Vendredi 14 décembre 2018

« Etant jeunes, ils ignorent ce qu’ils ignorent »
Gaspard Gantzer à propos de l’entourage proche d’Emmanuel Macron et peut être de Macron lui-même


Dans le très bel entretien que Jean-Louis Trintignant a accordé à Léa Salamé, sur France Inter le 13 décembre 2018, il a un peu parlé des évènements actuels de la France :

« Entre les gens qui nous gouvernent et les gens qui souffrent, il y a un fossé. . Macron je pense que c’est un homme honnête mais il n’a jamais eu faim. Il n’est pas assez proche du peuple »

Au-delà du fait d’avoir faim, il est probable que la distance, la différence de vécu est si grande entre celles et ceux qui gouvernent et une grande part de celles et ceux qui sont gouvernés qu’il est difficile pour les premiers de comprendre les seconds.

L’émission du Grain à Moudre du 11 décembre 2018 posait cette question : « Colère Jaune : Les circuits de l’information de l’État sont-ils grillés ? »

Hervé Gardette, le producteur de l’émission avait invité 3 personnes :

  • Jacques Barthélémy, Ancien préfet ;
  • Aurore Gorius, Journaliste d’investigation pour Les Jours ;
  • Et Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande et avant conseiller de Bertrand Delanoë.

L’ancien préfet Jacques Barthélémy racontait combien il était difficile d’être entendu et compris par la technocratie gouvernementale quand on tentait de leur expliquer ce qui pouvait remonter du terrain, chez les gens des provinces et de la France profonde. Et l’émission renvoie vers un article du Monde qui donne justement la parole à des préfets qui, bien sur, restent anonymes.

«Face à la crise du mouvement des « gilets jaunes », les préfets sonnent l’alerte politique »

«Qu’ils soient le bras armé de l’Etat dans un territoire ou chargés d’une mission d’intérêt général spécifique, les préfets manifestent rarement leurs états d’âme. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux, devant la crise engendrée par le mouvement des « gilets jaunes », font part, sous le sceau de l’anonymat, d’une certaine appréhension. Appréhension d’autant plus vive que les autorités centrales leur donnent parfois l’impression de ne pas avoir pris la mesure du problème et de les laisser sans consigne précise.

« Ce qui se passe est le fruit d’années de fragmentation de la société française, juge l’un d’eux. Pour l’heure, la réponse de l’exécutif est à côté de la plaque. » « Je suis très inquiet car le pouvoir est dans une bulle technocratique, renchérit un autre. Ils sont coupés de la France des braves gens qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois. Ils n’ont aucun code et aucun capteur. Nous, les préfets, pourrions leur donner des éléments mais ils ne nous demandent rien. Quand ils viennent sur le terrain, c’est parés de leur arrogance parisienne. »[…]

Alors que la préfecture de Haute-Loire, au Puy-en-Velay, a été incendiée, samedi 1er décembre, plusieurs représentants de ce corps de hauts fonctionnaires parlent de situation « explosive et quasi insurrectionnelle », voire « pré-révolutionnaire ». […] Dans le mien, le mouvement agrège des travailleurs pauvres, des retraités avec de petites pensions qui s’estiment touchés dans leur dignité, des dirigeants d’entreprise de travaux publics confrontés à des hausses de prix des carburants et des patrons de sociétés de petite taille, qui affirment ne pas s’en sortir. »

Et Gaspard Gantzer raconte que lorsqu’il était conseiller de Bertrand Delanoë, ce dernier l’engueulait lorsqu’il le trouvait dans son bureau et lui disait, tu ne m’es pas utile dans ton bureau, il faut que tu ailles vers les citoyens dans les taxis, les bistrots et les lieux où tu peux rencontrer les gens et écouter ce qu’ils ont à dire.

La journaliste Aurore Gorius exlique :

« Il y a une administration, Bercy, dont est issue Emmanuel Macron et dont est issue son secrétaire général Alexis Kohler. C’est une administration qui porte des réformes et essaye de les promouvoir. Elle a une approche plus technocratique que d’autres. On retrouve ça dans la façon d’exercer le pouvoir d’Emmanuel Macron. »

Gaspard Gantzer explique que Macron pour gouverner ne s’est entouré que de jeunes esprits brillants, convaincus de leur savoir et il a ajouté cette phrase terrible :

« Et étant jeunes, ils ignorent ce qu’ils ignorent »

Dans ma vie quotidienne, il m’arrive aussi de rencontrer des jeunes pleins de certitudes. Surtout s’ils ont pu poursuivre des études brillantes pendant lesquelles on leur a dit qu’ils étaient les meilleurs. En outre, indiscutablement ils ont beaucoup travaillé intellectuellement et peut être même beaucoup lu des ouvrages souvent techniques.

Alors ils peuvent croire qu’ils savent. Ils savent des choses. Mais s’il est important de savoir ce que l’on sait il est encore plus important de savoir ce que l’on ignore. Au minimum de savoir qu’il y a des choses que l’on ignore. Cette manière de penser et de se comporter s’appelle l’humilité.

J’en avait fait un mot du jour je l’ai rappelé récemment, ce propos de David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama, à propos d’Emmanuel Macron :

« C’est quelqu’un qui a beaucoup de confiance en lui-même. Mais ce poste nécessite de l’humilité. »

J’avais aussi cité et rappelé, un jour de la Saint Valentin, la chanson de Gabin :

« Quand j’étais gosse, haut comme trois pommes,
J’parlais bien fort pour être un homme
J’disais, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS, JE SAIS
C’était l’début, c’était l’printemps
Mais quand j’ai eu mes 18 ans
J’ai dit, JE SAIS, ça y est, cette fois JE SAIS
Et aujourd’hui, les jours où je m’retourne
J’regarde la terre où j’ai quand même fait les 100 pas
Et je n’sais toujours pas comment elle tourne ! »

Savoir ce que l’on sait, mais aussi savoir ce l’on ignore.

Douter souvent, mais ne pas douter que l’on ignore beaucoup.

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Mardi 11 décembre 2018

« Ce n’est pas seulement une question de fiscalité et d’économie qui se pose, c’est de notre système démocratique dont il est question. De la défense de notre modèle social, de la préservation de l’ensemble de notre tissu industriel. »
Bernard Benhamou

J’ai écouté notre jeune président…

Et il me semble qu’après l’avoir entendu, il n’y a que ce chat qui a une attitude raisonnable.

Il faudrait quand même savoir combien cela coute ?

Et où il va trouver l’argent ?

Nos amis allemands qui décrivent les français comme ces personnes qui veulent toujours voyager en première classe avec un billet de seconde classe ne se trompent pas.

Moins d’une heure après l’allocution présidentielle le grand journal <die Frankfurter Allgemeine Zeitung> titrait sur son site en page d’accueil :

Macrons Kehrtwende
La volte-face (ou le demi-tour) de Macron.

Er sei kein Weihnachtsmann, hatte der französische Präsident Emmanuel Macron zuvor gesagt.
Il n’était pas le père Noël, avait déclaré auparavant le président français Emmanuel Macron

Doch fast ein Monat mit teils gewalttätigen Protesten zeigt jetzt Wirkung: Zum 1. Januar gibt es in Frankreich Geldgeschenke.
Mais presque un mois de manifestations, en partie violentes, montre désormais son effet : le 1er janvier, il y aura des cadeaux monétaires en France.

Les allemands ne sont pas très gentils. Il est vrai que notre Président leur avait promis qu’avec lui la France serait gouvernée de manière rigoureuse et arrêterait de creuser la dette.

Je suis un peu dubitatif sur ce qui est annoncé.

A court terme, cela pourra, peut-être, calmer certains, les plus raisonnables des gilets jaunes.

Mais à long terme, qu’en est-il de la transition écologique ? Qu’en est-il des investissements ? Comment faire cela sans creuser davantage la dette.

Toutefois mon intention est de parler d’une autre décision essentielle qui a été prise dans l’Union Européenne et dans laquelle nos amis allemands ne jouent pas le rôle vertueux qu’ils aiment incarner. Ils ont plutôt jouer les peureux et les « courtermistes ».

Ils ont, en effet, lâché la France dans sa volonté de taxer les GAFA.

Parce si les États veulent récupérer de l’argent, il est certain qu’il faut d’abord aller le chercher dans les entreprises très riches, qui gagnent beaucoup d’argents en Europe et paient des impôts ridicules.

Mais l’Allemagne a peur. Peur que Trump taxe en retour les voitures allemandes. Et cela c’est au-dessus de la rigueur et de l’esprit de justice de nos amis issus de la révolution Luthérienne.

Pour illustrer cette situation j’ai trouvé trois articles qui m’ont paru instructifs :

Les Inrocks nous apprennent que selon une estimation de la Commission européenne, les GAFA ne seraient imposés qu’à hauteur de 8,5 % à 10,1 % de leurs profits dans l’Union européenne contre une fourchette de 20,9 % et 23,2 % pour les autres entreprises, dites « classiques ». A titre d’exemple, pour l’année 2017, Amazon aurait ainsi généré 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires en Europe pour un impôt quasi nul.

Et les Inrocks de continuer :

« Alors que les gilets jaunes battent le pavé et réclament plus de justice fiscale, le signe aurait été le bienvenu. Loupé. Le projet de taxe européenne sur les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), et plus largement sur les « services numériques » dont le chiffre d’affaire mondial dépasse 750 millions d’euros (et 50 millions en Europe), a été repoussé aux calendes grecques ce mardi 4 décembre. »

Et le Monde d’écrire :

« Mais cette mesure, qui apparaissait comme un signal important pour l’Union européenne (UE) en instaurant un peu plus de justice fiscale, est déjà largement vidée de sa substance et ne sera soumise à l’approbation des Vingt-Sept qu’en mars 2019. Quant à sa mise en œuvre, en cas d’accord, elle n’interviendra pas avant janvier 2021. Une fois de plus, les égoïsmes nationaux et les règles institutionnelles européennes sont en train de conduire à un immobilisme mortifère. »

C’est le site de Capital qui est le plus didactique :

« Pendant longtemps, le point d’achoppement s’est résumé à une confrontation entre Paris et Berlin. Le gouvernement allemand craint des mesures de rétorsion de la part des États-Unis, qui pourraient augmenter les taxes sur l’importation des voitures allemandes. Finalement, un accord a bien eu lieu le 4 décembre, grâce à une concession clé de la part de la France : la taxe de 3% sur le chiffre d’affaires concernera seulement la vente d’espaces publicitaires alors que l’activité globale était initialement concernée. Au terme d’une haute lutte, Berlin a également obtenu du dispositif qu’il ne s’applique pas avant 2021. […]

Cette concession majeure de la part de Paris réduit considérablement la portée de la taxe. Alors qu’une taxation globale aurait dû rapporter autour de cinq milliards d’euros par an à l’Union européenne, la limitation à l’imposition de la publicité ne remplirait les caisses que de 1,3 milliard, selon les estimations de Bercy. La taxe ne concernerait plus que quasi-exclusivement Google et Facebook, excluant de facto Amazon, Netflix, Microsoft, Uber, etc. qui ne vendent pas d’espaces publicitaires. »

Bien sûr, cette idée de taxation était nouvelle, puisqu’il s’agissait de taxer le chiffre d’affaires. Cette mesure disruptive ne va pas sans créer des problèmes juridiques qui pourraient conduire à une impasse.

« Traditionnellement, il est d’usage de taxer les seuls bénéfices des entreprises. Dans le cadre de la taxation des GAFA, les Européens ont quant à eux décidé de s’attaquer au chiffre d’affaires, afin d’éviter au maximum les techniques d’optimisation fiscale. Cette mesure d’efficacité revient néanmoins à traiter les entreprises du numérique différemment des autres, de manière discriminatoire, sans que cela soit justifié. De quoi fournir des arguments aux géants du Net en vue d’une contestation devant la Cour de justice de l’UE. »

Je passe sur la règle de l’unanimité et les Etats qui comme l’Irlande sont tous dévoués au GAFA pour en venir à un lobbying d’entreprises européennes se sentent solidaires des GAFA.

« On imagine que les géants du Net sont tous américains, mais l’Europe compte également quelques pépites. Les patrons de 16 grandes entreprises numériques européennes (Spotify, Zalando, Booking, Rovio, etc.) ont d’ailleurs écrit fin octobre aux 28 ministres des Finances de l’Union Européenne pour le leur rappeler. « Cette taxe a été conçue pour toucher des sociétés immenses et très profitables, mais il faut réaliser qu’elle aurait un impact bien plus important sur les sociétés européennes, et renforcerait la distorsion de concurrence », ont-ils rédigé dans une lettre que le Financial Times s’est procurée. Ils continuent : « Nous avons encore besoin de la totalité de nos ressources pour continuer à croître, et nos profits sont intégralement réinvestis. Cette taxe priverait nos entreprises d’une source indispensable de capital pour mener la compétition à l’échelle mondiale » Cet appel a visiblement été entendu car seule la publicité est désormais concernée par la taxe.»

Le site des Inrocks nous apprennent que les « Empires » sont à l’œuvre pour empêcher l’Union Européenne d’agir :

« Les Etats-Unis n’ont pas été en reste et ont également pesé de tout leur poids pour qu’une telle taxe n’aboutisse pas. De nombreuses sources diplomatiques attestent ainsi de « pressions directes de l’administration américaine ». « N’oublions pas que l’ambassadeur américain en Allemagne a clairement déclaré que son job était de faire monter l’ensemble des droites dures et eurosceptiques en Europe, complète Bernard Benhamou. On se retrouve dans une situation inédite où les trois grandes puissances mondiales, Etats-Unis, Chine et Russie, se retrouvent quant à l’idée de nuire à l’Europe. Ils ont un intérêt commun à la destruction de l’UE ou du moins, à son affaiblissement » ».

Et il donne la conclusion à Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique (ISN) et ancien diplomate.

« Les GAFA sont aujourd’hui des sociétés qui interviennent tous secteurs confondus, ce ne sont plus seulement des sociétés technologiques. […]

Si on n’est pas capable de montrer les dents face à ces entreprises, ce n’est pas seulement une question de fiscalité et d’économie qui se pose, c’est de notre système démocratique dont il est question. De la défense de notre modèle social, de la préservation de l’ensemble de notre tissu industriel.

Vous savez ce que disent les diplomates américains au sujet de l’Union Européenne ? Ils disent qu’on a créé un animal sans dents. Un animal qui n’a pas les moyens d’être tranchant, qui ne sait pas mordre. Il faut impérativement créer un rapport de force avec ces entreprises. Et cela passe nécessairement par la constitution d’un axe franco-allemand fort. D’une vision commune ». Nul doute que pour y parvenir, la route reste longue. »

« Un animal sans dents ! »

Voilà ce que disent les américains de l’Union Européenne.

Et pour finir, le Monde reparle de notre jeune Président.

«  Le volontarisme tricolore motivé par l’obsession de permettre à Emmanuel Macron de brandir un trophée avant les élections européennes de 2019 a conduit à braquer certains partenaires, qui ont fini par se lasser du ton professoral adopté par Paris. »

Il n’y a pas que les « gilets jaunes » qui sont agacés par une certaine attitude…

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Lundi 10 décembre 2018

« C’était de l’ultraviolence. Ils avaient des envies de meurtre. Nous, notre but c’est juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles. »
Une CRS présente à Paris lors de la journée de violences du 1er décembre

Des images ont circulé en boucle montrant des excès des forces de l’ordre françaises contre des lycéens et puis contre les manifestants « gilets jaunes ».

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a critiqué la « violence disproportionnée » des autorités françaises face aux manifestations de « gilets jaunes », ajoutant qu’il suivait la situation « avec préoccupation » :

« Le désordre règne dans les rues de nombreux pays européens, à commencer par Paris. Les télévisions, les journaux regorgent d’images de voitures qui brûlent, de commerces pillés, de la riposte des plus violentes de la police contre les manifestants […] Ah ! Voyez un peu ce que font les policiers de ceux qui critiquaient nos policiers. […] l’Europe a échoué sur les plans de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés ».

Quand on lit les propos de cet autocrate qui réprime la liberté dans son pays avec une hargne et cruauté inacceptable, on hésite entre le rire et la colère.

 Même des iraniens, comme le rapporte Libération, critiquent les forces de sécurité française :

« La scène se déroule mercredi dans la capitale iranienne devant l’ambassade de France. Les manifestants dénoncent la répression du mouvement des gilets jaunes. Rebelote vendredi : une poignée d’hommes, gilets jaunes sur le dos, brandissent des pancartes évoquant les «victimes» faites par Macron à Paris et au Yémen… Ces étudiants reprennent le mantra des conservateurs, prompts à épingler les atteintes aux droits humains dès lors qu’elles ont lieu dans les pays occidentaux. «Monsieur Rohani, c’est le bon moment pour téléphoner à votre homologue français et l’exhorter à… la modération», s’amuse sur Twitter une supportrice du régime, dans une allusion à l’appel de Macron au président iranien, en janvier, alors que des manifestations violentes éclataient un peu partout en Iran »

Il y a certes des excès, mais ce que l’on demande aux CRS, aux policiers et aux gendarmes est quasi inhumain.

Comme dans tout groupe humain, il existe des individus qui sortent du cadre. Par faiblesse, par peur ou par manque de maîtrise, ils peuvent déraper. D’ailleurs l’IGPN enquête dans ces cas.

Mais dans leur plus grand nombre, nous disposons de forces de maintien de l’ordre tout à fait remarquables et qui notamment à Paris sont parvenues à maîtriser la violence qui se déchaînait contre eux et contre les biens.

Ce sont des hommes et des femmes qui souvent sur certains points peuvent partager les indignations des gilets jaunes mais qui pour la sauvegarde de l’ordre républicain, dans la discipline et le courage font face aux débordements, la violence et même la haine et mette en danger leur propre intégrité physique.

Je partage ce que Dominique Reynié a déclaré lors de l’émission Esprit Public de ce dimanche

« C’est absolument admirable, ce qui s’est passé hier [le 8 décembre] dans le maintien de l’ordre. Nous avons vraiment des forces de l’ordre qui sont exceptionnelles. Sur le plan technique, chaque minute chaque interaction, chaque confrontation avec le risque d’un incident majeur, c’est manifestement ce qui est recherché par certains groupuscules qui souhaiteraient ardemment qu’il y ait un ou des morts pour enfin passer à la crise inévitable. Cela tient à la gestion du maintien de l’ordre, en ce moment avant même que les mesures soient annoncées par le chef de l’Etat qui convaincront ou non. Tout peut basculer dans une journée comme hier, nous sommes dans une grande fragilité. Un fonctionnaire fatigué ou isolé aurait pu faire basculer la France dans une situation dramatique que certains radicaux souhaitent. »

Et dans ce cas il faut en revenir à notre humanité, regarder ces choses à niveau d’homme ou de femme. Car il y a aussi des femmes dans les rangs des CRS qui sont déployés. Et le Monde consacre un article à une CRS auquel il a donné un pseudo : « Audrey » qui a été blessée lors des violences qui ont lieu à Paris la semaine dernière le 1er décembre : « On sait que la violence va monter d’un cran et on est épuisés physiquement »

La photo que je joins pour illustrer cet article n’est pas liée à l’article du Monde, elle a été publiée par le <Figaro> et raconte aussi des choses qui sont décrites ci-après :

« Elle fait partie de ces anonymes casqués, dont les images ont tourné en boucle sur les téléviseurs. Audrey, gardienne de la paix au sein d’une compagnie républicaine de sécurité (CRS) présente à l’Arc de triomphe samedi 1er décembre, a été blessée à la cuisse par un jet de pavé. Sa chute a été filmée et commentée à foison sur les chaînes d’information en continu les jours suivants.

« Des experts, tranquillement installés dans leur canapé, expliquaient que ça se voyait qu’on était désorganisés. Ça m’a rendue folle ! », raconte-t-elle. »

Il était environ 17 heures quand cette jeune policière, quatre ans et demi de service en tant que CRS au compteur, a chuté sous l’impact du bloc de pierre, qui est passé sous son bouclier. A cet instant, Audrey est sur le pont depuis quinze heures, sans interruption. « Je me suis levée à 0 h 30 pour prendre mon service à 2 heures », se souvient-elle. Sa compagnie, stationnée temporairement à Paris, est affectée à la sécurisation des abords de la place de l’Etoile. A partir de dix heures, elle doit se positionner dans une rue adjacente à l’Arc de triomphe, avec sa section.

Près d’une trentaine de femmes et d’hommes. Casques, jambières, boucliers, l’attirail habituel du maintien de l’ordre.

Pourtant, la journée ne se présente pas comme les autres. « Ma première pensée était : ça pue la révolution. Il y avait une atmosphère de pré-chaos, j’ai senti que c’était apocalyptique dès que j’ai posé le pied sur le pavé parisien ». […]

Des voix grésillent sur les ondes. Des manifestants sont en mouvement. Sa section reçoit l’ordre de les suivre. « On gravitait autour de la place, on rentrait dans les fourgons, puis on ressortait… » Vers 11 h 30, c’est l’heure de la pause sandwich. Les CRS se doutent que l’après-midi risque d’être autrement plus musclée. « On savait que ça allait être violent, avec toutes les conneries écrites sur les réseaux sociaux, les gens se montent le bourrichon. On avait lu que certains voulaient tuer du flic ! »

Soudain, des manifestants commencent à caillasser les véhicules. Les policiers forment un barrage de boucliers autour de leurs fourgons. Ils s’en sortent avec de la tôle froissée. Mais ce n’est que le début. « Ça a dégénéré, on aurait dit une guérilla », raconte Audrey. Sa section est appelée pour sécuriser les abords de l’avenue Kléber, où l’intérieur d’un hôtel particulier est en train de flamber. Les grilles ont été arrachées. « On est tombé dans un guet-apens, ils nous attendaient. J’ai déjà fait des manifestations qui dégénèrent, mais là, c’était de l’ultraviolence. Ils avaient des envies de meurtre. Nous, notre but c’est juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles. »

Elle raconte les insultes des manifestants et le mépris dans leurs yeux. « Quand on était en barrage, les gens passaient devant nous et crachaient à nos pieds. J’ai vu un mec nous expliquer qu’il était père de famille et pacifique. Deux minutes après, il nous jetait un pavé. Les gens deviennent fous. » L’effet de meute ? « L’effet mouton plutôt », corrige-t-elle.

Impossible de savoir l’heure exacte, la jeune CRS est « totalement déconnectée », dans une ambiance saturée de gaz lacrymogène. Mettre ou ne pas mettre le masque ? Un vrai dilemme. « Certains préfèrent faire sans, moi je ne supporte pas le gaz. Mais avec le masque, votre respiration est limitée, et la buée empêche de voir. » Deux de ses collègues, qui ont opéré sans, pour manier les lanceurs de balles de défense 40, ont eu la cornée brûlée.

La nuit commence à tomber quand l’endroit où sont stationnés les fourgons est menacé par les flammes. « Un groupe s’est rendu compte que notre fourgon n’était pas protégé par les CRS, ils ont commencé un énorme caillassage. A ce moment-là, je me suis dit : « Il va falloir que tu t’en sortes. » On a pris une pluie de projectiles, il n’y avait pas de moment d’accalmie. Ils étaient super bien organisés. » Un projectile se fraie un chemin entre le bouclier et la jambière. Elle s’effondre. « J’ai dit à mon binôme que j’étais touchée, il m’entendait mal. Quand il a compris que je n’étais pas bien, ils m’ont extraite de la fumée. J’étais perdue, je respirais le gaz. »

Audrey refuse cependant que le soigneur découpe son pantalon pour jeter un œil à la blessure. Cela aurait signifié pour elle la fin de la journée. Pas question d’abandonner ses collègues. Tout juste passe-t-elle une bombe de froid sous son pantalon. Le spray, actionné trop près, corrode la peau. Qu’importe, elle retourne aux côtés de son binôme, à qui elle cède la gestion du bouclier, incapable de l’appuyer contre sa cuisse.

Les manifestants commencent heureusement à se disperser. Sa compagnie est démobilisée vers 21 heures. Le lendemain, l’aspect de la plaie l’oblige à la signaler. « Ma blessure commençait à faire des cloques. » Écrasement du quadriceps et brûlure au deuxième degré, cinq jours d’arrêt.

Mais c’est moins pour elle que pour ses collègues qu’Audrey semble s’en faire. La compagnie, qui aurait dû être « gelée », selon le jargon policier, après un détachement de deux semaines, a été rappelée pour la journée du 8 décembre. « On sait que la violence va monter d’un cran, et on est épuisés physiquement. »

Le moral n’est pas non plus au beau fixe, notamment avec les accusations de violences policières. « Il faut arrêter de pointer les flics du doigt. Les gens voient une vidéo sur Facebook, sans le contexte, et ils croient qu’ils sont experts du maintien de l’ordre. » Et de cibler les casseurs. « Ils nous visent avec des pavés, des mortiers, des cocktails Molotov… J’en ai vu un prendre les débris de la grille pour en faire un javelot et nous le jeter à la tête. Ils veulent nous tuer. Et nous, on répond avec quoi ? Du gaz qui pique les yeux et des balles en caoutchouc. »

J’ai pratiquement cité tout l’article.

Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon.

Que se passerait-il, s’ils n’étaient pas là ?

Le désordre et le chaos !

Oui que se passerait-il si on laissait faire les violents qui ont infiltrés les gilets jaunes et qui ont aussi visiblement sut en entraîner certains ?

Ils prendraient le pouvoir ? Et instaureraient une belle démocratie participative ?

Toute personne qui a une toute petite culture historique sait comment finissent ces émeutes non maîtrisées : un régime autoritaire remplace la République dans ces cas.

C’est grâce à nos forces de maintien de l’ordre que l’Ordre républicain peut se maintenir.

Vouloir en faire des boucs émissaires est indécent.

Les fautes doivent être sanctionnées. Mais quelqu’un de raisonnable peut-il vraiment prétendre que si la quasi-totalité de ces hommes et femmes de devoir et d’abnégation ne maîtrisaient pas leurs actions, il n’y aurait pas un bilan très différent de celui qui est à déplorer.

Leur but est de remplir aussi bien que possible leur mission et comme le dit Audrey : « juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles ».

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Mercredi 14 novembre 2018

« Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage »
Dernière lettre d’un soldat français en 1917 à son épouse et à sa fille

Dans la suite du mot du jour d’hier, dans lequel je m’interrogeais sur le vrai apport du haut commandement français dans la victoire finale, je voudrais partager aujourd’hui un témoignage.

Ce témoignage est une lettre d’adieu à l’amour de sa vie d’un soldat qui va être fusillé pour l’exemple. Il faut savoir se détacher des concepts et du refuge rassurant des idées pour redescendre à hauteur d’homme pour saisir la vérité du vécu.

Quelquefois les faits et le témoignage sont si forts qu’ils sont leçon de vie et d’Histoire.

«Le 30 mai 1917

Léonie chérie

J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre.

Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique.

Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne.

En plus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’odeur est pestilentielle.

Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide !

Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir.

Nous n’avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.

Nous partons au combat l’épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d’un casque en tôle d’acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l’attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres.

Ces incessants combats nous ont laissé exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d’un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d’un bras, d’une jambe en moins ?

Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames.

Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts !

Lorsque j’avançais les sentiments n’existaient plus, la peur, l’amour, plus rien n’avait de sens. Il importait juste d’aller de l’avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d’accès boisées, étaient rudes.

Perdu dans le brouillard, le fusil à l’épaule j’errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s’étendait à mes pieds. J’ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s’emparant de moi.

Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion.

Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l’état-major. Tous les combattants désespèrent de l’existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n’a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.

Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J’ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible.

La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l’exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d’obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d’aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance, je ne crois pas qu’ils y parviendront.

Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d’une justice expéditive ?

Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l’histoire.

Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l’aube, agenouillé devant le peloton d’exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t’infliger.

C’est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi.

Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd’hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.

Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.

Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahi et la France va nous sacrifier.

Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle.

Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner.

Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

Eugène ton mari qui t’aime tant.»

Je ne peux exclure le fait que parmi les soldats fusillés, il y en eut qui ont fauté et qui n’ont pas su faire face à leur devoir.

Mais j’ai l’intuition qu’un grand nombre était comme cet Eugène qui acceptait de se battre, de défendre sa ligne et sa patrie mais pas de se lancer à l’attaque sans autre raison que se sacrifier sur l’autel de l’inutile. Quelquefois l’art sait montrer ce que les paroles sont incapables de décrire. Stanley Kubrick a réalisé ce film remarquable, si longtemps interdit en France : «Les Sentiers de la gloire». <Cet extrait du film montre un tel épisode d’attaque insensée >.

Mais pourquoi n’a-t-on pas, au minimum, jugé et condamné Nivelle ?

J’ai trouvé ce témoignage parmi d’autres sur le site du centenaire de 14-18 du pays du haut limousin.

Vous trouverez la page sur laquelle se trouve cette lettre derrière ce lien : https://centenaire1418hautlimousin.jimdo.com/lettres-des-poilus/lettres-de-poilus-et-des-familles/

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Mardi 13 novembre 2018

«Les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle »
Arndt Weinrich, chercheur à l’Institut historique allemand, spécialiste de la Première Guerre mondiale

Pourquoi l’Allemagne et les Puissances Centrales ont-elles perdu la guerre 14-18 ?

Les allemands répondent : « parce qu’on a poignardé l’armée allemande dans le dos ». D’abord le gouvernement civil qui n’a pas assez soutenu l’armée, puis les communistes qui ont commencé à faire la révolution dans tous le pays et ont affaibli la nation. Bientôt d’autres viendront et diront que c’est la faute des juifs.

Les tenants de cette thèse présentent un argument factuel, l’Armée allemande était toujours sur le territoire français et belge, chez l’ennemi donc. Elle n’était donc pas vaincue.

Un dessin vaut mieux qu’un long discours, et si on regarde la carte du front au 11 novembre 1918, on voit que c’est exact. En 1918, Metz était en Allemagne mais le front ne l’avait pas encore atteint. Quand on regarde les autres villes sur le front Mons, Maubeuge, Mézières … pas de ville allemande.

Dès leur retour à Berlin, on leur dira : « Vous n’avez pas été vaincu ». Vous constaterez aussi qu’en face du Maréchal Foch, l’autorité allemande n’a pas envoyé un de ses généraux mais un civil : Matthias Erzberger.

Les français répondent autre chose. La France a gagné la guerre grâce à ses généraux. Le Maréchal Foch a gagné la guerre, voici ce qu’on lit encore dans les livres d’histoire et puis on associe d’autres généraux et maréchaux à cette célébration.

Mélenchon qui, une fois de plus aurait mieux fait de se taire, a twitté : « Le maréchal Joffre est le vainqueur militaire de la guerre de 14-18. »

Le maréchal Joffre qui était partisan de « l’offensive à outrance » qui a couté tellement de vies de soldats sans faire avancer pour autant les lignes ou de manière si dérisoire.


« Attaquons comme la lune »

Philippe Meyer dans son émission de ce dimanche attribua ce mot contre l’attaque à outrance et contre Joffre à Lyautey. Mais il se trompait, je sais depuis que ce mot était en réalité du général Lanrezac qui fut (limogé dès le 3 septembre 1914) par Joffre lui-même.

Les généraux français ont peut-être pu parfois décider d’une bonne stratégie ponctuelle, ils ont surtout, comme les généraux allemands d’ailleurs, été de grands pourvoyeurs d’assauts inutiles et meurtriers.

Je ne pense pas qu’ils méritent la gloire que l’on a voulu leur donner.

Et pour essayer de comprendre pourquoi l’Allemagne a perdu, je vous propose de lire l’analyse de cet historien d’origine allemande mais qui travaille en France : Arndt Weinrich. L’article dont je donne des extraits est encore une fois extrait de cette remarquable revue historique : « L’Histoire » et le titre de l’article est : « Pourquoi les puissances centrales ont perdu »

Il faut rappeler pour bien comprendre le texte qui suit que les « Alliés » ou l’«Entente » représentent la France, la Grande Bretagne, la Russie etc alors que l’Allemagne, l’Autriche Hongrie et l’Empire Ottoman sont appelés « Les puissances centrales ».

« A bien des égards, la question de savoir pourquoi les Puissances centrales ont perdu doit être inversée, pour s’interroger sur pourquoi elles ont réussi à tenir si longtemps ?.

Un rapide survol sur quelques chiffres clés permet de comprendre à quel point l’Allemagne, et cela est encore plus vrai pour son allié le plus proche, l’Autriche –Hongrie, était particulièrement mal inspirée de poursuivre une politique d’escalade en juillet 1914 : l’éclatement de la guerre met aux prises 118 millions d’Allemands et d’Autrichiens-Hongrois avec plus de 260 millions de Français, Russes, Britanniques et Serbes.

Un rapport de force démographique qui ne tient même pas compte des empires infiniment plus importants du côté de l’Entente (400 millions). Cela se traduit sur le plan militaire, par une nette supériorité numérique : ainsi, au début de la guerre, les puissances centrales mobilisent 6,3 millions de soldats contre quelques 9 millions du côté Allié. Sur toute la durée du conflit, et en tenant compte des différents pays venant renforcer les deux camps, 26 millions de mobilisés des puissances centrales se sont trouvés en face de presque 47 millions de mobilisés Alliés.

Sur le plan économique, ô combien important dans une guerre industrielle comme la Grande guerre, la situation est également très favorable à l’Entente : l’Allemagne avait beau être une puissance industrielle et technologique de tout premier plan, le PIB de l’Entente, était déjà en 1914, supérieur de 60 % à celui des puissances centrales. En 1917, avec l’entrée en guerre des États-Unis, première puissance économique mondiale, la situation devint rapidement intenable pour ces dernières.

Le rapport des forces économiques paraît encore plus déséquilibré si l’on tient compte du fait que l’économie allemande était très intégrée dans le commerce global et dépendait des importations de matières premières, importation compromise avec le blocus mis en place par la Royal Navy dès 1914, mais aussi parce que l’Allemagne, et l’on tend aujourd’hui à négliger cet aspect, faisait la guerre à ses principaux fournisseurs !

Avant 1914, l’état-major allemand avait évidemment conscience de cette infériorité structurelle, mais, au lieu d’en tirer la conclusion qu’il fallait éviter la guerre à tout prix, il en va à considérer que celle-ci pouvait être gagnée à condition qu’elle soit courte, c’est-à-dire si l’on arrivait à arracher, en frappant le plus dur et le plus rapidement possible, une victoire décisive.

Le plan Schlieffen, avec lequel l’Allemagne attaqua en août 1914 en lançant très vite l’offensive sur la France à travers le Luxembourg et la Belgique, est l’illustration la plus parlante de cet état d’esprit. […]

On comprend le désarroi du chef d’état-major allemand Helmuth von Moltke après la bataille de la Marne, en septembre 1914 qui permet aux Français d’arrêter l’avancée allemande. […]

Évidemment tout n’était pas perdu pour les puissances centrales ; après tout, la guerre n’est pas un exercice d’arithmétique où il suffirait de compter les effectifs, le potentiel démographique et économique pour déterminer le vainqueur. Reste que, à partir de ce moment-là, le temps de cessa de jouer en faveur des Alliés. […]

D’où la tentation de prendre des risques pour en finir à tout prix : c’est sur cette toile de fond qu’il faut comprendre la décision allemande de déclarer la guerre sous-marine à outrance en février 1917, décision qui s’est révélée non seulement inefficace pour arracher la victoire, mais qui a tout au contraire contribué à rendre la situation désespérée en entraînant les États-Unis et donc leur potentiel militaire et économique dans la guerre.

Fondamentalement donc, les puissances centrales perdent la guerre parce que le temps joue contre elle ; c’est un premier élément de réponse à la question de départ. […]

Et à partir de 1916, la situation alimentaire devient extrêmement préoccupante. Au début de 1917, à la sortie d’un hiver particulièrement rude l’apport calorique de la ration journalière, à l’arrière, tomba à 1000 calories, ce qui est largement insuffisant déclenchant des émeutes de la faim dans bon nombre de villes allemandes. En Autriche-Hongrie la situation était encore plus préoccupante.

Or, au lieu de chercher à tout prix une issue politique, les gouvernements misèrent, et la pression du Haut commandement allemand joua un rôle déterminant, sur une paix victorieuse, politique à risque, dont la poursuite tendit à aggraver la situation jusqu’à ce qu’elle devienne intenable. Dans une certaine mesure, la défaite est donc aussi dû, et cela est un deuxième élément de réponse, à un problème de gouvernance, le pouvoir civil s’éclipsant progressivement devant le militaire, qui arrive à imposer la décision. […]

Dans ce contexte, la plus importante des causes immédiates de la défaite a sans doute été la décision allemande de repasser à l’offensive sur le front occidental [début 1918] afin de tenter le tout pour le tout : obtenir une victoire décisive avant l’arrivée massive des troupes américaines. […]

Chacune des cinq offensives allemandes […] avait certes permis une avancée parfois assez spectaculaire, in fine, elles se sont toutes enlisées et ses échecs répétés ont porté le coup de grâce au moral des troupes, d’autant plus que les pertes ont été élevées : quelques 900 000 morts et blessés, qu’il était impossible de remplacer.

Erich Ludendorff, l’homme fort du Haut commandement allemand depuis 1916, avait joué sa dernière carte et il avait perdu. Avec le succès des offensives alliées à partir du 8 août, la « journée noire de l’armée allemande» (selon les propos mêmes de Ludendorff ) il devenait clair que celle-ci n’était plus en mesure de s’opposer pour longtemps aux coups de butoir de l’Entente et des Américains qui jouissaient d’une double supériorité technologique et numérique allant crescendo (plus de 2 millions de soldats américains étaient en France au moment de l’armistice).

Ludendorff est obligé de le reconnaître lui-même quand il demande le 28 septembre 1918, au gouvernement de négocier le plus rapidement possible, ce qui ne l’empêchera pas de devenir, dans l’immédiate après-guerre, l’un des promoteurs les plus farouches de la légende du coup de poignard. »

Et il ajoute

« Ce n’est qu’une fois convaincus (à très juste titre au vu du rapport de force militaire) de l’inévitabilité de la défaite que les soldats et les marins refusent d’obéir. […] Ce fut, en d’autres termes, la défaite qui engendra la révolution et non l’inverse n’en déplaise aux propagandistes de la légende du coup de poignard. »

J’ai lu cette même thèse chez d’autres historiens. Le romantisme et l’exaltation du récit c’est bon pour faire rêver. Mais la réalité est plus prosaïque, l’Allemagne a perdu parce que démographiquement, économiquement et du point de vue des ressources en énergie et en alimentation, les puissances centrales disposaient de moyens largement inférieurs à ceux de l’Entente. Et devant ce déséquilibre, si la guerre avait continué, l’armée française aurait continué jusqu’à Berlin. C’est ce que savait le Haut commandement militaire allemand qui pressait le gouvernement de demander la paix.

Elles n’ont pas gagné, en outre, parce qu’elles ne disposaient pas d’un général génial capable par des manœuvres audacieuses et déstabilisantes de surpasser au début de la guerre ce déséquilibre de moyens.

Et l’Entente et les français n’avaient pas non plus de général génial sinon ils auraient dû gagner bien avant.

En revanche, les soldats des deux côtés et les officiers qui se battaient avec eux, au-delà de toute raison, ont été d’un héroïsme que je qualifierai d’inhumain.

J’avais consacré le <mot du jour du 19 février 2016> à la bataille de Verdun qui avait commencé le 21 février 1916.

Et j’avais cité un livre que j’avais lu : «  L’enfer de Verdun évoqué par les témoins».

Pour débuter la bataille, les allemands ont déclenché sur 60 km de front un bombardement qui a duré 9h.

Les généraux allemands ont alors lancé leurs fantassins sur le terrain pensant qu’ils ne rencontreront que des cadavres et qu’ils pourront progresser sans résistance jusqu’à Verdun et voilà ce qui va se passer :

«  Leurs chefs n’escomptent aucune réaction, considérant que tout a été détruit devant eux. La marche, de 50 à 900 m, s’effectue l’arme à la bretelle. Certaines de ces colonnes franchissent sans s’en apercevoir l’emplacement fumant de ce qui a été notre première ligne, tant il a été pioché et retourné.

Les sections d’assaut progressent, en différents points, de 3 km sans se heurter à la moindre résistance.

D’autres sections voient avec stupeur des fantômes titubants se dresser au bord des trous d’obus. Hébétés, épuisés, sourds, à demi-fous, les survivants obéissent à un réflexe de désespoir, de rage et de vengeance. Nos hommes balancent des grenades, s’ils en ont ; tirent, si leur fusil s’y prête malgré la terre qui le couvre ; ils ont mis baïonnette au canon. Les fantassins allemands s’aplatissent au sol, dégoupillent des grenades, placent en batterie des mortiers de tranchées, lancent des fusées, téléphonent à l’artillerie ; ils ont beau être à 10 contre un, ils sont stoppés !»

Et ces hommes hagards vont arrêter l’avancée allemande laissant le temps aux renforts de venir se positionner devant l’armée du Kronprinz.

Je ne vois pas pour quelle raison on honore les maréchaux et généraux davantage que les autres soldats. Comme eux, ils ont fait leur travail, quelquefois bien, souvent mal en ne tenant aucun compte des enjeux au regard des vies humaines dont ils exigeaient le sacrifice.

Dans la revue l’Histoire, j’ai vu cette reproduction d’un tableau de William Orpen qui était le peintre officiel de l’armée britannique. Celui-ci est un hommage au soldat inconnu britannique en France. Dans un premiers temps il était prévu de représenter, autour de ce cercueil, des dignitaires britanniques. Finalement Orpen décida de les supprimer de ce tableau.

Je pense qu’il a eu raison quand on sait ce que nous savons aujourd’hui.

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Vendredi 26 octobre 2018

« Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. »
Catherine Vincent, journaliste du Monde

Et dans l’émission de Thierry Ardisson qui aime le buzz, le polémiste Eric Zemmour lança à la chroniqueuse Hapsatou Sy :

« Votre prénom est une insulte à la France. »

Et une longue polémique s’en suivit. Dans sa rhétorique, comme dans ses provocations Eric Zemmour est absolument insupportable. Dire à quelqu’un que son prénom, le nom par lequel, dès son plus jeune âge, sa mère et son père l’ont appelé est une insulte ne peut qu’être que blessant.

Auparavant, il y avait eu ces échanges :

Hapsatou Sy : « Je m’appelle Hapsatou »

Éric Zemmour : « Eh bien votre mère a eu tort »

Hapsatou Sy : « Vous vouliez qu’elle m’appelle Marie ? »

Éric Zemmour : « Absolument, c’est exactement ce que je veux. Votre mère a eu tort (…) Corinne, ça vous irait très bien. »

Eric Zemmour voudrait que Hapsatou Sy s’appelât Corinne Sy.

Venant de lui c’est absolument inécoutable.

Mais quand Marceline Loridan-Ivens dit exactement la même chose, est-ce écoutable ?

Dans cet extrait de l’émission <de la Grande Librairie>, elle raconte certes sur un autre ton et dans un tout autre esprit que son père a tenu à donner des noms français à ses filles pour qu’elles soient pleinement françaises : Marceline, Henriette, Jacqueline et elle valide ce choix. Son père ajoutait qu’elles pourraient aussi s’appeler Sarah, Myriam, mais dans l’intime, dans la famille non dans l’espace public. Et en plus dans cet extrait, elle dit, que selon elle, c’est une erreur de ne pas le faire.

C’est une vraie question que celle de donner un prénom de la tradition du pays où on habite ou de donner un prénom conforme à ses origines ethniques ou religieuses.

Je n’ai pas d’avis tranché sur ce sujet.

Mais ce qui est certain, c’est comme l’écrit la journaliste du Monde, Catherine Vincent dans son article au sujet du prénom : « Le prénom n’a rien d’anodin » :

« Moins anodin qu’on ne pourrait le croire, le prénom en dit long sur l’époque et le lieu où nous sommes nés et sur ceux qui nous l’ont donné. […] le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. Sur nous-mêmes, sur ceux qui nous l’ont donné, sur l’époque et le lieu où nous sommes nés, sur la classe à laquelle nous appartenons – en un mot, sur notre histoire privée et publique. »

Pendant longtemps, en Occident, le choix du prénom suivait des règles et des contraintes fortes

« Dans notre culture occidentale, le choix fut longtemps plus restreint. Le prénom avait pour rôle de porter un message familial et ­social. Et surtout, de désigner le descendant qui assurerait la survie économique de la ­lignée – ce qui impliquait la sauvegarde du patrimoine et la concentration des capitaux.

Dans une étude menée au début des années 1980, l’anthropologue Bernard Vernier a montré comment était autrefois régi le système de parenté de Karpathos, une île grecque du Dodécanèse. Dans chaque famille, le premier-né des garçons héritait de son père et portait le prénom de son grand-père paternel, tandis que la première-née des filles héritait de sa mère et portait le prénom de sa grand-mère maternelle – les prénoms attribués aux suivants provenant ensuite alternativement du stock paternel ou maternel.»

La révolution française a créé un service d’état civil indépendant de l’Église et a vraiment créé le « prénom ». Avant il s’appelait « le nom de baptême ». D’ailleurs les gens du peuple ne fêtaient pas l’anniversaire de leur naissance car il n’en connaissait pas la date. La date qui était portée dans les registres de l’église était la date du baptême. Et ce qui était fêté, c’était la fête du Saint dont on portait le nom :

« Qu’il concerne l’aîné ou les cadets, le choix du prénom, pendant longtemps, a donc été ­ étroitement contraint par l’histoire familiale – mais aussi par l’Église. En France, il faut d’ailleurs attendre 1792, et la sécularisation de l’état civil, pour que le terme même de « prénom » commence à s’imposer : on parlait jusqu’alors de « nom de baptême ».

Historiquement, le nom de baptême avait été imposé par l’Église chrétienne dès les premiers siècles de notre ère, remplaçant ainsi l’usage romain des noms multiples. Dans un premier temps, les parents purent choisir ­librement le nom de baptême de leurs ­enfants. Puis, à partir du Xe siècle, il leur fallut exclusivement piocher dans le registre des saints, le martyrologe. »

« Avec l’école obligatoire, le service militaire et l’établissement de carnets d’identité, le XIXe siècle instaure progressivement l’usage d’un seul nom et d’un seul prénom – lequel nous définit désormais dans toutes les situations.

S’il n’est plus forcément tiré du martyrologe, il n’en reste pas moins, à cette époque, encadré de façon stricte par la loi du 11 germinal an XI (1er avril 1803), qui autorise seulement « les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’histoire ancienne ». »

« Deux siècles plus tard, la situation a changé du tout au tout ! Les prénoms s’inventent, se composent, viennent d’ailleurs, prennent des consonances exotiques au libre choix des ­parents. Il faut attendre 1993 pour que cette évolution soit inscrite dans notre code civil, qui ne restreint désormais ce choix qu’a posteriori, sur intervention du procureur de la ­ République, lorsque ces prénoms paraissent à l’officier de l’état civil « contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur patronyme ». Mais la libéralisation du droit a commencé bien avant, qui donne progressivement, depuis les années 1950, la maîtrise du choix aux parents plutôt qu’à l’Etat. »

Le prénom dit aussi quelque chose de la classe sociale :

« Certains – Astrid, Diane, Stanislas – restent majoritairement cantonnés aux beaux quartiers, d’autres sont plébiscités par les classes populaires : ce sont souvent des prénoms anglo-saxons rendus célèbres par les séries américaines, comme Dylan ou Kevin.

Baptiste Coulmont, qui calcule chaque année le taux de mentions « très bien » obtenues par les ­candidats au baccalauréat, observe ainsi qu’en 2016, plus d’un quart des candidates prénommées Esther ou Diane ont obtenu une mention « très bien », soit dix fois plus que les candidats prénommés Steven ou Sofiane. […]

Le prénom reflète partiellement la hiérarchie sociale, et donc la chance de réussite des uns et des autres. Et si nombre d’entre eux traversent toutes les couches ­sociales, ils ne le font pas au hasard, mais ­selon une dynamique bien précise.

Dans un article publié en 1986 sous le titre « Les enfants de Michel et Martine Dupont s’appellent Nicolas et Céline », Guy Desplanques, démographe à l’Insee, montrait ainsi, sur la base des prénoms à la mode, une stratification sociale des goûts. « La diffusion d’un prénom commence dans les couches sociales élevées et moyennes, notait-il. Puis les autres groupes sociaux emboîtent le pas : d’abord les professions intermédiaires et les artisans et commerçants, puis les employés et les ouvriers, enfin, avec un peu de retard, les agriculteurs. » »

Et la journaliste en arrive enfin à la manière dont les parents issus de l’immigration nomment leurs enfants :

«C’est dans ce contexte touffu qu’il faut analyser la manière dont les immigrés, les enfants d’immigrés et petits-enfants d’immigrés nomment leur descendance. […]

Dans un numéro de la revue Annales de ­démographie historique (« Nommer : enjeux symboliques, sociaux et politiques », 2016, n° 131), Cyril Grange, enseignant-chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste de la parenté, rappelle les quatre scénarios principaux auxquels peuvent être confrontées les populations étrangères dans leur pays d’accueil :

  • l’acculturation forcée (exemple : en 1984, la ­direction du Parti communiste bulgare ­obligea tous les Turcs à « bulgariser » leurs noms) ;
  • la ségrégation forcée (dans l’Allemagne nazie, les juifs n’ayant pas un prénom permettant de les distinguer comme tels ­durent y adjoindre le prénom Israël pour les hommes, Sarah pour les femmes) ;
  • l’acculturation volontaire (adoption sans contrainte de prénoms issus du groupe ethnique dominant) ;
  • la ségrégation volontaire (désir d’une minorité d’exprimer son identité au travers de prénoms ethniques).

Dans nos sociétés libérales, le scénario de l’acculturation volontaire est, de loin, le plus fréquent : en une génération, deux tout au plus, les familles choisissent majoritairement des prénoms en vigueur dans leur pays d’accueil.

Et la journaliste conclut avec une histoire particulière qui concerne le « métèque » Moustaki et son admiration pour Brassens

« Dans un entretien donné à Libération à l’occasion de la sortie de son ouvrage La Méditerranée. Mer de nos langues (CNRS Editions, 2016), le linguiste Louis-Jean Calvet évoquait ainsi les pérégrinations de celui de son ami Moustaki. « Né à Alexandrie d’une famille juive grecque mais de langue italienne, baptisé Giuseppe par ses parents, inscrit à l’état civil égyptien sous le nom de Youssef, appelé à l’école française Joseph, puis Jo, un diminutif qui a fait croire, lorsqu’il est arrivé en France, qu’il s’appelait Georges, ce qu’il a laissé faire par admiration pour Brassens. » »

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Jeudi 4 octobre 2018

« La constitution de la 5ème république a 60 ans »
Charles de Gaulle

Je n’ai pas de problème pour connaître l’âge de la constitution de la 5ème République, puisque je suis né 9 jours après sa promulgation et que tant que je connaîtrai mon âge…

Notre texte fondamental a été adopté par référendum le 28 septembre 1958 et promulgué le 4 octobre 1958, on parle donc de la constitution du 4 octobre 1958.

Dans le domaine de la longévité, elle semble sur de bonnes voies, si on la compare aux autres républiques et aux deux empires qui ont jalonné la vie politique française depuis la révolution française. Seule la 3ème république (1870-1940) a été plus longue, encore 10 ans…

Dans un mot du jour très personnel, j’en disais tout le mal que j’en pensais : <Mot du jour du 08 février 2017>

Parallèlement, je disais beaucoup de bien du régime parlementaire allemand : <Mot du jour du 25 septembre 2017>

Depuis, beaucoup de politologues sont revenus à la charge pour vanter les mérites de la 5ème république et montrer son efficacité par rapport aux régimes parlementaires allemands, anglais, espagnols et italiens qui sont aujourd’hui tous à peu près paralysés parce que tous ces pays n’arrivent plus à constituer une majorité cohérente formée d’un seul parti ou d’une coalition de partis d’accord sur un programme de gouvernement parce des partis extrémistes se développent à l’extrême droite surtout et aussi dans une moindre mesure à l’extrême gauche des partis de gouvernement. Et puis les Etats-Unis ont accouché de ce monstre : Donald Trump, menteur patenté, impulsif, démagogue.

La 5ème république nous prémunit contre ces dérives disent des gens aussi sérieux qu’Alain Duhamel et Edouard Balladur dans leur livre commun : « Grandeur, déclin et destin de la Ve République ; un dialogue»

De Gaulle voulait une constitution qui permette d’éviter que des manœuvres de partis politiques créent tout le temps de l’instabilité gouvernementale.

La Quatrième République a connu 24 présidents du Conseil en 12 ans. 9 gouvernements ont duré moins de 41 jours (plus d’un sur trois), et pour la dernière année, après mai 1957, il y a eu 5 gouvernements qui ont duré en moyenne moins de 59 jours. De plus, seuls deux gouvernements ont duré plus d’un an (Henri Queuille (1) pendant 12,8 mois et Guy Mollet pendant 15,6 mois).

Il est clair que la 5ème république est plus stable.

Faut-il, pour reprendre une expression macronienne un pouvoir exécutif fort et omnipotent pour museler un pouvoir législatif que les gaulois querelleurs ne sauraient maîtriser ?

Mais elle a été abimée en 2 étapes :

  • La première fut l’œuvre de De Gaulle lui-même qui inventa l’élection présidentielle au suffrage universel, rendant les hommes politiques français littéralement fous et obnubilés par ce seul poste.
  • La seconde fut l’apport désastreux de Lionel Jospin. Il le fit en 2 temps d’abord en alignant la durée du mandat présidentiel sur celui des députés, 5 ans puis en inversant l’ordre des élections d’abord la présidentielle puis les élections législatives.

Ce qui fait que les députés doivent tout au président élu.

On l’a bien vu lors des dernières élections, l’expression « même une chèvre avec le logo LREM aurait été élue » n’est qu’exagérée mais non fausse.

C’est pourquoi un mouvement, mais plutôt un homme pesant au mieux 30% des électeurs peut gouverner tout seul.

Il gouverne tout seul puisqu’il décide qui sera président de l’Assemblée Nationale et même qui doit être Procureur de Paris.

Alors, je ne dis pas forcément non à la 5ème République, mais je dis résolument non à la 5ème république Gaullo-jospinienne.

Aujourd’hui il n’existe plus de savant comme Newton ou Einstein qui invente ou comprenne le monde tout seul dans leur tête et devant leur bureau. Alors si pour les plus grandes avancées de la science et de la connaissance humaine il est nécessaire de travailler en équipe, comment imaginer qu’un homme détienne tous les clés pour gouverner un pays ?

Il faut certes un chef d’équipe mais pour cela il faut une équipe.

Le Président actuel en est fort dépourvu et il se trouve de plus en plus seul.

On ne peut qu’être inquiet sur la manière dont tout cela finira, et il n’est au pouvoir que depuis 16 mois.

C’est pourquoi il faudrait vraiment réformer cette 5ème république : Hollande souhaite la suppression du premier ministre

Je pense qu’il faut aussi davantage encadrer la dissolution de l’assemblée nationale ne donnant plus ce pouvoir au seul Président de la République.

Il faudrait à minima organiser les élections législatives en même temps que les élections présidentielles et ne plus en faire l’accessoire.

Le régime est peut être stable, mais sommes-nous bien gouvernés ?

Je ne le crois pas.

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Mercredi 19 septembre 2018

« La République en marché ? »
Frédéric Says

Lundi, j’exprimais ma satisfaction concernant le Président de la République et son attitude à l’égard de la guerre d’Algérie et du destin de Maurice Audin.

Aujourd’hui, je vais vous parler des produits dérivés de l’Elysée.

Par exemple ce « T-shirt Champions du monde » est vendu 55 euros.

Il nous rappelle que la France a gagné la coupe du monde Football et que notre jeune Président a illuminé de son euphorie et de ses qualités sportives cet évènement mondial.

Si vous souhaitez l’offrir pour Noël ou d’autres produits de ce type l’adresse est derrière ce lien : https://boutique.elysee.fr/

Le produit de la vente ne poursuit pas l’objectif de donner de l’argent de poche au couple présidentiel, mais doit servir à faire des travaux au Palais de l’Elysée sans passer par la case « impôts »

Frédéric Says a consacré sa chronique du 17 septembre à cette nouvelle disruption et a donné pour titre de son billet : « La République en marché ? »

Selon lui il s’agit d’une initiative moins anodine qu’il n’y paraît :

« 347 000 euros en trois jours : voici le chiffre d’affaires de la nouvelle boutique de l’Élysée.

Une boutique lancée ce week-end, à l’occasion des Journées du patrimoine. Sur place ou en ligne, elle rassemble des dizaines de produits dérivés liés à la présidence de la République. Cela va du stylo Bic bleu-blanc-rouge (3 euros) jusqu’au bracelet en or, estampillé liberté, égalité ou fraternité (250 €).

[…]

Plus sérieusement, la présidence de la République se justifie : les bénéfices de cette boutique seront affectés à la rénovation du palais de l’Elysée, dont certaines parties sont pour le moins décrépies.

Une stratégie de communication assez habile politiquement…

Oui, au moment où les ménages payent leur dernier tiers d’impôt sur le revenu, il ne sera pas dit que le contribuable finance les aménagements du « Château ». Par ailleurs, l’existence de cette boutique est cohérente avec les valeurs véhiculées inlassablement par Emmanuel Macron : la start-up nation, l’innovation, la disruption : ça n’avait jamais été fait, il faut donc le faire…

Évidemment, tout cela prête à hausser les épaules. Mais cette évolution n’est pas seulement anecdotique ou insolite. Elle éclaire aussi la philosophie générale du président sur la question de l’impôt. Peut-être connaissez-vous la formule d’Alphonse Allais : « il faut demander plus à l’impôt et moins au contribuable ».

Pour Emmanuel Macron c’est l’inverse. L’impôt ne peut pas tout, les budgets publics non plus. L’on a déjà vu cette logique à l’œuvre avec le loto créé pour venir en aide au patrimoine, sous la houlette de Stéphane Bern. Dans cette perspective, ce n’est pas à la puissance publique de soutenir le patrimoine en danger, c’est à la générosité du public. Même raisonnement pour la réfection de l’Élysée.

Bien sûr, l’État ne coupe pas tous ses financements. En l’occurrence, des fonds publics restent massivement engagés…

Mais derrière ces exemples très médiatisés, l’on entrevoit une idée générale, qui est ici introduite de manière subreptice. Celle de faire primer la charité sur la solidarité ; le mécénat individuel sur la contribution collective. Si l’on prend du recul, ces initiatives portent en germes l’idée d’un impôt à la carte : « je choisis les causes pour lesquelles je donne ».

D’ailleurs, il suffit d’étendre ce modèle pour en montrer les limites. Pourquoi ne pas imaginer, demain, une tombola pour financer la réfection d’une école ?

Une partie de poker pour la toiture du commissariat ?

Une loterie pour le matériel médical de l’hôpital ?

Ce serait à coup sûr disruptif. Voilà pourquoi cette boutique de l’Elysée a quelque chose de croquignolesque, pour ne pas dire de « poudre de perlimpinpin ». »

Je finirai en citant Philippe Meyer :

« Nous vivons une époque moderne où le futur ne manque pas d’avenir »

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Lundi 17 septembre 2018

« Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité »
Déclaration du Président de la République Française, Emmanuel Macron à propos de la mort de Maurice Audin et du système de torture mis en place par les autorités françaises lors de la Guerre d’Algérie

« Tout se sait toujours » avait répondu Henry Alleg à son tortionnaire qui lui dit que jamais personne ne saura ce qui se passe dans les chambres de torture de l’armée française en Algérie.

Henri Alleg était un militant de la cause indépendantiste algérienne et était devenu célèbre en écrivant le livre « « la Question » qui est un livre autobiographique, publié en français en 1958 et en anglais. Il y narre et dénonce la torture des civils pendant la guerre d’Algérie. Et dans ce livre, il relate un dialogue avec ses bourreaux à qui il dit, épuisé par la torture : « On saura comment je suis mort. » Le tortionnaire lui réplique : « Non, personne n’en saura rien. ».

Et j’ai utilisé la réponse du supplicié : « Tout se sait toujours » pour le mot du jour du 1er mars 2018, consacré à Maurice Audin à la suite d’un article publié le 14 février 2018 par le journal « L’Humanité » qui présentait le témoignage d’un vieil homme qui pense qu’on l’a obligé, sans lui dire la vérité, d’enterrer le corps de Maurice Audin.

<Vous trouverez cet article derrière ce lien>

Maurice Audin a été arrêté le 11 juin 1957 par des militaires français, au cours de la bataille d’Alger et on n’a jamais retrouvé sa trace. Henri Alleg avait été arrêté le 12 juin 1957, soit le lendemain de l’arrestation de Maurice Audin,

C’était un brillant mathématicien, il était marié à Josette avec qui il avait eu 3 enfants. Au moment de son arrestation il avait 25 ans.

Pour Josette Audin, ce fut le combat de toute une vie de contester la pitoyable et monstrueuse version officielle : « Maurice Audin s’est évadé et on ne sait pas ce qu’il est devenu ». Elle était soutenu par une grande part de la communauté des mathématiciens dont Cédric Villani, ces dernières années, et aussi de communistes qui ne lâchaient pas leur camarade.

Après que le président Nicolas Sarkozy n’ait pas daigné répondre à une lettre de Josette Audin, le président François Hollande avait fait les premier pas au nom de la République, de la France :

  • D’abord en 2012, il s’était rendu devant la stèle élevée à la mémoire de Maurice Audin à Alger et fait lancer des recherches au Ministère de la Défense sur les circonstances de sa mort
  • Puis en juin 2014, dans un message adressé à l’occasion du prix de mathématiques Maurice Audin, il reconnaissait officiellement pour la première fois au nom de l’État français que Maurice Audin ne s’est pas évadé, qu’il est mort en détention, comme, explique-t-il, les témoignages et documents disponibles l’établissent.

Mais c’est à Emmanuel Macron qu’il est revenu de faire le pas décisif par une déclaration solennelle daté du 13 septembre 2018.

Ce même jour, il est venu apporter cette déclaration, en mains propres à Josette Audin qui a déclaré au journal l’Humanité : « Je ne pensais pas que ça arriverait  »

Vous trouverez la déclaration intégrale du Président de la République Française derrière ce lien :

http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-du-president-de-la-republique-écrie-sur-la-mort-de-maurice-audin/

J’en tire les extraits suivants :

« Au soir du 11 juin 1957, Maurice Audin, assistant de mathématiques à la Faculté d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile par des militaires. Après le déclenchement de la guerre par le Front de libération nationale (FLN), le PCA, qui soutient la lutte indépendantiste, est dissous et ses dirigeants sont activement recherchés. Maurice Audin fait partie de ceux qui les aident dans la clandestinité.

Tout le monde sait alors à Alger que les hommes et les femmes arrêtés dans ces circonstances ne reviennent pas toujours. […]

Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. Le récit de l’évasion qui figure dans les comptes rendus et procès-verbaux officiels souffre de trop de contradictions et d’invraisemblances pour être crédible. Il s’agit manifestement d’une mise en scène visant à camoufler sa mort. Les éléments recueillis au cours de l’instruction de la plainte de Josette Audin ou auprès de témoins indiquent en revanche avec certitude qu’il a été torturé.

Plusieurs hypothèses ont été formulées sur la mort de Maurice Audin. L’historien Pierre Vidal-Naquet a défendu, sur la foi d’un témoignage, que l’officier de renseignements chargé d’interroger Maurice Audin l’avait lui-même tué. Paul Aussaresses, et d’autres, ont affirmé qu’un commando sous ses ordres avait exécuté le jeune mathématicien. Il est aussi possible qu’il soit décédé sous la torture.

Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé « arrestation-détention » à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout « suspect » dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire.

Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957.

Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. Certes, la torture n’a pas cessé d’être un crime au regard de la loi, mais elle s’est alors développée parce qu’elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu’elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l’insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l’indépendance ; une arme considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité.

En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à eux que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté.

Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. »

Cette déclaration ne donne pas, parce qu’il n’y a pas de certitude, les circonstances exactes de la mort de Maurice Audin.. <Cet article du Point> émet certaines hypothèses..

Mais cette déclaration reconnait surtout la responsabilité de la République dans la mise en place d’un système où la torture était possible et encouragée.

Et dire qu’en 1957, nous n’étions que 12 ans après la fin de la guerre 1939-1945 où tous les français dénonçaient le comportement de la Gestapo dans la France occupée.

Pour que de telle chose soit possible, il faut comme je l’ai écrit vendredi que des fictions, des mythes puissent faire croire que le combat qu’on mène, les actes « sales »qu’on commet poursuivent un but légitime.

A cette époque, la fiction était que « l’Algérie était la France. »

Alors, tout le monde n’est pas d’accord.

Si un Editorial du Monde du 14 septembre affirme : « La responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, une salutaire vérité !. »

<La décision de Macron dans l’affaire Maurice Audin divise> écrit « Le Parisien » dans son édition du 13 septembre 2018, qui cite Brice Hortefeux, ancien ministre de l’Intérieur, qui dit « qu’il faut arrêter de se repentir sur des actes qui ont été commis par des générations précédentes ».

<Nice Matin> explique dans son édition du 14 septembre que « La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin est mal passée chez les élus de droite » et cite Michèle Tabarot, Christian Estrosi et Eric Ciotti.

Et toutes ces personnes de considérer qu’il n’est pas possible que la France reconnaisse sa responsabilité alors que l’Algérie et donc la continuation du FLN ne reconnait pas les crimes qu’a commis le FLN contre les français et les harkis.

On peut bien sûr souhaiter que l’Algérie ouvre ses propres archives, comme l’ordonne Emmanuel Macron, dans sa déclaration, pour les archives françaises :

Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.

Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique.

L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien. »

Mais dans la déclaration d’Emmanuel Macron il n’y a pas essentiellement une repentance, il y a d’abord un devoir de vérité.

Moi je crois que les Etats s’honorent de reconnaître la vérité des faits.

Sur ce point je suis totalement en accord avec Emmanuel Macron : « Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité ». C’est cela le devoir de vérité.

Les faits c’est que Maurice Audin a été torturé et qu’il est mort en détention.

Les faits c’est que trahissant ses valeurs et les droits de l’homme, le gouvernement et le parlement français en 1956 ont mis en place des pouvoirs spéciaux rendant possible et probablement même inévitable la torture en Algérie.

Je ne me lasserai pas de rappeler qu’entre le 1er février 1956 et le 21 mai 1957, le gouvernement de la France était dirigé par Guy Mollet qui était à la tête de la SFIO, donc l’ancêtre du Parti Socialiste et que le Ministre de la Justice de ce gouvernement était François Mitterrand. Gaston Defferre était aussi ministre de ce même gouvernement.

L’éthique me pousse à concéder que Pierre Mendès-France l’était aussi, mais qu’il a démissionné en mai 1956 et a été remplacé par Jacques Chaban-Delmas.

C’est leur part d’ombre aussi.

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Mercredi 30 mai 2018

« Mai-68 : Derrière les discours révolutionnaires se profilait une société hyperlibérale. »
Luc Ferry

Parmi les pourfendeurs de mai 68, Luc Ferry est un de ceux qui en a le plus conceptualisé les conséquences négatives. Il voit sous l’apparence d’une volonté collective une aspiration individualiste au plaisir.

Rappelons qu’en mai 68 quand les manifestants voulaient protester contre l’expulsion de Daniel Cohn Bendit leur slogan était :

« Nous sommes tous des juifs allemands »

Et lorsque les terribles attentats ont frappé Charlie puis Paris. Le slogan a été :

« Je suis Charlie ou Je suis Paris »

Pourtant, en mai 1968 Luc Ferry n’était pas un adepte de l’autorité et du conservatisme. Il raconte qu’il avait 17 ans et avait quitté le lycée depuis la troisième, ne supportait pas l’autorité, le côté caserne du bahut de son enfance. Il préparait son bac en candidat libre, grâce au télé-enseignement.

Mais en 1985, il a publié avec Alain Renaut « La pensée 68 » qui constitue une charge sévère contre Mai-68.

Selon ces deux auteurs « La pensée 68 » est un courant philosophique et intellectuel français qui a tenté d’avoir un rayonnement mondial. Et ils donnent des noms à ces intellectuels qui ont propagé cette pensée 68 : Michel Foucault, Louis Althusser, Jacques Derrida, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu, Gilles Deleuze.

Il s’agit d’un livre érudit qui fait appel à l’histoire de la philosophie et qui pour un inculte de mon genre semble assez indigeste.

Toutefois, ils prétendent que cette pensée a poussé les occidentaux vers un individualisme forcené qui a conduit à une société hyper libérale.

« Les sixties philosophantes, ont amorcé et accompagné le procès de désagrégation du Moi qui conduit vers la conscience cool et désinvolte des années quatre-vingt… »

Le sous-titre de leur livre est « Essai sur l’anti-humanisme contemporain ».

La pensée 68 serait donc un anti-humanisme, privilégiant probablement le consommateur au profit de l’humaniste.

L’Obs est allé l’interroger Luc Ferry récemment pour savoir si son opinion a évolué sur le mouvement de mai, 33 ans après. Cet article a été publié le 15 avril 2018 et je vais en partager quelques extraits.

Il considère que l’évolution depuis 1985 a validé la thèse du livre :

« Nous disions en substance que Mai-68 n’avait pas été une révolution politique, mais sociétale, et que, derrière les discours révolutionnaires, c’était une société hyperlibérale qui se profilait.

Je reprenais au fond à Marcuse la notion de « désublimation répressive » : il fallait que les valeurs et les autorités traditionnelles fussent déconstruites, pour ainsi dire liquéfiées, pour que nous puissions entrer dans l’ère de la consommation de masse. Car rien ne freine autant la consommation que la sublimation et les valeurs traditionnelles. »

Les soixante-huitards entonnaient un discours marxiste-léniniste en béton armé, avec le fameux « élections pièges à con », mais sous l’apparence d’une visée collective et révolutionnaire c’est l’aspiration individualiste au plaisir et à la consommation qui faisait irruption comme jamais. Du reste, les slogans le disaient assez : « jouir sans entraves », « sous les pavés la plage », « il est interdit d’interdire », « vivre sans temps mort », etc.

La preuve ? Le système politique n’a pas changé d’un iota, nous sommes toujours dans la Constitution de 58. C’est le sociétal qui a changé, et en grande partie grâce à la droite libérale. C’est Giscard qui accorde le droit de vote à 18 ans, consacrant ainsi la victoire du jeunisme, c’est lui qui instaure l’égalité homme-femme dans le Code de la famille, c’est lui encore qui demande à Simone Veil une loi sur l’avortement, toutes réformes qui sont à l’évidence des héritages de 68…

Quant aux soixante-huitards, à quelques très rares exceptions près, ils vont se reconvertir dans la pub, le cinéma, l’entreprise, voire au Sénat, dans l’inspection générale et dans la social-démocratie bon teint, quand ce n’est pas au Medef, bref, dans les lieux d’argent et de pouvoir…

Il récuse le fait d’être un moraliste et de se placer dans une posture de condamnation de mai 68 et ne prétend qu’à l’analyse :

«J’essaie de comprendre ce qui s’est passé, voilà tout, et ce qui s’est passé était inscrit dans la logique du capitalisme si intelligemment analysée par Schumpeter : nous avons vécu un XXe siècle de déconstruction des autorités et des valeurs traditionnelles, une déconstruction qui était indispensable à l’essor de la consommation. Si nos enfants avaient les valeurs de nos arrière-grands-parents, ils ne seraient pas livrés comme ils le sont aujourd’hui à la consommation de masse. Désublimation, donc, mais répressive en ce sens qu’elle les ouvrait à ces fameux « temps de cerveau humain disponible » dont parlait l’ancien patron de TF1. »

Pour lui l’espérance de Mai-68 a été trahie mais le germe de la contradiction se trouvait déjà au sein des valeurs défendus dans ce mouvement :

« Ce ne sont pas des travers, c’est sa logique de fond, celle de l’innovation destructrice. Les soixante-huitards ont été les cocus de l’histoire. Ils voulaient changer le monde, créer une société anticapitaliste, sans classes, sans exploitation ni aliénation, et ils ont accouché du monde libéral dans lequel ils vivent maintenant comme des poissons dans l’eau. Même chose dans l’art contemporain : les artistes sont de gauche, mais les acheteurs de droite et au bout du compte le bohème et le bourgeois se sont réconciliés dans la figure de l’innovation destructrice… »

Il accepte quand même de trouver des apports positifs de Mai-68

« […], il est évident que la déconstruction des autorités traditionnelles a forcément des effets d’émancipation que je suis le premier à approuver : l’émancipation des femmes, des homosexuels, les lois Auroux par exemple. Je ne suis pas, contrairement à la plupart des anciens admirateurs de 68, comme mes camarades Finkielkraut ou Onfray par exemple, un antimoderne, au contraire. J’ai défendu le mariage gay jusque dans les colonnes du Figaro, et je me réjouis toujours des progrès de la liberté. »

L’ancien ministre de l’Education Nationale ne trouve cependant rien de bon pour l’école dans le mouvement de mai 68

« Non, c’est au contraire dans l’éducation que Mai-68 a été un vrai désastre, notamment à cause de la fameuse « rénovation pédagogique ». Il faut bien comprendre qu’il y a deux secteurs totalement traditionnels dans l’éducation : la maîtrise de la langue et celle de la civilité. Or c’est clairement dans ces deux domaines que notre école est le plus en difficulté.

Pourquoi ? Tout simplement parce que les règles de grammaire, comme celles de la politesse, sont purement patrimoniales, traditionnelles à 100%. Aucun d’entre nous n’a inventé ni le français ni les formules de politesse qui viennent clore une lettre. La créativité en matière de grammaire porte un nom : les fautes d’orthographe. Nous payons aujourd’hui dans ces deux domaines la déconstruction des traditions. »

La nostalgie de 68 constitue pour lui un signe de sénilité

« Tous les vieux, dans toutes les générations, regrettent leur jeunesse. […] Débarrassé des totalitarismes de l’Est comme des régimes fascistes d’Amérique latine, d’Espagne, de Grèce et du Portugal, le monde est infiniment meilleur aujourd’hui que dans les années 1960. N’était Daech, il serait presque idyllique en comparaison ; alors la nostalgie n’est guère à mes yeux qu’un signe de sénilité parmi d’autres. »

Et voilà Luc Ferry en 1969


C’est en tout cas une vision très différente d’Edgar Morin développé dans le mot du jour du 23 mai 2018

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