Vendredi 11 mars 2016

Vendredi 11 mars 2016
« Sans l’art, l’homme est, certes, efficace, mais, au fond, il n’est guère meilleur qu’un chimpanzé se servant d’une pierre pour casser une noix.
Or l’intelligence humaine naît du baiser des Muses.»
Nikolaus Harnoncourt
Le 5 décembre 2015, alors qu’il devait encore honorer quelques concerts qui avaient été prévus à son agenda, Nikolaus Harnoncourt a écrit à son public par un billet manuscrit : «Cher public. L’état de mes forces physiques me contraignent à renoncer à mes projets futurs.»
Et il est mort le 5 mars 2016, 3 mois après, à l’âge de 86 ans.
Oui ! Parce que lui n’aspirait pas à la retraite, sa vie était vouée à l’art et à la musique.
Il existe des activités qui occupent notre temps et certaines qui le remplissent.
C’est une grâce infinie quand le métier, l’activité rémunérée permet de remplir notre espace et notre vie. Ce fut le destin de Nikolaus Harnoncourt, un rebelle, un homme qui disait non.
Il était violoncelliste à l’orchestre symphonique (pas le Philharmonique) de Vienne et il disait non : non on ne doit pas jouer Bach comme on le joue, ni Mozart.
Il a alors créé un petit ensemble nommé le concentus musicus de Vienne qui jouait sur instruments d’époque et s’est dans un premier temps concentré sur l’interprétation de la musique baroque. Avec ses amis, Ils ont analysé, répété  et réinventé une manière d’interpréter pendant 7 ans, entre eux, avant de se révéler au public par des concerts.
Et leur interprétation, la sonorité des instruments tout le discours musical comme allait le conceptualiser Harnoncourt  créèrent des grandes  polémiques, les uns criaient « au génie », les autres « Au Fou ».
La première fois que j’entendis les concertos brandebourgeois joués par le concentus musicus je me suis résolument rangé dans la seconde catégorie.
Et puis j’ai évolué, j’ai la faiblesse de croire que Harnoncourt aussi. Parce que les premières interprétations étaient peut être authentiques mais écorchaient les oreilles. Ce n’est plus le cas et désormais on n’interprète plus Bach, plus Mozart  après Harnoncourt qu’avant lui. C’est cela la marque des grands hommes.
La chanteuse Patricia Petitbon lui a rendu un bel hommage
«Il m’a fait comprendre que la musique c’était savoir faire des choix, savoir être libre, savoir être sincère, trouver sa propre voie même si elle n’est pas forcément comprise par les autres. Je le voyais comme un sculpteur de marbre : il avait un bloc de marbre devant lui, il le fracassait et en faisait ce qu’il voulait. Il incarnait la volupté, la générosité, il n’avait pas peur d’aller au-delà, il était incroyablement lumineux. Il avait cette capacité de se fondre dans l’instant et dans l’éternité de la musique»
L’express a republié une interview du 24 janvier 2007 que vous trouverez ici : http://www.lexpress.fr/culture/musique/la-musique-va-bien-au-dela-de-la-beaute_478639.html dont j’ai tiré l’exergue du mot du jour et dont je cite les extraits suivants :
« L’art est du domaine de l’imaginaire et nous a été donné comme contrepoint au monde matériel. De nos jours, nous vivons le triomphe de l’utilitaire: plus l’homme possède, plus il croit être heureux. C’est donc tout naturellement que l’on est arrivé à se persuader que l’art, et donc son apprentissage à l’école, ne servait à rien. On semble ne pas comprendre qu’on ne produira ainsi que des hédonistes et que l’on risque de voir disparaître la dimension qui différencie l’homme de l’animal. Sans l’art, l’homme est, certes, efficace, mais, au fond, il n’est guère meilleur qu’un chimpanzé se servant d’une pierre pour casser une noix. Or l’intelligence humaine naît du baiser des Muses. […]
[…] De nos jours, la musique met en avant l’approche anglo-saxonne, qui privilégie la prestation instrumentale. Tout doit être « bien joué ». Malheureusement, j’ai l’impression que beaucoup de gens se satisfont de cette situation: trouver une homogénéité. Mais où est le contenu? C’est là que le bât blesse. L’art ne peut être réduit à des paramètres techniques. La musique n’est pas un loisir, une détente; elle intervient dans notre vie, et peut donc déranger. Le plus simple, bien sûr, c’est de refuser l’affrontement et de ne rechercher qu’une forme de beauté qui puisse distraire du quotidien. L’art devient un simple ornement. Or plus on s’efforce de comprendre la musique, plus on voit qu’elle va bien au-delà de la beauté.[…]
Très souvent, lorsqu’on vit un moment tendu, on constate que le verbe n’est d’aucune aide. La musique, elle, dans presque chaque situation émotionnellement forte, peut atteindre l’âme. […] Je n’utiliserai à aucun moment un instrument parce qu’il est ancien. Je le choisis parce qu’il me permet de transposer au mieux ma vision d’une œuvre. On ne peut jamais reproduire le passé. Il faudrait les musiciens de l’époque, la lumière de l’époque, les spectateurs de l’époque – qui ne connaissent pas, au contraire de nous, la musique des siècles suivants. J’aime Shakespeare, Michel-Ange ou Monteverdi non pour leur époque, mais pour leurs chefs-d’œuvre, qui transcendent le temps. L’homme change, sans doute. Mais une grande partie de lui restera toujours identique tant qu’il sera mortel. C’est pour cela que les expériences de nos ancêtres nous sont à ce point accessibles. Si vous lisez Pascal, vous apprenez qu’il existe deux façons de penser: une qui s’attache à la raison arithmétique et l’autre, à la raison du cœur. Je suis d’accord. Et quand le cœur n’y est pas, il n’y a plus rien.»
Sur YouTube vous trouverez énormément de vidéos de ce musicien exigeant et fascinant :

Jeudi 10 mars 2016

Jeudi 10 mars 2016
« [Les Etudiants d’aujourd’hui] devront se remettre en question en permanence. Le monde va si vite que nous sommes d’ailleurs bien incapables de leur enseigner ce qu’ils devront savoir ne serait-ce que dans dix ans. »
John Hennessy Président de l’université Stanford
Stanford, cette extraordinaire université américaine !
Stanford a donné au monde Google, Cisco, Paypal, Netflix, Snapchat, Instagram, Yahoo, LinkedIn…
Mais René Girard y a enseigné et aussi Michel Serres ainsi que le philosophe Jean-Pierre Dupuy, chercheur au centre d’étude du langage et de l’information de Stanford et ancien directeur d’études à Polytechnique. Ces trois français montrent que les sciences humaines sont aussi très présentes à Stanford.
John Steinbeck fut aussi élève de cette université.
« Si vous avez une idée, vous trouverez toujours quelqu’un sur ce campus pour vous aider », assure une étudiante dans cet article consacré à Stanford. Article dont je tire aussi ce qui suit : 
En 1996, c’est dans le sous-sol du bâtiment Gates de sciences informatiques (le fondateur de Microsoft avait offert 6 millions de dollars pour la construction) que les deux étudiants en doctorat Larry Page et Sergueï Brin ont mis au point l’algorithme du futur moteur de recherche Google. L’université, qui avait déposé le brevet, a reçu 1,8 million d’actions Google. En 2005, l’université a vendu ses parts pour 336 millions de dollars. Depuis, le pipe-line ne s’est pas tari. Selon le Stanford Daily, Google offre chaque année 1 million de dollars au département d’informatique. La « tech » finance Stanford, qui lui envoie ses meilleurs éléments. 
John Hennesy est la tête de l’université depuis 2000, il a chamboulé le cursus académique. Stanford ne doit plus être seulement un lieu de recherche fondamentale, mais un endroit où l’on « cherche des solutions », a-t-il décrété en 2009. « Si les universités ne travaillent pas sur les grands problèmes du monde, qui le fera ? »
Récemment il est venu en France et le journal Le Monde l’a interviewé : «Le défi majeur est d’apprendre à apprendre tout au long de la vie»
Voici des extraits de cet entretien :
Vous avez placé les approches interdisciplinaires au cœur de tous vos cursus. En quoi cela répond-il aux besoins des entreprises ?
Un dirigeant doit bien sûr avoir un domaine d’expertise. Mais il doit de plus en plus être en capacité d’interagir et de travailler avec d’autres personnes, d’autres disciplines. Regardez le problème du changement climatique. Il n’existe pas de solution magique. Climatologues, économistes, politiques, experts en technologies alternatives doivent travailler ensemble. Les défis auxquels nous faisons face, en économie, en politique ou en environnement nécessitent des capacités de collaborations pour être résolus. Cela s’apprend.
Est-ce facile de faire dialoguer les disciplines ? En France, cela ne va pas de soi…
Rassurez-vous, aux Etats-Unis non plus ! Dans l’industrie, les approches transversales sont plus faciles à initier car, au final, un produit doit sortir, de la valeur doit être créée. Dans le monde académique, les personnes ont plutôt tendance à travailler en silo. Nous avions néanmoins un atout : l’existence d’un campus réunissant, sur un faible périmètre, de multiples disciplines. Nous avons ensuite créé des incitations pour que chercheurs et étudiants travaillent ensemble, par exemple des facilités de financement pour les recherches transdisciplinaires.
Plus inattendu au cœur de la Silicon Valley : vous avez placé l’art au cœur du campus. Qu’en attendiez-vous ?
Les grandes sociétés ont de grands artistes : la culture apporte de la profondeur, ce que l’on respire d’ailleurs partout en France. En outre, nous voulions permettre aux étudiants d’avoir accès à quelque chose qui pourrait devenir une source de joie pour toute leur vie. Mais l’art a aussi une vertu pédagogique : sa fréquentation et sa pratique stimulent la créativité, nous confrontent à des cultures différentes, à des idées qui sortent des cadres établis. Nous avons donc cherché à donner aux étudiants ce que j’appelle la confiance créative. Leur apprendre à émettre et aussi à recevoir les critiques sans en prendre ombrage. Cette compétence est de grande valeur.
Même les entreprises qui se disent en quête de créativité ont parfois du mal à accepter ces idées « qui sortent des cadres établis »…
Le défi, pour une entreprise, est de garder l’étincelle de l’innovation, notamment dans les grandes organisations. Google, par exemple, consacre beaucoup d’énergie à conserver cette agilité. Dans la Silicon Valley, les idées qui sortent de l’ordinaire jaillissent à chaque coin de rue. D’ailleurs, les universités devraient être ce lieu où les idées émergent en permanence, et elles devraient se réinventer en permanence.[…]
Il s’agit donc d’« apprendre à apprendre » tout au long de la vie ?
Absolument. C’est le défi majeur. Notamment pour trouver un emploi. A mon époque, je savais que j’aurais trois ou quatre employeurs au maximum. Maintenant, les jeunes ne pensent plus en termes de carrière linéaire. Ils se projettent dans une multitude de carrières et travailleront pour dix ou quinze employeurs différents. Ils devront se remettre en question en permanence. Le monde va si vite que nous sommes d’ailleurs bien incapables de leur enseigner ce qu’ils devront savoir ne serait-ce que dans dix ans.
Si vous deviez néanmoins désigner une évolution majeure pour la prochaine décennie, quelle serait-elle ?
Le big data. Il devient l’outil central d’aide à la décision dans une multitude de domaines.
L’accès à ces données massives et personnelles donne un pouvoir considérable à des entreprises privées. Quel contre-pouvoir peut déployer l’université ?
Enseigner l’éthique. C’est ce que nous faisons depuis 2014 dès la première année pour tous les étudiants. Ils suivent des cours sur les enjeux éthiques attachés à leur spécialité – ingénierie, informatique, médecine, etc. Ils ont aussi des cours de philosophie à proprement parler. Le monde devient extraordinairement complexe et rapide. Leur donner accès à une capacité de penser pour prendre les bonnes décisions est central, avant qu’ils exercent le pouvoir qui sera le leur dès qu’ils entreront dans le monde du travail, où ils devront réagir en temps réel. Il est crucial que nous leur donnions les bons réflexes.
L’université s’oppose à des intérêts privés surpuissants. N’est-ce pas utopique ?
Nous pouvons lutter. Expliquer. Développer des arguments. Dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Je ne sais pas si nous gagnerons cette bataille. Mais il est de notre responsabilité de la mener.

Mercredi 9 mars 2016

Mercredi 9 mars 2016
«J’ai appris qu’il faut être dans l’instant présent.
Que si l’on se concentre sur quelque chose, cela devient beau et on peut en tirer de l’énergie.»
Annette Herfkens
En 1992, Annette Herfkens est une jeune et brillante trader de 31 ans, qui vit à Ho Chi Minh ville, au Viet Nam, avec son compagnon Pasje. Ils sont ensemble depuis 13 ans. Pasje s’est installé au Vietnam six mois plus tôt pour implanter deux filiales de la banque pour laquelle il travaille.
«Nous étions là pour un voyage romantique que Pasje avait organisé », raconte Annette Herfkens. Pour se rendre à Nha Trang, la destination finale de ce séjour en amoureux, ils doivent monter dans un petit avion. C’est à reculons qu’Annette Herfkens y met les pieds.
5 minutes avant l’atterrissage prévu, des turbulences. Une première chute de l’avion. Puis une seconde. «Pasje prend ma main, je prends la sienne, il a un air inquiet. Et tout devient noir », se remémore-t-elle. «Quand j’ouvre les yeux, je peux voir la jungle. J’ai quelque chose de lourd sur moi, je le pousse. Il s’avère que c’était un corps. J’aperçois Pasje, il est mort », poursuit-elle cliniquement.
Son prochain souvenir est celui d’être assise hors de l’avion, dans la jungle. Un homme est vivant à côté d’elle, un « business man ». Mais il meurt dans les heures qui suivent. Annette Herfkens a alors un plan, un seul: essayer de survivre une semaine près de l’avion en attendant les secours. Si personne ne l’a trouvée d’ici là, elle tentera sa chance dans la jungle pour ne pas mourir de faim.
Elle est gravement blessée, a les hanches fracturées, certains de ses os sont visibles, elle ne peut pas se déplacer sans souffrir atrocement. Pendant 8 jours, elle ne se nourrit que d’eau de pluie. Dans un éclair de conscience, elle se sert de morceaux de mousse trouvés dans le cockpit comme d’éponges pour absorber l’eau de pluie. Ainsi, elle a de quoi boire après une averse et pas uniquement pendant.
Elle est gelée mais parvient à enlever le poncho que portait l’une des passagères. Il lui tient suffisamment chaud pour qu’elle ne meure pas de froid. Lorsque les secours arrivent enfin -coïncidence folle, le fameux huitième jour où elle avait prévu de partir- Annette Herfkens pense qu’elle est déjà morte, ou presque.
Comment a-t-elle tenu le coup pendant 8 jours ? 
Au-delà de la soif, Annette Herfkens souffrait de ses blessures, sans parler de la douleur psychologique liée au décès de son compagnon et de l’angoisse d’être seule au milieu de nulle part.
Pour employer le langage de la psychologie, Annette Herfkens a réussi à « compartimenter » les choses. Elle s’est concentrée sur l’essentiel: la survie. Et a fait abstraction du reste. «Ne pense pas à Pasje. Ne pense pas à Pasje », répète-t-elle inlassablement dans son livre. Ne pas penser non plus à ses blessures, ni aux insectes, ni aux tigres qui pourraient roder dans les environs, ni à la mort environnante, ni aux secours qui arriveront peut-être trop tard.
«Je me suis concentrée sur la beauté de l’environnement », nous explique-t-elle, avec le sourire bien sûr. «J’ai écouté mon cœur, mes intuitions, j’ai réalisé à quel point c’était important d’être là, en vie », poursuit-elle.
Après le crash, Annette Herfkens a évidemment dû se reconstruire. Physiquement d’abord, puis psychologiquement. Mais ce n’est pas l’accident, ni la survie dans la jungle qui sont le plus douloureux à ses yeux, c’est la perte de son fiancé Pasje. Ce n’est qu’une fois les secours sur place qu’elle sort de son état de survie et d’émerveillement devant la nature et qu’elle réalise qu’il est bel et bien décédé. «C’était assez sympa de mourir finalement. C’est revenir à la vie sans lui qui a été difficile », avance-t-elle.
Evidemment, les premiers vols en avion dans les mois qui ont suivi l’accident étaient insupportables pour elle. Mais elle n’a pas le choix, en tant que trader, les voyages sont inhérents à sa vie. Et elle adore son métier. Elle joue à la Game Boy pour se distraire. A ceux qui ont peur de prendre l’avion, elle voudrait dire une seule chose: «survivre est bien pire que de s’écraser ». «Cela a l’air spectaculaire mais on n’a pas le temps de réaliser ce qui nous arrive », ajoute-t-elle.
Après quelques années, elle retourne au Vietnam sur les lieux du drame. Une première fois en 2006 sur une invitation de Vietnam Airlines. Une deuxième fois en 2014 à l’occasion de la parution dans le pays de son livre. Elle voulait aussi que sa fille rencontre un homme un peu particulier: celui qui lui a sauvé la vie. Le huitième jour après l’accident, Annette Herfkens a en effet cru être victime d’hallucinations: elle voyait un homme accroupi devant elle. Ce n’est qu’en retournant au Vietnam en 2006 qu’elle rencontre à nouveau cet homme et qu’elle réalise qu’elle lui doit la vie: c’est lui qui est allé chercher les secours.
Aujourd’hui, elle comprend mieux ce qu’elle a vécu pendant cette « expérience » de huit jours dans la jungle qu’elle décrit comme étant « belle », étonnamment. Les lectures qu’elle a faites depuis le crash, sur le bouddhisme notamment, ont mis cet événement en perspective. Nommant régulièrement l’une de ses grandes inspirations, le médecin et penseur d’origine indienne Deepak Chopra, elle nous explique que ces penseurs décrivent ce qu’elle a vécu dans la jungle.
«J’ai appris qu’il faut être dans l’instant présent. Que si l’on se concentre sur quelque chose, cela devient beau et on peut en tirer de l’énergie ».
C’est pour ça qu’elle a écrit ce livre, nous dit-elle: pour faire comprendre qu’il faut se concentrer sur ce que l’on a et pas sur ce que l’on a pas. «C’est comme dans la jungle: au lieu de penser aux insectes, j’ai regardé les fleurs », insiste-t-elle. Elle avance même avec humour qu’elle a suivi « un cours intensif de méditation en huit jours ». […]
Elle sait bien de quoi elle parle, quand elle dit qu’il faut se concentrer sur le positif, l’instant présent. Son fils est en effet atteint d’autisme. Elle a arrêté son activité professionnelle pour s’occuper de lui. « Quand on accepte un enfant pour ce qu’il est, on réalise qu’il est un don », affirme-t-elle avec tendresse. Dans les années à venir, Annette Herfkens veut consacrer du temps à son fils. A l’écriture? Peut-être. Elle voudrait surtout donner des conférences […]
La journaliste ajoute :
«Le récit est tellement incroyable qu’on a du mal à y croire. Pourtant, tout est vrai. Annette Herfkens, la survivante de ce crash de la compagnie Vietnam Airlines, a écrit un livre pour raconter son histoire hors du commun. La version française, Turbulences, le récit d’une survivante, est sorti ce mercredi 17 février.»
Faut-il passer par de telles épreuves pour apprendre à être dans l’instant présent et voir ce qui est beau ?
Il me semblait pertinent de partager cette expérience de vie douloureuse mais aussi résiliente avec vous.

Mardi 8 mars 2016

Mardi 8 mars 2016
«Mon éditeur est furieux et me prend pour un parasite»
Umberto Eco
Umberto Eco est décédé le 19 février 2016 d’un cancer à 84 ans.
Il est connu notamment pour ses deux romans initiaux  « Le Nom de la rose » (1980) puis le Pendule de Foucault (1988).
En hommage, je partage avec vous l’Histoire qui a donné son nom à ce livre :
Comment voyager avec un saumon
A en croire les journaux, notre époque est troublée par deux grands problèmes : l’invasion des ordinateurs et l’inquiétante expansion du Tiers-Monde. C’est vrai, et moi je le sais. Dernièrement, j’ai fait un voyage bref, un jour à Stockholm et trois à Londres.
À Stockholm, j’ai eu le temps d’acheter un saumon fumé énorme, à un prix dérisoire. Il était soigneusement emballé dans du plastique, mais on m’a conseillé, puisque j’étais en voyage, de le garder au frais. Facile à dire.
Heureusement, à Londres mon éditeur m’avait réservé une chambre de luxe, équipée d’un frigo-bar. Arrivé à l’hôtel, j’ai eu l’impression d’être dans une légation de Pékin pendant la révolte des Boxers. Des familles campant dans le hall, des voyageurs enfouis sous des couvertures dormant sur leurs bagages… Je m’informe auprès des employés, tous Indiens, plus quelques Malais. Ils me répondent que la veille, le grand hôtel s’était doté d’un système informatique qui, par manque de rodage, venait de tomber en panne deux heures auparavant. Impossible désormais de savoir si les chambres étaient libres ou occupées. Il fallait attendre. En fin d’après-midi, l’ordinateur était réparé et j’ai pu prendre possession de ma chambre. Préoccupé par mon saumon, je le sors de ma valise et me mets en quête du frigo-bar. D’habitude, les frigo-bars des hôtels normaux contiennent deux bières, deux eaux minérales, quelques mignonnettes, un petit assortiment de jus de fruits et deux sachets de cacahuètes.
Celui de mon hôtel, gigantesque, contenait cinquante mignonnettes de whisky, gin, Drambuie, Courvoisier, Grand Marnier et autres calvados, huit quarts Perrier, deux de Badoit, deux d’Évian, trois bouteilles de Champagne, plusieurs canettes de stout, de pale-ale, de bières hollandaises et allemandes, du vin blanc italien et français, des cacahuètes, des biscuits salés, des amandes, des chocolats et de l’Alka-Seltzer. Aucune place pour mon saumon. Deux grands tiroirs s’offraient à moi : j’y ai déversé tout le contenu du frigo-bar, j’ai installé mon saumon au frais, et je ne m’en suis plus occupé.
Le lendemain à quatre heures, mon bestiau trônait sur la table et le frigo-bar était de nouveau rempli jusqu’à la gueule de produits de qualité. J’ouvre les tiroirs et constate que tout ce que j’y ai déposé la veille est encore là. Je téléphone à la réception et demande d’avertir le personnel d’étage que s’ils trouvent le frigo vide ce n’est pas que je consomme tout mais c’est à cause d’un saumon. On me répond que cette information doit être donnée à l’ordinateur central, car le personnel n’étant pas anglophone, il ne peut recevoir des ordres parlés, mais seulement des instructions en Basic.
J’ai ouvert deux autres tiroirs pour y transférer le nouveau contenu du frigo-bar, dans lequel j’ai ensuite logé mon saumon. Le lendemain à quatre heures l’animal gisait sur la table et commençait à dégager une odeur suspecte. Le frigo regorgeait de bouteilles et mignonnettes, quant aux quatre tiroirs, ils rappelaient le coffre-fort d’un speak-easy au temps de la prohibition. Je téléphone à la réception et apprends qu’ils ont eu une nouvelle panne d’ordinateur. Je sonne et tente d’expliquer mon cas à un type portant les cheveux attachés en catogan : hélas, il parlait un dialecte qui, d’après ce que m’a expliqué par la suite un collègue anthropologue, n’était pratiqué qu’au Khéfiristan à l’époque où Alexandre le Grand fêtait ses épousailles avec Roxane.
Le matin suivant, je suis allé régler ma note. Elle était astronomique. Il apparaissait qu’en deux jours et demi, j’avais consommé plusieurs hectolitres de Veuve Clicquot, dix litres de whiskys divers et variés, y compris quelques malts très rares, huit litres de gin, vingt-cinq litres de Perrier et d’Évian, plus quelques bouteilles de San Pellegrino, davantage de jus de fruits qu’il n’en faudrait pour maintenir en vie tous les enfants de l’UNICEF, une quantité d’amandes, de noix et de cacahuètes à faire vomir le légiste chargé de l’autopsie des personnages de La Grande Bouffe.
J’ai essayé de m’expliquer, mais l’employé, en souriant de toutes ses dents noircies par le bétel, m’a certifié que l’ordinateur avait enregistré tout ça. J’ai demandé un avocat, on m’a apporté une mangue.
Mon éditeur est furieux et me prend pour un parasite. Le saumon est immangeable. Mes enfants m’ont dit que je devrais boire un peu moins. (1986)
Umberto Eco avait beaucoup d’humour. C’est un extrait du « Nom de la Rose » consacré au rire que j’avais utilisé pour le premier mot du jour d’après la tuerie de Charlie Hebdo le 7 janvier :
C’était la réponse que le moine aveugle qui avait tué les jeunes moines qui avait lu un livre sur le rire, avait fait à cette question de l’enquêteur joué par Sean Connery : « Mais qu’estce qui t’a fait peur dans ce discours sur le rire ? »
« Le rire libère de la peur du diable, […] Le rire distrait, quelques instants de la peur.
Mais la loi s’impose à travers la peur, dont le vrai nom est crainte de Dieu. […]
Et que serions nous, nous créatures pécheresses, sans la peur, peut être le plus sage et le plus affectueux des dons divins ? »
« Jorge de Burgos »
Le nom de la Rose, Septième jour : Nuit
Umberto Ecco
.
Le rire est essentiel à notre vie, mais le rire ne plait pas aux idéologies totalitaires dont les religions monothéistes sont de dignes représentantes.
Car le rire est critique, le rire est contestation

Lundi 7 mars 2016

Lundi 7 mars 2016
« La bienveillance est une partie de la solution et non une preuve de naïveté »
Christophe André
Ce sont 3 amis : Christophe André, Matthieu Ricard et Alexandre Jollien et ils ont écrit un livre.
Mais avant de parler de ce livre, avez-vous vu le documentaire d’ARTE : Vers un monde altruiste ?
Il n’est plus disponible gratuitement sur le site d’Arte.
Mais pour résumer, dans ce documentaire vous vous rappellerez que le cyclone Katrina avait dévasté la Nouvelle Orléans et que toutes les télévisions européennes n’ont montré que des images de pillages et de forces de l’ordre obligés d’intervenir pour y mettre bon ordre. C’étaient les seules images que l’on montrait. La conclusion était : les hommes sont des loups pour les hommes ! Mais des chercheurs américains ont enquêté sur ce qui vraiment passé à la nouvelle Orléans. Il y a bien eu des pillages, mais cela s’est révélé ultra minoritaire, ce qui a très largement prédominé c’est l’entraide entre les voisins entre les gens.
Et ce documentaire vous montrera des scientifiques qui  font des expériences avec de très jeunes enfants ou des adultes et qui concluent ce qui est très largement majoritaire, c’est l’entraide pas l’indifférence.
Voilà c’est cela que les scientifiques constatent.
Maintenant nous pouvons revenir à ces trois hommes qui mettent en avant la bienveillance.
Christophe André est médecin psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne de Paris, il a été l’un des premiers à introduire la méditation dans le traitement de ses patients. Il a écrit plusieurs livres  parmi lesquels Méditer jour après jour-25 leçons pour vivre en pleine conscience qui a eu un grand succès.
Matthieu Ricard est moine bouddhiste, il est aussi le fils du philosophe Jean François Revel, auteur  aussi de nombreux ouvrages, proche du dalai lama.
Alexandre Jollien est philosophe. Il a vécu dix-sept ans dans une institution spécialisée pour personnes handicapées physiques. Il a écrit Éloge de la faiblesse (1999, prix de l’Académie française).
Ils ont écrit un livre à 3 voix, publié en janvier 2016 :  <3 amis en quête de sagesse>
Pour parler de ce livre ils ont été invités à France Inter le dimanche 17 janvier  et Christophe André a été invité seul au Club de la Presse d’Europe 1
Et ils ont été interviewés dans le magazine Psychologies de février 2016, entretien que vous trouverez en pièce jointe et dont je tire les extraits suivants :
Alexandre Jollien :
«Nous voulions nous garder de faire un livre bourré de théories. Une idée de Christophe nous a particulièrement inspiré : « si nous n’avions plus beaucoup de temps à vivre, qu’aimerions-nous laisser d’essentiel ? »
[…]
La journaliste leur pose la question : « vous développez le chemin pour aller vers les autres, sortir de la souffrance, écouter…Mais au regard de l’actualité, des attentats, n’est-ce pas un idéal inatteignable, presque décalé ?
Alexandre Jollien : Qu’est-ce qu’on entend par « actualité » ? À mes yeux, véhiculer la générosité, l’altruisme, c’est au contraire d’une actualité très vibrante. Ce n’est pas du tout idéaliste. Pourquoi croit-on qu’un peu plus de sagesse procède de l’utopie ? C’est un mode de vie concret.
Privilégier l’écoute de l’autre c’est le minimum. J’aime bien les mots de Spinoza : « ne pas mépriser, ne pas pleurer, mais comprendre.».
Christophe André : cette question du rapport avec l’actualité me surprend toujours. C’est un peu comme si on ne pouvait parler de bonheur, de fraternité, d’altruisme que lorsque tout va bien. Mais c’est encore plus nécessaire quand tout va mal !
L’actualité, c’est quoi ? Les attentats une épouvantable violence, la montée du Front National… c’est justement dans ces instants qu’il faut rappeler inlassablement que l’instinct des humains n’est ni la violence, ni le rejet, mais la fraternité et l’entraide, que la bienveillance est une partie de la solution et non une preuve de naïveté. Même et surtout lorsque nous sommes confrontés à des personnes qui nient l’humanité, il faut qu’une parole de bienveillance, de fraternité soit présente. Il va falloir reconstruire tous les liens brisés dans notre pays, entre les musulmans et les non-musulmans, les gens qui ont voté Front National et les autres.
Si on cesse de parler de fraternité, on est foutu !
La seule force de ce discours n’est peut-être pas suffisante, mais elle est indispensable. Je ne crois pas que nous soyons décalés nous sommes complémentaires à l’action politique.
 
Matthieu Ricard : Ceux qui essaient d’asséner, avec une sorte d’indignation que « la fraternité face au terrorisme, c’est le monde des Bisounours » sont ceux qui fragmentent la réalité. Excusez-moi  II y a des drames, des massacres partout dans le monde, un milliard de personnes sous le seuil de pauvreté, et pourtant, le plus souvent la plupart des sept milliards d’êtres humains se comportent de manière décente les uns vis-à-vis des autres.
La banalité du bien, c’est d’actualité, vous savez
Aujourd’hui, nous vivons malgré tout la période la moins violente de toute l’histoire de l’humanité. En Europe, par rapport au XIVe siècle, les homicides sont passés de cent pour cent mille habitants par an à un pour cent mille. Le nombre de victimes par conflit – en prenant en considération l’ensemble des conflits chaque année dans le monde – a été divisé par  cinquante par rapport à 1950.
Cette dictature de l’actualité nous fait regarder les étincelles et jamais parler de la prévention des feux […]
La haine et la violence peuvent être contagieuses, mais la bonté et la bienveillance aussi !
Une étude scientifique montre qu’une personne bienveillante avec quelqu’un augmente la probabilité que cette personne le soit à son tour […]
Si c’est la haine que l’on propage, cela ne cessera jamais Est-ce cela que l’on veut, ou préfère-ton une société bienveillante. C’est naïf de vouloir cela ?
 
Et c’est aussi Matthieu Ricard qui insiste sur l’importance de l’acceptation.
Il écrit : « Accepter le présent avec lucidité et fortitude » 
Et Christophe André précise :
« C’est drôle comme ce mot «acceptation» peut, en Occident, hérisser certains. L’acceptation est ce temps durant lequel on se met en contact avec le réel !
« Que se passe-t-il et que puis-je faire ? »
L’acceptation précède l’action juste, réfléchie et adaptée. Elle ne consiste pas à dire « c’est bien », mais « c’est la »  
Certains les traitent de bisounours et par réaction ils se sont nommés eux-mêmes le commando des bisounours.
Mais ils ont profondément raison : le mal existe mais la bonté aussi. La bienveillance est partie de la solution. Bienveillance qui n’est pas faiblesse et bienveillance qui ne se soumet pas au mal, mais le combat fermement, avec dignité et sans jamais se mettre au niveau de bassesse et de destruction du mal.

Vendredi 4 mars 2016

Vendredi 4 mars 2016
«dégooglisons Internet»
Framasoft
Comme vous êtes lecteur d’Astérix et que vous voyez cette carte sur le site de Framasoft vous comprenez deux choses : la première c’est qu’il est question de résistance et la seconde c’est que l’âme de cette résistance (il y en a d’autres) est française : Framasoft est un réseau d’éducation populaire créé en novembre 2001 par Alexis Kauffmann, et soutenu depuis 2004 par l’association homonyme. Consacré principalement au logiciel libre, il s’organise en trois axes sur un mode collaboratif : promotion, diffusion et développement de logiciels libres, enrichissement de la culture libre et offre de services libres en ligne. Espace d’orientation, d’informations, d’actualités, d’échanges et de projets, Framasoft est une porte d’entrée francophone du logiciel libre. Sa communauté d’utilisateurs est créatrice de ressources et apporte assistance et conseil à ceux qui découvrent et font leurs premiers pas avec les logiciels libres.
Elle accompagne ceux qui désirent remplacer leurs logiciels propriétaires par des logiciels libres.
L’intégralité de la production de Framasoft est placée sous licence libre afin de favoriser la participation et de garantir que chacun puisse en bénéficier, sans appropriation. Framasoft ajoute le M de Microsoft à GAFA pour donner GAFAM.
Ils ont un moteur de recherche qui est un méta-moteur qui ne trace pas vos requêtes : https://framabee.org/
Ce moteur de recherche s’appuie sur un autre qui lui non plus ne trace pas : https://searx.me/
Pour ma part j’ai installé comme moteur par défaut un autre moteur de recherche français : https://www.qwant.com/
Et je n’utilise Google que dans les rares cas où je souhaite trouver davantage.
Il n’est probablement pas possible, pour l’instant, de se priver totalement de Google qui reste le moteur de recherche utilisé par neuf Français sur dix. Mais des alternatives plus respectueuses des données privées des internautes se développent et il ne faut pas se priver de les utiliser, voire prioritairement.
La dégooglisation d’Internet devrait être plus généralement une déGAFAMisation d’Internet. 
Et la je voudrais ajouter quelque chose…
Acheter un livre sur Amazon …, alors là non ! Vous ne pouvez pas défendre des conditions de travail digne pour vous et vos enfants et vous abaisser à passer par les services de cette entreprise rapace et indigne à l’égard de ses salariés.
Même pour les autres achats que les livres, vous pouvez trouver d’autres services que ceux d’Amazon.
Mais pour les livres non !
Pour tous ceux qui habitent Rhône-Alpes, vous disposez désormais d’un site : http://www.libraires-rhonealpes.fr/
Vous commandez sur le site et vous allez chercher le livre dans la librairie de votre choix.
Et puis vous disposez d’autres sites de libraires autant que vous voulez, aucune raison de passer par les fourches caudines de cette entreprise. 
Il y aurait encore tant de choses à dire et à décrypter sur les Google Apple Facebook Amazon Microsoft, mais je m’arrêterai là après une semaine consacrée à ces sujets où nous sommes souvent si naïfs, si innocents comme l’agneau qui va se faire dévorer par le loup.

Jeudi 3 mars 2016

Jeudi 3 mars 2016
« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»
Zygmunt Bauman

Zygmunt Bauman est un sociologue remarquable auquel je n’ai pas encore consacré de mot du jour, alors que j’y pense depuis longtemps notamment en raison du concept fécond de « société liquide » qu’il a inventé.

Il est né à Poznań en Pologne le 19 novembre 1925 et possède la double nationalité britannique et polonaise.

Il a écrit récemment un article dans « El Pais », le grand journal espagnol, qui a pour titre : «les réseaux sociaux sont un piège»

Il écrit notamment :

« La question de l’identité a été transformée, d’un élément donné c’est devenu une tâche : vous devez créer votre propre communauté.

Mais une communauté est créée de fait, vous l’avez ou pas ; ce que les réseaux sociaux peuvent créer est un substitut. La différence entre la communauté et le réseau est que vous appartenez à la communauté, mais le réseau vous appartient à vous.

Vous pouvez ajouter des amis et vous pouvez les supprimer, vous contrôlez les personnes avec qui vous êtes en lien. […] Mais sur les réseaux c’est si facile d’ajouter ou de supprimer des amis que vous n’avez pas besoin de compétences sociales, celles que vous développez lorsque vous êtes dans la rue, ou allez au boulot etc., et rencontrez des gens avec qui vous devez avoir une interaction raisonnable. Là, vous avez à faire face aux difficultés liées à un dialogue.

Le Pape François a choisi de donner sa première interview à Eugenio Scalfari, un journaliste italien qui se revendique publiquement athée. C’était un signal : le dialogue réel ce n’est pas de parler avec des gens qui pensent comme vous. Les réseaux sociaux n’apprennent pas à dialoguer, car il est si facile d’éviter la controverse…

Beaucoup de gens utilisent les réseaux sociaux non pas pour unir, non pas pour élargir leurs horizons, mais au contraire pour s’enfermer dans ce que j’appelle une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

Les réseaux sont très utiles, rendent des services très agréables, mais sont un piège. »

Ce que Bauman décrit se comprend parfaitement pour le F des GAFA : Facebook. Au départ Facebook c’est la communauté de mes amis. A priori, il n’est que prévu de dire qu’on aime, les fameux « like ». Il n’est pas prévu de dire qu’on n’est pas d’accord. Tout ceci illustre parfaitement le propos de Bauman, mais Facebook va encore plus loin, car il trie aussi les informations que publient « mes amis ».

Dans un mot du jour précédent, je vous ai parlé de Yann Le Cun, le génie de l’intelligence artificielle qui travaille chez facebook.  Et Le Cun explique que facebook a besoin de l’intelligence artificielle pour trier les informations pertinentes pour chaque utilisateur, sinon il serait noyé sous les informations. Bref, Facebook apporte à chaque utilisateur les informations qu’il pense intéressant pour lui et avec lesquelles il sera en phase. Non seulement on y rencontre que des amis, mais en plus on évite la controverse.

Et ceci m’amène à évoquer les moteurs de recherche et particulièrement Google. Mais comment faisait-on  avant Google pour trouver une information sur Internet ?

Au départ les informaticiens étaient influencés par leur culture papier et la logique du classement des bibliothèques

Pour trouver un livre on devait aller dans la bonne salle, dans la bonne rangée d’armoire pour finalement arriver au bon endroit.

Alors sur Internet ils avaient inventé des portails ou annuaires où il fallait désigner le domaine dans lequel on cherchait et puis de proche en proche on arrivait à trouver quelque chose.

Avant Google, il y avait Multimania, Geocities, AOL, LYCOS et Alta Vista (littéralement « vue haute » en espagnol). Alta Vista fut mis en ligne à l’adresse web altavista.digital.com en décembre 1995 et développé par des chercheurs de Digital Equipment Corporation. Il fut le plus important moteur de recherche textuelle utilisé avant l’arrivée de Google qui le détrôna.

Google arriva en 1998. Et ce fut une innovation disruptive : On pose une question à Google et Google va trouver les réponses à cette question et les restitue.

On n’est plus dans la culture papier on bascule dans la culture numérique.

En outre Google trouva le graal économique : faire de gigantesques profits avec un service gratuit.

Avouons-le ! Google est génial.

Derrière tout cela il y a de l’intelligence artificielle et évidemment des immenses bases de données où des milliards de pages internet sont indexées, ainsi qu’une puissance de traitement phénoménale.

Si vous voulez en savoir plus et améliorez vos recherches, vous pouvez aller voir cette page : https://support.google.com/websearch/answer/134479?hl=fr

Tout cela est particulièrement utile et positif. Mais, ce serait une erreur que de croire que Google vous montre l’internet tel qu’il est, de manière neutre.

Grâce à Wikipedia on en sait un peu plus sur le moteur de recherche Google.  Ainsi, on apprend que Les requêtes sont limitées à 32 mots. Seuls les 1 000 premiers résultats pertinents pour une requête sont accessibles, et ce même si les correspondances sont plus nombreuses. D’après Google, obtenir plus de 1 000 résultats entraînerait une lourde charge supplémentaire pour une demande finalement assez rare.

1000 résultats sauf si Google considère qu’il y a moins de résultats à la requête. Mille c’est énorme ! totalement disproportionné par rapport à nos capacités humaines.

Ce qui est essentiel c’est les premiers. En règle générale, l’internaute reste sur la première page de réponse, il semble même qu’il ne s’intéresse qu’aux toutes premières réponses.

Ce qui est essentiel, c’est le tri qu’opère Google.

En théorie, le tri assure que les références les plus utiles sont en premier. L’auteur de l’article de Wikipedia ajoute : «difficile à valider.»

Mis à part les ingénieurs de Google et encore je suppose qu’il ne s’agit que d’un petit nombre d’entre eux, personne ne sait comment fonctionne précisément l’algorithme de recherche et de tri.

On pourrait craindre que comme big brother, Google veut nous montrer le monde à sa façon. Comme le dit le poème d’Aragon :

« Et j’ai vu désormais le monde à ta façon.
J’ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines. »

Eh bien, il semblerait que ce n’est pas comme cela que cela se passe.

Ce serait plutôt : « et je vois le monde à ma façon »

Et je me retrouve avec mes semblables, avec celles et ceux qui pensent comme moi !

J’ai lu sous la plume d’un journaliste : L’algorithme, selon de nombreux facteurs pas tous connus, choisit les meilleurs sites, puis, dans une proportion de 20 % environ, les personnalise selon le profil de la personne qui a fait la recherche.

Tout ceci est merveilleux, mais manque singulièrement d’altérité et de contradiction.

Car c’est la contradiction qui nous rend intelligent, soit parce qu’elle permet de nous affermir dans nos convictions, soit parce qu’elle nous permet de changer d’avis.

Un monde où, le djihadiste ne discute qu’avec les djihadistes, le catholique avec les catholiques, le gauchiste avec les gauchistes est un monde stérile, je veux dire un monde qui ne progresse pas.

Il y a une solution dans Google, ne restez pas sur la première page, allez voir les suivantes. Ou encore, utilisez aussi d’autres moteurs de recherche …

En tout cas, ces remarquables outils ne nous montrent pas un internet neutre ou tel qu’il peut se développer dans sa complexité des contenus, c’est cela que je voulais partager avec vous : un monde où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.

A propos : le nom Google vient du mot Gogol, nom donné au nombre . Ce nombre a été choisi pour évoquer la capacité de Google à traiter une très grande quantité de données.

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Mercredi 2 mars 2016

Mercredi 2 mars 2016
« Le pouvoir des GAFA c’est d’être la porte d’entrée du monde vers vous, « individu » et la porte d’entrée de l’individu sur le monde »
Olivier Babeau
Olivier Babeau est enseignant-chercheur et consultant en stratégie. Il dispose d’un site qui présente ses études : http://olivierbabeau.fr/
Il était l’invité de l’émission du Grain à moudre, l’été dernier. Lors de cette émission, il a déclaré :
«Il n’y a pas eu d’exemple dans l’histoire de l’humanité où des entreprises privées ont eu un tel pouvoir.
Dans le passé il y a eu des banques qui arrivaient à prêter aux empereurs et aux rois ou aux papes.
Mais il n’y a jamais eu d’entreprises qui étaient aussi puissantes que les GAFA.
Si vous prenez le chiffre d’affaire des GAFA vous avez l’équivalent du PIB du Danemark soit la quinzième puissance mondiale.
Si vous prenez les réserves financières des GAFA, vous avez 123 milliards de dollars, c’est-à-dire de quoi acheter les 50 start up les prometteuses et les plus innovantes.
C’est une puissance considérable et cela pose des problèmes d’éthique.
Le pouvoir des GAFA c’est d’être la porte d’entrée du monde vers vous, l’individu et la porte d’entrée de l’individu sur le monde.
Leur pouvoir c’est le contrôle de ces deux côtés et ce contrôle les GAFA le monétise, en tire leur puissance financière et leur capacité d’influence.»
Tout est dit dans ce paragraphe : Notre smartphone, nos requêtes Google, nos amis Facebook, si nous sommes sur ce réseau, vos achats Amazon sont ce que Olivier Babeau explique : une double porte vers le monde et du monde vers nous.
Ces services sont très largement gratuits, parce que la marchandise c’est nous.
Les GAFA prennent nos données que nous donnons et notre vie privée et ils revendent ces données, grâce à quoi ils sont très riches.
Apple et Amazon, en plus de faire cela vendent aussi des produits.
Une autre invitée, la journaliste Andréa Fradin a ajouté :
«Le vrai souci que l’on voit surtout depuis les révélations de Snowden sur la surveillance de masse via les réseaux sociaux c’est les gens qui ne s’intéressent pas aux sujets numériques, s’en fichent de ces problèmes. Ils répondent : « on le savait déjà, on s’en fiche, nous n’avons rien à cacher ! »
Je me souviens d’une anecdote, un collègue qui avait amené sa mère, une ancienne prof à une conférence de hacker, des gens qui savent comment ça marche et qui expliquaient l’importance de la vie privée et de l’utilisation des bons logiciels. La collègue attendait de la part de sa mère une épiphanie qui lui aurait ouvert l’esprit. Mais elle ne l’a pas eu. Elle a déclaré qu’elle continuerait à utiliser Google. Il semble qu’il n’y a pas de demande du grand public sur la protection des données. »
On peut parler « de servitude volontaire »  comme l’écrivait Etienne de la Boétie.
Nos données sont données librement au GAFA en pleine indifférence, en pleine ignorance.
Ces sites suivent votre comportement en ligne, ils sont capable de déterminer vos habitudes de consommation bien sûr mais aussi vos opinions politiques, vos obsessions, vos fantasmes peut être, tout est enregistré.
Les hommes et les femmes naïfs, devant leur ordinateur croient qu’ils sont seuls, que personnes ne voient ce qu’ils font, la requête qu’ils sont en train de demander à Google. Ils n’oseraient peut être pas en parler à leur conjoint ou à leurs amis, mais poser la question à Google, c’est anonyme, personne ne saura.
Rien n’est plus faux !
Non seulement les big data de google savent que vous avez demandé telle chose, mais en plus ils le tracent et le rapprochent d’autres requêtes que vous avez faites et sont ainsi en mesure de construire un profil de vous, dévoilant tous les jardins secrets que vous pensiez cachés.
«Votre historique de recherche est la chose la plus personnelle sur Internet, car vous y partagez vos problèmes de santé, vos soucis financiers, le tout sans même y réfléchir», explique Gabriel Weinberg, le créateur de DuckDuckGo qui est un moteur de recherche concurrent de Google. La philosophie de ce moteur de recherche est de préserver la vie privée et de ne stocker aucune information personnelle concernant les utilisateurs
Une tribune de la présidente de la CNIL précise : « La transition numérique de la société concerne tous les secteurs et se traduit par une multiplication des flux de données. Le problème n’est pas leur circulation, mais leur utilisation à l’insu des citoyens.
Lorsque l’on visite quatre sites grand public, des sociétés que nous ne connaissons pas installent une cinquantaine de cookies sur notre ordinateur. On ne voit pas non plus que des tas d’annonceurs traquent notre activité en ligne pour nous proposer des publicités ciblées. Google, Facebook, Amazon et les autres géants du Net collectent, regroupent et monétisent les données personnelles de façon non transparente.
À ce problème s’ajoute celui de la surveillance sur Internet. Plus ou moins poussée selon les États, elle alimente un sentiment de perte de contrôle sur nos données personnelles. »
Je me souviens du jour où mon fils pourtant connaisseur en matière d’informatique, m’a appelé en disant : « Ça fait peur ». Il constatait que Google était capable de retracer, chaque jour, tous les déplacements qu’il avait effectués en France comme au Canada. Cela dépend de votre portable et des paramétrages que vous avez acceptés. Vous trouverez quelques informations derrière ce lien : http://www.phonandroid.com/google-peut-vous-montrer-une-carte-de-votre-vie-minute-par-minute.html
Et  puis j’ai lu cet avis désabusé d’un ancien dirigeant de la BBC, Alan Yentob : «Amazon en connaît probablement plus sur la vie de mes enfants que moi »
Nous devons être lucide et prudent avec nos portes vers le monde et inversement.

Mardi 1er mars 2016

Mardi 1er mars 2016
« Le dilemme de l’innovateur »
Clayton Christensen
Clayton Christensen, né en 1952 est professeur à Harvard et a théorisé  sur l’innovation. Dans son livre « le dilemme de l’innovateur » publié en 1997, il a expliqué comment d’immenses entreprises qui disposaient d’une avance technologique considérable n’ont pas su, alors qu’ils en avaient les moyens, innover à temps et ont ainsi été dépassés par d’autres entreprises voire ont été détruites en raison de leur timidité d’innovation.
L’exemple emblématique toujours cité est celui de Kodak qui régnait sans partage dans le domaine de la photo dans la deuxième partie du XXème siècle.
Il en va de même avec l’industrie du disque ou à un degré moindre de Microsoft qui n’est plus dominant dans le domaine de l’informatique.
Christensen distingue deux types d’innovation :

  L’innovation de rupture

  L’innovation de soutien

Une grande entreprise dispose de beaucoup de clients, souvent de hauts de gamme et va se contenter de faire de l’innovation de soutien : toujours améliorer les produits qu’elle vend déjà.
Elle évitera l’innovation de rupture qui peut rendre obsolète le produit qu’elle vend et peut déstabiliser ses clients.
Vous trouverez ci-après une vidéo qui explique tout cela fort bien : http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Comprendre-le-dilemme-de-l-innovateur-_2566.html
Le livre l’innovation de rupture avait beaucoup marqué Steve Jobs. L’article cité ci-avant prétend même que c’était son livre de chevet.
Et il est vrai que consciemment Steve Jobs et Apple ont fait avec l’Iphone une innovation de rupture qui a conduit à rendre l’iPod obsolète.
Et selon l’émission du grain à moudre, il s’agit là de l’obsession des GAFA, toujours innover, trouver l’innovation de rupture. Elles sont nées de l’innovation et elles savent que l’innovation leur est indispensable.
C’est pourquoi les GAFA rachètent de façon obsessionnelle des start-ups innovantes et qu’elles multiplient la recherche dans divers domaines notamment de l’intelligence artificielle et aussi dans le monde médical.
Google veut être dans nos vies aujourd’hui, de demain en ayant toujours un coup d’avance.
Daniel Cohen avait eu un cri du cœur en présentant son livre « le monde est clos et le désir infini » à France Culture : « Nous avons trop d’innovation »
Ce n’est pas l’avis de Clayton Christensen qui prétend : « La vision de Schumpeter de l’innovation comme processus de « destruction créatrice » était avant tout descriptive. La causalité n’est pas celle proposée par Schumpeter. Si la destruction l’emporte sur la création, c’est parce que nous n’investissons pas assez de capital dans les innovations disruptives. Lorsque celles-ci se seront installées, le potentiel de nouveaux emplois dépassera largement le nombre de ceux qui auront été détruits dans les modèles établis. Contrairement à l’idée reçue aujourd’hui, on ne va pas trop vite dans l’innovation, mais trop lentement, au regard du potentiel. »
C’est ce qui s’appelle un dissensus !