Vendredi 13 octobre 2017

« Un anniversaire »
Retour annuel d’un jour marqué par un événement

Avant qu’homo sapiens puisse fêter un anniversaire, il a fallu qu’il invente plusieurs choses.

  • Il lui fallait d’abord la capacité de décrire le temps dans une période cyclique. Le cycle de l’année qui accompagne une rotation complète de la planète des homos sapiens autour de son étoile constitue la première pierre de cet édifice.
  • Il fallait ensuite être capable de décrire un cycle par petites périodes repérables et identifiées. Le jour, période pendant laquelle la terre tourne autour d’elle-même fut la seconde pierre.
  • Et la troisième pierre est constituée par la capacité à marquer un évènement dans le calendrier ainsi créé. Cette dernière faculté nécessitait la création de l’écriture.

L’étymologie illustre parfaitement le sens d’anniversaire. C’est encore un mot qui vient du latin anniversarius (« qui revient tous les ans »), formé de annus (« année »), et de versus participe passé du verbe vertere (« revenir »).

On fête l’anniversaire d’un évènement, cet évènement peut être une naissance.

Depuis quand fête t’on les anniversaires ?

On apprend sur cette page du CNRS que :

Plutarque raconte qu’après la bataille de Platée les guerriers morts ayant été enterrés sur le lieu du combat, les platéens s’étaient engagés à leur offrir chaque année le repas funèbre. En conséquence, au jour anniversaire, ils se rendaient en grande procession, conduits par leurs premiers magistrats, vers le tertre sous lequel reposaient les morts. (Fustel de Coulanges, La Cité antique,1864, p. 14.)

* Platée fut une bataille des guerres entre les grecs et les perses appelés guerres médiques et eut lieu en 479 avant JC.

Wikipedia fait référence à la bible pour montrer que dans ce livre des monothéismes, il est question d’anniversaire.

Ainsi dans l’Ancien Testament, un festin d’anniversaire est cité en Genèse 40, 20, dans l’histoire de Joseph :

« Et il arriva, le troisième jour, jour de la naissance du Pharaon, qu’il fit un festin à tous ses serviteurs ; et il éleva la tête du chef des échansons et la tête du chef des panetiers au milieu de ses serviteurs : il le rétablit dans son office d’échanson(…). Mais le chef des panetiers, il le pendit. »

Dans le Nouveau Testament, un festin d’anniversaire est cité en Marc 6, 21 quand la fille d’Hérodiade obtient la tête de Jean le Baptiste :

« Or vint un jour propice, quand Hérode, à l’anniversaire de sa naissance, fit un banquet pour les grands de sa cour, les officiers et les principaux personnages de la Galilée : – la fille d’Hérodiade entra et dansa, et plut tant à Hérode qu’il promit avec serment de lui donner ce qu’elle demanderait. Et elle de dire, endoctrinée par sa mère: ‘Donne-moi ici, sur un plat, la tête de Jean le Baptiste.’ (…) il envoya décapiter Jean dans la prison. »

C’est l’histoire dont Oscar Wilde fit la pièce de théâtre « Salomé » et Richard Strauss un opéra. Mais, en France c’est à partir de la révolution et de l’institution du registre d’état civil que l’on a vraiment commencé pour le commun des mortels de connaître avec précision la date de naissance et qu’on a pu fêter l’anniversaire de chacun. Certains, diront mais avant le registre d’état civil, il y avait les registres des églises. Mais le registre des églises enregistrait le baptême, non la naissance. D’ailleurs, avant le registre d’état civil, le commun des mortels fêtait plutôt le jour du Saint dont il portait le prénom et qu’on appelle encore aujourd’hui «la fête». Le 13 octobre correspond à la Saint Édouard, c’est donc la fête de tous les Édouard.

2017, est une année particulièrement féconde en anniversaires d’évènements de dizaines, voire de centaines d’années :

  • Il y a quelques jours, on commémorait l’anniversaire des 50 ans de l’exécution du Che le 9 octobre 1967 à la Higuera, Bolivie
  • Et puis il y a la date anniversaire des 100 ans de la révolution bolchevique, la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917
  • Le 7 janvier 1957 a eu lieu le début de la bataille d’Alger.
  • Et puis nous fêterons aussi les 500 ans de la Réforme sur laquelle je reviendrai bientôt plus longuement.

J’ai trouvé taquin d’écrire ce mot sur « un anniversaire » le 13 octobre puisque c’est le jour où je suis né, en 1958.

Je partage cette caractéristique avec Margaret Thatcher (1925), mais aussi Yves Montand (1921) et Raymond Kopa (1931).

J’ai aussi eu la joie, lorsque j’étais à Bercy de travailler avec la pétillante et sympathique Chantal qui est née le même jour que moi, un peu plus tard et qui parfois lit ce mot.

Je souhaite donc un bon anniversaire à Chantal.

<949>

Jeudi 12 octobre 2017

«Le Syndrome du bien-être»,
Carl Cederström et André Spicer,

« Le syndrome du bien-être » est un livre de Carl Cederström et André Spicer qui a été publié, traduit de l’anglais, aux éditions de l’Echappée.

A priori ce livre et les questions qu’ils posent prennent plutôt à rebrousse-poil beaucoup de thèmes que j’ai évoqués lors de mes mots du jour.

En effet, je suis plutôt sensible à privilégier le bien-être, une alimentation saine et une hygiène de vie susceptibles d’avoir des conséquences bénéfiques sur notre santé, notre espérance de vie et une vieillesse aussi sereine que possible avant que notre corps se retrouve dans son destin de la finitude.

Mais il est fécond d’entendre et d’essayer de comprendre des points de vue divergents. Cette méthode que j’ai appelée prosaïquement « tourner autour du pot » pour examiner le pot sous tous ces aspects.

Tournons donc autour du pot du « bien-être » avec Carl Cedestrom et André Spicer.

Les révélations commencent toujours par une expérience fondatrice. Nous savons que Paul Claudel a eu la révélation de la Foi chrétienne un soir de Noël alors qu’il assistait à une messe dans notre Notre Dame de Paris.

Carl Cederström raconte sa révélation de ce que j’appellerai « le côté obscur du bien-être » dans le récit suivant :

« Un beau matin, Carl Cederström allume tranquillement sa cigarette en attendant le bus. Assise sur un banc voisin, son petit chien tenu en laisse, une dame l’apostrophe en lui reprochant d’intoxiquer son animal de compagnie avec sa fumée. Pour le chercheur suédois, enseignant à la Stockholm Business School et spécialisé dans l’étude du contrôle social et de la souffrance au travail, c’en est trop. Ses voisins sont antitabac, ses amis désertent l’heure de l’apéro pour aller au fitness et ses collègues mangent sans gluten tout en méditant»

A partir de ce moment fondateur il va s’interroger avec son confrère André Spicer, professeur à la prestigieuse Cass Business School, à Londres sur ce qu’il estime être un «culte du bien-être».

Le journal suisse Le Temps développe l’analyse suivante :

« L’ouvrage part d’un constat quelque peu commun: notre société a érigé la santé au rang de valeur primordiale. Il vaudrait mieux arrêter de fumer, diminuer sa consommation d’alcool, manger cinq fruits et légumes par jour, éviter les graisses et cuisiner des aliments sains riches en vitamines. Il faut aussi faire du sport, car c’est bon pour la forme, pour l’équilibre et contre le stress. L’image d’une personne saine et mince qui fait son jogging tous les matins est érigée en modèle, et tous ceux qui n’atteindraient pas cet idéal, notamment les obèses, sont soupçonnés de manquer d’hygiène, d’être paresseux, voire incapables de se prendre en main.

Si, en soi, être en forme et bien dans son corps est un objectif louable, les deux auteurs montrent que la tendance a dégénéré en une forme d’injonction morale dont il devient très difficile de se libérer.

Aux Etats-Unis, une douzaine d’universités font désormais signer à leurs étudiants des «contrats de bien-être», dans lesquels ils s’engagent à avoir une hygiène de vie impeccable.

Rassurant pour leurs parents, sans aucun doute. Mais dommage pour ces jeunes gens muselés, car ce sont bien les erreurs qui forment la jeunesse, rappelle Carl Cederström.

Sur le site de Libération Virginie Ballet a publié un article « Le bien-être fait suer »

Elle précise que les auteurs ne sont pas des illuminés qui ne se préoccupent pas de leur santé :

« Evidemment, il n’y a aucun mal à être en bonne santé. Ce qui coince selon eux ? «S’occuper de son bien-être est devenu une obligation morale qui s’impose à chacun d’entre nous.» Il y aurait même une «logique à l’œuvre partout, dictant aussi bien notre façon de travailler et de vivre, que d’étudier et de faire l’amour.» Au secours, les gourous du bonheur prolifèrent, et ils pourraient bien faire des dégâts, avertissent les auteurs. »

Le site slate.fr publie un article sur le même sujet : Pour être heureux oubliez vous !  » .

Il va plus loin dans l’analyse de la problématique qui tend à démontrer que le culte de la poursuite du bien-être est un déclencheur d’angoisse :

Pour les auteurs du Syndrome du bien-être, le meilleur indice que celui-ci n’est plus une option personnelle mais s’est mué en morale se lit d’ailleurs dans la culpabilité attachée aux comportements «déviants». Ce n’est plus la sexualité qui fait l’objet de réprobations et fait naître la culpabilité, mais plutôt les atteintes au capital physique comme le fait de fumer, de boire, de manger gras ou sucré, de ne pas faire d’exercice ou d’être confronté à des idées négatives alors qu’on devrait se sentir bien, s’aimer soi-même et être à l’écoute de ses émotions…

Carl Cedeström et André Spicer s’inquiètent, à la suite d’une longue lignée d’auteurs critiques des dérives de l’individualisme radical, d’un paradoxe apparent de la recherche frénétique de l’état de bien-être: «loin de produire les effets bénéfiques vantés tous azimuts», cet investissement dans notre moi profond «provoque un sentiment de mal-être et participe du repli sur soi.

[…] Le syndrome du bien-être résulte pour une grande part de la croyance selon laquelle nous sommes des individus autonomes, forts et résolus, qui devons-nous efforcer de nous perfectionner sans relâche. Or c’est précisément le fait d’entretenir cette croyance qui entraîne l’émergence de sentiments de culpabilité et d’angoisse.»

Un étrange phénomène de rétroaction s’est mis en marche: l’anxiété augmente à mesure que les professionnels censés nous en débarrasser se multiplient. Rien de surprenant dans la mesure où la mécanique de la quête du bien-être et de ses médiateurs consiste à rendre le client, le lecteur, l’auditeur, le coaché ou le patient «responsable de son propre bonheur» et donc, comme mécaniquement, de son échec à y parvenir.

«Le revers de la médaille est que celui-ci doit dorénavant se sentir coupable chaque fois qu’un problème survient dans sa vie: rupture amoureuse, perte d’emploi ou maladie grave. Accéder au bonheur relèverait donc d’un choix: le nôtre, et, par extension, engagerait notre responsabilité. Par ce qu’elle comporte de déplaisant, une telle prise de conscience ne peut que faire naître un sentiment d’intense anxiété chez l’individu.»

A ce stade, je suis modérément convaincu. Pour ma part je trouve intelligent d’en appeler à la responsabilité des individus pour s’occuper de leur santé et de ce que j’appellerais leur « paix intérieure ». Je vois trop dans mon expérience de vie cette facilité utilisée par beaucoup de désigner des boucs émissaires pour expliquer toutes leurs difficultés et expériences négatives, sans jamais interroger leur propre responsabilité.

C’est pourquoi dans la vie personnelle, je suis assez rétif devant les développements de ces deux intellectuels.

En revanche, quand ils évoquent le monde de l’entreprise et concluent, sous l’apparence de la modernité, au triomphe sans partage du néo-libéralisme je deviens beaucoup plus réceptif à leurs arguments :

Libération explique :

« Et puis il y a surtout ces entreprises, de plus en plus nombreuses, qui s’immiscent dans la santé de leurs salariés, et où est récemment apparue la fonction de «directeur du bonheur» (le service public fédéral de la sécurité sociale belge dispose par exemple de l’une de ces créatures). Près de la moitié des boîtes américaines de plus de 50 salariés disposeraient ainsi d’un programme pour l’hygiène de vie des employés. Ainsi, chez Google, on pratique la méditation depuis la fin des années 90 lors d’ateliers baptisés «search inside yourself» («cherchez à l’intérieur de vous»). Certaines cantines font appel à des chefs spécialistes de la nourriture saine. »

Et le journal « Le Temps » évoque :

Tout en poussant les salariés à travailler le plus possible, dans des conditions de plus en plus précaires, les firmes leur proposent des séances de méditation en pleine conscience afin de se détendre, ou leur installent des tapis de course au bureau, pour pianoter sur l’écran tout en perdant des calories. Cette tendance gagne depuis plusieurs années les bords du Léman, où les multinationales encouragent leurs salariés à manger des légumes et pratiquer régulièrement du sport.

Une hypocrisie totale, expliquent Carl Cederström et André Spicer, qui n’hésitent pas à en référer à Orwell pour décrire ce monde où l’homme doit être le plus performant possible, tout en gardant le sourire. Pour une raison simple: «Un travailleur heureux est un travailleur plus productif»!

En Angleterre, l’entreprise suédoise de poids lourds Scania surveille les constantes vitales de ses employés 24h/24. Ceux-ci sont pénalisés s’ils ne font pas assez d’exercice et si leur système cardiovasculaire est un peu à la traîne. Il y a quelques jours, la société d’assurance américaine Aetna annonçait fièrement offrir des bracelets connectés Fitbit à ses salariés. «S’ils prouvent qu’ils enchaînent 20 nuits de 7 heures de sommeil ou plus, nous leur offrirons 25 dollars par nuit, plafonnés à 500 dollars par an», a déclaré son PDG Mark Bertolini.

[…] Le fonds d’investissement américain GLG Partners a mis en place un programme qui analyse les heures de sommeil ou l’alimentation de ses traders. Le syndicat des enseignants de Chicago soumet ses membres à un suivi personnalisé les contraignant à surveiller leur cholestérol et à pratiquer une activité sportive, sous peine de quoi ils doivent payer une amende de 600 dollars…»

Libération précise concernant le fond d’investissement :

Ce hedge fund (fonds d’investissement spéculatif) qui a mis au point un programme pour surveiller de près le sommeil et les assiettes de ses traders. En cas d’anomalie ou de performances moyennes, des séances de coaching leur sont proposées. «Actuellement, si nous nous maintenons en bonne santé, c’est parce que nous associons cela à tout un tas d’autres qualités, comme être un bon employé, dynamique, explique Cederström. On attend de nous que nous mettions à profit chaque moment pour être plus productifs, et que nous prétendions y éprouver du plaisir.»

L’article de Slate montre la supercherie de cette démarche à l’intérieur des entreprises dans un marché de l’emploi de plus en plus précarisé.

Si cet égoïsme pouvait au moins les rendre heureux, on pourrait en discuter. Selon les chasseurs de mythes du «syndrome du bien-être», il n’en est rien. Et pour cause. Ce n’est pas parce qu’on décide de devenir indifférent aux pressions du monde extérieur que celui-ci nous laisse tranquille en retour. C’est pourquoi vouloir gérer le mal-être au travail par la pratique de la méditation, comme cela est encouragé dans certaines entreprises, risque d’entraîner de grandes désillusions. Ces méthodes «ne traite[nt] jamais le stress, l’angoisse ou la dépression comme des troubles résultant de [notre] cadre de travail […] Si nous éprouvons du stress parce que nous croulons sous le travail, ou si nous ne sommes pas rassurés quant à l’issue du prochain plan de restructuration de notre entreprise, nous n’avons qu’à chasser toutes nos pensées négatives, respirer profondément et nous concentrer sur nous-mêmes. Et le tour est joué !», moquent-ils à propos des guides de conduite de développement personnel, qui placent l’individu souverain et sa volonté toute puissante au centre de la vie sociale.

Cette évolution est d’autant plus cynique que, plus le marché du travail se précarise, plus il semble que le «jargon positif» qui valorise l’authenticité, la créativité et l’individualité au travail se popularise dans les entreprises, les cabinets de recrutement, les livres de management sur le bonheur et même les agences de recherche d’emploi. Plus vulnérable que jamais sur un marché incertain ou le travail est en rareté, les salariés doivent «dissimuler leurs peurs et renvoyer en permanence une image positive d’eux-mêmes.»

Et puis, il y a une autre dérive dans cette quête « néo libérale » du bien-être, c’est que l’Etat abandonne de plus en plus la santé publique aux entreprises privées et cette dérive a pour conséquence de creuser de plus en plus la faille entre les riches qui peuvent se payer les outils du bien-être alors que les autres en sont privés toujours davantage :

« Une idéologie très dangereuse, insiste Carl Cederström au téléphone. «Car dire cela, c’est oublier que la santé est avant tout une affaire publique et politique, explique le chercheur. Toutes les études montrent que les classes défavorisées ont moins la possibilité de manger sainement. En stigmatisant les obèses, l’Etat ne joue pas son rôle. De même, faire croire aux chômeurs qu’ils peuvent trouver du travail en mincissant, en faisant un joli CV et en suivant des formations contre le stress est un mensonge. La vérité, c’est que l’industrie du bien-être est encore un domaine réservé aux riches.» Et de qualifier de «stupide» le projet du républicain Paul Ryan, aux Etats-Unis, qui proposait aux pauvres d’engager des coachs de vie en contrepartie des aides sociales. »

Slate en revient à une analyse marxiste des auteurs :

En bons marxistes, les auteurs voient dans cet investissement du corps et ce repli sur soi «des solutions séduisantes et auxquelles de plus en plus de gens ont recours pour ne plus avoir à se préoccuper du monde qui les entoure.» Le syndrome du bien-être serait l’autre nom de l’effondrement des espoirs collectifs de changement social, un tournant associé aux désillusions politiques et au refuge dans les pratiques new age de la génération des années 1970.

«Pendant ce temps, qu’advient-il du reste de la population –sous-entendu celle qui ne peut pas se payer le luxe de boire des smoothies frais tous les matins, de faire appel aux services d’un coach minceur ou de prendre des cours particuliers de yoga?»

[…] «Le syndrome du bien-être ne fera que renforcer le fossé entre riches et pauvres, avertit Cederström. Tous ces nouveaux produits sains, ces retraites de yoga, sont destinés aux riches, qui sont plus prompts à être déjà en bonne santé.»

En conclusion, Carl Cederström estime :

«Le monde se porterait mieux sans ces gourous du bonheur [qui] font fortune sur le malheur des autres».

Et l’article du Temps poursuit :

Loin d’être un livre léger, Le Syndrome du bien-être dresse au fil des pages un constat glaçant. Mis sous pression, l’individu se sent coupable s’il ne parvient pas à dompter son corps. Pour les deux chercheurs, le culte de la santé tient de l’ultralibéralisme: l’homme est seul responsable de son état – sous-entendu de ses performances. S’il échoue à mincir, à courir, à se muscler et à faire du yoga, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.

[…] S’ils n’étaient pas réels, ces exemples pourraient bien passer pour de la science-fiction. Les auteurs sont implacables: «Surveiller sa vie comme s’il s’agissait d’une véritable entreprise correspond en tout point de vue à la mentalité de l’agent idéal du néolibéralisme.»

[…]Carl Cederström voit-il une solution à la dérive du bien-être? «Il faut juste que ça s’arrête, conclut-il.

Si vous voyez un coach dans votre entreprise vanter les effets de la psychologie positive, dites-lui que c’est du n’importe quoi.» La «quête paranoïaque du bonheur» est une fausse piste.

Encore un long mot du jour mais qui me semble fécond car il illustre, comme je l’ai écrit au début de ce mot, « le côté obscur de la chose ». Le monde n’est pas écrit en blanc et noir, rien n’est simple et certainement pas l’injonction du bien être qu’on nous assène dans le monde professionnel et probablement aussi dans notre vie personnelle.

J’ai tiré le contenu de ce mot du jour de ces trois articles :

https://www.letemps.ch/societe/2016/10/26/sois-bien-taistoi?utm_source=facebook&utm_medium=share&utm_campaign=article

http://next.liberation.fr/culture-next/2016/05/18/le-bien-etre-fait-suer_1453485

http://www.slate.fr/story/118467/etre-heureux-oubliez-vous

<948>

Mercredi 11 octobre 2017

« Sur les modifications des nuages »
Luke Howard

Un scientifique,  Lamarck, avait proposé de nommer les nuages « diablotins », « coureurs », « demi-terminés ». Mais ce ne sont pas ces désignations qui ont été retenues.

Je ne le savais pas, mais la chronique d’Aurélien Bellanger du 6 octobre, sur France Culture le matin, me l’a appris.

C’est un anglais Luke Howard (1772-1864) qui a inventé le nom des nuages.

C’était un pharmacien et aussi un météorologue amateur. Cet homme leur a donné des noms, les noms que nous connaissons :


CUMULUS : Un cumulus (du latin cumulus «amas»), est un nuage de forme boursouflée appartenant à l’étage inférieur (base : 2 km d’altitude) mais peut s’élever jusqu’à l’étage moyen et atteindre ainsi plusieurs kilomètres d’épaisseur. Voir sur Wikipedia.

 

 

 

 

 

STRATUS : Un stratus est un genre de nuage bas dont la base se trouve à des altitudes inférieures à quelques centaines de mètres. Lorsque cette base touche le sol, cela correspond à du brouillard. Voir sur Wikipedia

 

 

 

 

 

 

CIRRUS : Le cirrus est un genre de nuage présent dans la couche supérieure de la troposphère (entre 5 000 et 14 000 mètres d’altitude, dépendant de la latitude et de la saison), formé de cristaux de glace. Ces nuages ont l’apparence de filaments blancs et ne causent pas de précipitations. On le compare souvent à des cheveux d’ange. Voir sur Wikipedia

 

 

 

 

 

Aurélien Bellanger :

«Un soir de décembre 1802, à Londres, Luke Howard prononce une conférence sur les modifications des nuages.

L’année suivante, le contenu de cette conférence est publié dans un essai illustré de poétiques gravures : modifications simples, intermédiaires, composées.

Le grand écrivain allemand Goethe est très intéressé, il veut rencontrer « l’homme qui sut distinguer les nuages ». Ils ne se rencontreront pas, mais ils s’écriront. Goethe conseillera ensuite aux peintres d’Allemagne du nord, ceux qu’il connaît bien, Carus, Caspar David Friedrich, de peindre des nuages « d’après Howard ». Friedrich, le célèbre peintre du Voyageur au-dessus de la mer de nuages, refusera : ce serait, dira-t-il, « la mort du paysage en peinture ». Mais dans le pays de Luke Howard, vers 1822, Constable ira chaque jour sur la colline de Hampstead peindre des « cloud studies » en nommant ses nuages d’après la classification de Howard. On pourrait s’arrêter là, sur cette belle alliance de la science et de l’art, sur ce moment européen où les nuages quittent le ciel divin pour devenir objet scientifique et esthétique : parfois, comme dans les tableaux de Constable, il n’y plus que des nuages, sans référent terrestre, sans personnage.

Mais l’histoire de la classification des nuages raconte encore autre chose.

La même année 1802, Lamarck, le « naturaliste » français, celui qui anticipa l’évolutionnisme, invente lui aussi, sans connaître Luke Howard, une classification de nuages, en français.

Il en invente même plusieurs, trois au moins : ses nuages s’appellent « diablotins », « coureurs », « demi-terminés », « en balayures », « en lambeaux »…

Pourquoi la classification de Howard l’a-t-elle emporté ? Parce que, dit-on, elle est en latin : langue alors transparente à la communauté scientifique. Je crois que ce n’est pas la bonne raison. Je crois que Lamarck a été pris de vertige devant ces formes mobiles, devant ce réel en perpétuelle transformation. Alors saluons Luke Howard qui, écrit Goethe dans son poème « En l’honneur de Luke Howard », « définit l’indéfinissable ».»

Il est toujours possible d’acheter le livre de Luke Howard « Sur les modifications des nuages » qui dans cette édition est suivie d’un essai de Goethe « La Forme des nuages selon Howard »

En 2003, Richard Hamblyn a écrit un livre sur Luke Howard qui a pour titre : « l’invention des nuages »

Et pour finir ce mot sur les nuages, je vous apprends probablement que l’Organisation météorologique mondiale a annoncé onze nouvelles espèces de nuages dont la moitié a des origines humaines plus que climatiques.

Vous trouverez des précisions derrière ce lien.

<947>


Mardi 10 octobre 2017

« Le fait est : un poulet a traversé la route. La question est : Pourquoi ? »
Mise en perspective du mot du jour d’hier

L’humour est essentiel dans la vie, comme le fait de savoir ne pas se prendre trop au sérieux. Alors quand j’avais fini d’écrire le mot du jour d’hier celui qui donnait une sorte de morale en affirmant que les esprits cultivés parlaient des idées et non seulement des faits, je me suis souvenu d’un message d’humour que j’avais reçu il y a quelques années.

Je le reprends ici, après avoir mis à jour certaines références, car il y a aujourd’hui des hommes bien oubliés, mais nous pouvons être rassurés, ils ont été remplacés par d’autres.

Cette suite d’affirmations est aussi une leçon de pédagogie.

Nous avons un fait simple, peu ambigüe : un poulet a traversé la route.

Et…

Nous allons faire appel au Monde des idées pour essayer de répondre à la question : Pourquoi ?

Voici les réponses :

RENE DESCARTES : Pour aller de l’autre côté.

PLATON : Pour son bien. De l’autre côté est le Vrai.

ARISTOTE : C’est dans la nature du poulet de traverser les routes.

KARL MARX : C’était historiquement inévitable.

DONALD TRUMP : Le poulet n’a pas traversé la route, je répète, le poulet n’a JAMAIS traversé la route.

GEORGES LUCAS : Pour aller là où aucun autre poulet n’était allé avant.

HIPPOCRATE : A cause d’un excès de sécrétion de son pancréas.

NICOLAS MACHIAVEL : L’élément important c’est que le poulet ait traverse la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin en soi de traverser la route justifie tout motif quel qu’il soit.

SIGMUND FREUD : Le fait que vous vous préoccupiez du fait que le poulet a traversé la route révèle votre fort sentiment d’insécurité sexuelle latente.

BILL GATES : Nous venons justement de mettre au point le nouveau « Poulet Office 2017 », qui ne se contentera pas seulement de traverser les routes, mais couvera aussi des œufs, classera vos dossiers importants, etc.

OLIVER STONE : La question n’est pas : « Pourquoi le poulet a-t-il traverse la route ? » mais plutôt : « Qui a traversé en même temps que le poulet, qui avons-nous oublié dans notre hâte et qui a pu vraiment observer cette traversée ? »

CHARLES DARWIN : Les poulets, au travers de longues périodes, ont été naturellement sélectionnés de telle sorte qu’ils soient génétiquement enclins a traverser les routes.

BOUDDHA : Poser cette question renie votre propre nature de poulet.

MARTIN LUTHER KING, JR.: J’ai la vision d’un monde où tous les poulets seraient libres de traverser la route sans avoir à justifier leur acte.

MOISE : Et Dieu descendit du paradis et Il dit au poulet : Tu dois traverser la route. Et le poulet traversa la route et Dieu vit que cela était bon.

TOMAS DE TORQUEMADA : Tout poulet ayant traversé la route et qui reviendra en arrière sera considéré comme relaps et sera remis entre les mains de la Sainte Inquisition.

GALILEO GALILEI : Et pourtant, il traverse…

ERNEST HEMINGWAY : Pour mourir. Sous la pluie.

UN MEMBRE DU MEDEF : Parce que les taxes sont trop lourdes de ce coté de la route !

EMMANUEL MACRON :Parce que contrairement aux fainéants et aux fouteurs de bordel, ce poulet a la volonté d’entreprendre et c’est pourquoi il est allé de l’avant et a traversé la route.

EDOUARD PHILIPPE : Le gouvernement travaille pour que des milliers de poulets puissent traverser la route !

CANTONA : Le poulet, il est libre le poulet. Les routes, quand il veut il les traverse.

L’EGLISE DE SCIENTOLOGIE : La raison est en vous, mais vous ne le savez pas encore. Moyennant la modique somme de 10 000 € par séance, plus la location d’un détecteur de mensonges, une analyse psychologique nous permettra de la découvrir.

MELENCHON : Parce que ce poulet est un insoumis !

POUTOU : Poulettes, poulets, ne vous laissez plus spolier par le patronat qui vous oblige à traverser les routes.

MANUEL VALLS ou GERARD COLLOMB: Parce qu’il n’avait pas de titre de séjour.

BILL CLINTON : JE JURE sur la constitution qu’il ne s’est rien passé entre ce poulet et moi.

ALBERT EINSTEIN : Le fait que le poulet traverse la route ou que la route se déplace sous le poulet dépend de votre référentiel.

Vous pourrez peut être compléter cette énumération par d’autres idées …

<946>

Lundi 9 octobre 2017

«L’homme médiocre parle des personnes,
L’homme moyen parle des faits,
L’homme de culture parle des idées »
Citation attribuée quelquefois à Jules Romain d’autre fois à Eleanor Roosevelt

Cette citation que j’ai choisie entre en résonance avec mon expérience de la vie, mais elle doit être expliquée et nuancée.

Je l’ai entendue citer et aussi trouvée à plusieurs reprises sur internet.

Force est de constater qu’on ne sait pas à qui l’attribuer. Même le journal « le Monde » l’attribue à Jules Romain <Ici> mais l’attribue à l’épouse de Franklin Roosevelt <Ici>

Quelquefois, les « faits » sont remplacés par le mot « les évènements ».

Mais ce qu’il y a de plus problématique c’est de désigner les hommes qui ne sont ni moyens, ni médiocres.

Les uns parlent « des grands esprits », d’autres « d’esprits supérieurs ou d’élite ».

Pour ma part, j’ai préféré utiliser le terme plus neutre et probablement plus juste d’homme qui s’inscrit dans une culture et donc qui cherche à comprendre, à expliquer, à mettre en perspective.

Si cette citation entre en résonance avec mon expérience, c’est que j’ai souvent entendu, notamment dans le monde professionnel, des collègues parler d’autres collègues, des collègues absents cela va de soi et en parler pour en dire du mal.

Un jour, j’ai même entendu une personne dire : « Moi si je ne peux pas dire de bien de quelqu’un, je m’abstiens d’en parler. Et notamment de X et Y je n’ai rien à dire ! ». Sorte de stratégie d’évitement.

Je n’ai pas la prétention d’avoir toujours échappé à cette faiblesse, je pense cependant que c’est devenu très rare aujourd’hui. Mais après de tels échanges, je n’ai jamais été satisfait.

D’autres parlent des faits, ils racontent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu, ce qu’ils ont vécu et encore avec les plus infimes détails. Ce sont des conversations qui entraînent chez moi le plus grand des ennuis.

Ce qui me semble intéressant c’est de parler des faits en en tirant des enseignements donc d’aller vers le monde des idées. Ce qui me parait important c’est ce que l’on apprend des faits, ce qu’ils peuvent signifier.

Donc Oui je préfère échanger sur les idées.

Mais c’est là qu’il faut nuancer.

D’abord, je ne crois pas qu’il y ait trois populations distinctes : l’une des médiocres, l’autre des moyens et la dernière des idées.

Je pense plutôt que cette fracture se situe en chacun de nous, parfois nous sommes médiocres, parfois nous ne sommes que moyens et quelquefois nous arrivons à nous hisser au niveau des idées.

L’intelligence serait alors d’augmenter, dans nos conversations, la part des idées et de faire diminuer celle qui ne nous rend que moyen, voire médiocre.

Ensuite, il faut quand même se méfier des idées et des concepts qui peuvent conduire à des constructions hors sols et quelquefois à des résultats parfaitement inhumains. Par exemple, le soviétisme c’était des idées non confrontées à la réalité et à la critique et conduisaient à des aberrations.

Cette dérive que Brassens avait expliqué dans cette chanson : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ».

Cela étant, je préfère parler des idées que de m’arrêter aux simples faits ou de parler des personnes.

Quand j’ai échangé avec Annie sur ce mot du jour, elle m’a simplement répondu avec son intelligence et sa sensibilité toujours vive : « Et le cœur et les sentiments dans cette énumération, où se trouvent-ils ?».

Car Oui, on peut exprimer brillamment des idées et ne pas savoir parler des sentiments, être incapable de laisser parler son cœur.

« L’intelligence ne sert à rien dans les rapports humains. » disait Françoise Giroud (mot du jour du 16 avril 2013)

Ou comme l’exhortait la famille de Yannick Minvielle, une des victimes du bataclan : «Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez.» (mot du jour du 11 décembre 2015)

Car en effet, dans la vie, les idées ne suffisent pas, il faut aussi savoir laisser parler son cœur.

J’espère qu’ainsi cette citation inspirante a été suffisamment nuancée pour insuffler un peu de sagesse.

<945>

Vendredi 6 octobre 2017

« Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé »
Albert Camus

J’ai commencé cette semaine par un propos écrit par Albert Camus dans le livre posthume « Le premier homme ». Et je voudrais finir avec lui.

En postface de cet ouvrage, la fille d’Albert, Catherine Camus a publié la lettre qu’Albert Camus a adressée à son instituteur juste après avoir reçu son prix Nobel et la réponse de son instituteur :

19 novembre 1957

Cher Monsieur Germain,

J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler un peu de tout mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et pour vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.

Je vous embrasse, de toutes mes forces.

Albert Camus

Et puis il y a la réponse de Monsieur Germain qui est beaucoup plus longue que la lettre d’Albert Camus et dont je ne cite que des extraits :

Mon cher petit,

(…) Je ne sais t’exprimer la joie que tu m’as faite par ton geste gracieux ni la manière de te remercier. Si c’était possible, je serrerais bien fort le grand garçon que tu es devenu et qui restera toujours pour moi « mon petit Camus».

(…) Qui est Camus ? J’ai l’impression que ceux qui essayent de percer ta personnalité n’y arrivent pas tout à fait. Tu as toujours montré une pudeur instinctive à déceler ta nature, tes sentiments. Tu y arrives d’autant mieux que tu es simple, direct. Et bon par-dessus le marché ! Ces impressions, tu me les a données en classe. Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants, et il s’en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaître le gentil petit bonhomme que tu étais, et l’enfant, bien souvent, contient en germe l’homme qu’il deviendra.

Ton plaisir d’être en classe éclatait de toutes parts. Ton visage manifestait l’optimisme. Et à t’étudier, je n’ai jamais soupçonné la vraie situation de ta famille, je n’en ai eu qu’un aperçu au moment où ta maman est venue me voir au sujet de ton inscription sur la liste des candidats aux Bourses. D’ailleurs, cela se passait au moment où tu allais me quitter. Mais jusque-là tu me paraissais dans la même situation que tes camarades. Tu avais toujours ce qu’il te fallait. Comme ton frère, tu étais gentiment habillé. Je crois que je ne puis faire un plus bel éloge de ta maman.

J’ai vu la liste sans cesse grandissante des ouvrages qui te sont consacrés ou qui parlent de toi. Et c’est une satisfaction très grande pour moi de constater que ta célébrité (c’est l’exacte vérité) ne t’avait pas tourné la tête. Tu es resté Camus: bravo. J’ai suivi avec intérêt les péripéties multiples de la pièce que tu as adaptée et aussi montée: Les Possédés. Je t’aime trop pour ne pas te souhaiter la plus grande réussite: celle que tu mérites.

[…]

Avant de terminer, je veux te dire le mal que j’éprouve en tant qu’instituteur laïc, devant les projets menaçants ourdis contre notre école. Je crois, durant toute ma carrière, avoir respecté ce qu’il y a de plus sacré dans l’enfant: le droit de chercher sa vérité. Je vous ai tous aimés et crois avoir fait tout mon possible pour ne pas manifester mes idées et peser ainsi sur votre jeune intelligence. Lorsqu’il était question de Dieu (c’est dans le programme), je disais que certains y croyaient, d’autres non. Et que dans la plénitude de ses droits, chacun faisait ce qu’il voulait. De même, pour le chapitre des religions, je me bornais à indiquer celles qui existaient, auxquelles appartenaient ceux à qui cela plaisait. Pour être vrai, j’ajoutais qu’il y avait des personnes ne pratiquant aucune religion. Je sais bien que cela ne plaît pas à ceux qui voudraient faire des instituteurs des commis voyageurs en religion et, pour être plus précis, en religion catholique. A l’École normale d’Alger (installée alors au parc de Galland), mon père, comme ses camarades, était obligé d’aller à la messe et de communier chaque dimanche. Un jour, excédé par cette contrainte, il a mis l’hostie « consacrée» dans un livre de messe qu’il a fermé ! Le directeur de l’École a été informé de ce fait et n’a pas hésité à exclure mon père de l’école. Voilà ce que veulent les partisans de « l’École libre » (libre.., de penser comme eux). Avec la composition de la Chambre des députés actuelle, je crains que le mauvais coup n’aboutisse. Le Canard Enchaîné a signalé que, dans un département, une centaine de classes de l’École laïque fonctionnent sous le crucifix accroché au mur. Je vois là un abominable attentat contre la conscience des enfants. Que sera-ce, peut-être, dans quelque temps? Ces pensées m’attristent profondément.

Sache que, même lorsque je n’écris pas, je pense souvent à vous tous.

Madame Germain et moi vous embrassons tous quatre bien fort. Affectueusement à vous.

Germain Louis

Voilà un bel échange entre un « hussard de la république » et un élève modeste qui a pleinement profité de ce que l’Ecole a su lui donner.

J’espère qu’il peut encore exister aujourd’hui de telles échanges. Pour ma modeste part j’ai rencontré beaucoup de bons professeurs et quelques enseignants extraordinaires dont je me souviendrai toute ma vie.

Des jeunes personnes issus du monde de l’enseignement et du secteur privé ont créé en octobre 2014, l’Institut Louis Germain, en référence à l’instituteur d’Albert Camus. C’est une association de loi 1901 qui a pour projet de «donner à chacun la chance qu’il mérite.»

Vous trouverez le site de cette association derrière ce lien : https://www.institutlouisgermain.org/

<944>

 

Jeudi 5 octobre 2017

«L’anxiété démographique des pays de l’Europe centrale».
Ivan Krastev

L’évolution des pays d’Europe centrale qui ont intégré l’Union européenne nous inquiète. Ces pays qui mettent à leur tête des responsables qui comme Viktor Orban sont des adeptes de la « démocratie illibérale » ou des gouvernants qui comme en Pologne entendent changer les livres d’Histoire, se révèle en outre xénophobes.

Brice Couturier qui continue à s’interroger sur les cultures du monde en sortant de la seule préoccupation franco-française, a commis une chronique sur ce sujet.

Il explique que notamment ces petites nations, traumatisées par une histoire tragique, avaient intégré l’Union européenne pour s’arrimer solidement à une alliance d’Etats démocratiques et intégrer un bloc commercial prospère et solidaire. A l’époque où elles ont fait ce choix, elles venaient d’échapper à plus de quatre décennies de dépendance envers l’empire soviétique et elles se félicitaient d’avoir récupéré leur souveraineté nationale.

Elles ignoraient le « trilemme d’incompatibilité de Rodrik »….

Et Brice Couturier de nous expliquer la théorie de cet économiste de Harvard :

« vous ne pouvez pas avoir en même temps ces trois choses : la démocratie, la souveraineté nationale et une intégration économique poussée. Il y en aura toujours une qui sera sacrifiée. C’est exactement la logique qui a poussé les Anglais au Brexit : de leur expérience de l’Union européenne, ils ont conclu que l’intégration dans l’UE était incompatible soit avec leur souveraineté soit avec leur démocratie et ils sont partis dans l’idée de récupérer l’une et l’autre. »

Mais ce qui m’a surtout intéressé c’est le livre d’Ivan Krastev dans lequel il développe ce concept de l’anxiété démographique des pays de l’Europe Centrale :

Le politologue bulgare, mais pan-européen Ivan Krastev vient de publier un nouveau livre qui s’inspire de cette thèse pour expliquer pourquoi les Etats-membres d’Europe centrale sont en train de se détacher de l’UE.

Le titre en anglais « After Europe », en allemand, c’est encore pire « Europadämmerung », « le Crépuscule de l’Europe »…

Pour Krastev, les peuples d’Europe centrale connaissent ce qu’il appelle une « anxiété démographique ».

Depuis 1989 et l’ouverture de leurs frontières, la Pologne a vu partir vers l’Ouest 2 millions et demi de ses habitants, partis chercher des emplois mieux rémunérés. 3 millions et demi de Roumains. La population de la minuscule Lituanie est passée de 3 millions et demi à 2 millions 900 000. 10 % de la population bulgare a quitté le pays.

Or, ce sont des pays qui connaissent des taux de fécondité très faibles, très éloignés du niveau de maintien de leur population : 1,3 en Pologne, en Bulgarie, 1,4 en Hongrie ou en Slovaquie.

« Qui lira encore de la poésie bulgare dans cent ans ? », se demande Krastev lui-même.

Les jeunes diplômés, en particulier, choisissent Londres ou Francfort.

La partie de la population qui n’est pas mobile, qui ne possède pas les diplômes qui lui permettrait de profiter de l’ouverture ressent très mal cette situation. C’est elle qui constitue l’électorat du PiS, au pouvoir en Pologne, du FIDESZ au pouvoir en Hongrie.

Sentir que le monde dont on vient est en train de s’effondrer crée rarement des pensées positives. Et c’est probablement ce qui arrive aux polonais, aux hongrois, aux bulgares.

Et Brice Couturier continue de rapporter les développements de Krastev :

« Dans ces pays, la crise des migrants a constitué un tournant et un immense traumatisme.

Elle les a ramenés à leur déclin démographique et a relancé leur « anxiété démographique ».

Viktor Orban, le dirigeant hongrois, a déclaré « la question historique à laquelle nous sommes confrontés, c’est de savoir si l’Europe va demeurer le continent des Européens ». Les centre-Européens, selon Krastev, se sentent « trahis » par l’UE, qui ne comprend pas leur anxiété et les traite de populistes.

Et il conclut sur de sombres prophéties : la désintégration de l’Union européenne serait inéluctable… »

<Lien vers l’émission de Brice Couturier>

On peut ne pas approuver les dérives de ces pays de l’Europe centrale. Mais si on veut trouver des solutions, il est nécessaire de comprendre ce qui se passe au sein de ces peuples.

<943>

Mercredi 4 octobre 2017

« Un geste de domination insensé. »
Charles Dantzig décrivant Emmanuel Macron tapotant la joue de Gérard Collomb

J’espère que vous êtes convaincu, après les réflexions de Pascal Picq d’hier, que nous sommes proches des singes et combien dans notre comportement et dans nos attitudes ce fond animal surgit, notamment dans les relations politiques.

Si vous observez le comportement de Donald Trump à travers ce prisme, du singe mâle alpha qui veut montrer sa domination, par exemple par la manière dont il sert la main de ses interlocuteurs et qu’il les tire vers lui, cela en devient même caricatural.

Emmanuel Macron a été loué de sa manière dont il a serré la main de Trump et a su montrer son refus de la domination. Deux singes n’auraient pas fait autrement.

Yann Barthès avait présenté la première visite de Justin Trudeau à Donald Trump. Vous trouverez cette épisode derrière ce lien : <Visite de Justin Trudeau à Donald Trump>

Vous pouvez aller immédiatement à 1:45 et vous verrez le mâle alpha des singes humains du Canada bondir sur le mâle alpha des singes humains des Etats-Unis pour s’emparer de sa main de manière virile et lui montrer qu’il n’accepte pas sa domination animale.,

Charles Dantzig est un écrivain français qui fait paraître en octobre 2017 un livre : « Traité des gestes » (Grasset).

Il était invité le 29 septembre de l’émission la Grande Table : <Pour la beauté du geste avec Charles Dantzig>

Il a évoqué deux gestes.

Le premier est un geste de soumission.

Lors de la présentation du nouveau Pape François, Charles Danzig a vu un jeune prêtre s’approcher du nouveau Pape et délicatement lui épousseter l’épaule, car il venait de voir une poussière sur l’habit papal. Puis le jeune prêtre s’est retiré avec un sourire extatique de courtisan.

Le second geste est celui que j’ai mis en exergue et que vous avez vu si vous avez regardé l’investiture d’Emmanuel Macron.

Charles Danzig le raconte ainsi :

«Après avoir prononcé son discours, il s’approche de Gérard Collomb, de 30 ans son aîné et lui tapote la joue.
Un geste de domination insensé, alors qu’Emmanuel Macron est un homme bien élevé qui connait les bonnes manières.
Il a montré ainsi par ce geste de domination qui était le chef.»


Nous sommes toujours dans une similitude de comportement avec des chimpanzés qui font de la politique !

<942>

Mardi 3 octobre 2017

«Il n’y a que deux espèces qui font de la politique : les hommes et les chimpanzés !»
Pascal Picq

Il y a quelques temps déjà, le paléoanthropologue Pascal Picq avait été l’invité de la matinale de France Inter du 5 mai 2017. Quand je l’ai entendu je me suis tout suite dit qu’il y avait là vraiment matière à un mot du jour parce qu’on apprend beaucoup de choses, parce que c’est drôle et parce que nous nous comprenons mieux quand Pascal Picq décrit nos cousins les singes et regarde les hommes à travers ce qu’il a appris des singes.

Il avait été invité, entre les deux tours des présidentielles, pour présenter le livre qu’il venait de publier : « Qui va prendre le pouvoir ?: Les Grands singes, les hommes politiques ou les robots ? »

Le journaliste le présentait comme un scientifique qui jette des ponts entre les singes et les hommes et particulièrement les hommes politiques. Le paléoanthropologue portait alors un regard scientifique sur la campagne présidentielle et sur le monde politique en général. Il expliquait simplement : « Quand on a pas accès aux discours, avec de réels éléments de discussions, ce qui va dominer, c’est le comportement ».

« Il faut regarder les comportements.
[…] On a beaucoup de discussion sur l’absence de débat sur les programmes.[…] A partir du moment on n’a pas vraiment accès aux discours, aux enjeux [et aux idées], ce qui va dominer c’est le comportement. On connait beaucoup de choses sur les mimiques, les attitudes etc. »

Il décrypte le débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, en insistant sur les postures plutôt que sur les discours.

« Ce sont des éléments que l’on partage avec les grands singes.
Il n’y a vraiment que deux espèces qui font de la politique : les hommes et les chimpanzés.
[…] Si un chimpanzé était devant notre télévision et [regardait] le débat il ne comprendrait pas le discours, c’est une évidence, mais il comprendrait ces comportements.
C’est pourquoi, on est capable de détecter chez différentes espèces, notamment chez les chimpanzés différents types de leadership, comme chez nous. Il y a des dominants, des tyrans, des magnanimes, ceux qui sont prêts aux compromis. Et ces personnalités ne s’expriment pas par des programmes et des idées mais par leurs attitudes. »

Il parle dans son livre, à propos des singes, des luttes pour la conquête du pouvoir, des intrigues, de la violence, la place accordée aux femelles, les privilèges. Les chimpanzés acceptent que les puissants aient des privilèges.

« « Dans toutes les sociétés humaines, c’est le cas, cela a été parfaitement décrit par Claude Levi-Strauss, mais c’est vrai aussi dans la société des chimpanzés. Quand on accepte un leader, on consent à ce qu’il ait quelques privilèges.
Mais tant que le leader remplit le contrat, qu’il agit pour le bien du groupe, qu’il a un comportement suffisamment magnanime. A partir du moment où ce contrat tacite n’est pas respecté, on va [remettre en question son leadership].

[Chez les chimpanzés], il y a des coups d’état, des changements de coalition, ce qui est plus doux. On a des exemples que je décris. […] Je ne cherche pas à savoir quels sont les singes qui sont les proches de l’homme. Ce qui m’intéresse ce sont les comportements généraux qui nous unissent par nos évolutions communes. J’évoque un chimpanzé qui s’appelait « Mac » qui avait été décrit par la grande Jane Goodall. Il y avait deux groupes de chimpanzés dominants dont ne faisait pas partie Mac. Il y avait des alternances constantes parce que les deux groupes étaient très équilibrés. Il est très futé et il s’aperçoit que lorsque les chercheurs font le plein de leurs voitures avec des jerry cans en acier, cela fait du bruit et les chimpanzés ont peur. Et qu’a fait Mac, qui n’est pas soutenu par un clan ni d’un côté ni de l’autre ? Il arrive avec deux bidons dans le dos [qu’il a dérobé] et il menace les leaders de chaque camp. […] et d’un seul coup il prend les deux bidons et s’en sert comme de monstrueuses castagnettes et cela fait peur à tout le monde. Et c’est comme ça qu’il va prendre le pouvoir sur les deux clans. En plus il va rester longtemps parce que cela arrange tout le monde, il va arriver à faire l’objet d’un compromis intéressant qui réconcilie les deux groupes. […]
Bon cherchez l’allusion où vous voulez, mais vous voyez c’est assez universel. »

Petit aparté, j’avais évoqué cette grande scientifique de 83 ans qui a tant appris aux humains sur le comportement de leurs cousins chimpanzés. J’avais partagé une vidéo <un geste de tendresse> dans laquelle on voyait un chimpanzé « Wounda » qui avait été recueilli dans un état proche de la mort et avait été longuement soigné dans l’institut de Jane Goodal, être réintroduit dans la forêt. On voit alors Wounda revenir vers Jane Goodal ; pour l’enlacer longuement avant de repartir vers son milieu naturel. Geste d’une empathie extraordinaire où la barrière qui sépare l’homme de son cousin se réduit à presque rien.

Pour revenir au dialogue entre Patrick Cohen qui était encore sur France Inter à ce moment et Pascal Picq, le journaliste a résumé ce passage par cette formule : « Les primaires observés à travers les primates ». Puis il a interrogé le primatologue sur la campagne présidentielle qui en était au lendemain du débat d’entre deux tours, au moment de l’entretien :

Les grands enjeux n’ont pas été discutés. Je ne suis pas anthropologue, je vous l’accorde, mais je m’intéresse à notre société je fais partie de l’observatoire de l’ubérisation de la société. Et à part Benoit Hamon qui a abordé le sujet de l’allocation universelle autour du travail et de la taxation des robots, aujourd’hui le monde est en train de changer à l’échelle mondiale avec les vagues du numérique et ces questions n’ont pas du tout été abordées. Cela m’a complétement consterné. L’erreur de Monsieur Hamon c’est d’avoir présenté l’allocation universelle et la taxation des robots comme une assistance. […] Cette question de l’allocation universelle devra être abordée dans le cadre d’un nouveau projet de société que nous attendons à l’échelle mondiale. […] Ce monde a changé en 5 ans, le temps d’un quinquennat avec quasiment les mêmes candidats d’un quinquennat à l’autre, à part M Hamon et M Macron, avec quasiment les mêmes idées.

Je vais être un peu brutal, on essaie de répondre aux enjeux de société, du travail, de la redistribution des richesses avec des éléments de réponse à gauche et à droite qui datent […] de la deuxième révolution industrielle, alors que nous sommes déjà dans la quatrième avec des bouleversements qui sont connus dans le monde du travail, de la répartition des richesses. »

Et quand Patrick Cohen lui demande sa vision du monde de demain de la postmodernité, le paléoanthropologue répond :

« Aujourd’hui tous les éléments de nos vies ont été largement modifiés. Et d’ailleurs ne nous ont pas été imposés. Quand vous utilisez votre smartphone et que vous décidez d’utiliser telle ou telle application pour vous déplacer, pour consommer, pour vous loger, pour chercher des informations, vous modifiez l’espace digital darwinien […] vous modifiez le marché ou l’activité [des domaines dans lesquels vous intervenez de manière numérique]. C’est un système parfaitement darwinien […].

[…] Comment cela fonctionne t’il ?

Les gens qui ont créé twitter, c’était des garçons et des filles qui ont fait un hackaton […] et qui se sont dit : j’aimerais avoir une messagerie courte pour échanger avec mes amis. Premièrement ça ne coute rien, ce que Jeremy Rifkin appelle le cout marginal zéro, on se réunit on est ensemble, on s’amuse bien. Si l’application n’est pas sélectionnée ce n’est pas grave on a passé un bon moment ensemble. Mais si elle est sélectionnée, ça peut complétement changer le monde.

Vous pensez que ces dizaines de jeunes gens allaient imaginer les printemps arabes, les logiciels big data qui jugent de nos émotions sur la valeur de la city et de la spéculation […] qui allait imaginer que ce serait la première campagne d’Obama où grâce à des algorithmes on allait pouvoir déterminer les personnes indécises pour pouvoir les appeler et les convaincre de voter Obama, ou les fake news [Et j’ajouterai pour ma part que personne n’imaginait que le Président des Etats Unis, à savoir Trump, utiliserait ce petit outil pour informer le monde de ses décisions politiques ou de sa stratégie diplomatique].. Personne ne pouvait imaginer cela.

C’est pour cela qu’on est dans un changement de société énorme où des personnes partout dans le monde sont capables de créer des applications qui ne coutent pas grand-chose et qui peuvent modifier des marchés entiers et même menacer la stabilité économique des très grands groupes. Et ça nous en sommes les acteurs. Je ne suis pas en train de culpabiliser, de moraliser. Mais il faut bien être conscient que les enjeux de pouvoir sur l’économie, la politique, la culture et même les informations sont aux mains de tout le monde et deviennent imprévisibles. »


Et en conclusion, par son expérience avec les singes capucins et à par la conceptualisation du jeu de l’ultimatum, il explique le Brexit. [C’est à partir de 7 :30] dans cette partie de l’émission .

J’essaie de résumer. Le jeu de l’ultimatum est utilisé en économie expérimentale et se joue de la manière suivante : une première personne (joueur A) se voit attribuer une certaine somme d’argent, et doit décider quelle part elle garde pour elle et quelle part elle attribue à une seconde personne (joueur B). La seconde personne doit alors décider si elle accepte ou refuse l’offre. Si elle la refuse, aucun des deux individus ne reçoit d’argent.

Pascal Picq explique que les singes capucins comprennent très vite et entrent dans la logique de la coopération profitable au plus grand nombre.

Les technocrates qui trouvent stupide la réaction des britanniques qui ont voté pour le Brexit, parce qu’ils ont profité de fonds structurels et qu’ils vont perdre au Brexit, ne comprennent pas ce que comprennent les singes capucins. Selon Pascal Picq ceux qui ont voté pour le Brexit ont le sentiment, exact, que dans la répartition du jeu de l’ultimatum où il fallait partager 100, ils ont peut être reçu 20, mais d’autres ont reçu 80. C’est la réalité des classes moyennes dont les revenus stagnent alors que ceux des plus riches explosent. Dans ces conditions ils préfèrent jouer la politique du pire, personne n’y trouve avantage.

C’est encore un problème de collaboration intelligente que les singes capucins pourraient enseigner aux hommes du capitalisme contemporain. Pascal Picq développait aussi ces idées dans un article ancien du journal des Echos : «Il faut accorder plus de place à la collaboration et au partage»

Car indiscutablement nous avons des comportements qui peuvent être expliqués par l’observation des singes. Et Pascal Picq de rappeler cette expérience déjà citée dans le mot du jour consacré à Franz de Waal, où des singes font la grève parce qu’ils estiment être victime d’une injustice : on leur donne des concombres, alors qu’à leurs voisins qui font le même travail on donne des raisins ou des bananes, récompenses plus valorisées par les singes.

Réflexion donc très féconde de ce paléoanthropologue qui dans une autre émission explique la différence entre Emmanuel Macron et Manuel Valls par ce langage simiesque : « Manuel Valls ne sait pas bien épouiller ». Les singes manifestent l’empathie et la volonté de collaboration en épouillant le congénère qu’il rencontre. Les hommes n’épouillent pas, mais il y a ceux qui comme Jacques Chirac et aussi, reconnaissons le, Emmanuel Macron savent aller vers les autres avec empathie ou au moins l’apparence qu’ils s’intéressent aux autres (ils savent épouiller) et ceux qui comme Manuel Valls se fâchent avec quasi tout le monde et passent leur temps à engueuler les autres.

Ce mot du jour est déjà fort long et je n’ai pas encore parlé des robots évoqués par Pascal Picq, mais vous trouverez cet article du monde où il s’exprime à ce propos : « La parade face à la robotisation est la créativité »


Et pour finir, parce qu’Annie m’a dit après le mot du jour d’hier, tu ne peux pas parler que de choses horribles, il faut aussi parler de belles choses, d’empathie, de ce qui nous pousse à la bienveillance.

Pour ce faire j’en reviens aux singes et au geste de tendresse de Wounda que vous retrouverez derrière ce lien.

<941>

Lundi 2 octobre 2017

« «Non, un homme ça s’empêche.
Voilà ce qu’est un homme,
ou sinon… » »
« Le père d’Albert Camus
Cité par Albert Camus dans « Le premier homme » page 65 et suiv. »

Je veux revenir sur ce fait divers d’une enfant de 11 ans qui a été la proie de la perversité d’un prédateur.

A la suite du commentaire de Benoit, j’ai mis un lien vers une pétition qui réclame une évolution de la Loi qui devrait mettre un âge en dessous duquel, le consentement ne peut pas exister. Je redonne le lien vers cette pétition : <ICI>

Alors, j’ai lu des réactions qui mettent en cause les parents de cette enfant qui auraient manqué de prudence, qui auraient du intervenir plus tôt après ce qu’a raconté leur enfant et la protéger du prédateur. C’est certainement vrai.

Mais pour moi, ce n’est en aucune façon ni une excuse, ni un argument qui peut s’entendre par rapport à la question fondamentale d’un homme de 28 ans qui abuse d’un enfant de 11 ans.

Si une femme ou un homme se promène nu dans la rue, il faut la ou le couvrir, peut-être lui mettre une amende pour atteinte aux bonnes mœurs. En aucune façon cela constitue le début du commencement d’une justification d’une agression sexuelle.

Et si la femme, car il faut quand même constater que c’est le corps des femmes qui posent problème à un certain nombre de mâle de l’espèce homo sapiens, est habillée de quelque manière que ce soit, il en va exactement de même.

Dans ce monde, où des penseurs commencent de plus en plus à développer les thèses de l’antispécisme, c’est-à-dire cette théorie qui consiste à ne plus faire de différence entre les espèces, donc entre les humains et les autres animaux, il me parait particulièrement important d’essayer d’esquisser ce que doit être un homme ou alors d’abdiquer et rallier les thèses de ces associations comme « L214» .

C’est alors que m’est revenu cet épisode dans lequel Albert Camus raconte la réaction de son père lors d’un acte ignoble d’hommes sur d’autres hommes : « Un homme ça s’empêche ! »

Albert Camus est mort à 46 ans, le 4 janvier 1960, sur le trajet de Lyon à Paris, au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, dans un accident de voiture.
Trois ans auparavant, le 16 octobre 1957, le prix Nobel de littérature lui avait été décerné.
Son père, Lucien Auguste Camus est mort au début de la première guerre mondiale, le 11 octobre 1914, alors qu’Albert n’avait pas encore un an.

« Le Premier Homme » est un roman autobiographique inachevé d’Albert Camus, publié par sa fille en 1994 aux éditions Gallimard. Albert Camus n’avait pas encore mis un titre à son nouveau manuscrit.
Le premier chapitre de ce livre s’intitule : « Recherche du père »

Dans ce livre, Albert Camus désigne son père sous le nom de Cormery et lui-même avait pris pour prénom Jacques.
Et il cite un épisode dans la vie de son père, en pleine période colonialiste dans lequel des hommes colonisés attaquent les soldats du colonisateur et agissent de manière ignoble, ce qui va entraîner la réplique du père d’Albert Camus :
Cet épisode met en scène le père de Camus et un autre soldat appelé Levesque qui trouve des excuses à ceux qui ont commis l’ignoble.

« Il était dans les zouaves.

Oui. Il a fait la guerre au Maroc.
C’était vrai. Il avait oublié. 1905, son père avait 20 ans. Il avait fait, comme on dit, du service actif contre les marocains.
Jacques se souvenait de ce que lui avait dit le directeur de son école lorsqu’il l’avait rencontré quelques années auparavant dans les rues d’Alger. Monsieur Lévesque avait été appelé en même temps que son père. Mais il n’était resté qu’un mois dans la même unité. Il avait mal connu Cormery selon lui, car ce dernier parlait peu.

Dur à la fatigue, taciturne, mais facile à vivre et équitable.
Une seule fois, Cormery avait paru hors de lui.
C’était la nuit, après une journée torride, dans ce coin de l’Atlas où le détachement campait au sommet d’une petite colline gardée par un défilé rocheux.
Cormery et Lévesque devaient relever la sentinelle au bas du défilé. Personne n’avait répondu à leurs appels.

Et au pied d’une haie de figuiers de barbarie, ils avaient trouvé leurs camarades la tête renversée, bizarrement tournée vers la Lune. Et d’abord il n’avait pas reconnu sa tête qui avait une forme étrange. Mais c’était tout simple. Il avait été égorgé, dans sa bouche, cette boursouflure livide était son sexe entier. C’est alors qu’ils avaient vu le corps ou jambes écartées, le pantalon de zouave fendu, et au milieu de la fente, dans le reflet cette fois indirect de la Lune, cette flaque marécageuse. À 100 m plus loin, derrière un gros rocher cette fois, la deuxième sentinelle avait été présentée de la même façon. […]

À l’aube, quand ils étaient remontés au camp, Cormery avait dit que les autres n’étaient pas des hommes.

Lévesque qui réfléchissait, avait répondu que, pour eux, c’était ainsi que devaient agir les hommes, qu’on était chez eux, et qu’ils usaient de tous les moyens.

Cormery avait pris son air buté. « Peut-être. Mais ils ont tort. Un homme ne fait pas ça. »

Lévesque avait dit que pour eux, dans certaines circonstances, un homme doit tout se permettre et tout détruire.

Mais Cormery avait crié comme pris de folie furieuse : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Et puis il s’était calmé. « Moi, avait-il dit d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche.»

Il y a des Français qui ne s’empêchent pas avait dit Lévesque.

Alors, eux non plus, ce ne sont pas des hommes. » »

Alors, ce ne sont pas des hommes.
Parce qu’un homme, ça s’empêche !

 

 

 

 

 

 

<940>