembre et je n’en ai pas fait un mot du jour le lendemain, parce que le 9 novembre je commençais mon itinérance intellectuelle et historique sur la guerre 14-18, sa fin et ses conséquences.

Cette itinérance étant terminé, je peux revenir à cet artiste.

Souvent on lit « le meilleur » pour parler d’un sportif ou d’un artiste, dans un domaine. Quand j’étais plus jeune, il m’arrivait aussi de tomber dans cette faiblesse de la compétition à tous les niveaux.

Aujourd’hui, il me semble que notamment dans le monde de l’art, il n’y a pas à faire de classement mais simplement à ressentir ou à comprendre ce qu’un artiste peut apporter.

Un artiste peut apporter le divertissement et ce n’est pas rien de divertir.

Dans d’autres domaines et dans la musique particulièrement et sur un piano singulièrement, l’artiste peut rechercher la performance.

<Par exemple vous pouvez voir Yuja Wang jouer la célèbre marche turque de Mozart arrangée d’une manière époustouflante.>

C’est une incontestable performance qui d’ailleurs ravit le public et le divertit aussi un peu.

Grigory Sokolov ne fait ni l’un, ni l’autre.

Dans le monde des pianistes il existe une autre typologie :

  • Les cogneurs ;
  • Et les autres ceux qui ont un toucher aérien, souple, magique, je ne sais comment les définir. Mais ce ne sont pas cogneurs.

Dans ce domaine, les cogneurs ne sont pas forcément des hommes, il existe des cogneuses.

Je peux vous donner l’exemple d’une pianiste très célèbre, je vous avoue que je ne comprends pas pourquoi, qui « cogne » un prélude de Rachmaninov : <Valentina Lisitsa – Prélude opus 23 N° 5 de Rachmaninov>.

Grigory Sokolov appartient au second type, ceux qui ne cognent pas. Cette même œuvre de Rachmaninov jouée par lui <donne cela>. Ce n’est pas une vidéo, il existe <une vidéo> dans laquelle on le voit « toucher » le piano, mais le son est assez mauvais.

Cette œuvre de Rachmaninov est surtout une œuvre très technique et brillante, il ne faut pas en attendre trop d’émotions, mais il y a quand même un monde entre l’exécution de Valentina Lisitsa et l’interprétation de Sokolov, un éléphant et un oiseau.

Lorsqu’il y a quelques années, après avoir lu certains articles sur lui, nous sommes allés la première fois l’écouter à l’Auditorium, la salle était à moitié pleine. Mais chaque année, probablement par le bouche à oreille, la salle se remplit davantage, cette année elle était pleine.

Grigory Sokolov est probablement un peu timide, peut-être même un peu autiste. Il rentre sur scène discrètement et rapidement. Il exige un éclairage minimum. Il passe toujours derrière le piano, pour que l’instrument le protège du public, il salue une fois, se met au piano et joue tout de suite. Et c’est le miracle. Cet homme fait parler son piano, la musique vous touche alors au plus profond de votre humanité, de votre âme si on se laisse aller au lyrisme.

Et même quand il joue un bis, une œuvre technique et brillante comme ce morceau de Couperin, il y met une légèreté et un sens de l’ineffable qui n’appartient qu’à lui : <Grigory Sokolov – Couperin – Le tic-toc-choc ou Les maillotins>

Je ne suis pas seul à penser et éprouver cela, le critique <Christian Merlin> écrit :

« Il y a un mystère Sokolov. On ne vous parle pas seulement de l’homme, de son côté autiste, qui apprend par coeur les horaires de train et les codes-barres, et ritualise son entrée en scène comme ses saluts. On vous parle bel et bien du pianiste. Une fois de plus, le récital que Grigory Sokolov a donné au Théâtre des Champs-Élysées[…] fut un moment hors de l’espace et du temps. Un moment passé à se demander: «Comment fait-il?»

Question que les pianistes présents dans la salle se posaient constamment, tentant par exemple de comprendre son jeu de pédale: sans avoir l’air d’y toucher, Sokolov alterne résonance et son étouffé sur une même note, comme s’il tirait les registres d’un orgue. Et tout cela avec des marteaux sur des cordes! Il y a sa souplesse de poignet aussi, cet art du trille où l’on a l’impression que même le nombre de battements est calculé. Cette façon de murmurer tout en jouant au fond du clavier, ou de tonner sans être brutal. En un mot, la maîtrise absolue, surhumaine, de quelqu’un qui travaillait encore sur scène une demi-heure avant le début du concert, empêchant le public arrivé en avance d’entrer, et serait capable de démonter et de remonter le piano pièce par pièce.

[…] il nous a tout simplement hypnotisé, nous faisant perdre le sens de l’orientation dans le temps, comme une image de l’éternité. Six bis, dont deux miraculeux intermezzi de Brahms, nous ont laissé écrasés par cette recherche d’absolu. »

Comme l’écrit Christian Merlin, à la fin de son concert, il joue de nombreux bis souvent plus de 5 et des bis qui sont souvent une œuvre à part entière. Ainsi à Lyon après avoir interprété les 4 impromptus opus 142 de Schubert, son premier bis fut un autre impromptu de l’autre série celle opus 90.

Et quand Sokolov joue Schubert cela donne un moment d’extase : <Grigory Sokolov – Schubert Impromptu Nr. 2 Es-Dur>

Un critique suisse parle du : « Triomphe du dépouillement pour un pianiste qui vit dans son monde, comme hanté par une mission hors normes. »

Grigory Sokolov, décide d’un programme unique pour une année, programme qu’il approfondit sans cesse et avec lequel il va faire tous ces concerts agrémentés de nombreux bis qui eux seront différents.

Ainsi le programme joué à Lyon le 8 novembre sera aussi joué entre autre

  • Le 5 Décembre 2018 à la Philharmonie du Luxembourg
  • Le 8 Décembre 2018 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris
  • Le 6 mars 2019 au Palau de la Música Catalana à Barcelone
  • Le 10 mars 2019 à l’Auditorium Rainier III à Monte Carlo

Il finira le 29 mai 2019 à Milan

Pour les toulousains, c’est trop tard car c’était le lundi 4 juin 2018

Et pour une dernière pièce la <Gigue de la 1ère Partita de Bach>

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Mercredi 7 novembre 2018

« Attention les vieux ! »
Un jeune enfant sur une trottinette

Avec Annie, nous marchions tranquillement, côte à côte sur le trottoir tout près de notre domicile.

L’espace disponible sur ce trottoir est diminué en raison d’arbres majestueux qui embellissent la rue.

Un enfant de 4 ou 5 ans, juché sur une trottinette, à laquelle par une action vigoureuse il tentait de donner une belle vitesse, arrivait à notre rencontre.

Je sentais une légère angoisse chez ce tout petit homme dont le visage esquissait un sourire crispé.

Il n’était pas sûr de pouvoir nous éviter et je pense qu’il éprouvait aussi une crainte de ne pas pouvoir freiner suffisamment.

Devant cette situation complexe et stressante, il a pensé que la meilleure solution était d’en appeler à notre bienveillance.

Il a alors lancé d’une voix forte et assurée :

« Attention les vieux !»

Notez-bien que dans l’échelle des impertinences, il aurait pu aller plus loin en criant : « Poussez-vous les vieux !». Mais il n’a pas du tout usé de cette injonction autoritaire, simplement pour nous préserver d’un choc qui aurait pu nous être préjudiciable, il a tenté de nous convaincre qu’il vaudrait mieux que nous nous écartions.

Nous n’étions pas tout à fait seul sur ce trottoir, mais nous étions les seuls qui marchions côte à côte.

Et pour nous distinguer des autres piétons, il a cherché à nous caractériser, à nous désigner par un mot qui nous permette de comprendre immédiatement qu’il s’agissait de nous. Et cela a fonctionné. Nous avons tout de suite compris que « les vieux » c’était nous.

Nous nous sommes donc écartés et Annie a quand même lancé à l’enfant que c’était un peu impertinent de nous traiter de vieux.

Sa mère qui suivait à pied n’a absolument pas compris ce qui se passait, montrant par-là que beaucoup de choses échappent aux parents.

Derrière nous, un jeune garçon d’une vingtaine d’années qui lui avait suivi parfaitement la scène a voulu nous rassurer :

« Mais non vous n’êtes pas vieux. Simplement de manière relative par rapport à lui, ce jeune garçon vous classe dans les vieux ».

Nous avons chaleureusement remercié ce garçon plein de sollicitude et de compréhension.

Je vous ai raconté un fait qui nous est arrivé. Les lecteurs attentifs du mot du jour savent que je trouve « moyen » de s’arrêter aux faits.

Il faut donc que je continue pour aller un peu plus loin dans la réflexion.

Je ne m’arrêterais pas à la question de savoir si à soixante ans on est vieux. Une chose est certaine on vieillit chaque jour et si on devient vieux c’est une bonne nouvelle, c’est une victoire de la vie. Car si on ne devient pas vieux, c’est qu’on est mort avant. « Vie » constitue d’ailleurs étonnamment les trois premières lettres de vieux.

On pourrait aussi, peut-être parler des trottinettes qui circulent sur les trottoirs et de la difficile cohabitation avec les piétons. <C’est pourquoi Paris veut interdire les trottinettes sur les trottoirs>

De manière plus globale, on pourrait évoquer ce que l’on a eu pour habitude d’appeler « les modes doux » de circulation, c’est-à-dire une alternative à la voiture.

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve qu’en observant l’attitude de certains, l’adjectif « doux » semble totalement inapproprié. Dans l’esprit de ces personnes, il ne s’agit pas de mode « doux » mais de mode « rapide », je veux dire plus rapide que les voitures embouteillées.

J’ai la faiblesse de penser que ce n’était pas cela que l’on imaginait quand on parlait de mode « doux ».

Mais ce fait me conduit surtout à penser à la question du rythme de la vie : il faut être efficace, rapide, gérer intelligemment son temps. Mais dans une société où il y a de plus en plus de vieux comment faire ? Comment concilier, se faire se rencontrer le temps du vieux et le temps du jeune startupper cher au cœur d’Emmanuel Macron ?

Prenons, le cas extrême des vieux en EHPAD et des soignants qui n’ont pas de temps, qui doivent réaliser leurs interventions à une vitesse peu compatible avec le temps des vieux et une durée frustrante au regard de l’attente de l’ainé.

On pourrait imaginer que le progrès et l’automatisation constituent une ressource pour laisser plus d’espace au « temps de l’humain ».

Mais tel n’est pas le cas, le progrès et l’automatisation aujourd’hui ne nous donnent pas davantage de temps, mais nous rendent davantage contraints à la vitesse comme si nous devions servir le progrès, les machines, les flux financiers et d’autres choses qui accélèrent notre temps.

Sylvain Menétrey et Stéphane Szerman ont bien écrit le livre « Slow attitude ! » et dont le sous-titre est « Oser ralentir pour mieux vivre ».

J’ai trouvé aussi cet article qui parle d’un film de Gilles Vernet « Tout s’accélère » qui est une réflexion sur le temps. A travers les yeux d’écoliers de CM2 et appuyé par l’avis de physiciens, de psychologues et d’écologistes, le documentaire décrypte le rythme frénétique de notre monde et appelle au ralentissement.

L’article nous apprend :

« Gilles Vernet est un ancien trader. L’accélération du monde, il la vivait au quotidien car à Wall Street, chaque seconde compte. Optimisation, efficacité, rapidité, rentabilité… cette spirale infernale s’est arrêtée le jour où Gilles Vernet a appris que sa mère était mourante. Deux ans, c’était le temps qu’il lui restait à vivre. Deux ans, c’est aussi « ce temps » qui a produit le déclic chez le réalisateur. « Le choc m’a fait passer à l’acte » confit-il.

Gilles Vernet abandonne le monde de la finance. Devenu instituteur, il interroge ses élèves sur la cadence démesurée de notre société. Pourquoi travailler si vite ? Le monde ralentira-t-il un jour ? »

Nous sommes vraiment dans la problématique des modes doux, du temps doux.

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Mardi 23 octobre 2018

« Que nous apprend le cancer sur la vie ?»
Réflexions personnelles sur cette maladie

Le cancer fait mourir beaucoup de personnes autour de nous et porte en lui un imaginaire inquiétant.

C’est aussi une réalité, j’évoquais hier notre amie Françoise, il y a quelques années notre amie Cécile fut également emportée par ce mal et beaucoup plus tôt dans son histoire de vie.

Je poursuis, depuis quelques années, moi-même, une histoire intime avec cette maladie.

Parmi vous, il en est qui ont perdu des êtres aimés que la science actuelle des hommes n’a pas su prémunir d’une fin prématurée.

C’est bien sûr très encourageant quand on apprend que les recherches récentes offrent de nouvelles pistes de guérison qui viennent d’être honorées : Lundi 1er octobre, le prix Nobel de médecine 2018 a été décerné conjointement à l’Américain James P. Allison et au Japonais Tasuku Honjo pour leurs travaux sur l’immunothérapie.

Mais ce n’est pas de cette lutte scientifique contre la maladie que je souhaite parler aujourd’hui, ni d’explications scientifiques sur l’apparition et le développement du cancer. Dans le mot du jour du 29 septembre 2017, j’avais indiqué ce <Lien> vers une vidéo du site « science étonnante » dans laquelle, le créateur de ce site David Louapre était allé interroger des médecins de l’Institut Gustave Roussy.

Mon propos tente d’approcher une réflexion philosophique.

Je me souviens que très jeune et encore très peu préoccupé par cette maladie, avoir entendu parler un professeur de médecine qui d’après mes souvenirs était le professeur Jean Bernard.

Et ce qu’il a dit m’a beaucoup marqué, même si je n’en avais approfondi la signification.

Il avait exprimé cette réalité qu’il voyait dans les laboratoires :

« Qu’est-ce que le cancer en fin de compte ? Ce sont des cellules qui ne veulent pas mourir. Nous avons dans nos laboratoires des cellules cancéreuses, prélevées sur des humains qui sont morts depuis de nombreuses années. »

Le cancer ce sont des cellules qui ne veulent pas mourir !

Elles se reproduisent à un rythme accéléré et ne meurent pas en proportion.

Ce sont des parties, des éléments d’un corps global, d’un corps humain ou animal.

Ces éléments ne veulent pas mourir et de ce fait, ils font mourir le corps dont ils ne sont qu’un élément.

Alors je ne peux pas m’empêcher de penser à cette catégorie de transhumanistes qui ne veulent pas mourir, qui poursuivent le fantasme de Gilgamesh celui de devenir immortel ou a-mortel.

Un article de « Science et vie » pose cette question : « Pourquoi meurt-on ? ».

« Comment expliquer qu’on ait été mis au monde pour, un jour, mourir ? […] Au fil des générations, la sélection naturelle n’aurait-elle pas dû éliminer les gènes qui, in fine, nous sont fatals ? Là réside justement le secret. […]

Car si mourir paraît inacceptable au niveau de l’individu, c’est tout le contraire à l’échelle de l’espèce : si nous mourons, c’est parce que la finalité de la vie n’est pas sa préservation, mais sa perpétuation.

Une fois que l’individu a rempli sa mission de reproduction, la sélection naturelle ne le préserve plus. En sorte, c’est notre faculté à donner la vie qui, mécaniquement, signe notre arrêt de mort.

Pour comprendre cette surprenante conclusion, il faut avoir à l’esprit une loi intangible : au sein d’une même espèce, entre un individu doté d’une faible longévité mais se reproduisant abondamment, et un individu vivant longtemps tout en se reproduisant peu, le premier obtiendra les faveurs de la sélection naturelle, via une diffusion plus importante de ses gènes au cours des générations.

[…] En tout cas, dès que les organismes vivants ne sont plus capables de se reproduire, la sélection naturelle laisse s’accumuler les mutations délétères dans leurs génomes, lesquelles les mènent à une mort inéluctable.

[…] Si nous mourons, c’est pour mieux donner la vie. Tel est le véritable paradoxe de notre finitude. »

Les êtres vivants que nous sommes ont vocation à se reproduire et à survivre par leur descendance.

C’est à nouveau ce combat entre l’Ego et le Nous, le Nous de l’espèce.

Il existe même des espèces qui meurent en se reproduisant. On pense à la mante religieuse qui au terme de l’accouplement voit la femelle dévorer le mâle. Il en existe d’autres comme certains marsupiaux qui s’épuisent lors d’une frénésie d’accouplement :

« Certains d’entre eux se reproduisent avec différentes femelles pendant de longues heures et finissent par mourir d’épuisement. Selon des chercheurs australiens, ce comportement sexuel particulier leur permettrait de fertiliser le plus grand nombre de femelles possible et d’assurer ainsi leur descendance. »

Tout comportement excessif est déraisonnable.

Je crois que nous avons raison d’aspirer à une belle et longue vie qui ne soit pas brisée prématurément par une maladie brutale.

Les scientifiques et les médecins sont donc légitimes à chercher des moyens pour essayer de réaliser ces objectifs.

Mais lorsque le cofondateur de PayPal : Peter Thiel  dit

« Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder la mort. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part je préfère la combattre. »

(cité par Harari)

Je crois qu’il a tort. Il faut accepter la mort, sans cela nous nous comportons comme un cancer pour notre espèce.

Je finirai ce mot du jour un peu âpre par une reproduction du tableau de Gustav Klimt : « La Vie et la Mort » achevé en 1916.


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Lundi 22 octobre 2018

« Une enfance heureuse »
Marie-Françoise Seyler

Nous vivons une époque de mutation considérable mais ce n’est pas la première fois que notre société a été confrontée à ce type d’évolution : d’un monde connu vers un nouveau monde.

Ce fut le cas de nos ainés qui venaient du monde rural et se sont intégrés dans le monde urbain, c’est ce qu’on a appelé l’exode rural.

Wikipédia nous apprend que c’est entre 1850 et 1860 que la population rurale française avait atteint son maximum (en valeur absolue) avec 26,8 millions de ruraux. À partir de cette date, les effectifs de la population rurale ont commencé à décroître en France. La France a d’ailleurs connu un exode rural plus tardif que les autres pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord.

Pour Marie-Françoise Seyler que nous appelions Françoise, cet exode fut encore plus tardif puisqu’elle raconte dans ce livre « Une enfance heureuse » le début de sa vie au milieu du XXème siècle dans une famille agricole vivant dans un village au pays de Bitche : Petit-Réderging.

Elle raconte comment pour financer les études d’un enfant, son père vendait une bête et la réalité de la vie villageoise de cette époque.

Dans la préface de ce livre son frère Jean-Marie, relate comment il expliquait à ses enfants : « J’ai connu le Moyen Âge ».

J’ai rencontré Françoise en 1976, en arrivant à Strasbourg pour poursuivre des études.

Annie a rencontré Françoise un an plus tard.

Parfois Annie et moi nous croisions dans la maison de Françoise, sans jamais nous remarquer.

Après plus de 10 ans, en 1988, Françoise a conseillé à Annie de s’intéresser à moi et depuis nous vivons ensemble.

Lorsque chacun de nos enfants est né, c’est Françoise qui est venu pour nous aider, nous conseiller et être là tout simplement.

C’est encore elle qui nous a appris et a fait avec nous les merveilleux gâteaux de Noël alsacien.

Et au-delà du matériel, nous avons échangé tant de choses immatérielles lors de nos rencontres dans lesquelles sa bienveillance, son humanisme, son éthique étaient comme un phare qui permettait d’éclairer la route.

Michel Rocard a écrit : « Dans les cinq plus beaux moments d’une vie, il y a un (ou des) coup(s) de foudre amoureux, la naissance d’un enfant, une belle performance artistique ou professionnelle, un exploit sportif, un voyage magnifique, enfin n’importe quoi, mais jamais une satisfaction liée à l’argent. »

C’est ainsi qu’Annie et moi avons vécu l’amitié de Françoise : un des plus beaux moments de notre vie.

Pendant de nombreuses années elle a affronté son terrible cancer, les yeux ouverts plein de lucidité et de force. Elle continuait à voyager, à faire de longues randonnées et finalement aussi écrire.

Puisqu’elle a écrit un autre livre sur la vie d’antan à la campagne : « couleurs des saisons » et un roman toujours sur ce sujet du lien entre le monde rural d’hier et le monde d’aujourd’hui : « Le nouveau monde d’Anna », un autre livre a été écrit et devrait être édité prochainement.

Jusque dans son dernier combat avec la mort, elle fut pour nous un exemple et une leçon de vie. Sa cérémonie d’Adieu eut lieu le jour où j’entrais dans ma soixantième année.

Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants.

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